mercredi 6 juillet 2011

Le dévoilement des effets du voyage d'Ibn Arabi traduit par le Dr Denis Gril







Au nom de Dieu le Tout-Miséricordieux le Très-Miséricordieux.


Que Dieu répande la grâce et la paix sur notre seigneur Muhammad et les siens.




La louange est à Dieu qui réside dans la Nuée et a pour attribut d'être établi sur le Trône – majesté de Son Essence –, après l'achèvement de la création, depuis celle de Sa terre jusqu'à celle de Ses cieux [cf. § 10-12]. Il fit descendre le Coran dans la Nuit du Destin ou Nuit bénie jusqu'au ciel le plus proche, dans la totalité de ses sourates et de ses versets [cf. § 18-21]. Il fit voyager les planètes dans les mansions du mélange et de l'épuration, proclamant ainsi son propre éloge par les déterminations de Sa toute-puissance [cf. § 13-17]. Il fit voyager de nuit notre seigneur Muhammad Son serviteur – que Dieu lui accorde grâce et paix – depuis la Mosquée sacrée jusqu'à la Mosquée la plus éloignée et de là, jusqu'à la «distance de deux arcs ou plus près» pour lui faire voir certains de Ses signes [cf. § 22-25]. Il fit choir Adam jusqu'à la terre de Son épreuve et le fit sortir de Son Paradis, demeure de Ses délices et de Ses jouissances [cf. § 26-31]. Il éleva Idrîs (Enoch) – sur lui la paix – depuis le monde des créatures puis le fit «descendre» dans le Lieu élevé au plus central de Ses degrés [cf. § 32-36]. Il porta Son prophète Noé – sur lui la paix – dans le fracas des vagues sur la mer de Son déluge, dans l'arche de Son salut [cf. § 37-40]. Il fit partir Abraham, Son ami intime – sur lui la paix –, pour lui dispenser Sa guidance et Ses dons miraculeux [cf. § 41-43]. Il fit sortir Joseph – sur lui la paix – pour le séparer de son père – sur lui la paix – puis le fit rejoindre par celui-ci, afin de le confirmer, lui Joseph, dans la vision de la plus heureuse de Ses bonnes nouvelles [cf. § 46-49]. Il fit voyager de nuit Loth et sa famille pour le sauver de Ses vengeances [cf. § 44-45]. Il fit se hâter Moïse – sur lui la paix – et laisser son peuple, quand il vint trouver son Seigneur au temps fixé par Lui [cf. § 50-54]. Il fit briller pour lui une lumière sous forme de feu afin qu'il se tourne entièrement vers Lui et l'appela à partir de ses besoins [cf. § 61-63]. Moïse s'empressa vers Lui et Il le combla de Ses entretiens intimes [cf. § 55-57]. Il le fit sortir, fuyant son peuple1, pour l'envoyer, comme Prophète, gratifié de Ses messages [cf. § 64-67]. Il fit voyager de nuit son peuple2 pour que se noie celui qui, parmi les rebelles, avait disputé à son Seigneur la seigneurie3. Il le fit partir quand il manqua de convenance à l'égard de Sa science4, à la recherche de celui à qui Il avait enseigné une science émanant de Lui et fait don d'une de Ses miséricordes. Il le fit suivre dans son voyage par Moïse pour lui enseigner ce que Dieu lui avait inspiré de Ses jugements et de Ses sentences5. Il transporta Son prophète Moïse – sur lui la paix – qui n'avait pas encore l'âge de raison, dans Son arche sur la mer de Ses perditions6. Il éleva Jésus – sur lui la paix – vers Lui, car il était une de Ses paroles. Il fit partir courroucé Son prophète Jonas – sur lui la paix – et le tint oppressé dans le ventre d'une baleine au sein de Ses ténèbres. Il fit sortir Tâlût (Saül) à la tête de ses guerriers, parmi lesquels David – sur lui la paix – pour les soumettre à l'épreuve du fleuve afin de s'assurer de qui y puiserait de sa main7. Il fit franchir les horizons à l'Homme-aux-deux-cornes pour dresser une digue entre ceux qui obéissent parmi les serviteurs de Dieu et ceux qui désobéissent8. Il fit descendre l'Esprit Fidèle (Gabriel) sur les cœurs de ceux qui ont reçu Ses prophéties9. Il fit remonter vers Lui la parole excellente sur le burâq de l'œuvre pieuse10 pour l'honorer de la contemplation de Son Essence. Que la grâce et la Paix soient sur notre seigneur Muhammad, le meilleur de ceux qui ont réalisé la qualité de ses Noms et de Ses Attributs, sur les siens: ses compagnons, ses proches, ses épouses, ses fils et ses filles.


 Les voyages sont de trois sortes et il n'y en a pas quatre. Tels sont ceux que Dieu reconnaît: le voyage venant de Lui, le voyage vers Lui et le voyage en Lui. Ce dernier est le voyage de l'errance et de la perplexité. Celui qui voyage venant de Lui, son gain est ce qui s'est trouvé être11; tel est son gain, alors que celui qui voyage en Lui ne gagne que lui-même. Ces deux premiers voyages ont une fin à laquelle on parvient et on s'arrête, tandis que le troisième, celui de l'errance, est sans fin. 


La route suivie par les voyageurs est de deux sortes; l'une par la terre, l'autre par la mer. Dieu – Il est puissant et majestueux – dit: «Il est celui qui vous fait aller par terre et par mer» (10: 22). Il faut noter ici que si Dieu – exalté soit-Il – a mentionné la terre avant la mer et l'a fait avec insistance12, c'est pour que l'on sache que celui qui peut aller par terre ne doit pas, sauf nécessité, le faire par mer13. 'Umar b. al-Khattâb – Dieu l'agrée – disait: «N'était ce verset – et il récitait «Il est celui qui vous fait aller par terre et par mer» – j'aurais frappé de ce nerf de bœuf celui qui voyage par mer». La seule parole divine «certes il y a en cela des signes pour tout homme doué de patience et de gratitude» (31: 31 et 42: 33)14, suffirait comme indication de renoncer au voyage en mer.


Précisons que ces trois voyages, nul ne les accomplit sans s'exposer au danger, à moins d'être porté comme dans le Voyage Nocturne. Quiconque est emmené en voyage est assuré du salut; quiconque voyage par lui-même est en danger.


L'existence a pour origine le mouvement. Il ne peut donc y avoir d'immobilité en elle, car si elle restait immobile, elle reviendrait à son origine qui est le néant. Le voyage ne cesse donc jamais dans le monde supérieur et inférieur. De même les réalités divines sont sans cesse en voyage, allant et venant, telle la descente seigneuriale vers le ciel le plus proche15 ou l'établissement ascendant vers le ciel16, comme il convient à la transcendance et à l'absence de toute similitude ou ressemblance. Dans le monde supérieur, les sphères entraînent dans leur rotation perpétuelle, sans le moindre repos, les êtres qu'elles contiennent. Si elles s'immobilisaient, la création serait réduite à néant et l'ordonnance du monde parviendrait à son achèvement et à sa fin. L'évolution17 des astres dans les sphères18 est pour ceux-ci un voyage: «Et la lune, Nous en avons déterminé les mansions» (36: 39). Les mouvements des quatre éléments, des êtres engendrés à chaque minute, le changement et les transformations engendrés par chaque souffle19, le voyage des pensées dans les catégories du louable et du blâmable, le voyage des souffles émis par celui qui respire, le voyage des regards à travers les choses vues en éveil ou en sommeil et leur passage d'un monde à l'autre par la transposition de leur signification20; tout ceci est sans aucun doute voyage pour tout homme doué d'intelligence. Certains considèrent que le monde des corps, depuis l'instant où Dieu l'a créé, ne cesse dans sa totalité de descendre, dans le vide sans fin21. En réalité nous ne cessons jamais d'être en voyage depuis l'instant de notre constitution originelle et celui de la constitution de nos principes physiques22, jusqu'à l'infini. Quand t'apparaît une demeure, tu te dis: voici le terme; mais à partir d'elle s'ouvre une autre voie dont tu tires un viatique pour un nouveau départ. Dès que tu aperçois une demeure, tu te dis: voici mon terme. Mais à peine arrivé, tu ne tardes pas à sortir pour reprendre la route. 15. Allusion à une tradition dont voici l'une des versions : « Notre Seigneur – béni et exalté soit-il – descend chaque nuit vers le ciel le plus proche, le dernier tiers de la nuit et dit : qui M'invoque, afin que Je lui réponde ; qui Me demande, afin que Je lui donne ; qui implore Mon pardon, que Je le lui accorde ? » (Bukhârî, Sahîh tahajjud 14 ; II 63).


 Que de voyages n'as-tu accompli23 à travers les phases de la création, jusqu'à devenir du sang dans ton père et ta mère. Ils se sont unis pour toi avec ou sans l'intention de te voir manifesté. Tu es passé alors à l'état de sperme puis tu as pris la forme d'une adhérence, puis d'un morceau de chair, puis d'os. Ceux-ci ont été couverts de chair puis, ayant reçu une autre constitution, tu as été expulsé vers ce monde et tu es passé à l'état d'enfance. De l'enfance tu es passé à la jeunesse, de la jeunesse à l'adolescence, de l'adolescence à la force juvénile, de celle-ci à la maturité, de la maturité à la vieillesse et de la vieillesse à la décrépitude, l'âge le plus avilissant24. De là, tu es passé à l'état intermédiaire entre ce monde et l'autre et dans cet état, tu as voyagé vers le Rassemblement final. Puis tu as entrepris le voyage vers le Sirât25, soit vers un jardin paradisiaque, soit vers un feu infernal, si tu y es voué; sinon, tu as voyagé de l'Enfer vers le Paradis et du Paradis vers la Dune de la vision divine26. Dès lors, tu ne cesses d'aller et venir entre le Paradis et la Dune, pour toujours. Dans le Feu, les damnés voyagent sans discontinuer de haut en bas et de bas en haut comme des morceaux de viande dans une marmite sur le feu: «Dès que leurs peaux sont cuites nous les remplaçons par d'autres, afin qu'ils goûtent le châtiment» (4: 65).


 Il n'y a donc aucune immobilité. Le mouvement dans ce monde est continuel. Nuit et jour se succèdent, comme se succèdent les pensées, les états et les dispositions selon l'alternance de la nuit et du jour et des réalités divines en toutes ces choses. Tantôt ces dernières descendent sur27 le nom divin le Très-Miséricordieux, tantôt sur le nom Celui-qui-appelle-au-repentir, tantôt le Très-Pardonnant, tantôt le Très-Pourvoyant, tantôt Celui-qui-donne-sans-compter, tantôt le Vengeur, ainsi de tous les noms de la Présence divine. Ces noms font également descendre vers toi ce qu'ils contiennent de don, de pourvoyance, de vengeance, d'appel au repentir, de pardon et de miséricorde. Il y a donc descente de ta part vers ces réalités divines par ta demande; descente de leur part sur toi par le don.


 Le serviteur doit donc faire un retour sur lui-même en réfléchissant et méditant sur la distinction entre, d'une part, le voyage auquel la Loi divine lui impose de se préparer et dans la préparation duquel réside son bonheur: le voyage vers Lui, en Lui et de Lui, autant de voyages institués par la Loi; d'autre part, le voyage auquel la Loi ne lui impose pas de se préparer comme de parcourir la terre dans un but licite, pour le commerce de ce monde et la fructification des biens ou autres voyages identiques; ou encore le voyage de son propre souffle, inspiration et expiration, car d'un certain point de vue, il ne lui est pas imposé ni institué par la Loi, seule l'exige sa constitution physique. Nous demandons à Dieu belle fin et parfaite absolution.


 Il y a trois sortes de voyageurs venant de Lui. L'un est rejeté, comme Iblîs – Dieu le maudisse – et tout associateur. L'autre n'est pas rejeté, mais son voyage est un voyage de honte comme celui des pécheurs car, ayant contrevenu à Sa Loi, ils ne peuvent se tenir dans la Présence de Dieu en raison de la pudeur qui s'empare d'eux. Quant au troisième, il accomplit un voyage de distinction et d'élection, tel celui des envoyés qui reviennent de chez Lui vers les créatures et celui des héritiers, qui reviennent de la contemplation vers le monde des âmes, en exerçant la royauté, la direction des affaires, la loi28 et la politique.


Les voyageurs vers Lui sont également au nombre de trois. L'un associe une autre divinité à Dieu, lui prête un corps, une ressemblance et une similitude avec les créatures et Lui a attribué ce qui est impossible, alors qu'Il dit de Lui-même: «Il n'y a rien qui soit comme Lui» (42: 11). Un tel voyageur ne Le verra jamais, rejeté qu'il est de la miséricorde. Un second professe la transcendance de Dieu à l'égard de tout ce qui ne Lui sied pas ou plutôt est impossible parmi les expressions équivoques de Son Livre, puis affirme en fin de compte: Dieu est plus savant au sujet de ce qu'Il dit dans Son Livre. Après quoi, mis à part l'associationnisme et l'anthropomorphisme, il ne cesse de commettre toutes sortes de transgressions. Celui-ci, quand il arrivera, rencontrera le reproche mais ni le voile ni un châtiment perpétuel. Les intercesseurs qui l'attendent à la porte le recevront et l'accueilleront le mieux qui soit, toutefois son manque de révérence lui sera reproché. Le troisième est impeccable ou préservé29. L'intimité et la familiarité divines les mettront à l'aise. Ils n'éprouveront ni peur ni affliction, au contraire des autres hommes car ils ont dépassé l'une et l'autre. Celui qui a dépassé un état, ne saurait y retomber: «Ils ne sont pas affligés par la terreur suprême et les anges les accueillent ainsi: voici le jour qui vous a été promis » (21: 103). Telle est la bonne nouvelle qu'ils recevront dans l'au-delà. Voici pour les voyageurs vers Lui.


Les voyageurs en Lui se partagent en deux groupes. L'un a voyagé en Lui par le moyen de la réflexion et de l'intellect et s'est écarté de la voie inévitablement, car ceux qui voyagent ainsi n'ont, à ce qu'ils prétendent, d'autre guide que leur réflexion. Il s'agit des philosophes et de ceux qui empruntent leur démarche30. L'autre groupe a été emmené en voyage en Lui. Ce sont les envoyés, les prophètes, les élus d'entre les saints comme ceux qui ont connu la Réalité parmi les maîtres soufis tels Sahl b. 'Abdallah (al-Tustarî), Abû Yazîd (al-Bistâmî), Farqad al-Sabakhî, Al-Junayd b. Muhammad, al-Hasan al-Basrî31 et tous ceux qui se sont rendus célèbres jusqu'à nos jours.


 Cependant le temps aujourd'hui n'est pas le même qu'autrefois car il se rapproche de la demeure de l'au-delà. Le dévoilement se multiplie chez les hommes de notre époque. Les scintillements des lumières commencent à briller et à paraître. Les hommes de notre temps bénéficient aujourd'hui d'un dévoilement plus rapide, d'une vision plus fréquente, d'une connaissance plus abondante, d'une saisie plus parfaite des réalités supérieures, mais leurs œuvres sont moins nombreuses que celles des hommes du temps jadis. Ceux-ci accomplissaient plus d'œuvres et recevaient moins d'ouvertures spirituelles et de dévoilements, car ils étaient plus éloignés de l'avènement de l'autre monde. Il faut excepter le temps des Compagnons gratifiés de la vision du Prophète – que Dieu répande sur lui la grâce et la paix – et de la descente sur lui, à chaque souffle, des esprits angéliques au milieu d'eux. Ceux d'entre eux qu'éclairait la Lumière divine avaient cette vision, mais ils étaient un très petit nombre à l'instar d'Abû Bakr, de 'Umar, de 'Alî b. Abî Tâlib – Dieu les agrée – et de leurs semblables. La pratique l'emportait autrefois comme la science à notre époque et ce fait ne cessera de s'amplifier jusqu'à la descente de Jésus – sur lui la paix –, au point qu'une seule rak'a32 accomplie par nous aujourd'hui équivaut à l'adoration d'un homme d'autrefois toute sa vie durant. Le Prophète – que Dieu répande sur lui la grâce et la paix – a dit à ce sujet: «Celui d'entre eux qui œuvrera recevra la récompense de cinquante hommes accomplissant des œuvres comparables aux vôtres»33. Comme l'expression est excellente et subtile l'allusion.


Ce que nous venons d'évoquer tient à l'approche du Temps et à la manifestation des conditions du monde intermédiaire (barzakh). Le Prophète – que Dieu répande sur lui la grâce et la paix – ne dit-il pas: «L'Heure ne se lèvera pas avant que la cuisse de l'homme ne lui dise ce que sa femme et le bout de son fouet ont fait»34; ou encore: «L'arbre dira: voici un juif derrière moi; tue-le!»35. Ceci qui se produira dans ce monde ne vient-il pas de la manifestation de l'au-delà qui est demeure de la vraie vie ?


La science, à la fois unique et diffuse, a besoin d'hommes qui la portent. Quand ceux-ci sont nombreux en raison de leur sainteté, car il s'agit de la science des saints, la science est partagée entre eux. C'est pourquoi elle n'abonde pas chez ceux qui nous ont précédés. Ceux qui la détenaient, ne le laissaient pas paraître car ils la dominaient. Mais quand sont peu nombreux ceux qui peuvent porter la science du fait de la corruption du commun des hommes, le saint la reçoit en abondance, car la part de chaque homme corrompu lui échoit et il en devient l'héritier. Aussi la science, l'ouverture spirituelle et le dévoilement abondent-ils chez les hommes des époques ultérieures. Lorsque quelqu'un possède une part de cette science, elle devient manifeste en lui et s'impose à lui par sa profusion. Gloire donc à Celui qui donne à tous! Malgré tout le dernier venu est pesé à la balance du premier, s'il le suit et le prend pour modèle, en ce qui concerne le poids, autrement dit l'œuvre, mais non la science, car la science divine possède sa propre balance. «Cela est la grâce de Dieu; Il la donne à qui Il veut et Dieu détient une grâce immense» (57: 21 et 62: 4).


Nous mentionnerons – si Dieu veut – dans ce bref traité les voyages dont nous avons eu connaissance par science et vision directe, voyages accomplis par les prophètes, voyages divins, voyages des entités spirituelles, afin de montrer ce que l'on doit désirer comme voyage36. Bien que Dieu ait mentionné dans le Coran de nombreux voyages accomplis par différentes créatures, nous nous sommes limité à ce qui suit.




