vendredi 24 août 2012

A.K. Coomaraswamy : Khwâjâ Khadir et la Fontaine de Vie.








[Ananda K. Coomaraswamy, Etudes Traditionnelles, N°224-225, août-septembre 1938, Numéro spécial sur le Soufisme.]




Dans l’Inde, le saint et prophète désigné par les noms Khwâjâ Khizr (Khadir), Pir Badar et Râjâ Kidâr (en arabe, Seyidnâ El-Khidr) fait l’objet d’un culte populaire encore existant et qui est commun aux Musulmans et aux Hindous. Son principal sanctuaire est situé sur l’Indus, près de Bakhar ; il y est vénéré par des personnes appartenant aux deux traditions ; c’est à peine, cependant, si son culte est moins répandu dans le Bihar et le Bengale. Dans le rituel hindou, on allume des lumières et on offre, près d’une fontaine, de la nourriture à des brâhmanes. Dans le culte musulman comme dans l’hindou, on lance sur un étang ou sur une rivière un petit bateau qui porte une lampe allumée. Dans l’iconographie, Khwâjâ Khizr est représenté comme un homme âgé, ayant l’apparence d’un faqîr, habillé entièrement en vert (1) et accompagné d’un poisson qui lui sert de « véhicule » et avec lequel il se meut sur les eaux.

AL-KHIZR
 
L’étude de cette iconographie, et aussi celle des légendes hindoues, renseignent, au moins partiellement, sur la nature de Khwâjâ Khizr. Dans la ballade de Niwal Daî, dont l’action est localisée à Safîdam (2) dans le Panjab, l’héroïne est la fille de Vâsuki, le roi des Serpents. Le pândava (3) aryen Râjâ Parikshit a livré bataille à Vâsuki et lui a arraché la promesse qu’il lui donnerait sa fille en mariage, union qui, du point de vue de Vâsuki, est inégale et constitue une mésalliance. Vâsuki est alors atteint de la lèpre, à la suite d’une malédiction prononcée par le prêtre Sîjî (4), dont les vaches avaient été mordues par les Serpents. Pour le guérir, Niwal Daî entreprend d’obtenir l’Eau de Vie (amrita), à la source fermée qu’elle seule peut ouvrir, mais qui se trouve sur les domaines de Râjâ Parikshit (5). Lorsqu’elle atteint la source, qui est recouverte de lourdes pierres, elle déplace celles-ci par l’effet de son pouvoir magique, mais les eaux baissent et sont bientôt hors de portée : en effet, Khwâjâ Khizr, qui est leur maître, ne veut pas les libérer, aussi longtemps que Niwal Daî, que personne encore n’a vue, si ce n’est son père Vâsuki et sa mère, la reine Padmâ, ne consent pas à se montrer à ses regards. Lorsque Niwal Daî se laisse voir, Khwâjâ Khizr « envoie les eaux qui montent en bouillonnant ». Râjâ Parikshit, éveillé par le bruit, part au galop vers la source ; il y trouve Niwal Daî, qui se cache sous sa forme de serpent, et il la contraint de reprendre son aspect humain ; après un long débat près de la source, il la convainc qu’elle est liée par la promesse de son père et, finalement, l’épouse (6).
 
La scène près de la fontaine a peut-être formé le thème original d’une composition que l’on rencontre dans un certain nombre de peintures mughal (7) du XVIIe et du XVIIIe siècle, où l’on voit un prince à cheval près d’une source, d’où une dame vient de puiser de l’eau (8). La conception d’une dynastie faisant remonter son origine à l’union d’un roi humain et d’une nâginî est très répandue dans l’Inde ; en dernière analyse, elle peut être rapportée à l’enlèvement de Vâch, l’apsarâ ou la Vierge des Eaux, qui est née des puissances de l’obscurité et que le Père créateur n’a pas « vue » avant la transformation de l’obscurité en lumière, in principio ; sous ce rapport, il est à noter que, dans la ballade, Niwal Daî n’a jamais vu le Soleil ou la Lune, et a été tenue cachée dans un tourbillon d’eau (bhaunrî), jusqu’à ce qu’elle en sorte pour mettre à jour la Source au Bout du Monde, dans laquelle sont les Eaux de Vie (9). Elle assume alors une force humaine, ce qui constitue sa « manifestation ». On comprendra, du reste que, exactement comme dans les légendes européennes semblables, où une ondine, ou la fille d’un magicien, épouse un héros humain, tout aussi bien dans les récits ou poèmes hindous récents, le rédacteur peut n’avoir pas toujours saisi le sens profond  de son sujet.
 
