lundi 31 décembre 2012

Lettre du mois doctrine-malikite:الرسالة الشهرية للموقع المالكي‏


DOCTRINE MALIKITE
 
 
 
 
 
 
 
 
Salam 'alaykum chers frères, chères sœurs,

Nous avons sélectionné pour vous comme chaque mois, un bouquet de Hadîths et d'articles précieux.
 
 


 

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 24 - "Ne t'occupe guère de celui qui te nuit, mais occupe-toi de Dieu "





Traduit par Titus Burckhardt

Lettre 24
 
 
Occupez-vous de ce que votre Seigneur vous a ordonné, et non pas de vous-mêmes, au cas où quelqu'un vous témoigne de l'hostilité, qu'il soit un des vôtres ou non; car si vous ne vous défendez pas vous-mêmes, Dieu vous défendra et s'occupera de votre cause; mais si vous vous défendez vous mêmes et vous occupez de votre cause, Il vous la laissera gérer (exalté soit-Il) et vous serez impuissants, car c'est Dieu qui est "puissant sur toutes choses"
(Coran).

Le maître vénérable, le saint Qâsim al-Khâçaçî (que Dieu soit satisfait de lui) a dit: "Ne t'occupe guère de celui qui te nuit, mais occupe-toi de Dieu. Il l'éloignera de toi, car c'est Lui qui l'incite contre toi pour qu'Il éprouve ta sincérité; mais beaucoup d'hommes se trompent en cette question." Si vous vous occupez de celui qui vous nuit, son action nuisible continuera en même temps que votre péché.

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 23 - L'âme (nafs) est le cosmos entier -


 
 
 
 
 
 
Traduit par Titus Burckhardt
 
Lettre 23
 
 
L'âme (nafs) est une chose immense; elle est le cosmos entier, puisqu'elle en est la copie. Tout ce qui est en lui, se retrouve en elle, et tout ce qui est en elle, est également en lui. De ce fait, celui qui la domine, le domine certainement, de même que celui qui est dominé par elle, est certainement dominé par le cosmos entier.

dimanche 30 décembre 2012

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 22 - Sur la contemplation


 
 

 
 
 
Traduit par Titus Burckhardt
 
Lettre 22
 
 
La contemplation (shuhûd) est intuition, et l'intuition ne peut être fixée que par le sensible, et ne dure que par la conversation spirituelle (mudhdkarah), la visite des saints et la rupture des habitudes'. Dès qu'il y a stagnation, la contemplation cesse inévitablement. N'arrêtez donc pas vos mouvements, j'entends les actions par lesquelles s'intensifie la contemplation. Notre maître (que Dieu soit satisfait de lui) me répétait toujours: "L'intuition est très
subtile et fugitive; si l'homme n'est pas sur ses gardes, elle échappera de ses mains sans qu'il s'en aperçoive."

En d'autres termes, l'intuition ne peut être fixée que par le symbole, et ne peut être maintenue que par la fréquentation des hommes spirituels (en sanscrit satsanga , सत्सङ्ग ), l'influence émanant des saints vivants ou des tombeaux de saints, et le combat contre les habitudes passives de l'âme.

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 21 -"Détends ton esprit et apprends à nager!"







Traduit par Titus Burckhardt

 Lettre 21
 
 
 
Nous avons dit à l'un de nos frères: que celui qui désire être dans un état de perpétuelle concentration retienne sa langue. Et nous vous recommandons: Si vous êtes dans un état de perplexité (hayrah) ne vous hâtez pas à vous accrocher à quelque chose, ni en écrivant ni par aucune autre chose, pour que vous ne fermiez pas la porte de la
nécessité de votre propre main, car cet état assume pour vous le rôle du Nom suprême 1; mais Dieu le sait mieux.

Ibn 'Atâ'-ALlâh dit dans ses Hikam: "Pour un aspirant, une soudaine détresse est la clé des dons spirituels"; il dit également: "Peut-être trouverez-vous dans la détresse un bienfait que vous n'avez pas su trouver dans le jeûne ni dans la prière"; de ce fait, si cet état vous visite, ne vous en défendez pas et ne vous affairez pas à chercher un remède, de peur que vous ne chassiez le bien qui vous visite librement, mais remettez votre volonté entièrement à votre Seigneur, alors vous verrez des merveilles." Notre maître avait l'habitude de dire à celui qui était saisi de perplexité:

"Détends ton esprit et apprends à nager!"

1 Le Nom suprême de Dieu.

jeudi 27 décembre 2012

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 20 - Soit le "fils de l'instant"







Traduit par Titus Burckhardt
 
Lettre 20
 
 
Quant à ce professeur dont tu m'as parlé et qui ne trouve pas l'état de présence dis lui qu'il ne regarde ni vers le passé  ni vers l'avenir, qu'il soit le "fils de l'instant", et qu'il prenne la mort pour cible de ses yeux; alors il le trouvera, si Dieu le veut. La conscience de la Présence divine (hadhar).

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 19 - " Dieu veut te ramener de toutes choses afin qu'aucune chose ne te distraie de Lui."







