vendredi 10 juin 2016

Inès Safi - Atomisme, Kalâm et Tawhîd


                                                       



Par Inès Safi.

Née en Tunisie, Inès Safi est diplômée de l’Ecole Polytechnique de Palaiseau et chercheuse CNRS en théorie de la matière condensée, au Laboratoire de physique des solides à Orsay, où elle étudie des système de taille nanométrique. Reconnue sur le plan international notamment pour son expertise dans les systèmes unidimensionnels, elle s’intéresse aussi, depuis quelques années, aux significations de la mécanique quantique, ainsi qu’aux questions éthiques et environnementales posées par la science. Elle est invitée à divers colloques et débats sur le thème « science et religion ».

La naissance de l’atomisme


L’atomisme est né à partir de concepts formulés dans des contextes métaphysiques. Nous en retrouvons des versions au VIIIème siècle avant notre ère, dans le traité chinois du Hong Fan, et au VIème siècle, chez le sage hindou Kanada. Chez les Grecs, l’atomisme avait permis de concilier l’immuabilité de l’être avec le changement et le mouvement. Il fut initié par Anaxagore (500—428 av. J.C.), développé par Leucippe (490—430 av. J.C.) et son élève Démocrite (469—370 av. J.C.), et diffusé par Lucrèce (1er siècle avant J.C.). Au sein de certaines doctrines islamiques, comme celles de la pensée théologique ou kalâm, l’atomisme a pu être exploré et concilié avec la foi, ou « islamisé », pour reprendre l’expression de Bernard Pullman. Dans la perspective théologique des Mu’tazilah et des Ash’arites, l’atomisme est compatible avec la foi, puisque Dieu ne cesse de recréer de nouveau les atomes (et leurs « accidents » ou propriétés) à chaque instant (tajdîd al-khalq). L’atomisme témoigne donc de la puissance du Créateur. Le modèle atomique fut aussi à la base de la cosmologie de Nasîr al-Dîn Al-Tûsî (1201—1274), considéré comme l’un des principaux représentants chiites du kalâm. En particulier, selon lui, l’univers a évolué à partir de particules semblables. Cette tendance à l’unification des origines l’a aussi conduit à formuler une version des lois de conservation, énonçant qu’« un corps de matière ne peut pas disparaître complètement. Il change seulement de forme, condition, composition, couleur et d’autres propriétés matérielles (complexes ou élémentaires). » Nous y reconnaissons la fameuse maxime attribuée au grand chimiste Lavoisier (1743—1794) : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Fakhr al-Dîn Al-Râzî (1149–1209), dans son oeuvre Matâlib al-‘Aliya, avait étendu l’existence du vide entre les atomes à l’espace entre les planètes et constellations, pour aboutir à la possibilité d’une infinité d’univers. L’alchimiste Jâbir Ibn Hayyân (721—815), dont le nom fut latinisé en Geber, est qualifié de père de la chimie, avec Fakhr al-Dîn Al-Râzî (1149–1209) ; Lavoisier disposait de ses oeuvres. Jâbir avait postulé que les substances étaient formées à partir de combinaisons infinies de « soufre » et de « mercure », termes qui ne se réfèrent pas nécessairement aux produits que l’on connaît actuellement. Il avait aussi élaboré une nomenclature des substances, ce qui correspond à l’un des germes de la classification des éléments. Il énonça que les réactions chimiques faisaient agir des substances en quantités finies, ce qui représenta une version préliminaire de la loi des proportions multiples qui interviendra en faveur de l’atomisme, un millénaire plus tard.

La situation fut bien différente en Europe : l’atomisme semblait confondu avec un matérialisme excluant l’intervention d’un agent créateur. L’Occident avait accédé au kalâm grâce aux traductions d’un philosophe anglais du nom d’Adélard de Bath (1080—1160). L’Eglise s’y était farouchement opposée, comme en témoigne l’arrestation d’Etienne de Clave en 1624, qui déclarait « tout est composé d’atomes ». Certains penseurs, restant toutefois marginaux, cherchèrent à concevoir un atomisme en accord avec la foi. Ce fut le cas, par exemple, de Gassendi (1592—1655) qui y trouva un modèle d’organisation du monde compatible avec l’action divine.

