vendredi 31 août 2012

La Prière du « soulagement » – Cheikh Abd es-Salâm al-Asmar par Maurice Le Baot

 
 
 
 

Tombeau de Abd es-Salâm al-Asmar avant sa profanation
 
 

بسم الله والحمد لله

والصلاة والسلام على سيدنا محمد رسول الله وآله وصحبه ومن والاه

حسبنا الله و نعم الوكيل و لا حول ولا قوة إلا بالله العلي العظيم 

 
 
« En vérité, les Amis (Awliyâ’) d’Allah n’éprouveront pas de peur et ne seront pas affligés 1 »
 
 
En parcourant Internet à l’annonce de la destruction des tombeaux de l’Imam Zarruq et du Cheikh Abd es-Salâm al-Asmar 2 - Qu’Allah soit satisfait d’eux, préserve leurs nobles corps et nous fasse profiter de leur Barakah – nous avons pris connaissance d’une prière sur le Prophète attribuée au Cheikh Abd es-Salâm al-Asmar dont nous publions ci-dessous le texte3 et la traduction en hommage à son auteur, ses maîtres 4 et ses suivants.
 
Cette prière, dont il existe plusieurs versions, apparaît par ailleurs comme particulièrement propice à la situation présente puisqu’elle a pour particularité remarquable (fa’idah ‘ajîbah), selon un des commentaires proposés, d’apporter le soulagement après la difficulté (al-faraj ba’d ach-chiddah).
 
Nous demandons à Allah qu’Il nous garde donc, par elle, avec ses Awliyah et préserve la communauté mohammédienne toute entière des séditions de la fin des temps ainsi que de l’Antéchrist et de ses armées – Que la malédiction d’Allah soit sur eux !

Wa bi-Llah et-Tawfîq !


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mardi 28 août 2012

Règles de l’Initiation (Qawâ’îd et-Taçawwuf) – Ahmed Zarruq

Le Porteur de Savoir  


Note des traducteurs : Nous prenons ici en considération pour la traduction du titre cette remarque de René Guénon – Cheikh Abd el-Wâhid : (cf. « Guénon par lui-même« ) : « L’ésotérisme, considéré ainsi comme comprenant à la fois tarîqah et haqîqah, en tant que moyens et fin, est désigné en arabe par le terme général et-taçawwuf, qu’on ne peut traduire exactement que par «initiation» ; nous reviendrons d’ailleurs sur ce point par la suite. Les occidentaux ont forgé le mot «çûfisme» pour désigner spécialement l’ésotérisme islamique (alors que taçawwuf peut s’appliquer à toute doctrine ésotérique et initiatique, à quelque forme traditionnelle qu’elle appartienne) » (Aperçus sur l’ésotérisme islamique et le Taoïsme, chap. I) ; et nous précisons enfin qu’il aurait été possible, en l’occurrence, de traduire le titre de l’ouvrage par : » Règles Fondamentales de l’Initiation Islamique » .


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Des mausolées d’Al-Baqî (Médine) aux saints de Tombouctou : le wahhabisme à l’assaut de la mémoire

 



Dr. Bakary Sambe

Source : http://www.majalis.org/blogs/bakarysambe/2012/07/16/des-mausolees-dal-baqi-medine-aux-saints-de-tombouctou-le-wahhabisme-a-lassaut-de-la-memoire/
 

Encore une belle occasion d’alimenter la théorie sur les « nouveaux barbares » ! Les télévisions du monde entier se sont braquées sur les horribles images de destruction des mausolées dans la ville historique de Tombouctou.

Au-delà de la mise en pratique d’une doctrine wahhabite dans son expression la plus extrême, c’est le symbole même d’un islam africain constitutif de la civilisation musulmane qui est, encore, la cible de ces groupes.

Mais, cette idéologie rétrograde qui a toujours enfermé le débat sur l’islam dans un carcan ahistorique et une vision étriquée, avait déjà commis plusieurs forfaitures dans ce sens.

La « saga » wahhabite avait bien commencé en Arabie-même avant de décider d’en finir avec tout ce qui pouvait symboliser la diversité. Cet unitarisme dogmatique professé, à l’époque par un « théologien » en mal de reconnaissance qui s’offrit aux désirs d’un politique en quête de légitimité lui servant de bras armé, n’a cessé de faire des ravages dans les sociétés musulmanes, elles-mêmes, avant de se rendre célèbre par le plasticage des Boudha géants d’Afghanistan.

L’idéologie wahhabite fait encore, malheureusement, des émules et a conduit, récemment, à la destruction des mausolées des trois principaux guides religieux de la confrérie soufie Qâdiriyya à Mgadiscio par les Shebab.

Dans la logique de l’excluvisme religieux, ce courant prend souvent le masque de la restauration des dogmes pour se considérer comme ce virtuel « vrai islam » avec un endoctrinement qui a ses propres méthodes.

Pourtant le Wahhabisme – se cachant très souvent derrière le vocable du salafisme- n’est qu’une simple tradition religieuse, développée dans ce qui est devenu l’Arabie Saoudite, depuis le milieu du xviiie siècle par les oulémas de l’institution religieuse fondée par les héritiers de Muhammad Ibn Abd al-Wahhab (1703-1792). Cette institution, en retour, se considère comme la « gardienne » de cette tradition. L’une et l’autre entretiennent un rapport organique avec l’État saoudien, fondé en 1744 à la suite d’un pacte conclu entre Ibn Abd al-Wahhab et Muhammad Ibn Saʿud, selon lequel le « sabre » se mettrait désormais au service du « goupillon », et réciproquement.

Voilà qu’un pacte purement politique fondé sur la légitimation réciproque et l’échanges de services s’érige en seule « doctrine véritable » à l’assaut de tout ce qui, dans le monde musulman pouvait matérialiser son enrichissante diversité.

Mais la série des destructions et des saccages d’une partie de la mémoire de l’islam avait bien commencé à Médine au cimetière d’Al- Baqî que les wahhabites ont rasé. Si, aujourd’hui, en terre africaine les disciples du wahhabisme continuent de taxer les adeptes du soufisme d’associateurs (pratiquant ce qu’ils appellent le shirk) et les excommunient, les sources historiques restent formelles sur une tradition qui était bien ancrée en Arabie musulmane.

La présence de mausolées et de tombeaux ornés et décorés, édifiés, ou agrandis, avant 1326, est clairement attestée par Ibn Battûta lors de son pèlerinage à la Mecque et par Ibn Jubayr avant lui (1183). Le célèbre historien Ibn Battûta décrivait même une « grande coupole » sur la tombe d’Uthman ibn Affan, l’un des quatre califes dits « bien guidés » appartenant, pourtant, à la période sacralisée et idéalisée des tenants du salafisme wahhabite !

C’est, bien plus tard, que les wahhabites, près de 1200 ans après, en vertu d’une fatwa prise par un certain cheikh Muhammad al-Tayyib, ont détruit les mausolées du cimetière d’Al-Baqî` contigüe à la Mosquée du Prophète ; D’ailleurs n’eût été la résistance de certains savants et autorités musulmans, le propre mausolée du Prophète de l’islam aurait déjà connu le même sort que ceux des saints de Tombouctou.

Et l’on peut croire que, sur le sort de la mosquée-tombeau de Médine, les wahhabites ne sont que dans une logique de « hudna », pause stratégique, le temps d’accomplir ce « vœu pieux » de « désacraliser » le mausolée du Prophète. Un célèbre penseur contemporain de ce courant continue à le professer et qui a bien inspiré les démolisseurs de Tombouctou. Il s’agit de Shaykh Albânî, dans son ouvrage « Ahkâm al-Janâ-iz wa bida’uha ». Il y recommande que l’on retire la tombe du Prophète de l’islam de la mosquée de Médine. La désacralisation est bien en marche ! Ce même auteur, presque sacralisé dans nos écoles salafistes de Dakar, Bamako ou encore de Niamey, insiste sur cette demande dans un autre de ses ouvrages Tahdir as-sâjid Min ittikhâdil Qubûri Masâjid (pp 68/69).

Cette idéologie de la destruction n’a pas commencé à Tombouctou et ne s’y arrêtera certainement pas. Elle est inscrite dans un processus continu de négation de la différence, de la culture du débat pourtant institué par les textes et faits fondateurs de l’islam.
La même logique politique accompagne cette doctrine wahhabite qui, en réalité, a toujours été au service du pouvoir politique. Le cimetière d’al- Baqî, avant la venue au pouvoir du régime saoudo-wahhabite, avait plusieurs mausolées, qui étaient des lieux de pèlerinage des chiites et même des sunnites qui venaient à Médine.
C’est partant d’un dogme qui considère comme un péché de se rendre sur la tombe d’un défunt que de nombreux sites religieux ont été détruits. Les wahhabites avaient même forgé le projet de détruire les sites Karbala et de Najaf, en Irak, et leur projet de destruction de la tombe du Prophète a été abandonné suite aux violentes objections de la communauté islamique internationale.
Au-delà des évènements malheureux de Tombouctou on dirait que les tenants du wahhabisme sont dans une logique de destruction du patrimoine historique et de la mémoire tout court. Sinon comment comprendre la démolition d’une partie de la montagne d’Abû Qays, non loin de deux portes principales de la Ka’ba (Bâb-u- Salâm et Bâb-u-Ali) ? Abû Qays symbolisait pourtant, selon la tradition musulmane, le premier endroit d’où le Prophète débuta sa prédication et où, habituellement les pèlerins étaient invités à faire une prière spéciale. La mémoire religieuse ainsi effacée, un somptueux palais royal y prit place comme pour avoir une belle vue sur la pierre noire peut-être visée, aussi, par les fatwas de la destruction. S’il en était des idoles à détruire en priorité, ce serait, sans conteste, celles dressées sur le chemin d’une intelligence des textes sacrés, peuplant les esprits formatés pour l’éternel taqlîd, l’imitation aveugle non contextualisée au mépris de la raison et de la logique de l’ikhtilâf, le principe garanti de la divergence et du débat.

L’attaque au patrimoine de Tombouctou ne peut se comprendre que si l’on garde présent à l’esprit tout ce que cette ville représente pour l’Afrique, l’islam et l’humanité. Cette cité connue, à l’origine, comme un campement des nomades berbères du XIIIème siècle marquera l’histoire du commerce transsaharien durant le tout le XIVème siècle. Tombouctou fait partie de cette époque de la grandeur en Afrique et de la civilisation sahélienne notamment avec l’empereur Manding Mansa Mûsâ, l’homme du célèbre pèlerinage à la Mecque. C’est en son temps que la Grande Mosquée de Djingareyber a été construite (1325 ap-JC) par un architecte andalou, Abû Ishâq as-Sahilî à qui le généreux empereur offrit, tout de même, 40 000 mithqâl (200 kg) d’or !

Au-delà d’une barbarie se drapant d’un manteau religieux, d’une étroitesse d’esprit signe d’une certaine pauvreté spirituelle conduisant à l’importation de cette idéologie, pourtant, battue en brèche dès sa naissance dans les ouvrages de Sulaymân Ibn Abdulwahhâh (propre frère du fondateur) mais aussi de Yûsûf Ismâ’îl Nabhânî (Shawâhid-u-l-haqq), c’est cet esprit de Tombouctou que l’on a voulu tuer !

Car, c’est surtout l’esprit de Tombouctou qui dérange les idéologies sectaires telles que ce wahhabisme d’un autre temps.
Tombouctou est la ville des échanges et de l’ouverture. C’est de cette ville mythique que partit ce fils du Sahel qui émerveilla les Shaykh de Marrakech : Ahmed Bâba al-Tinbuktî, tel que connu dans les classiques d’histoire au Maroc. Son érudition religieuse fit vite place à son statut de captif – après l’aventure saadienne d’Al- Mansûr contre l’empire Sonhaï, en 1596- !

N’est-ce pas, aussi, ce fils de Tombouctou qui démontra à l’époque, dans ses débats avec les Fuqahâ et oulémas maghrébins, que la pensée islamique n’a jamais été monolithique et que la philosophie du débat et de la divergence était aussi une réalité islamique ?
Mais Tombouctou ne doit pas tomber ! Sinon le chemin est ouvert pour d’autres dérives, d’autres destructions de mausolées et pour une dictature « intellectuelle » favorable au règne de la nouvelle « sainte ignorance ».

Dr. Bakary Sambe

Source : http://www.majalis.org/blogs/bakarysambe/2012/07/16/des-mausolees-dal-baqi-medine-aux-saints-de-tombouctou-le-wahhabisme-a-lassaut-de-la-memoire/

Voir aussi ici "Histoire du Wahhabisme (les anti-doctrinaux) "

Ahmad Ben Ahmad Ben Muhammad Ben 'Issa al-Barnûsî Zarrûq al-Fâsî



             Maqam de Ahmad Zarrûq al-Burnûsî en Libye avant sa démolition par des barbares
                     Voir ici concernant ces actes de profanation



Source : Ouvrage "El Bostan", Ibn Maryam at-Tilimsani, trad par F. Provenzali.
                        
Ahmad Zarrûq al-Burnûsî (1442-1494 / 846 h-899 h) naquit à Fès. Il fut un juriste (faqîh) par formation et par tempérament. Il passa une grande partie de sa vie à composer des commentaires sur les Hikam d’Ibn ‘Atâ’ Allâh.
 
Zarrûq était un faqîh, et avait une forte tendance à créer des systèmes de pensée cohérents sur la base de principes généraux. Il enseigna un soufisme fondé sur l’intériorité des comportements en accord avec la Loi. Pour Zarrûq, le fiqh et le tasawwuf sont des aspects complémentaires de la tarîqa. Ces deux aspects, la tendance à systématiser et la perception de l’intégralité du fiqh et du tasawwuf, ont conduit Zarrûq à énumérer, d’une manière concise et organisée, les cinq principes de base de la tarîqa Shâdhiliyya. Ces principes montrent aussi combien fut grande cette influence sur la Shâdhiliyya dans les siècles qui suivirent.

Dans son ‘Uddat al-murîd al-sâdiq, Zarrûq limite les principes des « Gens de la Voie » (usûl al-qawm) à quatre :
 
1. Suivre l'exemple muhammadien (Sunna) avec l’attitude correcte ;
2. Témoigner de la Grâce divine et faire preuve d’une gratitude constante ;
3. Eloigner son attention de la création et de tout ce qui vient d’elle ;
4. Tourner son regard vers Dieu seul.Dans une œuvre plus tardive, Les principes de la Voie et les fondements de la Réalité (usûl al-tarîqa wa usus al-haqîqa) , œuvre consacrée entièrement à l’exposé des principes de la tarîqa,Zarrûq adapte les principes mentionnés ci-dessus et en ajoute un cinquième :
1. Crainte de Dieu à l’intérieur et à l’extérieur ;
2. Conformité à la Sunna en paroles et en actes ;
3. Fuite devant la création, dans l’abondance comme dans l’adversité ;
4. Satisfaction à l’égard de Dieu dans la pauvreté et l’abondance ;
5. Se tourner vers Dieu dans la joie et dans la peine.
 
