vendredi 18 mai 2012

L’autorisation de pèlerinage à La Mecque (al-Hajj) pour Abd el-Kader : implications politique et métaphysique













Ahmed Bouyerdene


En décembre 1847, après plus de quinze années à la tête du jihâd, l’émir Abd el-Kader exige en échange de sa reddition qu’un vaisseau français le dépose dans un port du Levant pour ensuite rejoindre La Mecque. Victime d’un parjure, il est placé en captivité en France (1848-1852), période au cours de laquelle il réitère son vœu de se rendre dans la première ville sainte de l’islam. Après sa libération et son départ pour l’Orient (déc. 1852), il lui faut encore attendre dix ans avant de prendre son bâton de pèlerin. Entre temps, la vocation spirituelle d’Abd el-Kader al-Hassanî s’affermit. Le Hajj de 1863-1864 coïncide avec la rencontre d’un guide spirituel (murshid) qui vit précisément dans la « Mère des Cités » (Umm al-Qurâ). Cette rencontre avec le cheikh Muhammad al-Fâsi, dans un haut lieu de l’histoire et dans un pivot géo-cosmique, transfigure l’aspirant Abd el-Kader. Son testament spirituel, le Livre des Haltes (Kitâb al-Mawâqif) donne un témoignage fidèle de ce double voyage, dans l’horizontalité et la verticalité.

Prémisses

Comme tout contemplatif musulman, Abd el-Kader al-Hassanî a entretenu un lien particulier avec la première ville sainte de l’islam. À l’instar d’un Ibn ‘Arabî, dont la rencontre avec le fatâ, qui lui insuffle les Futûhât al-makkiyya («Les Illuminations mecquoises »), se déroule à La Mecque1, c’est dans la « Mère des Cités » qu’Abd el-Kader atteint sa maturité spirituelle. Une expérience qui est en partie consignée dans sa somme spirituelle Kitâb al-Mawâqif (« Le Livre des Haltes »). C’est au cours de son pèlerinage (hajj) durant les années 1863-1864, qui coïncide avec la rencontre d’un maître de la tarîqa Shâdhiliyya, que la transfiguration ultime s’est opérée. Ce qui va nous intéresser dans le présent article, ce sont les étapes qui ont précédé ce pèlerinage. Car outre la charge symbolique dont est porteur ce double voyage, géographique et métaphysique, il nous donne l’occasion de montrer comment un processus politique a pu avoir une incidence aussi considérable sur le plan initiatique.

Dans une société du xixe siècle pétrie d’islam, La Mecque est bien plus qu’une cité sainte. Elle représente une sorte d’espace intermédiaire, une antichambre de l’au-delà (al-âkhira). Quoi de plus naturel, dans un tel contexte, qu’un musulman, et a fortiori un fils de zaouïa, nourrisse l’espoir improbable de finir ses jours dans ce que la géographie arabe classique désigne comme le « nombril du monde » (surrat al-ard). Le jeune Abd el-Kader, issu de la noblesse religieuse (sharîf) et affilié à une tarîqa soufie, a donc très certainement rêvé de fouler cette terre vénérée qui recueillit, outre la Révélation, le premier et l’ultime souffle du prophète Muhammad. Un rêve qui se réalise, lorsqu’en 1240 de l’hégire (1825), il est choisi par son père, sidî Muhyî al-Dîn pour l’accompagner au « Grand pèlerinage » (hajj). Une pérégrination de près de deux années, au cours de laquelle, outre la péninsule arabique, les pèlerins traversent la régence d’Alger, le Beylicat de Tunis, la Libye, l’Égypte, la Palestine, la Grande Syrie et l’Irak. Une expérience intense qui a profondément marqué le jeune Hâjj Abd el-Kader2.

L’année 1832 voit l’entrée du fils de Muhyî al-Din dans l’Histoire. Nous savons que le nouveau « Commandeur des croyants » n’a accepté sa nouvelle fonction que par respect de la Loi religieuse et par esprit d’obéissance à son père3. L’homme de chapelet a dû s’éclipser partiellement, pour laisser émerger l’homme d’État. Après des années passées à la tête du jihâd, confronté à des difficultés croissantes, et face à un adversaire toujours plus puissant et résolu à vaincre coûte que coûte, l’émir Abd el-Kader a nécessairement envisagé la possibilité d’un exil en cas de défaite4. L’immigration (al-hijra) vers le Dâr al-islâm est considérée par les oulémas de l’époque comme une réponse religieuse à la domination de leur pays par une puissance « infidèle ». L’émir, pour les raisons déjà évoquées, a naturellement porté son dévolu sur le Hedjaz. Lorsqu’à la fin de l’année 1847, après quinze ans de jihâd, il décide de remettre son sort entre les mains de la France, il conditionne sa reddition à son transfert à Alexandrie ou à Saint-Jean d’Acre5. Bien que les deux premières cités saintes de l’Islam ne soient pas explicitement nommées, nous savons que les villes portuaires stipulées dans le traité sont des étapes traditionnelles des Maghrébins qui se rendent en pèlerinage. La précision est apportée par l’émir lui-même : « J’ai demandé au général Lamoricière de me faire transporter à Alexandrie, pour de là me rendre à la Mecque et Médine. [...]6 ». Nous connaissons la suite de l’histoire : le traité n’est pas respecté par le Gouvernement français et le chef algérien est retenu captif en France, avec une centaine de ses proches.

