dimanche 19 mai 2013

« C’est par la porte de la maladie que j’ai embrassé l’Islam » - Entretien avec Eric Geoffroy



                                       Grande Mosquée de Touba
 
 
 
Enseignant l’islamologie à l’Université de Strasbourg et dans d’autres institutions il est un spécialiste académique du soufisme. Eric Geoffroy travaille aussi sur les enjeux de la spiritualité dans le monde contemporain et la mystique comparée. C’est dans les coulisses d’un colloque «diversité et cohésion dans un monde globalisé» organisé à Dakar par le mouvement Gulen, que l’universitaire français a bien voulu revenir sur la situation du Mali, son étrange reconversion à l’Islam, de la percée de la spiritualité en Europe et de ses connaissances de l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba

 

Comment analysez-vous la situation au Mali en tant qu’islamologue ?

 

Ecoutez. Ce qui se passe au Mali actuellement est tout simplement horrible. Et cela n’a rien à voir avec l’Islam. Au moment où des universitaires et penseurs musulmans de divers horizons se battent de toutes leurs idées pour montrer à la face du monde que l’Islam est une religion de tolérance et d’ouverture, des supposés «Jihadistes» viennent encore ternir l’image que le prophète Mohamed, PsL, s’est donné tant de mal à construire et propager. S’ils sont encore de vrais musulmans, comme ils le prétendent, il est temps que ces gens sachent qu’ils contribuent plus à accroître l’«islamophobie» qu’à agrandir la Ummah.

 

Justement en parlant d’ «islamophobie», ne pensez-vous pas que la main de l’Occident est derrière ces attentats pour combattre l’Islam ?

 

C’est vrai que la «théorie du complot» a été souvent avancée par différents penseurs. Mais personnellement, je n’y crois pas. Du moins pour ce qui de la responsabilité de la France, qui est mon pays d’origine. Parce que tout simplement la France est tenue par la majeure partie des pays du continent africain dont le Mali et les pays du Maghreb. La France n’a aucun intérêt à semer l’anarchie dans des territoires où elle a été présente, en tant que colonie. Elle est liée à ses anciennes colonies par la culture et l’histoire. Avec le régime de Sarkozy, on pouvait, peut-être, s’attendre à de tels agissements. Mais avec François Hollande, je ne pense pas. Bon maintenant c’est vrai que l’Occident va au-delà des cieux français, Mais j’ai bonne opinion que le mal ne vient pas de ces dirigeants occidentaux que leur cupidité pousse parfois à certains extrêmes. Le mal réside dans une certaine conception exclusiviste et fermée que certains groupes de croyants ont de l’Islam.

 

Vous avez évoqué tout à l’heure la percée de plus en plus de la pensée soufie dans la société occidentale. Comment expliquez-vous cela ?

 

Aujourd’hui, nous assistons à la fin d’un monde, la fin d’un cycle comme l’avait annoncé le prophète dans ses «Hadiths» (enseignements du prophète Mohamed). Ce cycle avait commencé entre le XVIe et le XVIIe siècle avec le mercantilisme et le matérialisme comme principales sources de vie. Le développement des sciences et techniques a poussé les différentes générations qui ont vécu et passé pendant cette période, ce cycle, à sortir de l’humain. Mais à la fin de chaque cycle, il y a comme une prise de conscience quasi-collective de l’humanité. Les hommes ont tendance à identifier leurs limites. Il y a une réelle crise morale, dans les sociétés occidentales, qui favorise la désorientation des individus. Et dans ce cas, ils ont plus besoin d’une source métaphysique pour répondre à leurs différents questionnements. Parce que justement, après les phénomènes scientifiques, nous voulons connaître l’Absolu ; après les conditions d’existences nous aspirons toujours la raison d’être de l’existence. La métaphysique serait donc la détermination de cet Absolu et la découverte de cette raison comme le soulignait un célèbre auteur français. Alors c’est vrai qu’aujourd’hui en Europe où je vis et enseigne, les gens se tournent de plus en plus vers la pensée soufie pour trouver des réponses liées à leur existence et leur devenir. Ce n’est pas une révolution, c’est simplement le début d’un nouveau cycle pour l’humanité. En France plus précisément la pensée soufie se propage et s’impose de plus en plus du fait que les hommes sont de plus en plus tournés vers la spiritualité pour combler les limites de la raison humaine.