La formation de Zarrûq en jurisprudence le conduisit à juger la validité du soufisme sur la base du fiqh.Zarrûq resta pourtant un juriste (faqîh) et un pilier de la communauté intellectuelle de Tétouan jusqu’à l’âge de quarante-six ans, lorsqu’il délaissa l’étude et s’éloigna des hommes. Il écrivit à cette époque :« Mon passage de la science à l’action fut provoqué par ma rencontre avec les Hikam d’Ibn‘Atâ’ Allâh, dont je trouvai un exemplaire chez un ami. J’en fis une copie, puis je lus le Commentaire d’Ibn ‘Abbâd. Après cette lecture, j’abandonnai la science exotérique et me consacrai à la pratique dévotionnelle, à la remémoration de Dieu et à la prière sur l’Envoyé de Dieu. ».Dans le livre, "Kitab Qawanin hukum al-ishraq ila kâfat al-Sufiyya fi jami' al-afaq", l'imam Ahmad Zarruq décrit les caractéristiques d'un Cheikh Soufi authentique comme suit : Les attributs d'un cheikh authentique auprès duquel un disciple peut se rattacher sont au nombre de cinq :
1. Une connaissance religieuse manifeste,
2. Une expérience authentique du Divin,
3. Un but et une volonté exaltés,
4. Une nature louable,
5. Une profonde perspicacité.
 
Quiconque réunirait les cinq caractères suivants n'est pas digne d'être un Cheikh :
 
1. L'ignorance de la religion,
2. Le dénigrement de l'honneur des musulmans,
3. L'immixtion en ce qui ne le concerne en rien,
4. Suivre ses passions en toute chose,
5. Montrer mauvais caractère sans une seconde de réflexion."
 
Biographie:
 
Ce cheikh était un savant juriste qui, versé dans la science des traditions, composa de nombreux ouvrages, un saint voué à la vie spirituelle et à l’ascétisme, un Qutb, un Ghâwt (1), un professeur vers lequel les étudiants des régions les plus lointaines accouraient en foule, un pèlerin ayant habité les lieux saints. Il est célèbre en Orient et en Occident. Plein de louables qualités, il était toujours prêt à faire profiter les autres de ses avantages. Il nous fait lui-même connaître sa généalogie, ses maîtres et ses actes dans un livre intitulé : Le registre, et dans d’autres de ses compositions.
 
Je suis né, dit-il, le jeudi 23 Moharrem 846 (7 juin 1442), au lever du soleil. Je perdis mes parents dans l’espace d’une semaine : ma mère mourut le samedi après ma naissance, et, le mercredi suivant, mon père la suivit au tombeau. Je demeurai sous la garde de Dieu et la tutelle de mes deux grand’mères : Oum Al-Benin, femme versée dans la connaissance de la loi, et al-Faqira-ila-Rahmatil-Allah. Oum Al-Benin prit soin de moi jusqu’à ce que j’eus atteint ma dixième année et appris le Coran ; après quoi, elle me mit en apprentissage chez un cordonnier.Puis à l’âge de seize ans, Dieu me lança dans la voie de l’étude et j’appris à fond et en détail la Rissalah, sous le cheikh Ali al-Basti (2) et le cheikh Abdallah al-Fakhkhâr. J’appris aussi le Coran d’une manière utile et profitable, sous la direction de plusieurs maîtres, parmi lesquels je citerai:
 
1° Al-Qawri (3)
2° Le vertueux az-Zarhouni (4)
3° Al-Majassi (5)
4° Al-Ustadh as-Saghir (6)
 
Je m’occupai ensuite de théologie et après L’épître sainte (7) sous le professeur sidi Abdul-Rahman Al-Majouli (8) élève d’Al-Obby (9), qui m’enseigna aussi les Articles de foi d’Al-Senoussi (10) ; une partie du Tanwîr, sous le cheikh Abdul-Rahman Al-Qawry, à qui j’entendis faire plusieurs fois la lecture expliquée du Sahîh d’Al-Bokhari. C’est auprès de ce dernier maître que je fis également une étude approfondie des Préceptes mineurs d’Abd-al-Haq (11) et du Recueil d’al-Thirmidi (12). Je fréquentai enfin une foule innombrable de contemplatifs, tant jurisconsultes que simples ascètes. » Telle est l’autobiographie de Zarrûq.
 
Ce nom, dit-il, me vient de mon grand-père paternel qui avait les yeux bleus ; il tenait cette particularité physique de sa mère. Cette femme était d’origine noble, mais je n’ai pu connaître sa généalogie à cause de la mort de mon père. Au surplus, la noblesse de l’homme consiste dans la pureté de sa foi, dans son naturel, dans ses qualités viriles, et il n’y a pas de plus grande noblesse que la piété, car, ainsi que le dit le Très-Haut, dans son Livre sacré : » Le plus noble des hommes, aux yeux de Dieu, est celui qui est le plus pieux. »Voici comment s’exprime le cheikh Ibn Ghazi (dans son Catalogue, en parlant de Zarrûq : »c’est le compagnon le plus cher, notre ami le plus intime, le juriste versé dans les traditions,l’ascète adonné au soufisme. Il est originaire de Burnous (13) le nom d’une tribu arabe de l'Occident (Maghreb) "les Baraniss". »As-Sakhâwi (14) dit : « Zarrûq fut l’élève de Muhammad Ibn Qasim Al-Qawry. Il commenta les Sentences d’ Ibn ’At’aï’llâh, l’ouvrage de droit intitulé : El Qortobiyya (15), et mit en vers "rejez" la section des ventes ou marchés à termes avec avance du prix fait par l’acheteur » (16)J’ajoute, dit Ahmad Baba, que Zarrûq eut pour professeurs, en Occident (Maghreb), les cheikhs suivants :1. Abdul-Rahman At-Tha'âlibi (17)2. Le saint Ibrahim At-Tâzi3. Al-Michdâli (18)4. Le cheikh Halwâw (ou Ahloulou)5. As-Sarraj as-Saghîr 6. Ahmad Ibn Sa''ïd Al-Habbâk (19)7. Ar-Rassâa’8. Le Hafidh (20) At-Tennessi (21)9. L’imam As-Senoussi10. Ibn Zikri11. Abu Mahdi Issa Al-Muwâssi (22)Et, en Orient, un grand nombre de savants dont les principaux sont :1. Nour-ad-Din As-Sanhouri (23)2. Le Hafidh ad-Dimiri (24)3. Le Hafidh As-Sakhkhâwi4. Le Qutb Abul-Abbas Ahmad Ibn 'Oqba al-Hadrami5. Le saint Chihâb ad-Din al-Ibchihi ou (al-Ifshîti) (25)On lui doit un grand nombre d’ouvrages écrits avec concision et précision, et renfermant de nombreuses observations et de précieux éclaircissements. Ces observations et éclaircissements abondent surtout dans ceux de ses livres qui traitent de soufisme, doctrine dans laquelle il se distingua spécialement par la profonde connaissance qu’il en avait et par son exquise façon d’écrire sur cette matière.Voici la liste des ouvrages qui sont sortis de sa plume :
 
1- deux commentaires sur la Rissalah
2- un commentaire sur l’Irshad (Bonne direction) d’Ibn 'Askar (26)3- un commentaire du Précis de Sidi Khalil, dont j’ai pu voir certaines parties écrites de sa main.
4- un commentaire de la Ughlissiyya (27)
5-un commentaire de la Qortobiyya
6-un commentaire d'al Qâfiyya et Qodsiyya (Le saint poème) d’Al-Ghazali (28)
7-vingt et quelques commentaires sur les Sentences d’ Ibn ’At’aï’llah ; j’en vu les quinzième et dix-septième. Mon père m’a dit tenir, de certain Mecquois, que le nombre de ces commentaires est de vingt-quatre
8-deux commentaires sur les Litanies de la mer (29)
9-deux commentaires sur la Grande oraison d’Abul-Hassan ash-Shâdhili (30)
10-un commentaire des parties difficiles et obscures de la Grande oraison
11-un commentaire des Vérités et subtilités (31) d’Al-Maqqari
12-un commentaire des Fragments d’ach-Shoshturi (32)
13-un commentaire des noms de Dieu
14-un commentaire des Observatoires, ouvrage sur le soufisme de son professeur Ahmad Ibn'Oqba
15-un livre intitulé : « Conseil désintéressé et complet donné à celui à qui Dieu a fait la grâce particulière de le préserver de tout mal »et l’abrégé du même ;
16- un livre dont le titre est : « L’aide du malheureux qui se dirige dans la voie qui mène à lagrâce et réussite » ;
17- un livre qui traite des règles fondamentales du soufisme ;Ces trois derniers ouvrages, d’un mérite parfait, sont très remarquables dans leur genre et n’ont pas leurs pareils. Citons parmi ses compositions ayant trait aux innovations en matière dereligion :
18-Le conseil très utile, ou bouclier de celui qui veut se garder des hérésies en suivant la loitraditionnelle (33) ; je n’ai pas pu me procurer ce livre ;
19- des choses qui doivent faire l’objet de la haine du sincère aspirant soufi (34) ou Expositiondes règles de la vie spirituelle et Récit des événements du temps présent, livre remarquable enson genre ; il renferme cent sections.Zarrûq est aussi l’auteur des ouvrages suivants :
20- Des principes touchant les saisons ( ?)
21- Cadeau offert à l’aspirant soufi ;
22- Le parterre verdoyant ;
23- Ce qui fait tomber le voile qui nous cache la connaissance des secrets des cinq règlesfondamentales (la profession de foi, la prière, la jeûne, la dîme aumônière et le pèlerinage) ;
24- le Registre ;
25- un commentaire du poème d’Ibn Al-Banna Al-Fassi sur le soufisme ;
26- un opuscule en deux feuillets sur la science des traditions. C’est un excellant abrégé ;
27- des gloses sur Al-Bokhari, en vingt cahiers environ, dans lesquelles il se borne le plus souvent à donner l’orthographe de certaines expressions et à les expliquer à ceux qui veulent s’exercer dans la connaissance de Dieu et la pratique extérieure de la religion (35).

Dieu nous fasse profiter de leurs exemples ! Amen ! J’ai lu aussi cet ouvrage.On lui doit aussi des épîtres adressées à ses amis ; elles renferment toutes des sentences, des exhortations, des règles de conduite et des subtilités relatives à la doctrine des soufis, et sont écrites avec une concision qu’on trouve rarement dans les ouvrages des autres écrivains.
 
En somme, son mérite est bien supérieur à ce qu’on en dit, et si nous voulions mentionner tous ses actes, toutes ses remarques utiles, toutes ses sentences morales et toutes ses épîtres, cela fournirait la matière d’un gros volume. Peut-être un jour les réunirons-nous, s’il plait à Dieu,dans un ouvrage à part.

Au surplus, voici en quel terme Ahmad Baba parle de notre savant : «C’est lui qui clôt la série des doctes pontifes qui joignaient à la connaissance de la loi divine positive celle du mysticisme ou du sens caché qu’elle renferme. Il fit de nombreux miracles,accomplit plusieurs fois le devoir du pèlerinage et eut pour disciples un groupe d’hommes remarquables parmi lesquels je citerai : Shams-ad-Din Al-Laqqâni, le savant cheikh Muhammad Ibn Abdul-Rahman Al-Hattâb (36) et le cheikh Zayn-ad-Din Al-Qassantini (de Constantine), qui habitait la Mecque. Il mourut à Takran (37), village du district de Misurata, en Tripolitaine, en Safar 899 (Nov. Déc. 1493).Voici une pièce de vers que j’ai trouvée (c’est Ahmad Baba qui parle) et qu’on lui attribue : Je commence par ces mots :

Au nom de Dieu Glorieux, et demande au Libéral son aide bienveillante.



Gloire à celui qui dirige les hommes par un effet de sa bonté, oeuvre, par sa générosité,les portes des Cieux,



Accorde sans cesse Ses faveurs et Ses grâces, et répand à flots les sciences de la Vérité!



L’ignorant ne peut mesurer l’étendue de l’Océan : ce n’est que par la grâce de Dieu que ma barque échappe au naufrage.



Si tu es doué d’intelligence, sache, ô toi qui m’écoute, que notre barque ne court sur les flots qu’avec l’aide de notre science de Dieu, et des lumières qui nous viennent de notre amour pour Lui.



Ses rames repoussent les malheureux et les épreuves, et son capitaine conduit au salut.



Dans l’espoir de voir, de mes yeux, l’Objet de l’amour de mon cœur, j’ai abandonné tout le monde sans exception :



Mes amis, ma famille, mes voisins, mes enfants, dont j’ai fait des orphelins, et mes parents.



J’ai tourné mon visage vers le Créateur des cieux en le détournant des globes lumineux suspendus dans l’espace.



J’ai inspiré à mon cœur la passion de la gloire. On m’a révélé la vérité et je possède avec certitude.



Pour égayer ma vue, je l’ai promenée sur les choses immatérielles. A tous les degrés de la vie spirituelle, je me suis enfoncé dans les océans qui mènent à la découverte du divin mystère.



J’ai ceint le sabre de la puissance sur le champ de bataille et suis devenu le glorieux pontife des temps actuels.



Je suis le roi de tous les pays occidentaux, sans exception, et l’Orient tout entier dans mon poing fermé.



Celui qui m’en a rendu maître était un roi, il m’a choisi pour son successeur à cause de mon excellente conduite.



J’élève et j’abaisse les hommes en mettant des petits à la place des grands, et des grands à la place des petits.



Je destitue, à mon gré, ceux qui détiennent le pouvoir et les remplace par d’autres (38).J’élève le rang de certains au-dessus des trônes,



Relève celui qui succombe, rends célèbre celui qui est obscur, et celui qui occupe humble, par la puissance de ma volonté.



Je subjugue le tyran, repousse l’oppresseur et assiste l’opprimé par la puissance de mon prestige.



On m’a communiqué des secrets et donné la sagesse. Je possède un rang élevé et brillant.



Je suis l’arbitre souverain des âmes. Je donne une vie nouvelle aux cœurs morts au monde des sens (39).

 


Je rétablis l’ordre des affaires de celui qui, victime du sort, sollicite mon assistance.



Si jamais tu te trouves dans la gêne, les soucis, le malheur, l’affection, la maladie ou le besoin,



Fais rapidement un pas en avant comme si tu voulais te rapprocher de moi et crie : « O Zarrûq ! » Je volerai à ton secours.



Que de peines se dissipent quand on invoque notre nom !



Que de fruits nouveaux l’on cueille dans ma seule société !



Mon disciple, ne crains rien ni ne redoute aucun oppresseur, car tu es sous la surveillance de mon œil protecteur.



Je suis, n’en doutez point, toujours près de mon disciple ;je le regarde à tout moment et à tout instant.



Je l’observe du regard tant qu’il cultive mon amitié, qu’il est attaché à mon groupe, à mon ordre et à ma personne.



Je rétablis l’ordre des affaires de mon disciple, victime de l’injustice du sort.



Je me sui arrêté seul, à la porte de Dieu, en proclamant son unité, et il m’a crié : « entre auprès de ma Majesté, ô Zarrûq ! »



Puis il m’a dit : « Tu es le Pôle de toute la Terre. » C’est ainsi que tous les humains sont devenus mes sujets.



