jeudi 18 août 2011

La méthode. Par Martin Lings



                                                                Cheikh Martin Lings

                                                                  Rahimahom Allah


Source: " Qu' est ce que le soufisme ? " de Martin Lings, chap: La méthode



" Rien de ce qui rapproche Mon esclave de Moi ne M 'est plus agréable que l' accomplissemnt des obligations que Je lui ai imposées . En plus, Mon esclave ne cesse de se rapprocher de Moi par des pratiques surérogatoires jusqu 'à ce que Je l' aime ; et lorsque Je l' aime, Je suis l' ouîe par laquelle il entend, la vue par lequel il voit, la main avec laquelle il empoigne, le pied sur lequel il marche 1 . "


Le soufisme tout entier_ ses aspirations, sa pratique et même, dans un sens sa doctrine _ est résumé dans cette " Tradition sainte " que les soufis citent peut-être plus souvent que tout autre texte, le Coran mis à part . Ainsi que l' on peut en inférer, les pratiques mentionnées sont de deux catégories : rites obligatoires pour tous les musulmans et rites surérogatoires . Lorsqu' un novice entre dans un Ordre, l' une des premières choses qu' il lui faudra faire sera d' acquérir une dimension supplémentaire conférant profondeur et élévation aux rites accomplis de façon plus ou moins exotérique depuis son enfance, à supposer qu' il ou elle, soit d' éducation islamique . Les obligations de l' Islam, couramment dénommées les " cinq piliers " , sont la Shahâdah,

1. Bukhârî, Riqâq, 37 .

 la prière rituelle cinq fois par jour, l' aumône, le jeûne du mois de Ramadan et le pèlerinage à la Mecque si les circonstances le permettent, cette dernière obligation étant la seule qui ait un caractère conditionnel .

Nous avons déjà indiqué la différence existant entre la Shahâdah telle que les soufis l' interprètent et son sens superficiel selon lequel " nul n' est digne d' adoration que Dieu " . Mais cette différence objective recouvre une différence subjective correspondante, car une question surgit : qui porte témoignage de ce qu' il n'est de dieu que Dieu, de réalité que la Réalité ? Pour les soufis, la réponse réside dans le Nom divin ash-Shahîd ( le Témoin ) qui, fait significatif, suit al-Haqq ( la Vérité, la Réalité ) dans les litanies des Noms les plus souvent récitées . Si Dieu seul est, aucun témoignage ne saurait être valable, excepté le Sien . C' est une hypocrisie d' affirmer l' Unité de l' Être d' un point de vue lui-même en contradiction avec la vérité, et ce fut sans doute afin que ses disciples fussent galvanisés en prenant conscience de cela que Hallâj énonça son paradoxe accablant : " Quiconque témoigne que Dieu est Un, Lui associe un autre [ à savoir son propre soi individuel en tant que témoin 1] "

1. Akhbar al-Hallaj, n°49

Le Témoin doit être, non le soi individuel, mais le Soi, ce qui signifie que l' âme n' est pas compétente pour proclamer la Shahâdah . Tous les Ordres soufiques sont d' accord sur ce point, bien que leurs méthodes puissent différer en ce qui concerne le franchissement du fossé séparant l' hypocrisie de la sincérité . Dans certains Ordres, en contraste avec la récitation simple qui suffit normalement, le novice doit réciter la Shahâdah des centaines de milliers de fois afin d' apprendre à la faire sourdre d' un point de conscience plus profond ; et même dans ce cas, et bien qu' il ait accès à la connaissance doctrinale de l' Unité de l' Être, il ne sera pas autorisé à méditer sur cette doctrine s' il est jugé trop assoupi intellectuellement . Jusqu' à présent, nous avons considéré seulement la première partie de la Shahâdah . Mais le premier pilier de l' Islam est double . Le témoin doit aussi attester que Muhammad est le Messager de Dieu _ Muhammadun Rasûlu 'Llâh . Le " voyageur " doit apprendre à voir dans cette formule un abrégé du chemin spirituel, de la vague qui doit l' emporter jusqu' au terme du voyage . Les deux témoignages se terminent pareillement . Mais, alors que lâ ilâha illâ 'Llâh commence par un terme négatif, comme pour tourner le dos au monde, Muhammadun Rasûlu 'Llâh 1 mentionne en premier lieu l' état de perfection humaine comme point de départ vers la réalisation de tout ce qui est situé au-delà .

1. Si Muhammadun Rasûlu ' Llâh exprime le reflux de la vague, on peut trouver l' expression complémentaire de son flux dans les trois lettres Alif-Lâm-Mîm.

