dimanche 10 juillet 2011

Bâyazid al-Bistâmî

                                                Mausolée de Bistâmi dans le Khorasan iranien.

 par le Prof. Dr Hasan Kamil Yılmaz



De physionomie, Bâyazid al-Bistâmî ressemblait à Abû Bakr (qu’Allah soit satisfait de lui). Il était plutôt maigre et avait le teint clair. Il avait la barbe clairsemée et blanche ; et les yeux affaissés. Il est aussi surnommé « le Sultan des Sages ». Né en Iran, dans la même terre que Salmân al-Farisi, il y vécut et acquit sa réputation de Héros de l’Esprit





Après avoir uni l’origine et le tempérament de Hadrat Ali à la voie et au lignage d’Abû Bakr par Ja’far as-Sâdiq, la « Chaîne d’or » accueille Bâyazid al-Bistâmî, qui occupe le maillon suivant. Il naquit dans la ville de Bistam, en Iran, patrie de Salmân al-Farisi (qu’Allah soit satisfait de lui), qui vécut avant lui. Son nom était Tayfur ibn Issa ; son patronyme : Abû Yazid ; son surnom : al-Bistâmî. Il est connu, en effet, sous le nom de Bâyazid al-Bistâmî. On raconte que son grand-père, qui s’appelait Sharushan, était un adorateur du feu. Son père, originaire du village de Bistam dans la province de Nishapur, était un bon musulman et un homme religieux, selon les sources qui nous sont parvenues, et sa mère était également une personne très pieuse. Tayfur avait deux frères : Adam et Ali. Tous les trois étaient dévots et s’adonnaient à l’ascétisme ; mais Tayfur était sans aucun doute le plus distingué d’entre eux.



Bâyazid al-Bistâmî fut le contemporain d’Abû Hafs Haddâd, d’Ahmed Hadrawayah et de Yahya ibn Muaz ; il était, en outre, l’ami intime de Shaqiq Belhi et de Dhul-Nun Misrî. Il appartenait à l’école Hanafite et à la tarîqa Siddiqiyya. Après avoir quitté Bistam, son village natal, il voyagea durant trente années, visitant la Syrie et, particulièrement, les alentours de Damas. Il s’occupa de science et de combattre son propre nafs. Il mourut en 324/848 ou en 352/875 selon d’autres sources ; il fut enterré à Bistam.

Bâyazid reçut l’initiation et son instruction de l’influence spirituelle de Ja’far as-Sâdiq, selon les modalités uwaysi.


Unicité divine (Tawhîd) et « attraction divine » (jadhba)

Bâyazid fut l’un de ces Soufis totalement immergés dans la béatitude de l’attraction divine, qui parlent de Tawhîd et qui ont atteint le degré du véritable et ardent amour pour Allah.

Selon les renseignements fournis par Munâwî, auteur de l’ouvrage « Qawâqib », (les étoiles), ses contemporains lui portèrent des accusations parce qu’ils ne comprenaient pas ses affirmations relatives à la science de l’Unicité et de la Connaissance d’Allah ; par conséquent, ils le forcèrent à s’exiler pas moins de sept fois. Chaque fois, cependant, leurs intrigues furent défaites, et furent cause de tribulations pour ses mêmes auteurs. Voyant cela, ils comprirent sa grandeur et commencèrent à le respecter.
Une fois, ils lui demandèrent :
« Qu’est-ce que le Tawhîd ? »
Et il donna cette réponse :« Le Tawhîd signifie foi inébranlable. Pour celui qui a une connaissance d’Allah sûre et certaine, le Tawhîd, c’est de savoir comment chaque créature se comporte ; en réalité, c’est un acte d’Allah : ne rien Lui associer ni personne dans sa propre conduite. L’homme qui connait Allah, s’il arrive à affermir cette connaissance dans son entendement, parviendra au Tawhîd.
La signification de tout ceci est qu’Allah n’a pas d’associés dans les faits.
A cause de son discernement, il avait coutume de faire cette fervente supplique : « Ô Seigneur ! Enlève la moitié de moi-même parce que, quand je suis avec Toi, rien n’est plus grand que moi. Mais si je reste avec mon nafs, alors rien n’est plus insignifiant que moi. »

