jeudi 7 juillet 2011

Le corps du Prophète par le Dr Denis Gril


Dr Denis Gril


* Université d’Aix-Marseille I.










Résumé. La relation du corps au sacré est double : il en reçoit la marque et en reflète la présence. Le Prophète de l’islam est marqué dès sa naissance par les signes de son élection et  plus encore par les effets sensibles de la Révélation. Si dans son intimité, il doit rester voilé, le  corps du Prophète, par son caractère exceptionnel, témoigne de sa mission. Doué de facultés  miraculeuses, son corps, décrit dans ses moindres détails, atteste sa perfection. Les Compagnons  l’entourent d’une vénération extrême ; l’embrasser et même en absorber les excrétions sont  gage de salut. La portée eschatologique du contact avec ce corps sacré et parfumé, explique  que, de son vivant, des parties de lui comme la sueur ou les cheveux sont conservées comme  reliques. Le statut du corps prophétique mort, mais toujours vivant, comme celui des martyrs, 
anticipe pour l’ensemble des croyants le corps transposé, illuminé dans l’au-delà. Réceptacle  de la Parole et donc de la Présence divine, le corps du Prophète est sacralisé par son union  parfaite avec l’Esprit. Parmi les hommes, les saints, héritiers en esprit des prophètes, portent dans leur corps les effets bénéfiques et lumineux de cet héritage. En islam, comme dans toute  tradition religieuse et spirituelle, l’étude des rapports entre le corps et le sacré nécessite donc  un retour au modèle du fondateur. 

La relation du corps au sacré est double : il en reçoit la marque et en reflète la présence. Si l’on définit le sacré par ce qui porte la trace du divin par opposition  au monde ordinaire ou profane, le sacré en islam prend avant tout sa source dans la Révélation, réalité transcendante descendue, selon le Coran, sur le cœur du Prophète1. Récepteur et transmetteur de la parole sacrée et sacralisante, le Prophète est donc le premier à participer à l’institution du sacré. Ce rôle des prophètes législateurs peut être illustré par l’exemple d’Abraham priant Dieu et déclarant territoire sacré (Ìaram) la cité de La Mecque et ses environs2. Le Prophète, à la suite de son ancêtre, fit de même pour Médine3. La sacralisation d’un lieu, d’une chose ou d’un être vivant les rend inviolables et marqués de certains interdits. L’opposition sacré/profane se double dans l’institution de la Loi de l’opposition interdit/licite (Ìarâm/Ìalâl) qui qualifie, avec ses catégories intermédiaires, les choses, les personnes et les actes. D’un certain point de vue, tout étant régi par la Loi divine, révélée ou cosmique, rien n’échappe à la catégo rie du sacré. Selon la Sunna, la surface de la terre, donnée comme purification et lieu de prosternation au Prophète et à sa communauté4, est tout entière sacrée, hormis certains lieux pollués par l’usage humain ou animal et interdits à la prière. De même tout homme est sacré pour son prochain, comme le Prophète le rappelle solennellement lors du pèlerinage de l’Adieu, résumant ainsi les principaux commandements de la Loi5. Tous les êtres et les choses participent donc à un degré ou à un autre du sacré et leur caractère profane n’est que l’expression d’une absence de statut sacré spécifique. En ce qui concerne les hommes, c’est leur contact plus ou moins proche avec le sacré qui confère à leur personne, et à leur corps en particulier, une sacralité plus ou moins grande. Celle-ci tient soit à leur fonction, celle de prêtre par exemple, soit à leur proximité intérieure du divin, imperceptible comme telle mais identifiable à certains signes, corporels parfois. C’est ce qu’on nomme généralement la sainteté et l’étude de ses manifestations qui ont amené les organisateurs de ce colloque à s’intéresser à la place et à la fonction du corps, aussi bien dans la littérature hagiographique que dans les pratiques liées à la spiritualité ou au “culte” des saints. 


Il y a beaucoup à dire sur l’importance du corps et sa valorisation dans la Loi sacrée en islam, aussi bien dans les rites que dans les nombreuses règles de vie édictées par elle. Son rôle dans les diverses méthodes initiatiques du soufisme n’est pas moindre, et la vénération intérieure dont sont entourés les maîtres spirituels et les saints en général concerne également leur corps. Cette question, abordée occasionnellement dans nos recherches, mériterait une étude d’ensemble. Nous avons choisi ici de montrer que la vénération du corps des saints et l’évocation de leurs qualités physiques suivent en grande partie le modèle du Prophète vénéré et décrit par ses Compagnons6. Sa proximité avec Dieu et la  descente sur lui de la Parole divine font de lui le plus sacré des hommes, et de son corps le plus sacré des corps. Son contact est entouré d’un extrême respect et même considéré comme un viatique pour l’au-delà. La reprise de ce modèle dans la littérature hagiographique ou dans les règles de convenance (âdâb) qui régissent les relations entre le maître et le disciple pourrait faire l’objet d’une autre étude. 

Le Coran ne parle pas du corps du Prophète, mais seulement de son cœur, lieu de descente de la Révélation. Il est simplement rappelé que les prophètes mangent, boivent et vont dans les marchés comme les autres hommes, pour insister sur leur humanité, à la différence des anges (Coran, XXI : 8 ; XXIII : 33 ; XXV : 20). La Sunna au contraire livre de nombreux témoignages sur l’apparence physique de MuÌammad et sur les manifestations de respect dont était entouré son corps. Ceux qui ont transmis et recueilli ces informations avaient donc conscience que la relation nécessaire entre le cœur de cet homme en contact avec le monde divin et angélique, et son corps, rendait ce dernier sacré. Le lien entre l’aspect extérieur et la forme intérieure, entre le khalq et le khulq, se présente dans la Sunna comme une évidence, qu’il s’agisse du Prophète ou de n’importe quel être humain. La tradition, reprenant la Genèse, selon laquelle Adam a été créé à l’image ou selon la forme de Dieu (Bukhârî, 2001 : isti’dhân 1, n° 6228) pose la question des rapports subtils et mystérieux entre le corps et l’âme ou l’esprit. Les philosophes grecs puis musulmans se sont longuement 7 penchés sur cette question . 

La langue arabe connaît trois termes différents pour désigner le corps, reflétant ainsi la complexité de la relation avec le corps et l’esprit. Dans le Coran, jism pl. ajsâm désigne le corps en général, l’aspect corporel de l’homme, parallèle ou opposé à sa dimension intérieure. Le prophète (Samuel) déclare aux Fils d’Israël pour justifier la royauté de Saül : « Dieu l’a élu au-dessus de vous et a accru son aptitude en science et en corps (zâda-hu bas†atan fî l-©ilm wa l-jism) » (II : 247) et Dieu dit au Prophète au sujet des Hypocrites : « Quand tu les vois, leurs corps t’impressionnent » (LXIII : 4). Jasad signifie plutôt la forme corporelle prise par un esprit pour apparaître aux hommes. Comme on l’a déjà signalé, il est dit des prophètes pour les distinguer des anges : « et nous n’avons pas fait d’eux un corps ne mangeant pas la nourriture et ils ne sont pas immortels » (XXI : 8). 


Pour éprouver Salomon et lui rappeler la totale dépendance de sa royauté, Dieu installe sur son trône un démon qui règne à sa place quarante jours, selon l’une des interprétations de ce verset : « Nous projetâmes sur son trône un corps puis il revint à résipiscence » (XXXVIII : 34). Dans un sens proche, le Veau d’or est appelé jasad , car la statue a été animée par la projection d’un peu de vase marquée durant le passage de la mer Rouge par le sabot de la jument de Gabriel et récupérée par le Sâmirî8. Quant au terme de badan, il n’est employé qu’une seule fois, à propos du corps de Pharaon rejeté par les flots, car il désigne, selon les commentateurs, “un corps sans esprit” (jasad lâ rû Ìa fî-hi)9. Un esprit peut donc descendre dans un corps, comme Gabriel lorsqu’il apparaissait sous la forme d’un homme au Prophète ou aux Compagnons, mais à l’insu de ces derniers10. On parle alors de “corporisation” des esprits (tajassud al-arwâÌ). Dans le cas de l’ange ou d’un esprit inférieur, cette forme corporelle se dissout lorsque l’esprit la quitte alors que l’homme mort laisse un corps sans vie. L’usage précis que le Coran fait de ces trois noms du corps ne correspond pas nécessairement à leur emploi assez interchangeable en arabe classique, si l’on en croit le Lisân al-‘arab11. Dans le hadith, les occurrences dejasad , beaucoup plus nombreuses que celles de jism , très peu attesté, confirment le sens de corps dans sa relation 12 avec l’esprit . 