La Mecque pour cible

Au cours d’un entretien au mois de janvier 1848, la réponse de l’émir au colonel Eugène Daumas – qui l’interroge sur les raisons de son inclination pour La Mecque – est éloquente :  « Eh mon Dieu, que pourrait-on m’offrir en échange de La Mecque ? Les honneurs, les biens, les trésors de ce monde ? Tu sais, Daumas, si je les méprise. […] Je le répète, je n’ai plus d’autre désir que d’aller à la Mecque lire les Livres Saints, adorer Dieu et m’y faire enterrer après avoir visité à Médine le tombeau de Notre Seigneur Mohammad. Mon rôle est fini7 ». Deux mois plus tard, il réitère au Gouvernement provisoire son vœu en des termes voisins : « Mon seul désir est de me rendre à La Mecque et Médine, pour y étudier et adorer Dieu jusqu’à mon dernier jour [...]8 ». Cette volonté, maintes fois exprimée, de finir son existence dans le Hedjaz, revient comme un leitmotiv au point que l’officier Estève Boissonnet écrit, dans un de ses rapports officiels, qu’elle est chez lui une véritable « idée fixe9 ». Après cinq années de captivité et à la veille du rétablissement de l’Empire, l’émir Abd el-Kader et ses compagnons sont libérés par le prince-président Louis-Napoléon Bonaparte.

À cette époque, le fils de Muhyî al-Dîn ne signe déjà plus de son titre de « Commandeur des croyants », préférant utiliser son prénom suivi de sa filiation10. Autre détail significatif, il met en sourdine son vœu de se rendre à La Mecque. Un changement d’attitude qui vise surtout à désamorcer la méfiance qu’il suscite encore dans l’administration française, notamment au sein du très influent ministère de la Guerre. Car sa priorité, en cet automne 1852, est de gagner au plus vite le Dâr al-islâm, et ce quelle que soit la ville retenue. Les négociateurs français et turcs se mettent d’accord sur la ville de Brousse (Bursa) située dans le nord de l’Anatolie. L’ancienne capitale de l’Empire ottoman présente, pour la France et la Turquie, l’avantage de couper l’ancien résistant algérien du monde arabe, où il jouit toujours d’une certaine popularité, et de réduire ainsi ses capacités présumées de nuisance. Soulignons, sur un autre plan, que la ville de Brousse a été une étape de la pérégrination du cheikh Muhyî al-Dîn Ibn ‘Arabî (xiiie siècle). Ce détail a son importance quand on sait le rôle que devait jouer quelques années plus tard l’auteur des Futûhât al-makkiyya dans les spéculations métaphysiques d’Abd el-Kader al-Hassanî11. Alors que les combats font rage dans la Crimée voisine, une série de secousses telluriques, qui ont commencé au mois de février 1855, détruit partiellement la ville de Brousse. Les préjudices subis par ses proches et les inquiétudes quant à leur avenir12 conduisent Abd el-Kader à envisager de quitter la Turquie. Au cours de l’été de la même année, il se rend en France, où il obtient une audience de Napoléon III. D’après Léon Roches, qui cite une lettre d’Abd el-Kader13, c’est l’Empereur qui évoque la ville de Damas en remplacement de Brousse14.

L’étape damascène

Sans nous attarder sur la place de l’ancienne capitale omeyyade dans l’eschatologie islamique15, rappelons simplement qu’elle a fait l’objet d’une bénédiction spéciale du Prophète16. Soulignons également que le tombeau du Cheikh al-Akbar se trouve en contrebas du Mont Qassiyun, qui est lui-même révéré pour porter en son sein le sanctuaire des « 40 saints (abdâl) ». Et c’est tout naturellement dans une demeure où vécut le Cheikh andalou que l’exilé algérien s’installe à la fin décembre 185517. Son entrée dans la ville ne passe pas inaperçue, tant sa réputation de héros est grande au pays de Saladin18. Une popularité qui s’explique surtout par la présence d’une forte communauté d’immigrés algériens19 qui adopte pour chef leur prestigieux compatriote, ce qui va constituer un motif d’inquiétude à la fois pour l’administration turque de Damas et pour les autorités consulaires françaises.

En sa qualité d’exilé politique de haut rang, Abd el-Kader jouit d’une pension financière confortable versée par l’État français20. S’il bénéficie d’un statut spécifique qui lui assure la protection de la France21, il est en revanche soumis à une étroite surveillance. Tous ses déplacements, ses activités publiques, ses rencontres, etc., font l’objet de rapports pour le compte du ministère français des Affaires Étrangères. Survenue un peu plus d’un an après son arrivée en Syrie, l’interdiction qui lui est notifiée de se rendre en visite pieuse (ziyâra) à Jérusalem, va crisper les relations de l’exilé algérien avec le consul de France à Damas. À la suite d’une requête spéciale d’Abd el-Kader auprès de ses contacts parisiens, une autorisation de voyage en Palestine lui est finalement délivrée22. Si cette expérience lui a permis de prendre la pleine mesure des contraintes que lui impose son statut d’exilé politique, on peut également supposer qu’elle a fait office de test des intentions françaises et turques à son égard. En agissant avec fermeté, Abd el-Kader semble avoir voulu desserrer l’étau qui le contraignait à une semi-liberté, préparant ainsi les autorités politiques à la possibilité d’un voyage dans la péninsule arabique. Mais l’affaire n’est pas gagnée d’avance. Car outre le fait qu’il suscite toujours la défiance dans les milieux « colonistes » français, l’exilé algérien, depuis son installation dans le Bilâd al-Shâm, est devenu un enjeu politique non négligeable dans les stratégies levantines des puissances de l’époque. L’administration turque, qui considère avec un certain dédain cet ancien sujet de son ex-régence d’Alger23, voit d’un très mauvais œil ses relations privilégiées avec le Gouvernement français et son ascendant moral sur les Algériens du Shâm. Quant à la France, elle ne connaît que trop bien les qualités de son ancien adversaire pour ne pas sous-estimer le concours précieux qu’il pourrait lui apporter dans l’extension planifiée de son influence dans le Levant : un rôle qui fut pressenti pour Abd el-Kader dès son arrivée à Damas24. Nous savons, à ce propos, la pièce maitresse qu’il a représentée dans le projet de « royaume arabe » de Napoléon III25. Une perspective qui ne laisse évidemment pas indifférentes les autres puissances en lice et notamment l’Angleterre. Mais Abd el-Kader al-Hassanî n’a plus d’autre aspiration que spirituelle. Fidele à son engagement de décembre 1847, il a abandonné toute ambition mondaine pour ne se vouer qu’à la seule chose nécessaire à ses yeux.