Les qualités du Maître

Voici le critère de Bâyazid pour reconnaitre le véritable Maître : « Pour l’amour d’Allah, ne vous laissez pas abusés trop aisément par le premier venu qui s’assied les jambes croisées en affirmant faire des miracles, comme voler dans les airs. Au lieu de suivre les ordres et les encoches de son ney (1), observez plutôt son degré d’obéissance aux préceptes de la loi religieuse. »
Il évitait d’accomplir des miracles, par peur que cela lui cause une baisse de son niveau spirituel. Voilà, en effet, son récit :« Un jour, je demeurais au bord du fleuve Tigre, quand les deux berges opposées se joignirent pour me permettre de passer. Alors, je dis en jurant : ‘Je ne me laisserai pas tromper par ceci’ ; parce que je n’aurais jamais accepté de perdre le fruit d’un travail accumulé sur trente années de ma vie juste pour un morceau de chemin qui sert de passage (2), pour que cela coûte deux sous aux gens du commun. J’ai besoin de la générosité d’Allah, pas de miracles (3) ».
La différence qu’il y a entre la condition des gens du commun et les Rapprochés d’Allah est présentée en ces termes :« Pour les gens du commun, il y a une variété de situations ; mais qui possède la vraie connaissance d’Allah ne dispose même pas d’un état (hal). Depuis qu’ils sont allés au-delà des formes, ils ont donné une orientation à leur conduite et ont constaté la disparition de leur individualité dans l’Être Divin. Parmi les hommes, les plus proches d’Allah sont ceux qui ont le plus de compassion pour les hommes. »
Il avait le pouvoir de faire des miracles, ce qui est le rêve mondain des ascètes, et aspira aux stations spirituelles (maqamat) dans l’au-delà. Il vécut avec foi les désirs des Amis intimes d’Allah relatifs à ce monde, et reçut par la Miséricorde divine les exaucements relatifs à l’au-delà.
Un jour, on lui demanda :« De quelle manière accomplis-tu la salat ? »
Il répondit :« Je commence en disant : « C’est moi, ô Seigneur, dispose de moi ! », avant de prononcer les paroles d’ouverture du rite (4). Je récite avec attention le Coran : la sourate ‘al-Fatiha’ et une autre de mon choix. Puis je m’incline en rukû, rempli de respect et de révérence, pour L’honorer. Je me prosterne sur le sol avec humilité, dans la position dite sajda. A la fin, je conclus la salat avec le salut final, comme si ce fût le salut de l’adieu avec le cœur rempli d’amour et de crainte d’Allah. »
Un jour, Bâyazid al-Bistâmî alla écouter un savant qui donnait des cours de jurisprudence islamique dans une mosquée ; ces cours étaient ouverts au peuple. Une personne présente dans le public posa une question au spécialiste à propos des parts légitimes de l’héritage :
« Supposons que quelqu’un meure en laissant un patrimoine. Cet homme avait des parents. Comment l’héritage doit être reparti entre eux ? »
Pendant que le juriste tâchait de donner une réponse à cette question, Bâyazid s’exclama à voix haute :
« Hé, maître ! Ne peux-tu pas nous dire que sa mort ne laisse rien d’autre qu’Allah ? »
Puis, tandis que les gens présents s’échangeaient des regards pleins de surprise et de confusion, il continua ainsi :« En réalité, l’homme n’est maître de rien. A sa mort ; il reste seul Allah. Comme à son origine, il était seul aussi avant de venir au monde ; et dans ce monde aussi il est seul ; mais, la plupart du temps, l’homme ne se rend pas compte de sa solitude. Il ne s’en aperçoit qu’au moment où il est déposé dans la tombe. »
A l’écoute de ces paroles subtiles, pleines de bon sens, le juriste lui demanda :
« Comment as-tu obtenu ces connaissances ? Où ? Et de qui ? »
Et Bâyazid lui répondit :« Cette science est un cadeau d’Allah. En effet, Son Envoyé (qu’Allah le bénisse et lui accorde la paix) a dit : ‘Si une personne agit en conformité avec ses connaissances, c’est Allah même qui prendra soin de les lui enseigner’. »
On lui demanda une fois :« A quel moment l’homme a-t-il atteint le degré de la Vérité Divine ? »
Il répondit :« Quand il commence à corriger les fautes de son nafs dont il s’est rendu compte. »
Bâyazid était un ascète. Son ascétisme prévoyait trois degrés. Comme lui-même l’expliquait, le premier consistait à renoncer à ce monde et à ce qu’il contient ; le second, à se détacher de l’amour de l’au-delà et de tout ce qui le concerne ; le troisième, à couper chaque lien du cœur attaché à autre qu’Allah.