Le corps du Sceau des prophètes, de l’Élu des élus, ne peut être qu’un corps d’exception, étant destiné à recevoir la Parole divine. Avant même sa naissance, lors de sa conception, après ou lors de sa venue au monde, un signe visible accompagne sa première manifestation terrestre. Sa mère, enceinte voit sortir d’elle une lumière qui illumine les châteaux de Syrie (Ibn Hishâm, 1955 : 158 et 165). Cette lumière, passée selon la Sîra, de son père ©Abdallâh à sa mère Amîna (Ibn Hishâm, 1955 :156-157) représente la descente dans le monde des corps de l’Esprit prophétique13. Le récit de l’enfance du Prophète insiste sur sa rapide croissance dans le campement de sa nourrice Îalîma al-Sa©diyya. C’est là que son corps est l’objet d’une opération destinée à purifier son être intérieur. Selon son frère de lait avec lequel il paît les moutons, deux hommes vêtus de blanc s’emparent de lui, lui ouvrent le cœur, en extraient un caillot de sang noir et le lavent ainsi que ses entrailles avec de la neige. Cet épisode est à rapprocher de la parole adressée à Dieu par la mère de Marie à la naissance de sa fille : « Je l’ai appelée Maryam et je la protège par Toi, ainsi que sa postérité, contre Satan le lapidé » (Coran, III : 36). Selon la tradition exégétique, seuls Marie et Jésus ont été protégés de la touche de Satan qui fait pleurer les enfants à leur naissance (™abarî, 1971, VI : 336-43). Cette protection a fait de Marie le réceptacle parfait du Verbe et de son fils son incarnation manifeste. MuÌammad qui, contrairement à Jésus, ne naît pas prophète, incarne une humanité en apparence ordinaire pour manifester à travers elle l’œuvre de Dieu, ici de purification. Il doit aussi, dans son corps et son esprit, être imité par les hommes, comme le montre la protection divine qu’il doit continuer à demander lors de la lecture du Coran14. Avant le Voyage nocturne et l’Ascension céleste, événement inversement analogue à la descente de la Parole et consacrant l’élection du Prophète, son cœur est ouvert une seconde fois, lavé et rempli de foi, pour le préparer à la vision des signes suprêmes15. Il s’agit une nouvelle fois de préparer le corps à un événement certes spirituel mais engageant la totalité de l’être. C’est en effet avec 16 son corps que Muhammad voyage de La Mecque à Jérusalem pour traverser ensuite les cieux vers son Seigneur. 

La préparation du cœur et du corps s’explique par la pureté nécessaire à la réception de la parole et à l’élévation vers Dieu, mais aussi par le caractère éprouvant de la révélation. Le récit de sa première apparition insiste sur ses effets physiques : la triple étreinte de l’ange qui étouffe presque le Prophète jusqu’à ce qu’il arrive à réciter les premiers versets du Coran, ainsi que le tremblement qui agite ensuite son corps (Bukhârî, 2001 : bad’ al-waÌy 1, n° 1-4). Ses effets se prolongent tout au long de sa mission. ©Â’isha raconte qu’elle a vu la sueur perler de son front par un jour de grand froid. Le Prophète assis, sa cuisse reposant sur celle d’un Compagnon, commence à recevoir la Révélation. Sa cuisse devient si pesante que le Compagnon a l’impression que la sienne va se briser17. De même, la chamelle montée par le Prophète ploie ses membres antérieurs quand le Coran descend sur lui (Ibn Sa‘d, s.d., I : 197). Ces précisions soulignent combien les effets du Verbe adressé au cœur se propagent dans le monde corporel, sacralisant celui qui le reçoit. Son corps porte même la marque de sa mission : entre ses omoplates se trouve “le sceau de la prophétie” (khâtam al-nubuwwa), sorte de protubérance de chair comparée à un œuf de pigeon, à une pomme ou à la trace laissée par une ventouse. Grâce à ce signe corporel, il est définitivement reconnu comme le prophète attendu par certains personnages informés de la tradition des Gens du Livre, tel le moine BaÌîrâ alors qu’il accompagne son oncle Abû ™âlib en Syrie18 ou Salmân, peu de temps après son arrivée à Médine (Ibn Hishâm, 1955, I : 220)19. 



Voile et sacralité


Parce qu’il porte dès l’enfance les signes corporels de son élection et qu’il grandit et se meut, plus que tout autre homme, sous le regard de Dieu, MuÌammad ne peut entretenir avec son propre corps la même relation qu’un homme ordinaire. L’interdit sur la nudité n’était apparemment pas de mise chez les Arabes avant l’islam20. Transportant des pierres avec d’autres enfants, le futur prophète enlève comme eux son pagne pour en protéger son épaule. Il reçoit alors une claque sans en connaître l’origine et s’entend dire de remettre son pagne. Plus tard, jeune homme, il participe à la reconstruction de la Ka‘ba. Son oncle al Abbâs lui conseille de faire comme tout le monde : de se servir de son pagne pour porter les pierres. Il finit par obtempérer mais tombe aussitôt évanoui et se revêt (Ibn Hishâm, 1955, I : 183). 

Dans sa vie conjugale, jamais il ne se montre nu ni ne porte son regard sur les parties intimes de ses épouses21, malgré la licéité de ce regard entre époux. Il s’agit non seulement de pudeur mais aussi de préserver la sacralité du corps qui ne doit ni être vu, ni voir ce qui pourrait mettre un voile entre le Prophète et la vision des choses saintes. Si la sexualité en islam est profondément empreinte de sacré, le contact sexuel éloigne au moins rituellement de la présence de Dieu et des anges. Quand le Prophète, après la première apparition de Gabriel, doute de la nature de l’être qui se présente à lui, Khadîja, son épouse lui demande de le prévenir quand il reviendra, ce qu’il fait. Selon une version, elle enlève son voile de tête, selon une autre, elle met son corps contre celui du Prophète sous sa tunique. L’ange, ne pouvant s’approcher d’un homme dans une telle relation avec sa femme, s’éloigne, et MuÌammad est ainsi rassuré et convaincu qu’il n’a pas été abusé par un démon (Ibn Hishâm, 1955, I : 239). Le corps, dont le rapport avec le sacré est ambigu, se trouve ici à la frontière de deux intimités également sacrées mais exclusives l’une de l’autre. Dans le face à face avec Dieu ou son messager, l’homme et la femme doivent rester seuls, purifiés de toute relation avec autrui, comme le montrent les interdits liés aux rites de la prière, du jeûne et du pèlerinage ou aux relations entre les sexes, pour préserver la pureté du cœur autant que les liens familiaux et sociaux. 


Un corps exceptionnel 

La relation du Prophète avec ses épouses, modèle pour les croyants et les croyantes, illustre un autre modèle de participation du corps au sacré, valorisant l’union conjugale et les soins du corps. On se contentera de citer ici le hadith : « De votre monde, m’ont été rendus aimables les parfums et les femmes, et la “fraîcheur de mon œil” m’a été donnée dans la prière »22. Dans ce domaine comme dans d’autres, le corps du Prophète apparaît comme hors du commun. 

Une tradition rapporte qu’il avait reçu la puissance sexuelle de quarante hommes (Ibn Sa©d, s.d., I : 374) et qu’il faisait le tour de ses femmes en une nuit. Une seule fois, et pour les besoins de sa mission, il manifeste une force exceptionnelle. Rencontrant à La Mecque un homme de son clan, Rukâna, réputé lutteur invincible, il lui propose d’embrasser l’islam. L’autre refuse. Le Prophète lui demande s’il est prêt à reconnaître la vérité de son message, s’il parvient à le vaincre à la lutte. Rukâna accepte. Par deux fois, le Prophète le terrasse. Il fait signe ensuite à un arbre de venir à lui puis lui ordonne de retourner à sa place. Devant cette démonstration de pouvoir, le lutteur est impressionné mais la foi ne pénètre pourtant pas son cœur. Il revient vers les siens en disant : 


« Ô Fils de ©Abd Manâf, avec votre compagnon, vous pouvez rivaliser de magie avec les habitants de la terre. Par Dieu, je n’ai jamais vu plus grand magicien ! 
Puis il les informa de ce qu’il avait vu et de ce que MuÌammad avait fait » (Ibn Hishâm, 1955, 391). 
 
