dimanche 18 juin 2017

Cheikh Mohammed Sa’îd Ramadhân al-Bûtî - Le mystère de la nuit du destin…

http://www.cheikh-bouti.fr/



Son mystère entoure ses manifestations, et non pas sa date !



Qu’ils soient de bonne ou de mauvaise foi, certains polémiquent autour de la véracité des vertus énoncées dans le Coran au sujet d’une nuit particulière de l’année, qu’elle soit fixe ou variable, nuit appelée par le Coran « la nuit du destin ». Cela sous-entendrait que son heure est la même partout dans le monde ce qui prête à confusion. En effet, chacun sait que l’horaire des nuits et des jours se décalent à mesure que la terre tourne… La levée du jour ici correspond à la tombée de la nuit à l’autre bout du monde. Ceci ne pourrait-il pas représenter une faille dans le propos Coranique si l’on se réfère aux nombreux principes scientifiques de base?


A propos de la notion de temps…


En supposant qu’ils soient de bonne foi, je dirais ceci à ces polémistes incapables de trouver la solution : Il n’y a pas de désaccord au sujet du principe des fuseaux horaires dont le décalage n’offre aucun avantage particulier. Intrinsèquement, le temps présente le même intérêt aussi bien suivant l’orbite terrestre qu’en termes métaphysiques qui le définissent comme étant inintelligible voire inexistant. Le savoir ancestral tout comme les sciences modernes accordent au temps la quatrième dimension d’un objet tridimensionnel en mouvement, le déplacement faisant appel à la notion du temps.


Quelle que soit la notion retenue, la première ou la deuxième, le temps n’existe pas d’une manière autonome et indépendante, il permet juste de jauger un mouvement tel qu’un déplacement orbital ou celui d’un corps tridimensionnel. Car le mouvement ainsi que sa dimension temporelle n’existent qu’à travers l’existence de l’objet en mouvement. Le temps est donc un instrument virtuel de mesure de mouvement d’objets existants.


Par conséquent, la nuit du destin, la nuit du vendredi, le jour d’Arafat et les jours de Ramadan ont intrinsèquement et temporellement une valeur unique quand elle existe.

 Il en est de même avec les lieux… il n’y a pas de différence entre un endroit et un autre en termes de valeur ou de vertu, la terre d’Arafat, le sol de la Mecque, la dernière demeure du Messager d’Allah et les autres terres sont semblables en terme géotechnique, si l’on fait abstraction des considérations agricoles et minières.



En quoi la nuit du destin est-elle supérieure aux autres nuits ?


Sa valeur provient des signes d’Allah envers ses serviteurs à cette occasion, qui sont porteurs du pardon, de la miséricorde, de l’exaucement de vœux et du remède contre le mal-être, ainsi en mérite-t-elle exclusivement sa fortuite vertu.


D’après la révélation du Messager d’Allah, la nuit du destin change de date du mois de Ramadan d’une année à la suivante. Cela confirme que sa vertu, telle que louée par Allah, n’est pas liée au fait qu’elle soit à une date donnée, sans quoi une telle nuit aurait été fixée jusqu’au jour du jugement dernier.


Comme la nuit du destin change entre les nuits de Ramadan d’une année à l’autre, elle change également d’un lieu à un autre sur terre à mesure que nuits et jours se succèdent.


La vertu de la nuit du destin est de même nature que celle de la dernière tranche de la nuit [entre le tiers et le quart]. En effet, de nombreux hadiths authentiques confirment qu’Allah se rapproche de ses serviteurs à cet instant, peu importe qui ils sont et où ils sont, et Il dit: « Y a-t-il quelqu’un voulant se repentir pour que Je le pardonne, y a-t-il quelqu’un sollicitant une grâce pour que Je la lui donne, y a-t-il quelqu’un voulant M’implorer pour que J’y réponde favorablement ?… » Cela signifie que quelle que soit l’heure de la nuit ou du jour, Allah aborde un groupe de Ses serviteurs par ses affabilités attachantes… Car à n’importe quelle heure correspond une heure de la dernière tranche de la nuit d’un endroit donné de l’étendue terrestre créée par Allah.