 VOYAGE SEIGNEURIAL DEPUIS LA NUÉE JUSQU’AU TRÔNE DE L’ÉTABLISSEMENT DONT PREND POSSESSION LE NOM DIVIN LE TOUT-MISÉRICORDIEUX.


Une tradition rapporte que l'on demanda à l'Envoyé de Dieu – que Dieu répande sur lui la grâce et la paix –: «Où était notre Seigneur avant qu'Il ne crée la création? Il répondit: – Dans une nuée au-dessus et au-dessous de laquelle (mâ fawqahu wa mâ tahtahu) il n'y avait pas d'air», la particule mâ pouvant être ici négative ou relative37. Sache que cette nuée est l'Enceinte de la Personne divine38, immense obstacle qui empêche les êtres de rejoindre la Divinité absolue et Celle-ci de rejoindre les êtres, j'entends du point de vue des définitions essentielles39. C'est à partir de cette Nuée que Dieu – exalté soit-Il – dit, comme le rapporte la tradition authentique, d'après le Prophète – que Dieu répande sur lui la grâce et la paix –: «Il n'y a rien que Je n'hésite autant à faire que de reprendre l'âme du croyant. Il déteste la mort et Moi, je déteste lui causer du tort. Mais il lui faut venir à Ma rencontre»40. De là procède également Sa parole – exalté soit-Il –: «La parole ne change pas auprès de Moi» (50: 29). Y font aussi allusion des versets comme «Et ton Seigneur viendra [ainsi que les anges en rangs successifs]» (89: 22) et «[Qu'attendent-ils sinon que Dieu et les Anges viennent à eux] dans l'ombre de la nue?» (2: 210), c'est-à-dire le Jour de la Séparation et du Jugement. Ces expressions et d'autres semblables rapportées dans les traditions émanent de la Divinité absolue lorsqu'Elle veut atteindre les êtres créés. Comme propos analogues tenus par l'être créé lorsqu'il veut rejoindre la Divinité absolue, on rapporte la parole du Prophète – que Dieu répande sur lui la grâce et la paix –: «Je ne peux dénombrer les éloges que je T'adresse»41 et «... que Tu T'es réservé dans la science de Ton mystère»42 ou encore la sentence d'Abû Bakr le Confirmateur de la vérité: «L'impuissance à percevoir la perception est une perception»43.


 Une fois existenciée la sphère qui embrasse tous les êtres et que l'on appelle le Trône ou Siège royal très saint, il lui fallait un roi. Comme Dieu voulait l'existenciation, fruit nécessaire de la générosité de l'existence divine44, la qualité de toute-miséricorde devait régir cette séparation entre le divin et l'humain. Le nom le Tout-Miséricordieux s'établit sur le Trône dans l'Enceinte de la Nuée, comme il convient à la qualité divine de toute-miséricorde, qui est un aspect de la Nuée seigneuriale. Ce voyage de la qualité de toute-miséricorde depuis la Nuée seigneuriale jusqu'à l'établissement sur le Trône, procède de la Générosité, de même que tout ce qui est en-deçà du Trône émane de Celui qui s'est établi dessus, c'est-à-dire le nom le Tout-Miséricordieux dont la miséricorde contient toute chose par nécessité existencielle et don gracieux. Lors du voyage du nom le Tout-Miséricordieux, voyagèrent avec lui tous les noms attachés à la création, ses officiers, desservants et émirs, comme le Pourvoyeur, le Secoureur, le Vivificateur, Celui qui fait vivre, Celui qui fait mourir, le Dommageur, le Bénéfique et tous les noms d'actes en particulier. Tout nom exprimant un acte a fait le voyage avec le Tout-Miséricordieux; aucun autre nom n'y participe.


 Lorsqu'on désire voyager vers la connaissance de ce qui est au-delà des noms d'actes en réfléchissant à ces noms, ces réflexions sortent de la sphère du Trône sans pour autant la quitter et s'en séparer et cherchent à s'attacher à la Dignité divine très-sainte. Elles tombent alors dans le territoire inviolable, l'Enceinte de la Nuée, et y sont terrassées. Néanmoins, il faut bien que pour celui qui parvient à Dieu, brillent quelques lueurs fulgurantes de la Divinité absolue lui apportant une certaine connaissance que le Confirmateur de la vérité nomma pour cette raison «perception» et que le Véridique – que Dieu répande sur lui la grâce et la paix – désigne en ces termes: «Je ne peux dénombrer les éloges que je T'adresse». Il eut en effet la vision de ce qui ne peut faire l'objet d'un éloge défini, mais seulement d'un éloge indéterminé tel que «Je ne peux dénombrer...». La perplexité exige cela. Les hommes de spéculation sont dans une nuée, de même que les hommes du dévoilement. Tous les êtres sont dans une nuée, tous étant dans la cécité45 et le tout est à l'image du Tout. Ce voyage dans son esprit et son sens est le passage de la transcendance au Lotus de la similitude46 pour que ceux auxquels s'adresse le discours divin puissent comprendre. Et ceci relève encore de cette même cécité.


 le voyage de la création et de l'ordre ou le voyage de la création novatrice.


Dieu – Il est béni et exalté – dit: «Ensuite Il s'établit vers le ciel, qui était alors une fumée, et lui dit ainsi qu'à la terre: – Venez de gré ou de force. Ils répondirent: – Nous sommes venus de plein gré. Il acheva la création des sept cieux en deux jours et inspira à chaque ciel son ordre. Et Nous avons orné le ciel le plus proche de luminaires, comme protection. Telle est la détermination du Tout-Puissant Très Savant» (41: 11-12); Il accomplit ceci en déliant et en séparant: «Ceux qui ont mécru n'ont-ils pas vu que les cieux et la terre étaient liés et que Nous les avons déliés ?» (21: 30). Le premier verset commence, après la création de la terre47, par «ensuite», ce qui indique généralement un certain délai. Il s'agit du temps de la création de la terre et de la détermination de ses subsistances durant quatre des jours de l'Œuvre divine48: deux jours pour l'être sensible et essentiel de la terre, l'un pour son extériorité et sa manifestation et l'autre pour son intériorité et son occultation; deux jours pour les subsistances, non manifestées et manifestées, déposées dans la terre.


Ensuite eut lieu l'Etablissement très-saint, qui était le but, et l'orientation vers le déliement et la séparation des cieux. Après l'achèvement de la création des sept cieux en deux des jours de l'Œuvre, Il inspira à chaque ciel son ordre et y déposa tout ce dont les êtres engendrés ont besoin pour leur composition, leur dissolution, leur remplacement, leur transformation et leur passage d'un état à l'autre à travers les cycles et les phases49. Tout ceci relève de l'ordre divin déposé dans les cieux selon Sa parole: «Et Il inspira à chaque ciel son ordre» et ce qu'il comporte d'entités spirituelles et intellectuelles50. Cet ordre s'instaura par la mise en mouvement des sphères pour que se manifeste la production des êtres dans les éléments, selon l'ordre contenu dans ce mouvement et cette sphère.


 Une fois déliés, les cieux entrèrent en rotation. Comme ils étaient transparents en essence et en volume pour ne pas cacher ce qui est au-delà d'eux, les regards aperçurent les luminaires étoilés de la huitième sphère et les imaginèrent dans le ciel le plus proche. Dieu dit: «Nous avons orné le ciel le plus proche de luminaires» (41: 12), or l'ornement d'une chose ne s'y trouve pas nécessairement; «Comme protection» fait allusion aux lapidations qui surviennent dans la sphère de l'éther pour brûler les démons qui écoutent à la dérobée. Dieu a disposé pour cela «une flamme aux aguets» (72: 9): ce sont les étoiles filantes. Le regard transperce l'atmosphère et atteint le ciel inférieur sans apercevoir de fissure. Il y pénètre, mais s'en retourne «dépité et las» (67: 4). Dieu dota chacun des sept cieux d'un astre qui y vogue selon sa parole – exalté soit-Il –: «Chacun vogue dans une sphère» (21: 33 et 36: 40). Les sphères sont produites par le mouvement des astres et non par celui des cieux. Le mouvement des sept astres prouve donc que les luminaires se trouvent dans la huitième sphère. Il a orné le ciel le plus proche de ces luminaires car c'est là que le regard les perçoit. Le discours divin se conforma à ce que donne la vision oculaire. C'est pourquoi il est dit: «Nous avons orné le ciel le plus proche de luminaires» et non: «Nous les y avons créés», car un ornement ne se trouve pas nécessairement dans ce qu'il orne: garde et suite sont un des ornements du sultan sans être inhérents à sa personne.


 Lorsque fut achevée la construction humaine et assuré son équilibre et que l'orientation divine produisit l'insufflation supérieure dans le mouvement de la quatrième des sept sphères, cet être nommé «l'homme», en raison de la perfection de son équilibre, reçut, lui seul, le secret divin. Il accéda ainsi aux deux stations, celle de la Forme divine et celle de la lieutenance. La terre du corps parachevée, «Il y détermina ses subsistances» (41: 10), lui conféra ses facultés propres, en tant qu'être animal et végétal: l'attractive, la digestive, la rétentive, la répulsive, l'augmentative et la nutritive et «délia» ses sept couches: la peau, la chair, la graisse, les veines, les nerfs, les muscles et les os. C'est alors que le secret divin qui se propage dans l'homme avec le souffle de l'esprit, s'établit vers le monde supérieur du corps, constitué de vapeurs montantes comme la fumée. Il y «délia» sept cieux: le ciel le plus proche ou les sens, qu'Il orna d'étoiles et de luminaires tels les yeux, le ciel de l'imagination, celui de la réflexion, de l'intellect, du souvenir, de la mémoration et de la puissance imaginative.


 «Et Il inspira à chaque ciel son ordre», c'est-à-dire d'une part la perception des choses sensibles déposée dans les sens – nous ne traiterons pas de la modalité de cette perception en raison d'une divergence à ce sujet, même si nous en avons la science car celle-ci n'abolirait point cette divergence –, d'autre part la représentation des choses imaginées et impossibles dans l'imagination et enfin celle des intelligibles dans l'intellect. Ainsi, dans chaque ciel sont déposées les perceptions correspondant à sa nature, car les habitants de chaque ciel sont créés à partir de celui-ci, de même que les habitants de chaque terre sont créés à partir de celle-ci. Le tempérament des êtres correspond en effet à celui de leur lieu d'origine. Dans chacun de ces sept cieux Dieu créa un astre voguant en correspondance avec les autres planètes nommées, à l'instar des attributs: la Vie, l'Ouïe, la Vue, la Puissance, la Volonté, la Science et la Parole. «Chacun court vers un terme nommé» (13: 2). Chaque faculté ne perçoit que ce pour quoi elle a été créée spécifiquement: la vue ne voit que les choses sensibles et visibles et s'en retourne «dépitée», car elle ne trouve pas de fissure par où pénétrer. L'intellect le confirme, et en sont témoins les mouvements des sphères dans l'homme, par la «détermination du Tout-Puissant Très-Savant» (41: 12).


 Ce voyage a dévoilé son visage, indiqué la transcendance de son Maître et produit la manifestation du monde supérieur. Le voyage a été appelé safar parce qu'il dévoile (yusfiru) les caractères des hommes faisant apparaître les caractères blâmables et louables que tout homme recèle en lui. On dit aussi: la femme a dévoilé son visage (safarat 'an wajhihâ) quand elle enlève son voile et qu'apparaît sa beauté ou sa laideur. Dieu dit, s'adressant aux Arabes: «Et par l'aube lorsqu'elle dévoile» (72: 34) c'est-à-dire aux regards ce qu'ils découvrent. Le poète dit:




Quand je venais trouver Laylâ, elle se voilait la face.


Ce matin j'ai été inquiet de son dévoilement (sufûru-hâ).


En effet chez les Arabes, quand la femme veut prévenir qu'elle est menacée, elle découvre son visage. L'auteur de ce vers avait usé de ruse pour rejoindre sa bien-aimée, mais la tribu de celle-ci en avait eu vent; le sachant, dès qu'elle l'aperçut, elle découvrit son visage. Il sut alors qu'elle était menacée, prit peur pour elle et s'en fut en récitant ce vers.


C'est au cours d'un tel voyage ou d'autres semblables que notre Seigneur descend. Cette allusion dispense d'un plus ample développement. «Et Dieu dit la vérité et Il guide sur la voie» (33 : 4).


 le voyage du Coran incomparable


Dieu – Il est puissant et majestueux – dit: «C'est Nous qui l'avons fait descendre dans la Nuit du destin51 ...» (97: 1), ou: «C'est Nous qui l'avons fait descendre dans une nuit bénie» (44: 3): il s'agit d'une descente d'avertissement52. «C'est Nous qui l'avons fait descendre»: il s'agit du Coran incomparable «dans la Nuit du destin»; les commentateurs précisent, d'après la tradition: en une seule fois jusqu'au ciel le plus proche. Puis il descendit sur le cœur de Muhammad – que Dieu répande sur lui la grâce et la paix – de façon fragmentée53. Ce voyage ne cesse jamais, tant que les langues récitent le Coran intérieurement et à voix haute. La nuit du destin qui perdure en réalité pour le serviteur, n'est autre que son âme devenue pure et sans tâche. Aussi ajouta-t-Il: «En elle est distingué tout commandement sage» (44: 3), de même qu'en l'âme a été créé tout commandement sage. «Il lui inspira sa prévarication» – selon les deux sens de cette expression54 – «ainsi que sa piété» (91: 8). Par transposition, le cœur représente le ciel le plus proche vers lequel le Coran est descendu réuni dans sa totalité, pour redevenir distinction55 à la mesure de ceux auxquels le discours s'adresse. En effet, la vue ne le reçoit pas de la même manière que l'ouïe. Nous disons qu'il est descendu vers ton cœur en une seule fois, mais nous ne voulons pas dire que tu l'as retenu et pleinement saisi, car nous nous plaçons sur le plan de l'esprit et de l'idée. J'entends simplement qu'il se trouve en toi sans que tu le saches, tout comme il n'était pas indispensable que le ciel en retînt le texte quand le Coran descendit vers lui. Il descend ensuite sur toi de façon fragmentée, à partir de toi-même, en ôtant le bandeau qui t'empêche de voir56. Je l'ai constaté sur moi à mes débuts. Je l'ai vu aussi chez mon maître Abû l-'Abbâs al-'Uryâbî de la ville d'al-'Ulyâ à l'Ouest d'al-Andalus57. J'ai entendu dire de plusieurs des gens de notre voie qu'ils retenaient par cœur le Coran ou certains versets sans qu'aucun maître ne le leur ait enseigné comme on le fait d'habitude. Une telle personne, même si elle n'est pas de langue arabe, trouve le Coran dans son cœur, prononcé en langue arabe, tel qu'il est transcrit dans les exemplaires du Coran. Nous avons rapporté, d'après Abû Mûsâ al-Dunbulî, qu'Abû Yazîd al-Bistâmî – Dieu lui fasse miséricorde – ne mourut pas sans savoir le Coran par cœur, bien qu'aucun maître ne le lui eût appris par la voie habituelle58.


 La descente continuelle du Coran sur les cœurs des serviteurs est prouvée par l'impossibilité pour l'accident de durer deux temps de suite et de se transférer d'un lieu à un autre. La mémorisation du Coran par Zayd ne se transfert pas à 'Amr59. Quand l'oreille entend le maître projeter un verset en elle, Dieu le fait descendre sur le cœur et le disciple le retient. Si le cœur de ce dernier est distrait par une préoccupation, le maître reprend et la descente se répète. Le Coran est donc à jamais en train de descendre. Si quelqu'un affirmait: Dieu a fait descendre sur moi le Coran, il ne mentirait pas, car le Coran voyage sans cesse vers le cœur de ceux qui le retiennent.


 Quand Gabriel – sur lui la paix – venait lui apporter le Coran, le Prophète – que Dieu répande sur lui la grâce et la paix – s'empressait de le réciter avant que l'inspiration en ait été décrétée. Grâce à la puissance de son dévoilement, il avait l'intuition de ce qu'apportait Gabriel, le récitait, et sa langue en hâtait la venue, à la manière d'un des nôtres, doué de dévoilement, qui perçoit ta pensée et la dévoile. Ce fait admis par la plupart des hommes convient d'autant mieux au Prophète. Mais son Seigneur lui inculqua la convenance spirituelle et la rendit excellente en lui60. Aussi lui dit-Il: «Ne hâte pas la venue du Coran avant que l'inspiration en ait été achevée» (20: 114). Il lui ordonna de respecter les convenances avec Gabriel – sur lui la paix –, qui lui enseignait comment recevoir la Parole excellente par l'œuvre pieuse61.


L'Homme total selon la réalité essentielle, est le Coran incomparable descendu de la présence de soi-même vers la Présence de son Existenciateur. Celle-ci est aussi la Nuit bénie du fait de sa non-manifestation. Le ciel le plus proche correspond au Voile de la Toute-Puissance, le plus inviolable et le plus proche62. Là, il devint «distinction» (furqân) et descendit sous forme fragmentée, selon les réalités divines, car leur autorité s'exerce de diverses manières et c'est pourquoi l'Homme se fragmenta également. Il ne cesse de descendre sur son cœur, à partir de son Seigneur, sous forme fragmentée jusqu'à ce qu'il se réunisse là-bas63, laisse le voile derrière lui, dépasse le «où» et l'être créaturel et s'absente de l'absence64. Le Coran descendu est vérité ainsi que Dieu l'a appelé, or «toute vérité immédiate comporte une vérité ultime»65, et la vérité ultime du Coran, c'est l'Homme. Quand on interrogea 'A'isha – Dieu l'agrée – sur le caractère du Prophète – que Dieu répande sur lui la grâce et la paix – elle répondit: «Son caractère était le Coran»66. Elle visait, expliquent les Savants, la parole divine: «Certes tu es selon un caractère magnifique» (68:4). Réalise ce voyage, tu n'auras qu'à te louer de son aboutissement, si Dieu veut.



le voyage de la vision à travers les signes divins et la transposition symbolique, selon la parole de Dieu – exalté soit-Il: «Gloire à celui qui a fait voyager Son serviteur de nuit de la Mosquée sacrée à la Mosquée la plus éloignée autour de laquelle Nous avons mis Nos bénédictions, pour lui faire voir certains de nos signes» (17: 1).


Gloire à Celui qui a fait voyager de nuit Son serviteur 


pour lui faire voir Ses signes cachés.