Ce genre d’exploit spectaculaire mais inefficace pour appeler les hommes à Dieu est peu attesté dans la vie du Prophète. Ce sont d’autres qualités, de perception ou d’action plus subtile, que montre en général son corps miraculeux. Un jour il met ainsi en garde ses compagnons : « … Je suis votre imam ; ne me précédez pas dans l’inclinaison ni dans la prosternation et ne relevez pas la tête avant moi car je vois devant moi et derrière moi. Par celui qui tient en sa main l’âme de MuÌammad si vous voyiez ce que je vois, vous ririez peu et vous pleureriez beaucoup. Ils demandèrent : — Ô Envoyé de Dieu, qu’as-tu vu ? — Le paradis et l’enfer, répondit-il »23. 

La vue du Prophète n’est donc limitée ni par l’espace ni par la frontière qui sépare ce monde de l’autre ; son corps n’est plus l’obstacle qu’il est pour l’humanité ordinaire mais suit au contraire sa perception prophétique. MuÌammad n’aime pas seulement les parfums, son corps lui-même dégage un parfum de musc. D’après Jâbir b. ©Abdallâh, on pouvait le suivre à Médine au parfum qu’il laissait sur son passage. Toutes les excrétions de son corps exhalaient ce parfum de musc : sa salive, sa sueur et même ses excréments qui non seulement sentaient cette odeur mais étaient invisibles, selon le témoignage de 24 ©Â’isha (Bayhaqî, 1985, VI : 69-70) . 


La Sîra ou le hadîth attribuent au Prophète un certain nombre de miracles soit de guérison soit d’intervention pour résoudre une difficulté. Son corps, ses mains en particulier ou des émanations corporelles comme le souffle ou la salive, ou les deux à la fois, en sont fréquemment le vecteur. Il lui arrive souvent d’imposer les mains. Il pose la main en écartant les doigts sur la gorge de Fâ†ima qui souffre de la faim et dont le visage est d’une extrême pâleur, en invoquant Dieu. Le sang revient alors au visage de sa fille qui affirme ne plus avoir connu la faim par la suite (Bayhaqî, 1985, VI : 108)25. Il pose la main sur le bord d’un puits dont l’eau se met aussitôt à sourdre (Ibn Hishâm, 1955 : 527) et plusieurs compagnons affirment avoir vu l’eau jaillir de ses doigts (Bayhaqî, 1985, VI : 9- 10, 11, 62). Lors du creusement du Fossé, à Médine, un rocher compact résiste à la pioche des Compagnons. Le Prophète crache dans un récipient, accomplit une courte prière puis jette l’eau sur le rocher qui devient meuble et n’offre plus aucune résistance (Ibn Hishâm, 1955 : 217-218). Le Jour de Khaybar, il remet l’étendard à ©Alî dont les yeux sont pleins de chassie. Il souffle en crachant (tafala) sur les yeux malades. ©Alî, non seulement guéri, mais doué aussi ce jour-là d’une force surhumaine, arrache seul une lourde porte et permet ainsi aux musulmans de prendre la ville fortifiée (Ibn Hishâm, 1955 : 334-335)26. Le Prophète guérit une blessure incurable en léchant son petit doigt, en le posant sur la terre de Médine et en le passant sur la blessure, avec cette invocation : « Par ton Nom, ô mon Dieu, la salive de l’un de nous, avec la poussière de notre terre, guérit notre malade, avec la permission de notre Seigneur » (Bayhaqî, 1985, VI : 170). 

Il enseigne ainsi à sa communauté à découvrir son pouvoir virtuel de guérison ainsi que la vertu curative de la terre sacrée de Médine. Cette propriété thaumaturgique du corps prophétique dont beaucoup de saints héritent, va de pair avec l’espérance eschatologique qui s’attache à lui comme on va le voir. Il est normal qu’un corps traversé par le Verbe soit pénétré de son pouvoir de régénération et de guérison27. Toutefois l’attention portée d’abord par les Compagnons puis par les générations suivantes de musulmans à l’aspect physique du Prophète et à son caractère s’explique également par l’idée que chacun de ses traits peut comporter une signification, conformément aux lois de la physiognomonie28, et que l’impression d’harmonie et d’équilibre qui se dégage de sa personne reflète sa perfection tant physique que spirituelle. Son jeune serviteur, Anas b. Mâlik, donne de lui cette description : « Il avait une taille moyenne et n’était ni grand ni petit. Il avait un teint éclatant, ni trop blanc ni trop brun. Ses cheveux n’étaient ni crépus ni lisses. Il reçut la Révélation à l’âge de quarante ans et continua à la recevoir dix ans à La Mecque et dix ans à Médine. Dieu le rappela à lui, alors qu’il n’avait pas vingt cheveux blancs sur la tête et dans la barbe » (Bukhârî, 2001, manâqib, n° 3547-3548). 


Dans ce court texte, la description de l’aspect physique introduit et conclut le rappel des deux phases de la carrière prophétique, ce qui montre que pour le Compagnon qui la donne et qui a connu intimement le Prophète, les deux choses sont étroitement liées. Tous les recueils de hadith comportent un chapitre sur la description du Prophète (Òifat al-nabî). La description de son apparence corporelle a même donné lieu à une sorte de “vulgate”, le hadith de ©Alî qui le décrit très précisément : « Il n’était ni d’une grandeur excessive ni d’une petitesse ramassée mais d’une taille moyenne. Ses cheveux n’étaient ni très crépus, ni droits, mais longs et ondulés. 

Son visage n’était pas trop gros ni ses joues trop gonflées. Sa peau était blanche,teintée de rose. Ses yeux étaient très noirs et ses cils longs. Ses membres et sa carrure étaient forts. Il avait de longs poils sur la poitrine mais courts sur les mains et les pieds. Quand il marchait, il hâtait le pas, comme s’il descendait une côte. 


Quand il se retournait, c’était de tout son corps. Il portait en les épaules le sceau de la prophétie, lui qui était le Sceau des prophètes. Personne n’avait la main plus généreuse ni la poitrine plus ouverte. C’était le plus véridique des hommes, le plus fidèle à ses engagements, le plus doux de caractère et le plus bienveillant en société. 


Qui le voyait pour la première fois ressentait pour lui une crainte respectueuse ; qui le fréquentait, l’aimait. Celui qui le décrit ainsi ajoutait : je n’ai jamais vu, ni avant lui ni après, quelqu’un comme lui – que Dieu fasse descendre sur lui la grâce et la paix » (Ibn Hishâm, 1955, I : 401-402)29. 

Cette tradition est même devenue un motif calligraphique, le texte étant généralement recopié dans un cadre enluminé, appelé “parure” (Ìilya)30. Symboliquement, le corps redevient sinon parole du moins écriture, ce qui suggère que plein de la parole divine et de son sens, il devient livre, comme il est dit du Prophète qu’« il était un coran marchant sur la terre ». 

Ces descriptions ne se limitent pas au Prophète. Celui-ci, en particulier danscertaines versions de l’Ascension céleste, raconte comment il a vu certains de ses prédécesseurs : « J’ai rencontré Moïse – et il le décrivit31 : c’était un homme au corps tremblant (?) et aux cheveux droits, comme un homme de Shanû’a. J’ai rencontré Jésus – et il le décrivit : il était de taille moyenne, le teint rouge, comme s’il sortait du bain. 

Je vis Abraham et c’est moi qui lui ressemble le plus de ses descendants… »32.Dans une autre tradition, le Prophète voit en songe Jésus tourner autour de la Ka'ba. Il le décrit comme un très bel homme, le teint assez brun, les cheveux lisses lui retombant entre les épaules, des gouttes d’eau perlant sur son visage et les mains posées sur les épaules de deux hommes. Il aperçoit derrière lui un homme crépu, borgne de l’œil droit et tournant lui aussi autour de la Ka'ba, avançant les mains posées sur les épaules d’un homme (donc derrière lui). On lui apprend qu’il s’agit de l’Antéchrist (Bukhârî, 2001 : manâqib, n° 3440). 