À son arrivée à Damas, Abd el-Kader était-il déjà un Connaissant par Dieu (‘ârif bi-llâh26) ? Il est difficile de répondre avec certitude à cette question. Ce qui en revanche est certain, c’est que sa progression spirituelle va s’affirmer et s’affermir dans cette ville. Les rapports de l’agent français en charge de sa surveillance décrivent un Abd el-Kader passant ses journées dans l’oraison, l’étude et la visite des mausolées. Il consacre en outre ses biens et son temps à des œuvres de charité et à l’enseignement dans plusieurs mosquées de la ville. Bien que vivant en retrait, un rapport de mars 1856, le décrit comme admettant : « volontiers dans le cercle de ses amis des Marabouts, des Sheikhs, des étudiants savants avec lesquels il passe des heures entières en conférences qui ont ordinairement trait à la religion ou à la littérature. Les diverses opinions des commentateurs du Coran sont passées en revue, chacun donne des avis, on discute pour s’éclairer mutuellement, etc. […]27 ». Ces réunions ont constitué un cadre privilégié d’émulation intellectuelle et religieuse pour l’érudit Abd el-Kader. Mais sa prédilection est sans conteste pour les cercles soufis. C’est auprès de cet auditoire d’initiés qu’il livre un témoignage exceptionnel sur des expériences de dévoilements (kashf) et d’inspirations (ilhâm), qui vont nourrir le Kitâb al-Mawâqif 28, œuvre posthume considérée comme son testament spirituel. En dehors, de rares indications géographiques qui permettent d’en situer quelques-uns dans une chronologie29, la plupart des évènements spirituels relatés dans les Mawâqif sont impossibles à dater. On peut cependant, sans risque d’erreurs, avancer que l’essentiel du contenu du Kitâb est postérieur au hajj de 1863-1864. Ce constat éclaire l’enjeu initiatique qu’a représenté ce voyage dans le Hedjaz qui devait porter l’aspirant Abd el-Kader au point culminant de sa progression spirituelle. Mais avant d’y venir attardons-nous sur quelques événements clés qui vont en accélérer le processus.

Un double processus

À l’orée de l’année 1860, Abd el-Kader est en proie à des expériences supra-rationnelles intenses, dont ses écrits spirituels font état. L’esseulé majdhûb30 qu’il est depuis de nombreuses années est alors confronté aux limites du cheminement solitaire et ressent le besoin impérieux d’un guide spirituel (murshid). Même si le témoignage qui suit, tiré du Kitâb al-Mawâqif, est postérieur, il semble se référer à sa propre expérience de la quête du maitre : « Il y unanimité des Gens de Dieu sur le fait que, dans la Voie de la Gnose, un « moyen d’accès » (wasîla), c’est-à-dire un maître, est indispensable. Les livres ne permettent nullement de s’en passer, du moins dès lors que se produisent les inspirations surnaturelles (al-waridât), les éclairs des théophanies (bawâriq al-tajalliyât) et les événements spirituels (al-wâqi‘ât), et qu’il devient donc nécessaire d’expliquer aux disciples ce qui, dans tout cela, doit être accepté ou rejeté, ce qui est sain et ce qui est vicié. […]31 ». Et cette autorité spirituelle, Abd el-Kader l’a trouvée dans la personne d’un Cheikh de la tarîqa Shâdhiliyya, qui, signe providentiel, est installé à La Mecque. Mais pour que la rencontre ait lieu, un obstacle de taille reste à franchir : obtenir une autorisation de voyager. Si pour Abd el-Kader, l’intention est d’ordre purement spirituel, les autorités françaises, dont il dépend, craignent quant à elles les incidences politiques d’un tel voyage. Elles considèrent en effet la ville sainte comme un centre névralgique d’activismes politiques où leur ancien adversaire entrerait inévitablement en contact avec des opposants à sa politique de domination en Algérie : un argument qui a déjà été avancé par le passé32. Abd el-Kader n’a toutefois pas manqué de soutiens au sein de l’administration française, l’épisode de la ziyâra à Jérusalem l’a montré. Mais ceux qui ne croient pas à sa « mort » politique continuent de peser de tout leurs poids sur son avenir. Seul un basculement de l’opinion politique en sa faveur pouvait assouplir les mesures préventives prises à son encontre. Et c’est un événement tragique qui va tout précipiter.