Comme la présence dans l'absence, l'ébriété


dans la sobriété, l'effacement dans la confirmation.


Celui dont il tire son secret, il le voit


refuser, s'il le veut, ou donner.


Par son existence, il abolit la générosité qu'il lui a montrée.


La pauvreté est l'un de ses aspects.


Gloire à Lui comme seigneur et protecteur


en Son essence, qualités et attributs.




Dieu – gloire à Lui – a attaché la glorification à ce voyage, le voyage nocturne. Il a ainsi voulu ôter du cœur de ceux qui professent la similitude et la corporéité de Dieu, par fausse conception ou sous l'emprise de l'imagination, ce qu'ils imaginaient au sujet de Dieu comme direction, limite et localisation. Dieu ajouta: «Pour lui faire voir certains de nos signes», signifiant que le Prophète était emmené en voyage et, par là, que l'initiative venait de Lui – Il est puissant et majestueux –67. Par don divin et sollicitude éternelle pour le gratifier, le Prophète reçut ce qui n'était pas parvenu à son être le plus intime ni n'avait pénétré sa conscience. Dieu fit que ce voyage s'accomplit de nuit pour confirmer le Prophète dans son élection à la station de l'amour, car Il le prit comme ami intime et bien-aimé. Il le confirma en ajoutant «de nuit» alors qu'isrâ' désigne déjà en arabe un voyage de nuit et non de jour, ceci pour lever le doute et pour qu'on n'imagine pas que seul son esprit fut emmené. Il ôte ainsi cette idée que ce voyage pourrait avoir eu lieu de jour. D'une part le Coran, même s'il a été révélé dans la langue des Arabes, s'adresse à tous les hommes, ceux de langue arabe comme les autres; d'autre part la nuit est le moment le plus cher aux amants parce qu'ils s'y réunissent et que la rencontre seul-à-seul avec le bien-aimé se réalise la nuit. Il fallait aussi que la vision des signes eût lieu grâce à des lumières divines surnaturelles et inconnues des Arabes de l'époque, car la vue par sa propre lumière ne perçoit des choses visibles que l'obscurité et la lumière par laquelle elle découvre les choses. Il ne faut pas cependant que cette lumière ne soit plus forte que la lumière de la vue. Si elle est plus forte, elle produit sur la lumière du regard le même effet que l'obscurité. Il ne voit alors plus qu'elle, de même que la vue ne perçoit dans l'obscurité profonde que l'obscurité. Il faut une lumière modérée pour que la vue perçoive la lumière et les choses qu'elle lui montre. Si l'ascension avait eu lieu de jour, la vision des signes n'aurait pas eu de sens pour celui qui entend ce récit, car ceci va de soi. C'est pourquoi le voyage eut lieu la nuit.


En disant «de nuit», Dieu confirme que le Prophète – sur lui la grâce et la paix – voyagea avec son noble corps. La nuit étant déjà exprimée dans le verbe asrâ', «de nuit» est le complément de manière de «Son serviteur»68, comme il est dit dans ce vers:


Ô vous qui partez vers l'Élu de Mudar,


vous l'avez visité avec vos corps, mais nous avec nos esprits.



 «Son serviteur» est précédé de la particule bi pour deux raisons, selon les gens de Dieu, connaisseurs de la Réalité. Tout d'abord à cause de la correspondance entre la servitude qui est humiliation et la particule de l'«abaissement» et de la «brisure», car tout être humilié est brisé69. Il rattacha le serviteur au Soi70, alors que le verset ne comporte aucun nom apparent pour désigner Dieu si ce n'est un nom semi-verbal («Gloire à») qui ne prend de sens que par la proposition relative et le pronom de rappel implicite dans le verbe71. Or le pronom est ici absence72 sans aucun doute et «Son» est aussi un «pronom»; il est donc une absence dans une absence, comme s'il était lui-même le Soi. Dieu nous avertit ainsi de la haute noblesse du voyage nocturne.


La mention des deux mosquées, la sacrée et la plus éloignée, est en corrélation avec ce que nous avons dit du serviteur et de la particule de l'«abaissement», le bi. Masjid (mosquée) est un nom de lieu désignant l'endroit où l'homme se prosterne (sujûd). La prosternation est servitude. Le sacré73 implique l'interdiction et la restriction et appelle donc la servitude. «La plus éloignée» rappelle que la servitude se trouve dans un éloignement extrême vis-à-vis des qualités de la seigneurie. Ainsi Dieu – gloire à Lui – choisit pour Son prophète la noblesse parfaite par ces deux derniers termes, en lui conférant la plus haute des qualités de la créature, la servitude ainsi que ces termes en affinité avec elle, la particule de l'abaissement et les mosquées sacrée et éloignée. En contrepartie de cette servitude totale qui confère la connaissance parfaite, Dieu l'honora en ne lui attribuant pas un de Ses Noms qui l'aurait conditionné. Une telle servitude exige de ne pas être conditionnée par un nom divin exerçant une influence sur le serviteur. Elle sollicite au contraire de la divinité absolue une élévation et une transcendance semblables. Quand le serviteur est élevé sous tous les aspects et honoré, sa servitude est affranchie de toutes les qualités dominicales, seigneuriales et divines; telle est sa transcendance. Quand elle reçoit les qualités de la seigneurie, elle est rendue similaire et cette similitude la conduit à sa perte. Dieu – exalté soit-Il – dit: «Goûte! Certes tu es le tout-puissant, le très-généreux» (44: 49) et «Ainsi Dieu appose un sceau sur le cœur de tout être orgueilleux et tyrannique» (40: 35)74. De même quand la divinité absolue est désignée par les noms qui impliquent l'existence des créatures, cela ne confère ni sublimation ni élévation au serviteur interpellé par ces noms. Ces noms comportent une sorte de ressemblance car la seigneurie a besoin de l'effet qu'elle exerce. Dieu conféra à la servitude, au cours de ce voyage nocturne, tout ce qui lui revient sous tous les rapports; de même qu'il confia à la divinité absolue ce qui lui revient en contrepartie de ce qui a été attribué au serviteur. C'est pourquoi il mentionna le Soi et le soi du Soi, ou absence de l'absence. Quand le Prophète – sur lui la grâce et la paix – descendit de sa servitude vers ce que nous avons mentionné, il fut emmené au cours du voyage nocturne vers l'absence de l'absence. De là il contempla son Bien-Aimé, le Vrai en tant qu'Un et Singulier, car l'amour exige la jalousie. Il ne reste alors plus de trace du serviteur. Le serviteur conserve cependant un certain pouvoir et il n'est soumis à aucune restriction. Aussi ne se manifesta là-bas d'autre nom que le Soi. La Révélation fut un entretien nocturne puisque le voyage se passa de nuit. Or de toutes les formes de séances, l'entretien nocturne est la plus élevée car elle est isolement dans l'isolement, lieu de familiarité, de rapprochement et d'élection.


 Quant aux signes vus par le Prophète, les uns sont sur les horizons, les autres en lui-même. Dieu – Il est tout-puissant et majestueux – dit: «Nous leur ferons voir Nos signes sur les horizons et en eux-mêmes» (41: 53) et «Et en vous-mêmes que ne regardez-vous!» (51: 21). La «distance des deux arcs» (53: 9) est l'un des signes des horizons. Grâce à lui le Prophète réalisa la station du serviteur face à son Seigneur; «ou plus près encore» désigne la station de l'amour et de l'élection par le Soi. «Il révéla alors à Son serviteur ce qu'Il lui révéla» (53: 10) représente la station de l'entretien nocturne ou le soi du Soi et l'absence de l'absence, ce qu'Il confirma par: «Le cœur intérieur ne démentit pas ce qu'il vit» (11). Le cœur intérieur (fu'âd) est le cœur du cœur; comme le cœur a sa vision, le cœur intérieur a la sienne. La vision du cœur peut être atteinte de cécité quand elle quitte Dieu en Lui préférant autrui après qu'Il l'eut rapprochée de Lui: «[Ce ne sont pas les regards qui sont aveugles,] mais les cœurs qui sont dans les poitrines» (22: 46). Mais le cœur intérieur ne saurait être atteint de cécité car il ne connaît pas la création; il n'est attaché qu'à son Seigneur et il ne l'est que par l'absence de l'absence ou le soi du Soi du fait de la correspondance entre les stations spirituelles et les degrés de l'existence. Dieu précisa «le cœur intérieur n'a pas démenti ce qu'il a vu», car en apparence la vue peut commettre de nombreuses erreurs, bien que l'affirmer ne soit que pure ignorance. C'est celui qui porte un jugement qui se trompe, non ce que perçoivent les sens. Tel est le cas de celui qui affirme que le regard s'est trompé, parce qu'il voit la chose différemment qu'elle n'est et la démentit donc. Dieu nia que ce fait pût s'appliquer au Prophète, car le mensonge n'intervient que dans le monde de la similitude et de la multiplicité. Or il n'y a plus ici aucune similitude: le serviteur est ici serviteur sous tous les rapports, absolument transcendant dans la servitude et ainsi en est-il de l'absence de l'absence ou le soi du Soi.


 Les signes que le Prophète vit en lui-même sont sa conformité au soi du Soi en raison de la servitude absolue de la servitude absolue, dans l'absence de l'absence, par l'œil du cœur du cœur ou du cœur intérieur. Et il n'est pas donné à tout un chacun de voir ces signes. Quant aux signes des horizons, ils sont tout ce que le Prophète – sur lui la paix – dit avoir vu: les étoiles, les cieux, les échelles supérieures, le «Coussin» le plus proche, le grincement des calames, le lieu de l'établissement sur le Trône et ce par quoi Dieu recouvrit le Lotus de la limite. Tout ceci se trouve autour de la station réservée au serviteur et où il fut établi dans l'absence de l'absence. Ceci est indiqué par Sa parole «[la Mosquée la plus éloignée] autour de laquelle Nous avons mis Notre bénédiction». La bénédiction de la station n'est pas précisée parce qu'elle est indicible du fait de la non-similitude. Cette station est si inaccessible que les hommes en sont arrachés. Si bien que la Mosquée sacrée est pour la Mosquée la plus éloignée comme le Feu pour le Paradis, tandis que «le Paradis est entouré d'épreuves pénibles»75. «Ne voient-ils pas que nous avons établi un territoire sacré sûr, alors qu'autour les hommes sont enlevés»(29: 67), «le Feu est entouré par les passions sensuelles». «Jusqu'à la Mosquée éloignée autour de laquelle Nous avons mis Notre bénédiction»: la face intérieure correspond à une face extérieure et la face extérieure correspond à une face intérieure76. Ce voyage a pour résultat la contemplation de ce dont nous avons parlé: l'absence de l'absence. Parler de cette station serait trop long. Retenons donc notre frein, car cette allusion suffit: «Et Dieu dit la vérité et Il guide sur la voie.»


le voyage de l'épreuve ou le voyage de la chute du haut vers le bas et d'une proximité vers un éloignement en apparence. Il semble être le contraire du voyage précédent et suit pourtant le même cours, même s'il n'a pas la même force.


Dieu – Il est puissant et majestueux – s'adresse ainsi à Adam, à Eve et à ceux qui sont descendus avec eux: «Nous leur dîmes: tombez-en tous» (2: 38). Nous avons déjà parlé du voyage du premier père parmi les entités spirituelles, le père d'Adam et du monde ou réalité essentielle et esprit de Muhammad – que Dieu répande sur lui la grâce et la paix –. Parlons maintenant du voyage du père corporel, le père de Muhammad et de tous les fils d'Adam. Chacun d'eux, Muhammad et Adam sont respectivement père et fils l'un pour l'autre, de ce point de vue.


Sache – Dieu nous assiste tous – que lorsque Dieu – exalté soit-Il – veut produire un événement, Il l'indique par des signes compris par certains, précédant l'événement et appelés prémisses de l'existence créaturelle. En ont conscience les gens doués de pressentiment. Dans l'existence, ces signes surviennent souvent dans le monde sensible, surtout si leur manifestation apparaît comme insolite. On peut craindre alors que ne survienne un fait en correspondance avec ce phénomène, c'est ce que les Arabes appellent le mauvais et le bon augure; ce dernier est ce que l'âme trouve bon, le premier, ce que l'on a en aversion. Aussi le Législateur – sur lui la grâce et la paix – aimait-il le bon augure, telle une bonne parole et détestait que l'on tirât mauvais augure d'une chose. Le bon augure était pour les Arabes un bien, et le mauvais, un mal; «Et Nous vous soumettons à l'épreuve du bien et du mal» (21: 35). Or il n'y a d'autre agent que Dieu, aussi le Prophète détestait-il que l'on augure mal du cours de la prédestination car la prendre en aversion est un manque de respect envers la divinité. Il est préférable de recevoir avec louange, confiance, satisfaction et docilité ce qui ne convient pas à notre intérêt immédiat et de considérer que Dieu a écarté ce qui aurait pû être plus grave. 'Umar b. al-Khattâb – Dieu l'agrée – disait à ce propos: «Dieu – exalté soit-Il – ne m'a atteint d'un malheur sans que j'y vois trois bienfaits : le premier que ce malheur n'ait pas porté atteinte à ma religion; le second, qu'il n'ait pas été plus grave; le troisième, ce qu'il contient de récompense et remise des péchés». Admire la présence de cet homme avec Dieu et son excellente façon de considérer ce qu'Il lui impose comme épreuve.


 Ce cours normal des choses77, nous le connaissons par habitude et expérience, mais il n'en allait pas ainsi pour Adam – sur lui la paix –, sans habitude ni expérience préalable de ce fait. Il ne prit pas garde à la restriction divine lui interdisant de manger du fruit de l'arbre. Le lieu du Paradis n'impose pas la restriction; Adam en effet y mangeait ce qu'il voulait et allait là où il voulait. La restriction étant intervenue dans un lieu ne l'exigeant pas, nous comprenons qu'elle allait produire un effet dont la réalité allait nécessairement se manifester et qu'on allait bientôt descendre du monde de la largeur et du repos vers celui de l'étroitesse et de l'imposition légale. Si Adam l'avait su, il n'aurait pas joui de la félicité pendant son séjour au Paradis. Adam s'attribua à lui-même l'injustice en disant, entre autres: «Seigneur, nous nous sommes fait injustice à nous-même» (7: 23), en ne prenant pas garde à la restriction et à l'interdiction dans le lieu de la libération et de la permission. Pour cette raison il reçut une interdiction et non un ordre positif. Adam portait alors dans ses reins sa postérité, ceux qui allaient contrevenir à la Loi divine comme ceux qui allaient lui obéir. Il fallait le mouvement du premier transgresseur pour que la transgression soit provoquée, mais, une fois qu'Adam eût projeté sa postérité hors de ses reins, on ne sache pas qu'il ait jamais désobéi à son Seigneur. La désobéissance fut attribuée au seul Adam et non à son épouse dans Sa parole: «Et Adam désobéit à son Seigneur» (20: 121), alors que l'interdiction s'adressait à eux deux et qu'ils avaient tous deux commis l'acte, parce qu'Eve étant une part de lui-même, c'est comme s'il n'y avait que lui, et aussi parce qu'Adam était plus prompt qu'Eve à se souvenir de l'Ordre divin, «il oublia» (20: 115) certes, mais combien plus oublieuse que l'homme est la femme.


Pour cette raison deux femmes tiennent lieu d'un seul homme dans le témoignage légal. Dieu – exalté soit-Il – dit: «S'ils ne sont pas deux hommes, que ce soit un homme et deux femmes parmi les témoins que vous agréerez; si l'une se trompe, l'autre lui rappelera la vérité» (2: 282). La femme, en effet, est une moitié issue de l'homme, deux femmes font deux moitiés, donc une constitution complète, équivalant à un homme. Incomplète est sa création et courbe sa constitution, étant une côte, elle dérive de ce mot78. Eve ne se souvint pas au contraire d'Adam – sur lui la paix –.


L'oubli d'Adam – sur lui la paix – n'était dû qu'à l'hostilité d'Iblîs, comme Dieu nous l'apprend. Adam ne pouvait imaginer que quelqu'un prêtât serment par Dieu de façon mensongère. Comme Iblîs avait juré par Dieu qu'il leur donnait à tous deux un conseil sincère, ils prirent du fruit de l'arbre interdit. Il y a là une allusion au fait que l'effort de réflexion personnel ne convient pas quand il existe une indication scripturaire sur une question donnée. L'hostilité d'Iblîs envers Eve est pour elle l'annonce de sa félicité, car si elle avait appartenu au parti de Satan, il n'aurait pas été son ennemi. Le blâme s'attacha à la forme de l'acte non à son auteur – si le blâme s'attachait à ce dernier, nous détesterions ceux qui désobéissent à Dieu. Nous n'avons en aversion que la désobéissance, objet d'aversion si elle est désobéissance à Dieu. Notre aversion ne porte pas non plus sur la cause de la désobéissance, car l'interdiction peut en être abrogée et cette cause redevenir licite, l'aversion cessant alors. Si le blâme s'attachait à la cause, celle-ci serait toujours objet de blâme. En fait ce à quoi le blâme s'attache est une réalité subtile, cachée, relative, très instable et il en est de même de la louange. Comprends donc. Les Mu'tazilites ont pressenti à propos de cette question un secret qui a échappé aux Ash'arites. C'est un secret subtil, excellent; médite-le attentivement, tu trouveras ce qu'ont découvert les Mu'tazilites79.


 Revenons à notre sujet. Lorsqu'advint à Adam et Eve ce qu'il advint, ils tombèrent sur la terre. Il s'agit en apparence d'un voyage en provenance de chez Lui comme celui d'Iblîs. Tandis qu'au cours de son voyage, ce dernier trouva la royauté et le repos qui le conduiront finalement au malheur éternel, Adam éprouva peine, fatigue et imposition légale qui le conduiront à la félicité. L'élévation de son voyage fut d'aller du désir sensuel de son âme vers la connaissance de sa servitude, car le Paradis n'est destiné qu'aux désirs sensuels, comme il est dit: «Vous y trouverez ce que désirent vos âmes» (41: 31).