Traduit par Titus Burckhardt

Lettre 19


L'homme fort est celui qui se réjouit de voir que le monde échappe de ses mains, le quitte et le fuit; qui se réjouit du fait que les gens le méprisent et disent du mal de lui, et qui se contente de sa connaissance de Dieu. Le vénérable maître, le saint Ibn 'Atâï-Llâh (que Dieu soit satisfait de lui) dit à ce propos dans ses Hikam: "Si le fait que les gens se détournent de toi ou qu'ils médisent de toi, te procure de la souffrance, reviens vers la connaissance de Dieu en toi; si cette connaissance ne te suffit pas, alors le manque de contentement par la connaissance de Dieu est une épreuve bien
plus grave que n'est la médisance des gens. Le but de cette médisance, c'est que tu ne te reposes pas sur les gens; Dieu veut te ramener de toutes choses afin qu'aucune chose ne te distraie de Lui."


mercredi 26 décembre 2012

Commentaire coranique et enseignement initiatique – La Voie, le maître et l’expérience contemplative dans le Baḥr al-madīd d’Aḥmad Ibn ‘Ajība (m. 1223/1809)









"Depuis les travaux de Jean-Louis Michon , le soufi marocain Aḥmad Ibn ‘Ajība (m. 1223/1809) est connu des spécialistes de la spiritualité musulmane comme auteur de plusieurs traités de soufisme et, surtout, comme un représentant éminent de la confrérie Darqāwiyya . Né en 1160-61/1747-48 dans la région de Tétouan au nord du Maroc, il devient un des savants les plus respectés de son époque. Vers la quarantaine, il fait l’expérience d’une crise spirituelle qui le pousse à abandonner ses fonctions de professeur de sciences religieuses pour entrer dans la voie soufie sous la direction de Muḥammad al-Būzīdī (m. 1229/1814) et du maître de celui-ci, le fondateur de la Darqāwiyya, Mawlāy al-‘Arabī al-Darqāwī (m. 1239/1823). Après un temps d’épreuve, Ibn ‘Ajība devient lui-même un maître spirituel majeur et un auteur prolifique.

 Ses écrits sont régulièrement réédités et ont trouvé une large diffusion dans tout le Maghreb ainsi qu’au Proche-Orient. Il s’agit pour la plupart de commentaires (sharḥ) des textes classiques de la tradition shâdhilite . Certains de ses écrits ont acquis une popularité considérable, comme le Mi‘rāj al-tashawwuf ilā ḥaqā’iq al-taṣawwuf , un traité sur la terminologie soufie. Mais Ibn ‘Ajība est aussi connu pour une autre catégorie d’écrits qui reflètent encore mieux son parcours et la particularité de son approche, notamment ceux qui relèvent de la science de l’allusion spirituelle (‘ilm al-ishāra) , où il s’agit d’interpréter des textes de la science islamique selon une compréhension spirituelle. Son commentaire coranique, le Baḥr al-madīd fī tafsīr al-Qur’ān al-majīd (« l’Étendue de l’océan au sujet du commentaire du Coran glorieux »), constitue sans doute son chef-d’œuvre, du fait qu’il y opère une synthèse entre sa vaste connaissance du savoir islamique et son expérience comme maître spirituel de la voie Shādhiliyya-Darqāwiyya . Le fondateur al-Darqāwī n’ayant laissé qu’un un recueil de lettres , le tafsīr représente une des sources les plus significatives pour l’étude de cette voie. C’est d’autant plus vrai qu’il s’agit du seul commentaire coranique complet et aussi de l’ouvrage le plus étendue d’entre les écrits de la ṭarīqa. En langue européenne ce tafsīr n’a pas encore bénéficié d’une étude approfondie . Fruit d’une recherche de maîtrise, cet article se propose d’étudier les fondements doctrinaux du Baḥr al-madīd.