L’affaiblissement de l’autorité centrale turque, les répercussions de la guerre de Crimée, la montée des nationalismes aggravés par l’ingérence des puissances européennes qui bouleverse l’équilibre traditionnel entre les communautés, sont autant de facteurs qui expliquent la gravité des émeutes dont Damas va être le théâtre au cours de l’été 1860. Dès l’année précédente, des foyers d’insurrections ont éclaté dans la montagne libanaise entre Druzes et Chrétiens maronites. Le conflit s’étend jusque dans la capitale du Shâm par l’afflux de réfugiés chrétiens. C’est dans ce contexte qu’Abd el-Kader va faire son retour sur le devant de la scène publique. Nous ne reviendrons pas sur le déroulé de cette guerre civile, dont la communauté chrétienne fut la principale victime, ni sur les détails de l’intervention d’Abd el-Kader et de ses compagnons33. Rappelons juste que pour avoir protégé d’un massacre certain les chrétiens de la ville ainsi que les personnels des représentations consulaires, l’exilé algérien va recevoir les hommages et les décorations de plusieurs États et institutions du monde entier. Il est notamment élevé par Napoléon III, dès le mois qui a suivi les événements, à la dignité de grand-croix de l’ordre impérial de la Légion d’honneur. Son action positive dans la crise syrienne a considérablement renforcé ses partisans en France34. Un climat favorable qui pousse Abd el-Kader à réitérer sa demande d’autorisation pour se rendre en pèlerinage à La Mecque35.

Jamais, peut-être, figure de l’histoire contemporaine ne nous a offert autant qu’Abd el-Kader la possibilité de lier politique et métaphysique. La nature même du personnage nous convie à une lecture symbolique des événements clés de son existence. Nous retiendrons ici deux événements personnels qui ont marqué l’année 1861. Abd el-Kader perd coup sur coup, sa mère, Lalla Zohra, dont il était très proche, et son frère aîné, Muhammad-Saïd, installé depuis peu à Damas. La disparition de ses deux « tuteurs » fait de lui un orphelin dans le sens commun du terme mais aussi, et c’est cet aspect qui nous intéresse, dans celui qu’en donne la tradition métaphysique de l’islam. Et c’est un mawqif qui nous éclaire sur cette notion qui s’applique en premier lieu au Prophète : « L’orphelin dont il est question ici n’est autre que le disciple chez qui le maître […] a discerné les prédispositions et l’aptitude à devenir un homme accompli […]36 ». Le double processus, politique et initiatique, qui va aboutir à la rencontre entre le maître et le disciple va dès lors s’accélérer37.

La rencontre du Compagnon de Voyage

Nous savons qu’au cours des mois qui ont suivi les émeutes de l’été 1860, la présence de l’exilé algérien à Damas a constitué un facteur de stabilité non négligeable. Parallèlement, les démarches administratives en vue d’obtenir une autorisation de voyage ont suivi leur cours. Et ce n’est qu’à la fin du printemps 1862 qu’Abd el-Kader reçoit le précieux document38. Durant l’automne-hiver de la même année, près de quarante ans après son premier pèlerinage, l’exilé algérien s’apprête une nouvelle fois à prendre son bâton de pèlerin. Et c’est le lendemain de Noël 186239, le 4 rajab 1279, qu’il quitte Damas pour la « Mère des cités » : un voyage dont nous connaissons très exactement l’itinéraire. Il embarque à bord d’un pavillon français, le « Sinaï », pour se rendre à Alexandrie où il accoste le 1er janvier 1863. Il reste trois semaines environ en Égypte. Il met à profit ce séjour pour visiter, en compagnie de Ferdinand de Lesseps, le « Chantier du siècle » : le canal maritime de Suez. Un projet dont il est un des principaux promoteurs auprès des populations musulmanes40. Cette étape géographique pointe de nouveau une dimension spirituelle qui demande à être décryptée. En effet, cet « isthme » qui va permettre la « jonction des eaux41 » selon les termes mêmes d’Abd el-Kader, entre en résonnance avec le barzakh, qui peut se traduire par l’« isthme spirituel42 », et que tout itinérant (sâlik) traverse au cours de sa progression spirituelle. À la fin du mois de janvier, le pèlerin algérien embarque sur un bâtiment de guerre mis à sa disposition par Napoléon III, le « Curieux », qui met le cap sur le port de Djeddah. Son arrivé dans la péninsule arabique coïncide avec le mois de sha‘ban 1279 h., il reste alors quatre mois avant le début du rituel du hajj. Et c’est probablement au cours de cette période, dans l’enceinte de la cité « ennoblie » (Makka al-mukarrama), qu’il rencontre pour la première fois celui qu’il a choisi pour maître. D’après un contemporain des faits, le cheikh Muhammad al-Fâsi al-Shâdhilî, en voyant son nouveau disciple lui aurait déclaré : « Cela fait vingt ans que je t’attends43 » signifiant ainsi le caractère providentiel de leur rencontre. Abd el-Kader a-t-il pris son rattachement initiatique dans cet intervalle de temps, et plus précisément au cours du mois de ramadân 1279 (février-mars 1863) ? Aucun document ne permet de l’affirmer, mais une telle hypothèse s’inscrit dans une certaine logique initiatique. Car en faisant coïncider la sacralité du lieu (La Mecque), de l’hôte (le maître spirituel) et du moment (le mois de ramadan), le hajj devait prendre pour le pèlerin Abd el-Kader une toute autre dimension.

