jeudi 28 février 2013

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 43 - Dans la variété des traces et le changement des états j 'ai reconnu Ton intention à mon égard, celle de Te montrer à moi en toutes choses pour que je ne T'ignore en aucune chose.






 
 



Traduit par Titus Burckhardt
Lettre 43

 
 
 
La maladie qui afflige ton coeur est une des choses qui frappent les hommes aimés de Dieu car "parmi les hommes les plus durement éprouvés sont les Prophètes, puis les saints, puis ceux qui leur ressemblent de près et de loin" ~. Ne t'attriste donc pas, car cela arrive de préférence aux hommes de sincérité et d'amour, pour les faire progresser vers leur Seigneur. Par cette souffrance, leurs coeurs se purifient et se transforment en pure essence. S'il n'y avait pas ces rencontres avec la réalité, personne n'atteindrait la connaissance de Dieu, loin de là, car "s'il n y avait par les arènes
des âmes, les coureurs ne pourraient pas s'élancer", comme il est dit dans le Hikam de Ibn 'Atâï-Llâh. On y trouve également: "Dans la variété des traces et le changement des états j 'ai reconnu Ton intention à mon égard, celle de Te montrer à moi en toutes choses pour que je ne T'ignore en aucune chose." En ce même sens, les initiés ont dit: "C'est lors des renversements qu'on distingue les hommes des hommes . Dans le Coran il est dit: 'Les gens comptent-ils donc qu'ils soient laissés (en paix) parce qu'ils disent: nous croyons, et qu'ils ne soient pas éprouvés?" (XXIX, 1).

Ecoute également ce qu' on raconte de l'attitude de ceux qui connaissent Dieu: lorsqu'il fut dit à notre Seigneur 'Umar ben 'Abdul-'Azîz (que Dieu soit satisfait de lui): Que désires-tu?", il répondit: 'Ce que Dieu décidera''. L'illustre maître, notre seigneur 'Abd al-Qâdir al-Jîlànî dit à ce sujet:
 
'Ce n'est pas à moi, si l'épreuve me visite, de m'en détourner,

Ni, si la jouissance m'inonde, de m'y abandonner;

Car je ne suis pas de ceux qui se consolent de la perte d'une chose

Par une autre; je ne veux pas me passer du Tout."

Et l'illustre maître Ibn 'Atâi-Llâh dit dans ses Hikam: "Que la douleur de l'épreuve soit allégée pour toi par ta connaissance du fait que c'est Lui, exalté soit-Il qui t'éprouve".

Il n'y a pas de doute que pour les hommes de Dieu, leur meilleur moment est celui de leur détresse, car c'est par elle qu'ils augmentent, comme dit l'illustre maître Ibn 'Atâï-Llàh dans ses Hikam : "Le meilleur de tes moments est celui où tu es conscient de ta détresse et que tu es renvoyé à ta propre impuissance... Peut-être trouveras-tu dans la détresse des bienfaits que tu n'as pu trouver ni dans la prière ni dans le jeûne." La détresse  n'est autre chose que l'intensité du besoin. Or, le maître de notre maître, al-'Arabî Ibn 'Abd-AIlàh, appelait la détresse l' "incitation", parce qu'elle incite celui qu'elle frappe de progresser dans la voie de son Seigneur. Et notre propre maître (que Dieu soit satisfait de lui) disait "Si les gens savaient ce que le besoin comporte de secrets et de bienfaits, ils n'auraient besoin que d'avoir besoin." Et il disait également que la détresse tenait lieu du Nom suprême (de Dieu). Par contre, il considérait le pouvoir comme une limitation.


D'un autre côté, nous constatons que la connaissance de Dieu écarte de nous l'épreuve, comme elle en préserva d'autres que nous et notamment les Prophètes (sur eux la prière et la paix) et les saints. Dieu, exalté soit Il, dit dans le Coran: "Nous dîmes au feu: ô feu sois fraîcheur et protection sur Abraham. Ils ont voulu lui tendre un piège, mais nous les avons fait perdre, et nous l'avons sauvé, etc." (XXI, 69-71). Dieu dit également: "Et il est dit à ceux qui
craignent (Dieu): qu'est-ce que Dieu descendit? Ils répondirent: du bien" (XVI, 30); et cela bien que Dieu ne "descende" les grandes épreuves que sur eux, par amour et par attention pour eux, ainsi qu'il est dit dans le Coran sublime: "Combien de Prophètes furent tués, etc." (III, 145), et de même:
"Si vous avez été frappé d'une plaie, (sachez que) le peuple 'fut frappé d'une plaie semblable (avant vous)" (III,140) et ainsi de suite.

Cependant, leur connaissance de Dieu et leur absorption dans la contemplation de l'infinité de Son essence les rend indifférents au bien et au mal; ils ne contemplent que leur Seigneur; de même qu'ils Le contemplent dans la jouissance, ils Le contemplent dans la douleur, puisqu'Il est à la fois Celui qui fait jouir (al mun'im) et Celui
qui châtie (al-muntaqim); ou bien: de même qu'ils Le contemplent dans le don, ils Le contemplent dans la privation, comme le dit l'illustre maître Ibn 'Atâï-Llâh dans ses Hikam: "Quand Il te donne, Il te fait contempler Sa bonté, et quand Il te prive, Il te fait contempler Sa puissance victorieuse (qahr); Il est en tout cela Celui qui se fait connaître à toi et qui t'approche par Sa clémence (lutf)". En somme, Dieu est pour eux à la fois qualifié de majesté terrible (jaldi) et de bonté (jamâl); quant à l'épreuve, ils ne la connaissent pas, et elle ne les connaît pas, puisqu'elle ne frappe que ceux qui sont sous le voile et non pas ceux pour qui le voile a été retiré, car la cause de l'épreuve c'est l'existence du voile, et la perfection de la jouissance n'est autre chose que la vision de la Face de Dieu, le Généreux. Tout ce que les coeurs éprouvent de chagrin et de tristesse ne vient que de ce qu'ils sont retranchés de la vision essentielle, ainsi qu'il
est dit dans les Hikam de Ibn 'Atâï-Llâh.
 