Au fondement des actes rituels d’adoration, il apposait une foi sincère (ihlas). Il rappelait l’attention sur le fait que même celui qui a l’habitude de mener une vie pieuse et religieuse peut commettre des actes de rébellion, ce qui est sûrement une vraie catastrophe pour l’homme. Il avait coutume de dire que s’il y avait un musulman qui pensait qu’il peut exister quelqu’un de pire que lui, on le considèrerait comme superbe, et son humilité sera alors privée de la bénédiction divine. La véritable humilité consiste, en effet, à ne pas attribuer à son propre nafs un état ou un rang particulier, et ignorer s’il existe vraiment pire que nous. Il appelait bienheureux celui qui était apte à réduire ses propres intérêts et ses préoccupations en un seul point, indiquant par là combien de leur multitude et de leur dispersion tiennent engagés l’esprit et le cœur de l’homme. Si, en effet, il se presse vers une seule chose, ses yeux ne voient pas et ses oreilles n’entendent pas et il ne s’occupe de rien d’autre.

Il mettait en relation la faim avec la Science de l’Esprit (Hikmet) et la signifiait comme l’une des sources principales du savoir procédant du monde divin. Il avait coutume de dire : « La faim est comme un nuage. Quand l’homme est affamé, son cœur est restauré par les pluies du savoir divin ».

On lui demanda une fois :« Comment as-tu fait pour obtenir la Connaissance d’Allah ? »
Il répondit :« Par l’estomac vide et le corps sans défense. »
« Pourquoi loues-tu tellement la faim ? » lui répéta-t-on.
Il répondit :« Si le Pharaon avait eu l’estomac vide, il n’aurait pas eu la prétention d’être Dieu. »
Il expliquait de la façon suivante la manière de considérer les gens :
« Quiconque regarde les gens à travers les yeux des gens finira par les haïr. Mais quiconque les observe avec le regard d’Allah, recherchant les créatures à cause de leur Créateur, les aimera ». De façon analogue, ces paroles de Yunus Emre (5) expriment la même vérité : « Pour prononcer l’alif (6)
Nous en payâmes le prix négocié ;

Nous aimons les créatures

Parce que nous aimons leur Créateur. »

Qui regarde les gens avec les yeux des gens en remarquera les fautes et les défauts. Mais qui les regarde avec les yeux du Créateur les voit comme ils sont et ne les juge pas sur la base de leurs imperfections.

Il commenta le hadith suivant de la manière suivante : « Les paroles ‘La ilaha illallah’ sont la clé du Paradis ». la clé du Paradis a ses propres dents :

- Une langue attentive pour ne pas mentir, ni calomnier,

- Un cœur qui a horreur de l a duperie et de la trahison,

- Un estomac qui n’est pas rempli de nourriture illicite ou suspecte,

- Les actes ne sont pas le fruit des sacrifices des passions de ce monde, et ne pas dissimuler l’hypocrisie.