Ce voyage, dans l’horizontalité et la verticalité, ouvre la phase la plus dense de l’existence d’Abd el-Kader al-Hassanî et il y a incontestablement un avant et un après 1863-186444. Arrivé au mois de janvier 1863, le pèlerin quitte la péninsule arabique en juin de l’année suivante45. Entre ces deux dates, le disciple Abd el-Kader a partagé l’essentiel de son temps entre les villes de La Mecque et de Médine qui ont constitué le cadre de ses transformations intérieures. Soumis à une discipline ascétique rigoureuse, les rapts extatiques (jadhba) et les dévoilements (kashf) se multiplient46. Ces expériences radicales le projettent dans une méta-réalité dont il tire à chaque fois un enseignement et dont le Kitâb al-Mawâqif est le témoin le plus fidèle47. Dans cette progression spirituelle, l’homme ancien s’éteint progressivement pour laisser poindre un être nouveau. Car le jihâd al-akbar48, le « combat majeur » auquel Abd el-Kader s’est voué depuis sa jeunesse a pris une tout autre ampleur depuis son rattachement initiatique. Et c’est précisément entre les mains du cheikh al-Fâsi que le commandement de ce jihâd spirituel est remis, et dont la mort initiatique est le signe manifeste de la Victoire (al-fath)49. Curieusement, au cours de l’automne 1863, une rumeur sur la mort du pèlerin algérien circule à La Mecque50. Si l’information devait être par la suite démentie, Abd el-Kader a vraisemblablement connu une mort à soi faisant de lui un martyr-témoin51.

Le nombril du monde

Est-il besoin de préciser que ces expériences métaphysiques intenses se déploient dans un espace-temps chargé sur le plan des symboles ? Haut lieu de l’Histoire, La Mecque est aussi un pivot géo-cosmique. Elle est pour le soufi, le symbole d’un sanctuaire intérieur. Car ce séjour dans le « nombril du monde », s’apparente en tous points à une hijra vers le Cœur de l’être52 dont la Kaaba est précisément le symbole. Localisé au centre du périmètre sacré, ce « Cube53 » vide renvoie à la vacuité du cœur du « serviteur croyant54 » qui est le support par excellence de la manifestation divine. Elle est aussi le pôle d’orientation (qibla) des priants et le point de convergence des pèlerins provenant des quatre points cardinaux. Ainsi, de la même manière que toutes les directions se résorbent à l’intérieur de la Kaaba, c’est dans le Cœur de l’être qu’aboutit ce chemin du multiple vers l’un. À l’instar de celui qui se place virtuellement au centre du « Cube » et pour qui toutes les directions de l’espace deviennent qibla, celui qui atteint le cœur de son être contemple la Face divine (wajh Allâh) dans tous les aspects de la création55. Sur les implications de ce degré spirituel, qui est conforme à celui de l’Homme accompli (al-insân al-kâmil), Abd el-Kader déclare : « Lorsque [le gnostique] s’oriente vers la qibla pour accomplir la prière rituelle, il voit que celui qui s’oriente est Dieu, et que celui vers qui il s’oriente est Dieu aussi […]56 ». De même que le fidele, en se rendant au hâjj répond à un appel par la formule consacrée57, le Connaissant par Dieu réalise que Dieu est « Celui qui appelle Lui-même pour Lui-même et par Lui-même58 ».
59 Il existe plusieurs versions de ce poème dont une dans le Tuhfat de Muhammad Sa‘îd.

Abd el-Kader consacra par la suite au cheikh al-Fâsî, un poème élogieux59. Une façon pour lui de marquer sa profonde reconnaissance au compagnon d’un voyage qui fut tout à la fois hajj, siyâha, hijra et mi‘râj. Un mawqif nous offre une synthèse édifiante du processus qui a mené à l’ultime jonction :
60 Mawqif 7.

« Dieu m’a ravi à mon “moi” [illusoire] et m’a rapproché de mon “moi” [réel] et la disparition de la terre a entraîné celle du ciel. Le tout et la partie se sont confondus. La verticale (tûl) et l’horizontale (‘ard) se sont anéanties. L’œuvre surérogatoire a fait retour à l’œuvre obligatoire, et les couleurs sont revenues à la pure blancheur primordiale. Le voyage a atteint son terme et ce qui est autre que Lui a cessé d’exister.60 »

Notes

1 Claude Addas, 1989, Ibn ‘Arabi ou la Quête du soufre rouge, Paris, Gallimard, p. 242-244.

2 Au sujet de ce premier pèlerinage voir les quelques détails donnés dans un écrit de captivité. Voir L’émir Abd el-Kader, Autobiographie écrite en prison (France) en 1849, trad. de l’arabe par H. Benmansour, Paris, Dialogues, 1995, chap. IV.

3 Ibid., p. 74.

4 En 1842, le général Thomas Bugeaud, récemment nommé Gouverneur général d’Algérie, entreprit une politique de la terre-brûlée. Devant son incapacité à prendre l’émir Abd el-Kader, Bugeaud tenta de le soudoyer en lui proposant un exil doré dans le Levant, ce que l’intéressé refusa par principe. En 1859, dans le Caucase, une proposition similaire est faite à l’imam Chamil (surnommé l’émir Abd el-Kader du Caucase !) encerclé dans son fief du village fortifié (awl) de Gounib par les troupes russes. Après sa capitulation, il est finalement placé en résidence surveillée et n’est autorisé à rejoindre La Mecque qu’en 1869, année au cours de laquelle il croise Abd el-Kader en Égypte. L’imam Chamil meurt à Médine en 1871.