Khwâjâ Khizr apparaît aussi dans un autre conte populaire d’un type très archaïque, l’histoire du prince Mahbûb (10). Le roi de Perse a eu d’une concubine un fils, qui, faute d’enfant légitime, devient l’héritier présomptif. Plus tard, la reine en titre devient enceinte. Le premier prince craint de perdre ses droits, envahit le royaume, tue son père et usurpe le trône. Cependant la reine s’enfuit et est recueillie par un fermier ; elle accouche d’un fils, qui est appelé Mahbûb, le « Bien-Aimé » (du Monde). Ce dernier, ayant grandi, se rend seul à la cour et sort vainqueur de compétitions athlétiques, notamment de celles de tir à l’arc. Le peuple n’est pas sans observer sa ressemblance avec le roi défunt. Lors de son retour, il est instruit par sa mère de son origine et tous deux partent en voyage afin d’échapper aux entreprises de l’usurpateur. La mère et le fils arrivent dans une contrée déserte et là, dans une mosquée près d’une montagne, ils rencontrent un faqîr, qui leur donne une eau et un pain inépuisables et deux objets en bois, dont l’un peut servir de torche, l’autre possédant la propriété de rendre guéable la mer la plus profonde, dans un rayon de quatorze coudée ; dans ce rayon, la profondeur diminue jusqu’à ne plus dépasser une coudée. Mère et fils traversent ainsi l’océan avec de l’eau jusqu’aux genoux et ils rencontrent un courant charriant des rubis. Ils abordent finalement dans l’Inde, où ils vendent l’un des rubis pour un prix élevé. Ce rubis tombe entre les mains du roi de la contrée, qui apprend d’où il est venu et fait rechercher le héros, lequel dans l’intervalle s’est fait construire un nouveau et grand palais sur le bord de la mer. Mahbûb entreprend de procurer au roi d’autres rubis de la même sorte. Il part seul, allume la torche (preuve qu’il s’apprête à pénétrer dans un monde obscur) et, se servant de la baguette, traverse la mer jusqu’à ce qu’il atteigne le courant aux rubis. Il le remonte jusqu’à sa source, qui est un tourbillon, y saute, descend dans cette obscure cheminée d’eau, touche le fond et découvre que les eaux sortent d’une porte de fer s’ouvrant sur un conduit. Traversant le conduit, il se trouve dans un magnifique jardin, au milieu duquel se trouve un palais. Dans une chambre de ce palais, il voit une tête fraichement coupée, de laquelle tombent des gouttes de sang qui sont recueillis dans un bassin ; ces gouttes sont emportées par le courant, comme rubis, dans le conduit, et ensuite dans le tourbillon et dans la mer. Apparaissent alors douze pérîs (11), qui prennent la tête, apportent le corps décapité, réunissent la première au second et, saisissant des flambeaux allumés, exécutent autour de la couche une danse si rapide que Mahbûb n’en perçoit qu’un cercle de lumière. Alors, se penchant au-dessus du lit, elles se lamentent : « Encore combien de temps, Seigneur, encore combien de temps ?... Quand le soleil de l’espoir se lèvera-t-il sur l’obscurité de notre désespoir ? Lève-toi, ô Roi, lève-toi ! Encore combien de temps vas-tu demeurer dans cette inconscience semblable à la mort (12) ?
 
Alors, du sol du palais, s’élève la forme du faqîr dont il a été question et qui est maintenant vêtu d’une robe de lumière. Les pérîs s’inclinent devant lui et lui demandent : « Khwâjâ Khizr, l’heure est-elle venue ? » Le faqîr, qui n’est autre en fait que l’immortel Khwâjâ Khizr, explique à Mahbûb que le cadavre qu’il voit est celui de son père, qui a été tué par l’usurpateur Kassâb ; les ancêtres de Mahbûb ont tous été des magi (13) ; tous ont été ensevelis dans le palais sous-marin, mais le père de Mahbûb est resté sans sépulture, car personne n’a accompli pour lui les rites funéraires ; Mahbûb, qui est son fils, devait réparer cette omission. Mahbûb prie donc Allah pour l’âme de son père. Aussitôt la tête se soude au corps et le roi défunt se lève vivant (14). Khizr disparaît, et Mahbûb retourne dans l’Inde avec son père, qui est ainsi réuni à la reine veuve. Lorsque le roi de l’Inde vient chercher les rubis, Mahbûb se pique le doigt et les gouttes de sang, tombant dans une coupe pleine d’eau, deviennent les gemmes demandées ; car, ainsi que Mahbûb le sait maintenant, chaque goutte de sang qui coule dans les veines des rois de Perse est plus précieuse que des rubis. Mahbûb épouse la fille du roi de l’Inde. Une expédition part pour la Perse et détrône l’usurpateur Kassâb ; celui-ci est décapité et sa tête suspendue dans le palais souterrain ; chaque goutte de sang qui en tombe devient un crapaud.
 
La vraie nature de Khwâjâ Khizr est déjà clairement indiquée dans les deux récits que nous venons de résumer, ainsi que tous les documents iconographiques. Khizr est chez lui dans les deux mondes, l’obscur et le lumineux, mais par-dessus tout il est le maître de la Rivière de Vie qui coule dans la Terre des Ténèbres ; il est le gardien de l’Eau de Vie et, sous ce rapport, il correspond au Soma et au Gandharva vêdiques et même à Varuna. Ni du point de vue islamique, ni du point de vue de l’Hindouisme post-vêdique, il ne peut évidemment être identifié à proprement parler à une « divinité » ; mais il n’en est pas moins l’expression directe, ou la manifestation, d’une puissance spirituelle élevée. Nous allons trouver ces conclusions générales amplement confirmées par un autre examen des textes islamiques concernant al-Khadir.
 