Je dispose de tout, par ordre de Celui qui commande toute chose. Dieu m’a honoré de son estime et a jeté sur moi un regard de sympathie.



Ma renommée s’est répandue dans tous les pays, et les habitants des cieux et de la terre connaissent ma puissance.



Je suis l’ami de Dieu, le Secours de Ses serviteurs, et le sabre de Ses décrets pour le méchant qui épie les fautes des autres pour les relever.



O toi qui m’écoutes, prends garde et soumets-toi en toute circonstance aux hommes de Dieu.



Ce n’est pas par orgueil que je dis cela mais j’y ai été autorisé pour que vous sachiez ce que je suis réellement.



Tout homme doué d’intelligence connaît Dieu dans ce qu’il a de secret, et laisse de côté les discours oiseaux des gens du monde.



Tout aspirant à la vie spirituelle qui viendra dans le but d’entrer dans mon ordre avec sincérité et pureté d’intention,



Je l’honorerai de mon estime, puis je l’abreuverai d’un vin pur et le revêtirai du parfum pénétrant de la crainte respectueuse que j’inspire.



Je le ferai entrer dans le groupe de mes amis et il découvrira des secrets avec les yeux de l’intelligence.



Il aimera Dieu éperdument, tant qu’il vivra et jusqu’à ce que la mort l’anéantisse.



Je suis, qu’on n’en doute point, toujours présent auprès de mon disciple qui, en prononçant la profession de foi musulmane, voit mon être caché.



Quand Dieu lui demandera compte de ses actes, et au moment terrible de la résurrection universelle, je le délivrerai de tout mal et de toute épreuve.



Mon secret se confond avec celui de Dieu qui m’a dévoilé le sein, et ma lumière se confond avec celle du très-Haut. Quel beau présent Il m’a fait !



J’ai pénétré soixante-dix mille secrets, et c’est en Dieu très Saint que se réunissent les amis.



C’est par ordre de Dieu que je tiens ce discours, et c’est avec Sa permission que j’ai tous mes amis (absents) sous les yeux.



Tous mes instants sont occupés par le souvenir de Dieu dont je répète sans cesse le Nom,aussi bien éveillé qu’endormi.




Je n’ai pas cessé d’aimer Dieu éperdument ; celui qui, en effet, parvient à contempler Son Essence, est aussitôt mort au monde des sens



J’aime de la même manière la meilleure de Ses créatures parmi Ses serviteurs, c’est-à-dire Muhammad, l’Elu, l’élite des êtres crées.



Que la bénédiction et le salut de Dieu soient sans cesse sur lui, ses compagnons et sa famille.



Que le Maître de l’Univers bénisse et salue Ahmad, l’Envoyé, la meilleure des créatures. »

Voici un extrait de ces épîtres :

Après avoir couru le monde de l’Orient à l’Occident à la recherche de la Vérité (Dieu, dans la langue des soufis). Après avoir employé tous les moyens recommandés pour guérir l’âme de ses défauts. Après avoir fait tout mon possible pour plaire à Dieu, j’ai consulté que lorsque je faisais un pas vers la Vérité, la Vérité s’éloignait de moi ; que si je m’appliquais à soigner mon âme. Dieu l’aidait à se guérir ; et qu’enfin, lorsque je m’efforçais de plaire au Seigneur, Il ne m’aidait pas à atteindre mon but.

 
Après ces constations, je recourus en toute circonstance à Dieu Puissant et Grand, et ce recours eut d’abord pour résultat de me faire trouver la cause de la vision des moyens ; puis je m’abandonnai entièrement à Lui et cet abandon me fit découvrir Son Essence, cause première de toutes choses. Alors je me prosternai à Ses Pieds. Que Sa gloire soit proclamée ! C’est ainsi que j’acquis la certitude que pour être à l’abri de tout mal, il faut s’affranchir de tout ;que pour réussir en tout, il faut recourir à Dieu, en considération de Sa sagesse et de Sa puissance, et veiller attentivement sur notre naturel pour en surprendre les tares. Et qu'enfin, tout ce qui nous vient du Très-Haut : ordre, défense, bien, épreuve, servitude, ne peut être ni évité, ni obtenu, par des incantations ou par la ruse, comme le dit le poète dans ces vers :



J’avais cru qu’en t’offrant de grandes richesses on pouvait acheter ton amitié.



Dans mon ignorance, j’avais pensé qu’il était facile d’obtenir ton affection



Alors que, pour la mériter te sacrifient leurs âmes généreuses.



Mon illusion dura jusqu’au jour où je m’aperçus



Que tu n’accordes Tes faveurs et Tes grâces qu’à ceux que tu choisis.



Et qu’on n’obtient rien de toi par la ruse



Alors, tel un oiseau, je me suis caché la tête sous mon aile



Et ne quitte plus mon nid d’amour, ni le matin ni le soir.On prétend que le cheikh Zaytûn aurait dit, en parlant de son disciple Zarrûq : «

C’est le chef des sept Abdâl. » (40).

Notes du traducteur :

1.Pour le sens de ces mots, voyez la biographie de Muhammad Ibn Yahiya Ibn Moussa alMaghrawi, p311 et suiv. Cf vie de sidi Abu Madiyan par l’abbé Bargès, note des pagesIV et V de l’introduction.

2.C’est Ali Ibn Muhammad Ibn Ali Al-Qurayshi al Basti, plus connu sous le nom d’ElQalassadi
3.Abu Abdallah Muhammad Ibn Qasim Ibn Muhammad Ibn Ahmad Ibn Muhammad Al-Qawri al-Lakhmi, célèbre jurisconsulte et auteur de plusieurs ouvrages, naquit àM eknès, l’an 800 de l’Hégire (inc 24 Septembre 1397) et mourut à Fez en 872 (inc 2 août 1467). Son tombeau se trouve dans cette dernière ville, près d'Al-Bab-Al-Hamra (la porte rouge). Voyez sa biographie dans "nayl al ibtihaj", p.337 et dans Jedhouat al-iqtibas p.202
4.Voyez sa biographie dans Jedhouat al-Iqtibas.p 259
5.C’est Abdullah Ibn Abd-al-wahid Ibn Ibrahim Al-Majassi
6.Abu Abdullah Muhammad Ibn el Hussain en-Najibi, plus connu sous le nom d’El Ustadh as-Saghir, était le prédicateur à la mosquée des Andalous à Fez. Il mourut dans cette ville l’an de l’Hégire 887 (inc.20 Février 1482). Voyez sa biographie dans"Jedhouat al-iqtibas", p.150 et dans "Nayl al-Ibtihâj", p341.
7.Cet ouvrage dont le titre complet est : Er-rissalatou’l-qodsiya bi-adillatiha’l borhaniya,la sainte épître, avec ses preuves convaincantes, traite de théologie scolastique. Il a pour auteur Al-Ghazali. Voyez Hajji Khalfa, tome III, p426, n°6,266
8.Abdul-Rahman Al-Majdouli, plus connu sous le surnom d’al Tounissi, était très versé sur les sciences métaphysiques et c’est auprès de lui qu’à Fez, on venait s’instruire dans ses sciences. Il avait été le disciple d’El Obbi. Voyez sa biographie dans "Jedhouat al-iqtibas", p260 et dans "Nayl al-Ibtihâj", p 147
9.Abu Abdullah Muhammad Ibn Khalifa al-Wachtati al-Obbi (d’al Obba, ville située à 4 lieues O. de Laribus) de la secte de Malik, est mort en 827 de l’Hégire (inc.5 Décembre1423). Il est l’auteur d’un commentaire sur le Sahih de Moslim. Ce commentaire comprend quatre volumes.
10.Le "Nayl al-Ibtihâj" porte : les articles de foi d’At-Thossi
11.« Le cheikh Abu Muhammad Abd-al-Haq, originaire de Séville, quitta l’Espagne pour se rendre à Bougie, où il remplit les fonctions de cadi jusqu’en l’année 586 (inc.8 Février 1190). Epoque de sa mort. On lui doit plusieurs ouvrages remarquables, entre autres :
1. « L’éclaireur sur la rhétorique » ; et « Les prunelles des yeux qui est un traité de l’art de guérir
2. Le résultat des avertissements moraux.
3. « Les commandements principaux, tirés des traditions »
4. « les commandements d’une importance secondaire, tirés des traditions »,
5. « les commandements les plus essentiels (idem) »
6. « l’ensemble des notions lexicographiques » en dix huit volumes.(Journal Asiatique de Juin 1856, article : notice et extraits du Eu’nouan ed-diraia fimechaikh Bijaia, ou galerie des littérateurs de Bougie au VIIe siècle de l’Hégire, par Charbonneau) Cf. chronique des Almohades et des Hafsides, p.18 de la traduction de M. Fagnan, et l’histoire des Almohades, p 235.
12.Abu 'Issa Muhammad At-Thirmidhi est l’auteur d’un recueil de traditions qui a pour titre Al-Jami' (recueil complet). Et d’autres ouvrages. C’était un élève d’El Bokhari ; il naquit à Bouch, prés de Tirmidh, petite ville sur les bords de l’Oxus, et mourut dans la même localité en 892 de J – C. Voyez sa biographie dans Ibn Khallikan, tome II, p283
13.Tribu du Maroc entre Fez et Taza
14.Al-Hâfidh Shihâb ad-Din Abu’l-Fadhl Ahmad Ibn Ali Ibn Hajar naquit à Ascalon, en Cha’ban 763 (mai-juin 1362) et mourut au Caire le 28 dhou’l-hija (février 1449). Il a beaucoup travaillé sur l’histoire d’Egypte. Son principal ouvrage historique a pour titre Inba al-ghomr fi abna el’omr (Nouvelles données à l’ignorant sur les enfants du siècle).
Cet ouvrage est mentionné par Hajji Khalfa (tome I, p.441, n°1282) et se trouve à la bibliothèque nationale (ancien fonds, n°658) ; il contient l’histoire politique et littéraire de son temps (1371-1446), en Egypte et en Syrie, avec son autobiographie et des détails sur les traditionnistes de son époque. Il est également l’auteur de Ed-doreral-kâmina fia’ïan al-mia at-thamina (les perles cachées ou histoire des hommes illustres du VIIIe siècle de l’hégire). (V. Hajji Khalfa, tome III, p.217, n°5,008). On lui doit aussi « les vies des cadis du Caire », Ref’ou’l-isr’an qodati’l-Misr. (V. Hajji khalfa, tome III, p.473, n°6,487. Son disciple Shams-ad-Din Muhammad Ibn Abdul-Rahman as-Sakhaoui, mort en 902 de l’hégire (inc.9 septembre 1496), a composé un complément de ce dernier ouvrage, qu’il a intitulé Dhayl al-Qodat oua boghiat el’olama oua’r-rouat,complément de l’histoire des Qadhis et objet désiré par les savants et les narrateurs. Ibn Hajar a écrit aussi un commentaire sur Al-Bokhari qu’il a intitulé : Fath al-Bari. Cf. sur ce commentaire de longue note que lui a consacrée Quatremère ap. Sultans mamlouks,tome I, p.209 et suivantes.
15.Al-Qortobiyya est un petit poème sur les cinq pratiques fondamentales d l’islam, par Abu Bakr Yahiya Ibn Omar el Qortobi, mort en 567 de l’Hégire (inc 4 Septembre 1171)16.Voyez précis de jurisprudence musulmane, par sidi Khélil. Traduction du Dr Perron,tome III, p439. Le Nayl al-Ibtihâj et Jedhouat al-iqtibas portent, les articles d’As-Salmi.
17.Le cheikh Abu Zayd Abdul-Rahman at-Thâ'alibi est né à Alger en 786 ou 87 de l’Hégire(1384-85 de J-C). Il était originaire de la tribu des Thâ'aliba, établie ans les plaines de Mitija, sur le territoire d’Alger, prés de la porte Bab-al-Oued, dans une mosquée qui porte son nom. Ce cheikh mourut en 873 de l’Hégire. Cf. complément de l’histoire des Béni Zayyan, par l’abbé Bargès, p 393 et suivantes.
18.Muhammad Ibn Abu’l Qasim Ibn Muhammad Ibn Abd as-Samad Al-Mschdali, mort à Bougie, l’an 866 de l’Hégire (inc 6 Octobre 1461), était muphti et prédicateur à la grande mosquée de cette ville. Voyez sa biographie dans Nayl al-Ibtihâj, p330. cf. az-Zarkashi chronique des Almohades et des Hafsides, p 256 de la traduction) qui prétend qu’il mourut vers la fin de Ramadhan 867.
19.Ahmad Ibn Saïdal-Habbak était prédicateur de la mosquée Al-Qarawiyyin, à Fez. Nédans cette ville en 804 de l’Hégire (inc 11 août 1401), il y mourut vers l’an 870 (inc 24août 1465). Voyez sa biographie dans Nayl al-Ibtihâj, p 67 et dans Jedhouat al-iqtibas, p63.
20.On lit ce qui suit dans le précis de jurisprudence de sidi Khalil, traduction du Dr. Perron,tome VI, p487 :Dans le mouzhir fi’oloum al-lor’a, le parterre de la philologie de la langue, ou jardin des fleurs de la langue, ou plutôt la flore de la philologie arabe, Jalal ad-Din as-Souïouti dit ceci :« Le lettré ou linguiste, devenu réellement savant, arrivé au but de ses vœux et de ses travaux, est appelé hafiz (qui sait de mémoire, qui sait beaucoup) ; on donne aussi ce nom à celui qui est parvenu au plus haut degré de l’intelligence des traditions ou paroles des prophètes. Les hoffaz linguistes ou philologues et les hoffaz traditionnistes ont quatre devoirs à remplir pour le bien des autres. Le premier et le plus important est de faire des dictées (ou amali) publiques. Le second est de se poser comme direction consciencieuse et comme lumière pour ceux qui viennent les consulter et les questionner ; c’est l’ifta ou la fonction de mufti ou savant consultant »(As-Souïouty ne parle pas de deux autres devoirs qui sont tout à fait secondaires : -l’ijaza, ou permettre à tel ou tel de donner aux autres la connaissance d’un livre, et de leur faire leçon sur ce qu’il contient, - le mououâjada, le trouvé c'est-à-dire expliquer un livre qu’on a trouvé écrit de la main même d’un cheikh, auteur de ce livre, ou connu pour sa science et réputé comme autorité digne de confiance). Voyez la biographie d’At-Ténèsi, à la page 284.
21.ibid.
22.Abu Mahdi Issa Ibn Ahmad Ibn Mehdi Al-Mawassi Al-Betawi El Fassi fut un savant jurisconsulte. Il avait été le disciple des professeurs de Fez de Tlemcen, tels que : AbuMuhammad Abdallah Al-Abdoussi, l’imam al-Qawri, etc. et fut l’un des docteurs que l’on consulta lors de l’affaire des juifs de Touat (voyez la biographie d’At-Ténèsi, p284,et celle d’El Meghili, p288). C’est à fez qu’il mourut, le 11 Rejeb 896 (20 Mai 1491), à un age très avancé. Voyez sa biographie dans Nayl al-Ibtihâj, p176 et dans jedhout eliqtibas, p 282
23.Le savant Nour-ad-Din Ali Ibn Abdullah as-Sanhouri habita le Caire. On lui doit des commentaires sur Al-Adhed, la Rissalah, le précis de Khalil, le talqin et la Jarroumiyya.Il mourut au Caire le 19 Rejeb 887 (3 Septembre 1482). Voyez sa biographie dans Naylal-Ibtihâj, p200.
24.Abd al-Qadir Ibn Ahmad Ibn Muhammad ad-Demiri, plus connu sous le nom d’ Ibn at-Taqy, naquit au Caire en Joumada II 824 (ce mois a commencé le 3 juin 1421). Il professa d’abort le droit Malékite à la Médersa ash-Shaikhouniyya, puis fut nommé cadi Malékite du Caire. Sa mort arriva le 18 Dhou’l Hija 895 (3 Novembre 1490). Voyez sa biographie dans Nayl al-Ibtihâj, p166
25.Nous ferons remarquer que tous les manuscrits du Bostan ainsi que Nayl al-Ibtihâj etJedhout al-Iqtibas portent al-Ibchiti. Shihab ad-Din Ahmad El Mursi Al-Ibchiti est l’auteur du fameux ouvrage intitulé : al mostatref a été souvent réimprimé au Caire et vient d’être traduit en français par M.G.Rat. Shihab ad-Din El Ibchity professa dans les diverses contrées de l’Egypte et mourut au milieu du IX siècle de l’Hégire (1446 deJ.C). Si la date de sa mort est exacte, Shihâb ad-Din Al-Ibchibi ne peut avoir été le professeur de Zarrûq, qui est né en 1442 ; il faudrait alors admettre la leçon (al-Ibchiti) des manuscrits et croire qu’il s’agit d’un autre personnage
26.Shihab ad-Din Abdul-Rahman Ibn Mohamed Ibn Asker al-Baghdâdi docteur de la secte de Malek, fut professeur au collège Al-Mostansiriyya, de Bagdad, on lui doit un grand nombre d’ouvrages, entre autres kitab al-irchad qui est un traité de jurisprudence. Ibn’Asker mourut l’an 732 de l’Hégire (inc.4 Octobre 1331). Voyez sa biographie dans Dibaj, page 160.
27.Abu Zeid Abdul-Rahman Ibn Ahmad Al-Oughlicy était muphti de Bougie. Il mourut
dans cette ville l’an de l’Hégire 786 (inc.24 février 1384). On lui doit un traité de droit intitulé d’Al-Moqaddema, appelée aussi Al-Oughliciya, et des décisions juridiques.Voyez sa biographie dans Nayl al-Ibtihâj, p.142
28.Le Nayl al-Ibtihâj et le jedhouat el iktibas portent, un commentaire de la Ghafiqiya, un commentaire de l’Aqida el Qodsia…
29.On peut lire ces litanies, qui sont d’Abu Hacen ech-Chadhely, dans Ibn Batouta, tome, p40 et suivantes. Voyez la note suivante.
30.Abu’l Hassan Ali Ibn Abdallah Ibn Abd al-Jebbar esh-Shadhili, fondateur de l’ordre des Shadhiliyya, naquit à ghomara prés de Ceuta, vers l’an 593 de l’Hégire (inc 24 novembre 1196) suivant certains auteurs ; à Shadhila, fraction de l’Ifriqiya, prés du jebel Za’fran (Tunisie) en 571 de l’Hégire (inc 22 juillet 1175), d’après la plupart des écrivains. Il mourut en 656 (inc 8 Janvier 1258), à Homaïthira (haute egypte). Voyez Marabouts et khouan par Rinn, p32 et les confréries religieuses musulmanes, par Octave Depont et Xavier Coppolani, p443 et suivantes. « L’assassinat du cheikh Abd as-Salam Ibn Mashish (625 de l’Hégire, inc 12 Décembre 1227) fut la cause du voyage que fit en Orient, son disciple Abu’l Hassan ash-Shâdhilî auquel un magnifique mausolée a été érigé à Tunis. Le tombeau d’Abu’l Hacen se trouve dans un endroit écarté de la hautee gypte. L’un des meilleurs disciples de cet homme éminent fut Abu’l Abbas El Mursi (de Murcie). (Revue Africaine, année 1881, p 374, article : « voyages extraordinaires et nouvelles agréables » par Bou Ras, traduction de M. Arnaud, interprète militaire
31.Haji Khalfa mentionne un ouvrage intitulé : haqaïq ar raqaïq, sans nom d’auteur ; c’est peut être celui d’El Maqqary. Voyez la biographie d’El Maqqary, page 181, ligne 20.
32.Abu’l-Hassan Ali Ibn Abdallah ach-Shushturi, soufi éminent, habita Bougie et eut pour maître Ibn Seb’in. Il mourut à At-tina dans le district de Jérusalem, le mardi 7 Safar 668(6 Octobre 1269). Ses Fragments ont d’après les musulmans, la propriété de préserver ceux qui les récitent des atteintes des méchants. Voyez sa biographie dans Nayl al-Ibtihâj, p.190 et dans les analectes d’El Maqqari, chapitre V, p583.
33.Le mot Sonna signifie proprement ce que les hébreux appellent Michna, la seconde loi ou la loi orale, qui n’a point été écrite par le législateur et qui est seulement tirée de ce qu’il a dit ou fait, et conservée par tradition, par des personnes autorisées.
34.Le Jadhwat al-iqtibas donne le mot l’appui, le soutien
35.« L’on rapporte du prophète, qu’ayant été interrogé par quelqu’un, qu’elle était l’œuvre la plus excellente d’un fidèle. Il répondit que c’était de connaître Dieu et la loi. Alors,celui qui l’avait interrogé lui dit : « je vous interroge sur les œuvres et vous me répondez sur la science ». Mahomet répliqua aussitôt : « C’est que la science de Dieu, c’est-à-dire la foi, peut servir sans les œuvres et que toutes les œuvres sont inutiles sans la science ».(Bibliothèque Orientale, par d’Herbelot, article Ilm)
36.Abu Abdallah Muhammad Ibn Abdul-Rahman Ibn Hussain ar-Ro’aïni al-Andaloussi at-Tarabulsi, plus connu sous le nom d’El Hattab, était originaire d’Espagne. Il naquit à Tripoli de Barbarie, qu’il quitta pour aller se fixer à la Mecque. C’est dans cette ville qu’il vivait encore en 944 de l’Hégire (inc.10 Juin 1537). Son fils, Muhammad el Hattab, est l’auteur d’un commentaire sur le précis de Khalil. Voyez sa biographie dans Nayl al-Ibtihâj p363.
37.Le Nayl al-Ibtihâj donne Takrin, et le Jedhwat al-iqtibas porte : « Il mourut à Azliten, près de Tripoli de Barbarie, entre Tajoura et Qasr Ahmad ; c’est là que se trouve so ntombeau qui est visité par les fidèles »
38.Voyez à ce sujet, vie de sidi Abu Madiyan, par l’abbé Bargès, note des pages IV et V de l’introduction.
39.Le mot Qati’a, qui signifie proprement rupture, séparation, désigne dans la langue des Soufis, le monde, c'est-à-dire la chose avec laquelle il faut rompre.
40.Voyez pour le sens de ce mot, la biographie de Muhammad Ibn Yahiya Ibn Moussa al-Maghrawi, à la page 312. La notice biographique d’Ahmad Zarrûq est extraite de Naylal-Ibtihâj, p71.