5 Au contraire de Saint-Jean d’Acre, qui est administrée par la Porte, Alexandrie dépend du pouvoir du vice-roi d’Égypte Muhammad Ali. Si Alexandrie a de tous temps été une terre où se sont installés les Maghrébins, Saint-Jean d’Acre aurait été proposé par l’émir Abd el-Kader en raison de la présence d’une branche de sa famille. La Presse du 10 janvier 1848 : « Un oncle d’Abd-el-Kader habite le pachalick d’Acre, où il s’est acquis, dit-on, par ses pratiques religieuses, une certaine influence. L’émir se trouverait donc ainsi au milieu des siens, et il pourrait méditer avec eux sur les moyens de rentrer en Algérie, lorsque le moment favorable serait arrivé. »

6 Centre historique des Archives Nationales (CHAN) : Fonds Émile Ollivier (542 AP10).

7 Perras et E. Boislandry Dubern, janvier-juin 1913, « Abd-el-Kader en exil, d’après des documents inédits », Revue des sciences politiques, 28e année, p. 237-238.

8 CHAN.

9 Archives Nationales d’Outre-Mer (ANOM) : 1E223 (9). Anciennement appelées CAOM.

10 Une attitude dont avait pris note le journal La Presse du 12 janvier 1848 : « Quoi qu’il en soit de la vérité exacte des nouveaux projets prêtés à Abd-el-Kader, ce qu’il y a de certain, c’est que, depuis quelques jours, il a entièrement cessé de s’intituler, comme autrefois, dans ses correspondances, “chef des croyants” ».

11 Le Journal de Constantinople décrit l’émir dans sa nouvelle vie d’exilé : « Abd-el-Kader vit assez retiré au sein de sa famille et ses passe-temps sont les soins paternels qu’il donne à l’éducation de ses enfants. Ses principales occupations du jour et d’une partie de la nuit sont l’étude et la poésie, pour laquelle surtout sa noble nature a un penchant bien prononcé. […] ». Nous savons qu’une des copies existantes des Futûhât al-makkiyya se trouve dans la ville de Konya, et sans pouvoir l’affirmer, il est probable que dès cette époque, Abd el-Kader, à défaut de l’avoir eu entre les mains et étudié, a eu connaissance de l’existence de ce manuscrit.

12 Les demeures de la famille d’Abd el-Kader ont subi de graves dégâts. Le journal La Presse du 5 mai 1855 donne quelques précisions : « La ferme sous laquelle Abd-el-Kader s’était retiré, depuis le tremblement de terre du 28 février, a été en partie démolie […] ».

13 Voici l’extrait de la lettre d’Abd el-Kader datée du 9 octobre 1855 : « [...] J’ai reçu ta lettre, à mon retour de Paris, où je m’étais rendu pour rendre visite à l’empereur Napoléon III, […] L’empereur m’a dit d’abord : Brousse n’est plus une résidence qui puisse te convenir ; où veux-tu demeurer ? - C’est à toi de choisir, lui ai-je répondu. - Damas te plairait-il ? a-t-il alors ajouté. - Il me plaît, a été ma réponse.
- Eh bien, tu iras à Damas, m’a dit Napoléon, et je vais donner l’ordre qu’un vaisseau t’y conduise. [...] ». Léon Roches, Trente-deux ans à travers l’islam (1832-1864), Paris, Firmin-Didot, 1884, vol. I, p. 487-488. Il faut cependant prendre avec circonspection ce témoignage issu d’un témoin aussi controversé qu’incontournable sur tout ce qui touche à la vie de l’émir Abd el-Kader. Au sujet de la complexité du personnage, voir l’étude de Marcel Émerit, « La légende de Léon Roches », La Revue africaine 91/1, 1947, p. 487-488.

14 Voici ce qu’écrit La Presse datée du 22 septembre 1855 : « À la suite d’une audience particulière que lui a accordée l’empereur Napoléon, l’émir Abd-el-Kader, qui s’était principalement rendu à Paris pour solliciter un changement de résidence, le séjour de Brousse lui étant devenu intolérable depuis le dernier tremblement de terre, a obtenu de pouvoir se fixer à Damas avec sa famille. »

15 Voir Mouloud Haddad « Immigration, Islam et eschatologie. Exil et post exil des Algériens à Damas au XIXe siècle », dans Actes du colloque international « Temporalités de l’exil » organisé par l’Université de Montréal, 15-17 février 2007, 21 p. Texte en ligne sur internet : www.poexil.umontreal.ca/events/colloquetemp/colloqtempacteshaddad.html

16 Selon le hadith suivant : « Allez en Syrie, car c’est le plus pur des pays de Dieu et c’est l’élite de Ses créatures qui y habite ».

17 Voir Abd el-Kader, Écrits spirituels, traduction du Kitâb al-Mawâqif par M. Chodkiewicz, Paris, Seuil, coll. « Points sagesses », 1982, p. 20.