Dieu compléta son vêtement ici-bas, car il ne possédait au Paradis qu'un seul vêtement, la «plume», et n'avait pas connu le goût du «vêtement de la crainte protectrice», le Paradis, tout entier délice, n'étant pas le lieu de la crainte. La crainte protectrice, supposant le besoin de se protéger, n'a pas de raison d'être au Paradis. Adam – sur lui la paix – ne possédait pas ce vêtement quand survint l'interdiction. Il ne savait pas de quoi se protéger, car la crainte protectrice fait partie des attributs de cette demeure-ci. Quand il descendit du Paradis, le vêtement pour couvrir sa constitution, ainsi que celui de la crainte protectrice lui furent révélés. Il reçut ensuite interdiction, ordre et imposition légale. On ne saurait concevoir après cela de désobéissance de la part d'Adam, grâce à la protection de ce vêtement. La descente vers cette demeure marqua donc l'achèvement de sa constitution et de son rang; le voyage de retour vers le Paradis, la perfection de son rang et de son âme. Ce monde est une demeure d'achèvement et l'autre, de perfection. Il n'y a plus rien à rechercher après la perfection, de même qu'il n'est plus, après la demeure dernière, de demeure.


 Au cours de ce voyage, Adam – sur lui la paix – continua d'acquérir les connaissances qu'il n'aurait pu obtenir sans l'imposition légale. Ce monde constitue en effet pour le serviteur une demeure d'achèvement et d'acquisition des connaissances réflexives. Seul ce monde les lui procure, alors que la constitution du Paradis est toute entière dévoilement. Il commença par acquérir les connaissances du gouvernement de soi-même, de la distinction, du bien, du meilleur, du plus convenable et du plus adéquat et la connaissance de l'ordonnance du monde depuis son commencement. Ceci ne peut se réaliser que dans ce monde à cause de l'épaisseur de notre constitution et des vapeurs qui empêchent en nous le dévoilement. L'homme a donc besoin d'une faculté dont il ne disposerait pas sans l'existence de ces obstacles. Ceux-ci participent de son achèvement. C'est pourquoi Sahl b. 'Abdallah (al-Tustarî) disait: «L'intelligence n'a d'autre fonction chez l'homme que de repousser le pouvoir de son désir sensuel. Si ce dernier l'emporte, l'intelligence reste sans autorité»80. Cette parole de Sahl est confirmée par ce que Dieu – exalté soit-Il – nous fit connaître lors du dévoilement des secrets. Il nous fit voir en nos secrets intimes, par Son inspiration la plus transcendante, que les anges ont été créés «dans» les connaissances ainsi que les minéraux et les végétaux, alors que l'animal a été créé «dans» les connaissances et le désir sensuel. C'est pourquoi, malgré sa connaissance et son inquiétude de l'Heure, l'homme ne renonce pas à son désir sensuel. Il s'inquiète pour son devenir, à cause de ses transgressions. Un maître vit un homme frapper la tête de son âne. Il l'en empêcha, mais l'âne lui dit: – laisse-le! C'est sur sa propre tête qu'il frappe81. L'homme fut créé «dans» les connaissances nécessaires, le désir sensuel et l'intelligence, et c'est par cette dernière qu'il peut repousser le désir sensuel.


Grâce à la désobéissance et son voyage, Adam – sur lui la paix – acquit la connaissance des noms de son Seigneur et des effets produits par eux, ainsi que leur contemplation, tel le Pardonnant et le pardon, qu'il ignorait jusqu'alors. Si Dieu est aussi le Tout-Pardonnant82, c'est à cause de la gravité de sa désobéissance qui – eu à égard à sa station – équivaut à mille désobéissances commises par autre que lui, mais Il reste pour tout autre Tout-pardonnant. Dieu est à la fois Tout-pardonnant pour Adam selon ce qui précède et pardonnant parce qu'il n'a contrevenu qu'une seule fois à Son ordre. Il se peut que sa faute soit due à une interprétation de sa part. De plus, s'il avait oublié l'interdiction, il n'aurait pas été sanctionné. Il n'a donc oublié que ce que nous avons mentionné. Il obtint ainsi l'élection, le repentir, la demande de pardon, l'absolution, la peur et la sécurité qui survient après la peur, car elle procure une jouissance plus grande que lorsqu'elle accompagne un état.


L'un des effets de ce voyage fut la connaissance de la composition, de la croissance et de la dissolution. Adam connut ainsi la constitution de son édifice corporel selon la succession des cycles, contrairement à la formation du Paradis qui s'accomplit en une seule fois pour celui qui peut la voir. Il sut aussi que dans le Paradis on aspire à la jouissance et aux délices; dans ce monde on aspire à l'accroissement et à la recherche de la science. Pour cette raison l'homme connaît ici ce qu'il ne connaît pas là-bas. Ce voyage produit de nombreux effets semblables. Mais les voyages sont nombreux et je crains d'être trop long. Ce voyage adamique comporte des connaissances si nombreuses qu'il faudrait lui consacrer un recueil à part et ainsi en est-il pour tous les voyages que nous avons mentionnés et que nous mentionnerons dans ce livre. Complète donc ce que nous avons tu, en suivant ce dont nous avons déjà parlé, tu seras bien dirigé, si Dieu veut – Il est puissant et majestueux –.


le voyage d'Enoch (Idrîs) – sur lui la paix – ou le voyage de la dignité et de l'élévation en lieu et degré83. 


Dieu – exalté soit-Il – dit: «Et mentionne dans le Livre Enoch; il était très-véridique et prophète et nous l'avons élevé en un haut lieu» (19: 57)84. On dit qu'il fut le premier des fils d'Adam à écrire au moyen du calame85. Le premier influx spirituel du Calame supérieur fut pour lui – sur lui la paix –. Il avait été emmené en voyage nocturne jusqu'au septième ciel; tous les cieux se trouvèrent donc embrassés par lui. 83. Il est impossible de rendre le rapport linguistique entre «lieu» (makân) et «degré» (makâna).


 Sache que Dieu a fait de tous les cieux le réceptacle des sciences cachées relatives aux êtres qu'Il doit faire venir à l'existence dans le monde: substance ou accident, petit ou grand, état ou mutation. Il n'est de ciel où n'ait été déposée une science confiée à son gardien. Dieu a déposé la descente de Son ordre vers la terre dans les mouvements des sphères célestes et dans le passage de leurs astres par les mansions de la huitième sphère. Il a instauré pour les astres de ces sept cieux conjonctions et séparations, montée et descente. Il leur a conféré des influences différentes et provoqué une attirance entre les uns, une répulsion totale entre les autres. Ce qui provoque leur répulsion est le dépôt en l'un du contraire de ce qui est déposé dans l'autre, non qu'ils soient ennemis, mais Dieu ayant créé les habitants des cieux selon des réalités supérieures, elles entraînent inéluctablement ces oppositions. Il a voué ces êtres à l'obéissance et à la glorification de leur Seigneur: «Ils ne désobéissent pas à ce que Dieu leur a ordonné» (66: 6). On rapporte ainsi de Mâlik, le gardien du Feu, qu'il est créé de telle manière qu'il ne rit jamais, au contraire de Ridwân86, créé de joie et de gaieté. Or, ils sont tous deux des serviteurs pieux et obéissants; aucune hostilité ni haine ne les opposent. Toutefois les effets de ces oppositions dans le monde inférieur sont suscités par ces réalités supérieures. La jalousie et l'hostilité interviennent entre nous, pris que nous sommes par nos propres intérêts, mais leur origine remonte à ces mêmes réalités. L'absence de répulsion entre deux êtres en harmonie vient de ce que l'un a été existencié différent de l'autre, mais non comme son contraire; tout contraire est différent, mais tout différent n'est pas contraire. L'intendant87 du septième ciel est en opposition avec celui du sixième, à tel point que lorsque la science de l'ange du sixième ciel doit passer sous l'autorité de l'ange auquel elle est confiée dans le septième ciel, ce dernier corrompt ce qui a été instauré par le premier et réciproquement en passant du septième au sixième ciel. Pourtant ce n'est pas que l'ange corrompe ni qu'il instaure, comme nous disons, c'est qu'il se conforme à l'ordre de son Seigneur et s'acquitte de ce qui lui est confié. Cet ordre est celui que Dieu a inspiré aux cieux comme il le dit Lui-même: «Et Il inspira à chaque ciel son ordre propre» (41: 12)88. 


 En admettant cela, tu dois savoir que ce fait ne porte nullement atteinte au credo; sinon quel sens aurait la parole divine «et les étoiles soumises par Son ordre» (16: 12). Par quoi, ô mon frère, les a-t-Il soumises? Dieu n'a-t-Il pas soumis certains êtres à d'autres et n'a-t-Il pas dit: «Et Il vous a élevés les uns au-dessus des autres par degrés pour que les uns prennent les autres soumis à leur service» (43: 32), «et Il a soumis pour vous ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre» (45: 13)? Dieu dit donc qu'il y a des choses qui nous sont soumises dans le ciel, comme sur la terre. La foi d'un musulman n'est pas mise en cause parce qu'il sait ce qui a été inspiré au ciel comme ordre et ce pour quoi son monde a été soumis. S'il n'en était pas ainsi, on pourrait l'affirmer de tout ce qui est dans le ciel et la terre. Or, à chaque moment nous avons recours aux causes que Dieu a mises en place pour nous et qu'Il nous a fait connaître comme soumises et non agentes. Nous nous réfugions en Dieu «et je ne Lui associe rien» (72: 20). Le Législateur n'a déclaré mécréant que celui qui croit que l'acte revient aux astres et non à Dieu ou qu'Il agit par leur intermédiaire; croire cela est mécréance et associationnisme, mais non pas considérer qu'ils sont soumis et qu'ils suivent le cours que leur a assigné la sagesse divine. Bien plus, ignorer ce que Dieu a déposé dans les astres, ce qu'Il leur a inspiré et ce qu'Il a placé en eux comme effets de Sa sagesse, c'est laisser échapper abondance de bien et grande science. Et «qu'y a-t-il après la vérité si ce n'est l'erreur ?» (10: 32). 


Enoch – sur lui la paix – sut par la science que Dieu lui avait inspirée que Dieu avait lié entre elles toutes les parties du monde et soumis certains êtres à d'autres. Il vit que le monde des éléments est réservé aux êtres engendrés. Il considéra les conjonctions et les séparations des astres dans les mansions célestes, les différences entre les êtres et les mouvements des sphères, les uns rapides, les autres lents. Il sut qu'en réglant sa marche et son voyage sur le mouvement lent, il faisait entrer le mouvement rapide sous l'autorité de ce dernier, car le mouvement est circulaire, non rectiligne, et le cycle d'un être petit et rapide doit nécessairement revenir à celui qui est lent. Il apprit ainsi, en côtoyant celui qui avance avec pondération, la raison d'être de celui qui va vite89. Comme Enoch ne vit tout cela que dans le septième ciel, il y resta trente ans à suivre sa rotation à travers la sphère des constellations du zodiaque. Il se tenait au centre de la rotation exercée par l'intendant de ce ciel, ainsi que dans la sphère portant la sphère de la rotation et dans la sphère portant les sphères des rotations, celle que parcourt la sphère des signes du zodiaque. Ayant eu la vision de ce que Dieu avait inspiré dans le ciel ainsi que des astres près d'entrer en conjonction avec le signe du cancer, il sut que Dieu allait inéluctablement faire descendre une quantité d'eau immense et un déluge général. Grâce à ce qu'il avait réalisé comme science en parcourant les degrés de cette sphère, il reçut une science à la fois totale et distinctive. 89. Sur les mouvements lents et rapides des sphères, voir également Futûhât III 417 chap. 371.


 Puis il redescendit, et choisit parmi les adeptes de sa religion et de sa loi, ceux chez qui il avait reconnu sagacité et pénétration. Il leur enseigna ce qu'il avait contemplé et ce que Dieu a déposé comme secrets dans ce monde supérieur. Parmi ce dont la connaissance a été déposé dans les cieux, un immense déluge, l'anéantissement des hommes et l'oubli de la science. Voulant que cette science perdure pour ceux qui viendraient après, il ordonna qu'on l'inscrivît sur les rochers et les pierres. Par la suite, Dieu l'éleva dans le haut lieu. Il descendit dans la sphère du soleil, la quatrième, au centre des sphères célestes correspondant au cœur, car au-dessus se trouvent cinq régions et de même au-dessous. Dieu lui octroya au cours de ce voyage par lequel Il l'éleva vers Lui, la station de pôle et la constance. Il fit tourner toute chose autour de lui. Auprès de lui se réunit ce qui monte et ce qui descend. Ce voyage produisit pour lui comme effet, la science du temps et des siècles et de ce qui doit advenir, or la science du temps est l'une des connaissance infuses les plus sublimes. Un autre de ses effets fut la connaissance de la réalité spirituelle de la nuit et du jour et de ce qui y trouve repos90. 


Celui qui, comme Enoch, voyage vers le monde de son cœur, voit le monde angélique le plus grandiose et à lui se manifeste la théophanie du monde suprême de la Toute-Puissance. Il aperçoit aussi le secret de la vie, esprit par lequel elle se propage dans tous les animaux. Il fait la différence entre l'esprit de beaucoup et l'esprit de peu, rend à chacun son dû, a connaissance des degrés de ses propres âmes inférieures et de ses esprits supérieurs, de la façon dont les conséquences jaillissent des principes et comment les conséquences retournent à leurs principes, ainsi que la forme de l'univers et la sagesse divine qui préside au cycle et autres connaissances semblables. Ceci suffit pour le voyage d'Enoch – sur lui la paix –.


 le voyage du salut ou le voyage de Noé – sur lui la paix –. 


Noé – sur lui la paix – sut qu'approchait le temps de la conjonction astrale que Dieu dans Sa sagesse avait déterminée et provoquée91. Il vit qu'elle se produirait dans le signe du cancer dont l'élément est l'eau. C'est dans ce signe changeant et instable que Dieu a créé le monde d'ici-bas. Quand on entra dans ce signe et que l'ascendant de ce monde coïncida avec lui, Dieu voulut par son anéantissement et sa permutation vers la demeure dernière, lui conférer un ascendant semblable et stable, le lion. Telle est la sagesse d'un être omniscient !


Noé – sur lui la paix – se mit à construire l'arche. Le signe de sa prophétie ne résidait ni dans cette conjonction ni dans le Déluge, car certains savants parmi ses compagnons pouvaient en avoir eu la science et la partager avec lui. Il reçut donc le Four (al-Tannûr)92 comme signe. S'il avait annoncé cette conjonction, il se serait agi d'une science et non d'un miracle prophétique. C'est pourquoi son peuple se moqua de lui et sans doute aussi les astronomes de son époque. Il advint ensuite ce que l'on sait et son fils resta en arrière car il se rendit coupable d'une œuvre impie «et il fut parmi les noyés» (11: 43).


Noé emmena ses compagnons en voyage. Il fit entrer dans l'Arche «un couple de chaque espèce» (11: 40) et dit: «Embarquez ! Au nom de Dieu est sa course et son ancrage; certes mon Seigneur est très-pardonnant très-miséricordieux» (11: 41), quand le Four se mit à bouillonner et que les nuées grosses de pluie mirent bas leur fardeau. Dans cet anéantissement, les deux eaux furent réunies: celle de la terre et celle du ciel. Dans sa course, l'Arche portait Noé et les siens «à travers des vagues comme des montagnes». Noé appela: «Ô mon fils, monte avec nous!» (11: 42) et le fils de répondre: «Je me réfugierai sur une montagne qui me protégera de l'eau», et Noé – sur lui la paix – de répliquer: «Rien ne protège aujourd'hui contre l'ordre de Dieu si ce n'est ceux à qui Il a fait miséricorde» (11: 43), c'est-à-dire les passagers de l'Arche. L'invocation prononcée auparavant par Noé, «ne laisse pas sur la terre le moindre des incroyants» (71: 26), avait été exaucée. Ceux qui s'étaient réfugiés sur la montagne et tous ceux qui n'étaient pas dans l'Arche se noyèrent. Alors du non-manifesté se fit entendre l'appel du Soi. En effet, Celui qui lança l'appel ne se mentionna pas Lui-même et n'usa pas directement du vocatif93. La terre engloutit son eau, le ciel s'arrêta et l'eau diminua. L'Arche du salut s'établit sur le mont Jûdî, allusion à la générosité (jûd) divine. Depuis cette station fut prononcée cette parole: «Banni soit le peuple des injustes !» (11: 44), ceux qui s'étaient moqués. 



Sache, ô secret subtil établi par Dieu à un rang analogue à celui de Son prophète Noé – sur lui la paix –, que Dieu – Il est puissant et majestueux – a achevé ton arche et l'a façonnée de Ses Mains par Son inspiration. Quand Dieu inspirait l'Arche, celle-ci se trouvait «par Son œil», autrement dit conservée en Dieu qui la faisait voir à Noé94. Dieu dit, s'adressant à ce secret: qui es-tu pour que Dieu accomplisse vers toi une telle descente, depuis la station du Moi divin de surcroît? Ton âme ordonnant le mal, ton satan, ton monde d'ici-bas, ta passion ne cessent ensuite de se moquer de toi tant que tu édifies cette arche qui est la constitution du salut. Le four, le réceptacle du feu à ton côté dit: de là sortira l'eau. Eux, convaincus qu'une chose ne peut en aucune façon se transformer en son opposé, se sont moqués et ont dit à Noé: tu n'es qu'un niais. Ils n'ont pas fait la différence entre le réceptacle du feu et l'eau par ignorance de la substance et des formes du monde. S'ils avaient su que le feu est une forme dans cette substance tout comme l'eau, ils ne se seraient pas moqués. S'imaginant que l'eau et le feu sont tous deux une substance distincte s'opposant ensuite l'une à l'autre, ils trouvèrent absurdes les paroles de Noé et se moquèrent de lui. Toi qui t'occupes à édifier ton arche, l'arche du salut, et te prépares à recevoir, sur l'ordre de Dieu, Son Commandement qui est une manifestation du Moi, réponds aux moqueurs que s'ils périssent dans une chose, ils lui seront voués sans pouvoir jamais en sortir. Embarque dans ton arche par le bâ' qui est le nom d'Allâh, redresse l'alif de la réalisation de l'unité entre le bâ' et le sîn de bismi 95. Tu ne verras pas ici le Tout-Miséricordieux le Très-Miséricordieux, car Nous restons en arrière de ton arche. Sa course s'accomplit par le bâ', particule d'abaissement, ainsi que son ancrage au rivage de la générosité divine. Par la générosité (jûd) est apparue l'existence (wujûd), et sur le mont Jûdî s'est manifesté ce que contenait l'Arche. Fais sortir de ton arche «un couple de chaque espèce» pour l'engendrement et la procréation, car tu es le produit de la multiplication du monde supérieur par le monde inférieur, toi et tous les êtres engendrés. La présence du couple est indispensable dans ce voyage d'anéantissement. 93. Allusion au verset, simplement évoqué : « Et il fut dit : ô terre, engloutis ton eau ; ô ciel, arrête-toi et l'eau décrût...».




