jeudi 15 septembre 2011

Futuhat 55 : la connaissance des pensées sataniques









(Muhyî-d-Dîn Ibn Arabî - al-Futûhât al-Mekkiyyah – Chap.55 : al-khawâtir al-shaytâniyya, traduit par A. Penot)





Si Dieu ne nous faisait saisir les sagesses qui s’y (fîhâ) trouvent incluses
Tu estimerais cette réalité hors de la portée de la pensée et des aspirations (himam).
Elle est si subtile que même les Paroles synthétiques (jawâmi’u-l-kalim) ne sauraient te l’exprimer !
Les pensées qui affleurent la conscience (khawâtir) ne peuvent être que de quatre sortes : d’origine seigneuriale (rabbânî), angélique (malakî), psychique (provenant de la nafs) ou satanique ; il n’en existe pas d’autres.
Nous avons déjà traité de la connaissance des pensées qui affleurent à la conscience, que ce soit ici ou dans nos autres ouvrages mais, dans ce chapitre, nous traiterons plus particulièrement des pensées d’origine satanique.
Diverses catégories de démon

Sache que les démons (shayâtin) sont de deux sortes : les uns relèvent du domaine intelligible (ma’nawî) et les autres, qui appartiennent au domaine sensible (hissî), se subdivisent à leur tours en humains et en djinns.
Dieu – exalté soit-Il – affirme : Nous suscitons des ennemis à chaque prophète, des démons choisis parmi les djinns et les hommes qui se suggèrent mutuellement de belles paroles trompeuses ; si ton Seigneur l’avait voulu, ils ne l’auraient pas fait. Détourne-toi d’eux et de leurs mensonges (Cor.6.112) en les décrivant comme des individus qui profèrent des mensonges au sujet de Dieu ; et ce qui se déroule entre ces deux catégories génère (hadatha) chez l’homme un démon appartenant à l’ordre intelligible. En effet, lorsqu’un démon, homme ou djinn, fait au cœur de l’homme une suggestion grâce à laquelle il l’éloigne de Dieu, soit il y fait une suggestion particulière sur une question spécifique, soit il y fait une suggestion d’ordre général et lui laisse faire son chemin, ce qui lui ouvre des perspectives auxquelles ni les hommes ni les djinns n’auraient pensé ; c’est alors la nafs qui approfondit cette question (tatafaqqaha fîhi) et déduit de ces arguments spécieux (shubah) des horreurs (umûran) telles que si l’homme venait à les exposer, elles seraient en mesure d’enseigner la transgression à Iblîs lui-même !
Ces différentes pensées (litt. : « aspects », wujûh) qui ont été éveillées (dans la conscience) par cette suggestion d’ordre général (« méthode » uslûb) initialement insufflée par un démon humain ou par un djinn, sont appelées des « démons intelligibles » ; car les démons, hommes ou djinns, (qui les ont provoquées), ne les connaissaient pas au départ et ne les avaient pas en vue en tant que pensées spécifiques. De prime abord, ils voulaient seulement lui ouvrir cette porte, sachant que ses capacités naturelles et son acuité d’esprit le pousseraient à une réflexion minutieuse produisant en lui des pensées mortelles qu’ils ne seraient plus en mesure de repousser.
La raison de cet égarement réside dans le premier principe (açl) qui fonde (sa réflexion) ; car (au départ) l’homme choisit un principe de base sur lequel il s’appuie et dont il approfondit l’étude par la réflexion (tafaqquh) au point de se détourner de ce principe même.
Comment les démons s’introduisent dans l’âme du savant.