1 Qawm en Soufisme on désigne par ce terme les initiés.

mardi 26 février 2013

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 42 - Rapprochez-vous donc de lui par la répétition de la prière sur lui

                                                                           Dala’il al-Khayrat


Traduit par Titus Burckhardt 
Lettre 42



De même que vous nous aimez, nous vous aimons, et Dieu est garant de ce que nous disons; nous vous aimons que Dieu vous bénisse -- dans la mesure où vous vous rapprochez sans cesse de la Miséricorde divine, ou disons: dans la mesure où vous vous plongez sans cesse dans la Miséricorde divine, qui est l'essence même de l'Envoyé de Dieu sur lui la bénédiction et la paix. Rapprochez-vous donc de lui par la répétition de la prière sur lui, comme nous vous le disions avant ces jours-ci...


René Guénon contre l’ « extrême-droite » et les idéologies modernes par J-L. Gabin

 Le Porteur de Savoir 









         






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lundi 25 février 2013

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 41 - Qui n'est pas marqué par le dépouillement de sa volonté, qu'il n'espère pas de sentir l'odeur du faqr








Traduit par Titus Burckhardt

Lettre 41



Ecoute ô faqir cette histoire et retiens-la, ne l'oublie pas et raconte-la à ton heure à tes frères dans la voie.

La voici: je recevais un groupe de visiteurs, des frères qui, avant cette visite, m'avaient pris pour leur maitre dans la voie. Ils venaient de la ville de Taza (que Dieu la protège de toute calamité). Or deux de ces hommes me dirent: "Nous avons l'intention de passer par la ville de Fès (que Dieu la garde)." Je leur répondis: "Non, retournez avec vos frères, c'est mieux et plus sûr; il y a une bénédiction dans le fait de rester unis." Alors ils me dirent: "Nous voulons acheter un petit seau là-bas."

Je leur répondis: "Maintenant c'est l'heure du pèlerinage, et c'est lui qui détermine votre chemin; vous y trouverez ce qui vaut des seaux, des bocaux, des marmites et bien d'autres choses encore." Ils me demandèrent:

"Dieu est-Il en cause?"

"Il n'y a pas de doute, je leur dis, que vous devez vous dépouiller de toute volonté propre, car remettre sa volonté au maître spirituel c'est en réalité la remettre à Dieu, et c'est en cela que l'élection suprême consiste. Le maître sublime,le saint Abû Ja'far al-Haddâd, qui fut le maître de Junayd même, a dit: 'Pendant quarante ans j 'ai désiré de désirer quelque chose pour que je me prive de ce que je désire; or, je n'ai rien trouvé que je désire.' Un autre maître dit:

'Jamais Dieu ne m'a placé dans un état que j'eusse détesté, ni transféré dans un état que j'abhorre.'

Et le maître sublime Seyyidî ash-Sherîshî dit dans sa Zâiya: 'Qui n'est pas marqué par le dépouillement de sa volonté, qu'il n'espère pas de sentir l'odeur du faqr.1

Après tout cela je leur dis: "Quelqu'un a beaucoup insisté pour que je lui donne le wîrd 2 Or dès que je le lui ai donné, il me dit: 'Je veux retourner dans mon pays, ou aller dans tel pays.' Je lui répondis: 'Aussitôt arrivé aussitôt parti! Cela pouvait se passer ainsi avant que tu ne m'as pris pour maître; maintenant c'est moi qui choisis pour toi et non pas toi qui choisis pour toi-même...'"

I Al-faqr, la pauvreté spirituelle considérée ici comme la qualité par excellence du contemplatif.

2 Al-wird, l'ensemble des formules sacrées que le maître spirituel transmet au disciple avec son autorisation de les réciter.






samedi 23 février 2013

René Guénon - La dégénérescence de la monnaie


 
 
 
 
 
 (René Guénon, Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, Chap. XVI : La dégénérescence de la monnaie).
 
 
Arrivé à ce point de notre exposé, il ne sera peut-être pas inutile de nous en écarter quelque peu, du moins en apparence, pour donner, ne fût-ce qu’assez sommairement, quelques indications sur une question qui peut sembler ne se rapporter qu’à un fait d’un genre très particulier, mais qui constitue un exemple frappant des résultats de la conception de la « vie ordinaire », en même temps qu’une excellente « illustration » de la façon dont celle-ci est liée au point de vue exclusivement quantitatif et qui, par ce dernier côté surtout, se rattache en réalité très directement à notre sujet. La question dont il s’agit est celle de la monnaie, et assurément, si l’on s’en tient au simple point de vue « économique » tel qu’on l’entend aujourd’hui, il semble bien que celle-ci soit quelque chose qui appartient aussi complètement que possible au « règne de la quantité » ; c’est d’ailleurs à ce titre qu’elle joue, dans la société moderne, le rôle prépondérant que l’on ne connaît que trop et sur lequel il serait évidemment superflu d’insister ; mais la vérité est que le point de vue « économique » lui-même, et la conception exclusivement quantitative de la monnaie qui lui est inhérente, ne sont que le produit d’une dégénérescence somme toute assez récente, et que la monnaie a eu à son origine et a conservé pendant longtemps un caractère tout différent et une valeur proprement qualitative, si étonnant que cela puisse paraître à la généralité de nos contemporains.

Il est une remarque qu’il est bien facile de faire, pour peu qu’on ait seulement « des yeux pour voir » : c’est que les monnaies anciennes sont littéralement couvertes de symboles traditionnels, pris même souvent parmi ceux qui présentent un sens plus particulièrement profond ; c’est ainsi qu’on a remarqué notamment que chez les Celtes, les symboles figurant sur les monnaies ne peuvent s’expliquer que si on les rapporte à des connaissances doctrinales qui étaient propres aux Druides, ce qui implique d’ailleurs une intervention directe de ceux-ci dans ce domaine ; et, bien entendu, ce qui est vrai sous ce rapport pour les Celtes l’est également pour les autres peuples de l’antiquité, en tenant compte naturellement des modalités propres de leurs organisations traditionnelles respectives. Cela s’accorde très exactement avec l’inexistence du point de vue profane dans les civilisations strictement traditionnelles : la monnaie, là où elle existait, ne pouvait elle-même pas être la chose profane qu’elle est devenue plus tard; et si elle l’avait été, comment s’expliquerait ici l’intervention d’une autorité spirituelle qui évidemment n’aurait rien eu à y voir, et comment aussi pourrait-on comprendre que diverses traditions parlent de la monnaie comme de quelque chose qui est véritablement chargé d’une « influence spirituelle », dont l’action pouvait effectivement s’exercer par le moyen des symboles qui en constituaient le « support » normal ? Ajoutons que, jusqu’en des temps très récents, on pouvait encore trouver un dernier vestige de cette notion dans des devises de caractère religieux, qui n’avaient assurément plus de valeur proprement symbolique, mais qui étaient du moins comme un rappel de l’idée traditionnelle désormais plus ou moins incomprise; mais après avoir été, en certains pays, reléguées autour de la « tranche » des monnaies, ces devises mêmes ont fini par disparaître complètement, et, en effet, elles n’avaient aucune raison d’être dès lors que la monnaie ne représentait plus rien d’autre qu’un signe d’ordre uniquement « matériel » et quantitatif.