L'eau symbolise la science, la vie provenant de l'une sur le plan sensible, de l'autre sur le plan spirituel. Aussi périrent-ils par l'eau pour avoir refusé la science. L'eau provenait du Four parce que c'est en cette eau qu'ils avaient mécru, rejetant la science que Noé leur avait transmise de vive voix par la langue du four de son corps. Ils ne surent pas qu'il traduisait ainsi la signification du Four, qui est la lumière absolue. L'eau du Four voila pour eux le four (tannûr), et ils ne comprirent pas qu'il s'agissait de la lumière (nûr) à laquelle s'était ajouté le tâ' de l'achèvement (tamâm) de la constitution humaine par l'existence du corps. La lumière devint «four», c'est-à-dire une lumière accomplie dans le monde du Royaume, la lumière du tâ' et son lieu de manifestation. 



L'ignorance les conduisit également à déclarer absurde la transmutation. S'ils avaient regardé le Four, ils l'auraient considéré comme la source de l'eau. Il n'y a d'opposition sous aucun rapport entre l'un et l'autre, car le froid embrasse [les autres états de la matière]. Ils ignorèrent le secret de Dieu dans la nature et le secret de Dieu dans le rôle privilégié du Four, et ils périrent. Tous ceux à qui Noé avaient adressé la parole ne périrent que par l'eau du Four, car ils n'avaient rien refusé d'autre. Le reste du monde périt à la fois par l'eau du Four et par celle du ciel. Cette dernière est celle de la roue à godets qui recueille l'eau distillée dans l'alambic du froid glacial et retournée à son origine. Dieu – Il est puissant et majestueux – fait périr par le feu, mais ici, à cause de l'intervention de la mission prophétique, le feu fut introduit dans l'eau, car «la jambe n'a pas encore été découverte»96. Le feu fit sortir les humidités et les vapeurs et commença de s'élever en redevenant de la vapeur. Il se mit à exercer dans l'air la même action que la roue de la noria quand elle fait monter l'eau du puits. Il continua à s'élever jusqu'à atteindre le cercle du froid glacial et retomba en goutte de pluie par «la détermination du Tout-Puissant le Très-Sage». Les cercles de la détermination ne cessent de tourner dans la sphère de la formation des êtres dans ce monde et dans l'autre.


Un des effets de ce voyage est de faire connaître que la Sagesse divine97 peut s'interrompre, alors que la Toute-Puissance continue de s'exercer sur le couple pour la reproduction; que la sagesse divine, si elle n'est pas d'ordre supérieur, n'est pas authentique; que de la Générosité dépend le salut. Ne vois-tu pas que Moïse – sur lui la paix – lorsqu'il invoqua Dieu pour qu'Il fasse périr son peuple, Lui demanda de lui infliger l'avarice. Devenus avares, ils coururent à leur perte. Il apparut aussi que la Parole divine s'oriente nécessairement vers chaque être dans le monde; tantôt à partir du non-manifesté du non-manifesté, s'il s'agit de la voix où l'agent n'est pas nommé98: «Sera amenée ce jour-là la Géhenne (89: 23) ou «il fut dit: bannis... et il fut dit: ô terre absorbe ton eau» (11: 44); tantôt par le Nous: «Lorsque Nous dîmes...»; tantôt par la Divinité: «Dieu dit»; tantôt encore par la Seigneurie: «Ton Seigneur dit...». Toute parole dépend du nom qui lui est attaché.


Celui qui accomplira le voyage de Noé connaîtra certaines des sciences relatives au monde intermédiaire et créaturel. C'est au cours de ce voyage que l'on apprend le Grand Œuvre. C'est pourquoi ce dernier s'achève par la Générosité qui est sa raison d'être. En voici assez sur le voyage de Noé; dire son secret serait trop long.


 le voyage de la guidance ou le voyage d'Abraham, l'Ami intime – sur lui la paix –.


«Je vais vers mon Seigneur; Il me guidera» (37: 99). Dieu lui offrit comme hospitalité la rançon de son fils, quand il descendit chez Lui. La jouissance grandit en effet à la mesure de l'amertume de la peine. Après avoir reçu la bonne nouvelle que sa prière avait été exaucée: «Seigneur, fais-moi don d'un enfant d'entre les saints!» (37: 100), l'objet de cette nouvelle fut une source d'épreuve pour lui, car il avait demandé à Dieu autre chose que Lui. Dieu est jaloux et Il éprouva Abraham en lui demandant le sacrifice de son fils, ce qui était encore plus terrible que de lui demander le sacrifice de son âme, qui ne lui opposait d'autre adversaire qu'elle-même, et que par la moindre des pensées il pouvait repousser sans avoir beaucoup à combattre. Tandis que dans l'épreuve du sacrifice de son fils, le grand nombre de ses adversaires lui imposaient un combat d'autant plus fort. Il fut donc éprouvé par le sacrifice de ce qu'il avait demandé à son Seigneur, réalisa l'origine de cette épreuve et, sous la loi de l'événement, ce fut comme si, bien que toujours vivant, il avait lui-même été sacrifié. C'est alors que lui fut annoncé Isaac – sur lui la paix – sans demande de sa part. Il reçut tout à la fois rançon et substitution, tout en gardant celui auquel Isaac avait été substitué et réunit acquisition et don. Le sacrifice est une œuvre acquise par Abraham du fait de Sa demande, et donnée de par la rançon qu'il n'avait pas demandée. Isaac fut donné et Ismaël réunit en lui les aspects d'acquisition et de don. Il fut pour son père à la fois acquis et donné. La perfection de sa réalité essentielle lui valut de porter dans ses reins Muhammad – que Dieu répande sur lui la grâce et la paix – ou plutôt c'est parce que Muhammad se trouvait dans ses reins, qu'Ismaël bénéficia de cette perfection et de cet accomplissement. C'est pourquoi dans notre loi les bêtes sacrifiées sont pour nous une rançon qui nous délivre du feu.


Celui qui cherche à accomplir ce voyage de la guidance accordée par Dieu, qu'il réalise pleinement le monde de son imagination, où les réalités supérieures doivent descendre sur lui. La difficulté de cette étape vient de ce qu'elle est un lieu de passage, non recherché pour lui-même, mais pour ce qui doit s'y accomplir. Ne franchit cette étape que l'homme véritable. On appelle interprétation du songe (ta'bîr al-ru'yâ) «l'action de passer» ('ibâra) car l'explication passe du songe à sa signification. Le Prophète ­ que Dieu répande sur lui la grâce et la paix ­ passa ainsi du lien à la fermeté dans la religion et du lait à la science99. Une fois arrivé, on trouve. Si l'Ami intime de Dieu ­ sur la paix ­ était passé de son fils au bélier, il aurait vu la rançon avant son occurrence et il se serait conformé à l'ordre divin le cœur serein, ayant connaissance de l'aboutissement final100. Mais la demande à son Seigneur autre que son Seigneur le plongea dans une obscurité qui l'empêcha de franchir ce «passage», car il est impossible de passer dans l'obscurité, on ne sait où poser le pied. Il n'aurait pas connu alors une telle jouissance ni une grâce divine aussi visible. La rançon fut le bélier, maison zodiacale de la haute noblesse101 du centre et esprit du monde, la plus noble et la plus élevée des maisons zodiacales. Le bélier fut le substitut du corps d'Ismaël non de son esprit, car le corps et la maison ont ceci en commun: le sacrifice n'affecte que le corps, et la destruction et la ruine ne touchent que les maisons. 


 Quand l'homme voyage dans le monde de son imagination, il doit le dépasser pour arriver à celui des réalité supérieures. Il voit alors les choses telles qu'elles sont et reçoit le don absolu qui n'est conditionné par aucune œuvre d'acquisition; il tire sa nourriture «d'au-dessus de lui» alors qu'auparavant il la tirait «de dessous ses pieds»102. Le don divin procure la permanence en Dieu au contraire de la contemplation103. Il est donc écrasement (sahq)104 et non effacement (mahq)105. Celui qui est écrasé voit séparées toutes les parties de lui-même. Son éloignement est donc encore plus grand que l'état d'effacement. Si Abraham n'avait commencé sa prière en disant: «Fais-moi don d'un enfant d'entre les saints!», il aurait reçu comme bonne nouvelle une contemplation, non Isaac. Isaac écrasa (ashaqa Ishâq) celui qui demandait une créature, en l'éloignant de l'effacement de son être. Cette bonne nouvelle faisait donc allusion à la station de l'éloignement impossible. En effet, les choses divines descendent selon la prédisposition du réceptacle, qui était ici insuffisamment dépouillé et tourné vers Lui. Comment lui ferait-Il don de l'être106, alors qu'il ne pourrait le recevoir? Le Donateur est très-Savant et très-Sage; l'instant est juge et le fils procède du monde du partage ('alam al-tabdîd)107. 102. Cf. Coran 5 : 66 : « S'il s'en tenaient de façon droite à la Torah, à l'Evangile et à ce qui leur a été révélé, ils mangeraient d'au-dessus d'eux et de dessous leurs pieds ...»; allusion, selon Ibn 'Arabî, aux sciences inspirées et aux sciences acquises par les œuvres. Cf. Futûhât II 488 chap. 206, 594-5 chap. 276, III 439 chap. 371.



le voyage oÙ l'on avance sans se retourner ou voyage de Loth vers Abraham, l'Ami intime – sur lui la paix – et sa réunion avec lui dans la Certitude.108



La tradition rapportée à ce sujet est connue et conservée par les savants. Mais nous devons en rechercher l'esprit dans la transposition de son sens.


Sache que le nom même de Loth (Lût) est un nom noble et plein de majesté, car il confère l'attachement à la Présence divine109, qui lui fait dire: «...ou si je pouvais me réfugier vers un soutien solide» (11: 80). Par le «soutien» il entendait la tribu. On ne peut passer en effet d'un soutien divin à un soutien créaturel. L'Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – lui en rendit témoignage en ces termes: «Dieu fasse miséricorde à mon frère Loth, il se réfugiait vers un soutien solide»110. Combien sont excellents le témoin et celui pour qui il témoigna ! Parce qu'il s'appuyait sur Dieu et adhérait à Lui dans la science divine, il fut appelé Lût et ne fut relié à aucun autre que Dieu. Il lui accorda le voyage de nuit (surâ)111, voyage dans le non-manifesté, parce que ce terme ne s'emploie que pour la marche de nuit. Il lui fut dit: «... Emmène de nuit les tiens...», ce qui signifie par transposition de sens, mais non du point de vue de l'exégèse: la totalité de ton essence afin de contempler toutes les réalités «...sauf ta femme...» (11: 81): nous transposons en nous: l'ordre d'abandonner l'âme commandant le mal, laquelle ne prend pas part aux ascensions supérieures du cœur. Il se rendit à al-Yaqîn («la Certitude»), lieu connu sous ce nom. Abraham l'y attendait, car il y séjournait. C'est pourquoi le Prophète – sur lui la grâce et la paix – dit: «Nous avons plus de raison de douter qu'Abraham»112, sachant qu'Abraham se tenait dans la Certitude. Le prophète Loth gagna cette station. À l'aube, la certitude lui vint, car le lever du soleil et le dévoilement des choses visibles après leur occultation procurent la certitude sans le moindre doute.


108. Yaqîn ou Yâqîn, localité sur la route entre Jérusalem et Hébron où s'était réfugié Loth après sa fuite de Sodome. Voyant le châtiment tomber sur les villes maudites, il se prosterna en disant : « J'ai la certitude que la promesse de Dieu est vérité ». Un oratoire avait été édifié à cet emplacement, signalé par Harawî, Guide des lieux de pélerinage, texte arabe, Damas, 1953, pp. 29-30. Ibn 'Arabî le visita en 602 H. et composa à l'emplacement même de la prosternation de Loth le Kitâb al-yaqîn, un opuscule sur la notion coranique de certitude, en rapport notamment avec certains passages concernant Abraham. M. Michel Chodkiewicz m'a aimablement communiqué une copie d'un des manuscrits d'Istanbul : Yahya Efendi 2415 f. 121b-125. Cf. O. Yahya, Histoire et classification de l'Œuvre d'Ibn 'Arabî, Damas, 1964, n° 834.



Voici un exemple de la part que nous pouvons prendre au voyage de Loth et de même pour tout voyage dont je traite ici. Je n'en parle qu'en visant ma propre essence et non l'exégèse de l'histoire survenue à ces prophètes. Ces voyages sont des ponts et des passerelles édifiés pour que nous passions dessus vers nos essences et nos propres états. Nous y trouvons notre profit, car Dieu en a fait pour nous un lieu de passage. «Nous te contons, parmi les histoires des envoyés, de quoi affermir ton cœur; à travers ces histoires est venue à toi la Vérité et un rappel pour les croyants» (11: 120). Quelle pertinence dans la parole divine «en elles t'est venue la Vérité» et dans «un rappel» de ce qui est en toi et chez toi et que tu as oublié; ce que Je t'ai conté te rappelle ce qui est en toi et ce sur quoi J'ai appelé ton attention. Tu sauras alors que tu es toute chose, en toute chose, de toute chose. 



Quant à moi si je suis de toute chose,


je suis avec le Vrai en toute chose.


Je suis une ombre par Lui manifestée


Si je suis une ombre, je suis une ombre qui s'étend113


Ma chute et ma montée vers Lui sont identiques


sous le plus heureux des astres pour tout être vivant.


Ma direction l'emporte sur toute direction,


et mon égarement sur tout égarement.


De même qu'Il est avec tout mort ou vivant,


Il est en toute chose déploiement ou repliement.






«Et Dieu dit la vérité et Il guide sur la voie.»



le voyage de la ruse et de l'épreuve dans l'histoire de Jacob et de Joseph – sur eux deux la paix –. 



Sache que lorsque Dieu honore un serviteur, Il l'emmène en voyage dans la servitude. Il dit – Il est puissant et majestueux –: «Gloire à Celui qui a fait voyager de nuit Son serviteur», en l'appelant du plus noble des noms, selon Lui, parce qu'un serviteur ne peut s'embellir d'une parure plus belle et plus somptueuse que l'excellence de sa servitude. La Seigneurie ne revêt en effet de Ses ornements que ceux qui ont pleinement réalisé la station de la servitude absolue.


O toi qui ressembles à Joseph dans sa beauté,


tiens compte aussi de celui qui ressemble à Jacob.


Sa patience pour endurer votre éloignement


dépasse celle de Job.


N'était notre imperfection, nous nous dirions satisfaits,


mais là n'est pas ce que je recherche.


Ce que je lui demande, c'est ce qu'il


sait; tel est mon désir.


Ce qui me sépare de ce que je


lui demande, c'est l'union avec mon bien-Aimé.




Sache que celui qui a pleinement réalisé la station de la servitude absolue est exposé à l'épreuve. De plus, dans ce séjour terrestre, personne ne peut jouir d'une dignité ni d'un repos parfaits. Joseph – sur lui la paix –, ayant reçu la dignité de la beauté, fut éprouvé par l'humiliation de l'esclavage. Malgré cette beauté supérieure et irrésistible, il fut vendu «pour un vil prix, pour le compte de quelques dirhems» (12: 20) de trois à dix114, sans plus, expression extrême de l'humiliation face à l'extrême dignité de la beauté.


Dieu ôta la miséricorde du cœur de ses frères, alors que la beauté est toujours, et sous tout rapport, objet de miséricorde. Cela montre que les créatures ne détiennent de l'ordre divin que la capacité d'agir sous Sa contrainte. Par cette humiliation immense s'effaça la dignité de cette beauté contingente. Joseph garda dès lors au cours de son voyage l'âme sereine, rendu digne par la dignité divine. L'histoire est connue et ce n'est pas notre propos de l'évoquer dans son monde propre. Il est utile par contre de la mentionner dans notre monde, je veux dire le monde humain du point de vue de l'âme.




 Sache que lorsque Dieu – exalté soit-Il – voulut que l'âme croyante voyageât vers Lui, Il la racheta à ses frères, qui sont l'âme ordonnant le mal et l'âme se blâmant elle-même, «pour un vil prix»: les contingences de la vie immédiate. Il la sépara de son père, l'intellect, qui resta attristé, pleurant sans cesse. En effet, l'inspiration divine et le soutien seigneurial que recevait l'intellect n'étaient destinés qu'à cette âme. C'est grâce à elle qu'il se récréait dans la Présence divine. Séparé d'elle, il ne cessa de pleurer jusqu'à en perdre la vue. Sans être aveugle de naissance, quand l'obscurité s'épaissit et voile les choses visibles, on devient aveugle, même si la vue subsiste et permet de voir l'obscurité. La tristesse est un feu et le feu donnant de la clarté, il fut dit de Jacob: «Et ses yeux blanchirent de tristesse» (12: 84), parce que la blancheur, couleur corporelle, correspond à la clarté, lumière spirituelle. 


 Quand il fut vendu et acquis par son maître, il fut dit à la femme qui représente l'Âme universelle: «reçois-le généreusement» (12: 21). Par générosité envers lui, elle se donna à lui. Quand les âmes particulières le virent extérieur à elles-mêmes, elles s'exclamèrent: «Ce n'est pas un être humain; ce ne peut être qu'un ange noble!» (12: 31), car elles l'avaient vu se sanctifier en se tenant à l'écart des désirs physiques. Ceci prouve son impeccabilité qui l'empêcha de penser à commettre le mal, car l'ange n'est en aucune manière porté au mal. Aussi l'Âme universelle les corrigea-t-elle en disant: «Il s'est montré impeccable et s'il ne fait pas ce que je lui commande, il sera mis en prison» (12: 32). Lorsqu'«il voulut aller vers elle» (12: 24) pour s'emparer, sans en avoir reçu l'ordre divin, des réalités supérieures que Dieu avait déposées en elle, Il fut jaloux de ce que Son serviteur agisse sans Son ordre. Il lui fit apparaître dans son secret intime «la preuve évidente» de sa servitude. Joseph s'en souvint et se retint d'agir sans l'ordre de son maître. L'Âme l'enferma alors dans la prison de son édifice corporel. Il ne cessa d'implorer intérieurement son Seigneur par la servitude absolue, si bien que l'Âme finit par reconnaître que c'était elle qui l'avait appelé, non lui et le maître confirma son innocence et sa fidélité. Or, s'il avait pensé à mal, il n'aurait pas été fidèle, et s'il avait commis la faute, il n'aurait pas été innocent. C'est pourquoi Dieu dit: «Afin que Nous écartions de lui le mal et la turpitude» (12: 24). Penser à mal est un mal. Comme il en était préservé, il ne pouvait y penser. La royauté et la maîtrise dont Dieu l'investit succédèrent pour lui à la servitude créaturelle extérieure.