C’est le chemin que suivent les innovateurs et les hérétiques ; au départ, les démons leur inspirent un principe valable dont ils ne se doutent pas ; puis, surgissent à leur esprit des pensées confuses (talbisât), dues à leur manque de compréhension, qui finissent par les égarer. On attribue en général cette confusion au démon comme en étant le principe… si seulement ils savaient que sur toutes ces questions, c’est le démon qui est l’élève (de l’homme) et qu’il est à son école !
Cela est manifeste dans le Shiisme, en particulier chez les imâmites qui ont été initialement abusés par des djinns lesquels leur insinuèrent l’amour des « Gens de la Maison du Prophète » (Ahlu-l-Bayt) et le dévouement à leur égard. Aussi virent-ils dans cet amour un des moyens les plus élevés de s’approcher de Dieu et il en eût été ainsi s’ils s’en étaient tenus à cela sans rien y ajouter. Mais leurs outrances en matière d’amour des « Gens de la Maison » les ont conduits à deux déviations.
Les uns se mirent à détester les compagnons et à les insulter, ne leur reconnaissant aucune préséance et s’imaginant que les « Gens de la Maison » étaient plus dignes qu’eux d’occuper des fonctions mondaines (dunyawiya) ce qui les amena à adopter un comportement déjà connu de tous.
Et il y eut un autre groupe qui, à l’injure des compagnons, adjoignit la critique (qadh) du Prophète – sur lui la grâce et la paix -, de Gabriel – sur lui la Paix – et de Dieu Lui-même – que soit magnifiée Sa Majesté -, sous prétexte qu’ils n’auraient pas explicitement fait état de leur rang ni de leur droit au Califat, à tel point que certains d’entre eux n’ont même pas hésité à proclamer que « Celui qui avait envoyé le « Fiable » (al-Amîn, surnom de Gabriel l’ange de la révélation) n’avait pas été fiable » !
Tout ceci s’est pourtant produit en partant d’un principe valable, à savoir l’amour des « Gens de la Maison », qui a généré à travers leurs cogitations stériles une pensée erronée, laquelle les a conduits à s’égarer et à égarer les autres !
Considère le résultat de l’outrance (ghuluww) en matière de vie traditionnelle : elle leur a fait perdre toute mesure (« limite », hadd) et les a fait parvenir à l’opposé de leur intention ! Le Très-Haut a dit : Ô gens du Livre, ne soyez pas excessifs dans votre religion au point de déformer la Vérité et ne suivez pas les passions d’une fraction qui s’est égarée dans le passé tout en égarant de nombreux autres et qui se sont éloignés du chemin de la Vérité (litt. : du bon chemin) (Cor.5.77).
A d’autres groupes, les démons ont insufflé (dans leur cœur) un principe valable dont ils ne se doutent point car il émane du Prophète lui-même – sur lui la grâce et la paix - : Quiconque établira une règle louable en retirera une récompense pour lui-même ainsi que pour tous ceux qui l’auront appliquée. Mais après leur avoir donné le désir d’agir selon ce principe, les démons les ont délaissés. Alors, tel membre de ce groupe désireux d’obtenir une récompense pour tous ceux qui agiraient de la sorte (à son initiative) s’est mis à l’étude ; et après avoir établi une règle louable, il a craint qu’en se l’attribuant personne ne l’accepte et a forgé en conséquence un hadîth de l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – afin de la faire accepter ! Puis, il a justifié son acte comme étant conforme au principe contenu dans le hadîth : Quiconque établit une règle louable…, légitimant ainsi sur le compte de l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – en lui faisant dire ce qu’il n’avait pas dit ! Il a même estimé que c’était une œuvre bénéfique, soutenu qu’il était par les principes (contenus dans le hadîth) ! Et lorsque l’ange lui rappelle ces autres paroles du Prophète – sur