* Ce
texte a été publié dans la revue « Vers la Tradition », n° 11-12 de juil.-août-sept.-oct.
1984.
Durant
les années qui suivirent la libération de la France, certains lecteurs de René
Guénon, qui avaient retrouvé avec joie la publication régulière de ses articles
et de ses chroniques, se plaignaient parfois (entre eux) de ce que le Maître se
laissât trop souvent aller à discuter sur « des détails de symbolisme», au lieu
de traiter de la seule chose qui importe vraiment : la réalisation
métaphysique.
Un
tel« reproche » - l'avouerons-nous ? - ne laissait pas de nous surprendre, venant
de guénoniens. A plusieurs reprises, en effet, Guénon avait mentionné qu'il s'inspirait,
pour ses écrits, des événements qui se produisaient dans le monde et qui devait
forcément « manifester » certaines de ces réalités d'un ordre supérieur
auxquelles seules il attachait quelque intérêt. Négliger ces événements,
c'était, selon lui, admettre qu'ils sont le fait du « hasard », conception
foncièrement anti traditionnelle, mais à laquelle certains philosophes
ultra-modernes, qui se targuent parfois de « spiritualisme », attribuent dans
l'évolution du Cosmos un rôle prépondérant.
Si
Guénon, cela est vrai, après la Seconde Guerre mondiale, a mis un accent
particulier sur l'importance du symbolisme traditionnel, c'est, pensons-nous,
parce que les circonstances lui en avaient montré l'opportunité. Rappelons, en
particulier, que cette époque fut marquée par la fondation d'une Loge maçonnique
dont les travaux devaient s'inspirer de l'enseignement de Guénon. Pour le dire
en passant, le Maître fut toujours surpris que l'intérêt constamment témoigné
par lui à la Franc-Maçonnerie ne fut longtemps partagé que par un tout petit
nombre de ses « disciples ». La réputation politicienne et occultiste de
certaines Obédiences françaises pourrait expliquer ce manque d'enthousiasme,
mais en tout cas Guénon l'a toujours déploré.
Dans
les « critiques » dont nous parlons ci-dessus, nous avions tout de suite été
frappé par l'expression « détails de symbolisme ». Il suffit d'avoir étudié
quelque peu les traités sur le symbolisme hermétique pour se rendre compte de
l'importance capitale qu'y joue le moindre détail.
Or, on sait les rapports de l'hermétisme avec la Maçonnerie, rapports soulignés par la présence de la racine HRM à la fois dans les noms Hermès et Hiram. Mais nous aurons dans le cours de cet article à insister sur l'importance de certains détails qu'on trouve dans les textes sacrés du Christianisme, et singulièrement dans les plus sacrés de tous ceux qui ont trait à la Passion et à la Résurrection du Christ.
Or, on sait les rapports de l'hermétisme avec la Maçonnerie, rapports soulignés par la présence de la racine HRM à la fois dans les noms Hermès et Hiram. Mais nous aurons dans le cours de cet article à insister sur l'importance de certains détails qu'on trouve dans les textes sacrés du Christianisme, et singulièrement dans les plus sacrés de tous ceux qui ont trait à la Passion et à la Résurrection du Christ.
Une des particularités qui distinguent fondamentalement la pensée symbolique de la pensée profane, même « philosophique », c'est l'importance qu'y jouent les différents modes de « correspondance ». On sait, par exemple, les rapports qui relient les sept planètes de l'astrologie traditionnelle aux sept métaux de l'alchimie (et aussi, par extension, aux sept « couleurs » du blason). Nous allons maintenant attirer l'attention sur une correspondance d'un type particulier : celle qu'on peut établir entre les événements de la vie mortelle du Christ et ceux qui ont marqué et qui marqueront l'existence « terrestre » de l'épouse du Christ, qui est l'Église.
Rappelons
tout d'abord que l'Église, dans son universalité, comprend à la fois les
institutions exotériques connues officiellement sous les noms des différentes
Églises, mais aussi l'ésotérisme chrétien, incarné au cours des siècles en
diverses organisations qui, pratiquement, ont toutes fini par se résorber dans
la seule Franc-Maçonnerie. Pour ne pas alourdir notre exposé, nous nous
contenterons de faire un rapprochement entre certains faits qui ont marqué la
fin de la vie terrestre de Jésus et ceux (que nous connaissons par la
révélation des Écritures) qui marqueront le comportement de l'Église au cours
des tribulations de la fin du cycle.
Lors de son arrestation au jardin des Oliviers, le Christ avait dit aux envoyés du prince des prêtres : « C'est maintenant votre heure, l'heure la puissance des ténèbres » (Luc, XXII, 53).
Il
fut mis en croix à la sixième heure du jour, et « de la sixième heure à la neuvième,
il y eut des ténèbres sur toute la terre » (Matthieu, XXVII, 45 ; Marc, XV, 33
; Luc, XXIII, 44). Durant cette longue « obscuration », le seul Apôtre présent
était Jean, qui avait suivi la « Voie Douloureuse » avec la Vierge Marie et
aussi avec quelques femmes parmi lesquelles Marie de Magdala, qui toutes
apparaissent dans les Évangiles comme des « myrrhophores », c'est-à-dire des «
porteuses de myrrhe », la myrrhe
étant, selon Guénon, le « breuvage d'immortalité », le troisième et le plus
excellent des présents offerts par les Mages au Christ naissant.