samedi 25 août 2012

Quelle présence d’Ibn ‘Arabî dans l'oeuvre et l'enseignement spirituels du cheikh Ahmad al-‘Alâwî (m. 1934) ?

 
 
                                              Le tombeau d'Ahmad al-Alawi à Mostaganem
                                                                  Qu Allah L'agrée


Eric GEOFFROY

Le cheikh Ahmad al-‘Alâwî de Mostaganem est trop connu pour qu'il soit nécessaire d’en faire une présentation exhaustive. Rappelons cependant que, devenu le cheikh de l'une des branches de la Shâdhiliyya-Darqâwiyya en 1909, son charisme personnel et ses choix initiatiques (tels que la pratique assidue de la khalwa pour les disciples) l'amenèrent à fonder sa propre branche, la ‘Alâwiyya. Identifié par certains comme le « rénovateur du XIVe siècle de l'hégire », il a exercé une influence spirituelle au Maghreb et au Moyen-Orient, mais celle-ci a surtout fécondé l'Occident à partir des années 19201.

La question de l'influence présumée d’Ibn ‘Arabî dans l'oeuvre et l'enseignement de ce maître soufi est pertinente, dans la mesure où le renouveau des études « akbariennes » - c'est-à-dire liées au Shaykh al-Akbar (« le maître majeur » du soufisme) Ibn ‘Arabî - en Occident, et plus particulièrement en France, a été initié par des affiliés à sa voie initiatique, de façon directe ou indirecte. S’impose d'emblée la figure de Michel Vâlsan (m. 1974), à l'origine un diplomate roumain établi à Paris : il fut d'abord le représentant (muqaddam) de Fritjhof Schuon en cette ville, puis, à l'instigation de René Guénon, il devint le maître soufi d’une branche indépendante. Michel Chodkiewicz (né en 1929), grand spécialiste d’Ibn ‘Arabî, a lui-même d'abord été le disciple de Vâlsan peu avant la mort de celui-ci. Mais il faut bien sûr citer d'autres disciples qui se sont distingués dans les études akbariennes depuis une trentaine d'années : Maurice Gloton, Charles-André Gilis, Denis Gril…
Parmi les disciples de Schuon aux USA, il faut mentionner William Chittick.

Il est souvent convenu, chez quelques auteurs du XXe siècle, que le cheikh al-‘Alâwî s'inscrit dans l'école doctrinale d’Ibn ‘Arabî, et qu'il se serait même réclamé de cet héritage. Augustin Berque, tout d’abord, père de l’orientaliste français Jacques Berque (m. 1995) : fasciné par le cheikh, il l’a côtoyé de 1921 jusqu'à la mort de celui-ci en 1934. Dans son article Un mystique moderniste : le Cheikh Ben Aliwa, il affirme que le cheikh « s'est proclamé le continuateur » du maître andalou2. Martin Lings (m. 2005), qui fut le disciple de Schuon, tient également pour acquis que le cheikh « appartenait incontestablement à l'école d’Ibn ‘Arabî », c'est-à-dire celle de « l’unicité de l’Être » (wahdat al-wujûd)3. Ces auteurs, en quelque sorte, ‘‘akbarisent’’ le cheikh al-‘Alâwî.

Une remarque préalable s'impose : le cheikh cite nommément peu Ibn ‘Arabî ; il le fait beaucoup plus pour ‘Abd al-Karîm al-Jîlî et surtout Abû Madyan : ce dernier est en fait le seul maître soufi dont il ait commenté une oeuvre exhaustive, ses Hikam4. En outre, il émaille ses propos en priorité de références issues des premiers grands maîtres de la voie-mère à laquelle il appartient, la Shâdhiliyya : Abû l-Hasan al-Shâdhilî et Ibn ‘Atâ’ Allâh.

Les traces d'une influence directe
 
D'évidence, le cheikh al-‘Alâwî a lu les Futûhât makkiyya. Il y fait deux fois une référence explicite dans son commentaire du Coran inachevé, intitulé al-Bahr al-masjûr fî tafsîr al-Qur’ân bi-mahd al-nûr5. Il cite par exemple le chapitre 366 dans lequel Ibn ‘Arabî affirme que, à la fin des temps, ceux qui suivront le Mahdî et ses auxiliaires seront les gnostiques (al-‘ârifûn bi-Llâh), et que les juristes (fuqahâ’) seront intérieurement ses adversaires6.
L'autre référence est plus importante sur le plan doctrinal, car le cheikh y fait sienne l'interprétation paradoxale du Coran menée par le maître andalou, en vertu de laquelle ce qui est admis communément comme relevant de la mécréance (kufr) devient une modalité de sainteté. Ibn ‘Arabî commente les versets 6-7 de la sourate al-Baqara dans le chapitre 5 des Futûhât, où les saints sont « mécréants » ou « voilés » à tout ce qui est autre que Dieu ; on y trouve également la fameuse ambivalence relevée et fructifiée par Ibn ‘Arabî dans la racine arabe ‘ADhB entre le « châtiment » (‘adhâb) et la « douceur » ou la « suavité » (‘udhûba)7.

De façon non nominale cette fois, des similitudes entre l’herméneutique pratiquée par Ibn ‘Arabî des emprunts du second au premier. Dans les deux cas, on part de la littéralité du texte coranique pour ramener le sens vers la source même de la Parole, ce en quoi consiste précisément le procédé du ta’wîl. Ainsi, selon une modalité tout akbarienne, le cheikh al-‘Alâwî, dans un petit traité intitulé al-Unmûdhaj al-farîd al-mushîr li-khâlis al-tawhîd, « Le Modèle singulier indiquant la pure Unicité »8, ‘‘travaille’’ la racine arabe ALF pour ouvrir le sens du verset coranique 8 : 63. La traduction la plus obvie de ce verset est la suivante : « Si tu avais dépensé tout ce qui est sur la terre, tu n’aurais pas uni (mâ allafta) leurs coeurs mais c’est Dieu qui les a unis ». Pour le cheikh, cela signifie véritablement : « Il est celui qui les a rendus tous alif ». « …autrement dit, commente Denis Gril, Il a uni leurs coeurs en les ramenant à Lui dans la fraternité de l’Esprit9 ».

La science des Lettres (‘ilm al-hurûf) qui fonde une telle herméneutique est pour Ibn ‘Arabî, comme on le sait, une « science christique », ou propre à Jésus (‘ilm ‘îsawî). Or, selon Michel Vâlsan, qui adopte les critères akbariens de l'héritage prophétique - et pour beaucoup de personnes ayant côtoyé le cheikh al-‘Alâwî – celui-ci est précisément un « héritier » de Jésus, un être christique 10. Si l'on se souvient que Jésus a été le premier prophète initiateur du maître andalou, on conviendra que cela conforte les affinités spirituelles entre les deux cheikhs.