Cette description souligne la ressemblance et la différence entre le Christ et son antithèse. Les êtres portent la marque de leur fonction et leurs corps manifestent leur réalité supérieure ou inférieure. Si le sceau de la prophétie, protubérance de chair que le Prophète porte entre les omoplates, est l’un des signes physiques qui permet à ceux qui connaissent la prédiction des Ecritures à son sujet de le reconnaître33, l’ensemble de son corps, de ses gestes tout comme le déroulement de sa mission, doivent correspondre à la science qu’ont de lui les Gens du Livre, selon le Coran34. Dans l’une des traditions rapportées par ‘Alî, celui-ci raconte qu’il prêchait au Yémen où l’avait envoyé le Prophète. Un rabbin qui se tenait là un livre à la main, l’interpelle en lui demandant de décrire Abû l-Qâsim (le Prophète). ‘Alî le décrit dans des termes semblables à la tradition citée ci-dessus et le rabbin lui demande : — et quoi encore ? Comme il répond que c’est ce qui lui vient à l’esprit, le rabbin continue la description et ‘Alî confirme. Le premier lui dit alors trouver cette description dans “le livre de mes pères” (sifr âbâ’î) ; il évoque succinctement les étapes de la mission de MuÌammad et témoigne de sa foi en lui (Ibn Sa‘d, s.d., I : 412-413). Ce n’est pas le thème bien connu de  l’annonce du Prophète par les Ecritures juives et chrétiennes qui nous importe ici, mais le fait qu’elle soit en grande partie fondée sur la description d’un corps marqué dans toute ses parties et ses gestes par l’héritage de la prophétie35. Des auteurs comme Bayhaqî (m. 458/1066, 1985, I : 194-275) et Ibn al-Jawzî (m.597/1200), reprenant l’ensemble des traditions sur la description du Prophète, énumèrent, l’une après l’autre, les moindres parties de son corps. Ce dernier auteur détaille ainsi la description : la tête, le front, les sourcils, les yeux et les cils, les joues, le nez, la bouche et les dents, l’haleine, le visage, la barbe, les cheveux, le cou, la carrure, le dos entre les omoplates, la poitrine, le ventre, le nombril, les doigts, les avant-bras, les jambes, le talon, les pieds, les articulations, son physique équilibré, la taille, la peau, la couleur, la beauté, la sueur, le sceau 36 de la prophétie. Suivent les qualités morales et spirituelles . 

Le corps des prophètes, et du Prophète en particulier, laisse donc transparaître des qualités et des vertus qui transcendent l’humanité ordinaire, tout comme leur vie s’identifie à la mission dont ils sont investis. Il arrive aussi que le corps devienne le lieu même de la théophanie. Le Coran enseigne aux croyants que si le corps reste en apparence le corps, sa réalité ultime est autre. À Îudaybiyya, le Prophète tend la main aux croyants pour qu’ils renouvellent le pacte qui les lie à lui ; à ce moment précis, sa main n’est plus la sienne mais le support de la présence divine : « Ceux qui font le pacte avec toi, ne le font qu’avec Dieu ; la main de Dieu est au-dessus de leurs mains… » (Coran, 48 :10). 


Les Compagnons et le corps du Prophète 

Le verset qui précède suffirait à faire comprendre l’étonnante vénération des Compagnons pour le Prophète et pour son corps en particulier, comme si le contact avec son être physique les mettait directement en présence d’une réalité sacro-sainte. 



Le corps vénéré

Ce sentiment est si fort chez certains compagnons qu’il entraîne une extrême pudeur, comme dans le cas bien connu de ‘Uthmân qui déclarait que sa main droite n’avait plus jamais touché son sexe depuis qu’avec elle, il avait prêté serment d’allégeance au Prophète37. Celui-ci renvoie à cette pudeur qui, toute louable qu’elle soit, le distingue d’Abû Bakr et ‘Umar dont l’intimité plus grande avec le Prophète entraîne une autre relation, plus détendue, avec son corps. 


Selon une tradition transmise par ©Â’isha, le Prophète se trouve couché dans la chambre de celle-ci, les jambes ou le bas des cuisses découvertes. Abû Bakr et ‘Umar demandent successivement la permission d’entrer et s’entretiennent avec le Prophète. Quand ©Uthmân demande à son tour à être introduit, le Prophète se rassoit, se couvre et le reçoit. Il répond à ©Â’isha qui l’interroge sur ce changement de comportement : « N’éprouverais-je pas de la pudeur devant un homme devant qui les anges en éprouvent ? ». Selon une autre version, le Prophète est simplement enveloppé dans le pagne (mir†) de sa jeune épouse. Il reçoit ainsi les deux premiers, mais se rhabille pour recevoir le troisième et explique à son épouse :
«©Uthmân est un homme pudique (Ìayiyy) ; j’ai craint qu’il n’ose, me voyant dans cet état, me parler de son affaire »38. La pudicité de ©Uthmân est telle qu’elle le place, lui, le Prophète et les anges, dans une relation au sacré qui exige un certain voile pour être maintenue. 


Le corps embrassé 

À l’inverse, la vénération du Prophète peut se manifester par une conduite d’une extrême familiarité, justifiée tant par l’intention que par les circonstances. 


Lors de la bataille de Badr, le Prophète, en alignant les rangs au moyen d’une flèche, pique assez durement le ventre d’un des AnÒær de Médine, Sawâd b. Ghâziyya qui s’exclame : « — Ô Envoyé de Dieu, tu m’as fait mal et Dieu t’a envoyé avec la vérité et la justice. Accorde-moi le talion (fa-aqid-nî) ! » Le Prophète, découvrant son ventre, lui dit : « — Prends ta vengeance ! » Sawâd prend alors le Prophète dans ses bras et lui embrasse le ventre. « — Qu’est-ce qui t’a poussé à faire cela, ô Sawâd ? » « — Ô Envoyé de Dieu, nous sommes en présence de ce que tu vois et je n’ai pas voulu te quitter sans que ma peau ne touche la tienne » 
(Sîra I 626). Dans une anecdote similaire, un autre des AnÒâr, Sawâda b. ©Amr, embrasse le corps du Prophète, en disant du talion : « J’y renonce, pour que tu intercèdes pour moi le Jour de la Résurrection »39. Le contact avec ce corps sacré, au seuil de la mort en particulier, est donc vecteur de salut dans l’au-delà. 
La parole de Dieu l’habite, le transforme, jusque dans son enveloppe la plus extérieure dont le toucher inonde le croyant de sa lumière salvatrice. Quand le Prophète, à son retour de ™â’if, rencontre ©Addâs, chrétien originaire de Ninive et esclave chez les Banû ™aqîf, et que ce dernier réalise qu’il a en face de lui un prophète, il s’empresse de lui embrasser la tête, les mains et les pieds. Il répond à son maître qui lui demande pourquoi il a agi ainsi : « Il n’y a pas sur la terre d’homme meilleur que celui-ci ; il m’a informé de ce que seul sait un prophète » (Ibn Hishâm, 1955, I : 421). La reconnaissance d’un prophète entraîne nécessairement la recherche de son intercession, immédiatement actualisée par le contact avec son corps. 



Le corps consommé


Le seul baiser, pour empressé qu’il fût, ne suffisait pas à certains. Plusieurs Compagnons s’efforçaient de recueillir tout ce qui pouvait émaner du corps du Prophète pour l’assimiler et le mêler ainsi à leur propre sang et leur propre chair. Ces pratiques qui nous étonnent et ont étonné aussi les contemporains, procèdent de la croyance en une continuité entre le corps terrestre et le corps de résurrection. Un corps pénétré de celui de l’Élu, serait-ce de certaines de ses excrétions, ne saurait être châtié ; son âme est donc sauvée. Tout se passe, dans cette représentation du corps, comme si ce dernier transformait l’âme qu’il porte en lui, tout comme les désirs sensuels peuvent causer sa perdition. À Îudaybiyya, un émissaire des Qurayshites venu en pourparlers, est frappé de voir les Compagnons se précipiter pour boire l’eau restant dans le récipient où le Prophète a fait ses ablutions40. Il ne s’agit là que de contact avec la main, mais il s’aperçoit aussi qu’ils recueillent ses crachats ou ses mouchures pour se les passer sur le visage et le corps, ainsi que ses cheveux (Ibn Hishâm, 1955, II : 314.). Dans une autre tradition, le Prophète leur demande pourquoi ils agissent ainsi. Ils lui répondent qu’ils recherchent sa baraka. Sans le leur interdire ni même le leur reprocher, le Prophète les dirige toutefois vers la pratique des vertus, en leur disant : « Celui qui veut que Dieu et son envoyé l’aiment, qu’il tienne des propos véridiques, rende le dépôt qui lui a été confié et ne cause pas de tort à son voisin » 
(Kândihlawî,1968, II : 580, d’après Bayhaqî). 