Le Qur’ân (sûrah XVIII, 59-81) raconte les efforts faits par Mûsâ (Moïse) pour découvrir le Madjma’ al-Bahraïn ou « réunion des deux mers » expression qui désigne probablement une « place » de l’Extrême-Occident au lieu de rencontre de deux océans ; Mûsâ est guidé par un « serviteur de Dieu », que les commentateurs identifient à al-Khadir, lequel est dit résider sur une île ou sur un tapis vert au milieu de la mer. Ce récit peut être comparé à trois autres appartenant à des traditions plus anciennes : l’épopée de Gilgamesh, les romans d’Alexandre et la légende juive d’Elijah et de Rabbi Joshua ben Levi (15). Dans l’épopée de Gilgamesh, le héros part à la recherche de son immortel « ancêtre » Utnapishtim, qui habite à l’embouchure des rivières (ina pi narati), ce qui n’est pas sans rappeler Varuna dont la demeure est « à la source des rivières », sindhûnâm upodayê (Rig-Vêda, VIII, 41, 2) ; son but est de s’informer de la « plante de vie », prototype du haoma avestique et du soma vêdique (16) et par laquelle l’homme peut-être sauvé de la mort. Dans les romans d’Alexandre, Alexandre part à la recherche de la Fontaine de vie, qu’il découvre par hasard, mais qu’il ne peut plus retrouver ; il est significatif que c’est « dans la Terre des Ténèbres » qu’il la découvre. Le Shâh Nâmeh contient une version de cette légende ; d’après cette version, Alexandre part à la recherche de la Fontaine de Vie, qui se trouve dans la  Terre des Ténèbres, plus loin que l’endroit où le Soleil se couche dans les eaux de l’ouest ; Alexandre est guidé par Khizr, mais, lorsqu’ils arrivent à une bifurcation, chacun suit une voie différente et Khizr seul mène la « queste » à bonne fin. Les compagnons d’Alexandre, qui rapportent avec eux des pierres de la Terre des Ténèbres, trouvent à leur retour qu’elles sont des pierres précieuses (17). La même histoire est racontée avec plus de détails dans l’Iskender Nâmeh de Nizâmî ; là (LXVIII-LXIX), Alexandre apprend d’un homme âgé (probablement Khizr lui-même) que « de tous les pays, le meilleur est la Terre Sombre, où se trouve une eau qui donne la vie » et que la source de cette Rivière de Vie est au nord, sous l’étoile Polaire (18). Le long de la route qui conduit à la Terre Sombre, sur chaque terre aride, la pluie tombe et l’herbe pousse : « Tu aurais dit : « La trace de Khizr est marquée par cette route ; en vérité, Khizr lui-même était avec le roi » » (19). Les voyageurs atteignent la limite septentrionale du monde, le soleil cesse de se lever et la Terre des Ténèbres s’étend devant eux. Alexandre fait du prophète Khizr son guide et Khizr, « s’avançant avec verdeur (20) », montre la route et découvre bientôt la fontaine ; il boit de son eau et devient immortel. Il tient son regard fixé surla source, attendant qu’Alexandre le rejoigne ; mais elle cesse d’être visible et khizr lui-même disparaît, comprenant qu’Alexandre échouera dans son entreprise. Nizâmî rapporte une autre version, conforme au « récit des anciens de Rome » ; ici la « queste » est entreprise par Ilyâs (21), accompagné de Khizr. Ils s’assoient un jour près d’une fontaine pour prendre leur repas consistant en un poisson séché. Le poisson tombe dans l’eau et redevient vivant ; ainsi les deux chercheurs savent qu’ils ont trouvé la Fontaine de Vie et ils boivent de son eau. Nizâmî passe à la version qorânique et interprète la fontaine comme une Fontaine de Grâce, la vraie Eau vivante étant la Connaissance de Dieu. Une interprétation semblable de cet ancien symbolisme se trouve dans le Nouveau Testament (Jean, IV). Nizâmî attribue l’échec d’Iskender (Alexandre) à son impatience, alors que, dans le cas de Khizr, « l’Eau de Vie arrive sans avoir été cherchée » ; c’est ce qu’il conclut du fait que l’Eau est révélée indirectement par son effet sur le poisson, alors que Khizr ne se doute pas qu’il l’a déjà trouvée.
 
LES PROPHÈTES ÉLIE ET AL-KHADIR PRÈS DE LA FONTAINE DE VIE.


                                                Un épisode de l’Iskander nâma de Nizâmî.
                                         Peinture persane, école d’Hérat, fin du XVe siècle.
                                                          Freer Gallery of Art, Washington.
 
La découverte de la fontaine par Ilyâs et Khizr forme dans l’art persan le sujet de miniatures illustrant l’Iskendar Nâmeh (22). L’une d’elle, qui orne la fin d’un manuscrit de la fin du XVIe siècle appartenant à M.A. Sakisian, est reproduite en couleurs comme frontispice de son ouvrage La Miniature persane, 1929, et en monochrome dans le Persian Painting de L. Binyon, 1933, pl. LXI a ; ici, deux prophètes sont assis près de la Source dans un paysage verdoyant, on voit deux poissons sur un plat, et un troisième, visiblement vivant, se trouve dans la main de Khizr ; il est clair que ce dernier indique à Ilyâs la signification du miracle. Ilyâs est vêtu de bleu, Khizr porte une robe verte et un manteau brun. Dans une composition du XVIIe siècle qui appartient à la Freer Galery, de Washington, est reproduite dans Ars Islamica, vol. I, 2e partie, p.179, l’arrangement est semblable, mais il n’y a qu’un poisson sur le plat. Une troisième miniature, enfin, remontant à la fin du XVe siècle, se trouve au Museum of Fine Arts de Boston et a été reproduite dans Ars Asiatica, XIII, pl. VII, n°15 ; Ilyâs et al-Khadir apparaissent au premier plan près du fleuve, dans l’obscurité ; Alexandre et sa suite sont au-dessus, comme dans la peinture de la Freer Gallery, où la disposition des ombres et des lumières est cependant inverse. La composition de la Freer Gallery semble être, à cet égard, la plus correcte, car, si la recherche a lieu toute entière sur la Terre des Ténèbres, on peut admettre néanmoins que le voisinnage immédiat de la Fontaine de Vie est illuminé par l’éclat des Eaux. Les Découvreurs de la Source ont tous deux la tête nimbée.
 
