jeudi 9 janvier 2014

Comprendre l’essence du Budo - Philippe DOUSSIN







Ceux qui s’intéressent à la culture japonaise comme ceux qui pratiquent le Budō (les arts martiaux japonais) s’interrogent inévitablement sur le sens ultime de la voie martiale.

Qu’est-ce qu’une Voie ? Qu’est-ce que l’enseignement traditionnel ? Quelles fonctions remplissent les arts et sciences dans les peuples traditionnels?

Percevoir ce qui se tient réellement derrière l’activité physique et l’aspect purement technique, est une quête difficile pour laquelle on ne peut faire l’économie d’une confrontation avec la complexité de l’existence.

S’interroger sur le sens véritable de sa propre démarche, se nourrir des significations métaphysiques enchâssées dans les techniques des arts et des sciences des doctrines de l’unité qui ont fait naître la Flamme Illuminative
des grands maîtres, tout en persévérant dans une pratique sincère, est, semble-t-il, ce qui permet au cheminant de s’ouvrir à une réalité nouvelle, qui participe des mystères de l’Existence Universelle.

Cet ouvrage tente donc d’apporter des clés essentielles pour éclairer ces différentes perspectives et faciliter l’accès à la compréhension de l’essence du Budo.


Philippe DOUSSIN, né en 1963 à Nantes, élève de Christian Tissier, a 30 années de pratique de l’aïkido et est 5e dan. Parce que ce grade est le stade qui s’y destine naturellement, la Voie du Bu s’est affirmée à lui sous un nouveau jour. Ayant entrepris parallèlement à ce parcours une longue recherche sur la nature de l’esprit traditionnel, l’idée a germé de retranscrire fidèlement, c’est-à-dire par le plus grand effacement possible, le fruit de son apprentissage existentiel.


Extrait

"...Jacques-André Lavier révèle dans l’un de ses livres que la thérapeutique la plus élevée (en fait ce n’est pas une thérapeutique, elle représente plus exactement une science de l’être dont les activités qu’elle induit chez l’homme lui garantissent de recourir le moins possible aux thérapeutiques) est celle correspondant à « l’ouverture du conscient », qui n’est rien d’autre que la réalisation de l’état identifié à celui de « coopérateur céleste » ou encore chênn jen que nous étudierons au chapitre III. Cet état est l’aboutissement ultime de la réalisation spirituelle.

Il est celui auquel on accède par l’enseignement traditionnel mené jusqu’à son terme par les êtres dont les capacités intrinsèques les destinent à accéder à l’état d’union. Or ce processus « d’ouverture du conscient » est la finalité des arts et des sciences traditionnels tels que l’aïkido. Cette découverte me fit prendre conscience que derrière ce que l’on appelle l’illumination ou satori – correspondant pour une part au concept de kamigari dans le shintoïsme – que je pensais être un phénomène appartenant à la légende dans le meilleur des cas ou à un conditionnement religieux dans le pire des cas, était une science rigoureuse de l’être s’appuyant d’une part, sur une expérimentation progressive et effective des différents états de participation existentielle de plus en plus universels, inhérente à l’être humain et d’autre part, sur une connaissance de l’être et de la raison d’être de l’être tenue en conscience par la cohésion même d’un groupe d’hommes réalisant par l’unité spirituelle de leur diversité complémentaire un véritable pont entre l’état d’homme individuel et celui de « coopérateur céleste ».

Bien évidemment cette prise de conscience s’opposait brutalement au formatage de mon esprit et à ma conceptualisation de l’existence induite par l’éducation que j’avais reçue tout au long de ma vie. Ce fut là déjà un bouleversement assez important dans l’intelligibilité que j’avais de l’homme et de sa relation au monde. Mais une autre étape demandait à être franchie, celle de la découverte de l’universalité de la pensée et de l’enseignement traditionnels.

C’est par les écrits d’un soufi rattaché à la tariqa 2 du shaikh « Ilaysh el-Kebir » que cela fut réalisé. Découvrir que tous les peuples de la terre proposent des voies principielles rigoureusement identiques pour accéder à des états de participation existentielle menant à une coopération avec la cohésion universelle, découvrir que la diversité des peuples traditionnels décrit les mêmes qualités et facultés pour les états supérieurs de l’être, qu’ils dispensent un enseignement d’une subtilité, d’une intelligence et d’une profondeur dont on ne m’avait jamais parlé jusque-là, m’a touché beaucoup plus considérablement que je ne pouvais l’imaginer. Les paroles des sages traditionnels m’ont alors profondément marqué, qu’ils soient extrême-orientaux, hindous, sioux, soufis, pères de l’Église chrétienne, peuls, bambaras, dogons.

Tous parlent de la même possibilité d’intelligibilité intuitive de l’existence et de la même possibilité d’accès à un état d’union à la Cohésion universelle.

Et puis en lisant les paroles mystérieuses du fondateur auxquelles je ne m’étais pas intéressé jusque-là, je fus saisi par la rigoureuse identité de son Verbe avec le Verbe des doctrines de l’unité de quelque peuple que ce fût.