 L’intérêt de ce tafsīr ne se limite pas à son importance pour la littérature exégétique. Il représente en effet l’aboutissement doctrinal de toute une tradition spirituelle. La Shādhiliyya marocaine, dont l’histoire ne commence véritablement qu’au VIIIe/XIVe siècle avec Ibn ‘Abbād et puis au IXe/XVe siècle avec Zarrūq et al-Jazūlī, connaît une évolution qui est marquée par l’apparition de multiples branches et zâwiyas, dont les plus importantes sont sans doute au Maroc la Fāsiyya de Fès, la Wazzāniyya d’Ouezzane et la Nāṣiriyya de Tamgrout. Le XIIIe/XIXe siècle est celui des fondateurs des grandes confréries marocaines , notamment la Ṣaqalliyya, la Tijāniyya et plus tard la Kattāniyya. Cet essor confrérique témoigne de la volonté des cercles soufis de renouveler le cadre organisationnel et doctrinal de leur enseignement et de leur pratique face aux changements socioreligieux qui s’annoncent à partir du XIIe/XVIIIe siècle avec l’affaiblissement des structures politiques du monde musulman . Certains soufis du Maroc, bien que puisant dans une ancienne tradition, s’orientent vers de nouvelles méthodes et de nouveaux paradigmes , espérant apporter un souffle régénérateur à la vie spirituelle du pays. Pour eux le défi ne se pose pas en termes sociétaux ou politiques, mais il s’agit surtout de répondre à ce qui est ressenti comme l’affaiblissement des aspirations spirituelles et une décadence morale. Fès est en effet un des centres de ce mouvement de renouveau soufi .
Quant à la tradition shâdhilite de Fès , issue, à travers ‘Abd al-Raḥmān al-Majdhūb (m. 976/1569) et ensuite Abū al-Maḥāsin Yūsuf al-Fāsī (m. 1013/1605), de deux filiations, celle de Zarrūq (m. 899/1493) et celle d’al-Jazūlī (m. 869/1465), elle a participe aussi à ce mouvement de renouveau, mais en empruntant une autre démarche. Dans son cas, il ne s’agit pas d’intégrer des influences extérieures ou d’introduire de nouveaux éléments. L’évolution que l’on peut déjà observer à partir de ‘Abd al-Raḥmān « al-‘Ārif » al-Fāsī (m. 1036/1626) à travers la zâwiya des Ma‘an jusqu’au maître d’al-Darqāwī, le cheikh ‘Alī « al-Jamal » al-‘Amrānī (m. 1194/1779), se caractérise par une tendance vers ce que l’on pourrait résumer comme un « retour à l’essentiel ». En se fondant sur la simplicité originelle du modèle muḥammadien, il s’agit d’épurer la pratique soufie des pratiques « accessoires » qu’elle a accumulées avec le temps. Bien que certains des représentants de cette tradition soient versés dans les sciences islamiques , ses maîtres font généralement peu de cas de la science exotérique. Si leur enseignement s’appuie sur une doctrine métaphysique assez poussée , ils s’abstiennent des élaborations théoriques et terminologiques sophistiquées. Le contenu étant extrêmement subtil et parfois difficile, le langage et le style restent pourtant assez simples et les rares références se limitent au corpus classique du soufisme ainsi qu’aux hadiths et aux versets coraniques. Les considérations initiatiques et métaphysiques, bien que fréquentes, ne sont que rarement développées comme un corps de doctrines et sont toujours suivies d’exhortations d’ordre pratique. Au moment où les grandes confréries du Maroc tendent à conditionner le cheminement spirituel par la science et la pratique d’une quantité considérable d’exercices et de litanies quotidiennes, cette filiation shâdhilite conserve la vitalité d’une approche essentialiste mettant l’accent sur le travail initiatique et l’intériorisation du modèle prophétique, ce qui constitue peut-être une des raisons de sa diffusion considérable.


 C’est dans ce contexte que Mawlāy al-‘Arabī al-Darqāwī, héritier spirituel de cette tradition, devient le fondateur d’une nouvelle voie. Celle-ci se présente avant tout comme un renouvellement de la Shādhiliyya des origines, bien qu’elle porte visiblement la marque du milieu de Fès. Cette filiation fâsie connaît grâce au succès d’al-Darqāwi et de ses disciples une propagation considérable et sera à l’origine du renouveau de la Shādhiliyya au Maghreb et au Proche-Orient . Or, l’enseignement du maître se réfère explicitement à la discipline intérieure des premiers soufis qui est fondée avant tout sur le dépouillement (al-tajrīd) et fait l’économie de considérations théoriques et d’un corpus rituel de litanies élaborées. Al-Darqāwī se démarque ainsi des milieux soufis de son époque et surtout des autres mouvements de renouvellement.

Suite à la propagation importante de la ṭarīqa, il fallait redéfinir le rapport entre la science extérieure et la réalisation spirituelle. Peut être le cheikh est-il conscient de cela quand il demande au plus grand savant parmi ses disciples, Aḥmad Ibn ‘Ajība, de rédiger divers traités parmi lesquels le commentaire coranique que nous allons étudier dans cet article. À cet égard, le rôle d’Ibn ‘Ajība est certainement comparable au troisième successeur d’al-Shādhilī, l’Égyptien Ibn ‘Aṭā’Allāh al-Iskandarī (m. 709/1309). Les ouvrages de ce dernier fixent l’enseignement des fondateurs de la shādhiliyya pour les générations suivantes et constituent la référence doctrinale qui a permis à la ṭarīqa de se répandre dans l’élite intellectuelle du monde musulman. Comme son prédécesseur, l’auteur du Baḥr al-madīd s’engage également dans une défense du soufisme. En le comparant à Ibn ‘Abbād al-Rundī (m. 793/1390) et à Zarrūq, Kenneth Honerkamp a noté qu’Ibn ‘Ajība affirme de manière plus explicite la supériorité du magistère soufi et de ce fait, la précellence de la connaissance ésotérique (‘ilm al-bāṭin) sur toute autre forme de connaissance.

Démontrer l’orthodoxie du soufisme de manière générale et réaffirmer dans le cadre du renouveau darqāwī ses éléments essentiels, tels que l’importance du maître spirituel et une conception métaphysique du tawḥīd, sont sans doute des objectifs de son exégèse. Mais en tant que maître spirituel, Ibn ‘Ajība s’adresse avant tout aux adeptes de la voie afin d’exposer l’enseignement du maître sur la base de la Révélation coranique. C’est dans ce but qu’il met en œuvre sa vaste connaissance des sciences islamiques et c’est cela qui fait de son tafsīr l’un des ouvrages majeurs du soufisme maghrébin. Il renverse ainsi la perspective prônée par Zarrūq consistant à poser la science comme le censeur de la sainteté : La science n’est utile (nāfi‘) que lorsqu’elle répond à sa finalité spirituelle qui réside dans sa mise au service de la sainteté.