Le contrôle de l’autorité spirituelle sur la monnaie, sous quelque forme qu’il se soit exercé, n’est d’ailleurs pas un fait limité exclusivement à l’antiquité, et sans sortir du monde occidental il y a bien des indices qui montrent qu’il a dû s’y perpétuer jusque vers la fin du moyen âge, c’est-à-dire tant que ce monde a possédé une civilisation traditionnelle. On ne pourrait en effet s’expliquer autrement que certains souverains, à cette époque, aient été accusés d’avoir « altéré les monnaies » ; si leurs contemporains leur en firent un crime, il faut conclure de là qu’ils n’avaient pas la libre disposition du titre de la monnaie et que, en le changeant de leur propre initiative, ils dépassaient les droits reconnus au pouvoir temporel (1). Dans tout autre cas, une telle accusation aurait été évidemment dépourvue de sens ; le titre de la monnaie n’aurait d’ailleurs eu alors qu’une importance toute conventionnelle et, en somme, peu aurait importé qu’elle fût constituée par un métal quelconque et variable, ou même remplacée par un simple papier comme elle l’est en grande partie de nos jours, car cela n’aurait pas empêché qu’on pût continuer à en faire exactement le même usage « matériel ». Il fallait donc qu’il y eût là quelque chose d’un autre ordre, et nous pouvons dire d’un ordre supérieur, car ce n’est que par là que cette altération pouvait revêtir un caractère de si exceptionnelle gravité qu’elle allait jusqu’à compromettre la stabilité même de la puissance royale parce que, en agissant ainsi, celle-ci usurpait les prérogatives de l’autorité spirituelle qui est, en définitive, l’unique source authentique de toute légitimité ; et c’est ainsi que ces faits, que les historiens profanes ne semblent guère comprendre, concourent encore à indiquer très nettement que la question de la monnaie avait, au moyen âge aussi bien que dans l’antiquité, des aspects tout à fait ignorés des modernes.

Il est donc arrivé là ce qui est arrivé généralement pour toutes les choses qui jouent, à un titre ou à un autre, un rôle dans l’existence humaine : ces choses ont été dépouillées peu à peu de tout caractère « sacré » ou traditionnel, et c’est ainsi que cette existence même, dans son ensemble, est devenue toute profane et s’est trouvée finalement réduite à la basse médiocrité de la « vie ordinaire » telle qu’elle se présente aujourd’hui. En même temps, l’exemple de la monnaie montre bien que cette « profanisation », s’il est permis d’employer un tel néologisme, s’opère principalement par la réduction des choses à leur seul aspect quantitatif ; en fait, on a fini par ne plus même pouvoir concevoir que la monnaie soit autre chose que la représentation d’une quantité pure et simple ; mais si ce cas est particulièrement net à cet égard, parce qu’il est en quelque sorte poussé jusqu’à l’extrême exagération, il est bien loin d’être le seul où une telle réduction apparaisse comme contribuant à enfermer l’existence dans l’horizon borné du point de vue profane. Ce que nous avons dit du caractère quantitatif par excellence de l’industrie moderne et de tout ce qui s’y rapporte permet de le comprendre suffisamment : en entourant constamment l’homme des produits de cette industrie, en ne lui permettant pour ainsi dire plus de voir autre chose (sauf, comme dans les musées par exemple, à titre de simples « curiosités » n’ayant aucun rapport avec les circonstances « réelles » de sa vie, ni par conséquent aucune influence effective sur celle-ci), on le contraint véritablement à s’enfermer dans le cercle étroit de la « vie ordinaire » comme dans une prison sans issue. Dans une civilisation traditionnelle, au contraire, chaque objet, en même temps qu’il était aussi parfaitement approprié que possible à l’usage auquel il était immédiatement destiné, était fait de telle façon qu’il pouvait à chaque instant, et du fait même qu’on en faisait réellement usage (au lieu de le traiter en quelque sorte comme une chose morte ainsi que le font les modernes pour tout ce qu’ils considèrent comme des « œuvres d’art »), servir de « support » de méditation reliant l’individu à quelque chose d’autre que la simple modalité corporelle, et aidant ainsi chacun à s’élever à un état supérieur selon la mesure de ses capacités (2) ; quel abîme entre ces deux conceptions de l’existence humaine Cette dégénérescence qualitative de toutes choses est d’ailleurs étroitement liée à celle de la monnaie, comme le montre le fait qu’on en est arrivé à n’« estimer » couramment un objet que par son prix, considéré uniquement comme un « chiffre », une « somme » ou une quantité numérique de monnaie ; en fait, chez la plupart de nos contemporains, tout jugement porté sur un objet se base presque toujours exclusivement sur ce qu’il coûte. Nous avons souligné le mot « estimer », en raison de ce qu’il a en lui-même un double sens qualitatif et quantitatif; aujourd’hui, on a perdu de vue le premier sens ou, ce qui revient au même, on a trouvé moyen de le réduire au second, et c’est ainsi que non seulement on « estime » un objet d’après son prix, mais aussi un homme d’après sa richesse (3). La même chose est arrivée aussi, tout naturellement, pour le mot « valeur » et, remarquons-le en passant, c’est là-dessus que se fonde le curieux abus qu’en font certains philosophes récents, qui ont même été jusqu’à inventer, pour caractériser leurs théories, l’expression de « philosophie des valeurs » ; au fond de leur pensée, il y a l’idée que toute chose, à quelque ordre qu’elle se rapporte, est susceptible d’être conçue quantitativement et exprimée numériquement ; et le « moralisme », qui est d’autre part leur préoccupation dominante, se trouve par là associé directement au point de vue quantitatif (4). Ces exemples montrent aussi qu’il y a une véritable dégénérescence du langage, accompagnant ou suivant inévitablement celle de toutes choses; en effet, dans un monde où l’on s’efforce de tout réduire à la quantité, il faut évidemment se servir d’un langage qui lui-même n’évoque plus que des idées purement quantitatives.
 