Le prophète s’étant fait faire une saignée, il charge ©Abdallâh b. al-Zubayr tout jeune d’aller verser le sang « là où personne ne te verra ». Ce dernier prend le récipient, s’éloigne et en avale le contenu. A son retour, le Prophète lui demande : « — Ô ©Abdallâh, qu’as-tu fait du sang ? — Je l’ai mis dans l’endroit le plus caché, là où personne ne peut le voir. — Peut-être l’as-tu bu ? — Oui. — Et pourquoi as-tu bu le sang ? Malheur aux hommes de ta part et malheur à toi de la part des hommes. » 

Abû ©ΔÒim, un des rapporteurs de cette tradition, ajoute : « On considérait que la force de ©Abdallâh lui venait de ce sang ». Dans une autre version, quand le prophète lui demande pourquoi il a agi ainsi, le garçon lui répond : « J’ai voulu que le sang de l’envoyé de Dieu soit dans mes viscères ». Le Prophète lui adresse la même parole, en ajoutant : « le Feu ne t’atteindra que pour autant que Dieu en a fait le serment », ce qui renvoie, selon les commentateurs, au verset : « Il n’est aucun d’entre vous qui n’y viendra » (Coran 19 : 71)41. A UÌud, le Prophète dit de Mâlik b. Sinân qui a sucé le sang de ses blessures : « Mon sang s’est mêlé au sien ; le Feu ne le touchera pas »42. Il ne dit pas autre chose de Surra, la servante abyssine de son épouse Umm Salama ; quand il apprend qu’au lieu de vider son pot de chambre, elle en a bu le contenu : « Elle s’est entourée d’un enclos contre le feu
» (Kândihlawî,1968, II : 581-2). 

Même si le cas de ©Abdallâh b. Al-Zubayr est un peu particulier, car chez lui l’absorption du sang confirme son caractère bouillant et valeureux et annonce sa destinée tragique, dans ces différents exemples, la consommation de matières normalement impures et interdites non seulement n’est pas réprouvée mais augure de la félicité posthume de ceux qui les absorbent. Conformément à l’ambivalence du terme Ìarâm, l’illicite devient sacré car transformé par la foi de ceux qui agissent avec une telle foi dans la sacralité et la réalité eschatologique du corps prophétique qu’ils franchissent les limites terrestres de la Loi et se retrouvent sous la protection de l’intercesseur par excellence. 


Le corps conservé 


L’islam ne connaît pas le culte des reliques, si on entend par là le corps mort, en tout ou en partie. Par contre le corps vivant du Prophète fait l’objet de la vénération qu’on a vue. La mère de son jeune serviteur Anas b. Mâlik, que le Prophète a visitée et chez qui il a fait la sieste, recueille durant son sommeil, dans un flacon, les gouttes de sueur qui tombent de son corps. Quand il se réveille, il lui demande ce qu’elle fait et elle lui répond : « C’est ta sueur, nous la mettons dans notre parfum car c’est le meilleur des parfums » (Muslim, 1329 H, fa∂â’il 83, VII : 81). 

De même ses cheveux sont traités comme des reliques de son vivant et après sa mort. Khâlid b. al-Walîd portait dans son bonnet des cheveux du Prophète qu’il avait recueillis alors que celui-ci se désacralisait de la ©umra. C’est à ces cheveux qu’il attribuait ses victoires (Bayhaqî, 1985, VI : 249). Umm Salama, l’épouse du Prophète, conservait des cheveux dans une sorte de cloche (juljul) d’argent. 

Quand quelqu’un était atteint de fièvre ou de mauvais œil, on sortait les cheveux et on les trempait dans de l’eau dont on aspergeait le visage du patient (Bukhârî, 2001, libâs 66, VII : 374-375 ; Bayhaqî,1985, I : 236). Par l’intermédiaire de ses cheveux, on a donc continué à vénérer le corps du Prophète après sa mort. Cette partie de son corps, ainsi que certains objets reliques (mukhallafât al-rasûl, âthâr al-nabî) conservés par les dynasties régnantes, ont perpétué sa présence sur la terre. Le Prophète mort, il n’était plus question de toucher à quoi que ce soit de son corps. Cependant la terre de Médine, déjà sacralisée de son vivant et support de guérison43, devenue le réceptacle du corps sacré, fait l’objet d’une vénération exprimée par de nombreux poètes, comme l’auteur de la Burda : « Aucun parfum n’est comparable à une terre qui contient ses ossements. 

Bienheureux celui qui en respire la senteur et y pose ses lèvres. »(BûÒîrî, 1973 : 242, al-Burda, vers n° 58) 

Le Prophète est mort et enterré, et la présence de son corps fait de la terre (turba) de sa tombe, de ses alentours et de Médine une terre-relique, comme le deviendra pour les chiites la terre de Kerbéla et, pour d’autres, celle de la tombe des saints44. Cependant la représentation du Prophète dans sa tombe n’est pas celle d’un corps mort. Sur un autre plan sans doute plus subtil que celui de la corporéité ordinaire, les prophètes sont considérés comme vivant dans leur tombe. Le Prophète raconte être passé la nuit du Voyage nocturne près de Moïse « alors qu’il était debout en prière dans sa tombe » (wa huwa qâ’im yuÒallî fî qabri-hi)45. Lorsqu’il enseigne aux Compagnons l’excellence du jour de vendredi et leur recommande de pratiquer intensément la prière ou la demande de grâce pour lui ce jour, « car, dit-il, votre prière m’est présentée » (fa-inna Òalâta-kum ma©rû∂a ©alayya), ceux-ci s’interrogent : « Comment notre prière sera-t-elle présentée, alors que tu ne seras plus qu’osse- ments en poussière (wa qad arimta) ? — Dieu, répond-il, a interdit à la terre de manger les corps des prophètes » (Ibn Îanbal, s. d., IV : 8. Wensinck, 1992, I : 347). 

De quel corps s’agit-il ? D’un corps entre celui de ce monde et de l’autre dans la vie intermédiaire du barzakh, prolongeant ici les œuvres d’adoration ? La question a préoccupé les mêmes auteurs qui s’emploient à nourrir la vénération du Prophète, en citant des anecdotes illustrant sa présence vivante et perceptible à ceux qui visitent sa tombe ou se tiennent à ses côtés46, comme Sa©îd b. al- Musayyib (m. 94/712-3) qui resta enfermé près du tombeau, lors des événements d’al-Îarra (63/683) ; pendant trois jours on ne fit pas l’appel à la prière à la mosquée du Prophète et Sa©îd n’était informé des temps des prières que par un murmure venant de la tombe (Dârimî, s.d., muqaddima 15, I : 44). 

A l’instar des martyrs, morts mais vivants, le corps des prophètes, témoins dans ce monde et dans l’autre pour les hommes, reste donc animé d’une vie, de la vie des esprits affranchis des limites de la vie corporelle ordinaire et susceptibles de se manifester d’une manière quasi-sensible aux êtres doués de sensibilité spirituelle. L’affirmation par le Prophète, d’une part que « Dieu a interdit à la terre de manger les corps des prophètes » et d’autre part qu’« Il n’est personne qui ne me salue sans que Dieu ne me rende mon esprit pour que je lui rende son salut »47, donne à penser que le corps dans la tombe reste le vecteur d’une présence et d’une influence qui explique que l’on visite et salue le Prophète comme de son vivant. Ces traditions et bien d’autres constituent le fondement de la visite des tombes (ziyârat al-qubûr). Elles posent, comme dans toutes les traditions religieuses, la question de la relation persistante entre le corps et l’âme dans la tombe. Une tradition prophétique enseigne qu’« il y a dans l’homme un os que la terre ne mange jamais et à partir duquel il sera recomposé le Jour de la Résurrection. — Lequel, demanda-t-on ? – le sacrum (©ajm ou ©ajam al- ƒanab) »48. Il est significatif que la terre en contact avec le corps défunt, la turba, ait fini par désigner l’édifice construit au-dessus de la tombe, l’équivalent de la qubba, au départ une tente, puis cette forme architecturale alliant le cube à l’hémisphère et symbolisant l’union de la terre et du ciel. 