Une présence diffuse

En réalité, l'oeuvre et l’enseignement spirituels du cheikh al-‘Alâwî  laissent apparaître des  affinités en filigrane davantage que des emprunts précis à la doctrine d’Ibn ‘Arabî. Ainsi, le cheikh emploie bien parfois des expressions telles que wahdat al-wujûd, ou wahdat al-wujûd al-mutlaq lorsqu'il évoque « l'Identité suprême » - selon l'expression de René Guénon - entre Dieu et l'homme, mais cette terminologie renvoie principalement chez lui à ce qu'on appelle depuis al-Junayd et al-Ghazâlî : l'« extinction dans l'Unicité » (al-fanâ’ fî l-tawhîd) : théologiens et juristes musulmans, notons-le, ont toujours agréé cette expérience, la percevant comme la réalisation de la servitude, de l’islâm11. Le cheikh al-‘Alâwî emploie d'ailleurs la formule wahdat al-wujûd al-mutlaq concernant les « propos extatiques » proférés par Bistâmî et Hallâj (« Subhânî ! », « Anâ l-Haqq »), et que l'on s'accorde communément à placer sur le versant de la wahdat al-shuhûd12. De façon générale, dans ces contextes doctrinaux, le cheikh privilégie le terme tawhîd sur celui de wahdat al-wujûd : il s'agit d'évidence du « tawhîd de l’élite spirituelle » (tawhîd al-khâss) au sens où l'employait al-Junayd. Et lorsqu'il décrit cette expérience de l'immersion de la conscience individuelle dans la Présence, il se réfère en priorité à Abû l-Hasan al-Shâdhilî et à Ibn ‘Atâ’ Allâh13. C'est ici le lieu de rappeler que, selon Jalâl al Dîn al-Suyûtî (m. 1505) notamment, les Shâdhilis ont su exprimer l’expérience de la Wahda en termes de Tawhîd. Il y a là un souci pédagogique de leur part, à destination de la communauté des croyants, une faculté à « filtrer le discours soufi, à en présenter ce qui sera assimilable par un public averti et à en rejeter ce qu’il réprouvera14 », à « distiller à doses variables » l’enseignement du Shaykh al-Akbar15.

L'emploi de termes appartenant a priori à l'école d’Ibn ‘Arabî ne dénote donc pas obligatoirement une influence akbarienne directe. Par exemple, le cheikh cite son maître al-Buzîdî (m. 1909) utilisant l'expression al-wujûd almutlaq 16 sans que cela induise une filiation probante entre ce cheikh et Ibn ‘Arabî. C’est que, en vérité, la doctrine et la terminologie de l'école akbarienne ont exercé une influence extrêmement diffuse dans le soufisme postérieur à Ibn ‘Arabî, au point que même les adversaires doctrinaux de ce maître lui ont emprunté l'une et l'autre17. Un autre exemple en est donné par le recours du cheikh à l'expression wahdat al-wujûd pour commenter une des « sagesses » (hikam) d’Ibn ‘Atâ’ Allâh : « Les mondes s’affirment parce qu'ils sont par Lui affermis, mais ils sont anéantis par l’unitude de Son essence18 ». Cette même sapience est reprise par le cheikh dans les Minah quddûsiyya pour illustrer le paradoxe apparent entre la subsistance du cosmos grâce au soutien de l'Être divin (ithbât) et son effacement (mahw), son néant, du point de vue ontologique pur. Ibn ‘Arabî formulait cette dialectique à sa manière, en affirmant que le monde est à la fois « Lui et non Lui ». Le cheikh al-‘Alâwî illustre à cet effet la nécessité du support théophanique (mazhar) dans l'approche du Divin, en citant ce vers d’Ibn ‘Arabî : « L’Essence ne peut être appréhendée sans support théophanique, même si l'homme, mû par un désir intense, cherche à déchirer [le voile]19 ».

Parallèlement, et comme en contraste avec cet emploi diffus de la terminologie akbarienne, perce parfois une réserve, une réticence à employer des termes trop marqués par l'école d’Ibn ‘Arabî. Il faut sans doute y déceler une sorte de « discipline de l'arcane », une précaution prise par le cheikh face à ses adversaires doctrinaux, les censeurs du mouvement réformiste algérien tels qu’Ibn Bâdîs. Ainsi, dans son traité al-Unmûdhaj al-farîd, le cheikh prend pour départ une tradition prophétique selon laquelle tout ce que contiennent les livres révélés est dans le Coran, tout ce qui est dans le Coran est dans la Fâtiha, tout ce qui est dans la Fâtiha est dans la basmala, tout ce qui est dans la basmala se trouve dans le bâ’ et tout ce qui est dans le bâ’ est dans son point. Il est remarquable qu'il formule la résorption de cette manifestation dans l'Essence divine inconditionnée en wahdat al-shuhûd, « unicité du témoignage ». On peut penser, à la suite de Denis Gril, que le cheikh a volontairement évité l'emploi de la wahdat al-wujûd, au vu de la « charge polémique pesant sur ce dernier terme depuis Ibn Taymiyya20 ». Au demeurant, n'oublions pas que l'expression wahdat al-shuhûd est, chez bien des auteurs, la formulation tardive de l'expérience, évoquée plus haut, de « l'extinction de la conscience individuelle dans l'Unicité » (al-fanâ’ fî l-tawhîd)21.

Une démarcation parfois explicite

« M’ont été données les clés du sublime Coran » : le cheikh al-‘Alâwî commente cette parole d’Ibn ‘Arabî en affirmant que le maître andalou n'est ni le premier ni le dernier à avoir reçu de telles clés, et que toute personne ayant été gratifiée d'une part de la science soufie reçoit également une part de la compréhension du Coran22 : s'agit-il là d'une remise en cause de la fonction de « sceau de la sainteté muhammadienne » souvent attribuée en milieu soufi à Ibn ‘Arabî ? Ne perdons pas de vue que le cheikh al-‘Alâwî, et à sa suite de nombreux affiliés et sympathisants, s’est perçu comme investi de la fonction de « rénovateur » (mujaddid) de la religion musulmane pour le XIVe siècle de l'hégire23, ce qui pouvait l’amener à relativiser le rôle d’Ibn ‘Arabî.

Dans un autre texte, il répond de façon presque désinvolte à une question qui lui est adressée à propos d'un vers d’Ibn ‘Arabî. Quel akbarien convaincu se comporterait comme le fait ici le cheikh, « de façon spontanée et sans manières, en plaisantant quelque peu » (tel est le commentaire du secrétaire du cheikh) ?
Le vers en question est : « Deux ‘ayn, deux ‘ayn qu'aucun calame n'a écrit. Dans chacun de ces deux ‘ayn, il y a deux nûn, deux nûn, qu'aucun calame n'a écrit.
Dans chacun de ces deux nûn, il y a deux ‘ayn, deux ‘ayn qu'aucun calame n'a écrit ». L’explication du cheikh al-‘Alâwî est la suivante : « Le sens de ces vers, même s'il a préoccupé beaucoup de personnes, est très simple pour les novices et n'est qu'une simple question de langue... Les deux premiers ‘ayn sont deux sources d'eau, c'est-à-dire une réalité non écrite car n'étant pas ici le nom d'une lettre... Les deux nûn sont deux poissons, car nûn est l'un des noms du poisson, c'est-à-dire également une réalité non écrite car n'étant pas ici le nom d'une lettre. Les deux derniers ‘ayn sont deux yeux, dont dispose chaque animal... ».
Le terme ‘ayn n'a donc pas le même sens dans le premier et le dernier vers, et le cheikh de conclure ainsi : « Ce commentaire, même s'il ne présente pas un grand intérêt, représente une solution proche de la vérité, qui nous préserve de toute interprétation forcée24 ».

En outre, si le cheikh s'était inscrit véritablement dans le sillage d’Ibn ‘Arabî, il aurait cité à l'envi son compatriote, « héritier akbarien » : Abd el- Kader. Or, il ne le fait que trois fois, et dans deux de ces occurrences, l’émir incite à fréquenter les maîtres de la Voie, ce qui revient à dire qu'il ne suffit pas de lire les ouvrages doctrinaux d’Ibn ‘Arabî, comme cela a été soutenu parfois par les tenants de l'école akbarienne… Sous ce rapport, le cheikh al-‘Alâwî, en tant qu'initiateur d'une méthode de spirituelle renouvelée, fondée notamment sur la retraite (khalwa), se défiait de tout intellectualisme concernant ses disciples. On se souvient de la réponse adressée par al-Shâdhilî à celui qui lui demandait pourquoi il n'avait pas rédigé de traité sur la Voie soufie : « Mes livres, dit-il, ce sont mes disciples ! »

En fait, suivant en cela une attitude très répandue chez les maîtres soufis, le cheikh déconseillait à ses disciples de lire Ibn ‘Arabî, mais il commentait son oeuvre, les Futûhât en particulier, en privé, devant un cercle très restreint. On sait par ailleurs qu'il appréciait beaucoup le poète mystique Ibn al-Fârid (m. 1235), et il le cite plus souvent qu’Ibn ‘Arabî : la formulation poétique très allusive était-elle à ses yeux moins dangereuse pour le credo du commun des croyants ?

S’il y a bien présence diffuse de la doctrine d’Ibn ‘Arabî chez le cheikh al-‘Alâwî, elle passe par un filtre propre à l'inspiration du cheikh, et bien sûr par une adaptation liée au contexte, principalement réformiste et salafî. De toute évidence, le cheikh est davantage ancré dans la modalité de l'école spirituelle à laquelle il appartient, la Shâdhiliyya. Mais il reste que celle-ci s'est largement imprégnée, depuis au moins Ibn ‘Atâ’ Allâh (m. 1309), de la doctrine d’Ibn ‘Arabî…


1 Sur lui, voir notamment - Khaled Bentounès, « Un nouveau regard sur la vie et l’oeuvre du cheikh Ahmad al-‘Alāwī (m. 1934) », Une voie soufie dans le monde : la Shādhiliyya, sous la dir. d’E. Geoffroy, Paris 2005, 285-301 ; Soufisme. L’héritage commun.Centenaire de la voie soufie ‘Alawiyya 1909-2009, Alger 2009, p. 132-209 ; - Eric Geoffroy, « Le rayonnement spirituel du cheikh al-ʿAlâwâ en Occident », al-Tarbiya wa l-maʿrifa fī maʾāthir al-shaykh Ahmad b. Mustafā al-ʿAlāwī, Mostaganem 2001, 358-372 ; article b. ‘ALIWA Ahmad b. Mustafā, Encyclopédie de l'Islam 3e édition, en cours de publication ; Le soufisme - voie intérieure de l'islam, Le Seuil, Paris, 2009, p. 207- 208 ; - Martin Lings, Un saint musulman du vingtième siècle, Paris 1982 pour la trad. française (réédité sous le titre Un saint soufi du XXe siècle, Paris 1990). 
2 J. Cartigny, Cheikh Al Alawi, Documents et Témoignages, Paris, 1984, p. 50.
3 M. Lings, Un saint musulman du XXe siècle, op. cit., p. 123, 154.
4 Ce commentaire, intitulé Al-Mawâdd al-ghaythiyya al-nâshi’a ‘an al-hikam alghawthiyya (Mostaganem, 1989), a été traduit par Manuel Chabry sous le titre : Sagesse céleste - Traité de soufisme, éd. La Caravane, Cugnaux, 2007.
5 Mostaganem, 1995.
6 Al-Bahr al-masjûr, II, 10.

7 Ibid., I, 59, 61. Cet emprunt direct a été noté par M. Chodkiewicz, dans Un océan sans rivage, Paris, 1992, p. 20.
8 Édité pour la première fois à Tunis en 1913 puis en 1926. Il a été partiellement traduit par Martin Lings dans Un saint musulman, op. cit., p. 181-194.
9 Voir son article à paraître dans les actes du congrès du centenaire de la Tarîqa ‘Alâwiyya, à paraître en septembre 2010 chez Albouraq (Paris) et Casbah (Alger) : « Les commentaires du Coran du Cheikh Ahmad al-‘Alawî ».
10 Je reprends ici la note 21 de l'article précité de D. Gril : « C’est pour illustrer cet aspect christique du Cheikh al-‘Alawî que Michel Vâlsan traduisit le chapitre chapitre 20 des Futûhât al-makkiyya, ‘‘Sur la science propre à Jésus’’ (al-‘ilm al-‘îsawî), Études Traditionnelles 1971 n°424-5, p. 62-72. Il avait auparavant, à la suite de la parution du livre M. Lings, dans une note de lecture ‘‘Sur le Cheikh al-Alawî’’ resitué l’aspect christique du Cheikh al-‘Alawî dans le cadre de la doctrine de la sainteté et l’héritage prophétique selon Ibn al-‘Arabî, Études traditionnelles 1968 n° 405, p. 29-34 ».

11 E. Geoffroy, Le soufisme en Égypte et en Syrie sous les derniers Mamelouks et les premiers Ottomans - Orientations spirituelles et enjeux culturels, IFEAD, Damas, 1995, p. 468-469.
12 Al-Mawâdd al-ghaythiyya, op. cit., II, 120-121.
13 Ibid., II, 118-119.
14 E. Geoffroy, « Entre ésotérisme et exotérisme, les Shâdhilis, passeurs de sens (Égypte XIIIe - XVe siècles) », Une voie soufie dans le monde : la Shâdhiliyya, Maisonneuve et Larose, Paris, 2005, p. 121.
15 Ibid., p. 122. Pour la citation de Suyûtî, voir p. 122.
16 Al-Mawâdd al-ghaythiyya, op. cit., II, 137.
17 E. Geoffroy, « Le traité de soufisme d'un disciple d'Ibn Taymiyya : Ahmad ‘Imâd
al-dîn al-Wâsitî (m. 711 / 1311) », Studia Islamica n° 82, 1995, p. 93-96 ; voir également le témoignage de Michel Chodkiewicz, Un océan sans rivage, op. cit., p. 33.

18 Al-Mawâdd al-ghaythiyya, op. cit., II, 135.
19 Al-Minah al-quddûsiyya, Mostaganem, éd. de 1985, p. 31-32.
20 D. Gril, op. cit.
21 E. Geoffroy, Le soufisme en Égypte et en Syrie, op. cit., p. 475.
22 Al-Minah al-quddûsiyya, op. cit., p. 12.

23 Cf. notamment son Dîwân (recueil de poèmes mystiques), Mostaganem, 1993, p. 40 ; M. Lings, op. cit., p. 99.
24 Cheikh al-‘Alâwî, A‘dhab al-manâhil fî l-ajwiba wa l-rasâ’il, Mostaganem, 1993, p. 62. Je remercie M. Chabry pour m’avoir indiqué cette référence.


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vendredi 24 août 2012

La « pérégrination » comme méthode spirituelle chez les soufis

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Par Eric Geoffroy


 Les ascètes et mystiques de l’islam ont souvent considéré le voyage (alsafar) ou la pérégrination (al-siyâha), comme une méthode spirituelle à part entière. Mais il faut d’abord s’interroger sur leur légitimité d’un point de vue religieux : ces méthodes spirituelles bénéficient-elles d’appuis scripturaires ? La siyâha possède en effet quelques fondements coraniques. Ainsi, en 9 : 112 : « Heureux les repentants, les adorateurs, ceux qui proclament Sa louange, ceux qui pérégrinent… ». Le verset 66 : 5 concerne, lui, la femme. Dans les deux occurrences, le participe actif (sâ’ihûn,et sâ’ihât) est souvent compris par les exégètes comme « ceux [ou celles] qui jeûnent ». Dans les deux cas également, il s’agit de dévots et de dévotes renonçant au monde, « errant pour répandre le nom de Dieu 1 ». A l’évidence, le jeûne peut être vécu comme un voyage intérieur, et l’on peut remarquer que l’un et l’autre sont associés dans le Coran (en 2 : 184-5). Le soufi Ibn ‘Arabî (m. 1240) commente ainsi cette analogie : de même que le jeûne n’appartient pas à l’homme mais à Dieu, le voyageur s’aperçoit que ses oeuvres ne lui appartiennent pas et que Dieu agit par lui 2.