Dans le Lai d’Alexandre syriaque et dans la version du Qur’ân, le poisson s’enfuit ; et le Qur’ân ajoute qu’il gagne la mer. Ceci peut être mis en rapport avec l’histoire de Manu et du « poisson » (shatapatha-Brâhmana, I, 8, 1) ; le « poisson » (jhasha) est vivant dès le début, mais il est très petit et sa position est précaire, car il tombe dans les mains de Manu pendant que celui-ci se lave, et il lui demande de l’élever. Manu lui fournit l’eau qui est nécessaire ; et, quand le poisson est devenu grand, il le lâche dans la mer ; lorsque le Déluge arrive, le poisson guide l’arche sur les eaux grâce à un câble attaché à sa corne. Une variante remarquable de la légende de Manu se trouve dans le Jaiminîya-brâhmana (III, 193) et le Panchavimsha-brâhmana (XIV, 5, 15) ; cette variante offre une similitude étroite avec les récits de l’Iskender Nâme et du Qur’ân en ce qui concerne la dessiccation du « poisson ». Ici Sharkara, le « marsouin » (shishumâra), refuse de louer Indra ; Parjanya, le dieu de la pluie, le fait échouer sur le rivage et le fait dessécher par le vent du nord (la cause de la dessiccation du poisson est ainsi indiquée). Sharkara compose alors un cantique de louange en l’honneur d’Indra ; Parjanya le rend à l’océan (comme fait Khizr, quoique sans le vouloir, dans le récit qorânique) ; et, grâce au même cantique, Sharkara accède au Ciel, et devient une constellation. On ne peut douter qu’il ne s’agisse ici de la constellation du Capricorne, en sanscrit makara, makarashî. Ainsi makara, jhasha et shishumâra sont synonymes (23) ; et ce Léviathan indien correspond clairement au poisson Kar, « la plus grande des créatures d’Ahuramazda », qui nage dans le Vourukasha, gardant l’arbre de vie Haoma dans l’océan primordial (Bundahish, XVII ; Yasna, XLII, 4, etc.) ; il correspond aussi au poisson-chèvre sumérien, le symbole et parfois le « véhicule » d’Ea, le dieu des Eaux (Langdon, Semitic Mythology, pp.105-106). Dans l’iconographie hindoue récente, le « véhicule » de Khizr est indéniablement un poisson et non le makara, dont la forme rappelle celle du crocodile ; mais ceci ne saurait nous surprendre, car on trouve dans l’iconographie indienne, des exemples prouvant l’équivalence du makara et du poisson ; dans quelques représentations anciennes, par exemple, la rivière-déesse Gangâ est supportée par un makara, mais dans les peintures récentes elle l’est par un poisson (24).
                            Alexandre et Khidr entrent au royaume des Ombres


Dans la version de la légende d’Alexandre qui est dite le Pseudo-Callisthenes (C), Alexandre est accompagné de son cuisinier Andreas. Après un long voyage dans la Terre des Ténèbres, ils arrivent en un lieu ruisselant d’eau et s’assoient pour prendre leur repas ; Andreas humecte le poisson sec et, voyant qu’il revit, boit de l’eau, mais n’en dit rien à Alexandre. Plus tard Andreas séduit Kalè, la fille d’Alexandre, et lui donne à boire de l’Eau de Vie (dont il a emporté une certaine quantité) ; elle devient ainsi une déesse immortelle et est appelée Nereis, tandis que le cuisinier, jeté dans la mer, devient un Dieu ; tous deux sont ainsi des habitants de l’autre monde. Sans aucun doute, Andreas est ici une déformation de l’Idrîs du Qur’ân (sûrah XIX, 57 et suiv., et sûrah XXI, 85) ; Idrîs est le nom d’un prophète que la tradition musulmane identifie à Enoch et à Hermès et qu’elle considère, de même qu’Ilyâs et aussi saint Georges, comme lié à al-Khadir par une affinité spirituelle étroite. De ce qu’Ibn al-Qiftî rapporte au sujet d’Idrîs dans son Tarîkh al-Hukamâ (environs de l’année 1200), il ressort qu’Idrîs joue le rôle d’un héros solaire et est immortel.
 
Quant à la ressemblance qu’il peut y avoir entre al-Khadir et saint Georges, c’est elle sans doute – ainsi que le rôle du premier comme patron des voyageurs – qu’évoque une figure du XIIIe siècle, probablement celle d’al-Khadir, qui est sculptée en relief au-dessus de la porte d’un caravansérail sur la route de Sinjâr à Mosoul ; la tête est nimbée et le personnage enfonce une lance dans la gueule d’un dragon couvert d’écailles (25).
 
Une autre figure représentant un homme assis sur un poisson, vraisemblablement un travail hindou, se trouve dans le bastion du fort de Raichur, dans le Dekkan ; il a été signalé qu’autour de la tête de l’homme était une couronne de têtes de serpents de rivière à capuchon et, pour cette raison, la figure a été appelée un « roi des serpents » ; mais ces têtes de serpents à capuchon ne sont pas clairement discernables sur la reproduction qui a été publiée (26). L’art indien de la période médiévale offre de nombreuses représentations de Varuna assis sur un makara (27).
 