Cette dimension eschatologique du corps est partagée par tous les êtres puisque tous sont appelés à la résurrection. Aborder la question de la terre et du corps de résurrection49, selon les données du Coran et de la Sunna, dépasse le cadre de cette étude. Rappelons simplement que la lumière primordiale du Prophète ayant pris corps lors de sa naissance terrestre, explique qu’il soit le premier à ressusciter : « Je suis le seigneur des fils d’Adam le Jour de la Résurrection, soit dit sans fierté (wa lâ fakhr) ; je suis le premier pour qui la terre se fendra le Jour de la Résurrection, soit dit sans fierté ; je serai le premier intercesseur le Jour de la Résurrection, soit dit sans fierté »50. Il ne semble pas toutefois que la Sunna comporte un enseignement spécifique sur le corps du Prophète dans l’au-delà. Le Coran parle en général de “ la constitution dernière ” (al-nash ’at al-âkhira) dans laquelle l’homme sera recréé (Coran, XXIX : 20 et LIII : 47), du rôle du corps comme témoin des actes de l’homme lors du jugement (Coran, XXIV : 24 ; XXXVI : 65 ; XLI : 20-21), du corps adamique primordial que retrouve tout homme en entrant au Paradis51. Les hommes dans l’au-delà, leurs visages en particulier, sont marqués ou privés de la lumière divine, selon leur devenir posthume. Dans l’une de ses invocations, le Prophète demande à Dieu une illumination totale, intérieure et posthume, des organes de la perception mais aussi de toutes les parties du corps, soulignant ainsi son rôle comme réceptacle ou temple de lumière se prolongeant dans l’au-delà : « … Ô mon Dieu, mets-moi une lumière dans mon cœur et une lumière dans ma tombe, une lumière devant moi et une lumière derrière moi, une lumière à ma droite et une lumière à ma gauche, une lumière au-dessus de moi et une lumière au-dessous de moi, une lumière dans mon ouïe et une lumière dans ma vue, une lumière dans mes cheveux, une lumière dans ma peau, une lumière dans ma chair, une lumière dans mon sang et une lumière dans mes os… » (Tirmidhî, s.d., IV : 235). 

Les corps de ceux qui se seront purifiés dans ce monde en porteront la trace dans l’autre. Ils auront, comme les chevaux, une étoile blanche sur le front et des balzanes sur les pieds et c’est à ce signe que le Prophète les reconnaîtra et les accueillera à son Bassin pour étancher leur soif52. Cette image de l’illumination du corps de résurrection, grâce aux rites corporels accomplis dans ce monde, concerne donc l’ensemble des croyants. Le Prophète remplit cependant ici une fonction de rassembleur, comme de passeur dans d’autres lieux eschatologiques. L’image de l’étoile et des balzanes suggère que le corps dans le voyage de ce monde à l’autre est avant tout la monture de l’âme. Les soins dont il est l’objet et les rites qu’il permet d’accomplir ne sont que l’expression visible de la purification et du cheminement intérieur de l’âme. Tout ceci est déjà accompli pour le Prophète qui revient vers les hommes pour les appeler à Dieu. Dans ce monde, son corps comptait pour les croyants à la fois comme modèle et aussi comme moyen d’intercession, car le corps est pour le Prophète comme pour le saint, un support de bénédiction et un gage d’intercession. Dans l’autre monde, les corps des hommes ne sont plus des voiles mais des révélateurs de leur condition ; pour le Prophète, seule compte sa fonction de témoin et d’intercesseur53. 


Vers une conclusion : le corps et la Révélation 


Dans le Coran et la Sunna comme dans la tradition spirituelle de l’islam, les récits eschatologiques visent à faire prendre conscience dans un premier temps du devenir et, dans un second, de l’origine de l’homme, et dans l’un et l’autre temps le corps est présent et témoin. La fin du monde dans sa double dimension micro et macrocosmique : mort de l’individu et destruction du monde, suivie des phases successives de l’au-delà n’est une fin qu’en apparence. Elle ramène en réalité l’homme vers sa création première, si souvent rappelée dans le Coran. 

Ceci est vrai aussi des cycles partiels de l’humanité, racontés dans les histoires,prophétiques. Le rappel des alliances successives avec les Fils d’Israël dans la sourate al-A©râf se termine par l’évocation d’un pacte primordial : « Et lorsque ton Seigneur prit des fils d’Adam, de leurs reins, leur postérité et leur fit rendre témoignage envers eux-mêmes : — Ne suis-je pas votre Seigneur ? Ils répondirent : — Certes, nous sommes témoin… » (Coran, VII : 172). 
Le corps est déjà présent dans cet engagement. On est frappé, en lisant le Coran, de l’importance accordée au corps de l’homme et à toutes les phases de son développement depuis l’éjection initiale de la goutte de sperme. La sourate al-Qiyâma (LXXV), “la Résurrection”, illustre de manière particulièrement dense ce retour de la fin au début qui confère au corps son rôle de réceptacle de la Révélation et le sacralise ainsi. La résurrection est rappelée tout d’abord dans ses moindres détails corporels puis par les signes cosmiques qui la précèdent, ainsi que le jugement des actes dont l’homme a déjà conscience ici-bas. Un passage semble rompre ici le rythme de la sourate, mais en constitue en réalité le centre. Il est recommandé au Prophète de ne pas remuer la langue pour hâter la venue de la Révélation car il appartient à Dieu de réunir le Coran en lui et d’en donner la première lecture. Implicitement, cette hâte du Prophète est mise en rapport, sur un autre plan, avec celle de l’homme ordinaire qui désire « celle qui se hâte », 53. On remarquera toutefois que dans une appréhension totale de la personne du Prophète la sacralité du son corps et son intercession dans ce monde et l’autre ne sont jamais séparées. C’est ce que l’on peut constater dans un ouvrage récent où l’on retrouve la plupart des traditions citées ici et d’autres : Ibn cAlawî al-Mâlikî al-Îasanî,1993. Dans cet ouvrage, l’auteur, enseignant au Ìaram de La Mecque, pour contrer une certaine tendance de l’islam moderne contemporain, produit un corpus détaillé de références attestant les modalités multiples de l’intercession prophétique, la spécificité des corps prophétiques et la vénération, encouragée par le Prophète lui-même, dont était l’objet son corps, de son vivant (voir en particulier p. 213-230). c’est-à-dire la vie immédiate au détriment de l’autre où les hommes seront distingués par leurs visages lumineux ou soucieux. De l’évocation de l’au-delà la sourate revient à celle de l’homme agonisant et à la posture de son corps alors que l’âme est emmenée vers le Seigneur. À ceux qui font fi de la Révélation et de ses commandements, il est rappelé que l’homme n’a pas été créé en vain et qu’il ressuscitera tout comme il a été créé homme ou femme, à partir d’une goutte de sperme. La structure cyclique de la sourate et l’insistance sur la composition et recomposition du corps, peuvent être mises en relation avec l’ordonnance progressive du Coran à laquelle le Prophète doit se conformer jusque dans les mouvements de son corps. Elles permettent d’entrevoir les raisons profondes de la sacralité du corps prophétique54. La Révélation apparaît dans le Coran ainsi que dans les traditions qui parlent des effets physiques de sa descente, comme le processus par lequel la Parole prend corps pour redevenir parole55. Les trois pressions extrêmes de l’Ange pour que le Prophète puisse redire la parole iqra’ peuvent être assimilées à une mort physique ou initiatique donnant accès à un autre état ou un autre degré de conscience. Les divers passages que le Coran consacre à la réception du Verbe ou de l’Esprit par Marie illustrent on ne peut plus clairement le rôle du corps dans la transmission de la Parole : 
« Et Marie qui préserva son sexe si bien que Nous y insufflâmes de Notre Esprit. 
Elle crut dans les paroles de son Seigneur et ses livres, et fut de ceux qui se consacrent à Dieu » (Coran, LXVI : 12). 

La mention du sexe célèbre l’hymen virginal du corps et de l’Esprit. 


Marie donne naissance à une incarnation du Verbe et de l’Esprit en désirant mourir, et pour cela son corps doit être conforté (Coran, XIX : 22-6). Le Prophète, lui, s’identifie à tous les modèles prophétiques qui lui sont proposés : 
du corps éprouvé de Job au corps sublimé de l’Ascension redescendu vers les hommes. Sur la terre, son corps parfumé s’unit à celui de ses épouses. Il fait du mariage sa Sunna, donc l’une des voies d’accès à Dieu, sacralisant ainsi tout ce qui relève de l’union des corps, dans les deux sens du Ìarâm. De même que les croyants et les croyantes vénèrent son corps sacré, ses épouses, témoins de son intimité, doivent à partir d’un certain moment se retirer derrière le voile de leur sacralité, en tant qu’épouses du Prophète et mères des croyants (Coran, XXXIII : 53 et 6). Le corps est un révélateur et il est des choses qu’il ne faut point révéler, d’autres que l’on peut au contraire consommer. 