Certes, c’est la merveilleuse grâce d’Allah qui se répand et qui se distribue d’un endroit à l’autre sur Terre, mouvant à travers le temps. Lieu après lieu, elle rend visite aux gens là où ils sont et elle les aborde à des horaires distincts. Ainsi le gens partagent-ils tous l’opportunité de capter les affabilités et les signes d’Allah, à des horaires successifs, sans nul besoin de leur part d’y consacrer du temps ni de se détourner de leurs activités.


Voilà cette notion mieux appréhendée bien qu’elle ne mérite pas un tel développement compte-tenu de sa nature évidente. La vertu de la nuit du destin, telle qu’évoquée dans le Coran, n’émane pas de la nature intrinsèque du temps, ce qui aurait autrement justifié la confusion que soulèvent ceux qui polémiquent à son sujet, comment pourrait-elle émaner de ce qu’on appelle le temps sachant que celui-ci est une illusion, un indicateur de mouvement. La vertu est plutôt une qualité fortuite liée à un instant donné connu par Allah, c’est un instant que partage le mouvement céleste dont la Terre fait partie, il se répète à longueur de journées et de nuits. Cette vertu descend de la Haute Divinité, elle n’est pas liée à une qualité intrinsèque issue de ce qu’on appelle le temps.


Par conséquent, quand la nuit du destin correspond à la nuit du vingt et un du mois de Ramadan aux Emirats par exemple, son heure correspond à la nuit suivante ou à la journée d’après dans un autre endroit. Dans tous les cas, elle s’articule autour des signes d’Allah et de Ses affabilités plutôt qu’autour de la nature temporelle dont nous avions indiqué qu’il s’agit d’un simple indicateur illusoire.
* * *
Néanmoins, le polémiste pourrait poursuivre sa controverse en disant : mais le Coran stipule : « Nous l’avons certes, fait descendre (le Coran) pendant la nuit du destin ». Cela signifie qu’à l’origine la transmission du Coran correspond à une nuit singulière, c’est-à-dire une nuit particulière parmi les nombreuses nuits du destin partagées à travers la Terre, comme nous l’avons expliqué. A quelle nuit correspond alors le début de transmission du Coran ?


En réponse à cette question, le Messager d’Allah – paix et salut sur Lui – apprenait par cœur le Coran qui lui est transmis. Du fait que Mohamed – paix et salut sur Lui – était à ce moment là à La Mecque, la nuit du destin, date à laquelle le Coran commençait à parvenir, correspondait à celle liée à l’une des nuits du mois du Ramadan dans la péninsule arabique.


La concomitance de la nuit du destin avec les horaires d’autres lieux terrestres, cette année-là, ne compromet en rien la réalité et ne pose aucune contradiction avec la parole d’Allah : « Nous l’avons certes, fait descendre pendant la nuit du destin ».
* * *
Maintenant, cette explication parviendra-t-elle à convaincre ces frères qui ont accueilli les termes du Coran, concernant la nuit du destin, avec un esprit critique et polémiste ?


Sachant qu’Il est Le Créateur de l’Univers, Le Concepteur de sa parfaite organisation et Le Metteur en mouvement des corps célestes, la confiance en la parole d’Allah n’est-elle pas préférable à son examen et à sa mise à l’épreuve de la recherche et de l’évaluation, bien que l’investigateur ou le polémiste ait du mal à percevoir ce qui le guide vers la solution ou vers la réponse ?


D’après les récits et les nombreuses références, le Messager d’Allah dit : (Certes, votre Seigneur émet tout au long des jours que vous vivez des signes, assurez-vous bien de les percevoir), c’est-à-dire le chemin que vous empruntez pour vous rendre inévitablement entre les mains d’Allah, est jalonné d’absolution et de pardon divin vous invitant à vous délester de vos fardeaux en vous réconciliant avec Allah, en Lui prêtant à nouveau allégeance, les anciens méfaits se transforment aussitôt en bienfaits et le registre noirci par les péchés redevient subitement d’un blanc immaculé.