                         Le billet de 100.000 Milliards ZWD ...qui vaut 5 dollars US...
 

Pour en revenir plus spécialement à la question de la monnaie, nous devons encore ajouter qu’il s’est produit à cet égard un phénomène qui est bien digne de remarque: c’est que, depuis que la monnaie a perdu toute garantie d’ordre supérieur, elle a vu sa valeur quantitative elle-même, ou ce que le jargon des « économistes » appelle son « pouvoir d’achat », aller sans cesse en diminuant, si bien qu’on peut concevoir que, à une limite dont on s’approche de plus en plus, elle aura perdu toute raison d’être, même simplement « pratique » ou « matérielle », et elle devra disparaître comme d’elle-même de l’existence humaine. On conviendra qu’il y a là un étrange retour des choses, qui se comprend d’ailleurs sans peine par ce que nous avons exposé précédemment : la quantité pure étant proprement au-dessous de toute existence, on ne peut, quand on pousse la réduction à l’extrême comme dans le cas de la monnaie (plus frappant que tout autre parce qu’on y est déjà presque arrivé à la limite), aboutir qu’à une véritable dissolution. Cela peut déjà servir à montrer que, comme nous le disions plus haut, la sécurité de la « vie ordinaire » est en réalité quelque chose de bien précaire, et nous verrons aussi par la suite qu’elle l’est encore à beaucoup d’autres égards; mais la conclusion qui s’en dégagera sera toujours la même en définitive : le terme réel de la tendance qui entraîne les hommes et les choses vers la quantité pure ne peut être que la dissolution finale du monde actuel.

(1) Voir Autorité spirituelle et pouvoir temporel, p. 111, où nous nous sommes référé plus spécialement au cas de Philippe le Bel, et où nous avons suggéré la possibilité d'un rapport assez étroit entre la destruction de l'Ordre du Temple et l'altération des monnaies, ce qui se comprendrait sans peine si l'on admettait, comme au moins très vraisemblable, que l'Ordre du Temple avait alors, entre autres fonctions, celle d'exercer le contrôle spirituel dans ce domaine ; nous n'y insisterons pas davantage, mais nous rappellerons que c'est précisément à ce moment que nous estimons pouvoir faire remonter les débuts de la déviation moderne proprement dite.

(2) On pourra, sur ce sujet, consulter de nombreuses études de A. K. Coomaraswamy, qui l'a abondamment développé et « illustré » sous toutes ses faces et avec toutes les précisions nécessaires.

(3) Les Américains sont allés si loin en ce sens qu'ils disent communément qu'un homme « vaut » telle somme, voulant indiquer par là le chiffre auquel s'élève sa fortune; ils disent aussi, non pas qu'un homme réussit dans ses affaires, mais qu'il « est un succès », ce qui revient à identifier complètement l'individu à ses gains matériels !

(4) Cette association n'est d'ailleurs pas une chose entièrement nouvelle, car elle remonte en fait jusqu'à l'« arithmétique morale » de Bentham, qui date de la fin du XVIIIe siècle.

 

(René Guénon, Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, Chap. XVI : La dégénérescence de la monnaie).

 

mercredi 20 février 2013

Des règles de bienséance à observer lors d’une invocation - Par l’Imam An-Nawawî1


 

Source :  Le livre des Invocations, de l’imam al-Nawawi , traduit de M. Al-Fâtih, édition entièrement revue et corrigée par Sheykh Abd-Allah Penot, éditions Alif – En nour », pages 492 à 495.

 

Sache tout d’abord que, de l’avis d’une majorité de juristes, de traditionnistes et de savants des différentes écoles, tant parmi les Anciens que parmi leurs successeurs –que Dieu soit satisfait d’eux-, l’invocation est recommandée. En effet, Allâh -exalté soit-Il- a dit : « Votre Seigneur a dit : "Invoquez-moi et Je vous exaucerai." » [2]

Il a dit également : « Invoquez votre seigneur en toute humilité et en secret (ou intérieurement) » [3]

les autres versets présentant un sens analogue sont bien connus. Quant aux hadîths authentiques portant sur le sujet, ils sont eux aussi trop connus pour les mentionner ici. Nous en avons d’ailleurs suffisamment cité au chapitre relatif aux invocations. Et c’est Allâh qui accorde la réussite.

Nous extrayons ce passage de la « Risâla » de l’imâm abû al-Qâsim al-Qushayrî –que Allâh soit satisfait de lui- :

« Les hommes ont toujours divergé pour savoir s’il valait mieux invoquer [Allâh dans les moments difficiles] ou observer un mutisme satisfait ? Les uns estiment que l’invocation est une servitude en vertu du hadîth précédemment cité : L’invocation est l’essentiel de l’adoration, et aussi parce-que l’invocation est l’expression de son indigence à l’égard de Allâh -exalté soit-Il-. D’autres estiment que le mutisme et la soumission devant l’accomplissement des décrets divins est plus parfait, et qu’il vaut mieux, de ce fait, se contenter des dispositions prises par le destin. D’autres estiment, encore que pour satisfaire aux deux exigences, le fidèle devrait invoquer Allâh de sa bouche tout en gardant son cœur satisfait [du décret divin]. »

Selon al-Qushayrî, l’attitude la plus satisfaite est de tenir compte de la situation : l’invocation peut être en effet préférable au silence à certains moments, et cela en conformité avec la bienséance spirituelle alors qu’à d’autres moments c’est le silence qui sera préférable, en vertu de cette même bienséance. Tout ceci est fonction de l’instant : si le cœur du fidèle l’incline à l’invocation, c’est que celle-ci est alors préférable, mais si son cœur aspire au silence, c’est que celui-ci est plus parfait.