L’atomisme commença à s’imposer dans les sciences dures dans le courant du XIXème siècle. La cinétique des gaz fut étudiée, en se fondant sur des lois statistiques d’un très grand nombre de molécules, et permit de comprendre les propriétés macroscopiques des gaz. Mais on savait que ces molécules n’étaient pas indivisibles, car formées d’atomes. L’œuvre de Dalton (1766—1844) fut décisive : sans savoir encore quels atomes entraient dans la composition des molécules, il détermina leurs masses relatives et développa la première table de poids atomiques. Au sein de l’ensemble des observations empiriques auxquelles il pouvait apporter une explication cohérente, figure la loi des proportions multiples — énoncée d’une façon préliminaire par Jâbir ibn Hayyân comme noté auparavant, puis élaborée par Joseph Proust (1754—1826) en 1794 et Lavoisier — qui put alors être interprétée comme étant due à des échanges d’atomes. Pour compléter la liste des 14 éléments chimiques déjà connus depuis l’antiquité ou par les scientifiques arabo-musulmans, une longue traque de nouveaux éléments fut entreprise dès le XVIIème siècle. Lavoisier offrit une définition plus concise et une classification préliminaire des 23 éléments connus en 1789. Une table plus proche de celle utilisée actuellement fut proposée par Dmitri Mendeleev (1834—1907) en 1869, et comportait alors 63 éléments. Cependant, la charte d’organisation de ces éléments n’avait pas encore été élucidée, car c’est le nombre d’électrons de chaque atome qui sera la clé de ses propriétés chimiques. Même si une notion vague des électrons existait préalablement, c’est avec Joseph Thomson (1856—1940) qu’ils furent mis en évidence, en 1897. Nous pourrions dire que la fin du XIXème siècle fut confortée dans le schéma d’une matière formée de particules matérielles obéissant aux lois de la mécanique classique.

Atomisme et kalâm


Qu’en est-il alors des perspectives que peut jeter la pensée musulmane sur de telles révolutions ? La Mécanique Quantique, par ses énigmes, voire ses « mystères », nous oblige à dépasser le cadre positiviste et le réductionnisme cartésien. C’est la raison pour laquelle certains des principaux fondateurs de la Mécanique Quantique, qui furent pris d’une perplexité totale face aux énigmes que celle-ci posait, se sont tournés vers des traditions d’Orient, hindoue, bouddhiste, ou taoïste, afin d’y chercher des conceptions les aidant à sortir du moule positiviste et cartésien qui les avait façonnés, celui selon lequel une chose doit avoir des propriétés bien définies, et être à un endroit localisé de l’espace, à un temps déterminé. Mais attention donc au concordisme ! Une attitude est de se rendre compte que les concepts de certaines philosophies occidentales sont insuffisants pour faire une lecture de la Mécanique Quantique qui satisfasse les légitimes aspirations métaphysiques des physiciens, une tout autre attitude est d’affirmer, comme certains n’ont pas hésité à le faire, que Mécanique Quantique et traditions orientales parlent de la même chose, ou que ces mêmes traditions orientales ont anticipé la Mécanique Quantique, et sont prouvées par celle-ci.

Une tradition métaphysique se rapporte à des réalités qui dépassent le monde que nous sondons par les sciences dures. Le langage des traditions religieuses ne peut être ni réduit ni comparé à celui dont nous faisons usage dans les sciences (même s’il est facile d’emprunter des mots dans l’autre sens, comme appeler « particule de Dieu » le boson de Higgs parce que ce boson représente l’accomplissement du Modèle Standard). La science moderne simplifie et découpe le monde sensible pour en étudier des domaines bien restreints : elle ne peut pas prétendre remonter de ces morceaux infimes écartelés, simplifiés et traités avec des préjugés, vers une vision globale de la réalité. Il semble donc injustifié de réduire les concepts métaphysiques à des assertions relevant de la physique, qui ne donne que des lueurs quantifiées, inachevées et limitatives du « réel ».

C’est ce qu’exprime si bien Abd-al-Karîm Al-Jîlî (1366—1424) dans son ouvrage Al-Insân al-Kâmil :

« Tout ce que l’on voit dans le monde visible est comme un reflet du soleil de ce monde…

Quand ces mots imagés sont entendus par l’oreille sensorielle, tout d’abord ils désignent des objets sensibles.