Nous mentionnerons rapidement, pour terminer, quelques rapprochements avec des traditions européennes, Khadir correspond à Glaukos, le dieu marin des Grecs (Friedlânder, op. cit., pp. 108 et suiv., 242, 253, etc., Barnett, loc. cit., et le Gandharva vêdique sont dignes de remarque. Dans l’Avesta, Gandharva est désigné comme zairipâshna, « celui qui a des talons verts », ce qui tend à établir un lien entre Gandharva et Khâdir. Il est possible que Gandharva, comme l’a suggéré Barnett, corresponde à Kandarpa, c’est-à-dire à Kâmadêva (le dieu hindou de l’amour) ; sous ce rapport, on peut observer que le trait érotique, qui est commun à Glaukos et à Gandharva-Kâmadêva se retrouve appliqué à Khizr dans la ballade de Niwal Daî, où Khizr refuse de libérer les eaux aussi longtemps qu’iln’a pu voir Niwal Daî ; c’est une condition qui apparait comme naturel, dès lors que nous considérons Khizr comme le Gandharva et Niwal Daî comme l’apsarâ ou la Vierge (yoshâ) des Eaux, et aussi bien si nous assimilons Khizr à Varuna : Le Rig-Véda (VII, 33, 10-11) rapporte en effet que « Mitra-Varuna » ont été séduits par la vue d’Urvashî, ce qui est souligné dans le Sarvânukramanî (I, 166 : urvashîm apsarasam drishtwâ… réto apatat) et aussi par Sâyana (rétash chaskanda), qui suit visiblement ici Nirutka, V, 13. La même situation est sous-entendue dans Rig-Véda, VII, 87, 6, en ce qui concerne Varuna seul ; là Varuna descend comme une goutte blanche (drapsa) et est appelé « traverseur de l’espace » (rajasah vimânah) et « régent de profondeurs » (gambhîra-shamsah), toutes désignations qui pourraient être appliquées à Khizr. Il reste à observer que, dans l’iconographie chrétienne, la figure du dieu-rivière Jourdain (28) qui se rencontre couramment dans les représentations du Baptême de Jésus, offre une certaine ressemblance avec les conceptions de Glaukos et de Khizr. Dans certains cas, le baptême est considéré comme ayant lieu au confluent des deux rivières, Jor et Danus (ce qui rappelle la « réunion des deux mers » du Qur’ân). Parfois sont figurés un dieu masculin de la rivière et une figure féminine représentant la mer ; tous deux sont à cheval sur des dauphins, comme dans l’Inde, de nombreux types de Yakshas nains qui sont à cheval sur des makaras. En dernière analyse, on peut faire remonter tous ces motifs iconographiques à des prototypes dont l’expression la plus ancienne, au moins d’après l’état présent des recherches, est sumérienne : c’est celle qui concerne Ea, fils et image d’Enki, dont le nom essentiel (Enki) signifie « le Seigneur des Eaux profondes ». Ea est le régent des fleuves, qui ont leur origine dans le monde souterrain et qui coulent de là pour fertiliser la terre ; il est aussi le maître des pierres précieuses. Dans l’iconographie, Ea est accompagnée du poisson-chèvre et tient dans ses mains le vase d’où l’eau coule, la source « du pain et de l’eau de la vie immortelle ». Ea a sept fils, dont Marduk, qui hérite de sa sagesse et tue le dragon Tiamat. Un autre fils est Dumuzi-abzu, le « Fils fidèle des Eaux nouvelles », le Pasteur, dont le nom, sous sa forme sémitique, est Tammuz, bien connu comme le « dieu mourant » de la végétation ; il est à maints égards comparable à Soma et, en tant que « Seigneur du Royaume des morts », à Yama. Les autres rapprochements que l’on peut faire avec les divinités sumériennes sont trop nombreux et trop complexes pour pouvoir être convenablement traités ici (29). Il suffira d’avoir montré la large diffusion et l’ancienne origine de la figure de Khwâjâ Khizr, telle qu’on la rencontre dans l’ancienne iconographie de la Perse et de l’Inde. A propos de l’art mughal, on peut citer la remarque de H. Goetz qui, étudiant les osurces de cet art, observe qu’il offre, « tantôt une identité absolue, tantôt une parenté très étroite avec les arts des grandes civilisations de l’Ancien Orient, et notamment de l’époque sumérienne classique » (teils absolute Identitât teils engste Verwabdtschaft mit solchen der grossen altorientalischen Kulturen, und zwar zu gut Teilen schon der klassischen sumerischen Zeit) (30). Que la figure de Khizr acquière une certaine indépendance et une certaine prédominance justement dans l’art mughal du XVIIIe siècle – toutes les représentations indiennes que nous en avons vues  étaient dans le « style de Lucknow » – semble indiquer qu’une renaissance de son culte a eu lieu à cette époque et dans cette région, surtout si l’on tient compte d’un autre fait, à savoir l’adoption du poisson comme emblème royal des princes d’Oudh.
 
Nous n’avons envisagé ici qu’un des aspects d’al-Khadir ; il en existe d’autres, notamment celui qui se rapporte plus proprement à son rôle initiatique. Ces autres aspects sont, bien entendu, en parfaite harmonie avec le premier ; mais ils donneraient lieu à de nouvelles considérations qui ne pourraient rentrer dans les limites de cette étude.
 
[Ananda K. Coomaraswamy, Etudes Traditionnelles, N°224-225, août-septembre 1938, Numéro spécial sur le Soufisme.]

 
 
ANNEXE :

Extraits de correspondances de René Guénon avec Ananda K. Coomaraswamy concernant l’« article d’El-Khidr ».
 
Le Caire, 5 novembre 1936.
 
« Votre étude sur « Khwaja Khadir » (ici, nous disons « Seyidna El-Khidr ») est très intéressante, et les rapprochements que vous y avez signalés sont tout à fait justes au point de vue symbolique ; mais ce que je puis vous assurer, c’est qu’il y là dedans bien autre chose encore que de simples « légendes ». J’aurais beaucoup de choses à dire là dessus, mais il est douteux que je les écrive jamais, car, en fait, ce sujet est un de ceux qui me touchent un peu trop directement... – Permettez moi une petite rectification : El-Khidr n’est pas précisément « identifié » aux Prophètes Idris, Ilyâs, Girgis (st Georges) – (bien que naturellement, en un certain sens, tous les Prophètes soient « un ») ; ils sont seulement considérés comme appartenant à un même Ciel (celui du Soleil). »
 
Le Caire, 6 février 1938.
 