En d' autres termes, il existe un abîme entre cette formule et le novice qui, dans divers Ordres, n' est pas autorisé à la répéter méthodiquement jusqu' à ce que la récitation de la première Shahâdah ait aboli certaines contractions de son âme et l' ait conduit au point où il lui sera possible de franchir le vide par son aspiration et de placer sa subjectivité dans le nom Muhammad . Répéter la formule Muhammadum Rasûlu 'Llâh avec l' accent mis sur le premier mot est comme se revêtir d' une robe magnifique qui serait beaucoup trop grande, mais aurait le pouvoir magique de faire croître jusqu' à ses dimensions celui qui la porterait . Cependant le porteur ne doit pas s' avouer à lui-même qu' il ne la remplit pas ; et la courtoisie spirituelle ( adab ) de la voie exige qu' il voie dans ses compagnons, disciples comme lui, des porteurs de la même robe et qu' il leur témoigne son respect en conséquence . Il y a là un autre exemple du ka' anna ( comme si ) très caractéristique du soufisme, et cela illustre aussi la primordialité de sa perspective . La seconde Shahâdah peut être regardée, du point de vue de la méthode, comme un refus d' admettre que la chute de l' homme ait vraiement eu lieu 1 . Mais cette manière de voir doit nécessairement se combiner avec une conscience aiguë

1. Il est à peine besoin de dire que c' est aussi le cas de la première Shahâdah dans son sens le plus élevé .

des effets de la chute, c' est -à-dire de ses propres manquements et, éventuellement de ceux des autres, et cette conscience trouve son expression dans les deux premiers mots de la première Shahâdah, lâ ilâha, ou, plus simplement, dans la négation initiale . Ainsi le premier pilier de l' Islam avec sa dualité, peut être considéré comme une combinaison de la situation de l' homme déchu de celle de l' homme non déchu, et le soufi doit être toujours prêt à se déplacer de l' une à l' autre .

Le second pilier de l' Islam _ qui fournira encore une illustration de la différence entre conceptions légaliste et mystique de l' adoration _ est la prière rituelle avec l' ablution qui en est inséparable . Tous les croyants admettront que ce rite est un acte symbolique et que l' ablution symbolise la purificaion de l' âme . Mais il serait certainement juste d' ajouter que la généralité des croyants regarde l' ablution seulement comme un rite conférant un degré de pureté jugé suffisant par le Ciel pour accomplir sa prière _ d' où la conscience de se trouver dans un état de pureté légale ou rituelle, sentiment qu' il ne sied pas de sous-estimer, car il s' agit, par définition, d' un " état de grâce " qui, de ce fait, est ouvert à toutes sortes de bénédictions . Le soufi partage nécessairement ce point de vue et ce sentiment ; mais, au-delà de cette condition légale, il se préoccupe de la pureté effective qu' il peut " goûter " et qu' il doit rendre totale et permanente ; et pour lui, l' ablution est avant tout un moyen de prolonger la pureté qu' il a déjà réalisée et d' intensifier, à l' aide de l' élément liquide transparent et lumineux, la conscience qu' il en a .

On a déjà fait allusion à l' idendité secrète existant entre la racine linguistique d' où est dérivé le mot çufî et une autre racine dont la signification de base exprime une idée de " pureté " et il ne fait guère de doute que le terme çufî a été accepté et s' est imposé en grande partie parce qu' il évoque le mot çafi ( pur ), relevant ainsi une qualité qui est le commencement et la fin de tout mysticisme . En effet, Bishr al-Hâfî 1 , l' un des grands parmi les plus anciens soufis de Bagdad, déclara expressément : " Le soufi est celui qui garde son Coeur pur ( çafi ) . "

Il faut se souvenir, en outre, que non seulement l' acte rituel, mais l' élément auquel il a recours est en lui-même un symbole, ce qui implique un lien à une chaine d' archétypes remontant à son Origine divine . En d' autres termes, l' eau doit être considérée comme s' écoulant dans ce monde à partir de l' autre ; et, d' après le Coran, l' eau est l' un des symboles de la Miséricorde ( qui inclut la purification ) et de la vie 2 . La quantité utilisée ne compte pas . Une goutte d' eau peut, aussi bien qu' un lac, symboliser la Béatitude infinie dans laquelle on est réintégré par la Miséricorde . Ainsi, dans l' ablution, l' eau consacrée par l' aspiration au retour devient un moyen de réintégration, où, d' un autre

1. Décédé en 842 .
2. Voir notre article " The Quranic Symbolism of Water ", dans Studies in Comparative Religion, été 1968 .

Point de vue, de libération, car elle symbolise également la Substance vivante de la Réalité rendue à la liberté après avoir été congelée dans les formes finies .