Le monde spirituel est infini, comment des mots finis peuvent-ils l’atteindre? Comment les mystères contemplés dans la vision extatique peuvent-ils être interprétés par des mots ? »1

Tout en ayant en mémoire ce rappel sur les dangers du concordisme, nous proposerons une perspective interprétative analogue à cette démarche des premiers physiciens quantiques, en suggérant que les conceptions philosophiques et théologiques au sein de la tradition islamique peuvent nous aider à accepter les énigmes de la Mécanique Quantique, et la pluralité de ses interprétations. C’est aussi parce que ces conceptions nous invitent à dépasser notre sens commun que l’analogie peut être fructueuse. Ce dialogue peut aussi prendre sens si l’on accepte que le monde sensible soit une manifestation en correspondance avec d’autres niveaux de réalité, dont il nous reflète des lueurs.

Une thèse complémentaire, qui peut renforcer ce champ d’interaction entre science et spiritualité, mais qui demanderait une plus profonde investigation, est que les quêtes d’ordre métaphysique ont bel et bien stimulé et facilité l’émergence de ruptures scientifiques cruciales. Si les savants musulmans ont été durablement intéressés par les sciences expérimentales, c’est en raison de l’incitation coranique maintes fois répétée à aller contempler les signes divins (âyât Allâh) dans la Création. C’est pourquoi ces savants furent à l’origine de la méthode expérimentale. Ainsi, Jâbir Ibn Hayyân écrivait :

« La première chose essentielle en chimie est que tu doives accomplir du travail pratique et mener des expériences, car celui qui n’accomplit pas de travail pratique et ne fait pas d’expériences n’atteindra jamais les derniers degrés de la maîtrise. Mais toi, mon fils, fais des expériences de façon à acquérir la connaissance. Les savants ne se ravissent pas de l’abondance des matériaux ; ils se réjouissent seulement de l’excellence de leurs méthodes expérimentales. » 2

Cependant, contrairement au programme positiviste, les savants musulmans n’excluaient pas les questionnements métaphysiques, qui, comme dans le cas de Jâbir pour l’alchimie, nourrissaient la motivation essentielle de leur recherche. Ils pouvaient aussi accepter l’existence de plusieurs niveaux de réalité. Il est même intéressant de noter que la question de la sous-détermination des théories par l’expérience n’était guère étrangère à leurs réflexions épistémologiques. Ainsi George Saliba remarque, par exemple, que les astronomes arabo-musulmans étaient pleinement conscients que «  toute modélisation mathématique n’a pas par elle-même de sens physique, et qu’elle n’est qu’un langage parmi d’autres pour décrire la réalité physique. »3

La question de l’atomisme illustre le dialogue entre science et métaphysique. Malgré sa réfutation dans sa version naïve par la Mécanique Quantique et la Théorie quantique des champs, l’atomisme a représenté un passage fructueux dans le développement de la physique moderne, et marque encore les représentations actuelles des physiciens. Or, comme on l’a exposé brièvement, l’atomisme a été initialement conçu pour répondre à un questionnement d’ordre métaphysique : l’appréhension de la complexité du monde des apparences par la découverte des éléments « fondamentaux » dont il est composé (lesquels sont définis de multiples façons). Il est possible que son intégration dans la science arabo-islamique, et donc occidentale par héritage, ait été conditionnée par celle au sein du kalâm. Il est intéressant, à ce propos, de rappeler que, dans le kalâm, la discontinuité du temps, de l’espace et de la matière permet de distinguer chaque « accident » qui est contrôlé par la volonté divine. Dieu recrée les atomes et leurs accidents (c’est-à-dire, leurs propriétés) à chaque instant (tajdîd al-khalq). On ne peut donc pas dire que les atomes possèdent en propre leurs accidents. Certes, cette position du kalâm avait déjà ses détracteurs à l’époque, en particulier parmi les philosophes musulmans d’inspiration aristotélicienne. En tout état de cause, l’absence de propriétés attachées aux atomes oblige les observateurs à « aller voir » dans le monde le résultat de l’ « habitude » de Dieu (la sunnah ou ‘âdah) pour y lire les accidents décidés par Dieu, et saisir la connaissance que Dieu nous transmet par leur intermédiaire. Une telle métaphysique a, bien sûr, constitué une forte incitation à l’observation et à l’expérimentation.