Amour et discipline du nafs


Il but le vin de l’amour et en fut enivré. Pour ce motif, on lui posait des questions et répondait parfois : « Je le cherche aussi depuis trente ans, mais je n’en ai pas encore trouvé la trace ». Quand ces paroles furent rapportées à Dhul-Nun al-Misrî, celui-ci s’exclama : « Frères, Bâyazid est parti en compagnie de ceux qui vont à la rencontre d’Allah. Ils ne laissent pas d’empreintes dans ce monde car ils se sont éteints en Allah.

Il appartenait aux gens de la discipline ascétique et de l’ardeur combattive pour la cause de l’islam, de l’amour pour Allah et de l’attraction de Sa part. A ce propos, il définissait ainsi le Tasawwuf :

« Le Tasawwuf, c’est fermer la porte à une vie confortable et ouvrir celle de la lutte et des tribulations ».

Bâyazid al-Bistâmî, célèbre pour son amour envers Allah et ses états d’enlèvements (mystiques) consécutifs à l’influence de l’attraction divine, attira également l’attention de Mohieddine Ibn Arabî qui le cita souvent dans ses œuvres. L’amour qu’éprouvait ibn Arabî pour Bâyazid réveilla à son tour, parmi les principaux Maîtres Naqshbandi liés à la silsila de Bâyazid, un intérêt particulier vis-à-vis d’ibn Arabî. Jusqu’à l’Imam Rabbanî, la majeure partie des Maîtres Naqshbandi écrivirent des commentaires sur les œuvres d’Ibn Arabî ; ou mieux, on peut dire que l’amour pour Ibn Arabî constituât une caractéristique de la silsila Naqshband. Après lui, à la place du « Tawhid al-wujudi » (7) se répandit la conception du « Tawhid ash-shuhudi » (8), puis l’influence d’Ibn Arabî se réduisit sensiblement.

Qu’Allah l’ait en miséricorde

Sources: Ibn Sa’d, «At-Tabaqat al-kubra», V, pag.187-194; «Hilyat al-Awliya», II, pag.183-187; «Sifat as-safwa», II, pag.88-90; «Wafât al-a’yan», IV, pag.59-60; «Al-Qawqib ad-durriyye», I, pag.151; Sharani, I, pag.20-21; «Al-Hadaiq al-Wardiyya», pag.92-97; «Jamharatu’l-Awliya», II, pag.91-92; «Ad-Durar an-Nadid», pag.20-21; «Irgam-ul-Marid», pag.36-40; «Irgam-ul-Marid Terc.», pag.49-53.



1.Ney : c’est une flûte de roseau, en usage dans quelques ordres de derviches.2.Avec un bac normal.3.Dans le texte turc, il y a un jeu d’assonances entre les mots Kerim (le Généreux, l’un des Noms d’Allah) et karamat (miracle).4.Takbir : il s’agit de la formule « Allahu akbar » : « Allah est le plus Grand », prononcée en portant les mains devant les oreilles, en signe de détachement des choses de ce monde et de consécration.5.Yunus Emre : Soufi qui a vécu au XIIIème siècle en Anatolie. Il jouit encore d’une grande popularité parmi les gens du peuple.6.L’alif est la première lettre composant le nom d’Allah en langue arabe, et le reste entièrement ici. Le sens des deux premiers vers est le suivant : pour pouvoir attester la doctrine de l’unicité, nous avons renoncé à notre moi individualiste (« le prix négocié », étant aussi la victime sacrificielle).7.Tawhid al-wujudi : Savoir qu’il n’y a rien d’autre qu’Allah. Le premier à évoquer ce terme fut Ibn Arabî.8.Tawhid ash-shuhûdi : Ne pas voir les autres, ne pas avoir de pensées excepté pour Allah. En d’autres termes, cela signifie extirper du cœur tout attachement, tout amour pour tout ce qui l’est pas Lui. (Imam Rabbanî).

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