Ce que l’on peut dire avec certitude c’est que lorsque l’invocation est profitable aux musulmans, ou lorsqu’elle a un rapport avec un droit divin, elle est préférable, car elle constitue un acte d’adoration ; mais dès lors qu’il s’agit de droits individuels, le silence est plus parfait. En dehors de cela, la première des conditions qui prélude à l’invocation, est de ne se nourrir que de ce qui est licite.

On rapporte que Yahya b. Mu’âdh al-Râzî -que Allâh soit satisfait de lui- disait : « Comment pourrai-je T’invoquer moi qui suis un pécheur ? Et comment ne pas T’invoquer, Toi qui es le Généreux ? »

Parmi les règles de bienséance propres à l’invocation, la présence du cœur en est une des plus importantes. Nous allons indiquer, si Allâh le veut, les fondements scripturaires de cette règle. Selon certains savants, le but de l’invocation est de faire montre de son indigence, car Allâh  -glorifié et exalté soit-Il- fait ce qu’Il veut [c’est-à-dire que les invocations ont davantage pour objet de faire état de sa dépendance à l’égard de Allâh que d’obtenir quelque chose].

L’imâm abû Hâmid al-Ghâzalî précise pour sa part dans son « Ihyâ’ » que les règles de bienséance en matière d’invocation sont au nombre de dix :

* La première consiste à guetter les moments propices aux invocations, tels que le jour de ‘Arafât, le mois de Ramadhân, le jour du vendredi, le dernier tiers de la nuit ou le début de l’aube.

* La deuxième consiste à profiter des situations au cours desquelles les invocations sont exaucées, tels que la prosternation, le choc des armées, la tombée de pluie, la fin de la prière etc. J’ajouterai pour ma part que la disposition du cœur constitue aussi un moment privilégié.

* La troisième veut que l’on s’oriente vers la qibla, en levant les mains [au ciel] puis qu’après l’invocation, on se les passe sur le visage.

* La quatrième nous incite à ne pas hausser la voix, mais à L’invoquer à mi-voix.

* La cinquième consiste à ne pas employer d’artifices de langage au cours de l’invocation, au point qu’on a pu dire que de tels artifices portent atteinte à l’invocation. Il est même, peut-être préférable dans ce cas de recourir à des invocations traditionnelles, car il n’est pas donné à tout le monde de choisir avec bonheur les mots d’une invocation, et on peut craindre d’un ignorant qu’il prononce des formules regrettables à son insu.

 

Certains savants estiment même que puisqu’il faut invoquer [Allâh] avec humilité et en faisant montre de son indigence, à quoi bon employer des termes éloquents [à seule fin de plaire au public], voir suffisants ? On prétend du reste que les savants et les abdâls n’utilisent pas plus de sept paroles dans leurs invocations. Ceci semble confirmé par le contenu du dernier verset (286) de la sourate « La Vache » (al-Baqara) : Seigneur ne nous tiens pas rigueur. En effet, pas un des versets contenant des invocations attribuées à l’un des serviteurs de Allâh n’en contient davantage, comme on peut le constater notamment dans le trente-cinquième verset de la sourate « Ibrâhîm » : Seigneur fais de ce pays un endroit sûr …

La majorité des savants n’interdit cependant pas d’utiliser plus de sept mots, ni ne le déconseille. Et il est même recommandé de manière générale de multiplier les invocations.

* La sixième règle à observer lors d’une invocation est d’implorer [Allâh] avec crainte et humilité, en vertu de la Parole de Allâh -exalté soit-Il- : « Ils s’empressaient de faire le bien, ils Nous invoquaient avec espérance (ou : amour) et crainte, et se montraient humbles devant Nous. » [4]

Il a dit également : « Invoquez votre seigneur en toute humilité et en secret » [5]

* La septième règle veut que l’on se montre résolu dans sa demande, tout en étant certain de la réponse et en faisant montre d’un espoir sincère. Les textes qui recommandent cette attitude sont nombreux et fort connus. Sufyan b. ‘Uyayna -que Allâh lui fasse miséricorde- a dit : « Ce que l’on sait de soi-même ne doit pas nous empêcher de demander (ou d’invoquer Allâh), car Allâh -exalté soit-Il- a exaucé la pire des créatures, à savoir Iblîs lui-même, quand ce dernier Lui demanda : Seigneur, accorde moi un délai jusqu’au jour où ils seront ressuscités. Allâh [lui] répondit : oui, ce délai t’est accordé (litt. Tu es de ceux qui sont attendus ! ). » [6]

* La huitième veut que l’on se montre insistant dans ses invocations, sans cependant les répéter plus de trois fois ni les trouver longues à être exaucées.

* La neuvième consiste à introduire son invocation par la mention de Allâh -exalté soit-Il- et j’ajouterai, pour ma part, de faire suivre cette invocation d’une demande de grâce [ou d’une prière : salât] sur l’Envoyé de Allâh -que Allâh lui accorde la grâce et la paix- précédée d’une louange adressée à Allâh -exalté soit-Il- puis de terminer l’invocation de la même manière.

* Et la dixième règle, la plus importante, est fondamentale pour espérer être exaucé : [avant de L’invoquer}, il faut tout d’abord se repentir, réparer les torts causés à autrui et tourner son cœur vers Allâh -exalté soit-Il-.

Al-Ghazâlî ajoute cette précision : « Si l’on me demande : à quoi donc servent les invocations, puisqu’on ne peut infléchir les décrets divins ? Je répondrais ceci : Sache que repousser le malheur par le biais de l’invocation est justement un aspect du décret divin. L’invocation, en effet, infléchit le malheur et appelle la miséricorde, de même que le bouclier préserve des armes et que l’eau fait pousser les plantes. Ainsi, tout comme le bouclier repousse la flèche et qu’ils se repoussent l’un l’autre, de même l’invocation a pour vocation de repousser les épreuves. Porter les armes n’implique pas une méconnaissance du décret divin, puisque Allâh -exalté soit-Il- a dit :« Qu’ils soient sur leurs garde et prennent leurs armes ! » [7] Allâh – exalté soit-Il – a à la fois prédestiné toute chose et la cause de toute chose. En outre l’invocation favorise le recueillement et la concentration du cœur, et fait naître chez le fidèle un sentiment d’indigence, ce qui constitue l’essence de l’adoration et de la connaissance. »

Notes :

[1] Réf : « Le livre des Invocations, de l’imam al-Nawawi , traduit de M. Al-Fâtih, édition entièrement revue et corrigée par Sheykh Abd-Allah Penot, éditions Alif – En nour », pages 492 à 495.