Le numéro spécial des « E.T. » de cette année (août-septembre) sera très probablement consacré à la tradition islamique ; à ce propos, j’aurais encore une demande à vous adresser : pourriez-vous nous donner pour ce numéro votre article sur El-Khidr, en le complétant par certaines considérations qui, comme vous me l’avez dit, n’auraient pas été à leur place dans la revue où il a été publié primitivement, mais qui seraient au contraire tout à fait appropriées pour les « E.T. » ? Si cela était possible, j’en serais d’autant plus heureux que, de divers côtés, on réclame depuis longtemps déjà quelque chose sur ce sujet, mais que, pour bien des raisons, je préférerais qu’il soit traité par quelqu’un d’autre que moi...
 
Le Caire, 11 mars 1938.
 
Quand à l’article sur El-Khidr, j’espère que, malgré ce que vous en dites, vous voudrez bien vous décider à nous le donner tout de même ; il va de soi, d’ailleurs, qu’il ne s’agit pas de traiter la question d’une façon complète, ce qui est une chose tout à fait impossible. Je vais tâcher de voir quelles indications je pourrais vous suggérer sur certains points ; naturellement, il sera tout à fait inutile de mentionner que cela vient de moi...
 
Le Caire, 1er juin 1938.
 
Je viens de m’occuper de votre article d’El-Khidr aujourd’hui même ; et, tout d’abord, je dois dire que, contrairement à ce que vous pensiez, je ne le trouve pas trop long ainsi ; en effet, il s’agit d’un numéro spécial qui est pour deux mois (août-septembre), et qui doit avoir normalement un nombre de page à peu près double de celui d’un numéro ordinaire. D’autre part, il serait intéressant de pouvoir reproduire, comme illustration, les fig. 1 et 2 ; pensez-vous que ce soit possible malgré la réduction nécessitée par le format de la revue ? On supprimerait seulement la fig. 3 (et aussi, par conséquent le renvoi qui y est fait dans le texte, vers le milieu de la p. 178). – Pour le titre, il me semble qu’il serait suffisant de mettre: « Khwaja Khadir and the Fountain of Life », sans ajouter la suite, étant donné que ce n’est pas sur le côté « artistique » de la question qu’il y à lieu d’attirer plus spécialement l’attention.
 
Quant à l’article lui-même, après y avoir encore réfléchi, je trouve qu’en définitive il serait difficile d’y faire des adjonctions sans que cela entraîne beaucoup trop loin. Il vaudrait donc mieux le laisser à peu près tel qu’il est, en modifiant seulement ce qui risquait de soulever certaines objections ou d’être interprété dans un sens qui serait en désaccord avec l’orthodoxie islamique. Je puis dire que j’ai examiné attentivement chaque mot à ce point de vue, et voici les modifications que je me permets de vous proposer :
 
« P. 173 ». – Au début : « In India the Saint and Prophet known as...», et après « Raja Kidar » ajouter entre parenthèse : « (in arabic, Seyidna El-Khidr) ».
 
Note 1: « In accordance with the meaning of his name, from « akhdar », « green ». »
 
Au commencement du 2ème paragraphe: «The nature and fonctions of Khwaja Khidr can be inferred at least partly, from his iconography...»
 
« P. 176». - Au début: « He is the gardian of the Water of Life and corresponds in this respect to Soma and Gandharva in Vedic mythology and even to Varuna himself thought it is evident that he cannot, either from the Islamic or from the latter Hindou point of vue, be properly identified with « deity », he is none the less, the direct expression or manifestation of a high spiritual power. We shall find these general conclusion amply confirmed by further examination of the Islamic text concerning al-Khadir.»
 
Ligne 6, remplacer « The legend » par « The narration ».
 
Supprimer la note 12, car « Bahrain » est ici simplement le duel de « bahr », « mer », et n’a pas de rapport avec l’île qui porte ce nom ; l’expression « Madjmâ al-Bahrain » signifie exactement « réunion des deux mers ».
 
Ligne 10 : « this story can be compared with three other ones belonging to older traditions, the Gilgamesh epic, ...»
 
Note 13, au début, supprimer « Islamic Legend ».
 
Ligne 25, supprimez « in human form ».
 
« P. 177 ». - Note 18 : « The prophet Elias, who is considered as belonging to the « spiritual family » of Khizr.» (Leur identification, en effet, n’est qu’une interprétation inexacte des orientalistes.)
 
« P. 178 ». - A la fin du 1er paragraphe, on pourrait ajouter une note en référence à mon article « Quelques aspects du symbolisme du poisson » (numéro de février 1936), dans lequel j’ai parlé précisément de ce dont il s’agit à cet endroit.
 
Ligne 31: « That Andreas here is a distortion of the Idris... »
 
Ligne 32: « Whom Islamic tradition identifies with Enoch and Hiram and considers, like Ilyas and also Saint George, as having a close spiritual affinity with al-Khadir.»
 
« P. 181 ». - Au début: « As to the ressemblance between al-Khadir and Saint George, it is in this connection...»
 
Ligne 11: « To some European parallels » et supprimer la fin de la phrase.
 
Lignes 13-14: Supprimez « Khadir belongs to the Wandering Jew type ». (Cette phrase ne pourrait être conservée qu’à la condition d’être suivie de longues explications, car elle soulève une question « dangereuse » et qu’il est préférable d’éviter, surtout à cause du roman de Gustav Meyrinck, « le Visage Vert » qui utilise cette assimilation d’un bout à l’autre, mais en la présentant d’une façon caricaturale, et dont l’inspiration est nettement « contre-initiatique »).
 