Vu d' un autre angle, la même finalité est représentée dans la prière rituelle, au cours de laquelle chaque cycle de mouvement aboutit à une prosternation suivie d' une position assise . Les Soufis l' interprètent à la lumière de passage coranique : " Tout ce qui s' y trouve [ dans les mondes créés ] disparaîtra ; la face de ton Seigneur subsiste, pleine de majesté et de générosité 1 ". La disparition correspond à la prosternation, et ce qui subsiste à la position assise qui est la plus compacte et la plus stable de toute la prière 2 . C' est de ce verset que sont dérivés deux termes soufiques fondamentaux : fanâ' ( extinction ) et baqâ' ( ce qui demeure, qui subsiste, Eternité ) ; et on peut dire de celui qui a connu l' extinction qu' il ne subsiste pas lui-même, mais seulement en tant que Soi . Parmi les rites non obligatoires de l' Islam accomplis par les soufis, l' invoquation du nom Allâh, comme on l' a déjà noté est de beaucoup le plus important . On pourrait voir une certaine contradiction entre la " Tradition sainte " citée au début de ce chapitre, déclarant l' obligatoire supérieur au surérogatoire, et l' affirmation

1. LV, 26-27 .
2. Pour des explications plus complètes sur la signification de ces mouvements, voir " Un saint musulman du XX e siècle, op . cit ., p. 234-238 .

coranique selon laquelle le dhikr Allâh, qui est facultatif, est plus grand que la prière rituelle elle-même, qui est obligatoire .

Mais il faut garder à l' esprit que, même si les pratiques obligatoires impriment un rythme spirituel à l' écoulement des heures, leur accomplissement exige relativement peu de temps .Les rites surérogatoires ont alors une supériorité potentielle sur elles en ce qu' ils ont la capacité de ceindre et de pénétrer la vie toute entière, et c' est à cela que tendent ceux qui pratiquent l' invocation de façon méthodique . La " Tradition sainte " signifie en clair qu' une obligation légale ne saurait être remplacée par autre chose au gré d' un caprice individuel . Ainsi les soufis s' accordent sur le fait que l' invocation du Nom, qui constitue en soi le rite le plus efficace, est acceptable par Dieu à la seule condition que l' invocateur ait accompli tout ce qui est obligatoire . Elle ne pourrait constituer elle-même une obligation légale, car, plus un rite est puissant, plus il peut être dangereux ; et il s' en faut de beaucoup que tous les novices soient autorisés dès le commencement à pratiquer l' invocation du Nom suprême .

La récitation du Coran est sans doute le rite facultatif le plus répandu dans l' ensemble de la communauté musulmane . On pourrait dire des soufis qu' ils se distinguent de la majorité parce que, lorsqu' ils le récitent _ ou lorsqu' ils l' écoutent, ce qui est rituellement équivalent _ , ils le font en tant que prolongement du dhikr Allâh, sans atténuer leur aspiration au retour à Dieu . La doctrine relative au caractère incréé du livre révélé offre un moyen d' union qui doit être mis en valeur . De plus, l' âme a besoin du Coran comme complément du Nom puisqu' elle est, par sa nature même, ce qu' on pourrait appeler une unité multiple, et sa multiplicité, qui vient de Dieu, exige une certaine reconnaissance directe qu' il n' appartient pas à la fonction du Nom d' accorder . La citation qui suit éveillera des échos auprès de chaque lecteur du Coran . Mais elle concerne d' abord les soufis, car eux seuls sont pleinement conscients du problème ici abordé : " Comme le monde, le Coran est un et multiple à la fois . Le monde est une multiplicité qui disperse et qui divise ; le Coran en est une qui rassemble et mène à l' Unité . La multiplicité du Livre sacré _ la diversité des mots, des sentences, des images, des récits _ remplit l' âme, puis l' absorbe et la transpose imperceptiblement, par une sorte de ' ruse divine ', dans le climat de la sérénité et de l' immuable . L' âme qui a l' habitude du flux des phénomènes, s' y adonne sans résistance, elle vit en eux et est divisée et dispersée par eux, et même plus que cela : elle devient ce qu' elle pense et ce qu' elle fait . Le Discours révélé a la vertu d' accueillir cette même tendance tout en renversant le mouvement grâce au caractère céleste du contenu et du langage, si bien que les poissons de l' âme entrent sans méfiance et selon leurs rythmes habituels dans le filet divin 1 . "

1 . F . Schuon, Comprendre l' Islam, Paris, Ed . du Seuil, Coll . " Points Sagesses ", 1976, p. 54-55 .