Denis Gril

 
 
1. Coran, XXVI : 194 : « L’esprit fidèle l’a fait descendre sur ton cœur pour que tu sois de ceux qui avertissent ». 
2. Coran, II : 126 : « Lorsque Abraham dit : — Seigneur, fais de ce lieu une cité sûre… », et 14 : 35. 
3. Le Prophète dit, en apercevant Médine à son retour de Khaybar : « O mon Dieu, je déclare sacré (uÌarrimu) le territoire contenu entre ses deux coulées de pierres noires, comme Abraham l’a fait pour 
La Mecque », Bukhârî, 2001 :jihâd 71, n° 2889 et 74 n° 2893. Pour les autres versions, voir Wensinck, 1992, I : 452. 
4. Parmi cinq privilèges donnés au Prophète, Bukhârî, 2001, tayammum 1 n° 335. Voir les références des autres versions dans Wensinck, 1992, II : 271. 
5. Selon la version d’Ibn IsÌâq (m. 150/767) : « … Ô vous les hommes, vos vies (lit. vos sangs) et vos biens sont interdits / sacrés pour vous jusqu’à ce que vous rencontriez votre Seigneur, comme ce jour est sacré, comme ce mois est sacré… » ; Ibn Hishâm, 1955, II : 603.

6. Sur les diverses représentations de la personne du Prophète et leur développement en islam, l’ouvrage de Andrae, 1918, reste sans équivalent. Sur l’amour et la vénération du Prophète en général et dans le soufisme en particulier, voir également Schimmel, 1985. 

7. L’article Djism dans EI2 s’inspire avant tout de la tradition philosophique. 
 8. Coran, VII : 148 et XX : 88. Dans l’histoire de Salomon comme dans celle du Veau d’or, le verbe alqâ, “projeter” exprime la descente et l’introduction d’un esprit dans un corps. Ce même verbe est employé pour la projection du Verbe en Marie, de l’Esprit de la révélation sur les prophètes et du Coran sur MuÌammad, 
comme « parole lourde », ce que la Sunna exprime en des termes très physiques (respectivement, Coran, IV : 171 ; XL : LXXIII ;73 : 5). 
9. Coran, X : 92 et Qur†ubî, 1952-1967, VIII : 380. 
10. Dans le hadîth de Gabriel où celui-ci apparaît sous la forme d’un voyageur vêtu de blanc (Muslim, 1329 H, I : 28-30). Dans une autre tradition l’ange se présente au Prophète en présence de sa femme Umm Salama sous la forme d’un Compagnon, DiÌya al-Kalbî (Bukhârî, 2001 : fa∂â’il al-qur’ân 1 n° 4980). Sur d’autres traditions semblables, avec d’autres Compagnons, voir Bayhaqî, 1985, VII : 65-78. 
11. IV : 92-93 (jasad) et XIV : 365-366 (jism).
12. Wensinck, 1992, à ces deux mots. Le Prophète répond par exemple à celui qui lui demande quand la prophétie s’imposa à lui : « — Alors qu’Adam était entre l’esprit et le corps (bayna l-rûÌ wa l-jasad) », Tirmidhî, s.d., vol. 1. Ibn Îanbal, s.d., IV : 66.

13. Sur les développements de ce récit fondateur dans le chiisme, voir Amir-Moezzi,1992 : 145-154. 

14. Coran, XVI : 98 : « lorsque tu récites le Coran, demande protection à Dieu contre Satan le lapidé ». 
15. Sur l’ouverture du cœur avant le Mi râj, voir Bukhârî, 2001, manâqib al-AnÒâr 42, n° 3887. 
16. Sur cette question controversée et les différentes versions du récit, voir, entre autres, Ibn Kathîr, 1986, III : 108-117. Les cinq prières quotidiennes, résultat de l’Ascension céleste, consacrent le rôle du corps dans l’accomplissement des rites. 


13. Sur les développements de ce récit fondateur dans le chiisme, voir Amir-Moezzi,1992 : 145-154.
14. Coran, XVI : 98 : « lorsque tu récites le Coran, demande protection à Dieu contre Satan le lapidé ». 
15. Sur l’ouverture du cœur avant le Mi râj, voir Bukhârî, 2001, manâqib al-AnÒâr 42, n° 3887. 
16. Sur cette question controversée et les différentes versions du récit, voir, entre autres, Ibn Kathîr, 1986, III : 108-117. Les cinq prières quotidiennes, résultat de l’Ascension céleste, consacrent le rôle du corps dans l’accomplissement des rites. 
17. Bukhârî, 2001, “alât 12 n° 370, voir également Wensinck, 1992, V : 82.
18. Ibn Hishâm, 1955, I : 182. Il est dit du moine qu’il se mit « à regarder certaines parties de son corps (ashyâ’ min jasadi-hi), selon la description qu’il avait de lui ». 
19. Salmân raconte : « Lorsque l’Envoyé de Dieu me vit passer derrière lui, il sut que je cherchais à reconnaître quelque chose dont j’avais la description. Il fit tomber son vêtement de dessus de son dos. Je vis le sceau et le reconnus. Aussitôt je me jetai sur lui pour l’embrasser en pleurant … ». Sur ce “sceau”, voir, entre autres, les traditions réunies par Tirmidhî, 1985 : 37-44. Voir également les références sur la description du corps du Prophète, signalées infra. 
20. Certains se dépouillaient de leurs vêtements pour accomplir les circumambulations autour de la Ka‘ba,lors du pèlerinage (Ibn Hishâm, 1955, I : 202-203). 
21. Selon le témoignage de cÂ’isha : cf. cIyâ∂, s. d., I : 66. 
22. Nasâ’î,1930, VII : 61, Ibn Îanbal III, 128. Voir le commentaire de ce hadîth par Ibn Arabî,1946 : 216-226. 
23. Muslim, 1329 H, Òalât, 112, I : 320. Sur la vision par derrière comme par devant, voir également Bayhaqî, 1985, VI : 73, et sur la vision de jour comme de nuit VI : 74-75. 
 24. « Je n’ai jamais touché une soie ou un brocard plus doux que la paume du Prophète ni n’ai senti une odeur plus parfumée que celle du Prophète » dit encore cÂ’isha, d’après Bukharî, 2001, n° 3561 manâqib 
23 (Òifat al-nabî).Voir également Muslim, 1329 H, fa∂â’il : 80-85, VII : 80-82 et Ibn Îajar al-Haytamî, 
2002, VIII : 282-283. 
25. Il passe aussi la main sur le pis d’une brebis qui redonne alors du lait, ibidem : 84. 
26. Sur d’autres guérisons, en soufflant et en crachant à la fois, Bayhaqî, 1985 : VI : 173-4. 
27. Coran, XVII : 82 : « Et Nous faisons descendre du Coran ce qui contient une guérison et une misé-ricorde pour les croyants ». 

28. Sur la physiognomonie, voir T. Fahd, « firâsa », EI2, II : 937-938 et, en rapport plus étroit avec notre 
sujet : Ibn cArabî, 1919, chap. 8 sur la physiognomonie d’origine inspirée ou sapientiale. En particulier, p. 164-168, les différentes parties du corps sont mises en relation avec les caractères qu’elles révèlent. Le contenu de ce chapitre est repris dans Ibn cArabî, 1329 H, II : 235-241, chap. 148. 
29. Voir l’ensemble des traditions, rapportées pour la plupart d’après ‘Alî par Ibn Sa‘d, s.d., I : 410-25 

