Traduit par Titus Burckhardt
Lettre 53
J'étais
dans un état qui unissait, avec une très grande intensité, l'ivresse et la
sobriété spirituelles, lorsque j'entrai un soir
dans la mosquée funéraire du sherif hussaini Ahmed aç-Çaqallî 2 à
Fès. C'était juste l'heure du coucher du soleil, et
le muezzin appelait à la prière depuis le toit du sanctuaire. Je portais une
vieille muraqqa'ah (froc fait de morceaux rapiécés)
et sur la tête trois calottes tout aussi vieilles, l'une sur l'autre, car telle
était alors ma disposition 3.
Or, il se présenta
en ma conscience intime l'idée qu'il me fallait une quatrième calotte, et
aussitôt le muezzin descendit avec elle
du toit, en courant et riant: une cigogne, qui la portait vers son nid, l'avait
laissé tomber sur lui.
Comme il l'apportait et riait, je lui dis: "Donne-la moi, par Dieu, elle m'est destinée!" Et voyant que je portais déjà trois calottes toutes pareilles (à celle qu'il venait de recevoir), il me la remit. Ainsi est toujours l'état des hommes de sincérité cidq) spirituelle: tout ce qui se manifeste dans leurs coeurs, apparaît aussitôt dans le monde sensible. Que la malédiction de Dieu soit sur ceux qui mentent!
1
C'est-à-dire, du descendant du Prophète par son petit fils Hussain.
2
Aç-Çaqalli
signifie "le Sicilien", la famille étant immigrée de Sîcile. Ahrned
aç-Çaqalli, qui vécut au 18e siècle, est le
fondateur d'une branche de l'ordre shâdhillte qui s'assimila certaines méthodes
provenant des Naqshabendis. Sa mosquée
funéraire, qui sert de lieu de réunion aux membres de l'ordre, existe toujours.3 Analogue à celle des malâmatiyah, qui s'attirent volontairement le blâme des exotéristes.
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