Ligne 33: « All these iconographical types...»
 
J’espère que vous voudrez bien accepter ces modifications, qui sont toutes importantes, bien que les raisons de quelques-unes d’entre elles ne soient peut être évidentes que pour quelqu’un qui vit dans un milieu strictement islamique...
En outre, il serait peut être bon d’ajouter à la fin quelques lignes dont le sens serait à peu près celui-ci: « Nous n’avons envisagé ici qu’un des aspects d’Al-Khadir; il est bien entendu qu’il en est d’autres, notamment celui qui se rapporte le plus proprement à son rôle initiatique, qui sont d’ailleurs en parfaite harmonie avec celui là, mais qui donneraient lieu à d’autres considérations qui ne pouvaient rentrer dans les limites de cette étude. »
 
J’espère que vous aurez encore un exemplaire disponible, sur lequel les corrections pourraient être faites facilement, ce qui vous éviterait la peine d’une copie (et aussi à cause des illustrations). Je vous prierai lorsque ce sera fait, de vouloir bien l’envoyer directement à M. Préau, afin d’éviter tout retard, car il faudra naturellement qu’il ait le temps voulu pour le traduire.
 
Je pense n’avoir oublié aucune indication, et je vous remercie bien vivement à l’avance pour tout cela.

(1) En conformité avec la signification de son nom, qui est dérivé de akhdar, « vert ».
(2) Safîdam, probablement une corruption de sarpa-damana, « domptage du serpent ». Au sujet de la légende de Niwal Daî, cf. Temple, Legends of the Panjab, I, 414-418 et 419.
(3) Descendant de Pandu, le père ou le grand-père des héros célèbres du Mahâbhârata.
(4) Généralement Sanjâ (dérivé peut-être du sanscrit samjna). Ce prêtre (brâhmana), qui sert Vâsuki, mais agit contre lui, fait penser à Vishwarûpa, qui est appelé le purohita (prêtre familial) des Anges (Taittirîya-samhitâ, II, 5, 1), et à Ushan Kâvya, qui est dit le purohita des Titans (Panchavimsha-brâhmana, VII, 5, 20), mais qui est gagné au parti des Anges et passe de leur côté.
(5) Il est difficile d’admettre comme « correcte » la localisation de la source dans les domaines de Parikshit (elle est, en réalité, à la frontière des deux mondes, dans une forêt également accessible à Vâsuki et à Parikshît), mais nous ferons observer que les eaux ne sont pas seulement protégées par leur épais revêtement de pierre, mais qu’elles sont soumises à la volonté de Khizr, qu’elles ne sont pas des eaux « courantes ». Nombreux sont les équivalents vêdiques de la « lourde pierre » qui empêche d’accéder aux eaux, par exemple dans le Rig-Vêda : apihitâni ashnâ (IV, 28, 5), adrim achyatam (IV, 17, 5), apah adrim (IV, 16, 8), dridhram ubdham adrim (IV, 1, 15), paridhim adrim (IV, 16, 8) ; lorsque l’obstacle de pierre est brisé, alors « les eaux coulent du rocher fécond » (srinvantv apah… babrihanasya adrêh, Rig-Vêda, V, 41, 12). Cf. Shatapatha-brâhmana, IX, 1, 2, 4, en connexion avec la consécration de l’autel, laquelle commence « à partir du rocher », car c’est du rocher que sourdent les eaux (ashmano hy apah prabhavanti). Dans la ballade, Vâsuki correspond à Ahi (Vritra), qui est frappé par Indra, mais qui « continue à grandir dans une obscurité sans soleil » (Rig-Vêda, V, 22, 6).
(6) Dans le récit ci-dessus résumé, il est facile de reconnaître le conflit des Anges et des Titans (dévas et asuras), d’Indra et d’Ahi-Vitra, thème qui fait partie du « mythe de la création ». L’enlèvement de Niwal Daî est celui de Vâch (la parole) (cf. Rig-Vêda, I, 130, où Indra « enlève la Parole », vâcam mushâyatî) ; Khwâjâ Khizr, le maître des eaux (les « rivières de vie » vêdiques, est Varuna).
(7) Mughal : « mogol ». Il s’agit de l’art, autrefois appelé improprement, « indo-persan » qui a fleuri dans l’Inde à la cour des princes mogols pendant les XVIe et XVIIe et XVIIIe siècles.
(8) E. G. Blochet, Peintures hindoues de la Bibliothèque Nationale, Paris, 1926, pl. V et XXIII.
(9) Le monde sous-marin, la demeure de la race des Serpents (ahi nâga), l’ « origine aquatique » (yonim apyam, Rig-Vêda, II, 38, 8) de Varuna se trouve « dans les ténèbres de l’Ouest » (apâchinê tamasi, ibid., VI, 6, 4) ; elle n’est pas éclairée par le Soleil est « au-delà du Faucon » (Jaiminîya-brâhmana, III, 268) ; mais le resplendissement des Eaux est éternel (ahar ahar yâti aktur apâm, Rig-Vêda, II, 30, 1).
(10) Shaikh Chilli, Folk tales of Hindusian, Allahâbad, 1913, p.130 et suiv., avec une peinture moderne de Khwâjâ Khizr, représenté comme un vieillard bénissant Mahbûb (pl. XXXIII). L’histoire du prince Mahbûb est essentiellement la relation de la « Queste du Graal » menée à bonne fin par un héros solaire, le fils d’une mère veuve élevé, loin du monde et dans l’ignorance innocente de son vrai caractère, comme dans le cycle de Parsifal. Mahbûb correspond à l’Agni et Sûrya vêdique. Kassab (l’usurpateur) à Indra.