(ƒikr Òifat rasûl Allâh) ; Tirmidhî, 1985 : 21-35 (cette même tradition y est rapportée d’après ‘Alî par Ibrâhîm, fils de MuÌammad b. al-Îanafiyya) ; Ibn Kathîr, 1986, VI : 11-29. Voir d’autres versions chez Ibn Shabba (m. 264/877), 1410 H. : 602-616 ; Suyû†î, 1967, I : 178-190 ; Muttaqî al-Burhânpûrî, 1971, 
VII : 161-177 (d’après le Jam c c al-jawâmi de Suyû†î) et également les développements de Qas†allânî, 
1326/1907, I : 248-287 (cet auteur inclut dans l’énumération des qualités physiques un passage sur la 
pureté et l’éloquence de la langue du Prophète, en jouant sur le sens physique et linguistique). Voir aussi Andrae, 1910 : 199-212. Ces portraits du Prophète mériteraient une étude à part, tant du point de vue du lexique très particulier qui est employé que d’une
comparaison possible avec les traités de physiognomonie et les descriptions de fondateurs d’autres traditions religieuses et
spirituelles. 
30. Cette expression provient du hadîth. On la trouve notamment dans une tradition où Îasan, fils de ‘Alî, dit avoir interrogé son oncle maternel Hind Ibn Abî Hâla (un fils de Khadîja) sur l’aspect physique du prophète, car « il était connu pour décrire la “parure“ du Prophète » (kâna waÒÒâfan ‘an Ìilyat al-nabî)(Tirmidhî,1985 : 27 et Ibn Sa‘d, s.d., I : 422. 
31. Précision du transmetteur. 
 32. Bukhârî, 2001, manâqib, n° 3437. Voir également le récit du Mi  râj dans Ibn Hishâm, 1955 : 400. 
 33. Comme dans l’histoire du moine BaÌîrâ ou de Salmân al-Fârisî (Ibn Hishâm, 1955, I : 182-183 et 220) ou celle du moine Nestor, assez semblable à celle de BaÌîrâ, lorsque le Prophète retourne en Syrie à l’âge de 25 ans (Abû Nucaym al-IÒfahânî, 1320 H. : 54). 
34. Coran, VII : 157 : « Ceux qui suivent l’envoyé, le prophète illettré qu’ils trouvent décrit chez eux, dans la Torah et l’Evangile… ». 
35. Il faut évoquer aussi les traditions sur les images des prophètes et du Prophète, montrées à des Compagnons qui reconnaissent celui-ci, soit dans un monastère à BuÒrâ en Syrie du temps du Prophète, soit à Damas, durant le califat d’Abû Bakr, en présence d’Héraclius qui fait apporter un grand coffre doré 
comportant des compartiments fermés à clé. Chaque compartiment contient l’image d’un prophète sur un tissu de soie. Hishâm b. al-cAÒ qui rapporte l’entrevue, décrit le physique de chaque prophète et reconnaît l’image de Muhammad, contenue dans le dernier compartiment. Quand lui et son compagnon demandent à Héraclius d’où il tient ce coffret, ce dernier répond qu’il vient d’Adam, qu’il a été rapporté du Couchant puis confié à Daniel par Dhû l-qarnayn (Bayhaqî, 1985, I : 384-90). Cette tradition, signalée par Hamidullah, 1960, a été commentée par Vâlsan, 1962-1963. 
36. Ibn al-Jawzî, 1976, II : 39-67. Voir également Suyû†î,1967, I : 149-177 ; celui-ci part du sceau de la prophétie, mêle les caractéristiques des différentes parties du corps aux capacités physiques et intellectuelles (l’ouïe, la voix, l’intelligence, la marche, le sommeil, la puissance sexuelle, l’absence d’ombre ou de pollution nocturne) et finit par la spécificité de son urine et de ses excréments. Suivent les traditions sur son apparence physique et ses vertus (cf. supra). 
37. Cf. Ibn Mâja,1972,†ahâra, 15, hadîth n° 301. La même affirmation est attribuée à ‘Imrân b. ÎuÒayn 
(Ibn Îanbal, s.d., IV, 439). 
 38. Muslim, 1332 H, fa∂â’il al-ÒaÌâba 83, VII : 116-117; Ibn Îanbal, s.d., VI : 88, 150, 167 et ™abarî, 
1971, III : 15-7.
39. Yûsuf al-Kândihlawî, Îayât al-ÒaÌâba, II 590, d’après Abd al-Razzâq et Ba awî.
40. À la fin de la vie du Prophète, lors du pèlerinage de l’Adieu, cette pratique semble bien établie. À al-Ab†ah, au retour de Minâ, Bilâl appelle à la prière, entre dans la tente du Prophète et en ressort avec le récipient où le Prophète a fait ses ablutions et chacun se précipite pour en prendre un peu (Bukhârî, 
2001, manâqib, 23 (Òifat al-nabî), hadîth n° 3566, V : 36-37. 
41. Kândihlawî,1968, II : 581-2, d’après Bayhaqî et Abû Nu aym (Îilyat al-awliyâ’, I : 330). Voir aussi p. 583, le cas de Safîna, jeune affranchi du Prophète qui boit le sang que le Prophète lui avait envoyé jeter. 
42. Kândihlawî,1968, II : 581-2, d’après Ibn Îajar al-Haytamî, Majma al-zawâ’id, VIII : 270. 
43. Voir à ce sujet les traditions citées par Samhûdî, 1984, I : 67-69. 
44. Les voyageurs par mer partant de Tunis emportaient de la terre de la tombe de MuÌriz b. Khalaf, le saint patron de la ville. Ils en jetaient un peu dans la mer pour calmer les tempêtes. Abû Îâmid al-carnâÌî, TuÌfat al-albâb, cité par. Idris, 1959 : 328. 
45. Muslim, 1329 H, fa∂â’il 164, VII : 102. Ibn Îanbal, s. d., III :120. Une autre tradition généralise ce cas : « Les prophètes sont vivants dans leur tombeaux, en prière » (Subkî,1371 H : 179-80). 
46. Subkî, 1371 H : 179-196 (d’après Bayhaqî qui avait consacré un opuscule (juz) ’ à cette question). Fîrûzâbâdî,1966 : 127-132. Ibn Îajar al-Haytamî : 2002, 138-142. Suyû†î a consacré lui aussi un court traité à la question, à partir de celui de Bayhaqî. Il critique quelques propositions de Subkî (Suyû†î, 1352 H., II : 139-155 ; et également Suyû†î, 1967, III : 403-406). 

47. Ibn Îanbal, s. d., II : 527 et Abû Dâwûd, s. d., manâsik 96, II : 218, n° 2041. Cité, entre autres, par Ibn Qayyim al-Jawziyya,1968 : 18-19. 
 48. Ibn Îanbal, s. d., II : 315. On peut lire ajam : “noyau“ ou ajam “fondement“ (aÒl) de la queue (Lisân c al- arab, XV : 285). Il s’agit donc de la partie inférieure du sacrum, appelé ainsi parce qu’il était offert aux dieux dans les sacrifices d’animaux. Sur la notion de “noyau d’immortalité”, voir Guénon, 1927 : 87-91. 
49. Corbin, 1960. Voir surtout le choix de textes dans la deuxième partie. 


50. Ibn Îanbal, s. d., III : 2. Voir aussi Bukharî, 2001, anbiyâ’ 35, n° 3414, où le Prophète met en garde ses Compagnons contre leur tendance à le déclarer supérieur aux autres prophètes. Il affirme : « Je serai le premier à être ressuscité » mais précise qu’il verra alors Moïse se tenant au Trône et se demande si son terrassement sur le Sinaï l’aura dispensé d’être terrassé par le souffle de la Trompette ou bien s’il aura été  ressuscité avant lui. 
51. Bukharî, 2001, anbiyâ’ 1, n° 3326 : « Dieu a créé Adam d’une taille de soixante coudées…Tout  homme entrant au Paradis retrouvera la forme d’Adam, car les hommes n’ont cessé de diminuer jusqu’à maintenant ». 
52. Bukharî, 2001, wu∂û’ 3, n° 136. Muslim, 1329 H, †ahâra 34, I : 149-150.
54. La relation entre la Révélation et la sacralité du corps est particulièrement soulignée dans cette tradition rapportée par al-Îasan al-BaÒrî : « Celui à qui le Saint Esprit (rû' al-quds) a parlé, il n’est point permis à la terre de manger de son corps » (Suyû†î, 1967, III : 403, d’après al-Zubayr b. Bakkâr, Akhbâr al-Madîna). 
 55. La descente de la Parole dans le corps peut être considérée comme l’achèvement du processus de remontée de l’esprit vers Dieu par la récitation et l’élévation de sa Parole, ce qui est la définition du combat dans la voie de Dieu. Ceci explique pourquoi les martyrs morts au combat, témoins de la Parole et d’un 
degré juste en dessous de celui de la prophétie, répondent à Dieu qui leur demande ce qu’ils désirent de plus au paradis : « Nous te demandons que nos esprits soient renvoyés dans nos corps ici-bas pour que nous soyons tués dans ta voie » (Ibn Mâja,1972, jihâd 16, n° 2801). 







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