Dans la Tradition (Sunna) du prophète Muhammad, la siyâha est évoquée, mais il est difficile de savoir quel sens lui donnait le Prophète dans le contexte de l’époque. Toujours est-il que Muhammad définit la pérégrination tantôt comme « le jihâd dans le chemin de Dieu », tantôt comme le Pèlerinage canonique (hajj), ou le petit pèlerinage (‘umra), tous eux à La Mecque. On retrouve toutefois dans l’une et l’autre acception l’idée de cheminement, de déplacement. Le proche compagnon et ami de Muhammad, Abû Bakr, disait :

" Je veux parcourir le monde et servir mon Dieu 3 "


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Introduction à la traduction française du commentaire des Hikam d’Ibn ‘Atâ’ Allâh par le cheikh Muhammad Sa‘îd Ramadân al-Bûtî

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                                               Auteur ; Mohammad Said Ramadan Al Bouti
                                 Traduction : Abdallah Dominique Penot, Idris Devos, Samia Touati .


Introduction (extraits) d’Eric Geoffroy à la traduction française du commentaire des Hikam d’Ibn ‘Atâ’ Allâh par le cheikh Muhammad Sa‘îd Ramadân al-Bûtî, Paroles Sublimes, éd. Sagesse d’Orient, Paris, 2011.

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A.K. Coomaraswamy : Khwâjâ Khadir et la Fontaine de Vie.








[Ananda K. Coomaraswamy, Etudes Traditionnelles, N°224-225, août-septembre 1938, Numéro spécial sur le Soufisme.]




Dans l’Inde, le saint et prophète désigné par les noms Khwâjâ Khizr (Khadir), Pir Badar et Râjâ Kidâr (en arabe, Seyidnâ El-Khidr) fait l’objet d’un culte populaire encore existant et qui est commun aux Musulmans et aux Hindous. Son principal sanctuaire est situé sur l’Indus, près de Bakhar ; il y est vénéré par des personnes appartenant aux deux traditions ; c’est à peine, cependant, si son culte est moins répandu dans le Bihar et le Bengale. Dans le rituel hindou, on allume des lumières et on offre, près d’une fontaine, de la nourriture à des brâhmanes. Dans le culte musulman comme dans l’hindou, on lance sur un étang ou sur une rivière un petit bateau qui porte une lampe allumée. Dans l’iconographie, Khwâjâ Khizr est représenté comme un homme âgé, ayant l’apparence d’un faqîr, habillé entièrement en vert (1) et accompagné d’un poisson qui lui sert de « véhicule » et avec lequel il se meut sur les eaux.

AL-KHIZR
 
L’étude de cette iconographie, et aussi celle des légendes hindoues, renseignent, au moins partiellement, sur la nature de Khwâjâ Khizr. Dans la ballade de Niwal Daî, dont l’action est localisée à Safîdam (2) dans le Panjab, l’héroïne est la fille de Vâsuki, le roi des Serpents. Le pândava (3) aryen Râjâ Parikshit a livré bataille à Vâsuki et lui a arraché la promesse qu’il lui donnerait sa fille en mariage, union qui, du point de vue de Vâsuki, est inégale et constitue une mésalliance. Vâsuki est alors atteint de la lèpre, à la suite d’une malédiction prononcée par le prêtre Sîjî (4), dont les vaches avaient été mordues par les Serpents. Pour le guérir, Niwal Daî entreprend d’obtenir l’Eau de Vie (amrita), à la source fermée qu’elle seule peut ouvrir, mais qui se trouve sur les domaines de Râjâ Parikshit (5). Lorsqu’elle atteint la source, qui est recouverte de lourdes pierres, elle déplace celles-ci par l’effet de son pouvoir magique, mais les eaux baissent et sont bientôt hors de portée : en effet, Khwâjâ Khizr, qui est leur maître, ne veut pas les libérer, aussi longtemps que Niwal Daî, que personne encore n’a vue, si ce n’est son père Vâsuki et sa mère, la reine Padmâ, ne consent pas à se montrer à ses regards. Lorsque Niwal Daî se laisse voir, Khwâjâ Khizr « envoie les eaux qui montent en bouillonnant ». Râjâ Parikshit, éveillé par le bruit, part au galop vers la source ; il y trouve Niwal Daî, qui se cache sous sa forme de serpent, et il la contraint de reprendre son aspect humain ; après un long débat près de la source, il la convainc qu’elle est liée par la promesse de son père et, finalement, l’épouse (6).
 
La scène près de la fontaine a peut-être formé le thème original d’une composition que l’on rencontre dans un certain nombre de peintures mughal (7) du XVIIe et du XVIIIe siècle, où l’on voit un prince à cheval près d’une source, d’où une dame vient de puiser de l’eau (8). La conception d’une dynastie faisant remonter son origine à l’union d’un roi humain et d’une nâginî est très répandue dans l’Inde ; en dernière analyse, elle peut être rapportée à l’enlèvement de Vâch, l’apsarâ ou la Vierge des Eaux, qui est née des puissances de l’obscurité et que le Père créateur n’a pas « vue » avant la transformation de l’obscurité en lumière, in principio ; sous ce rapport, il est à noter que, dans la ballade, Niwal Daî n’a jamais vu le Soleil ou la Lune, et a été tenue cachée dans un tourbillon d’eau (bhaunrî), jusqu’à ce qu’elle en sorte pour mettre à jour la Source au Bout du Monde, dans laquelle sont les Eaux de Vie (9). Elle assume alors une force humaine, ce qui constitue sa « manifestation ». On comprendra, du reste que, exactement comme dans les légendes européennes semblables, où une ondine, ou la fille d’un magicien, épouse un héros humain, tout aussi bien dans les récits ou poèmes hindous récents, le rédacteur peut n’avoir pas toujours saisi le sens profond  de son sujet.
 
Khwâjâ Khizr apparaît aussi dans un autre conte populaire d’un type très archaïque, l’histoire du prince Mahbûb (10). Le roi de Perse a eu d’une concubine un fils, qui, faute d’enfant légitime, devient l’héritier présomptif. Plus tard, la reine en titre devient enceinte. Le premier prince craint de perdre ses droits, envahit le royaume, tue son père et usurpe le trône. Cependant la reine s’enfuit et est recueillie par un fermier ; elle accouche d’un fils, qui est appelé Mahbûb, le « Bien-Aimé » (du Monde). Ce dernier, ayant grandi, se rend seul à la cour et sort vainqueur de compétitions athlétiques, notamment de celles de tir à l’arc. Le peuple n’est pas sans observer sa ressemblance avec le roi défunt. Lors de son retour, il est instruit par sa mère de son origine et tous deux partent en voyage afin d’échapper aux entreprises de l’usurpateur. La mère et le fils arrivent dans une contrée déserte et là, dans une mosquée près d’une montagne, ils rencontrent un faqîr, qui leur donne une eau et un pain inépuisables et deux objets en bois, dont l’un peut servir de torche, l’autre possédant la propriété de rendre guéable la mer la plus profonde, dans un rayon de quatorze coudée ; dans ce rayon, la profondeur diminue jusqu’à ne plus dépasser une coudée. Mère et fils traversent ainsi l’océan avec de l’eau jusqu’aux genoux et ils rencontrent un courant charriant des rubis. Ils abordent finalement dans l’Inde, où ils vendent l’un des rubis pour un prix élevé. Ce rubis tombe entre les mains du roi de la contrée, qui apprend d’où il est venu et fait rechercher le héros, lequel dans l’intervalle s’est fait construire un nouveau et grand palais sur le bord de la mer. Mahbûb entreprend de procurer au roi d’autres rubis de la même sorte. Il part seul, allume la torche (preuve qu’il s’apprête à pénétrer dans un monde obscur) et, se servant de la baguette, traverse la mer jusqu’à ce qu’il atteigne le courant aux rubis. Il le remonte jusqu’à sa source, qui est un tourbillon, y saute, descend dans cette obscure cheminée d’eau, touche le fond et découvre que les eaux sortent d’une porte de fer s’ouvrant sur un conduit. Traversant le conduit, il se trouve dans un magnifique jardin, au milieu duquel se trouve un palais. Dans une chambre de ce palais, il voit une tête fraichement coupée, de laquelle tombent des gouttes de sang qui sont recueillis dans un bassin ; ces gouttes sont emportées par le courant, comme rubis, dans le conduit, et ensuite dans le tourbillon et dans la mer. Apparaissent alors douze pérîs (11), qui prennent la tête, apportent le corps décapité, réunissent la première au second et, saisissant des flambeaux allumés, exécutent autour de la couche une danse si rapide que Mahbûb n’en perçoit qu’un cercle de lumière. Alors, se penchant au-dessus du lit, elles se lamentent : « Encore combien de temps, Seigneur, encore combien de temps ?... Quand le soleil de l’espoir se lèvera-t-il sur l’obscurité de notre désespoir ? Lève-toi, ô Roi, lève-toi ! Encore combien de temps vas-tu demeurer dans cette inconscience semblable à la mort (12) ?
 
Alors, du sol du palais, s’élève la forme du faqîr dont il a été question et qui est maintenant vêtu d’une robe de lumière. Les pérîs s’inclinent devant lui et lui demandent : « Khwâjâ Khizr, l’heure est-elle venue ? » Le faqîr, qui n’est autre en fait que l’immortel Khwâjâ Khizr, explique à Mahbûb que le cadavre qu’il voit est celui de son père, qui a été tué par l’usurpateur Kassâb ; les ancêtres de Mahbûb ont tous été des magi (13) ; tous ont été ensevelis dans le palais sous-marin, mais le père de Mahbûb est resté sans sépulture, car personne n’a accompli pour lui les rites funéraires ; Mahbûb, qui est son fils, devait réparer cette omission. Mahbûb prie donc Allah pour l’âme de son père. Aussitôt la tête se soude au corps et le roi défunt se lève vivant (14). Khizr disparaît, et Mahbûb retourne dans l’Inde avec son père, qui est ainsi réuni à la reine veuve. Lorsque le roi de l’Inde vient chercher les rubis, Mahbûb se pique le doigt et les gouttes de sang, tombant dans une coupe pleine d’eau, deviennent les gemmes demandées ; car, ainsi que Mahbûb le sait maintenant, chaque goutte de sang qui coule dans les veines des rois de Perse est plus précieuse que des rubis. Mahbûb épouse la fille du roi de l’Inde. Une expédition part pour la Perse et détrône l’usurpateur Kassâb ; celui-ci est décapité et sa tête suspendue dans le palais souterrain ; chaque goutte de sang qui en tombe devient un crapaud.
 
La vraie nature de Khwâjâ Khizr est déjà clairement indiquée dans les deux récits que nous venons de résumer, ainsi que tous les documents iconographiques. Khizr est chez lui dans les deux mondes, l’obscur et le lumineux, mais par-dessus tout il est le maître de la Rivière de Vie qui coule dans la Terre des Ténèbres ; il est le gardien de l’Eau de Vie et, sous ce rapport, il correspond au Soma et au Gandharva vêdiques et même à Varuna. Ni du point de vue islamique, ni du point de vue de l’Hindouisme post-vêdique, il ne peut évidemment être identifié à proprement parler à une « divinité » ; mais il n’en est pas moins l’expression directe, ou la manifestation, d’une puissance spirituelle élevée. Nous allons trouver ces conclusions générales amplement confirmées par un autre examen des textes islamiques concernant al-Khadir.
 
Le Qur’ân (sûrah XVIII, 59-81) raconte les efforts faits par Mûsâ (Moïse) pour découvrir le Madjma’ al-Bahraïn ou « réunion des deux mers » expression qui désigne probablement une « place » de l’Extrême-Occident au lieu de rencontre de deux océans ; Mûsâ est guidé par un « serviteur de Dieu », que les commentateurs identifient à al-Khadir, lequel est dit résider sur une île ou sur un tapis vert au milieu de la mer. Ce récit peut être comparé à trois autres appartenant à des traditions plus anciennes : l’épopée de Gilgamesh, les romans d’Alexandre et la légende juive d’Elijah et de Rabbi Joshua ben Levi (15). Dans l’épopée de Gilgamesh, le héros part à la recherche de son immortel « ancêtre » Utnapishtim, qui habite à l’embouchure des rivières (ina pi narati), ce qui n’est pas sans rappeler Varuna dont la demeure est « à la source des rivières », sindhûnâm upodayê (Rig-Vêda, VIII, 41, 2) ; son but est de s’informer de la « plante de vie », prototype du haoma avestique et du soma vêdique (16) et par laquelle l’homme peut-être sauvé de la mort. Dans les romans d’Alexandre, Alexandre part à la recherche de la Fontaine de vie, qu’il découvre par hasard, mais qu’il ne peut plus retrouver ; il est significatif que c’est « dans la Terre des Ténèbres » qu’il la découvre. Le Shâh Nâmeh contient une version de cette légende ; d’après cette version, Alexandre part à la recherche de la Fontaine de Vie, qui se trouve dans la  Terre des Ténèbres, plus loin que l’endroit où le Soleil se couche dans les eaux de l’ouest ; Alexandre est guidé par Khizr, mais, lorsqu’ils arrivent à une bifurcation, chacun suit une voie différente et Khizr seul mène la « queste » à bonne fin. Les compagnons d’Alexandre, qui rapportent avec eux des pierres de la Terre des Ténèbres, trouvent à leur retour qu’elles sont des pierres précieuses (17). La même histoire est racontée avec plus de détails dans l’Iskender Nâmeh de Nizâmî ; là (LXVIII-LXIX), Alexandre apprend d’un homme âgé (probablement Khizr lui-même) que « de tous les pays, le meilleur est la Terre Sombre, où se trouve une eau qui donne la vie » et que la source de cette Rivière de Vie est au nord, sous l’étoile Polaire (18). Le long de la route qui conduit à la Terre Sombre, sur chaque terre aride, la pluie tombe et l’herbe pousse : « Tu aurais dit : « La trace de Khizr est marquée par cette route ; en vérité, Khizr lui-même était avec le roi » » (19). Les voyageurs atteignent la limite septentrionale du monde, le soleil cesse de se lever et la Terre des Ténèbres s’étend devant eux. Alexandre fait du prophète Khizr son guide et Khizr, « s’avançant avec verdeur (20) », montre la route et découvre bientôt la fontaine ; il boit de son eau et devient immortel. Il tient son regard fixé surla source, attendant qu’Alexandre le rejoigne ; mais elle cesse d’être visible et khizr lui-même disparaît, comprenant qu’Alexandre échouera dans son entreprise. Nizâmî rapporte une autre version, conforme au « récit des anciens de Rome » ; ici la « queste » est entreprise par Ilyâs (21), accompagné de Khizr. Ils s’assoient un jour près d’une fontaine pour prendre leur repas consistant en un poisson séché. Le poisson tombe dans l’eau et redevient vivant ; ainsi les deux chercheurs savent qu’ils ont trouvé la Fontaine de Vie et ils boivent de son eau. Nizâmî passe à la version qorânique et interprète la fontaine comme une Fontaine de Grâce, la vraie Eau vivante étant la Connaissance de Dieu. Une interprétation semblable de cet ancien symbolisme se trouve dans le Nouveau Testament (Jean, IV). Nizâmî attribue l’échec d’Iskender (Alexandre) à son impatience, alors que, dans le cas de Khizr, « l’Eau de Vie arrive sans avoir été cherchée » ; c’est ce qu’il conclut du fait que l’Eau est révélée indirectement par son effet sur le poisson, alors que Khizr ne se doute pas qu’il l’a déjà trouvée.
 