[2] Qour'an, s40/v60

[3] Qour'an, s7/v55

[4] Qour'an, s21/v90

[5] Qour'an, s7/v55

[6] Qour'an, s7/v14 et 15

[7] Qour'an, s4/v102

 

 

L’Imâm Abû Al-Qâsim Al-Qushayrî


 
 
 
 
Expert en science du Hadith et porte-parole de la discipline du tasawwuf à son époque, l’Imâm Al-Qushayrî composa sa célèbre Epître où il synthétisa les fondements de la voie du cheminement vers Dieu et y compila des éléments biographiques et des paroles de célèbres soufis, décrivant la voie des maîtres éducateurs dans toute son authenticité, loin des déviances des intrus et des faux-prétendants à cette discipline. Son ouvrage demeure l’un des manuels du tasawwuf les plus prisés.

Enfance et apprentissage

L’Imâm Abû Al-Qâsim `Abd Al-Karîm Ibn Hawâzin Ibn `Abd Al-Malik Ibn Talhah Ibn Muhammad Al-Qushayrî An-Naysabûrî Ash-Shâfi`î naquit en 375 A.H. (986 E.C.) dans un village de Naysabûr au Khorasân, une région qui se trouve dans l’actuel Iran. Ayant perdu son père à un jeune âge, le jeune orphelin `Abd Al-Karîm s’initia à la littérature et à la langue arabe puis se dirigea vers Nishapur pour apprendre l’arithmétique afin de pouvoir gérer des affaires dans sa terre natale.

La Volonté divine le conduisit vers l’assemblée d’un maître soufi de renom, Sheikh Abû `Alî Ad-Daqqâq. Il sentit la quiétude, la piété et la sincérité se dégager des exhortations d’Ad-Daqqâq et son cœur fut conquis par la force de ses enseignements. Sheikh Ad-Daqqâq reconnut la disposition saine d’Al-Qushayrî, l’accepta parmi ses disciples, l’éduqua, et l’encouragea à acquérir les autres sciences islamiques, tout en suivant ses propres séances d’enseignement publiques.

L’Imâm Al-Qushayrî se forma en science du credo auprès de Abû Bakr Ibn Fûrak et Abû Ishâq Al-Isfarâyînî, en jurisprudence auprès de Abû Bakr Muhammad Ibn Bakr At-Tûsî et en science du Hadith auprès d’Abû Al-Hasan Ibn Bashrân et Abû Al-Hasan Al-Khaffâf. Il s’abreuva de tasawwuf par les soins de son Sheikh Abû `Alî Ad-Daqqâq et reçut par ailleurs la voie du tasawwuf et la science du Hadith par le biais d’As-Sulamî.

Au vu de sa droiture, de son savoir et de son observance de Dieu, le gnostique Abû `Alî Ad-Daqqâq le compta parmi ses proches disciples et lui accorda la main de sa fille Dame Fâtimah qui fut connue pour sa dévotion et sa connaissance du Hadith.

Le savant accompli et l’épreuve

Al-Qushayrî excella dans les différentes branches du savoir islamique, si bien que le Sheikh `Abd Al-Ghaffâr An-Naysâbûrî le décrivit en ces termes élogieux : « L’Imâm absolu, le juriste, l’expert en matière de credo, le fondamentaliste, l’exégète, l’homme de lettres, le grammairien, l’écrivain, le poète, la langue éloquente de son temps et le maître de son époque, un secret de Dieu parmi Ses serviteurs, un foyer de la vérité, l’emblème de la félicité, et le pôle de la noblesse. Il excella en matière de sharî`ah et de haqîqah, pratiqua les fondements selon l’Ecole d’Al-Ash`arî et la jurisprudence selon l’Ecole d’Ash-Shâfi’î. »

L’Imâm Tâj Ad-Dîn As-Subkî dit dans la notice biographique qu’il lui dédia dans Tabaqât Ash-Shâfi`iyyah Al-Kubrâ : « L’Imâm absolu, l’auteur de l’Epître qui conquit l’orient et l’occident, l’homme doué d’une bravoure qui éclaira la voie de sa félicité [...]. L’un des Imâms des musulmans par son savoir et ses œuvres, une forteresse de la religion par ses actes et ses dires, l’Imâm des Imâms, la lanterne lumineuse au cœur des ténèbres de la déviance [...] » Il dit aussi : « Ses contemporains estimèrent à l’unanimité qu’il était le maître de leur époque, le modèle de son temps, et la bénédiction des musulmans à son époque. »

L’Imâm Al-Qushayrî est aussi connu pour sa bravoure et sa défense de la voie de Ahl As-Sunnah incarnée par l’École de l’Imâm Abû Al-Hasan Al-Ash`arî. Sous le règne seldjoukide, le vizir Al-Kindarî fomenta une conspiration contre la voie de Ahl As-Sunnah à Nishapur et il fut ordonné que les Ash`arites soient insultés dans les scènes publiques et maudits du haut des minbars. Al-Qushayrî prit la défense de la voie de Ahl As-Sunnah et composa à cet effet Shikayat Ahl As-Sunnah (La plainte des Gens de la Sunnah) où il réfuta les fausses allégations attribuées a l’École Ash`arite. Al-Qushayrî fut alors maltraité et emprisonné. Ses partisans assiégèrent le quartier où se trouvait sa cellule et s’engagèrent dans une lutte armée qui aboutit à sa libération. Il dut alors fuir sa terre natale pour éviter les représailles et l’oppression du pouvoir. Dans son exil, il fut honoré par le Calife abbaside Al-Qâ’im bi Amrillâh qui lui organisa un cercle de savoir pour recueillir ses exhortations et diffuser son savoir.