 Puis la région de l'Intellect, qui est le père, connut la sécheresse. Celui-ci entendit parler de l'opulence qui régnait dans la ville de son fils. Mais étant aveugle, il ignorait que ce fût son fils. Joseph lui dépêcha le lien de parenté maintenu115 pour lui rendre ce qui lui avait été confié. Il lui envoya la chemise qui gardait son odeur. Lorsque Jacob, aveugle, en respira l'odeur et la jeta sur son visage, il la vit. Il se mit en route vers Joseph de sa propre initiative et voyagea en toute dignité, à l'inverse de l'humiliation de son fils. Quand il entra en présence de Joseph, il se prosterna, parce que ce dernier était alors le maître qui lui donne de la part de Dieu ce qui maintient son essence et réjouit son existence. 


Il apparaît donc clairement ici que l'âme est représentée par Joseph sous divers aspects. L'un d'eux est ce que nous avons dit de la vente et de l'achat116. Un autre est le verset: «Seigneur, Tu m'as accordé un royaume...» (12: 101), dans le royaume se trouvent l'obéissant et le rebelle, l'approbateur et l'opposant, comme il est dit de l'âme: «Il lui inspira sa prévarication et sa crainte pieuse» (91: 8). Un autre aspect encore est sa parole: «Tu m'as enseigné l'interprétation des songes...» et «Voici l'interprétation de ma vision auparavant...» (12: 101 et 100). La vision provient du monde de l'imagination qui est le monde intermédiaire entre celui de l'intellect et celui des sens. De même l'âme, intermédiaire entre le monde de l'intellect et celui des sens emprunte tantôt à l'un tantôt à l'autre. Ainsi l'âme (Joseph) fut-elle livrée à la femme, parce que la féminité l'emportait en elle, même si elle n'était pas réellement du genre féminin, et ceci malgré la beauté de Joseph. Si le caractère masculin117 l'avait emporté, elle n'aurait pas été livrée à l'âme118. C'est en effet l'amour et la miséricorde qui attirent l'homme vers la femme et la femme vers l'homme, au contraire de la femme vers la femme et l'homme vers l'homme. Entre deux êtres identiques l'amour ne se maintient pas. N'était la ressemblance avec les femmes qui se manifeste chez les jeunes garçons, personne n'aurait de penchant pour eux. Ce penchant se porte en réalité vers la femme, qu'elle soit réelle ou semblable. Aussi dès que le visage du jeune homme se couvre de duvet et que pointe sa moustache, s'en vont l'amour et la miséricorde qui provoquaient l'attirance vers lui. On a dit à ce sujet:


On dit que le duvet est l'aile de l'amour;


quand il pousse, l'amour s'envole de son nid.


Ce vers m'a été récité par son auteur, le secrétaire, le lettré Abû 'Amr b. Mahîb, à Séville. Il le composa au sujet de Hamû b. Ibrâhîm b. Abî Bakr al-Mîrghî, l'un des plus beaux jeunes gens de son temps. Abû 'Amr l'aperçut chez nous en visite. Son duvet commençait à poindre. Je dis à Abû 'Amr: Ne vois-tu pas ce beau visage ? Il composa alors ces vers:




On dit que le duvet est l'aile de l'amour;


quand il pousse, l'amour s'envole de son nid.


Mais il n'en est pas ainsi. Dis-leur


pour nous excuser moi ou lui.


Quand la joue d'un visage l'a rendu parfait,


cela finit par : malheur à toi ! voici son poil !






On dit aussi que l'on voit sur le visage des jeunes garçons les clins d'œil des houris119. Ô âme fortifiée, prends garde durant ton voyage à ne pas te laisser distraire de ce que tu dois à ton Maître comme observance de Ses limites et du respect de ce qu'Il a rendu sacré. Si tu te conformes à cela, Il t'entourera alors de Sa protection sacrée et te fera don de Son bienfait.


le voyage du temps fixé par Dieu ou le voyage de Moïse – sur lui la paix –. 


Dieu – Il est puissant et majestueux – dit: «Et lorsque Moïse vint au temps fixé par Nous...» (7: 143).




Plus violent que jamais se fera le désir,


lorsque les demeures se rapprocheront des demeures.




Sache que le serviteur, s'il est réellement un serviteur, observe vis-à-vis de la Dignité divine dominicale toutes les convenances et le service qu'Elle exige. Il se tient toujours avec Lui sur le pied de la circonspection et de la surveillance de ses propres souffles sachant qu'«Il connaît le secret et ce qui est encore plus caché» (20: 7). Il ne convoite absolument rien de Sa part et reste inerte sans qu'aucun mouvement ne le fasse sortir du lieu de sa servitude, sans qu'aucun désir ne lui fasse espérer le moindre présent de son Maître et encore moins de s'asseoir en Sa présence, de converser avec Lui ou de s'entretenir la nuit avec Lui. Toutefois le désir est caché dans la nature originelle du serviteur tout comme le feu dans la pierre.




Le feu dans les pierres est caché


il ne s'allume pas tant que ne le fait pas jaillir le briquet.




Le désir ne se manifeste que sous l'effet d'une chose qui lui est étrangère et s'ajoute à son essence. Si le Maître promet à Son serviteur de converser avec Lui ou de l'asseoir en Sa présence, le désir caché entre ses côtes s'enflamme. Il soupire après la promesse de son Seigneur, mais sans savoir quand elle le surprendra, car elle n'est liée ni par une limite ni par un terme. Si la promesse est fixée en un temps donné, le désir s'excite et entre dans une ardeur extrême à l'expiration du délai. La hâte s'empare du serviteur, comme il est dit: «Qu'est-ce qui t'a fait te hâter et laisser ton peuple, ô Moïse?». Il répondit en guise d'excuse: «Je me suis hâté vers toi, Seigneur, pour que Tu sois satisfait» (20: 83 et 84).




 Les temps fixés sont des termes et leur statut est celui des termes, tel que tu as pu l'entendre dans Sa parole: «Puis Il décréta un terme et un terme nommé se trouve auprès de Lui» (6: 2). Dieu dit: «Et Nous promîmes à Moïse trente nuits», ceci est un temps fixé, puis Il ajouta: «et Nous les complétâmes par dix autres; alors le temps fixé par son Seigneur fut accompli en quarante nuits» (7: 142). Nocturne, le temps fixé était donc non manifesté, la raison pour laquelle il avait été fixé étant elle-même non manifestée; ce qui est signifié correspondant toujours au signifiant. La période fut d'abord fixée à trente pour ne pas l'effrayer dès l'abord par quarante120. Ces quatre dizaines font allusion en effet à la consommation de sa forme corporelle quadriennaire, ce qui l'aurait grandement affligé. N'objecte pas: quel rapport entre quatre et quarante? Sache que cette forme corporelle repose sur les quatre principes complexes ou les quarante dont les quatre principes sont le fondement. De même la forme corporelle ne repose pas sur les quatre principes simples: la chaleur, le froid, la sécheresse et l'humidité, mais sur les quatre éléments complexes: l'atrabile, la bile, le flegme et le sang, chacun composé de chaleur et de sécheresse comme la bile, de chaleur et d'humidité comme le sang, de froid et de sécheresse comme l'atrabile, de froid et d'humidité comme le flegme. 


 La promesse nommée «quarante» se trouvait «auprès de Lui». Les «trente» sont mentionnés pour la raison susdite et les «quarante» signifient ce qui vient d'être dit ou son équivalent. Ce qui survient après ce temps fixé ne laisse chez le serviteur aucune trace du serviteur. Si c'est une conversation, le serviteur devient tout entier oreille; si c'est une contemplation, il devient tout entier œil. Il n'est plus soumis au statut exigé par son essence, bien que son essence l'exige, mais non pour elle-même. Moïse n'ayant pas encore goûté cette station ni contemplé cet état, cette promesse lui semblait nécessairement lointaine. On a dit au sujet de cet état: 






Lorsqu'Il m'apparaît dans sa théophanie,


[mon être tout entier devient regard;


s'Il m'appelle, mon être tout entier devient ouïe.




 Quand Moïse eut accompli les trente nuits ou premier temps fixé, Dieu provoqua en lui le désir de se purifier pour manifester l'achèvement de ce temps. Il se purifia la bouche au moyen du siwâk121 et paracheva ainsi ce temps, sans que pour autant l'achèvement n'apparaisse comme une sanction pour sa tristesse. Il pensait que Dieu lui accorderait après ces dix nuits une autre promesse. S'y étant déjà préparé au moyen de la purification de la bouche122, il se réfugia dans la prudence et n'accomplit plus aucun mouvement sans ordre divin. De plus, en ayant recours à la sanctification123, il sortit de la servitude. Or la Présence Sacro-sainte n'agrée que le serviteur et l'attribut de sainteté n'appartient pas au serviteur. La Présence est trop jalouse pour laisser entrer auprès d'elle celui qui lui dispute Ses attributs de sainteté, surtout s'il les revêt sans ordre divin. Le puissant124 n'est pas vu ainsi par celui qui détient une plus grande puissance, seul un être humble peut le voir ainsi. La Présence divine ne trouve alors rien à donner à cet être. Quand un puissant entre chez un puissant, celui-ci ne peut lui faire don que de la puissance, alors que cet être est déjà rentré avec elle. Que peut-il donc lui donner? Le serviteur ne peut entrer auprès de Dieu que par ce qu'exigent les réalités de la servitude absolue. C'est pour cela que Dieu ajouta au temps fixé dix nuits pour que la sanctification recherchée par Moïse l'abandonne. Ce ne sont là que causes divines instituées dans le monde par Dieu pour manifester Sa sagesse dans la création. L'accomplissement des temps fixés affranchit le serviteur de l'esclavage des instants et il n'est plus alors serviteur que de Dieu ­ exalté soit-Il. Dieu remplit Sa promesse, s'entretient avec lui et lui parle. Après avoir tenu sa promesse, sanctifié son ouïe et son élocution, Il lui donne la Parole dans sa totalité, comme Il lui avait donné l'Ouïe dans sa totalité. Tout entier oreille lors de l'audition, il est tout entier langue lors de la récitation. Il sait par goût et contemplation directe que le tout reçoit le tout et qu'il est unique dans chaque présence distincte. Ce voyage est de l'ordre du non-manifesté, comme de l'Esprit et du Temps. Il s'est manifesté dans le langage muhammadien par cette parole: «Celui qui voue à Dieu un culte pur et sincère durant quarante matins, les sources de la sagesse jaillissent de son cœur sur sa langue»125. Il entend d'abord son cœur, puis sa langue exprime ce que son cœur a retenu et entendu. 



 Celui qui part pour ce voyage doit laisser parmi son peuple quelqu'un qui supplée à ses fonctions. Nous avons parlé du voyageur, pense donc, ô mon frère, au suppléant, afin de participer de quelque manière à ce dont il est question ici. Lors de la théophanie, les montagnes voyagent, terrassées par la majesté de Celui qui se manifeste ainsi. Les montagnes ne peuvent aucunement soutenir la contemplation du non-manifesté, comme il est dit: «Si Nous faisions descendre ce Coran sur une montagne, tu la verrais tremblante, toute fissurée, par crainte de Dieu» (59: 21). S'il en est ainsi lors de la descente, que dire lors de l'audition de la Parole divine sans intermédiaire? Et que dire de la vision? Réalise pleinement le sens de ce chapitre, il te sera donné de contempler abondance de science. Et la louange est à Dieu.





 le voyage de la satisfaction ou parole de Dieu – Il est puissant et majestueux – par la voix de Moïse: «Et je me suis hâté vers Toi, Seigneur, pour que Tu sois satisfait», quand Dieu lui demanda: «Qu'est-ce qui t'a fait te hâter et laisser ton peuple, ô Moïse?» (20: 84 et 83).




Je me suis hâté vers mon Seigneur pour qu'Il soit


[satisfait de ma célérité.


Quand nous fûmes arrivés, Il demanda:


[pourquoi le serviteur s'est-il hâté ?


La promesse généreuse, Lui répondis-je, nous a conduit


vers Toi, mais je ne vois pas la promesse se réaliser.


Remplis-en les conditions, me répondit


[le Tout-Miséricordieux,


ainsi qu'il vous a été ordonné. Alors furent abolis


[la proximité et l'éloignement.


Et à ce sujet:


La satisfaction est mon principe,


celui selon lequel j'ai été créé,


Moi seul et je n'ai vu nul autre que moi


revenir en Lui vers Lui.




Les dons de Dieu sont sans fin; il n'y a pas de don ultime qui marquerait leur terme et leur disparition. De leur côté les serviteurs ne sauraient s'acquitter de tout ce que Dieu leur a imposé selon leur capacité et leur véritable possibilité. Ceci fonde et confirme la satisfaction de Dieu à leur égard et pour leurs œuvres, de même qu'eux sont satisfaits de Lui et des dons de Sa part, d'une abondance infinie. «Dieu a été satisfait d'eux et ils ont été satisfaits de Lui» (5: 119 sq). La satisfaction est donc une qualité de Dieu comme du créé, selon ce qui convient à l'un et à l'autre, même si ce dernier ne peut se passer du soutien divin, pauvre qu'il est par essence, dans le besoin perpétuel que son existence perdure et soit maintenue par Dieu. Dans ma satisfaction à Son égard réside Sa satisfaction à mon égard; je suis le sage de mon temps; autour de moi l'existence tourne et se tient à mon service.






Le sage est celui que servent les créatures,


car il fait descendre les choses à leur place.


Il apparaît dans sa forme à tout être doué de vue


et ne professe pas que le Vrai y descend.


Si à mon œil se montre Sa réalité,


mon être, sans le moindre doute, ira à sa rencontre.


Sache que si l'homme ignore son état, il ignore son instant; celui qui ignore son instant, s'ignore soi-même et celui qui s'ignore, ignore son Seigneur, ainsi que l'a dit l'Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix –: «Qui se connaît soi-même, connaît son Seigneur»126. Il Le connaît soit négativement selon la connaissance commune, soit par la Forme divine selon la connaissance spéciale de l'élite des initiés. Quant à nous, quoique nous défendions cette dernière, nous n'en préférons pas moins la connaissance du commun car elle unit le début à la fin et c'est vers elle qu'il faut nécessairement revenir, pour le commun comme pour l'élite. Sache cela et sois clairvoyant à ton égard et éclairé au sujet de ton Seigneur, peut-être un témoin issu de toi te suivra-t-il127 qui sera la cause de ta félicité, si Dieu veut. Tu seras de ceux à qui Dieu a accordé une belle fin de toute éternité128 ­ majestueuse est Sa louange et incomparable Sa majesté. 


 Quand Dieu demanda à Moïse – sur lui la paix –: «Qu'est-ce qui t'a fait te hâter et laisser ton peuple, ô Moïse ?», il ne répondit pas tout d'abord à la question en précisant la cause de sa hâte –, mais il dit: «Ils sont sur mes traces», faisant allusion au statut de ceux qui suivent les prophètes. Il expliqua ensuite sa hâte: «Je me suis hâté vers Toi, mon Seigneur, pour que Tu sois satisfait» (20: 83-84), c'est-à-dire: je me suis empressé de répondre à Ton appel lorsque Tu m'as appelé et mon peuple est sur mes traces. Dieu lui annonça alors: «Nous avons séduit Ton peuple après Toi», c'est-à-dire Nous l'avons mis à l'épreuve «et le Sâmirî les a égarés» (20: 85) par le Veau dont il affirma: «C'est votre dieu et le dieu de Moïse» (20: 88). Ceci parce que cet homme suivait Moïse. Dieu ayant ôté le voile qui recouvrait sa vue, le Sâmirî aperçut, parmi les anges qui portent le trône, celui qui a la forme d'un taureau et s'imagina que c'était le dieu qui parlait à Moïse. Il façonna donc le Veau pour son peuple, car ayant vu aussi Gabriel et sachant qu'il ne passe pas auprès d'une chose sans lui redonner vie, il avait saisi une poignée de terre sur la trace laissée par le cheval de Gabriel. Il avait jeté cette poignée sur le veau qui avait pris vie et s'était mis à meugler, puisque c'était un veau129. Il déclara alors: «C'est votre dieu et le dieu de Moïse». Lorsque les adorateurs du Veau l'interrogèrent, le Sâmirî «oublia» «qu'il ne leur renvoyait aucune parole et ne possédait le pouvoir ni de leur nuire ni de leur être bénéfique» (20: 89). Aaron – sur lui la paix – leur rappela: «Votre Seigneur est le Tout-Miséricordieux; suivez-moi et obéissez à mon ordre!» (20: 90), ainsi que Dieu l'a mentionné dans Son Livre.






 LE VOYAGE DE LA COLÈRE ET DU RETOUR 


Dieu – exalté soit-Il – dit: «Et lorsque Moïse revint vers son peuple, en colère, désespéré» (7: 150 et cf. 20: 86).




Je me suis mis en colère contre moi à cause de moi. Ne trouvant


autre que Lui, je dis: la faute revient à ce qui est antérieur.


Je ne cessai d'être dans la joie et de me frapper la tête


pour ce que j'avais commis, ayant atteint à l'âge du regret.


Si j'étais Dieu, je ne serais pas un par Lui;


si j'étais créature, je ne parlerais pas d'antériorité.


Il était «en colère» contre son peuple, «désespéré» de ce qu'ils avaient commis en prenant le Veau comme dieu. Le Sâmirî était parti avec Moïse parmi les soixante-dix qui l'accompagnaient130; Dieu lui ôta le bandeau qui lui couvrait la vue et son œil tomba sur l'un des anges porteurs du Trône qui a la forme d'un taureau. L'un a la forme d'un lion, l'autre d'un aigle, le troisième d'un taureau et le quatrième d'un homme. En apercevant le taureau, le Sâmirî s'imagina que c'était le dieu qui parlait à Moïse. Il figura pour son peuple un veau et déclara: «Voici votre dieu et le dieu de Moïse». Pour le fabriquer il se servit de leurs parures afin que leurs cœurs suivent leurs biens. Il savait que l'amour du bien est accroché au cœur et que cet amour serait pour eux un voile qui les empêcherait de se demander si le Veau leur causait du tort ou du bien ou s'il répondait quand ils lui adressaient une demande.