(11) Apsarâs, vierges du Graal.
(12) Les « femmes qui se lamentent » et l’ « inconscience semblable à la mort » du Roi Pêcheur sont des traits essentiels du mythe du Graal.
(13) Equivalent au sanscrit mâyin, « magicien », désignation spécialement applicable aux titans et, à titre secondaire, aux anges principaux, particulièrement à Agni. Les « ancêtres » représentent les héros solaires des cycles précédents.
(14) La « Queste du Graal » est achevée.
(15) Pour les autres récits semblables et références diverses, cf. l’Encyclopedia of Islam, s.v. Idris, al-Khadir et Khwadja Khidr ; Warner, Shah Nama of Firadausi, VI, 74-78 et 159-162 ; Hopkins, « The Fountain of Youth », JAOS, XXVI ; Barnett, « Yama, Gandharva and Glaucus », Bull. Sch. Or.Studies, IV ; Grierson, Bihar Peasant Life, p.40-43 ; Garcin de Tassy, Mémoire sur des particularités de la religion musulmane dans l’Inde ; Wûnsche, Die Sagen von Lebensbaum und Lebenswasser, Leipzig, 1905 ; Friedländer, Die Chadhirlegende und der Alexander Roman, Leipzig, 1913.
(16) Cf. Barnett, loc. cit., p. 708-710.
(17) Cf. Rig-Vêda, VII, 6, 4 et 7, où Agni est dit ramener les Vierges (les rivières de vie), à l’est des « Ténèbres de l’Ouest » (apâchinê tamasî) et rapporter les « trésors de la terre » (budhnya vasûni), « lorsque le Soleil se lève » (uditâ sûryasya).
(18) Le royaume d’al-Khadir est connu sous le nom de Yûh, qui est aussi un nom du Soleil ; c’est là qu’al-Khadir règne sur les saints et les anges. Il est situé à l’Extrême-Septentrion ; c’est un « Paradis terrestre », une portion du monde humain qui n’a pas été affecté par la chute d’Adam et la malédiction qui l’a suivie (cf. Nicholson, Studies in Islamic Mysticism, pp.82, 124).
(19) D’après Umârah, Khizr est « vert » parce que la terre devient verte au contact de ses pieds.
(20) Khazra, « verdure » ou « ciel ».
(21) Le prophète Elie, qui est considéré comme appartenant à la « famille spirituelle » de Khizr.
(22) Cf. Iskender Nâme, LXIX, 57 : « la verdure croit plus abondamment près de la fontaine » ibid., 22, la source est décrite comme « une fontaine de lumière », ce qui correspond à Vendidâd, fargad XXI, d’après lequel la lumière et l’eau procèdent d’une source commune : cf. aussi le soma vêdique, qui est à la fois lumière et vie, une plante et un liquide (amrita, l’Eau de Vie, Cf. Barnett, loc. cit. p. 05, note 1).
(23) Dans le Baghavad-Gitâ (X, 31, Krishna est appelé « le makara des jhashas (jashânâm makarah) ; le makarah est ainsi regardé comme le plus important des jhashas ou monstres des profondeurs. Le mot makara se rencontre pour la première fois dans la Vajasanêyi-samhitâ, XXIV, 3, 5, shushumâra dans le Rig-Vêda, I, 116, 18. Pour une étude plus complète du makara dans l’iconographie indienne (particulièrement comme véhicule de Varuna et bannière de Kâmadêva), voir mon étude sur les Yakshas, II, 47, et suiv. et les références qui y sont indiquées. Le véhicule du « poisson », signifie, bien entendu, que la divinité considérée, n’est pas soumise aux conditions du mouvement local, dans l’Océan illimité de la possibilité universelle, de même que les ailes indiquent une indépendance analogue et « angélique » dans les mondes manifestés. Nous avons examiné en détail la signification de Sharkara (littéralement : « la pierre »), terme très important par sa relation avec la porte solaire des mondes, dans une étude intitulée Svayamâtrnâ : Janus Coeli, qui doit paraître comme un appendice de la nouvelle revue roumaine Zalmoxis.
(24) Voir aussi, sur cette question, René Guénon, Quelques aspects sur le symbolisme du poisson dans les Etudes Traditionnelles, n° de février 1936.
(25) Sarre et Herzfeld, Archäologische Reise im Euphrat und Tigrisgebiet, vol. I, pp. 13 et 37-38, Berlin, 1911.
(26) Annual Report, Archaeological Department, Nizam’s Dominions, 1929-1930(1933), p.17, pl.ii.b.
(27) Voir mon étude sur les Yakshas, II.
(28) Par exemple, dans le baptistère de la Ravenne (Berchem et Clouzot, fig. lii et 220) ; là, Jourdain tient un vas d’où coulent les eaux.
(29) Au sujet des divinités sémitiques, cf. S. H. Langdon, Semitic Mythology, ch. II, pour le vase dont l’eau découle, etc. Van Buren, The Flowing Vase and the God with Streams, Berlin, 1933, et, pour ce qui concerne l’Inde, mon étude Yashkas, II. Au sujet des rapports iconographiques entre les représentations asiatiques du vase rempli et les représentations chrétiennes du vaisseau du Graal, cf. Gosse, Recherches sur quelques représentations Vase Eucharistique, Genève, 1894.
(30) Bilderatlas zur Kulturgeschichte Indiens in der Grossmoghul-Zeit, 1930, p.71.

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