18 Ch. H. Churchill, La Vie d’Abd el Kader, trad. française par M. Habart, Alger, Sned, 1991, p. 305-307. Voir également A. Temimi, « L’émir Abd el-Kader à Damas (1855-1860) », dans Atti della Settimana int. di studi mediterranei, Cagliari, 1979, 1981, p. 179-191.

19 À titre d’exemple nous savons que son ancien lieutenant Ben Salem, après sa reddition en février 1847, s’est installé avec les siens à Damas. La proportion de candidats à l’exil et à l’installation dans le Bilâd al-Shâm s’est semble-t-il accélérée avec l’installation de l’ancien « Commandeur des croyants » à Damas. Ce constat a suscité des inquiétudes du Gouverneur général de l’Algérie, le général de Martinprey, qu’il exprime dans une lettre officielle datée de juin 1860. Voir B. Étienne, Abdelkader, isthme des isthmes, Hachette Littérature, 1994, p. 274.

20 Une pension annuelle de 50 000 francs a été allouée en même temps que sa libération. Une allocation qui s’avéra très insuffisante en raison d’une famille nombreuse et de compagnons à sa charge. Elle est portée à 100 000 francs après les événements de juillet 1860 et atteint 150 000 francs à la veille de son décès en 1883.

21 Le statut juridique ambivalent des Algériens de Damas, considérés après 1860 comme des sujets quasi-français, a accentué la crispation des autorités turques envers eux. Voir à ce sujet l’article déjà cité de M. Haddad.

22 À propos de la demande d’autorisation voir le premier rapport de G. Bullad daté du 27 mars 1856, cité dans Étienne, 1994, p. 466-467. Au sujet de la visite en Terre Sainte elle-même, voir Muhammad Sa‘îd (Ibn ‘Abd el-Kader Al-Jazâ’rî), Tuhfat az-zâ’ir fî târikh al-Jazâ’ir wa-l-Amîr, (« Cadeau au pèlerin de l’Histoire de l’Algérie et de l’émir »), Alexandrie, 1903, rééd. Beyrouth, 1964, p. 599.

23 Dans son troisième et dernier rapport daté du 12 octobre 1857, G. Bullad écrit à propos de Izzet Pacha, gouverneur turc de la ville, qu’il se montre « mal disposé » voir « malveillant » envers Abd el-Kader.

24 Voir à ce sujet le deuxième rapport de G. Bullad, daté du 30 aout 1857, cité dans Étienne 1994, p. 471. Rappelons que c’est dans le contexte de la Guerre de Crimée (1853-1856) que la Province syrienne a été retenue pour y accueillir les exilés algériens. Ce conflit international s’insère dans la compétition que se livrent alors les puissances occidentales (France, Russie et Angleterre en tête) autour de l’« Homme malade » qu’est devenu l’Empire ottoman. Dès cette époque, et bien avant son projet de « royaume arabe », l’empereur français en raison de la confiance qu’il a dans la probité d’Abd el-Kader, a probablement pressenti l’Algérien comme un garant des intérêts français dans le Levant.

25 Voir à ce sujet Ch.-R. Ageron, 1970, « Abd el-Kader, souverain d’un royaume arabe d’Orient », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, numéro spécial, p. 15-30.

26 À propos du Connaissant par Dieu, voir le mawqif 17. Précisons que la plupart des traductions des Mawâqif sont empruntées à l’essai de M. Chodkiewicz (Chodkiewicz 1982) et dans une moindre mesure, à Dominique Penot dans son essai Le Livre des Haltes, Dervy, 2008.

27 Rapport de G. Bullad, déjà cité, du 27 mars 1856. Ces rapports, conservés dans les fonds du Ministère des Affaires Étrangères (Turquie, Damas, n° 4, 1856-57) sont une source de grand intérêt sur cette période de la vie d’Abd el-Kader.

28 La première édition du Kitâb al-Mawâqif date de 1911. 

29 La Mecque et Médine sont explicitement citées, on retrouve même en certains endroits la ville de Londres, qui laisse supposer que l’événement spirituel en question a eu lieu lors de son séjour dans la capitale britannique au tout début du mois d’aout de l’année 1865.

30 Selon la tradition soufie, il existe deux catégories d’aspirant dans la Voie (tarîqa). Il y a d’une part le cheminant qui suit un itinéraire méthodique (sâlik) et d’autre part, celui qui est en proie à des rapts extatiques (majdhûb). Dans son Kitâb al-Mawâqif, Abd el-Kader rappelle qu’il a d’abord été dans la seconde catégorie avant de s’engager dans la voie du sulûk. Voir à ce sujet le mawqif 18.

31 Mawqif 197.

32 Dès avant la fin du régime de la monarchie de Juillet, et dans l’éventualité d’une libération qui est alors encore en discussion dans les deux Chambres, le général et ministre de la Guerre Trézel avait refusé la possibilité pour l’émir Abd el-Kader d’être envoyé à La Mecque. Voir la lettre du maréchal Trézel datée du 28 janvier 1848 citée dans Perras et Boislandry Dubern, 1913, p. 242.

33 A. Bouyerdene, 2008, Abd el-Kader, l’harmonie des contraires, Seuil, Paris, p. 121 et suivantes.

34 Il n’est pas impossible que le rapprochement qui s’opère alors entre Abd el-Kader al-Hassanî et la franc-maçonnerie française ait contribué à l’assouplissement de l’attitude du gouvernement français envers l’exilé algérien.