Présenter la doctrine du soufisme à partir du texte fondateur de l’islam est aussi un moyen de montrer que la pratique religieuse et le cheminement initiatique ne sont que deux aspects complémentaires de la réalisation spirituelle. La connaissance universelle et inspirée, fruit d’un parcours initiatique sous l’aile d’un maître spirituel, revient pour Ibn ‘Ajība à une intériorisation de la tradition islamique à l’étude de la quelle il consacra une grande partie de sa vie. En effet, étant défavorable à l’intellectualisme purement érudit qui caractérise certains de ses contemporains, son enseignement veut impliquer l’homme dans sa totalité. Comme le démontre son commentaire coranique, ce n’est pas le développement de la faculté réflexive qui est la condition pour le cheminement initiatique, mais l’engagement de l’être tout entier, car seule la conformité à une forme d’origine divine permet de réaliser la perfection intérieure."

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 18 - "Que celui qui désire la liberté se réjouisse de la servitude "




 
 
 
 
 
Traduit par Titus Burckhardt
 
Lettre 18
 
 

Les choses sont cachées dans leurs contraires, certainement, le gain dans la perte et le don dans le refus, l'honneur dans l'humiliation, la richesse dans l'indigence, la force dans la faiblesse, l'ampleur dans l'étroitesse, l'élévation dans l'abaissement, la vie dans la mort, la victoire dans la défaite, la puissance dans l'impuissance et ainsi 'de suite. Donc, si quelqu'un veut trouver, qu'il se contente de perdre: s'il veut le don, qu'il se contente du refus; qui désire l'honneur doit accepter l'humiliation, et qui désire la richesse, doit se satisfaire de la pauvreté; que celui qui veut être fort se contente de la faiblesse et que celui qui veut l'ampleur se résigne à l'étroitesse; qui veut être élevé doit se laisser abaisser; qui désire la vie doit accepter la mort; qui veut vaincre doit se contenter de perdre, et qui désire la puissance doit se contenter de l'impuissance.

En somme, que celui qui désire la liberté se réjouisse de la servitude, ainsi que s'en réjouissait son Prophète, ami et seigneur (que Dieu le bénisse et lui donne la paix); qu'il la choisisse comme la choisit le Prophète.., et qu'il ne soit ni orgueilleux, ni révolté contre sa condition, car le serviteur est serviteur et le Seigneur est Seigneur...

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 17 -"Par Dieu, nous n'appelons 'mon seigneur' ou 'fils de mon seigneur' que celui qui tranche nos liens."


 
 
 
 
 
Traduit par Titus Burckhardt
 
Lettre 17
 

Si tu aimes ton Seigneur, ô faqîr, quitte ton moi et ton monde et les gens, à l'exception de celui dont l'état t'élève et qui te démontre Dieu par ses paroles. Mais gare à toi, gare à toi que tu ne te laisses pas tromper par quelqu'un, car combien y a-t-il qui paraissent prêcher pour Dieu alors qu'ils ne prêchent que pour leurs désirs. Le célèbre saint Seyidî Abû-sh-Shitâ (que Dieu nous fasse bénéficier par lui) dit à ce propos: "Par Dieu, nous n'appelons 'mon seigneur' ou 'fils de mon seigneur' que celui qui tranche nos liens."

Il ne t'est pas caché, ô faqîr, que ce qui enferme l'homme dans ce monde, qui est le monde de la corruption, et l'y retient prisonnier, n'est autre que l'illusion (at-wahm); si l'homme s'en défait, il passe dans le monde de la pureté, dont il était venu; et Dieu ramène tout étranger à sa patrie.

dimanche 23 décembre 2012

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 16 - "Ne nourris pas tout ce qui naît de ton coeur"







Traduit par Titus Burckhardt

Lettre 16


Ne nourris pas tout ce qui naît de ton coeur, mais rejette-le loin de toi et ne t'occupe pas à l'élever en oubliant ton Seigneur, comme le font la plupart des gens, de sorte qu'ils divaguent et errent et se perdent dans un mirage; s'ils comprenaient, ils diraient: quelle chose étonnante que le coeur; en un instant, il enfante des fils innombrables, les uns légitimes, les autres illégitimes et encore d'autres dont on ne sait pas comment ils sont... Comment donc quelqu'un qui s'occupe de nourrir tous ces fils pourrait-il être disponible pour son Seigneur? Quelle pitié ce fils d'Adam qui efface le cosmos jusqu'à ce qu'il n'en reste plus de trace, et que le cosmos effacera à son tour jusqu'à ce qu'il n'en reste pas de trace, sauf un peu d'odeur s'évanouissant en un bref laps de temps...

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 15 -"Les gens ont des affaires, et notre affaire, c'est Dieu."









Traduit par Titus Burckhardt

Lettre 15


Il n'y a rien qui nous rende aussi vulnérable aux attaques psychiques et sataniques que les soucis pour notre subsistance. Et pourtant notre Seigneur nous a juré sur Lui-même: "Dans le ciel est votre subsistance et tout ce qui vous a été promis; par le Seigneur du ciel et de la terre, cela est vrai comme il est vrai que vous avez la parole"
(Coran, LI, 21-22). Et Il dit également: "Prescris à ton peuple la prière et insiste sur elle. Nous ne te demandons pas de prévoir à ta subsistance; c'est Nous qui te nourrirons, et l'issue appartient à la piété" (XX, 132). On trouve le même sens dans beaucoup d'autres passages coraniques ainsi qu'en de nombreuses paroles du Prophète (que Dieu le bénisse et lui donne la paix). Il y a aussi la parole du saint Abû Yazîd al-Bistâmi (que Dieu soit satisfait de lui): "C'est à moi de L'adorer, comme Il me l'a ordonné, et c'est à Lui de me nourrir comme Il me l'a promis", et ainsi de suite. Je ne mentionne tout cela que parce que je crains que tu ne tombes dans le malheur qui frappe la plupart des gens. Car je les vois occupés de multiples activités, tant religieuses que mondaines, et ne craignant rien autant que la pauvreté.