 

Songez-vous à vous convertir à l’Islam en tant que Islamologue et universitaire ?

 

Mais c’est déjà fait. J’ai embrassé cette merveilleuse religion depuis 1984.

 

Sont-ce vos études en langue arabe qui vous ont poussé à vous convertir ?

 

En partie peut-être. Mais l’élément détonateur a été plutôt ma maladie. Dans les années 80, j’ai souffert d’une longue maladie intestinale. C’est dans cette épreuve que j’ai trouvée certaines réponses liées à ma quête spirituelle. C’est donc par la porte de la maladie que j’ai embrassé l’Islam.

 

Quelle était votre précédente obédience religieuse avant l’Islam ?

 

Moi je suis né dans une famille catholique. Donc naturellement j’étais un Chrétien pendant une bonne partie de ma vie. Mais j’ai constaté que le catholicisme ne répondait pas aux questions les plus essentielles liées mon être. C’est alors que je suis partie à la recherche de ces réponses. J’ai embrassé par la suite le Bouddhisme et puis je me suis intéressé à la voie initiatique de Shadhiliyya, qui a eu un fort impact jusqu’en Occident contemporain. C’est principalement durant cette période que j’ai découvert l’essence de mon être.

 

Qu’avez-vous vu, entendu ou perçu durant votre «maladie» qui vous a convaincu ?

 

C’est quelque chose que de simples mots ne suffiraient, malheureusement, pas à transcrire. Hélas, c’est l’éternel problème auquel la spiritualité ou les adeptes de la spiritualité sont confrontés. C’est de ne pouvoir livrer tous les secrets de leur science. Croyez-en en mon expérience, c’est très difficile de trouver les mots adéquats pour expliquer les réalités que l’on vit à l’intérieur de soi.

 

Quels sont les penseurs soufis qui vous ont le plus influencés dans vos écrits ?

 

J’ai beaucoup lu Mouyid Ibn Arabi, j’ai aussi lu Ghazali et bien d’autres grands soufis musulmans. Mais j’ai surtout pratiqué, étudié et enseigné la pensée du soufi marocain Chadili.

 

Avez-vous une fois eu à pratiquer un soufi sénégalais ?

 

Je connais Cheikh Ahmadou Bamba, surtout à travers sa philosophie et son culte du travail. Je cite certains de ses écrits dans mes conférences et autres prestations. Maintenant je ne suis pas forcément un spécialiste de Cheikh Ahmadou Bamba. Je crois savoir qu’il a énormément écrit sur la spiritualité, que son œuvre est inépuisable en ce sens. D’ailleurs la semaine prochaine (ndlr : cette semaine. L’entretien a eu lieu samedi dernier) je dois me rendre à Touba pour en savoir un peu plus sur son œuvre.

 

En tant qu’universitaire, islamologue et pratiquant de la spiritualité, si vous devez définir Dieu en un petit mot, quel serait ce mot ?

 

Paradoxal.

 

Et pourquoi Paradoxal ?

 

D’abord par un Hadith du Prophète, PSL. Je cite : «Oh Seigneur je cherche refuge en Vous et contre Vous» fin de citation. Ensuite parce qu’après tant d’années passées à boire dans cette source de la Science divine, personne ne peut se glorifier d’avoir la certitude absolue de la vérité tant cette source est sans fond. Demain à l’heure des comptes, chacun est susceptible de céder aux subtilités de la Science de Dieu.

Par Ayo FAYE

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