35 En dépit de cette popularité, la correspondance du ministère des Affaires Étrangères laisse clairement apparaître que la méfiance des agents français envers l’exilé algérien est demeurée vivace. La recommandation de surveiller Abd el-Kader est clairement notifiée dans les rapports officiels de l’époque. Voir notamment dans la lettre de Portalis : Registre 22, « gestion portalis » cote A 18/28.

36 Mawqif 158.

37 Sur les rapports maîtres disciples voir en particulier les Mawâqif 19, 195 et 197.

38 Archives du ministère des affaires étrangères (Correspondance avec les Échelles) : Registre n° 22 (1862-1866), correspondance reçue du Département et de l’Ambassade, 22 mai 1862 : autorisation pour voyage à La Mecque et Allocation. L’auteur de cet article n’ayant pas pu dépouiller les Archives en question, nous devons cette information à feu Bruno Étienne. De manière générale et pour plus de détails sur les côtes des Archives du ministère des Affaires Étrangères relatifs à l’émir Abd el-Kader, voir B. Étienne 1994, p. 436.

39 Archives du Ministère des Affaires Étrangères (Correspondance avec les Échelles). Registre n° 26 : Correspondance Département et Ambassade, 26 décembre départ d’Abd el-Kader.

40 Les 16 et 17 novembre 1869, Abd el-Kader assiste, de la tribune officielle, à l’inauguration du Canal de Suez.

41 Alors qu’il est en route pour le Hedjaz, dans une lettre datée du 12 janvier 1863, Abd el-Kader exprime dans les termes suivants ses encouragements à Ferdinand de Lesseps : « Dieu a voulu vous réserver les deux gloires et les deux mérites de creuser à la fois le canal maritime et le canal d’eau douce. […] Nous prions le Très-Haut de vous faciliter l’achèvement et de réaliser la jonction des eaux. » Cité dans « Le canal de Suez et Abd-el-Kader », Annales agricoles de la Dordogne, vol. 24, 1863, p. 220-221. L’expression « jonction des eaux », tout comme le titre même du journal officiel de la Compagnie du Canal maritime (Le Journal de l’union des deux mers) est d’inspiration coranique. Voir Coran 25 : 53 ; 27 : 61 ; 35 : 12 ; 55 : 19-20.

42 Sur l’isthme spirituel voir par exemple le mawqif 235.

43 Youssef Nabhani, 1911, Jâmi‘ karâmât al-awliyâ’, Le Caire.

44 À propos du récit du hajj voir le Kitâb al-Mawâqif et Muhammad Ibn ‘Abd el-Kader al-Jazâ’irî, Tuhfat, 1903 et 1964, p. 695-699.

45 Notons qu’en quittant la péninsule, Abd el-Kader se rend directement sur le chantier de l’isthme de Suez où il arrive le jour commémoratif du nouvel an de l’Hégire 1281.

46 Plusieurs Mawâqif font état de ces visions (voir notamment le mawqif 83) mais le mawqif 13 a la particularité de témoigner de la première expérience d’extinction d’Abd el-Kader dans le Prophète, qui va être, selon ses dires, un tournant dans sa vie intérieure. Soulignons que dans la tradition de l’islam, la vision du prophète Muhammad est une expérience d’autant plus probante qu’elle n’admet pas le doute en vertu du hadith où le Prophète affirme : « Qui me voit, voit le Réel, car Satan n’emprunte jamais ma forme. »

47 Sur le caractère inspiré du Kitâb al-Mawâqif voir en particulier le mawqif 1.

48 Sur le jihâd al-akbar dirigé par le maître spirituel, voir mawqif 197 et de manière plus générale sur les deux formes de jihâd voir mawqif 73.

49 Le terme arabe fath possède un double sens : « victoire », dans le sens militaire, et « illumination » sur le plan initiatique.

50 Le Journal des débats relaie la rumeur dans son édition du 30 novembre 1863 pour la démentir dans celle du 7 décembre 1863.

51 En arabe, tout comme en grec ancien, les deux termes (shâhid et shahîd) ont la même étymologie. Voir également le mawqif 73 dans lequel l’auteur déclare notamment : « Ne plonge dans les flots de ce combat [majeur] que celui qui a la chance et le bonheur de marcher vivant sur la terre, tout en étant martyr. [...] »

52 Mawqif 185.

53 Le mot Ka‘ba signifie précisément « cube » en arabe.

54 Selon le hadith qudsî déjà cité : « Ni Ma terre ni Mes cieux ne peuvent Me contenir, seul le cœur de Mon serviteur croyant Me contient. » Sur la thématique du cœur voir également les Mawâqif 87 et 187.

55 Selon le verset : « Où que vous vous tourniez, là est la Face de Dieu » (Coran, 2 : 115).

56 Mawqif 149.

57 Labbayka Allahumma labayk, « Me voici à Toi, mon Dieu, me voici à Toi… ! »

58 Mawqif 19.

59 Il existe plusieurs versions de ce poème dont une dans le Tuhfat de Muhammad Sa‘îd.


60 Mawqif 7.


Pour citer cet article



Référence papier

Ahmed Bouyerdene, « L’autorisation de pèlerinage à La Mecque (al-Hajj) pour Abd el-Kader : implications politique et métaphysique », in Ahmed Bouyerdene, Éric Geoffroy et Setty G. Simon-Khedis (dir.), Abd el-Kader, un spirituel dans la modernité, Damas, Presses de l'Ifpo (« Études médiévales, modernes et arabes », no PIFD 237), 2012, p. 201-214.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...