S'ils savaient ce que l'occupation avec Dieu comporte de biens, ils quitteraient leurs activités mondaines entièrement et ne s'occuperaient que de Lui, c'est-à-dire de Ses commandements. Mais dans leur ignorance ils ne cessent d'augmenter leurs activités mondaines et religieuses, tout en restant dans l'inquiétude par crainte de la pauvreté - ou par crainte des créatures, ce qui est un oubli grave et un état déplorable; et c'est bien dans cet état que se trouvent la majorité des gens ou presque tous, que Dieu nous en préserve! Sois donc sur tes gardes, mon frère, et voue-toi
entièrement à Dieu; tu verras merveille. Ne te voue pas au monde, comme le font les gens, pour que tu ne sois pas atteint par le même malheur qu'eux. Par Dieu, si nos coeurs étaient auprès de notre Seigneur, le monde ne tarderait pas à venir à nous et jusque dans nos maisons, combien plus à leurs portes; car notre Seigneur (exalté soit-Il) lui dit: ô monde, sers ceux qui Me servent, et fatigue ceux qui te servent. Par Dieu, si nous étions à notre Seigneur, le cosmos entier et tout ce qu'il contient ne tarderait pas à nous appartenir, ainsi qu'il appartint à d'autres, car Dieu en a fait notre serviteur, de même qu'Il nous a fait Ses serviteurs. Mais voici que nous avons remplacé notre Seigneur et Maître (exalté soit-Il) par ce dont nous sommes nous-mêmes les seigneurs et maîtres, et nous n'en éprouvons aucune honte; "il n'y a de force ni de puissance que par Dieu ! " (Coran,  XIX, 69). C'est aux activités religieuses qu'il faut vouer son attention en tout temps et aujourd'hui plus que jamais, car on croirait aujourd'hui qu'il n'y a jamais eu d'activité religieuse sans attaches mondaines, et pourtant elle a bien existé, même si elle n'existe plus; Dieu est garant de ce que nous disons.

Nous constatons (mais Dieu est plus savant) qu'il n'y a personne qui puisse dire à la foule des hommes pieux de ce temps: "Diminuez vos activités mondaines et augmentez vos activités religieuses; Dieu vous remplacera (dans vos affaires); comme Il l'a fait pour d'autres. Aujourd'hui, on ne t'écoutera - et Dieu le sait mieux - que si tu dis: "Cultive ( les champs ), gagne, trafique" et ainsi de suite. Mais si tu dis: "Laisse, abstiens-toi (du monde) et contente-toi", bien peu seront les gens d'élite de ce temps qui t'écouteront, et encore moins les autres. Entends ce que dit le saint Ibn al-'Abbâs al-Mursi (que Dieu soit satisfait de lui): "Les gens ont des affaires, et notre affaire à nous, c'est la foi et la crainte de Dieu; Dieu (exalté soit-il) a dit: Si les habitants des villes avaient cru et craint (Dieu), Nous leur aurions ouvert les bénédictions du ciel et de la terre (Coran, VII, 94)"; et une autre fois, il dit: "Les gens ont des affaires, et notre affaire, c'est Dieu."

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 14 - Les gourdins


 
 
 
 
 
Traduit par Titus Burckhardt
 
Lettre 14
 
 
 
Ecoute donc, ô faqir, car je vais répéter certaines de mes admonitions (mudhâkarât) pour que celui qui n'en a pas profité la première fois, en profite la seconde ou la troisième fois, et afin que le faqir en détresse y trouve, lorsqu'il regarde, ce qu'il lui faut sans l'avoir cherché.

Sachez, et Dieu ait pitié de vous, qu'il y avait dans la tribu des Benî Zarwâl - que Dieu la protège de toute erreur - un lettré de nos frères dont la parole manifestait un état d'âme si fait que les gens qui l'écoutaient parler se mettaient à rire même s'ils étaient en chagrin et peine. Lorsqu'un jour il y eut des funérailles dans sa maison et qu'elle était toute remplie de gens, ceux-ci constatèrent qu'il y avait un grand nombre de gourdins, les uns suspendus aux murs et les
autres étalés au sol. Et les gens de lui demander "Que fais-tu avec tous ces gourdins?" Il répondit: "Si jamais un voleur entre par ici, je n'aurai pas besoin de chercher longtemps pour trouver une arme mais je n'aurai qu'à saisir un de ces gourdins que j'ai mis partout à portée de main.

C'est là une idée excellente, me semble-t'il, et c'est en ce sens que je répéterai certaines de mes exhortations.

samedi 22 décembre 2012

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 13 - " j'ai vu les grâces dont Dieu comble quiconque tue son âme et vivifie son coeur "








 
Traduit par Titus Burckhardt
 
Lettre 13
 
 
Les foqara (pluriel de faqir) des premiers temps ne recherchaient que ce qui pouvait tuer leurs âmes (nufus, pluriel de nafs) et vivifier leurs coeurs, tandis que nous autres faisons le contraire: nous recherchons ce qui tue nos coeurs et  vivifie nos âmes. Eux, ils ne s'efforçaient qu'à se défaire de leurs passions et à détrôner leur ego; quant à nous, c'est à la satisfaction de nos désirs sensuels et à l'exaltation de notre égo que nous aspirons. Aussi avons-nous tourné le dos à la porte et la face au mur. Je ne vous dis cela que parce que j'ai vu les grâces dont Dieu comble quiconque tue son âme et vivifie son coeur.