LES PROPHÈTES ÉLIE ET AL-KHADIR PRÈS DE LA FONTAINE DE VIE.


                                                Un épisode de l’Iskander nâma de Nizâmî.
                                         Peinture persane, école d’Hérat, fin du XVe siècle.
                                                          Freer Gallery of Art, Washington.
 
La découverte de la fontaine par Ilyâs et Khizr forme dans l’art persan le sujet de miniatures illustrant l’Iskendar Nâmeh (22). L’une d’elle, qui orne la fin d’un manuscrit de la fin du XVIe siècle appartenant à M.A. Sakisian, est reproduite en couleurs comme frontispice de son ouvrage La Miniature persane, 1929, et en monochrome dans le Persian Painting de L. Binyon, 1933, pl. LXI a ; ici, deux prophètes sont assis près de la Source dans un paysage verdoyant, on voit deux poissons sur un plat, et un troisième, visiblement vivant, se trouve dans la main de Khizr ; il est clair que ce dernier indique à Ilyâs la signification du miracle. Ilyâs est vêtu de bleu, Khizr porte une robe verte et un manteau brun. Dans une composition du XVIIe siècle qui appartient à la Freer Galery, de Washington, est reproduite dans Ars Islamica, vol. I, 2e partie, p.179, l’arrangement est semblable, mais il n’y a qu’un poisson sur le plat. Une troisième miniature, enfin, remontant à la fin du XVe siècle, se trouve au Museum of Fine Arts de Boston et a été reproduite dans Ars Asiatica, XIII, pl. VII, n°15 ; Ilyâs et al-Khadir apparaissent au premier plan près du fleuve, dans l’obscurité ; Alexandre et sa suite sont au-dessus, comme dans la peinture de la Freer Gallery, où la disposition des ombres et des lumières est cependant inverse. La composition de la Freer Gallery semble être, à cet égard, la plus correcte, car, si la recherche a lieu toute entière sur la Terre des Ténèbres, on peut admettre néanmoins que le voisinnage immédiat de la Fontaine de Vie est illuminé par l’éclat des Eaux. Les Découvreurs de la Source ont tous deux la tête nimbée.
 
Dans le Lai d’Alexandre syriaque et dans la version du Qur’ân, le poisson s’enfuit ; et le Qur’ân ajoute qu’il gagne la mer. Ceci peut être mis en rapport avec l’histoire de Manu et du « poisson » (shatapatha-Brâhmana, I, 8, 1) ; le « poisson » (jhasha) est vivant dès le début, mais il est très petit et sa position est précaire, car il tombe dans les mains de Manu pendant que celui-ci se lave, et il lui demande de l’élever. Manu lui fournit l’eau qui est nécessaire ; et, quand le poisson est devenu grand, il le lâche dans la mer ; lorsque le Déluge arrive, le poisson guide l’arche sur les eaux grâce à un câble attaché à sa corne. Une variante remarquable de la légende de Manu se trouve dans le Jaiminîya-brâhmana (III, 193) et le Panchavimsha-brâhmana (XIV, 5, 15) ; cette variante offre une similitude étroite avec les récits de l’Iskender Nâme et du Qur’ân en ce qui concerne la dessiccation du « poisson ». Ici Sharkara, le « marsouin » (shishumâra), refuse de louer Indra ; Parjanya, le dieu de la pluie, le fait échouer sur le rivage et le fait dessécher par le vent du nord (la cause de la dessiccation du poisson est ainsi indiquée). Sharkara compose alors un cantique de louange en l’honneur d’Indra ; Parjanya le rend à l’océan (comme fait Khizr, quoique sans le vouloir, dans le récit qorânique) ; et, grâce au même cantique, Sharkara accède au Ciel, et devient une constellation. On ne peut douter qu’il ne s’agisse ici de la constellation du Capricorne, en sanscrit makara, makarashî. Ainsi makara, jhasha et shishumâra sont synonymes (23) ; et ce Léviathan indien correspond clairement au poisson Kar, « la plus grande des créatures d’Ahuramazda », qui nage dans le Vourukasha, gardant l’arbre de vie Haoma dans l’océan primordial (Bundahish, XVII ; Yasna, XLII, 4, etc.) ; il correspond aussi au poisson-chèvre sumérien, le symbole et parfois le « véhicule » d’Ea, le dieu des Eaux (Langdon, Semitic Mythology, pp.105-106). Dans l’iconographie hindoue récente, le « véhicule » de Khizr est indéniablement un poisson et non le makara, dont la forme rappelle celle du crocodile ; mais ceci ne saurait nous surprendre, car on trouve dans l’iconographie indienne, des exemples prouvant l’équivalence du makara et du poisson ; dans quelques représentations anciennes, par exemple, la rivière-déesse Gangâ est supportée par un makara, mais dans les peintures récentes elle l’est par un poisson (24).
                            Alexandre et Khidr entrent au royaume des Ombres


Dans la version de la légende d’Alexandre qui est dite le Pseudo-Callisthenes (C), Alexandre est accompagné de son cuisinier Andreas. Après un long voyage dans la Terre des Ténèbres, ils arrivent en un lieu ruisselant d’eau et s’assoient pour prendre leur repas ; Andreas humecte le poisson sec et, voyant qu’il revit, boit de l’eau, mais n’en dit rien à Alexandre. Plus tard Andreas séduit Kalè, la fille d’Alexandre, et lui donne à boire de l’Eau de Vie (dont il a emporté une certaine quantité) ; elle devient ainsi une déesse immortelle et est appelée Nereis, tandis que le cuisinier, jeté dans la mer, devient un Dieu ; tous deux sont ainsi des habitants de l’autre monde. Sans aucun doute, Andreas est ici une déformation de l’Idrîs du Qur’ân (sûrah XIX, 57 et suiv., et sûrah XXI, 85) ; Idrîs est le nom d’un prophète que la tradition musulmane identifie à Enoch et à Hermès et qu’elle considère, de même qu’Ilyâs et aussi saint Georges, comme lié à al-Khadir par une affinité spirituelle étroite. De ce qu’Ibn al-Qiftî rapporte au sujet d’Idrîs dans son Tarîkh al-Hukamâ (environs de l’année 1200), il ressort qu’Idrîs joue le rôle d’un héros solaire et est immortel.
 
Quant à la ressemblance qu’il peut y avoir entre al-Khadir et saint Georges, c’est elle sans doute – ainsi que le rôle du premier comme patron des voyageurs – qu’évoque une figure du XIIIe siècle, probablement celle d’al-Khadir, qui est sculptée en relief au-dessus de la porte d’un caravansérail sur la route de Sinjâr à Mosoul ; la tête est nimbée et le personnage enfonce une lance dans la gueule d’un dragon couvert d’écailles (25).
 
Une autre figure représentant un homme assis sur un poisson, vraisemblablement un travail hindou, se trouve dans le bastion du fort de Raichur, dans le Dekkan ; il a été signalé qu’autour de la tête de l’homme était une couronne de têtes de serpents de rivière à capuchon et, pour cette raison, la figure a été appelée un « roi des serpents » ; mais ces têtes de serpents à capuchon ne sont pas clairement discernables sur la reproduction qui a été publiée (26). L’art indien de la période médiévale offre de nombreuses représentations de Varuna assis sur un makara (27).
 
Nous mentionnerons rapidement, pour terminer, quelques rapprochements avec des traditions européennes, Khadir correspond à Glaukos, le dieu marin des Grecs (Friedlânder, op. cit., pp. 108 et suiv., 242, 253, etc., Barnett, loc. cit., et le Gandharva vêdique sont dignes de remarque. Dans l’Avesta, Gandharva est désigné comme zairipâshna, « celui qui a des talons verts », ce qui tend à établir un lien entre Gandharva et Khâdir. Il est possible que Gandharva, comme l’a suggéré Barnett, corresponde à Kandarpa, c’est-à-dire à Kâmadêva (le dieu hindou de l’amour) ; sous ce rapport, on peut observer que le trait érotique, qui est commun à Glaukos et à Gandharva-Kâmadêva se retrouve appliqué à Khizr dans la ballade de Niwal Daî, où Khizr refuse de libérer les eaux aussi longtemps qu’iln’a pu voir Niwal Daî ; c’est une condition qui apparait comme naturel, dès lors que nous considérons Khizr comme le Gandharva et Niwal Daî comme l’apsarâ ou la Vierge (yoshâ) des Eaux, et aussi bien si nous assimilons Khizr à Varuna : Le Rig-Véda (VII, 33, 10-11) rapporte en effet que « Mitra-Varuna » ont été séduits par la vue d’Urvashî, ce qui est souligné dans le Sarvânukramanî (I, 166 : urvashîm apsarasam drishtwâ… réto apatat) et aussi par Sâyana (rétash chaskanda), qui suit visiblement ici Nirutka, V, 13. La même situation est sous-entendue dans Rig-Véda, VII, 87, 6, en ce qui concerne Varuna seul ; là Varuna descend comme une goutte blanche (drapsa) et est appelé « traverseur de l’espace » (rajasah vimânah) et « régent de profondeurs » (gambhîra-shamsah), toutes désignations qui pourraient être appliquées à Khizr. Il reste à observer que, dans l’iconographie chrétienne, la figure du dieu-rivière Jourdain (28) qui se rencontre couramment dans les représentations du Baptême de Jésus, offre une certaine ressemblance avec les conceptions de Glaukos et de Khizr. Dans certains cas, le baptême est considéré comme ayant lieu au confluent des deux rivières, Jor et Danus (ce qui rappelle la « réunion des deux mers » du Qur’ân). Parfois sont figurés un dieu masculin de la rivière et une figure féminine représentant la mer ; tous deux sont à cheval sur des dauphins, comme dans l’Inde, de nombreux types de Yakshas nains qui sont à cheval sur des makaras. En dernière analyse, on peut faire remonter tous ces motifs iconographiques à des prototypes dont l’expression la plus ancienne, au moins d’après l’état présent des recherches, est sumérienne : c’est celle qui concerne Ea, fils et image d’Enki, dont le nom essentiel (Enki) signifie « le Seigneur des Eaux profondes ». Ea est le régent des fleuves, qui ont leur origine dans le monde souterrain et qui coulent de là pour fertiliser la terre ; il est aussi le maître des pierres précieuses. Dans l’iconographie, Ea est accompagnée du poisson-chèvre et tient dans ses mains le vase d’où l’eau coule, la source « du pain et de l’eau de la vie immortelle ». Ea a sept fils, dont Marduk, qui hérite de sa sagesse et tue le dragon Tiamat. Un autre fils est Dumuzi-abzu, le « Fils fidèle des Eaux nouvelles », le Pasteur, dont le nom, sous sa forme sémitique, est Tammuz, bien connu comme le « dieu mourant » de la végétation ; il est à maints égards comparable à Soma et, en tant que « Seigneur du Royaume des morts », à Yama. Les autres rapprochements que l’on peut faire avec les divinités sumériennes sont trop nombreux et trop complexes pour pouvoir être convenablement traités ici (29). Il suffira d’avoir montré la large diffusion et l’ancienne origine de la figure de Khwâjâ Khizr, telle qu’on la rencontre dans l’ancienne iconographie de la Perse et de l’Inde. A propos de l’art mughal, on peut citer la remarque de H. Goetz qui, étudiant les osurces de cet art, observe qu’il offre, « tantôt une identité absolue, tantôt une parenté très étroite avec les arts des grandes civilisations de l’Ancien Orient, et notamment de l’époque sumérienne classique » (teils absolute Identitât teils engste Verwabdtschaft mit solchen der grossen altorientalischen Kulturen, und zwar zu gut Teilen schon der klassischen sumerischen Zeit) (30). Que la figure de Khizr acquière une certaine indépendance et une certaine prédominance justement dans l’art mughal du XVIIIe siècle – toutes les représentations indiennes que nous en avons vues  étaient dans le « style de Lucknow » – semble indiquer qu’une renaissance de son culte a eu lieu à cette époque et dans cette région, surtout si l’on tient compte d’un autre fait, à savoir l’adoption du poisson comme emblème royal des princes d’Oudh.
 
Nous n’avons envisagé ici qu’un des aspects d’al-Khadir ; il en existe d’autres, notamment celui qui se rapporte plus proprement à son rôle initiatique. Ces autres aspects sont, bien entendu, en parfaite harmonie avec le premier ; mais ils donneraient lieu à de nouvelles considérations qui ne pourraient rentrer dans les limites de cette étude.
 
[Ananda K. Coomaraswamy, Etudes Traditionnelles, N°224-225, août-septembre 1938, Numéro spécial sur le Soufisme.]

 
 
ANNEXE :

Extraits de correspondances de René Guénon avec Ananda K. Coomaraswamy concernant l’« article d’El-Khidr ».
 
Le Caire, 5 novembre 1936.
 
« Votre étude sur « Khwaja Khadir » (ici, nous disons « Seyidna El-Khidr ») est très intéressante, et les rapprochements que vous y avez signalés sont tout à fait justes au point de vue symbolique ; mais ce que je puis vous assurer, c’est qu’il y là dedans bien autre chose encore que de simples « légendes ». J’aurais beaucoup de choses à dire là dessus, mais il est douteux que je les écrive jamais, car, en fait, ce sujet est un de ceux qui me touchent un peu trop directement... – Permettez moi une petite rectification : El-Khidr n’est pas précisément « identifié » aux Prophètes Idris, Ilyâs, Girgis (st Georges) – (bien que naturellement, en un certain sens, tous les Prophètes soient « un ») ; ils sont seulement considérés comme appartenant à un même Ciel (celui du Soleil). »
 
Le Caire, 6 février 1938.
 
Le numéro spécial des « E.T. » de cette année (août-septembre) sera très probablement consacré à la tradition islamique ; à ce propos, j’aurais encore une demande à vous adresser : pourriez-vous nous donner pour ce numéro votre article sur El-Khidr, en le complétant par certaines considérations qui, comme vous me l’avez dit, n’auraient pas été à leur place dans la revue où il a été publié primitivement, mais qui seraient au contraire tout à fait appropriées pour les « E.T. » ? Si cela était possible, j’en serais d’autant plus heureux que, de divers côtés, on réclame depuis longtemps déjà quelque chose sur ce sujet, mais que, pour bien des raisons, je préférerais qu’il soit traité par quelqu’un d’autre que moi...
 
Le Caire, 11 mars 1938.
 
Quand à l’article sur El-Khidr, j’espère que, malgré ce que vous en dites, vous voudrez bien vous décider à nous le donner tout de même ; il va de soi, d’ailleurs, qu’il ne s’agit pas de traiter la question d’une façon complète, ce qui est une chose tout à fait impossible. Je vais tâcher de voir quelles indications je pourrais vous suggérer sur certains points ; naturellement, il sera tout à fait inutile de mentionner que cela vient de moi...
 