Bibliographie

 La Risâlah ilâ As-Sûfiyyah (Epître aux Soufis), communément appelée Ar-Risâlah Al-Qushayriyyah, est certainement l’œuvre la plus célèbre d’Al-Qushayrî. Celle-ci constitue l’un des manuels de référence du soufisme et continue à jouir d’un prestige inégalé dans les cercles de tasawwuf et les bibliothèques islamiques. Parmi ses autres ouvrages, citons :

1. At-Taysîr fi `Ilm At-Tafsîr

L’aisance dans la science de l’exégèse

2. Latâ’if Al-Ishârât

Les signes subtiles

Un ouvrage d’exégèse ayant une coloration soufie en six volumes.

3. Kitâb Al-Qulûb

Le livre des cœurs

4. Âdâb As-Sûfiyyah

Éthique des Soufis

5. Shikâyat Ahl As-Sunnah

La plainte des Gens de la Sunnah

6. Nâsikh Al-Hadith wa Mansûkhih

L’Abrogeant et l’abrogé dans le domaine du Hadîth

7. Al-Qasîdah As-Sûfiyyah _ Poème soufi

8. Al-Haqâ’iq war-Raqâ’iq

Vérités et subtilités spirituelles

9. Risâlat Tartîb As-Sulûk

Epître du Cheminement

10. Sharh Asmâ’ Allâh Al-Husnâ

L’Interprétation des Noms Sublimes de Dieu

 

Lorsque le vizir Nidhâm Al-Mulk rétablit un équilibre des forces à Nishapur, et après la pendaison du vizir Al-Kindarî, l’Imâm Al-Qushayrî retourna à Nishapur en 456 A.H. et y expira son dernier souffle en 465 A.H. (1072 E.C.). Il fut enterré auprès de son Sheikh Abû `Alî Ad-Daqqâq, puisse Dieu leur faire miséricorde. L’Imâm Tâj Ad-Dîn As-Subkî relate que l’Imâm Al-Qushayrî avait une jument qui s’abstint de toute nourriture après son décès, elle empêcha quiconque de la monter, et mourut au bout de quelques jours.

P.-S.

Source biographique : Tabaqât Ash-Shâfi`iyyah Al-Kubrâ de l’Imâm Tâj Ad-Dîn As-Subkî.
http://www.islamophile.org/spip/

lundi 18 février 2013

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 40 - "Si quelqu'un prétend qu'on peut contempler la Beauté divine sans avoir été éduqué par la Rigueur divine, rejette-le, car c'est un Antéchrist"









Traduit par Titus Burckhardt
Lettre 40



Si tu me dis: "Notre maître, le seigneur Ibn ’Atâ’ Allâh   (que Dieu soit satisfait de lui) était large, tandis que toi tu es étroit," je te répondrai: "Il était large et il était étroit également; il était à la fois doux et rude, fort et faible, riche et pauvre; il était un océan sans rives. Sa science était plus douce que le sucre et plus amère que la coloquinte. Car il répétait toujours cette parole du saint Abûl-Muwâhib at-Tûnsi: 'Si quelqu'un prétend qu'on peut contempler la Beauté divine sans avoir été éduqué par la Rigueur divine, rejette-le, car c'est un Antéchrist (dajjdl)"'...

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 39 -"Celui qui s'attache aux vrais intermédiaires se sauve et celui qui s'oppose à eux se noie "








Traduit par Titus Burckhardt 
Lettre 39



Sachez (que Dieu vous soit miséricordieux) que les maîtres de la voie qui unissent dans leur état le ravissement (jadhb) et la méthode (sulûk) - et l'on peut également dire: l'ivresse et la sobriété - sont les vrais intermédiaires entre nous et notre Seigneur, à l'exclusion de ceux qui ne possèdent que la méthode sans être ravis ou qui sont ravis sans méthode, ou bien, en d'autres termes: ceux qui sont ivres sans sobriété ou sobres sans ivresse. Celui qui s'attache aux vrais intermédiaires se sauve, et celui qui s'oppose à eux se noie, puisque les Soufis ont dit que celui qui n'a pas de maître, a Satan pour maître...

samedi 16 février 2013

René Guénon : Et-Tawhid


 
          Dôme intérieur de la mosquée du Prophète (Saws) à Médine (Al-Masjid Al-Nabawi)
 
La doctrine de l’unité, (1) c'est-à-dire l’affirmation que le Principe de toute existence est essentiellement Un, est un point fondamental commun à toutes les traditions orthodoxes, et nous pouvons même dire que c’est sur ce point que leur identité de fond apparaît le plus nettement, se traduisant jusque dans l’expression même. En effet, lorsqu’il s’agit de l’Unité, toute diversité s’efface, et ce n’est que lorsqu’on descend vers la multiplicité que les différences de formes apparaissent, les modes d’expression étant alors multiples eux-mêmes comme ce à quoi ils se rapportent, et susceptibles de varier indéfiniment pour s’adapter aux circonstances de temps et de lieux. Mais « la doctrine de l’Unité est unique » (suivant la formule arabe : Et-Tawhîdu wâhidun), c'est-à-dire qu’elle est partout et toujours la même, invariable comme le Principe, indépendante de la multiplicité et du changement qui ne peuvent affecter que les applications d’ordre contingent.

Aussi pouvons-nous dire que, contrairement à l’opinion courante, il n’y a jamais eu nulle part aucune doctrine réellement « polythéiste », c'est-à-dire admettant une pluralité de principes absolue et irréductible. Ce « pluralisme » n’est possible que comme une déviation résultant de l’ignorance et de l’incompréhension des masses, de leur tendance à s’attacher exclusivement à la multiplicité du manifesté : de là l’ « idolâtrie » sous toutes ses formes, naissant de la confusion du symbole en lui-même avec ce qu’il est destiné à exprimer, et la personnification des attributs divins considérés comme autant d’êtres indépendants, ce qui est la seule origine possible d’un « polythéisme » de fait. Cette tendance va d’ailleurs en s’accentuant à mesure qu’on avance dans le développement d’un cycle de manifestation, parce que ce développement lui-même est une descente dans la multiplicité, et en raison de l’obscuration spirituelle qui l’accompagne inévitablement. C’est pourquoi les formes traditionnelles les plus récentes sont celles qui doivent énoncer de la façon la plus apparente à l’extérieur l’affirmation de l’Unicité ; et, en fait, cette affirmation n’est exprimée nulle part aussi explicitement et avec autant d’insistance que dans l’Islamisme où elle semble même, si l’on peut dire, absorber en elle toute autre affirmation.