Du point de vue logique et rationnel, une interaction positive avec ces jalons n’est-elle pas préférable à une approche exploratoire et critique à la manière d’un touriste en voyage qui s’arrêterait devant des bâtiments et des édifices dont il ne comprend pas le sens ?
S’avérerait-il que nous soyons étrangers à l’histoire de notre périple en cette vie ou que celle-ci nous soit étrangère, tel un touriste étranger au pays qu’il sillonne, découvrant ses points de repère ? S’avérerait-il que nous ne connaissions rien aux repères d’absolution qui nous sont destinés par Allah, avec condescendance et bienfaisance, le long du chemin qui nous mène vers Lui après avoir glissé sur le flanc du fleuve des désobéissances et des péchés ?


En effet, il s’agit de repères spatiaux-temporels du pardon émis vers quiconque voulant se délester de ses fardeaux et gagner la merveilleuse absolution auprès d’Allah, sans nul besoin de sa part de payer ni compensation ni charge, seule comptant la sincère orientation vers Lui et la soumission liée à la servitude à Son égard.


Et voici la nuit du destin enfouie au cœur de ce mois béni que le Messager d’Allah t’incite à solliciter chaque nuit, la solliciter avec sincérité et repentance en annonçant ta soumission en tant que serviteur d’Allah, Il t’écrira certainement un nouvel acte de naissance démarrant une vie nouvelle non ternie par les péchés.
La vie est assurément courte, l’opportunité est certes disponible mais le temps dont tu disposes est trop court pour pouvoir te permettre l’examen critique et l’interrogation des perceptibles repères du pardon divin qui t’interpellent le long du parcourt, en particulier celui de la nuit du destin, tu t’affaire à les discuter et tu passes ton précieux temps dans les rumeurs à son sujet, jusqu’à ce que tu rate finalement l’opportunité qui t’était disponible et que la porte divine se referme devant le signe annonciateur, le temps que ton esprit s’éveille il ne te reste plus que les remords.


Pourtant, tu connaissais bien la réponse à ta question et tu disposais bien de la solution à ta problématique. Saisissons donc, ensemble, l’opportunité avant qu’il ne soit trop tard, et recueillons à temps les signes d’Allah. Se détourner des occasions qui se présentent est un mauvais présage frappant celui qui s’en détourne notamment par orgueil et dédain.


Qu’Allah nous en préserve et qu’Il nous attache à la vérité là où elle est.


Mohammad Saïd Ramadân al-Bouti


Source : journal Al-khalij (Le golfe)

vendredi 16 juin 2017

Paul Casanova - La doctrine secrète des Fatimides d'Égypte



La mosquée al-Aqmar (Le Caire-Egypte)
La Mosquée Al-Aqmar fut construite en 519 A.H. (1125) par Al-Âmir Bi-Ahkâm Allâh, septième calife fatimide d’Égypte.





 Paul Casanova - La doctrine secrète des Fatimides d'Égypte











Le portail d’entrée possède un fin linteau encastré et est recouvert de cannelures, les unes horizontales et les autres formant des rayons issus d’un médaillon sculpté. Le centre du médaillon est décoré par les mots « Muhammad » et « `Alî », gravés dans la pierre en caractères coufiques. Vient ensuite un cercle d’arabesque puis encore un autre où sont gravés des lignes coufiques, et finalement une bande décorée par des spirales entrelacées. Le travail de gravure et de perçage, réalisé à la perfection, témoigne de la dextérité des ouvriers de l’époque.













jeudi 8 juin 2017

Philippe Voarino - Iwama, la dernière aventure de Maître Ueshiba

Maître Moriheï Ueshiba



Cet article a été initialement publié dans le magazine - Dojo Arts martiaux N°34 - de juillet / aout 1989.


L’aikido ne s’apprend pas, il se pratique. Grande vérité. Mais certaines informations sur les circonstances de l’évolution de notre discipline sont salutaires à toute pratique intelligente. Et un paradoxe est à cet égard troublant : si la vie d’O sensei est relativement bien connue, dans ses grandes lignes, pour l’aventureuse période qui précède la Seconde Guerre mondiale, l’ignorance est presque totale en ce qui concerne les deux décennies qui l’ont suivie et qui sont pourtant les plus proches de nous. Permettez-moi donc d’ouvrir aujourd’hui une page de l’histoire de l’aikido à l’année 1941.


Maître Ueshiba vit à Tokyo depuis une quinzaine d’années et enseigne à la fois dans son dojo d’Ushigome, dans plusieurs écoles de Police, et dans les plus importantes académies militaires du Japon. L’aiki-jutsu ou l’aiki-budo - puisque tels sont les noms de l’aikido à l’époque - est désormais largement reconnu, et la notoriété de maître Ueshiba lui vaut une place au sein de la très vénérable Commission nationale du Budo.