 Aaron leur dit: «Ô mon peuple, vous avez été séduits», c'est-à-dire mis à l'épreuve «par lui» pour que Dieu en tire argument contre vous lorsque vous serez interrogés «et votre Seigneur est le Tout-Miséricordieux» et par miséricorde envers vous, Il vous a accordé un délai et vous a nourri bien que vous ayez pris un dieu pour l'adorer dehors de Lui – gloire à Lui –. Il leur dit ensuite: «Suivez-moi», sachant que dans le fait de le suivre résidait un bien «et obéissez à mon ordre» (20: 90), parce que Moïse – sur lui la paix – l'avait établi comme suppléant parmi eux. «Ils répondirent: nous ne cesserons de nous y adonner» – à l'adoration du Veau – «jusqu'à ce que Moïse revienne vers nous» (20: 91), lui qui a été envoyé vers nous et en qui nous avons reçu l'ordre de croire. Ce raisonnement fut pour eux un voile qui les empêcha de tenir compte de l'ordre d'Aaron – sur lui la paix –. De retour vers son peuple, Moïse le trouva en cet état. «Il jeta les Tables» de sa main «et se saisit de la tête de son frère, la tirant vers lui» (7: 150) pour infliger une punition à son suppléant parmi son peuple. Aaron – sur lui la paix – l'interpella alors en invoquant sa mère, car elle est le lieu de la compassion et de la tendresse: «Il lui dit: ô fils de ma mère, ne te saisis pas de ma barbe ni de ma tête»; j'ai redouté que tu me blâmes pour ce qu'a commis ton peuple et que «tu ne dises: tu as semé la division parmi les Fils d'Israël et tu n'as pas observé ma parole» – la parole que je t'avais léguée – (20: 94).


 Moïse se tourna ensuite vers le Sâmirî et lui demanda: «Qu'as-tu à dire, ô Sâmirî ?» Celui-ci lui raconta ce qu'il avait vu, la forme du taureau qui est l'un des anges porteurs du Trône, qu'il avait cru être le dieu parlant à Moïse. Ainsi, ajouta-t-il, je façonnai le Veau pour eux et sachant que Gabriel ne passe pas en un lieu sans le vivifier, je me suis emparé d'une de ses traces, car je savais quelle vie est attachée à cette poignée. «Je la jetai» (20: 96) sur le Veau qui se mit à meugler. Le Sâmirî n'avait agi que sur une interprétation. Il s'égara et égara les autres, car toute interprétation n'est pas exacte. Il savait pourtant que la théophanie dans les formes est attestée par les Lois sacrées sans porter atteinte à la transcendance divine. 


Moïse accepta l'excuse de son frère. «Il dit: Seigneur, pardonne-moi ainsi qu'à mon frère et fais-nous entrer dans Ta miséricorde; Tu es le plus miséricordieux des miséricordieux» (7: 151). En ce qui concerne ceux qui adorèrent le Veau, ils n'allèrent pas dans la spéculation réflexive aussi loin qu'ils auraient dû comme le laisse entendre cette histoire. Dieu ne les excusa pas. Les adorateurs du Veau ne se sont donc pas adonnés correctement à la spéculation; ce verset légitime donc la spéculation rationnelle en matière de théologie tant que la Loi ne se prononce pas. Quant à l'avilissement qui toucha les Fils d'Israël, on peut le constater jusqu'à nos jours. Dieu n'a pas élevé les signes de leur religion. Ils sont restés avilis à toute époque et dans toutes les traditions. Telle est la sanction que Dieu inflige à ceux qui profèrent des mensonges à Son encontre, en Lui attribuant, sans référence à une loi sacrée, ce qui, selon la spéculation réflexive, ne convient pas comme attributs au dieu adoré. «Et Dieu dit la vérité et Il guide sur la voie.»


 le voyage du dévouement pour les siens. 




Par un beau dévouement pour ma famille, j'ai trouvé


mon Seigneur. Dans mon occupation,


[Il m'a dévoilé Sa sollicitude.


N'étaient les miens, je n'aurais pas été un serviteur rapproché,


ni un de ceux qui ont reçu maîtrise et mérite.


Mon âme n'aurait pas suivi, si je lui avais interdit


de s'occuper des créatures, la plus droite des voies.


Je me suis trouvé aux côtés du Choisi, à l'ombre de Son Trône,


quand les Ansar venaient avec les envoyés.






Dieu – exalté soit-Il – dit (par la voix de Moïse): «J'ai aperçu un feu; peut-être vous en apporterai-je un tison ou trouverai-je par ce feu une guidance» (20: 10). Vois donc la force de la prophétie: Moïse trouva de fait la guidance. Cette parole montre que Moïse n'avait pas affirmé que ce qu'il avait vu était nécessairement un feu. Tout feu est lumière lorsqu'il brûle et les lumières sans aucun doute consument les corps combustibles et inflammables, ainsi que le rapporte la tradition authentique: «... Les fulgurations de Sa Face brûleraient les créatures qu'atteindrait Son regard»131. Les fulgurations sont des lumières et cette tradition nous apprend que les rayons de ces fulgurations exercent un effet comparable à la perception de l'œil.


  Sache qu'une même chose peut comporter des aspects différents. En tant qu'elle est comme ceci, elle se présente comme ceci; en tant qu'elle est comme cela, son statut diffère. La chose vue n'est pas identique à la chose sue et la chose sue n'est pas identique à la chose entendue, même si le moyen de la perception est une réalité unique en soi et distincte dans ses relations. Du point de vue de cette réalité unique, on peut dire qu'on entend, qu'on voit, qu'on parle, etc. par cette même réalité. Un certain spéculatif attribue à chaque mode une perception particulière différente de l'autre et considère donc la perception comme multiple. Nous ne sommes pas de cet avis et nous ne l'approuvons pas, nous ne le citons que pour que le lecteur sache que quelqu'un l'a professé. La différence des relations vient de ce à quoi elles se rapportent, non de ce qui s'y rapporte. 




L'entité est unique et le statut divers.


Le professent des hommes de spéculation.


Dieu est trop grand pour que l'on connaisse Ses desseins


envers Ses créatures, mais Il propose signes et enseignements.


La divinité est trop majesteuse pour que l'intellect la conçoive,


Sa mesure insurpassable n'est pas à la portée de l'être humain.


Elle a pourtant en nous, comme l'affirme la Parole divine


des formes reconnues contenant d'autres formes132


Qui s'inclinent133 devant la forme de Celui à qui l'on attribue des formes.


Comme tu vois, à toute forme correspond une sourate.134








 Sache que tout le bien réside dans le dévouement pour autrui, dont fait partie le dévouement pour la famille. La noblesse d'une famille dépend de celui auquel elle se rattache. Ainsi la tradition rapporte que «les gens135 du Coran sont les gens de Dieu et Son élite»136. L'immense récompense de celui qui se dévoue pour Dieu n'a d'autre raison que son appartenance à Ses gens. Comprends donc ! Si la sollicitude divine pour les gens de la Maison prophétique muhammadienne est telle que Dieu nous l'a dit dans ce verset: «Dieu veut écarter de vous l'infamie (rijs), ô Gens de la Famille et vous purifier totalement.» (33: 33) ­ Al-Farrâ'137, interrogé sur ce qu'était le rijs, répondit: la souillure (qadhar) ­; si Dieu donc veut pour les gens de la Maison prophétique écarter l'infamie et les purifier, que penser des Gens du Coran qui sont Ses Gens et Son élite? Louange à Dieu qui m'a fait des leurs. Le moindre des degrés pour appartenir à Sa famille est de porter les lettres du Coran conservées dans la poitrine. Si, en plus, ce que l'homme porte ainsi devient son caractère, le réalise véritablement au point d'en être une de ses modalités138, alors vivat et encore vivat ! 






On m'a rapporté sur Abû l-'Abbâs al-Khashshâb139, compagnon d'Abû Madyan140 – Dieu l'agrée – à Fès, l'anecdote suivante. Un homme vint le trouver tenant dans sa main un livre sur la Voie. Il lui en lut une bonne partie, mais Abû l-'Abbâs restait silencieux. L'homme finit par lui dire:


– Maître, pourquoi ne me parles-tu pas à ce sujet ?


– C'est moi que tu dois lire, lui rétorqua Abû l-'Abbâs.


L'homme trouva la réponse un peu forte. Il se rendit auprès de notre maître Abu Madyan et lui dit:


– Ô notre maître, j'étais chez Abû l-'Abbâs al-Khashshâb et lui lisais un livre d'enseignement spirituel pour qu'il me le commente et il s'est contenté de me répondre: «C'est moi que tu dois lire!».


– Abû l-'Abbâs a dit vrai, répartit le Shaykh. De quoi traitait ce livre ?


– Du renoncement, du scrupule, de la confiance et de l'abandon en Dieu et de tout ce qu'exige la voie vers Dieu.


– Était-il question d'un état spirituel qui n'était pas celui d'Abû l-'Abbâs, demanda le Shaykh?


– Non, répondit l'homme.


– Si les états spirituels d'al-Khashshâb équivalent à tout ce que contient ce livre et que tu n'as pas trouvé dans ses états matière à exhortation ni acquis ses vertus, en quoi peut te profiter le fait de lire ce livre devant lui et de lui demander de te le commenter? Il t'a exhorté par son état spirituel et avec quelle éloquence!


L'homme s'en fut alors, tout honteux. Cette histoire m'a été rapportée par le hâjj 'Abdallâh al-Mawrûrî141, à Séville, dans une assemblée. Vois donc, mon ami, combien est excellente et admirable leur façon de suivre et d'enseigner la Voie. Que Dieu nous compte parmi eux et nous accorde de les rejoindre. C'est Lui qui s'en charge et en a le pouvoir.




 le voyage de la peur 






J'ai fui de moi vers Lui,


J'avais peur de Lui pour Lui.


Car mon âme ignore


quel sera son ultime retour.


Dieu – exalté soit-Il – dit [par la voix de Moïse]: «Je vous ai fui lorsque j'ai eu peur de vous, puis mon Seigneur m'a conféré une autorité et m'a établi parmi les envoyés» (26: 21). Il dit aussi: «Il en sorti apeuré, aux aguets» (28: 21).


Il n'est de jour écoulé, décrétant notre ultime retour


sur lequel je n'ai pleuré.


J'ai vu bien des choses, toutes entre Ses mains,


suivre la loi de mon instant, mais auprès de Lui,


[c'est Sa Loi qui s'exerce sur moi.






La peur fait partie de la station de la foi, ainsi que Dieu – exalté soit-Il – le dit: «N'ayez pas peur d'eux, mais ayez peur de Moi, si vous êtes croyants» (3: 175). Il est dit des anges: «Ils ont peur de leur Seigneur au-dessus d'eux et font ce qui leur est ordonné» (16: 50). À d'autres, Il adressa cet éloge: «Ils ont peur d'un jour où les cœurs et les regards seront renversés» (24: 37). À chaque plan d'existence correspond une peur spécifique, si tu réalises bien cela. Toute peur ne s'attache qu'à ce qui vient de Dieu et relève de l'existence contingente. On n'a peur que des êtres contingents existenciés par Dieu et c'est donc à l'Existenciateur que notre peur s'attache, selon Sa parole: «Mais ayez peur de Moi, si vous êtes croyants». Dieu a donc fait de la peur le résultat de la foi, qui doit s'en tenir à ce que Dieu a enseigné et à ce qu'a transmis le Véridique. En effet, la science sans la foi ne provoque pas la peur. De plus, comme il est prouvé que le monde est l'œuvre de Dieu – exalté soit-Il – et qu'Il est très-Savant et très-Sage, celui-ci est donc la plus belle des œuvres qu'ait produite un savant et rien n'indique sa corruption. Toutefois il passe d'un état et d'une demeure à l'autre et ceci n'a rien d'impossible. C'est ce passage qui provoque chez les initiés la peur de Dieu, car ils ne savent pas ce que Dieu veut d'eux ni où Il les transportera ni dans quelle qualité et degré Il les distinguera. Laissés dans l'incertitude, grande est leur peur de Dieu.


 Quant aux anges, leur peur est de descendre d'un rang vers un rang inférieur. Ne dit-on pas qu'Iblîs comptait parmi les adorateurs de Dieu les plus fervents ? Il n'obtint que bannissement et éloignement de la félicité qu'il espérait en échange de son adoration. Lorsque pour lui la parole du châtiment s'accomplit, il retourna vers le feu, son élément originel, et c'est par ce feu seul qu'il fut châtié. Gloire donc à Dieu, le Juge équitable. Les hommes de Dieu ont peur du remplacement de leur état par un autre. C'est ce qui les incite à surveiller à chaque souffle leurs états avec Dieu – Il est puissant et majestueux –, d'autant que Dieu dit: «Et si vous vous détournez, il vous remplacera par un peuple autre que vous qui ne sera pas semblable à vous» (47: 38), c'est-à-dire: dans l'opposition à l'ordre de Dieu que vous avez montré, il posera au contraire le pied le plus parfait et le plus ferme dans l'obéissance à Dieu. 






N'était Dieu, la station n'aurait pas été connue,


ni derrière ni devant n'aurait existé.


Par Dieu nous sommes venus à l'existence, vers Lui nous avons été appelés et renvoyés: «N'est-ce vers Dieu que va le devenir des choses?» (42: 53). Quand Dieu m'établit dans la station de la peur, j'avais peur de regarder mon ombre, de crainte qu'elle ne soit un voile entre moi et Dieu. Dans ces conditions, ce monde ne saurait être une demeure sûre, même si l'homme y reçoit l'annonce de son bonheur futur, car ce monde est un lieu où la part de chacun peut diminuer. La raison en est l'imposition de la Loi. Dès que cesse cette imposition, discours du Législateur sous forme d'ordre et d'interdiction, la peur adventice quitte le serviteur. Seule reste la crainte révérencielle. Sa peur n'est plus que crainte révérencielle dans la contemplation divine. Le poète a décrit ainsi le sentiment de majesté que l'on éprouve en présence de certaines personnes: 






Immobiles, comme si des oiseaux se tenaient sur leurs tête


non par peur d'injustice, mais par peur majestueuse.


Que Dieu nous compte parmi les gens de la crainte révérencielle, ceux qui Le magnifient. Il en est ainsi lorsque le pouvoir de la grandeur divine s'empare du cœur du serviteur que la Sollicitude porte vers les lieux de contemplation sacro-saints et divins.




 Sache que khafâ' 142 en arabe peut exprimer la manifestation, comme dans le vers d'Imru l-Qays143: 


... Il les fit se montrer et sortir (khaffâ-hunna) de leurs trous.


Il fit se montrer, car les gerboises aménagent dans leur trou deux portes. Quand un chasseur se présente à l'une, elles sortent par l'autre. Ce trou s'appelle nâfiqâ' et pour cette raison l'hypocrite (munâfiq) se nomme ainsi. Celui-ci à deux visages, l'un avec lequel il fait face aux croyants et montre qu'il est avec eux et l'autre qu'il tourne vers les incroyants en leur montrant qu'il est avec eux. Dieu dit aussi de celui qui voudrait «un trou sous la terre» (6: 35): si les ennemis te poursuivent d'un côté, tu pourrais sortir de l'autre pour chercher le salut et leur échapper «et si Dieu l'avait voulu, Il les aurait réunis dans la guidance» (ibid.); vous seriez alors gens d'une seule porte. Les Hypocrites, au temps de l'Envoyé de Dieu – que Dieu répande sur lui la grâce et la paix – venaient trouver les croyants avec un visage leur montrant qu'ils étaient avec eux, tout en disant aux autres: «Nous ne faisons que nous moquer». Dieu annonce que Lui aussi «se moque d'eux» (2: 14 et 15) parce qu'ils n'ont pas conscience de ce qu'ils font envers les croyants. Ceci est un effet de la ruse divine, comme il est dit: «Ils ont ourdi une ruse et Nous en avons ourdi une autre, sans qu'ils en aient conscience» (27: 50). Car si l'on en a conscience, ce n'est plus une ruse.




§ 68 le voyage de la méfiance


Il m'a été révélé d'emmener de nuit


mon âme et les miens dans le monde


[de la création et de l'ordre.


Car le Dieu, le Vrai, mon Seigneur a décrété


la mort de l'ennemi de la religion


[dans le tourment de la mer.


Dieu – exalté soit-Il – dit, rapportant les paroles d'une certaine personne144: «Et tous, nous sommes méfiants» (26: 56). Or la méfiance est le résultat d'une peur. Dieu dit: «Montrez votre méfiance !» (4: 71), car celui qui montre de la méfiance envers une chose n'est pas surpris par elle. On est surpris le plus souvent du côté où l'on croyait être à l'abri. L'homme intelligent ne doit se sentir en sécurité que du côté assuré par Dieu, car Sa parole est vérité: «Le faux ne l'atteint ni par devant ni par derrière» (41: 42) et Il est le Véridique – gloire à Lui –. Cette méfiance est profitable, si la prédestination lui vient en aide. Comme il est dit: «méfiance ne sauve pas du destin»145, à moins que cette méfiance ne fasse elle-même partie de la prédestination; elle sera alors la cause du salut. Nous l'avons exprimé de façon extrême dans ce vers:




O méfiance de ma méfiance !


Si seulement me servait ma méfiance.