Le Nom et le Livre sont deux pôles entre lesquels se trouvent une abondance de possibilités d' invocation et de litanies plus ou moins proches de l' un ou de l' autre . Par exemple, la récitation des deux Shahâdas et l' invocation des deux Noms de Miséricorde sont plus proches du Nom suprême, cependant que certaines litanies longues et complexes sont plutôt comparables au Coran, d' extraits duquel elles sont d' ailleurs souvent en grande partie composées . Mais on pourrait dire qu' il existe un autre complément du Nom très différent du Livre révélé, bien que parallèle en ce qu' il reconnaît directement la nature diffuse de l' âme ; il s' agit de la prière individuelle dans laquelle le suppliant s' adresse à la Divinité comme à une autre personne, lui confiant ses difficultés et ses besoins qui peuvent concerner aussi ses proches, vivants ou morts, et lui demandant des faveurs de divers ordres _ ou ne lui en demandant pas, selon les cas, car il est essentiel que cette prière soit une mise à nu spontanée de l' individu, et il n' existe pas deux individus identiques . On rappellera, à ce propos, que la nuit est le symbole de l' âme et que la clarté de la pleine lune sans nuages ne transforme pas la nuit en jour . Toute la foi que peut posséder une âme ne saurait être que très relative comparée à la certitude du Coeur, mais elle peut être, à un degré variable, un prolongement de cette certitude . Dans un passage significatif du Coran, Abraham demande à Dieu de lui montrer comment Il ramène le mort à la vie . " N' as-tu pas la foi "? est la réponse divine . " Oui, mais c' est pour que mon coeur soit apaisé "1, dit Abraham . On pourrait interpréter ces derniers mots de la façon suivante : " De manière que la certitude dans la profondeur de mon être soit laissée en paix sans être troublée par les vagues de la raison et de l' imagination agitant la surface . "Cette réponse est acceptée et suivie d' un miracle de " vivification " montrant que l' âme a droit à certaines concessions . On pourrait dire, en fait, que l' intention d' un miracle est de permettre à l' âme tout entière de participer de façon surnaturelle à une certitude " absolue " qui est normallement la prérogative du Coeur ; mais ce résultat peut être obtenu dans une plus faible mesure par ce moyen parfaitement naturel et humain qu' est la prière individuelle _ non par un supplément de foi, mais par l' élimination des obstacles et des distractions . A cette prière, comme à la récitation du Coran, participe toute la communauté, et on la considère généralement comme un complément de la prière rituelle, à laquelle elle fait normalement suite, la faisant précéder de cette parole du Coran : " Votre Seigneur a dit : appelez-moi et je vous exaucerai " 2. Mais la majorité ne s' occupe pas de méthode, alors que les cheikhs soufis insistent surtout sur la valeur méthodique de cette prière, non seulement en tant que moyen de communion régulière pour l' âme, mais aussi afin de s' alléger soi-même c' est-à-dire de décharger

1. II, 260 .
2. XL, 60 .

celle-ci de certaines de ses inévitables préoccupations et angoisses, de manière qu' elle soit, du moins dans ses expressions supérieures, un prolongement de la paix du Coeur plutôt qu' un contraste par rapport à celle-ci . Il ne faut pas non plus sous-estimer l' importance du geste accompli dans cette prière, car l' orant, la tête légèrement inclinée et les mains en avant avec les paumes tournées vers le haut et formant une concavité vide, devient une incarnation de la pauvreté spirituelle dont l' âme doit se pénétrer .

On peut conclure des enseignements sur la perfection humaine _ ainsi qu' on y a déjà fait allusion à propos du Messager _ que l' âme primordiale est une harmonie multiple unifiée et, si l' on peut dire, suspendue entre l' autre monde et celui-ci, ou bien entre l' Intérieur et l' Extérieur, d' une manière telle que l' équilibre est parfait entre entre l' attraction des signes intérieurs _ le Coeur et, au-delà de celui-ci, l' Esprit _ et les " signes sur les horizons ". Cet équilibre revêt aussi un aspect dynamique du fait que le Coeur dirige à travers l' âme un rayon de reconnaissance des signes extérieurs que sont les grands phénomènes de la nature ; et ceux-ci, par l' effet qu' ils produisent sur les sens, provoquent une vibration qui traverse l' âme en direction de l' intérieur, de sorte qu' avec l' homme, dernier être créé, le mouvement extérieur de création est renversé et que tout, pour ainsi dire, reflue à travers son Coeur vers sa Source éternelle et infinie . Mais, dans l' âme déchue, où l' attraction du Coeur est plus ou moins imperceptible, l' équilibre est rompu et les plateaux de la balance sont lourdement surchargés en faveur du monde extérieur . Demander comment le véritable équilibre peut être rétabli est une manière de poser la question : " Qu' est-ce que le soufisme ? " Et la réponse est qu' il doit se produire dans l' âme un mouvement intériorisant vers le Coeur pour neutraliser l' attraction du monde extérieur . Seul un Maître au sens plénier du mot est capable d' éveiller et de diriger ce mouvement .