L’aristocratie de son pays le respecte comme un maître, du prince Shimizu à l’amiral Takeshita, en passant par le général Miura, héros de la guerre russo-japonaise, tous ses élèves. Et la route de sa fin de vie semble désormais tracée, jalonnée d’honneurs et de responsabilités officielles comme premier et illustre représentant, dans le monde entier, de l’art qu’il a créé, un peu à la manière de Jigoro Kano, fondateur du judo, quelques décennies plus tôt.




Maître Jigoro Kano

L’arrivée à Iwama



Eh bien ! à soixante ans, l’âge où les hommes sont fatigués et profitent des fruits accumulés par une vie d’efforts, maître Ueshiba repart à l’aventure. Il démissionne de toutes ses positions officielles, abandonne sa gloire et la vie citadine, et s’installe dans un petit village champêtre à une centaine de kilomètres au nord de Tokyo, IWAMA. Après avoir défriché lui-même la terre qu’il y possède, il fait construire progressivement une maison - bien modeste - et un petit dojo financé par les dons de ses élèves. C’est là qu’il vivra de 1942 à sa mort en 1969. Pourquoi, contre toute attente, alors que tout semblait acquis et que le Ueshiba ryu atteignait enfin une reconnaissance méritée, O sensei opère-t-il un renversement aussi brutal de sa vie ?


On a dit, et c’est vrai, que la guerre avait vidé tous les dojos de Tokyo de leurs pratiquants. Mais je ne crois pas qu’O sensei fut jamais homme à abandonner son navire dans une mauvaise passe. L’installation à Iwama répond à des raisons plus profondes, à une « inspiration divine » dit lui-même le fondateur dans son langage symbolique. Et il faut prêter attention à cette parole.


A la fin des années trente, l’aiki-jutsu de l’école Daito est encore très présent dans l’art d’O sensei qui délivre jusqu’à cette époque - cela mérite d’être souligné - des certificats du Daito-ryu sous l’autorité et l’authentification de maître Sokaku Takeda . Mais son évolution technique et spirituelle est désormais irréversible, et l’installation à Iwama concrétise la rupture depuis longtemps latente avec le Daito-ryu. Le symbole le plus fort - voulu par maître Ueshiba - de cette rupture et de la naissance d’un art qui n’a plus rien de commun avec celui de maître Takeda, est l’inauguration d’un nom : c’est à Iwama en 1942, on le sait peu, qu’est utilisé pour la première fois le terme AIKIDO pour qualifier et distinguer la voie particulière d’O sensei.



Maître Sokaku Takeda


Si la gestation de l’aikido s’étend bien sur les cinquante années précédentes, cet enfant de la patience ne voit le jour qu’au début des années quarante. Et encore est-il bien fragile. Il reste à le consolider en le menant à maturité. Voilà quelle tâche hors du commun s’étend devant maître Ueshiba en 1941. Elle ne peut s’accomplir dans l’agitation superficielle et dévorante d’une vie citadine, dans la rumeur du monde. Elle exige la tranquillité et l’harmonieux rapport avec la nature qu’apporte une vie paysanne. C’est je crois ce qui explique le choix d’Iwama.


La naissance de l’Aikido

Tous les témoignages des élèves de cette époque sont unanimes. A partir de 1942 et pendant plus de vingt ans, O sensei se plonge à Iwama dans la pratique et l’étude de l’aikido avec une intensité et une détermination dans la recherche tout à fait exceptionnelles. Il oriente cette recherche selon deux axes :
  1. l’amélioration constante de nombreuses techniques à mains nues encore trop sommaires ou imparfaites ;
  2. la mise en corrélation de tout l’aspect technique de l’aikido avec une vaste symbolique d’ordre initiatique. A cette double fin, il développe comme jamais il ne l’a fait jusqu’alors l’utilisation du bâton et du sabre, étudiant chaque matin pendant des heures les infinies possibilités de ces armes utilisées selon les lois de l’aïki. Ces armes qui opèrent un peu à la manière d’un révélateur, d’une loupe grossissant des principes fondamentaux plus difficilement perceptibles à mains nues.
Pour être acceptables, ces dernières affirmations exigeraient bien sûr une argumentation technique qui n’a malheureusement pas sa place ici. Qu’il reste acquis pour l’instant qu’O sensei accomplit à Iwama entre soixante et quatre-vingts ans une oeuvre colossale : il crée véritablement l’aikido en ce sens qu’il l’organise pour la première fois en un ensemble structuré et signifiant, caractère que n’avait pas encore la simple méthode de combat des années antérieures.