lui la grâce et la paix – : Que celui qui ment délibérément à mon sujet s’apprête à prendre place dans le feu !, et encore : Mentir à mon propos n’est pas comme mentir sur autrui : quiconque ment délibérément à mon propos prendra place en Enfer !, il les prend comme étant des suggestions diaboliques en argumentant ainsi : ces hadîths ne concernent que celui qui invite les hommes à l’égarement alors que , moi, je n’ai fait qu’établir une règle louable ! Certes, il sera nécessairement récompensé pour avoir établi une règle louable, mais il se chargera également d’une faute (ma’zûr) pour avoir menti à propos de l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – et en lui faisant dire ce qu’en réalité il n’avait jamais dit.
De la précipitation à recevoir le commandement chez ceux qui s’adonnent aux exercices spirituels.
Il en est de même pour ceux qui pratiquent des retraites spirituelles (khalawât) et l’ascèse (riyâdât), et qui sollicitent la maîtrise avant même que Dieu ne leur ait ouvert une des portes de Sa servitude (‘ubûdiyya) ; ceux-ci s’attachent à suivre la voie de la vérité (çidq) mais ne se réfèrent pas à l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – comme leurs prédécesseurs ; bien au contraire, ils se livrent à des mensonges au sujet de Dieu en lui attribuant des règles qu’ils ont eux-mêmes établies. Puis, ils se justifient en affirmant qu’ « il n’y a pas d’agent (fâ’il) en dehors de Dieu » et que « c’est Lui le Très-Haut, qui fait parler Ses serviteurs ». Dès lors, un tel serviteur devient un ash’arite et un « janséniste » (majbûr). Il prétend que « tout ceci est bien, puisque je n’avais d’autre but que de corroborer telle tradition louable et que je n’ai pas vu de moyen plus efficace pour ce faire que de l’attribuer à Dieu le Très-Haut, ce qui est une réalité, puisqu’elle est une création du Très-Haut qu’Il a exprimée (litt. « fait passer par », yujrî) par ma bouche (litt. : langue) ! »
Tout ceci, il ne se le dit qu’à lui-même et à personne d’autre ; mais quand il est en compagnie d’autres personnes, il leur suggère que cela lui est venu de Dieu à la manière dont ces choses arrivent aux protégés de Dieu.
Et lorsque l’ange lui remet en souvenir la parole de Dieu – exalté soit-Il - : Qui donc est plus inique que celui qui profère des mensonges au sujet de Dieu et prétend avoir reçu une révélation alors que rien ne lui a été inspiré ? Ou que celui qui prétend pouvoir faire descendre cela même que Dieu a révélé ? (Cor.6.93), il l’interprète, en accord avec lui-même, en disant : « Ce verset ne me concerne pas mais s’adresse aux gens qui ont des prétentions (da’wa), c’est-à-dire ceux qui s’attribuent les actes à eux-mêmes ; en effet, Dieu emploie le terme « profère », c’est-à-dire qu’Il attribue l’acte d’inventer à celui qui prétend (que l’action est la sienne). Or, moi, je soutiens au contraire que les actes n’appartiennent qu’à Dieu – exalté soit-Il – et non à moi : c’est donc Lui qui parle par ma bouche. Ne vois-tu pas que le Prophète lui-même – sur lui la grâce et la paix – affirme qu’en prière (çalât) Dieu dit par la bouche de Son serviteur : Dieu écoute celui qui Le loue ? Il est de même ici ! De plus, Dieu a bien dit : prétend avoir reçu une révélation…, c’est-à-dire que ce serviteur s’est attribué le propos ; mais qui suis-je pour pouvoir dire « moi » (ilayya) alors que c’est Dieu qui parle et Dieu qui écoute ? Enfin, cet illusionné prétend pouvoir faire descendre cela même que Dieu a révélé ; mais je ne soutiens pas cela, au contraire, je prétends que tout ce qui descend vient de Dieu Seul ! » C’est ainsi qu’en devisant par-devers lui, il profère bel et bien un mensonge au sujet de Dieu tout en embellissant son action viciée.