Le Caire, 1er juin 1938.
 
Je viens de m’occuper de votre article d’El-Khidr aujourd’hui même ; et, tout d’abord, je dois dire que, contrairement à ce que vous pensiez, je ne le trouve pas trop long ainsi ; en effet, il s’agit d’un numéro spécial qui est pour deux mois (août-septembre), et qui doit avoir normalement un nombre de page à peu près double de celui d’un numéro ordinaire. D’autre part, il serait intéressant de pouvoir reproduire, comme illustration, les fig. 1 et 2 ; pensez-vous que ce soit possible malgré la réduction nécessitée par le format de la revue ? On supprimerait seulement la fig. 3 (et aussi, par conséquent le renvoi qui y est fait dans le texte, vers le milieu de la p. 178). – Pour le titre, il me semble qu’il serait suffisant de mettre: « Khwaja Khadir and the Fountain of Life », sans ajouter la suite, étant donné que ce n’est pas sur le côté « artistique » de la question qu’il y à lieu d’attirer plus spécialement l’attention.
 
Quant à l’article lui-même, après y avoir encore réfléchi, je trouve qu’en définitive il serait difficile d’y faire des adjonctions sans que cela entraîne beaucoup trop loin. Il vaudrait donc mieux le laisser à peu près tel qu’il est, en modifiant seulement ce qui risquait de soulever certaines objections ou d’être interprété dans un sens qui serait en désaccord avec l’orthodoxie islamique. Je puis dire que j’ai examiné attentivement chaque mot à ce point de vue, et voici les modifications que je me permets de vous proposer :
 
« P. 173 ». – Au début : « In India the Saint and Prophet known as...», et après « Raja Kidar » ajouter entre parenthèse : « (in arabic, Seyidna El-Khidr) ».
 
Note 1: « In accordance with the meaning of his name, from « akhdar », « green ». »
 
Au commencement du 2ème paragraphe: «The nature and fonctions of Khwaja Khidr can be inferred at least partly, from his iconography...»
 
« P. 176». - Au début: « He is the gardian of the Water of Life and corresponds in this respect to Soma and Gandharva in Vedic mythology and even to Varuna himself thought it is evident that he cannot, either from the Islamic or from the latter Hindou point of vue, be properly identified with « deity », he is none the less, the direct expression or manifestation of a high spiritual power. We shall find these general conclusion amply confirmed by further examination of the Islamic text concerning al-Khadir.»
 
Ligne 6, remplacer « The legend » par « The narration ».
 
Supprimer la note 12, car « Bahrain » est ici simplement le duel de « bahr », « mer », et n’a pas de rapport avec l’île qui porte ce nom ; l’expression « Madjmâ al-Bahrain » signifie exactement « réunion des deux mers ».
 
Ligne 10 : « this story can be compared with three other ones belonging to older traditions, the Gilgamesh epic, ...»
 
Note 13, au début, supprimer « Islamic Legend ».
 
Ligne 25, supprimez « in human form ».
 
« P. 177 ». - Note 18 : « The prophet Elias, who is considered as belonging to the « spiritual family » of Khizr.» (Leur identification, en effet, n’est qu’une interprétation inexacte des orientalistes.)
 
« P. 178 ». - A la fin du 1er paragraphe, on pourrait ajouter une note en référence à mon article « Quelques aspects du symbolisme du poisson » (numéro de février 1936), dans lequel j’ai parlé précisément de ce dont il s’agit à cet endroit.
 
Ligne 31: « That Andreas here is a distortion of the Idris... »
 
Ligne 32: « Whom Islamic tradition identifies with Enoch and Hiram and considers, like Ilyas and also Saint George, as having a close spiritual affinity with al-Khadir.»
 
« P. 181 ». - Au début: « As to the ressemblance between al-Khadir and Saint George, it is in this connection...»
 
Ligne 11: « To some European parallels » et supprimer la fin de la phrase.
 
Lignes 13-14: Supprimez « Khadir belongs to the Wandering Jew type ». (Cette phrase ne pourrait être conservée qu’à la condition d’être suivie de longues explications, car elle soulève une question « dangereuse » et qu’il est préférable d’éviter, surtout à cause du roman de Gustav Meyrinck, « le Visage Vert » qui utilise cette assimilation d’un bout à l’autre, mais en la présentant d’une façon caricaturale, et dont l’inspiration est nettement « contre-initiatique »).
 
Ligne 33: « All these iconographical types...»
 
J’espère que vous voudrez bien accepter ces modifications, qui sont toutes importantes, bien que les raisons de quelques-unes d’entre elles ne soient peut être évidentes que pour quelqu’un qui vit dans un milieu strictement islamique...
En outre, il serait peut être bon d’ajouter à la fin quelques lignes dont le sens serait à peu près celui-ci: « Nous n’avons envisagé ici qu’un des aspects d’Al-Khadir; il est bien entendu qu’il en est d’autres, notamment celui qui se rapporte le plus proprement à son rôle initiatique, qui sont d’ailleurs en parfaite harmonie avec celui là, mais qui donneraient lieu à d’autres considérations qui ne pouvaient rentrer dans les limites de cette étude. »
 
J’espère que vous aurez encore un exemplaire disponible, sur lequel les corrections pourraient être faites facilement, ce qui vous éviterait la peine d’une copie (et aussi à cause des illustrations). Je vous prierai lorsque ce sera fait, de vouloir bien l’envoyer directement à M. Préau, afin d’éviter tout retard, car il faudra naturellement qu’il ait le temps voulu pour le traduire.
 
Je pense n’avoir oublié aucune indication, et je vous remercie bien vivement à l’avance pour tout cela.

(1) En conformité avec la signification de son nom, qui est dérivé de akhdar, « vert ».
(2) Safîdam, probablement une corruption de sarpa-damana, « domptage du serpent ». Au sujet de la légende de Niwal Daî, cf. Temple, Legends of the Panjab, I, 414-418 et 419.
(3) Descendant de Pandu, le père ou le grand-père des héros célèbres du Mahâbhârata.
(4) Généralement Sanjâ (dérivé peut-être du sanscrit samjna). Ce prêtre (brâhmana), qui sert Vâsuki, mais agit contre lui, fait penser à Vishwarûpa, qui est appelé le purohita (prêtre familial) des Anges (Taittirîya-samhitâ, II, 5, 1), et à Ushan Kâvya, qui est dit le purohita des Titans (Panchavimsha-brâhmana, VII, 5, 20), mais qui est gagné au parti des Anges et passe de leur côté.
(5) Il est difficile d’admettre comme « correcte » la localisation de la source dans les domaines de Parikshit (elle est, en réalité, à la frontière des deux mondes, dans une forêt également accessible à Vâsuki et à Parikshît), mais nous ferons observer que les eaux ne sont pas seulement protégées par leur épais revêtement de pierre, mais qu’elles sont soumises à la volonté de Khizr, qu’elles ne sont pas des eaux « courantes ». Nombreux sont les équivalents vêdiques de la « lourde pierre » qui empêche d’accéder aux eaux, par exemple dans le Rig-Vêda : apihitâni ashnâ (IV, 28, 5), adrim achyatam (IV, 17, 5), apah adrim (IV, 16, 8), dridhram ubdham adrim (IV, 1, 15), paridhim adrim (IV, 16, 8) ; lorsque l’obstacle de pierre est brisé, alors « les eaux coulent du rocher fécond » (srinvantv apah… babrihanasya adrêh, Rig-Vêda, V, 41, 12). Cf. Shatapatha-brâhmana, IX, 1, 2, 4, en connexion avec la consécration de l’autel, laquelle commence « à partir du rocher », car c’est du rocher que sourdent les eaux (ashmano hy apah prabhavanti). Dans la ballade, Vâsuki correspond à Ahi (Vritra), qui est frappé par Indra, mais qui « continue à grandir dans une obscurité sans soleil » (Rig-Vêda, V, 22, 6).
(6) Dans le récit ci-dessus résumé, il est facile de reconnaître le conflit des Anges et des Titans (dévas et asuras), d’Indra et d’Ahi-Vitra, thème qui fait partie du « mythe de la création ». L’enlèvement de Niwal Daî est celui de Vâch (la parole) (cf. Rig-Vêda, I, 130, où Indra « enlève la Parole », vâcam mushâyatî) ; Khwâjâ Khizr, le maître des eaux (les « rivières de vie » vêdiques, est Varuna).
(7) Mughal : « mogol ». Il s’agit de l’art, autrefois appelé improprement, « indo-persan » qui a fleuri dans l’Inde à la cour des princes mogols pendant les XVIe et XVIIe et XVIIIe siècles.
(8) E. G. Blochet, Peintures hindoues de la Bibliothèque Nationale, Paris, 1926, pl. V et XXIII.
(9) Le monde sous-marin, la demeure de la race des Serpents (ahi nâga), l’ « origine aquatique » (yonim apyam, Rig-Vêda, II, 38, 8) de Varuna se trouve « dans les ténèbres de l’Ouest » (apâchinê tamasi, ibid., VI, 6, 4) ; elle n’est pas éclairée par le Soleil est « au-delà du Faucon » (Jaiminîya-brâhmana, III, 268) ; mais le resplendissement des Eaux est éternel (ahar ahar yâti aktur apâm, Rig-Vêda, II, 30, 1).
(10) Shaikh Chilli, Folk tales of Hindusian, Allahâbad, 1913, p.130 et suiv., avec une peinture moderne de Khwâjâ Khizr, représenté comme un vieillard bénissant Mahbûb (pl. XXXIII). L’histoire du prince Mahbûb est essentiellement la relation de la « Queste du Graal » menée à bonne fin par un héros solaire, le fils d’une mère veuve élevé, loin du monde et dans l’ignorance innocente de son vrai caractère, comme dans le cycle de Parsifal. Mahbûb correspond à l’Agni et Sûrya vêdique. Kassab (l’usurpateur) à Indra.
(11) Apsarâs, vierges du Graal.
(12) Les « femmes qui se lamentent » et l’ « inconscience semblable à la mort » du Roi Pêcheur sont des traits essentiels du mythe du Graal.
(13) Equivalent au sanscrit mâyin, « magicien », désignation spécialement applicable aux titans et, à titre secondaire, aux anges principaux, particulièrement à Agni. Les « ancêtres » représentent les héros solaires des cycles précédents.
(14) La « Queste du Graal » est achevée.
(15) Pour les autres récits semblables et références diverses, cf. l’Encyclopedia of Islam, s.v. Idris, al-Khadir et Khwadja Khidr ; Warner, Shah Nama of Firadausi, VI, 74-78 et 159-162 ; Hopkins, « The Fountain of Youth », JAOS, XXVI ; Barnett, « Yama, Gandharva and Glaucus », Bull. Sch. Or.Studies, IV ; Grierson, Bihar Peasant Life, p.40-43 ; Garcin de Tassy, Mémoire sur des particularités de la religion musulmane dans l’Inde ; Wûnsche, Die Sagen von Lebensbaum und Lebenswasser, Leipzig, 1905 ; Friedländer, Die Chadhirlegende und der Alexander Roman, Leipzig, 1913.
(16) Cf. Barnett, loc. cit., p. 708-710.
(17) Cf. Rig-Vêda, VII, 6, 4 et 7, où Agni est dit ramener les Vierges (les rivières de vie), à l’est des « Ténèbres de l’Ouest » (apâchinê tamasî) et rapporter les « trésors de la terre » (budhnya vasûni), « lorsque le Soleil se lève » (uditâ sûryasya).
(18) Le royaume d’al-Khadir est connu sous le nom de Yûh, qui est aussi un nom du Soleil ; c’est là qu’al-Khadir règne sur les saints et les anges. Il est situé à l’Extrême-Septentrion ; c’est un « Paradis terrestre », une portion du monde humain qui n’a pas été affecté par la chute d’Adam et la malédiction qui l’a suivie (cf. Nicholson, Studies in Islamic Mysticism, pp.82, 124).
(19) D’après Umârah, Khizr est « vert » parce que la terre devient verte au contact de ses pieds.
(20) Khazra, « verdure » ou « ciel ».
(21) Le prophète Elie, qui est considéré comme appartenant à la « famille spirituelle » de Khizr.
(22) Cf. Iskender Nâme, LXIX, 57 : « la verdure croit plus abondamment près de la fontaine » ibid., 22, la source est décrite comme « une fontaine de lumière », ce qui correspond à Vendidâd, fargad XXI, d’après lequel la lumière et l’eau procèdent d’une source commune : cf. aussi le soma vêdique, qui est à la fois lumière et vie, une plante et un liquide (amrita, l’Eau de Vie, Cf. Barnett, loc. cit. p. 05, note 1).
(23) Dans le Baghavad-Gitâ (X, 31, Krishna est appelé « le makara des jhashas (jashânâm makarah) ; le makarah est ainsi regardé comme le plus important des jhashas ou monstres des profondeurs. Le mot makara se rencontre pour la première fois dans la Vajasanêyi-samhitâ, XXIV, 3, 5, shushumâra dans le Rig-Vêda, I, 116, 18. Pour une étude plus complète du makara dans l’iconographie indienne (particulièrement comme véhicule de Varuna et bannière de Kâmadêva), voir mon étude sur les Yakshas, II, 47, et suiv. et les références qui y sont indiquées. Le véhicule du « poisson », signifie, bien entendu, que la divinité considérée, n’est pas soumise aux conditions du mouvement local, dans l’Océan illimité de la possibilité universelle, de même que les ailes indiquent une indépendance analogue et « angélique » dans les mondes manifestés. Nous avons examiné en détail la signification de Sharkara (littéralement : « la pierre »), terme très important par sa relation avec la porte solaire des mondes, dans une étude intitulée Svayamâtrnâ : Janus Coeli, qui doit paraître comme un appendice de la nouvelle revue roumaine Zalmoxis.
(24) Voir aussi, sur cette question, René Guénon, Quelques aspects sur le symbolisme du poisson dans les Etudes Traditionnelles, n° de février 1936.
(25) Sarre et Herzfeld, Archäologische Reise im Euphrat und Tigrisgebiet, vol. I, pp. 13 et 37-38, Berlin, 1911.
(26) Annual Report, Archaeological Department, Nizam’s Dominions, 1929-1930(1933), p.17, pl.ii.b.
(27) Voir mon étude sur les Yakshas, II.
(28) Par exemple, dans le baptistère de la Ravenne (Berchem et Clouzot, fig. lii et 220) ; là, Jourdain tient un vas d’où coulent les eaux.
(29) Au sujet des divinités sémitiques, cf. S. H. Langdon, Semitic Mythology, ch. II, pour le vase dont l’eau découle, etc. Van Buren, The Flowing Vase and the God with Streams, Berlin, 1933, et, pour ce qui concerne l’Inde, mon étude Yashkas, II. Au sujet des rapports iconographiques entre les représentations asiatiques du vase rempli et les représentations chrétiennes du vaisseau du Graal, cf. Gosse, Recherches sur quelques représentations Vase Eucharistique, Genève, 1894.
(30) Bilderatlas zur Kulturgeschichte Indiens in der Grossmoghul-Zeit, 1930, p.71.

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