La mention de cet aspect tout à fait essentiel du soufisme nous amène à considérer deux termes, " qabd ( contraction ) et " bast " ( expansion ), que l' on trouve si fréquemment dans les traités soufiques . L' effort initial visant à susciter un mouvement intériorisant procède de " qabd " ; et la " saveur " de celui-ci doit rester afin de veiller sur la réaction concommitante de " bast " , non pour en diminuer l' amplitude, mais pour lui éviter d' être un retour aux limitations de la mondanité . La croissance de l' âme dans la stature primordiale est un aspect de cette expansion spirituelle répondant à la contraction spirituelle . Le Coran établit constamment un rapport entre le " qabd " du sacrifice et le " bast " de la croissance . On peut aussi noter qu' en arabe le mot désignant l' acte d' augmenter la croissance ( tazkiyah ) signifie en même temps purification, ce qu' en traduction on n' arrive guère à rendre par un terme équivalent, même s' il existe un rapport étroit entre les deux notions, l' impureté faisant obstacle à la croissance ; c' est parce que les canaux menant au Coeur et en provenance de lui sont obstrués que l' âme déchue est étiolée, du moins dans certains de ses éléments . Le symbolisme de l' émondage, qui est aussi un moyen de purification, illustre particulièrement bien le principe dont il s' agit, car, en émondant, comme le " qabd " le fait pour l' âme, on procède à un amoindrissement en vue d' un accroissement qui dépassera de beaucoup l' état existant avant le sacrifice . " Celui qui fera un beau prêt à Dieu, Il le doublera en sa faveur et il y a pour lui une récompense généreuse " 1 . De tels textes sont fondamentaux dans toutes les religions .

Un exemple évident de " qabd " est le jeûne, mais il faut se souvenir que celui-ci dans l' Islam, est rompu au coucher du soleil . Ainsi les soufis assimilent le mois de Ramadan, de même que les jeûnes surérogatoires qui en sont des extensions, à l' alternance générale caractérisant la méthode qu' il suivent, les jours du mois offrant l' aspect du " qabd " et les nuits du " bast " .

L' objectif le plus élevé du " qabd " c' est que le " bast " se produise en direction du Coeur et même au-delà . Et cette possiblité supérieure, qui est pure grâce, n' est pas incompatible avec le " bast " relativement extérieur qui concerne tout ce dont l' âme peut disposer, mais qui est lui-même un symbole de l' expansion intérieure et donc un instrument susceptible de la susciter . L' un et l' autre constituent ensemble l' équilibre

1. LVII, 11 .

de l' âme primordiale dans laquelle le " qabd " est, pour ainsi dire, remplacé par le " bast " transcendant .

De tous les moyens à la disposition des soufis, c' est la retraite spirituelle, " khalwah " ( littéralement : " Solitude "), qui constitue le " qabd " le plus rigoureux . Selon l' exemple du Prophète, certains Ordres affirment que la retraite doit avoir lieu dans un environnement naturel . Dans d' autres Ordres, elle est accomplie dans une pièce à part réservée à cet usage . Tous sont d' accord pour affirmer la nécessité de l' autorisation d' un cheikh .

Le terme " jalwah " 1 sert habituellement à désigner des pratiques " expansives " complémentaires de la " khalwah ", et les " séances de souvenir " ( majâlis adh-dhikr ), réunions plus ou moins régulières au cours desquelles les frères membres de l' Ordre chantent des litanies et invoquent le Nom divin, offrent les exemples les plus évidents de jalwah . Dans de nombreux Ordres a lieu, lors de ces réunions, une danse sacrée qui est souvent un prélude à une séance d' invocation silencieuse . De ces danses, la plus connue est celle que Jalâl ad-Dîn ar-Rûmî ( mort en 1273 ) a enseignée à son Ordre, la " tarîqah des Mawlawî " ( en turc Mevlevi ), dont les membres sont plus connus des Occidentaux sous la désignation

1. Il serait plus correct d' écrire " jilwah ", littéralement " dévoilement " ( d' une mariée ), mais le changement de voyelle est fait à dessein pour donner un complément phonétique à son opposé .

de " derviches tourneurs " . Cette danse, qui constitue un " bast " particulièrement ample, s' ouvre néanmoins sur le " qabd " initial qu' est la majestueuse procession durant laquelle le danseur croise les bras sur sa poitrine et resserre ses épaules . Accompagné par des flûtes, des tambours et parfois d' autres instruments, un chanteur se fait entendre . Puis, à un moment donné, le cheikh vient occuper la position près de laquelle les formes repliées sur elles-mêmes vont défiler solennellement ; et chaque danseur, dès qu' il pénètre dans l' orbite du cheikh, se met à déployer ses bras et à tourner sur lui-même en rond, d' abord lentement mais accélérant bientôt en étendant complètement les bras, la paume de la main droite tournée vers le haut pour être un réceptacle du ciel et celle de la main gauche vers le bas pour transmettre à la terre ce qui vient du Ciel, et le tournoiement continue .