Le diable ne se présente à l’homme que selon ce qui est conforme à sa nature.

Voici donc comment Iblîs a insufflé à ces deux catégories un principe valide en le leur abandonnant ; il en reste une autre qui procède à un « apprentissage individuel » (fiqhan nafsiyyan) : si l’homme n’est pas circonspect vis-à-vis de ses pensées (khawâtir) et manque de discrimination au point de ne pas savoir distinguer ce qui relève de l’inspiration (ilqâ) diabolique (même s’il s’agit d’une chose juste) de l’inspiration venant de l’ange et de l’âme, et s’il n’est pas en mesure de discerner entre les deux de façon correcte, (alors mieux vaut) qu’il n’agisse pas car il ne réussira jamais !
Car le diable ne s’adresse à chaque groupe qu’en fonction de ses tendances dominantes : ce qu’il espère des gens pieux (çâlihin) c’est qu’ils ignorent ce qui vient de lui et que, dans leur ignorance, ils l’attribuent à Dieu puisqu’ils ignorent par quelle voie l’information leur est parvenue ; c’est comme si Iblîs, satisfait de leur degré d’ignorance, les savait en son pouvoir. Il ne cesse de les séduire graduellement à travers leurs bonnes actions elles-mêmes jusqu’à ce qu’il parvienne à leur faire prêter foi aux pensées qu’il leur suggère et à leur faire croire qu’elles viennent de Dieu. Ainsi, les dépouille-t-il de leur religion (dîn) à la façon dont un serpent abandonne sa peau. N’as-tu jamais que la peau dont le serpent s’est dépouillé n’en conserve pas moins la forme de celui-ci ? Eh bien, dans le cas qui nous occupe, la chose n’est pas différente !
C’est sous l’aspect d’un vieillard qu’Iblîs vint trouver Jésus – sur lui la paix – car le diable n’a pas accès au for intérieur des prophètes – sur eux la paix – si bien que toutes leurs pensées (khawâtir) sont d’origine seigneuriales (rabbâniyya), angélique (malakiyya) ou subtiles (nafsiyya) et il n’y aucune place pour lui en leur cœur. Pour ce qui est des saints, qui sont également préservés de toute éternité (litt. : dans la Science divine), leur état est partiellement comparable au leur en ce qu’ils bénéficient d’une protection (‘içmâ) à l’égard de ce que le diable leur insuffle mais ils ne sont pas protégés pour autant de la venue de ces pensées à leur esprit. Le saint qui est l’objet de la Sollicitude Divine (al-mu’tanâ bihi) distingue, grâce à un signe (‘alâma) qui lui est communiqué par Dieu, ce qui relève d’une inspiration satanique : la raison de cette différence (entre prophètes et saints) est que ces derniers ne légifèrent pas, alors que les prophètes sont chargés de légiférer, et c’est pour cette raison que leur for intérieur est hors d’atteinte (du Diable).
Iblîs demanda donc à Jésus – sur lui la paix - : « Ô Jésus, dis : « il n’est d’autre divinité que Dieu ». » Il aurait certes tiré une grande satisfaction s’il lui avait obéi ne serait-ce que dans cette proportion. Mais Jésus – sur lui la paix – lui répondit : « Je vais dire : « il n’est d’autre divinité que Dieu » mais pas parce que tu l’as dit », si bien que le Diable s’en revint dépité.
A partir de là, tu feras désormais la différence entre savoir une chose et avoir foi en elle et tu sauras que la félicité réside dans la foi, laquelle consiste à dire ce que tu sais, mais en tant qu’information provenant de l’ultime (litt. : ton second) Envoyé qui n’est autre que Muhammad – sur lui la grâce et la paix – et non en tant que provenant du premier Envoyé, c’est-à-dire de Moïse – sur lui la paix – ni de ta propre science. Alors, on te reconnaîtra la foi et tu seras promis à la félicité. Mais si tu dis cela, non sur la foi de ce qu’il a dit, mais simplement en feignant d’y croire, c’est que tu es un hypocrite.
Dieu – exalté soit-Il – a dit : Ô vous qui avez la foi croyez en Dieu et en son Envoyé, au Livre qui a été révélé à Son Envoyé et aux Ecritures qui ont été révélées avant lui (Cor.4.136) par référence aux gens du Livre qui n’ont affirmé ce qu’ils avaient affirmé qu’en se conformant à l’ordre donné par les prophètes antérieurs, Jésus ou Moïse, ou encore en se référant à ceux qui avaient foi en des Ecritures antérieures. C’est pourquoi Il S’est adressé à eux en ces termes : Ô vous qui avez la foi en précisant croyez (en tous) Mes prophètes et soutenez qu’il n’est de divinité que Dieu pour l’avoir entendu de Muhammad – sur lui la grâce et la paix – et non parce que vous le saviez ou parce que vous aviez foi en votre premier prophète. Ainsi aurez-vous doublement la foi ! Ainsi aurez-vous une double récompense !

De la différence entre ce qui vient de Dieu, de l’ange, de l’âme et du Diable.

