Mont
Hira
Par Maître Chems-Eddine Hafiz le 01/01/10
Avec ce long week-end en perspective, pourrions nous
aborder une lecture ardue qu'Abdallah Penot, qui a déjà traduit notamment « Le
Livre des haltes » de l'émir Abdelkder, qui a fait l'objet d'une de mes notes
de lecture, nous propose. Il s'agit d'un des livres de référence d'Ibn Arabi «
Al-Futûhât al-Makkiyya », « Les Révélations de La Mecque ».
C'est un ouvrage métaphysique capital qu'Ibn Arabi
entama en 1203 au moment de son pèlerinage à la Mecque.
Ibn Arabi, « Al-Sheikh Al-Akbar » (le plus grand
maître), a fait l'objet de critiques violentes de la part de certains
orthodoxes musulmans qui rejettent toute approche ésotérique de l'islam, alors
qu'il est patent que le soufisme se résume dans le verset II, 156 du Coran : «
En vérité nous sommes à Dieu et à Lui nous retournons ». (Innâ li-Lhâhi wa innâ
ilayhi râji'un).
Quant à Ibn Arabi, en réponse à ses détracteurs, il
déclarait dans l'une de ses belles poésies :
« Quand tu te couches n'aie dans ton coeur rien de
mauvais à l'égard de qui que ce soit, ni rancune, ni haine ».
Et encore : « Prie pour le bien de celui qui a été
injuste envers toi, car celui-ci t'a préparé du bien pour ta vie future: si tu
pouvais voir ce qu'il en est réellement, tu te rendrais compte que l'injuste
t'a fait vraiment du bien pour la vie future. Alors, la récompense du bienfait
ne doit être que le bienfait (cf. Coran 55, 60) (prie donc pour le bien de
celui qui t'a réservé un bien); du reste, le bienfait dans la vie future est
permanent. Ne perds pas de vue cet aspect des choses, et ne sois pas trompé par
le fait des dommages qui te résultent ici-bas par l'injustice dont tu es
l'objet: il faut considérer cet inconvénient comme le médicament désagréable
que doit absorber le malade parce que celui-ci sait quelle utilité il en tirera
finalement. L'injuste joue un rôle équivalent: prie donc pour qu'il ait tout
bien ! »
Ibn Arabi avertit que cet ouvrage « Al-Futûhât al-Makkiyya
» a été rédigé par ses soins alors qu'il était sous inspiration divine. Il
décrit de manière exhaustive les aspects spirituels et métaphysiques du
soufisme avec rigueur et de manière visionnaire.
Ce qui lui vaut le surnom de « fils de Platon ».
Sur la base de versets coraniques, Ibn Arabi s'applique
à démontrer que l'homme est l'image parfaite de la création accomplie : « Qui
t'a créé, puis modelé et constitué harmonieusement ? Il t'a façonné dans la
forme qu'Il a voulue ». (Coran, Sourate 82, verset 7-8).
Un poème du soufi Hallâj commence avec : « J'ai vu mon
Seigneur par l'oeil du Coeur. Je dis: « Qui es-tu ? » Il répondit: « Toi ».
Ainsi, il y a lieu de méditer l'échange entre Averroès
et Ibn Arabi qu'il nous révèle et que je retranscris intégralement ci-dessous :
« Un jour, mon père m'envoya à Cordoue auprès de son
ami, le Cadi Abul Walid Ibn Rouchdi dans le dessein de provoquer entre nous
deux un débat sur la science (religieuse).
« Lorsqu'on se rencontra, il m'adressa avec
empressement un Oui interrogatif (faisant ainsi allusion à la viabilité de la
philosophie comme voie d'accès à La Vérité (Allah).
Alors tout jeune, imberbe et sans moustache que j'étais
je répondis par un oui confirmatif (car je lui concédais par là que la
philosophie était susceptible d'aider le croyant en sollicitant son registre
rationnel, son simple entendement, etc).
A ma réponse, son visage sembla trahir une grande
satisfaction; devinant alors sa présomption, j'ajoutai cette fois-ci un « Non »
de restriction car sa présomption consistait à assimiler La certitude simplement conceptuelle à laquelle
aboutissait la philosophie, à la certitude testimoniale absolue résultant de
l'expérience mystique.
Il m'apparut après que son enthousiasme eût fait place
à un bouleversement, car il devint embarrassé; et commença à réfléchir sur
l'efficacité de la méthode spéculative ».
Il m'interrogea de nouveau.
- « Comment avez-vous trouvé la Réalité selon
L'illumination et le dévoilement? est-il conforme au résultat de la spéculation
? »
Je lui répondis de cette manière :
- « Oui et Non, c'est entre ces deux que beaucoup
d'âmes ont été anéanties ».
Oui, parce que la philosophie prépare en effet d'une
certaine manière, la vocation religieuse.
Non pourtant, parce que tout aussi utile qu'elle soit,
elle n'est pas décisive, car elle ne rend pas compte de la Réalité de façon
parfaite.
Par conséquent, seule la voie mystique, impliquée dans
la Tradition prophétique, consacre, de manière probante, l'aboutissement de la
carrière religieuse parce qu'expérientielle et non uniquement spéculative.
Mais, elle exige comme condition préalable un cadre
sain et serein loin des tentations et du tumulte du grand monde « ...
L'anéantissement des âmes ... » symbolisait la mise à exécution des mystiques
sous le verdict discrétionnaire des tenants de l'orthodoxie littéraliste et
cela seulement pour avoir courageusement professé à la face de ces derniers, la
religion de la vérité.
En effet c'est entre le « Oui » pour la philosophie et
le « Non » opposé par les mystiques que le litige avait pris naissance ».
Ce livre contient une somme considérable de
connaissances spirituelles qui aura sa place sur notre table de chevet et à
chaque fois que cela est nécessaire, il sera judicieux de se plonger dans sa
lecture, sans restriction aucune.
Pour une qualification du soufisme dont le discours est
amour et sacrifie au service de Dieu, je terminerais cette note par des vers
d'un poète lyrique dont j'ai l'honneur de porter son patronyme :
« Je n'ai entendu plus douce parole que l'Amour.
Seul souvenir qui reste de la course de la coupole
céleste. »
Chems-eddine HAFIZ, poète lyrique persan (1320-1389).
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