Cette description sommaire ne rend pas compte de la complexité de la danse, mais elle suffit à faire ressortir un aspect essentiel qu' elle possède en commun avec les danses d' autres Ordres, à savoir le fait que le corps symbolise l' Axe de l' univers, lequel n' est autre que l' Arbre de Vie . On est donc en présence d' un rite de " centralisation " susceptible de donner un avant-goût du Centre perdu et, par là même, d' une dimension perdue de profondeur et d' élévation .

A ce propos, signalons que l' idendité mystérieuse de la danse et du Nom est confirmée par ce verset du Coran : "Une bonne parole est comparable à un bon arbre dont la racine est solide et la ramure dans le ciel 1 " . Cela peut être interprété de la manière suivante : une invocation, et avant tout celle du Nom suprême qui est la meilleure des bonnes paroles, n' est pas la simple émission d' un son qui se répand horizontalement dans ce monde pour se perdre dans la légèreté de l' air, mais suscite une continuité de résonances à travers tous les états de l' être . C' est cet aspect particulièrement essentiel du dhikr Allâh que représente la danse sacrée .

Les Ordres n' ont pas tous de danse, mais les litanies constituent toujours un élément caractéristique des " séances de souvenir "; et, à propos de " qabd " et de " bast " , il est intéressant de mentionner une triple litanie dont l' importance fondamentale est telle qu' on la récite régulièrement dans la plupart des Ordres, avec des variantes portant seulement sur des détails non essentiels . La première des trois formules _ dont chacune est généralement répétée cent fois _ est : " je demande pardon à Dieu " ; on y ajoute la centième fois une formule se terminant par ces mots : " et c'est vers Lui que je me retourne en repentance 2 " ; à ce sujet, on peut citer cette parole du grand soufi égyptien Dhu 'n-Nûn al-Miçrî ( mort en 861 ) : " Pour le plus grand nombre,  la repentance se rapporte aux péchés, mais, pour les élus,  elle concerne la distraction ( ghaflah 1 ) . "

1. XIV, 24.
2. A propos de ces cinq derniers mots _ qui n' en traduisent qu' un seul en arabe _, il vaut la peine de mentionner que la repentance, selon la conception islamique, consiste essentiellement à se tourner vers Dieu, à l' image de ce qu' Il fait Lui-même en se tournant vers l' homme . Dans les langues européennes, nous disons habituellement que Dieu se laisse fléchir et que l' homme se repent, mais l' arabe utilise le même mot pour les deux choses .

 Ce dernier terme pourrait se traduire par " négligence dispersée ", ce qui est précisémment un mode de l' expansion profane dont le " qabd " de la repentance est, pour le soufi, un antidote . Complétant cette première formule consistant à se détourner du monde et à s' orienter vers le Coeur, la deuxième formule de la litanie est l' invocation, déjà mentionnée, de bénédictions sur le Prophète, ce qui est virtuellement un " bast " extrême . Ces deux formules, que l' on récite successivement deux fois par jour, contiennent une puissante discipline de consécration . Il n' est pas tellement dificile de se détourner du monde pour une phase de " qabd " _ ou disons plutôt que le fait d' appartenir à un Ordre soufique signifie que la difficulté a, d' une certaine manière, été surmontée ; mais il peut être très difficile d' empêcher que le " bast " ultérieur ne soit qu' une sorte de rechute . L' invocation de bénédictions sur le Prophète offre à l' âme un moyen d' expansion qui préserve de la mondanité . Il va sans dire que cela doit devenir spontané et sincère pour que le " bast " soit efficace . A cet égard, la résistance de l' âme, résultat de la nostalgie qu' elle garde de ses anciennes habitudes, est souvent une surprise pour le novice et comporte toujours un enseignement .


1. Qushayrî, Risâlah .

C' est l' état d' expansion, et non de contraction, qui donne la mesure de la maturité spirituelle, car on ne peut dire d' aucune vertu qu' elle est définitivement acquise si elle s' atténue lorsque le " qabd " diminue, et un défaut n' est pas extirpé s' il réapparaît dès que la pression du " qabd " s' est relâchée . Mais, de façon plus précise, étant donné que le " bast " possède deux aspects que les soufis appellent ivresse ( sukr ) et sobriété ( çahw ), c' est l' état prédominant, à savoir la sobriété, qui constitue le véritable critère de ce qui a été réalisé spirituellement . L' âme sera sans doute, la plus grande partie de chaque jour, dans ce qu' on pourrait appeler un état de " bast " sobre2 . Il est normal, néanmoins, que la grâce de l' ivresse chaque fois laisse sa marque, et, en effet,  certains cheikhs décrivent la Station suprême comme un état où



1. La fréquente mention du vin dans la poésie soufique invite à préciser que le seul vin que les soufis eux-mêmes se permettent de boire est celui que le Coran autorise, à savoir le vin du Paradis . Par exemple, il est extrêmement improbable, pour dire le moins, qu' un vin terrestre ait jamais effleuré les lèvres d' Omar ibn Al-Fârid ( mort en 1236 ), un des plus grands poètes arabes soufis et l' auteur de la fameuse " Khamriyyah " ( l'Eloge du vin ) qui commence par ces vers :


Nous avons bu à la mémoire du Bien Aimé un vin


Qui nous a enivrés avant la création de la vigne .