Et bien cette tâche gigantesque est passée presque inaperçue dans l’histoire de l’aikido. La raison en est à la fois simple et assez inconcevable : il n’y eut presque personne à lwama aux côtés du fondateur tout au long de ces années. Seuls quatre uchi deshi véritables habitèrent l’Aiki Shu Ren Dojo :


  • Kisshomaru Ueshiba, le fils d’O Sensei, l’actuel Doshu, mais il s’installa à Tokyo dès la fin des années quarante où il travaillait pour la compagnie Osaka Shoken avant de prendre en main l’administration de l’Aikikai, ainsi que la direction technique du dojo d’Ushigome qui ne deviendra Hombu dojo  qu’en 1956 cour des raisons de stratégie politique visant l’expansion mondiale de l’aikido ;


  • De gauche à droite : Kisshomaru Ueshiba, Maître Moriheï Ueshiba et Koichi Tohei


  • Koichi Tohei quitta lwama a la même époque pour mettre sur pied un commerce de charbon avant de s’établir à Hawaï ;
  • Tadashi Abe que la France eut le grand honneur d’accueillir au tout début des années cinquante ;




  • Tadashi Abe


    • Gozo Shioda enfin qui ne fit à Iwama qu’un bref passage avant de fonder sa propre école, le Yoshinkan, dans l’immédiat après guerre.


    Gozo Shioda


    Il n’y a donc plus, dès 1950, d’uchi-deshi a Iwama. Et ceci a son importance car O sensei donne bien tous les soirs au dojo un cours de tai-jutsu  auquel participent les soto-deshi  du voisinage et parfois quelques uchi-deshi du dojo de Tokyo venus spécialement de la capitale. Mais il ne pratique les armes - bukiwaza - que très tôt le matin dans la campagne avoisinante et nulle part ailleurs. Aucun uchi deshi ne partage plus désormais son travail.



    Il faut bien comprendre cette situation étonnante :
    O sensei n’enseigne pas, n’enseignera jamais les armes auxquelles il consacre pourtant l’essentiel de sa recherche. Il interdira même formellement leur utilisation au Hombu dojo de Tokyo où il se contente de démontrer, à de rares moments, les possibilités du sabre et du bâton.

    Le hasard de l’histoire


    Cependant, lors de ses séances matinales d’entraînement quotidien aux armes, O sensei n’est pas vraiment seul. Si tous les uchi-deshi sont partis, il lui reste un partenaire : un soto deshi, un habitant d’Iwama entré au dojo en 1946, que ses horaires de travail un peu particuliers à la Compagnie des Chemins de Fers Nippons autorisent à vivre un jour sur deux auprès de maître Ueshiba, Morihiro Saito.


    Morihiro Saito en prière, derrière Maître Moriheï Ueshiba


    Par un formidable hasard de l’histoire, maître Saito fut ainsi l’unique témoin quotidien ayant eu un rôle actif dans la recherche et le travail acharnés réalisés par O sensei dans le domaine des armes. Il apprit de la sorte, par la force des choses, entre 1946 et 1969, ce que personne d’autre que lui n’était destiné à apprendre directement du fondateur de l’aikido.

     Sans cet « accident historique », l’univers sans prix des armes de l’aikido, qu’O sensei consacra tant d’efforts et de temps à explorer, serait aujourd’hui refermé à jamais.




    Démonstration de Maître Moriheï Ueshiba et Morihiro Saito (1955)


    Et sans doute est-ce pour sceller la mission qu’il confiait à Morihiro Saito - quant à l’avenir de l’aikido - qu’O sensei lui légua la charge de ce dojo d’Iwama qu’il avait tant aimé, et la garde de l’aiki ginga, le temple de l’aikido, édifié à côté de ce dojo historique. Maître Saito sera en France pour une grande tournée du 20 au 30 octobre 1989. Que cette venue soit l’occasion, pour tous ceux qui ne le connaissent pas encore, de découvrir, sous une simplicité bon enfant, un homme d’une profondeur de connaissance et d’une envergure historique exceptionnelles.