Pour obtenir une pleine satisfaction, il suffit donc au Diable de semer la confusion dans l’esprit de l’homme si bien que celui-ci n’est plus en mesure de discerner ce qui vient réellement de Dieu de ce qui Lui est simplement attribué et qu’il devient incapable de distinguer la voie de l’ange de celle de l’âme ou de celle du démon. Que Dieu t’accorde un signe te permettant de reconnaître tes différentes catégories de pensées.
A titre d’exemple, lorsque les pensées d’origine sataniques prennent l’allure d’incitations à l’obéissance, comment les reconnaître ? Tu les reconnaîtras à leur fugacité et à la rapidité avec laquelle tu passes d’une pensée à une autre ; car le Diable est avide (harîs), il a été créé d’une flamme incandescente et la flamme se meut avec rapidité. Par essence donc Iblîs est impermanent et cela dès les origines de sa création : en cela il est conforme à son principe originel. Au contraire, l’homme est stable car il procède de la terre qui est sèche et froide : il est donc constant dans ses occupations et il en est de même pour ses pensées qui proviennent de la nafs et qui demeurent stables tant que ni anges ni démons ne viennent les troubler.
La genèse des pensées d’origine satanique est en étroite relation avec ce qui relève de l’interdit (mahzûr), qu’il s’agisse d’un acte, d’une négligence ou d’une omission ; puis avec ce qui relève du domaine du blâmable qu’il s’agisse d’actes ou de négligences, les premiers concernant la majorité des hommes et les seconds les adorateurs (‘ubbâd) faisant partie du commun des mortels. Parfois ces pensées portent sur ce qui est licite (mubâh) en particulier chez ceux qui débutent dans la Voie de Dieu ; chez ceux qui se situent à des degrés intermédiaires, tels ceux qui participent au dhikr collectif (litt. : açhâb al-samâ’, les « gens de l’audition »), ces pensées sont dirigées vers ce qui est recommandé (mandûb). Car le Diable égare chaque catégorie en fonction de ses tendances prédominantes et il connaît fort bien les moments où il convient d’exercer la tromperie et la séduction !
En ce qui concerne les connaissants (‘arifûn), le Diable se présente à eux à travers les actes qui ont un caractère obligatoire (wâjibât) et n’a de cesse qu’ils manifestent l’intention devant Dieu d’accomplir un acte de soumission (tâ’a) qui est en même temps un engagement (‘ahd) que le connaissant prend devant Dieu. Lorsque le Diable s’est assuré que le connaissant est fermement décidé et qu’il ne lui reste plus qu’à passer à l’acte, il lui fait alors miroiter un autre acte d’adoration, préférable au premier au regard de la Loi. Le connaissant estime alors qu’il doit employer son temps de la meilleure manière, il néglige le premier rite pour entreprendre le second et Iblîs se réjouit de lui avoir fait rompre le pacte qu’il avait contracté avec Dieu. Le connaissant ignore tout cela car, s’il avait su dès le début que cela provenait du Diable, il aurait également su comment l’accueillir et lui résister, à la façon dont Jésus – sur lui la Paix – l’avait fait et dont le font tous les hommes de Dieu confirmés (mutamakkin), en tant qu’héritiers des prophètes. Il verrait qu’en dépit de ce qu’elles contiennent de bon, il ne s’agit que de suggestions sataniques.
C’est ainsi que le Diable se présente à l’hypocrite (dissimulé) parmi les gens du Livre et lui dit : « Ne savais-tu pas que ton Prophète avait déjà annoncé (la venue de) cet homme ? Tu savais bien que c’était lui et que la prophétie les réunissait tous deux ; c’est pourquoi tu peux lui dire qu’il est l’Envoyé de Dieu sur la foi de ce qu’a annoncé ton Prophète et non parce que c’est lui (l’ultime Envoyé) qui te l’a dit car, en réalité, il n’y a aucune différence entre les deux ! » C’est alors que l’hypocrite proclame : En vérité tu es bien l’Envoyé de Dieu ! (Cor.63.1) mais le Très-Haut récuse son mensonge en ces termes : Lorsque les hypocrites viennent à toi, ils te disent : « Nous attestons que tu es l’Envoyé de Dieu ! (Cor.63.1) en fonction de la conviction que le Diable a ancrée en eux ; et c’est pourquoi il ajoute : Dieu sait fort bien que tu es Son Envoyé mais Dieu atteste que les hypocrites sont des menteurs (Cor.63.1) parce qu’ils soutiennent cela non pas parce que tu le leur a dit (mais parce que Satan le leur a suggéré). Et si une telle profession de foi avait été prise en compte, cela serait revenu à nier la mission même de (notre Seigneur) Muhammad – sur lui la grâce et la paix –.