2. Des deux bénédictions invoquées sur le Messager, celle qui se rapporte à la Paix correspond à la sobriété, et celle qui se rapporte à la Gloire débordante, à l' ivresse .



l' on est intérieurement ivre et extérieurement sobre 1 .

La troisième et dernière formule de la litanie ramène " qabd " et " bast " à leurs archétypes transcendants qui sont respectivement " fanâ " ( extinction ) 2 et " baqâ " ( subsistance, durée ) . sa première partie, " il n' est de dieu que Dieu, Unique, sans partenaire ", est une extinction . La seconde partie, " à Lui le Règne, à Lui la louange et Il est puissant sur toute chose ", est une expression de la Plénitude divine _ car " baqâ " est au niveau de la Réalité absolue qui exclut tout être autre que Son Être . La parole que nous avons déjà citée, " je suis entré en me laissant au-dehors " , pourrait être paraphrasée de la manière suivante : " M' étant laissé moi-même dehors ( fanâ' ), je suis entré et n' ai trouvé que moi-même ( baqâ' ) . "On peut également citer ces vers de Shustari 3 :

Après l' extinction j' ai surgi, ainsi suis-je

Maintenant Éternel, mais non pas moi,

Pourtant qui suis-je, ô Moi, si ce n' est Moi ?


1.Voir, par exemple, " Un saint musulman du XXe siècle ", op . cit ., p. 206-207 . Le cheikh al-'Alawî emploie ici le terme " déracinement " ( içtillâm )plus ou moins comme équivalent d' ivresse .
2. Il faut rappeler toutefois que " qabd " est simplement une approche, tandis que " fanâ' " est le passage effectif par le " chas de l' aiguille " et ne saurait donc être complètement dissocié de son résultat immédiat qui est " bast " et peut-être aussi " sukr " ( ivresse ) .
3. Soufi andalou ( mort en 1269 ) .

La dernière formule de la litanie est une expression de vérité, et la contrepartie subjective de la vérité est la connaissance . De façon analogue et en rapport avec la première et la seconde formule, on peut, à la place de " qabd " et de " bast " , employer les termes de " crainte " et d' " amour " ; et cela fait ressortir encore plus clairement l' importance fondamentale de cette litanie en tant qu' abrégé du soufisme dont on dit souvent qu' il est fait de crainte ( makhâfah ), d' amour ( mahabbah ) et de connaissance ( m'arifah ), puisque ces trois points de vue comprennent ensemble la totalité des obligations subjectives de l' homme envers Dieu . Et il n' y a rien de ce qui est permis à l' homme par rapport à Dieu qui n' y soit compris .

La méditation ( fikr ), qui est un élément essentiel de la voie spirituelle comme auxiliaire du dhikr, se fonde sur ces trois points de vue dont chacun comporte deux aspects . Par exemple, la crainte implique le danger . Une solution est alors la fuite . " Fuyez vers Dieu " 1, lit-on dans le Coran qui dit aussi : " Il n' existe aucun refuge contre Dieu, sauf auprès de Lui 2 . " Cela rappelle cette " Tradition sainte " : " Lâ ilâha illâ ' Llâh est Ma forteresse, et qui entre dans ma forteresse est à l' abri de Ma colère . " Mais le danger est aussi une raison d' attaquer, et ce point de vue, qui est ce lui de la " grande Guerre sainte ", a déjà été développé .


1. LI, 50 .
2. IX, 118 .

Les deux aspects de la crainte sont apparentés à la notion de devoir, et donc à la volonté . " La nature humaine comporte trois plans : le plan de la volonté, celui de l' amour et celui de la connaissance ; chacun se polarise en deux modes complémentaires, en sorte qu' ils se présentent, respectivement, comme renoncement et acte, paix et ferveur, discernement et union 1 . "Le troisième plan transcende l' homme en tant que tel, sauf dans la mesure où il lui offre un thème de méditation . " Nous pourrions caractériser respectivement les deux stations ou degrés de la connaissance par les deux formules suivantes : ' Ne connaitre que ce qui est : Dieu ' ; ' N' être que Ce qui connaît : le Soi ' 2 . "

Pour le soufi, la grande source de méditation est le Coran lui-même ; et ; traitant spécialement du soufisme, l' auteur des passages que nous venons de citer se réfère ailleurs 3 à des versets coraniques pour illustrer la relation profonde entre dhikr et fikr, c' est-à-dire entre l' acte