    Philippe Voarino, juillet 1989


    http://www.aikidotakemusu.org/fr




    mercredi 7 juin 2017

    Jeff Kerssemakers - Compte rendu de l'édition anglaise des Symboles Fondamentaux










    René Guénon : FUNDAMENTAL SYMBOLS - The universal language of sacred science, compiled and edited by Michel Vâlsan (translated by Alvin Moore& amp; A. Moore Jr.), revised and edited by Martin Lings) Editions QUINTA ESSENTIA, Cambridge, 1995.

      
    Cet ouvrage, publié il y a une douzaine d’années, est la traduction anglaise du recueil d’articles de René Guénon rassemblés par Michel Vâlsan sous le titre de Symboles fondamentaux de la Science sacrée. Cette louable initiative, qui permet au lecteur anglophone d’accéder à des textes importants de René Guénon, n’appellerait pas de remarques si cette édition dirigée par Martin Lings ne contenait pas de graves anomalies qui méritent d’être relevées.

    Dans son introduction, Whitall N. Perry rend justement hommage à A. K. Coomaraswamy, le seul auteur, avec Charbonneau-Lassay, à être considéré par René Guénon comme « éminent collaborateur », mais qui fut par la suite négligé par la plupart des auteurs « guénoniens » qui ne se réfèrent jamais à lui.

    Cependant, Martin Lings, dans la préface de l’éditeur, essaie de justifier ses manipulations du texte original. En effet, il n’a respecté ni le choix de Michel Vâlsan, ni le texte de Réné Guénon lui-même.

    L’étude préliminaire de Michel Vâlsan (pp. 11-23 de l’édition originale), les annexes I et II (bibliographie détaillée des textes de René Guénon composant les chapitres du livre), et l’annexe III (« Sur le triangle de l’androgyne ») sont absentes de la traduction, ce qui s’explique par le procès intenté par un des fils de René Guénon (et inspiré par Roger Maridort) contre Michel Vâlsan, au terme duquel, par décision de justice, les textes de ce dernier furent supprimés des éditions ultérieures.

    Mais Martin Lings a modifié la sélection et le contenu des textes. Il explique avoir « enrichi » l’ensemble en ajoutant deux textes de René Guénon : Les Idées éternelles et Esprit et intellect (repris initialement dans le recueil posthume Mélanges, édité par Roger Maridort). D’autre part, il a retiré le texte L’emblême du Sacré-Coeur dans une société secrète américaine, qui formait dans l’édition française le chapitre LXXI, au motif que, d’après lui, il n’aurait pas dû être inclus dans le recueil... Il a également, ce qui est beaucoup plus grave et constitue une véritable falsification, supprimé les derniers paragraphes du texte Le Saint Graal (chapitre IV de l’édition originale), lesquels, dit-il, n’ont rien à voir avec le symbolisme et « posent plutôt quelques problèmes ». En relisant attentivement le passage censuré, on comprend mieux le « problème » de M. Lings, disciple de F. Schuon. René Guénon explique en effet, à propos de l’occultation du Graal, que « ce retrait ne s'applique d’ailleurs ici qu 'au côté ésotérique de la tradition, le côté exotérique étant, dans le cas du christianisme, demeuré sans changement apparent », cette distinction étant contraire à la fameuse thèse de F. Schuon sur l’initiation chrétienne... On voit donc que les « schuoniens », principalement présents dans le monde anglo-saxon, ne désarment pas, malgré les mises au point faites ultérieurement sur cette question (notamment par Michel Vâlsan dans les Etudes traditionnelles et C.-A. Gilis dans Connaissance des religions), et l’on peut s’étonner que les actuels dépositaires de l’oeuvre de René Guénon n’aient pas réagi devant un tel agissement.


    Jeff KERSSEMAKERS



    Publié dans le n° 117 (Septembre – Octobre – Novembre 2009) de la revue Vers La Tradition. Publié avec l'aimable autorisation de l'auteur .

























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