Certes, nous-mêmes nous sommes heureux avec moins que cela; mais seul l'ignorant se contente de ne pas arriver au but de son chemin. Je me suis demandé s'il y avait, en dehors de nos passions et de notre égoïsme, autre chose qui nous retranche des dons divins, et j'ai trouvé, comme troisième empêchement, l'absence de nostalgie spirituelle; car les intuitions ne sont généralement données qu'à celui dont le coeur est percé d'une intense nostalgie et d'un grand désir de contempler l'Essence de son Seigneur; c'est à lui qu'affluent les intuitions de l'Essence divine jusqu'à ce qu' il s'éteigne en Elle, en s'affranchissant de l'illusion d'une réalité autre qu'Elle, car c'est vers cela qu'Elle conduit tous ceux qui sont continuellement fixés sur Elle. Par contre, celui qui n' aspire qu'à la science ou à l'action exclusivement, ne reçoit pas intuition sur intuition; il ne s'en réjouirait d'ailleurs pas, puisque son aspiration vise autre chose que
l'Essence divine, et que Dieu (exalté soit-Il) comble son serviteur selon la mesure de son aspiration. Certes, chaque homme participe de l'Esprit, de même que l'océan a des vagues, mais l'expérience sensuelle accapare la plupart des hommes: elle a saisi leurs coeurs et leurs membres et ne les laisse pas s'ouvrir à l'Esprit, puisque la sensualité est à l'opposé de la spiritualité et que les opposés ne se rejoignent pas.

Nous voyons d'ailleurs que le but spirituel n'est pas atteint par beaucoup d'oeuvres ni par peu, mais par la seule grâce, ainsi que le dit le saint Ibn 'Atâ-Llâli (que Dieu soit satisfait de lui) dans ses Hikam: "Si tu ne devais parvenir à Lui qu'après l'extinction de tes défauts et l'effacement de tes prétentions, tu ne parviendrais jamais à Lui. Mais lorsqu'Il veut te ramener vers Lui, Il recouvre ta qualité par la Sienne et tes attributs par les Siens et te ramène ainsi vers Lui
par ce qui te revient de Sa part, non pas par ce qui Lui revient de ta part.

Un des effets de la bonté, grâce et générosité divines, c'est qu'on trouve le maître qui éduque spirituellement, car sans grâce divine personne ne le trouverait ni ne le reconnaîtrait, puisqu'il est plus difficile de connaître un saint que de connaître Dieu, comme le dit le saint Abul-'Abbâs al-Mursi (que Dieu soit satisfait de lui). De même, dans les Hikam de Ibn 'Atâï-Llâh, il est dit: "Exalté soit Celui qui ne manifeste Ses saints que pour Se manifester Lui-même, et qui ne conduit vers eux que ceux qu 'Il veut conduire vers Lui."

Il n'y a pas de doute que le chef des habitants du Ciel et de la Terre, notre maître, l'Envoyé de Dieu (que Dieu le bénisse et lui donne la paix) était manifeste ouvertement, comme un soleil sur un étendard, et malgré cela, chacun ne l'a pas vu, mais seulement quelques-uns. A d'autres, Dieu le voilà, de même qu'il voile les saints aux gens de leur temps, à tel point qu'ils les calomnient et ne leur croient pas. Témoin en est le livre de Dieu:

"Tu les verras regarder vers toi, et ils ne voient pas (Coran, VII, 197) et: "Ils dirent: qu'est-ce que cet envoyé, qui mange de la nourriture et va sur les marchés..." (Coran, XXV, 7), et ainsi de suite, selon tous les autres passages analogues; et il y a presque deux tiers sinon davantage du Livre divin qui parlent des Prophètes (sur eux la paix)
calomniés par les gens de leur temps. Parmi ceux qui ne virent pas l'Envoyé de Dieu (que Dieu le bénisse et lui donne la paix), il y avait Abû Jahl (que Dieu le maudisse); il ne vit en lui que l'orphelin adopté par Abû Talib. Il en est de même du maître spirituel qui est à la fois ravi (majdhûb) et méthodique (salik) et qui est toujours et en même temps ivre et sobre: quelques-uns seulement le trouvent.

Or, si on le trouve, ce maître voit parfois que l'esprit du disciple sera libéré par le jeûne, et le fait donc jeûner; d'autre fois, par contre, il le fera manger à satiété dans le même but; tantôt il voit son avantage spirituel dans un accroissement de son activité extérieure, tantôt dans sa diminution; tantôt dans le sommeil et tantôt dans la veille;
parfois il veut qu'il fuie les gens, parfois par contre il lui conseille de les fréquenter, car il se peut que la lumière intérieure du disciple soit soudainement devenue trop forte pour lui, de sorte que le maître craint pour lui qu'il ne perde la raison, comme beaucoup de disciples des temps passés et de nos jours, qui sont devenus fous; c'est pourquoi le maître peut sortir le disciple de sa retraite et le faire fréquenter les gens, pour que sa tension spirituelle diminue et qu'il soit préservé de la folie; de même que, si la lumière intérieure devient trop faible, le maître le renvoie dans la solitude pour qu'elle acquière de la force, et ainsi de suite; et à Dieu est l'issue.