On voit donc que ces caractéristiques générales de l’atomisme du kalâm ne sont pas celles de l’atomisme grec classique, ni celles de l’atomisme moderne tel qu’il apparut dans le projet positiviste et réductionniste. Il est donc intéressant de comparer cette version spécifique de l’atomisme et la façon dont la Mécanique Quantique a, plus tard, retiré aux systèmes microscopiques le fait qu’ils avaient des propriétés qui préexistaient à la mesure.4 Ainsi, l’accident « aurait lieu » au moment de l’observation, et le choix de l’état vers lequel se réduirait la fonction d’état serait induit par la volonté divine. Une telle possibilité qui permettrait de comprendre le mode d’action de Dieu dans le monde, tout en étant parfaitement compatible avec les principes de la Mécanique Quantique (puisque rien n’y indique comment la réduction de la fonction d’état se produit), a été envisagée récemment par des physiciens et philosophes théistes.5 Certains voient la fonction d’onde comme une puissance, au sens de la matière aristotélicienne, qui prend sa forme, ou sa propriété, par un passage à l’acte au moment de la mesure.6 D’autre part, il existe des théories de grande unification en physique des particules, comme la Gravitation quantique à boucles, qui adoptent la discontinuité de l’espace et du temps comme principe constitutif. Ces théories dépassent ainsi la vision aristotélicienne et cartésienne de l’espace et du temps continus, et retrouvent, par d’autres chemins, certaines intuitions des théologiens musulmans. Comme les physiciens actuels, ces théologiens de l’islam eurent souvent la capacité de dépasser le sens commun, un acte d’audace qui traduisait leur créativité intellectuelle.

Grande Unification et tawhîd


En quoi ces réflexions sur les fondements de la physique contemporaine sont-ils intéressants pour le dialogue entre science et foi ? D’abord parce que l’approfondissement du caractère surprenant de la Mécanique Quantique, au cours de ces dernières décennies, a contribué à affaiblir la position du positivisme et du réductionnisme militants, qui prétendaient que la science avait vocation à connaître l’ensemble de la réalité, réduite à une matière dont les propriétés pouvaient être appréhendées par le sens commun (éventuellement à travers un appareillage mathématique élaboré). Nous savons maintenant que ce n’est pas le cas : nous sommes impuissants à expliquer clairement ce qu’est la matière, et les mathématiques auxquelles nous avons recours, comme les symétries, loin de constituer des outils pour mieux comprendre la matière, semblent constituer la définition même de cette matière, sans en élucider la nature. Du même coup, réduire toute la réalité (y compris la vie et l’intelligence) à de simples phénomènes matériels de nature physico-chimique paraît un peu hasardeux, puisque la définition même de la matière implique aujourd’hui un débat savant sur des concepts théoriques subtils, et même sur des options métaphysiques. Le réductionnisme s’enferme donc dans une sorte d’argument circulaire, au moins quand il s’affirme de façon ontologique (c’est-à-dire quand il prétend expliquer l’être). Cela n’empêche pas, évidemment, les grands succès du réductionnisme méthodologique, parce que décomposer un système complexe en ses constituants demeure l’une des façons de comprendre les choses, pourvu que cette analyse n’oublie pas l’opération inverse, qui est la synthèse.

La perspective de l’islam est fondée sur le tawhîd, l’affirmation de l’unicité de Dieu, et, en conséquence de cette affirmation, sur l’effort d’unification qui doit être mené par chaque croyant, en lui-même, dans la communauté musulmane (et, au-delà, dans toute l’humanité), et enfin dans le monde, par la contemplation des signes de Dieu (âyât Allâh) qui doivent être reconduits à la connaissance de Dieu. Les musulmans attestent fermement que le monde qu’ils voient prend son sens par rapport à son Créateur, qui en est l’origine et le terme métaphysiques (Al-Awwal wa-l-Âkhir). Cela signifie que tout dans le monde est interdépendant, puisque tout y est fondamentalement dépendant de Dieu, qui ne cesse de créer le monde à chaque instant, dans le renouvellement de la création (tajdîd al-khalq). Des aspects de la Mécanique Quantique comme la contextualité ou la non-localité ne posent pas de problème à cette vision du monde qui professe l’unité fondamentale de celui-ci et la présence permanente de Dieu, alors qu’ils heurtent une autre vision, née en Occident à la Renaissance et surtout au XVIIème siècle, celle d’un monde séparé de Dieu, et peuplé de systèmes comme les atomes et les groupes d’atomes, clos et refermés sur eux-mêmes, et ontogiquement suffisants après un seul acte initial de création, voire sans acte de création du tout.