Comment reconnaître la pensée satanique d’une autre.

Je t’ai ainsi inscrit sur la façon dont le Diable procède pour s’insinuer dans les âmes des êtres afin que tu puisses t’en préserver et demander à Dieu qu’Il te donne un signe par lequel tu le (Iblîs) reconnaîtra ! De façon générale, Dieu t’a déjà fourni un instrument de mesure (litt. : une « balance », mîzân) qui n’est autre que la Loi en précisant pour toi au sein de cette Loi ce qui était obligatoire, recommandé, licite, blâmable, déconseillé ou interdit, en exprimant tout cela par écrit, que ce soit dans Son Livre ou par la bouche de Son Envoyé.
S’il te survient une pensée relative à quelque chose de blâmable ou d’interdit, sache qu’elle provient certainement de Satan ; s’il te survient une pensée relative à quelque chose de licite, sache qu’elle provient sans nul doute de ta nafs (l’âme concupiscente). Evite fermement les pensées suscitées par le Diable et relatives à ce qui est blâmable ou à ce qui est interdit, qu’il s’agisse d’une action ou d’une négligence (ou : d’une omission) ! En ce qui concerne ce qui est licite, tu as le choix de t’y adonner (ou non) ; mais si la recherche du bénéfice (arbâh) te domine, alors évite le licite pour te consacrer à ce qui est obligatoire ou recommandé ; et si tu t’emploies (taçarruf) à l’usage de ce qui est licite, fais-le en gardant présent à l’esprit (hudûr) que ceci est licite et que, si le Législateur ne l’avait pas établi comme tel, tu n’en aurais pas fait usage ;de sorte tu seras récompensé en accomplissant ce qui est licite, non pas parce que la chose est licite, mais parce que tu es convaincu qu’il s’agissait bien là d’un point de la Loi (shar’) divine ; car le statut légal (hukm) (d’une chose) n’est pas modifiable (lâ yantaqilu) après la mort de l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – et ce statut s’identifie avec la Loi (shar’) elle-même dont la porte s’est désormais fermée. Par conséquent, ce qui est licite est licite à jamais et ne sera plus jamais ni obligatoire ni interdit et il en est ainsi pour tous les statuts légaux.
S’il te survient une pensée relative à quelque chose d’obligatoire, mets-la immédiatement en pratique sans en douter car elle te vient de l’ange. S’il te survient une pensée relative à quelque chose de recommandé, retiens la première pensée et tiens-t’y ! car il se peut parfois qu’elle provienne d’Iblîs ; et si, ensuite, la pensée te traverse de délaisser cette recommandation pour une autre plus élevée et plus digne d’attention que la première, ne renonce cependant pas à la première et tiens-t’en à elle tout en te souvenant de la seconde et, quand tu l’as accomplie, alors seulement entame la seconde et accomplis-la aussi : ainsi, Satan s’en reviendra, éconduit (khâsi’an), car il ne sera pas parvenu à ses fins.
Ainsi se soigne la maladie de Satan quand elle agresse ton âme ; tu obtiendras alors la station de ‘Umar (‘umariyya-l-maqâm), et le Diable ne pourra te rencontrer sur un chemin sans être obligé d’en prendre un autre si tu le traites de cette manière. Tâche donc de préserver ce sur quoi nous avons attiré ton attention ! En vérité, Dieu fait l’éloge de ceux qui, tout en rivalisant dans l’accomplissement (ou : qui, s’empressant d’accomplir) de bonnes œuvres, se retrouvent parmi les devanciers (en Paradis) (Cor.23.61). Nous nous contenterons de ce qui vient d’être dit et Dieu dit la Vérité et c’est Lui qui conduit vers la (bonne) Voie (Cor.33.4).
(Muhyî-d-Dîn Ibn Arabî - al-Futûhât al-Mekkiyyah – Chap.55 : al-khawâtir al-shaytâniyya, traduit par A. Penot)

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