Peu s'en fallait que la maîtrise spirituelle eût cessé de se manifester par manque de ceux dont le coeur est animé par un désir ardent de la suivre; mais la Sagesse divine ne tarit jamais.

Nous voyons que la voie spirituelle (tarîqat : voie, méthode ; le même mot désigne également une confrérie soufique) est nécessairement maintenue par la puissance et la force divines, puisqu'elle descend par nos maîtres de l'Envoyé de Dieu (que Dieu le bénisse et lui donne la paix). et des maîtres précédents; comme le disait le saint AI-Mursi (que Dieu soit satisfait de lui): "Aucun maître ne se manifeste aux disciples s'il n'a pas été déterminé par des inspirations (warîdât) et s'il n'a pas reçu une autorisation de Dieu et de Son Envoyé." C'est par la bénédiction (barakah) de cette autorisation et le secret qu'elle implique, que notre cause est soutenue et que l'état de ses adhérents est sauvegardé; mais Dieu est plus savant.

Pour ce que nous disions de l'attachement du coeur à la vision de l'Essence de notre Seigneur, aucun de nous ne le possède tant que notre ego (nafs) n'est pas éteint, effacé, disparu, parti et annihilé, comme le dit le saint Abul-Mawâhib at-Tûnsi (que Dieu soit satisfait de lui): "L'extinction est effacement, disparition, départ de toi-même et cessation"; et comme le dît le saint Abû Madyan (que Dieu soit satisfait de lui): "Qui ne meurt pas ne voit pas Dieu"; et comme l'ont confirmé tous les maîtres de la Voie.

Et gare à vous, gare a vous si vous croyez que ce sont les choses solides ou subtiles qui nous voilent notre Seigneur; par Dieu non, ce n'est que l'illusion (wahm) 1 qui nous Le voile, et l'illusion est vaine, comme le dit le saint Ibn 'Atâi- Llâh (que Dieu soit satisfait de lui) dans ses Hikam: « Dieu ne t'est pas voilé par quelque réalité qui coexisterait avec Lui, puisqu'il n'y a pas de réalité sauf Lui; ce qui te Le voile n'est que l'illusion qu'il y ait une réalité autre que Lui. »

Nous constatons - mais Dieu est plus savant - que l'extinction (al-fanâ) se produit, si Dieu le veut, dans le plus bref délai par une certaine méthode d'invoquer le Nom de la Majesté: Allâh. Je l'ai retrouvé, cette méthode, chez le maître vénérable, le saint Abul-Hassan ash-Shâdhilî (que Dieu soit satisfait de lui), mentionnée dans certains livres que possède un érudit d'entre nos frères des Benî Zarwâl, et je l'ai également reçue de mon noble maître spirituel Abul-Hassan 'Ali (que Dieu soit satisfait de lui), sous un aspect quelque peu différent, plus simple et plus direct. Elle consiste à visualiser les cinq lettres du Nom en disant Allâh, Allâh, Allâh. Chaque fois que les lettres se dissolvaient dans l'imagination, je les reconstituais, et si elles se dissolvaient mille fois le jour et mille fois la nuit, je les
reconstituais mille fois le jour et mille fois la nuit. Cette méthode me procura des aperçus immenses, lorsque je la pratiquais au commencement de mon chemin spirituel pendant un peu plus d'un mois. Elle m'apporta de grandes connaissances avec une crainte révérentielle (heybah) (Al-heybah est l'état que l'âme éprouve en face de la Majesté terrifiante de Dieu, ce que l'expression de "crainte révérentielle" ne rend que faiblement.) intense, mais je n'y pris pas
garde, occupé que j'étais avec l'invocation du Nom et la visualisation de ses lettres, jusqu'à ce que le mois s'écoula; alors une pensée s'imposa: "Dieu (exalté soit-Il) dit qu'Il est le Premier et le Dernier, l'Extérieur et l'Intérieur" (Coran LVII, 2). D'abord, je me détournai de cette insinuation, avec la résolution de ne pas l'écouter, et je continuais à m'occuper de mon exercice; mais cette voix ne me quitta pas; elle insista et n'accepta point mon refus de l'écouter, de
même que je n'acceptai pas sa manière d'agir, et je ne l'écoutai pas; mais enfin, comme elle ne me laissait guère en paix, je lui répondis: "Quant à Ses paroles qu'Il est le Premier et le Dernier, et qu'Il est l'Intérieur, je les ai bien comprises; mais je ne comprends pas Son affirmation qu'Il est l'Extérieur, car je ne vois à l'extérieur que les choses créées." A cela la voix répondit: "Si par Son expression l'Extérieur Il entendait autre chose que l'extérieur que nous voyons, ce ne serait pas à l'extérieur mais à l'intérieur (qu'il faudrait le chercher); mais moi je te dis: Il est l'Extérieur." Alors je réalisai qu'il n'y a pas de réalité sauf Dieu, et qu'il n'y a dans le cosmos que Lui, louange et grâce à Dieu.