1. F ; Schuon, " Les Stations de la sagesse, Paris, Buchet-Chastel-Corréa, 1958, p . 191 .
2. Ibid ., p . 198 .Nous ne connaissons aucun commentaire sur la méditation qui puisse se comparer avec le chapitre final de ce livre, sauf peut-être les dernières pages d' un autre livre du même auteur, où les six stations de la sagesse sont définies comme antidotes aux six " grandes misères de l' âme " ( voir Perspectives spirituelles et Faits humains, Paris, Les Cahiers du Sud, 1953, p . 285 ) .
3. Dans un texte non publié .

invocatoire et les différents modes de conformité avec lui, auxquels l' âme doit être amenée par la méditation : " Les coeurs ne s' apaisent-ils pas au souvenir de Dieu 1 ?Invoquez -Le avec crainte et désir ardent 2 . Invoquez Dieu humblement et en secret 3 " .

Le mot " crainte " peut ici recouvrir ses deux modes, et on a déjà illustré cette station à l' aide d' autres versets . Les deux modes de l' amour sont " paix " et " désir ardent " 4, tandis que le dernier verset cité désigne les deux stations de la connaissance comme base de l' invocation . L' humilité la plus vraie, telle qu' elle s' exprime dans la prosternation de la prière rituelle, n' est autre que " fanâ' " l' extinction .

1. XIII, 28 .
2. VII, 56 .
3. VII, 55 .
4. La paix implique la possession de tout ce qu' on aime . Le réalisme de ce point de vue, de même que celui d' autres exemples déjà cités du ka'anna ( comme si ) méthodique du soufisme, réside dans le caractère illusoire des apparences . En réalité, l' absence du Bien-Aimé est pure illusion, ainsi que l' a exprimé le poète soufi marocain Muhammad al-Harrâq ( petit-fils spirituel du grand cheikh ad-Darqâwî ) dans les vers suivants :


Cherches -tu Laylà alors qu' elle est manifeste en toi ?


Tu la tiens pour autre, et pourtant elle n' est autre que toi .

L' autre point de vue de l' amour, celui du " désir ardent ", ne se limite pas non plus au réalisme relatif correspondant à un manque dont on fait l' expérience intense bien qu' il soit illusoire . Ce point de vue est réaliste surtout en fonction de l' Objet du désir, l' Infiniment Précieux ( al-'Azîz ), dans l' Éternel Présent duquel l' ardeur ne peut jamais faiblir .



Quant au secret, on pourrait le mettre en rapport avec l' injonction : " Que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta main droite . "Dans ce cas, la " main gauche " est l' ego humain qui se trouve exclu de toute participation à cette invocation, la plus profonde de toutes, où le Soi est aussi bien l' Invocateur que l' Invoqué .

Le Coran insiste continuellement sur l' importance de la méditation, comme le font d' ailleurs les enseignements du Prophète ; et on peut dire en effet que dhikr et fikr ont pour la vie spirituelle une importance aussi essentielle que celle du sang et des vaisseaux sanguins pour la vie corporelle . Sans fikr, le dhikr serait largement inopérant ; sans dhikr, le fikr ne servirait à rien . La méditation prédispose l' âme à recevoir l' invocation en ouvrant les canaux par lesquels celle-ci doit s' écouler . Il s' agit de surmonter toutes ces habitudes et réactions qui, à strictement parler, sont contraires à la nature, mais qui sont devenues une " seconde nature " . Ainsi que l' auteur déjà cité le remarque dans un autre texte non publié sur le soufisme, " le résultat de la pratique persévérante de la compréhension _ par la méditation _ est la transformation intime de l' imagination ou du subconscient, l' acquisition de réflexes conformes à la réalité spirituelle . L' intelligence a beau affirmer des vérités métaphysiques et eschatologiques, l' imagination _ ou le subconscient _ continue à croire fermement au monde, non à Dieu ni à l' Au-Delà ; tout homme est a priori hypocrite . La voie, c' est précisément le passage de l' hypocrisie naturelle à la sincérité spirituelle " .

Ce mot de sincérité est la clé donnant accès à la compréhension de tout ce chapitre . Définissant l' idéal spirituel, le Coran emploie plusieurs fois l' expression " sincère envers Lui dans la religion " , ce qui signifie, vis-à-vis de l' Objet en question, une totale absence de réserve et une totale acceptation .

Les pratiques du soufisme doivent se diversifier afin de répondre à la diversité et à la complexité de l' âme humaine dont chaque élément doit s' imprégner de sincérité . Ridwân, l' acceptation, est réciproque ; et la sincérité n' est autre chose que la " ridà " 1 humaine sans laquelle il ne saurait y avoir d' acceptation divine .



1.Ce terme exprime habituellement la réflexion humaine et le complément du Ridwân .

Source: " Qu' est ce que le soufisme ? " de Martin Lings, chap: La méthode





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