Il y a débat actuellement entre les penseurs musulmans pour savoir dans quelle mesure le programme moderne d’unification des particules et interactions fondamentales, vers une théorie globale dite de « Grande Unification », peut entrer en résonance avec la démarche du tawhîd.7 Il est incontestable que la découverte par la physique de l’unité sous-jacente du monde, derrière la multitude des phénomènes, et de l’intelligibilité associée aux lois de la nature qui régissent cette unité, est un support de contemplation pour le scientifique croyant, comme pour le croyant qui s’intéresse aux sciences. Le fait que la nature soit régie par un nombre si restreint de principes doit faire grandir l’émerveillement devant les œuvres du Créateur, au même titre que les vastes étendues d’espace, ou les grandes durées de temps, qui sont dévoilées par l’astronomie, la géophysique ou la biologie. Mais avons-nous vraiment la garantie que l’ensemble du monde soit vraiment intelligible par les menées de la raison (même aidée de mathématiques sophistiquées) et l’observation ? Si le monde physique est, comme l’atteste la tradition islamique, plongé dans une création plus vaste, avec une hiérarchie de plans ou de niveaux d’existence plus ou moins proches de Dieu, le programme de la physique ne pourra jamais aboutir et sera, par là même, une quête sans fin.

Selon cette dernière perspective, la science de la nature ne serait qu’une première étape de la contemplation, qui resterait bien insuffisante pour l’accès à la connaissance métaphysique laquelle nécessiterait des facultés d’un autre ordre, celles de la « vision intérieure » (al-baçîrah) et du « goût » (dhawq). Cela pourrait offrir l’une des voies possibles à la question essentielle du sens, ou des sens, que l’on pourrait attribuer à la science « profane ». Tout ce qui est, vivant ou inanimé, n’est-il pas habité par le souffle divin, et ne se trouve-t-il pas être un symbole de réalités métaphysiques ? Ainsi, le mot « profane » ne devrait pas vraiment avoir de place. « Dieu n’a pas de gêne à prendre comme symbole un moustique. »8 Chaque entité est un lieu de manifestation des noms divins, et porte des qualités qui ne sauraient être réduites à la pure quantité. Tout en évitant le piège du concordisme, ne serait-il pas possible, dans cette quête de sens, de donner place aux convergences ? La mélodie céleste des versets du livre coranique chante les versets du livre cosmique, appelant à la contemplation et à la pénétration de leurs mystères symboliques. On peut se poser la question de savoir s’il est possible de réinsérer la science, malgré son insuffisance et sa relativité, dans une ontologie holistique ; ce qui nécessiterait sans doute de dépasser sa rationalité « ratiocinante »9 par des moyens se situant hors de sa portée, mais pas de la nôtre car nous ne sommes pas uniquement notre raison. Au vu des impasses où la physique moderne se trouve enfermée pour saisir le « réel », ou pour en éclairer la nature, ne serait-il pas légitime d’y voir la nécessité d’une voie vers une connaissance bien plus édifiante ?



1 Abd-al-Karîm Al-Jîlî, traduction Titus Burckhardt, De l’Homme universel, p. 3, Dervy-Livres, Paris.
2 « The first essential in chemistry is that you should perform practical work and conduct experiments, for he who performs not practical work nor makes experiments will never attain to the least degrees of mastery. But you, O my son, do experiment so that you may acquire knowledge. Scientists delight not in abundance of material; they rejoice only in the excellence of their experimental methods. » Cité par E.J. Holmyard, Makers of Chemistry, 1931, Clarendon Press, Oxford, p. 60.
3 George Saliba, A History of Arabic Astronomy, 1995, NYU Press, New York.
4 Pour une telle étude, voir par exemple Karim Meziane, in Science et religion en islam, (sous l direction de Abd-al-Haqq Guiderdoni), 2012, Albouraq, Paris.
5 Voir par exemple Robert J. Russell, Philip Clayton, Kirk Weqter-McNelly et John Polkinghorne (sous la direction de) : “Quantum Mechanics: Scientific Perspectives on Divine Action”, Volume 5, 2002, Vatican Observatory and Center for Theology and the Natural Sciences.
6 Wolfgang Smith, The Quantum Enigma : Finding the Hidden Key, 1995, Sherwood Sugden and Company, Peru, Illinois.
7 Voir par exemple deux positions antagonistes sur les relations entre le tawhîd et le programme d’unification de la physique contemporaine : Jamal Mimouni d’une part, Abdalhak Hamza d’autre part, dans Science et religion en Islam, (sous la direction de Abd-al-Haqq Guiderdoni), 2012, Albouraq, Paris.
8 Coran 2:26.
9 C’est la rationalité abusant d’elle-même, et enfermée dans ses opérations algorithmiques, comme une machine de calcul.


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