L'extinction dans l'essence de notre Seigneur se produit, si Dieu le veut, par la méthode que nous venons de décrire, en peu de temps, car par cette méthode, la méditation porte des fruits du matin au soir, si la suspension de la pensée a été pratiquée assez longtemps; pour moi, elle a porté ses fruits après un mois et quelques jours, mais Dieu est plus savant. Il est certain que si quelqu'un pratiquait cette suspension de la pensée pendant une année ou deux ou même trois, la pensée qui se produirait par la suite atteindrait un grand bien et un secret éclatant 2.

De là je compris la parole prophétique: "Une heure de méditation est meilleure que soixante-dix ans de pratique religieuse", étant donné que par une telle méditation, l'homme est transporté du monde créé au monde de la pureté, et l'on peut également dire: de la présence du créé à la présence du créateur, et Dieu est garant de ce que nous disons.

Nous recommandons à chacun de ceux qui reviennent de l'état de l'oubli (gaflat) 3 vers l'état du souvenir (dhikr) qu'il fixe son coeur sur la vision de l'Essence de son Seigneur continuellement, afin qu'Elle lui dispense Ses vérités, ainsi qu'Elle le fait avec celui dont le coeur s'attache à Elle; et qu'il ne se laisse pas retenir par les "phénomènes intuitifs" (wâridât) au détriment des "récitations prescrites" (awrâd) de peur que cela ne l'empêche d'atteindre le but (almurâd).

1Al-wahm signifie à la fois illusion et imagination; c'est l'imagination arbitraire, qui obnubile et égare, tandis que atkhayal désigne souvent l'imagination en tant que faculté normale de l'âme, réceptive à l'égard des formes archétypiques ; transposés en conceptions védantines, ce sont les deux aspects négatif et positif de maya, qui voile et révèle en même temps.
2 Il n'est peut-être pas inutile de rappeler ici qu'il ne saurait être question de pratiquer des exercices spirituels en dehors de la forme traditionnelle à laquelle ils appartiennent et en dehors des conditions posées par elle ; agir autrement serait s'exposer à de graves dangers. - Si l'auteur de ces lettres parle d'une réalisation qui se produit "en peu de temps", - Shankara s'exprime d'une façon analogue, - c'est qu'il a en vue des aptitudes spirituelles dont on
chercherait sans doute vainement l'équivalent aujourd'hui.
3Al-ghaflah est la négligence, l'inconscience ou l'oubli, qui s'opposent au réveil spirituel et au souvenir (dhikr) actuel de Dieu.

vendredi 21 décembre 2012

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 12 - "Puisque tu sais que le diable ne t'oubliera jamais, à toi de ne pas oublier Celui qui tient la mèche de ton front"


 
 
 
 
 
 
 
Traduit par Titus Burckhardt
 
 
Lettre 12

La maladie qui afflige ton coeur, ô faqir, vient des passions qui le traversent; si tu les quittais et t'occupais de ce que Dieu t'ordonne, ton coeur ne souffrirait pas de ce dont il souffre. Entends donc ce que je te dis, et que Dieu te prenne par la main: Si chaque fois que ton âme (nafs) t'attaque, tu te dépêchais à faire ce que Dieu t'ordonne et que tu Lui remettais entièrement ta volonté, les suggestions psychiques et sataniques et toutes épreuves t'épargneraient sans aucun doute. Par contre, si dans les moments où ton âme t'attaque, tu te mets à réfléchir là-dessus, à peser le pour et le contre et à te noyer dans le bavardage (intérieur), les suggestions psychiques et sataniques reflueront vers toi en légions jusqu'à te subjuguer et te submerger, et il ne te restera plus aucun bien mais rien que du mal; que Dieu nous guide, nous et toi, sur le sentier de Ses saints, Amen.

Le vénérable maître, le saint Ibn Atâï-Llâh dit dans ses Hikam: "Puisque tu sais que le diable ne t'oubliera jamais, à toi de ne pas oublier Celui qui tient la mèche de ton front" (Coran, XI, 59)! Et notre maître disait:

"La vraie manière de faire du tort à l'ennemi, c'est de s'occuper de l'amour de l'Ami; par contre, si tu t'occupes à faire la guerre à l'ennemi, il aura obtenu ce qu'il a voulu de toi, et tu auras perdu en même temps l'occasion d'aimer l'Ami."

Et nous disons: tout bien est dans le souvenir (dhikr) de Dieu, et la voie qui mène vers Lui ne passe pas ailleurs que par la résignation à l'égard du monde, l'isolement à l'égard des gens et la discipline extérieure et intérieure. "Rien n'est plus utile au coeur que la solitude, car par elle il entre dans l'arène de la méditation", comme l'a dit le vénérable maître, le saint Ibn 'Atâi-Llâh (que Dieu soit satisfait de lui) dans ses Hikam. Et nous disons: rien n'est plus utile au coeur que l'abnégation à l'égard du monde et le fait d'être assis devant les saints de Dieu.

La détrônisation de l'ego est pour nous et pour tous les maîtres de la Voie une condition nécessaire; et en ce sens l'un d'eux a dit: "Cela même que vous craignez de moi, mon coeur le désire". Mais il ne faut pas, ô faqir, que tu en dises autant, avant de l'avoir dit à ta propre âme obligée à marcher sur ce chemin, et non par ailleurs.

'Tenir la mèche de son front" est une expression arabe et se réfère au fait qu'un cheval peut être dominé en le saisissant par la mèche de son front.