Jean,
bien entendu, représente ici l'ésotérisme. Mais où étaient donc les
représentants de l'exotérisme ? Tous s'étaient enfuis, à l'exception pourtant
de Pierre qui était allé jusqu'au palais de Caïphe où il avait eu le malheur de
renier son Maître par trois fois. Rentré en lui-même au chant du coq, il était parti
pour « pleurer amèrement », n'ayant pas osé se joindre aux femmes fidèles qui,
avec le disciple bien-aimé, avaient eu le courage de monter jusqu'au Golgotha.
Nous ne nous arrêterons pas sur la « valeur » exotérique de ces « larmes amères
», que nous comparerions volontiers à celles versées par le premier couple
humain chassé du Paradis. Mais il convient de rappeler que, dans le langage
secret utilisé par Dante et les Fidèles d'Amour, le mot « pleurer » avait une
signification très particulière. Les organisations initiatiques d'alors, depuis
la destruction de l'Ordre du Temple, avaient décidé de cacher, beaucoup plus
complètement qu'auparavant, leurs doctrines et leur existence même. Et c'est le
fait de cette « dissimulation » qu'ils désignaient symboliquement par le verbe
«pleurer».
Durant
ces trois longues heures d'obscurité surnaturelle, nous savons donc que Pierre
« pleurait », tandis que Jean recevait du Christ, comme un « dépôt »
particulièrement sacré, la garde de sa mère, ce fait exceptionnel ayant eu
comme témoins les seules myrrophores. Rappelons aussi qu'à la neuvième heure le
Christ, avant de mourir, poussa en hébreu un cri que les assistants prirent
pour un appel au prophète Élie; et, dans le symbolisme très complexe de Dante,
9 avait une importance particulière, au point
que l'Alighieri a pu écrire : « Béatrice est elle-même le nombre 9. »
La
dixième et dernière partie de notre Manvantara est le Kali-Yuga ou âge sombre.
Nous sommes à la fin de cet âge de fer, et cette fin connaît une obscuration
qui s'accélère rapidement et deviendra bientôt presque totale. Ce sera alors «
l'heure de la puissance des ténèbres », qu'on appelle encore le « règne de
l'Antéchrist ». Si nous avons raison d'attendre à une telle époque des
événements en correspondance avec ceux qui ont précédé la mort du Christ, il
devrait se produire quelque chose de comparable à ce que furent autrefois les
larmes de Pierre et en même temps une sorte de « promotion » de la fonction de Jean.
Nous avons parfaitement conscience de la gravité de ce que nous disons là. Nous
savons quel usage peuvent en faire les ennemis de l'Ordre maçonnique, et aussi
les chrétiens adversaires de toute idée d'ésotérisme. Mais d'autres avant nous
ont envisagé des événements de cet ordre, et ont été frappés par la double
prédiction qui termine l'Évangile selon saint Jean et qui semble bien n'avoir
pas d'autre but que de faire allusion aux événements des derniers jours. Il est
vrai que si la prédiction au sujet de Jean est bien connue (« Je veux qu'il
demeure jusqu'à ce que je vienne »), celle relative à Pierre semble avoir moins
attiré l'attention. La voici : « En vérité je te le dis, lorsque tu étais
jeune, tu te ceignais toi-même et tu allais où tu voulais. Mais quand tu seras
vieux, tu étendras les bras, un autre te ceindra et te mènera là où tu ne
voudrais pas aller. »
Cela
ne fait-il pas allusion à une certaine perte d'indépendance pour
les successeurs de Pierre ?
L'obscurité
est, pour la condition « espace », exactement ce qu'est le silence pour la
condition « temps », - ce silence qui est le premier des devoirs imposés aux
initiés, et que les Fidèles d'Amour symbolisaient par l'injonction de « pleurer
». Mais l'obscurité a deux aspects, l'un maléfique et l'autre bénéfique.
L'obscurité
complète symbolise la « mise sous le boisseau » de la Tradition, ou tout au moins
de sa partie « visible » : c'est vraiment « l'heure de la puissance des
ténèbres ». Mais c'est aussi seulement au sein de cette obscurité que peut
s'accomplir le passage d'un cycle à un autre, passage qui est toujours celui de
l'âge de fer à l'âge d'or. Pour en revenir au symbolisme évangélique, dans la
dernière page du texte johannique, le dernier ordre donné par Jésus à Pierre
fut l'injonction : « Suis-moi ! »
Et
Pierre, se retournant alors, vit que Jean venait derrière eux, c'est-à-dire les
suivait. Quelles que puissent être les dernières et terribles tribulations qui
assailliront l'Église dans les derniers jours, on peut être certain que Pierre
et Jean se retrouveront alors pour être les serviteurs obéissants du Maître
incomparable qui
a pu dire : « Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura
la Lumière de la Vie. »
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