La seule différence entre les doctrines traditionnelles, à cet égard est celle que nous venons d’indiquer : l’affirmation de l’Unité est partout, mais, à l’origine, elle n’avait pas même besoin d’être formulée expressément pour apparaître comme la plus évidente de toutes les vérités, car les hommes étaient alors trop près du Principe pour la méconnaître ou la perdre de vue. Maintenant au contraire, on peut dire que la plupart d’entre eux, engagés tout entiers dans la multiplicité, et ayant perdu la connaissance intuitive des vérités d’ordre supérieur, ne parviennent qu’avec peine à la compréhension de l’Unité ; et c’est pourquoi il devient peu à peu nécessaire, au cours de l’histoire de l’humanité terrestre, de formuler cette affirmation de l’Unité à maintes reprises et de plus en plus nettement, nous pourrions dire de plus en plus énergiquement.

Si nous considérons l’état actuel des choses, nous voyons que cette affirmation est en quelque sorte plus enveloppée dans certaines formes traditionnelles, qu’elle en constitue même parfois comme le côté ésotérique, en prenant ce mot dans son sens le plus large, tandis que dans d’autres, elle apparaît à tous les regards, si bien qu’on en arrive à ne plus voir qu’elle, quoiqu’il y ait assurément, là aussi, bien d’autres choses, mais qui ne sont plus que secondaires vis-à-vis de celle-là. Ce dernier cas est celui de l’Islamisme, même exotérique ; l’ésotérisme ne fait ici qu’expliquer et développer tout ce qui est contenu dans cette affirmation et toutes les conséquences qui en dérivent, et, s’il le fait en termes souvent identiques à ceux que nous rencontrons dans d’autres traditions, telles que le Vêdânta et le Taoïsme, il n’y a pas lieu de s’en étonner, ni de voir là l’effet d’emprunts qui sont historiquement contestables ; il en est ainsi simplement parce que la vérité est une, et parce que, dans cet ordre principiel, comme nous le disions au début, l’Unité se traduit nécessairement jusque dans l’expression elle-même.

D’autre part, il est à remarquer, toujours en envisageant les choses dans leur état présent, que les peuples occidentaux et plus spécialement les peuples nordiques, sont ceux qui semblent éprouver le plus de difficultés à comprendre la doctrine de l’Unité, en même temps qu’ils sont plus engagés que tous les autres dans le changement et la multiplicité. Les deux choses vont évidemment ensemble et peut-être y a-t-il là quelque chose qui tient, au moins en partie, aux conditions d’existence de ces peuples : question de tempérament, mais aussi question de climat, l’un étant d’ailleurs fonction de l’autre, au moins jusqu’à un certain point.

Dans les pays du Nord, en effet, où la lumière solaire est faible et souvent voilée, toutes choses apparaissent aux regards avec une égale valeur, si l’on peut dire, et d’une façon qui affirme purement et simplement leur existence individuelle sans rien laisser entrevoir au-delà; ainsi, dans l’expérience ordinaire elle-même, on ne voit véritablement que la multiplicité. Il en est tout autrement dans les pays où le soleil, par son rayonnement intense, absorbe pour ainsi dire toutes choses en lui-même, les faisant disparaître devant lui comme la multiplicité disparaît devant l’Unité, non qu’elle cesse d’exister selon son mode propre, mais parce que cette existence n’est rigoureusement rien au regard du Principe. Ainsi, l’Unité devient en quelque sorte sensible : ce flamboiement solaire, c’est l’image de la fulguration de l’oeil de Shiva, qui réduit en cendre toutes manifestation. Le soleil s’impose ici comme le symbole par excellence du Principe Un (Allahu Ahad), qui est l’Etre nécessaire, Celui qui seul Se suffit à Lui-même dans Son absolue plénitude (Allahu Es-Samad), et de qui dépendent entièrement l’existence et la subsistance de toutes choses, qui hors de Lui ne seraient que néant.

Le « monothéisme », si l’on peut employer ce mot pour traduire Et-Tawhîd, bien qu’il en restreigne quelque peu la signification en faisant penser presque inévitablement à un point de vue exclusivement religieux, le « monothéisme », disons-nous, a donc un caractère essentiellement « solaire ». Il n’est nulle part plus « sensible » que dans le désert où la diversité des choses est réduite à son minimum, et où, en même temps, les mirages font apparaître tout ce qu’a d’illusoire le monde manifesté. Là, le rayonnement solaire produit les choses et les détruit tour à tour ; ou plutôt, car il est inexact de dire qu’il les détruit, il les transforme et les résorbe après les avoir manifestées. On ne pourrait trouver une image plus vraie de l’Unité se déployant extérieurement dans la multiplicité sans cesser d’être elle-même et sans en être affectée, puis ramenant à elle, toujours selon les apparences, cette multiplicité qui, en réalité, n’en est jamais sortie, car il ne saurait rien y avoir en dehors du Principe, auquel on ne peut rien ajouter et duquel on ne peut rien retrancher, parce qu’Il est l’indivisible totalité de l’Existence unique. Dans la lumière intense des pays d’Orient, il suffit de voir pour comprendre ces choses, pour en saisir immédiatement la vérité profonde ; et surtout il semble impossible de ne pas les comprendre ainsi dans le désert, où le soleil trace les Noms divins en lettres de feu dans le ciel.

 
Gebel Seyidna Mousa, 23 shawal 1348 H.

Mesr, Seyidna El-Hussein, 10 moharram 1349 H.

 
(anniversaire de la bataille de Kerbala).

 
(René Guénon, Aperçus sur l’ésotérisme islamique et le taoïsme, chap.III : Et-Tawhid).

 
(1) Le Voile d’Isis, juillet 1930, p. 512 – 516.

La ville sainte de Fès

 
 







Extrait de la thèse « Fès, la ville et ses saints : hagiographie, tradition spirituelle et héritage prophétique » - Ruggero Vimercati Sanseverino



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A suivre ...