Je me suis souvent demandé quelle pouvait être l’utilité de telles recherches et je me suis souvenu que dans le Japon ancien ou dans les époques comme celles du haut Moyen Âge en Occident, les budøka et les chevaliers chrétiens étaient des moines-guerriers. Le fondateur de l’aïkido précise à ce propos :
« Mes paroles et mes enseignements sont portés par une inspiration divine, aussi sont-ils difficiles à recevoir et à appréhender clairement. Mais chacun d’entre vous devrait s’attacher à apprendre et à comprendre ce que je dis, jour après jour, au sujet de l’aïkido. 3 »

Des temps anciens
Le profond savoir et la valeur
Ont été les piliers du chemin:
À travers la vertu de l’entraînement,
Illuminant le corps et l’esprit. 4

Mais il y a un autre døka du fondateur, parlant toujours sous une inspiration supérieure, où il est question du statut de l’aïkido par rapport à l’esprit traditionnel d’un point de vue universel :

L’Art de la Paix est la religion
Qui n’est pas une religion
Il perfectionne et complète toutes les religions 5.

Ce døka est d’une grande importance. Tout d’abord il invite à étudier toutes les doctrines traditionnelles 6 – je préfère utiliser le terme doctrine traditionnelle plutôt que religion pour ne pas faire d’amalgame entre ce qui est entendu par un homme ayant vécu dans un peuple traditionnel tel que le fondateur et ce que nous entendons par religion dans le peuple occidental moderne 7. Cette invitation à embrasser toutes les doctrines de l’unité, c’est-à-dire la pensée traditionnelle dans toute son universalité est le prolongement d’une manière d’être profondément traditionnelle qui invite toujours à garder la continuité du lien avec les temps primordiaux tout au long du déroulement du long cycle de l’humanité. Par exemple, conserver certaines modalités des enseignements antérieurs dans de nouvelles pratiques rendues nécessaires pour s’adapter aux modifications des conditions de vie inhérentes au déroulement de l’existence universelle, est un point doctrinal traditionnel tout à fait fondamental. 

Autre exemple, chez les Dogons la langue parlée originellement est toujours enseignée à certains initiés d’une voie bien particulière et est employée lors de cérémonies en rapport avec le maintien de la cohésion du peuple avec la Cohésion universelle. On retrouve aussi dans des lieux parfaitement définis des objets utilisés dans d’anciens rituels trouvant une fonction d’impulsion primordiale dans les nouvelles pratiques. Cette perpétuation des connaissances ancestrales se retrouve également dans les propos d’un sage bambara qui dit quelque chose de cet ordre :

 « Avant de vouloir faire mieux que les anciens il faut commencer par faire aussi bien ».

Mais c’est parce que la réalisation spirituelle consiste à modifier sa conscience d’être et sa participation existentielle de manière à accéder à un état immuable où l’on perçoit la vérité directement et où l’on accède à l’intelligibilité de la cohésion universelle par expérience et non par spéculation, que ce sont les moyens d’accéder à ces états immuables qui sont adaptés à de nouvelles conditions (toujours suite à une inspiration hyperhumaine) et non pas l’état d’être qui doit être considéré comme évolutif. Ceci pour dire que de tout temps, depuis que l’homme s’appelle homme, il a toujours eu la possibilité d’accéder aux états les plus élevés de la connaissance de l’être dont l’ultime ne fait qu’un avec le Principe suprême.

Le degré de fusion à la concorde universelle ne se mesure pas au degré de développement technologique, car regarder un écran de télévision, d’ordinateur ou de cinéma, ne fera jamais ressentir la jouissance d’une contemplation universelle directe, ni un téléphone ne remplacera la puissance d’une communion absolue entre deux êtres. Cependant, le développement technologique, induit par l’esprit matérialiste trouvera à n’en pas douter sa juste place dans le déroulement du cycle de l’humanité vers la paix universelle, car l’exploration qu’il a permis dans le domaine de la connaissance de la matière apporte une brique indispensable dans l’édification structurée de l’intelligibilité de l’existence universelle.

Cependant, la connaissance directe (nous discuterons tout au long de l’ouvrage de ce que représente ce concept) n’est pas d’ordre spéculatif ni analytique, aussi pour ne pas m’égarer je garde en mémoire les paroles de Ø-Sensei :

« Lorsque l’on se laisse accaparer par les sciences et par les lettres, cela devient une gêne pour la véritable progression.8 »Hikari (lumière), signé Morihei Ueshiba ....."


2. « Voie » ou « Sentier ».
3. « Morihei Ueshiba, Aïkido: Enseignements secrets, Budo Éditions, page 138.
4. L’Art de la Paix de Morihei Ueshiba, Éditions Guy Trédaniel.
5. Ibid.
6. Il faut supposer que le terme « religions » désigne les doctrines en termes de Verbe, Signes et Manière d’être.
7. Nous ne voulons pas par ces propos renier en quoi que ce soit la perfection de la doctrine de l’unité chrétienne, ni celle de l’islam, nous disons simplement qu’il semble qu’il n’y ait plus beaucoup d’êtres à vouloir se saisir du joyau de ces traditions-là.
8. Takemusu Aiki, Morihei Ueshiba, éditions du Cénacle, Vol. II, page 76.





                                             Maître Morihei Ueshiba


Voir aussi quelques excellents articles sur le blog de l'auteur ici : http://www.comprendrelessencedubudo.fr/

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