§ 69 La méfiance la plus extrême est donc de se méfier de prendre la méfiance comme appui. Par miséricorde envers nous, Dieu – exalté soit-Il – nous a engagés à nous méfier de Lui, ce qui est le plus haut degré de la méfiance, en disant: «Et Dieu vous engage à vous méfier de Lui et Dieu est compatissant pour les serviteurs» (3: 30). Par compassion, Il nous a mis en garde contre Lui, car «il n'est rien qui Lui soit semblable» (42: 11); Il n'est jamais connu que par l'impuissance à Le connaître. Ceci revient à dire: il n'est pas tel et tel, tout en affirmant ce qu'Il a affirmé de Lui-même, ce que nous faisons par foi, non par notre intelligence ni notre spéculation. Nos intelligences ne peuvent qu'admettre de Sa part ce qui Lui revient. Il est le Vivant, «il n'est pas d'autre dieu que Lui, le Roi, le Très-Saint, la Paix, Celui qui accorde la sauvegarde, le Protecteur, le Tout-Puissant, le Réducteur, Celui qui proclame Sa grandeur», «Celui qui sait ce qui est caché et ce qui est visible, le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux», «le Créateur, le Producteur des êtres, le Donateur des formes» (cf. 59: 22-24), le Très-Sage et autre qualités semblables. Nous croyons en tout ce qu'Il nous a enseigné à Son sujet, non d'après notre interprétation, mais selon la science qu'il en a: «Il n'est rien qui ne Lui soit semblable et Il est Celui qui entend, Celui qui voit» (42: 11). Il ne se laisse appréhender ni par l'intellect ni par la spéculation. Nous n'avons de science à Son sujet par voie affirmative que ce qu'Il nous a fait parvenir dans Ses livres ou par la voix des envoyés, Ses interprètes, rien de plus. Le mode de relation de Ses noms à Lui-même ne nous est pas connu, car la connaissance de la relation à une certaine chose dépend de la science qu'on a de cette chose, ce qui n'est pas ici le cas, car nous n'avons pas la science de cette relation spécifique. La pensée, la réflexion et celui qui réfléchit battent le fer à froid. Que Dieu nous compte, vous et nous, parmi ceux qui ont fait preuve d'intelligence et se sont tenus à ce qui leur est parvenu de Sa part ­ gloire à Lui ­ et à ce qui a été transmis à Son sujet.




§ 70 Sache que le voyage de la méfiance conduit du sensible vers l'intelligible, des délices vers le supplice, du voile protecteur vers la théophanie et de la mort vers la vie attachée aux êtres produits par notre connaissance du monde. Ce voyage mène à la science de la constitution humaine et de son origine du point de vue de sa corporéité, à la science du mouvement vertical, mais non du mouvement courbe et horizontal, même si ces derniers sont connus par voie de conséquence, à la science de toute station qui lui apporte un surcroît de grâce, à la vision en transparence au-delà de cette station et au rejaillissement sur soi-même de la lumière de tout ce qu'on voit et qui se présente à soi, en y trouvant plaisir et délice. Dans cette station et cette qualité, on prend connaissance de la science de la transmission par héritage; dans quelles conditions, de quoi et de qui hérite-t-on et qui est l'héritier? C'est à partir de ce voyage que l'on connaît les orients des lumières et les levers des croissants des secrets. Ceux qui l'accomplissent se méfient de la perception des Attributs qui provoquent l'extinction de leur essence et de la jouissance qu'ils en tirent. Cependant ils finiront par traverser sains et saufs ce dont ils se méfiaient. Quelle que soit la force de leur ennemi, ils seront les vainqueurs grâce au secours de Dieu, car Sa puissance est irrésistible et invincible, Lui le Tout-Puissant, le Très-Miséricordieux. Si le serviteur réalise la qualité attachée à cette station, Dieu le prendra par la main en toute chose et le guidera vers son salut. Il reçoit le don miraculeux de marcher sur les eaux, d'échapper aux ennemis, qu'ils soient hommes ou esprits, et de voir leur anéantissement. Ce voyage produit comme effet la proximité divine doublée de la félicité éternelle. Dans cette station, celui qui accomplit ce voyage est à l'abri de tout ce dont il se méfie et qui risque de le couper de cette félicité. Quand bien même l'attaqueraient tous les habitants de la terre, il les vaincrait et l'emporterait sur eux. Le dévoilement dont il est gratifié lui donne accès aux plus mystérieux des secrets, car sa lumière dissipe tout doute et ignorance, abolit toute illusion et mensonge et donne à l'âme courage, intrépidité et force. L'homme y accomplit par son énergie spirituelle ce qu'il ne pourrait accomplir autrement en dimension et en nombre. Toutefois celui qui entreprend ce voyage est pris dès l'abord d'inquiétude naturelle, de «resserrement de poitrine» et de peur parce qu'il constate au début de sa route sa propre faiblesse et la force de cette station. La faiblesse et l'abaissement qui lui sont inhérents lui procurent dignité et force. La science de l'extérieur et de l'intérieur lui est dévoilée et plus rien ne lui reste caché. Dieu le prend en charge et l'assiste quand il sort de cette station pour guider et diriger les hommes. Il lui annonce son bonheur futur pour le rassurer et l'inciter davantage à transmettre le message, car la peur l'en empêche et le manque de courage l'en détourne. Mais Dieu assiste ce voyageur qui en ressent réconfort et appui. Enfin, il reçoit l'argument décisif, la force et le triomphe sur ses adversaires. «Et Dieu dit la vérité et Il guide sur la voie.»




Denis Gril





1. Ici le peuple de Pharaon qui a adopté Moïse. Celui-ci s'enfuit après avoir tué un Égyptien qui maltraitait un Hébreu. Cf. Exode 2, 11-15 et Coran 28 : 15 et 26 : 21.
2. Cf. Coran 20 : 77, 26 : 52, 44 : 23 sq.
3. Cf. Coran 79 : 24 : « Il dit [Pharaon] : je suis votre seigneur le plus haut ».
4. Selon la tradition, « Moïse prêchait parmi les Fils d'Israël. On lui demanda : Qui est le plus savant des hommes ? – Moi, répondit-il. Dieu le reprit, parce qu'il n'avait pas renvoyé la science à Lui. Il lui révéla : J'ai un serviteur au confluent des deux mers qui est plus savant que toi ». (Bukhârî, Sahîh, tafsîr s. al-kahf, VI 110). Il s'agit d'al-Khadir, que le Coran appelle « un de Nos serviteurs à qui Nous avons donné une miséricorde de Notre part et enseigné une science émanant de Nous » (Coran 18 : 65).
5. Cf. Coran 18 : 66-82.
6. Le tâbût désigne aussi bien le coffret ou la nacelle où est déposé Moïse nouveau-né (Coran 20 : 39) que l'Arche d'alliance dont le retour parmi les Hébreux est le signe de la royauté de Saül (2 : 248).


7. Cf. Coran 2 : 249 : « Lorsque Saül emmena ses guerriers, il leur dit : Dieu vous éprouvera par un fleuve. Celui qui en boira, n'est pas des miens et celui qui n'en consommera point, est des miens, à moins qu'il n'y puise de sa main. Ils en burent sauf un petit nombre d'entre eux... ».
8. L'Homme-aux-deux-cornes est traditionnellement identifié à Alexandre le Grand. Il parcourt la terre, parvient au couchant, puis à l'orient et atteint un peuple «entre les deux digues», qu'il aide à dresser une muraille contre Gog et Magog. Cf. Coran 18 : 83-98.
9. Cf. Coran 26 : 192-4 : « C'est une révélation du Seigneur des mondes. Pour l'apporter, l'Esprit fidèle est descendu sur ton cœur afin que tu sois de ceux qui avertissent ».
10. Cf. Coran 35 : 10 : « Vers Lui monte la parole excellente et l'œuvre pieuse, Il l'élève ». «Il» peut se rapporter à Dieu ou à l'œuvre. Burâq est la monture que chevauche le Prophète lors du Voyage nocturne et de l'Ascension céleste.
11. «Ce qui s'est trouvé être», si l'on suit la vocalisation de K : mâ wujida ; «ce qu'il a trouvé» selon la vocalisation de B. Ce qui signifie soit l'indétermination de l'Être essentiel, soit la réalisation de l'Être à la mesure de chaque être. Il faut rappeler que wujûd, l'être ou l'existence est le nom du verbe wajada « trouver » à la voix passive.
12. Le Coran fait toujours précéder la mer par la terre, cf. 6 : 59, 63, 95 ; 17 : 70 ; 30 : 41.
13. Ibn 'Arabî relate l'histoire d'un homme de Kairouan qui hésitait entre le voyage par terre ou par mer. Il se promet de demander conseil à la première personne rencontrée. Celle-ci se trouve être un Juif qui lui rappelle l'ordre suivi par Dieu dans ce verset. Cf. Futûhât I 562 et II 262, chap. 161 (traduit in Ibn 'Arabî, Illuminations de la Mecque, Paris, 1988, pp. 344-5).
14. Cette expression conclut deux versets évoquant les périls du voyage en mer. Elle conclut aussi deux autres versets en relation avec la menace de l'eau : 14 : 5 qui fait allusion au passage de la Mer Rouge et 34 : 19, sur le peuple de Saba' forcé de voyager après la crue provoquée par la destruction de leur barrage.
15. Allusion à une tradition dont voici l'une des versions : « Notre Seigneur – béni et exalté soit-il – descend chaque nuit vers le ciel le plus proche, le dernier tiers de la nuit et dit : qui M'invoque, afin que Je lui réponde ; qui Me demande, afin que Je lui donne ; qui implore Mon pardon, que Je le lui accorde ? » (Bukhârî, Sahîh tahajjud 14 ; II 63).

16. Cf. Coran 2 : 29 : « Puis Il s'établit en s'élevant vers le ciel et en fit sept cieux » ; cf. également 41 : 11. 
17. Sibâha : étymologiquement, le fait de nager ou de voguer ; B, L, T donnent siyâha, le fait de parcourir.
18. Cf. Coran 36 : 40 : « Le soleil ne doit rejoindre la lune ni la nuit ne dépasser le jour et tous évoluent dans une sphère ».
19. On pourrait aussi comprendre : dans chaque âme (nafs). B vocalise nafas (souffle).
20. I'tibâr : sur cette notion, voir introduction, et infra § 42.
21. Sur le vide dans lequel Dieu a créé le monde, cf. Futûhât II 150, chap. 78 sur la khalwa.
22. Usûl : faut-il comprendre les principes de notre constitution physique, le chaud, le froid, le sec, l'humide ou ceux de la «manifestation informelle», l'intellect, l'âme, la materia prima et la nature physique ?
23. On remarquera que l'Auteur considère ces voyages comme déjà accomplis.
24. Sur ces différentes phases de la création, cf. respectivement Coran 40 : 76, 21 : 12-14, 53 : 46-47, 16 : 7.
25. Le pont qui passe sur l'Enfer et conduit les élus au Paradis.
26. Selon Futûhât I 319, chap. 65, la Dune (kathîb) est le lieu où les hommes seront réunis pour la vision de Dieu, dans l'Eden, le plus élevé des jardins paradisiaques. Voir également III 442.
27. Dans le sens de : appellent.

28. Nâmûs (du grec nomos): la Loi, au sens le plus universel. Sur cette notion, voir Encyclopédie de l'Islam 2e éd., VII 954-6.
29. Les prophètes et les saints.
30. Ibn 'Arabi visent ici les philosophes hellénisants qui, limités par leur propre intellect, ne saisissent des réalités supérieures que celles qui gouvernent le monde d'en bas. Cf. le chap. 167 des Futûhât sur «l'Alchimie du bonheur» où est décrite parallèlement l'ascension de celui qui suit le prophète et parvient au plus haut degré, et du spéculatif qui se rend compte qu'il s'est fourvoyé et doit revenir à son point de départ. Ce chapitre a été traduit par S. Ruspoli, L'Alchimie du bonheur parfait, Paris, 1981.
31. Morts respectivement en 896, 849, 748, 911 et 728. Sur Farqad, moins connu que les autres, voir Abû Nu'aym, Hilyat al-awliyâ' III 44-50 et Ibn Hagar Tahdhîb al-tahdhîb VIII 262-4.
32. Unité de prière.
33. Partie d'un hadîth où le Prophète répond à une question d'Abû Tha'laba al-Khushanî : « Ordonnez-vous le bien et interdisez-vous le mal, jusqu'au moment où tu verras que l'on encourage l'avarice que l'on suit sa passion, que l'on préfère ce monde et que chacun se complait dans son opinion, alors occupe-toi de ta propre âme, laisse le commun des hommes, car viendront des jours où endurer les épreuves sera comme empoigner un tison. Celui qui y œuvrera ...», version de Tirmidî, Jâmi' , tafsîr 5 : 11, avec le commentaire Tuhfat al-Ahwadhî IV 99-100, voir également Abû Dâwûd, Sunan, malâhim 17 et Ibn Mâja, fitan 21. 
34. Tirmidhî Jâmi', fitan 19, Tuhfat al-ahwadhî III 213.
35. Bukhârî, Sahîh, manâqib 25 IV 239.
36. «Ce qu'il convient de désirer», si on lit yubghâ, ou bien : «tout autre voyage», si on lit yabqâ.

37. La première possibilité correspond à la traduction, la seconde donnerait : ce qui était au-dessus était de l'air et ce qui était en-dessous était de l'air.
38. Surâdiq al-ulûhiyya. Le terme de surâdiq est coranique : « Nous avons préparé pour les injustes un feu dont l'enceinte les entoure » (18 : 29). On l'employait pour désigner une protection autour d'une tente, surtout pour en cacher la porte. On trouve aussi le sens de « dais », telle l'étoffe tendue au-dessus de la cour d'une maison contre le soleil (cf. Zabîdi, Tâj al-'arûs VI 379). Le sens de protection circulaire semble toutefois l'emporter, conformément à l'étymologie sans doute persane de ce mot (cf. A. Jeffery, The Foreighn Vocabulary of the Qur'ân, Baroda, 1938, p. 167).
39. Al-hudûd al-dhâtiyya. De ce point de vue, l'Adoré ne peut d'aucune manière devenir l'adorateur et réciproquement. 
40. Dernière partie du fameux hadîth al-walî commençant par ces mots : « Celui qui s'attaque à l'un de Mes amis ...», Bukhâri, Sahîh, riqâq 38, VIII 131. Voir aussi la version d'Ibn Hanbal, Musnad VI 256 et Hilyat al-awliya' IV 32.
41. Cf. le hadîth où 'A'isha, l'épouse du Prophète, l'entend invoquer Dieu ainsi : « Je me réfugie enTa satisfaction contre Ton courroux, en Ta mansuétude contre Ton châtiment, en Toi contre Toi. Je peux dénombrer ...» (Muslim, Sahîh, salat 222, II 51).
42. Extrait d'une invocation du Prophète : « ... Je Te demande par chaque nom que Tu T'es Toi-même donné, que Tu as enseigné à l'une de Tes créatures, que Tu as révélé dans Ton Livre ou que Tu T'es réservé...» (Ibn Hanbal, Musnad I 391).
43. Sur cette sentence d'Abû Bakr, voir Futûhât III 371, chap. 369, 429 chap. 371, IV 43 chap. 430.
44. Jûd (générosité) appelle par assonance wujûd (existence).

45. 'Amâ' (nuée) et 'amâ (cécité) ont une orthographe identique dans la plupart des manuscrits.
46. Cet arbre est appelé dans Coran 53 : 14 « le Lotus (ou le jujubier) de la Limite» (sidrat al-muntahâ). Il marque la deuxième vision du Prophète lors de l'Ascension céleste. La première, ainsi que la révélation qui la précède, transcende les créatures (cf. infra). La seconde au contraire est un retour vers ceux-ci, sans pour autant dévier de la vision essentielle et unitive et correspond donc à la révélation où Dieu se rend accessible, par similitude, à la compréhension des hommes. Par ailleurs, selon Ibn 'Arabî, c'est à partir du Lotus de la Limite que se divise le monde de la création, de l'ordre et de l'imposition légale (cf. Futûhât I 290 chap. 58), d'où son évocation ici.
47. Cf. Coran 41 : 9-10 : « Dis : ne croiriez-vous pas dans Celui qui a créé la terre en deux jours ... Il y détermina ses nourritures en quatre jours...».
48. L'expression vient de Coran 55 : 29. Ibn 'Arabî a consacré un traité, le Kitâb ayyâm al-sha'n (in Rasâ'il, Haydarabad 1948) au commentaire de ce verset et d'autres sur les jours de la création.
49. Le passage d'un état à l'autre dans un même cycle d'existence.
50. Al-rûhâniyyât al-'aqliyya : référence à la tradition prophétique: les anges assignés à chaque ciel, et à la tradition philosophique : l'intellect agent au centre de chaque ciel.

51. Traduction courante de laylat al-qadr, le cours de toute chose étant déterminé durant cette nuit. On peut traduire aussi «Nuit de la valeur», car elle révèle la valeur de celui sur qui descend la parole divine et l'identité profonde de l'un et de l'autre.
52. Suite du verset : « C'est Nous qui fûmes avertisseurs».
53. Nujûman (cf. Coran 56 : 75) ; comme les étoiles reflètent la lumière fragmentée du soleil.
54. Il faut comprendre soit littéralement, soit que Dieu a inspiré à l'âme la connaissance de la prévarication et de la piété.
55. Furqân : le Livre en tant que toute chose y est distinguée (cf. 44 : 3), par opposition à qur'ân qui signifie étymologiquement la «réunion».56. Cf. Coran 50 : 22 : « Tu étais distrait de cela, mais nous t'avons ôté ton bandeau et ta vue aujourd'hui est perçante».
57. Sur ce premier maître du Shaykh al-Akbar, voir Claude Addas, Ibn 'Arabî, Paris, 1989, pp. 83-7.
58. Sur ce fait, cf. Futûhât II 20, chap. 73, 195 chap. 110, III 94, chap. 325, IV 78, chap. 463. 
59. Ces deux prénoms sont l'équivalent de Pierre et Paul.
60. Cf. le hadîth, fondement de la convenance spirituelle (adab): « Dieu m'a inculqué l'adab et l'a rendu parfait en moi ...» (Sulami, Jawâmi' âdâb al-sûfiyya, éd. E. Kohlberg, Jérusalem 1976 p. 3; et Sam'ânî, Adab al-imlâ' wa l-istimlâ', éd. Weisweiler, Leiden, 1952, p. 1).
61. Allusion à Coran 35 : 10 : « Vers Lui s'élève la parole bonne et l'œuvre pieuse, Il l'élève». Pour le commentaire de 20 : 114, cf. Futûhât I 83 chap. 2 et D. Gril, «Adab and Revelation» in Muhyiddin Ibn 'Arabi. A Commemorative Volume, Shaftesbury, 1993, p. 251.
62. Hijâb al-'izza al-ahmâ al-adnâ. 'Izza, traduit ici par «toute-puissance» exprime aussi l'idée d'inaccessibilité et d'incomparabilité. Le hijâb al-'izza est défini par Ibn 'Arabî comme « la cécité et la perplexité » (al-'amâ wa l-hayra), cf. Futûhât II 129 et Istilâhât al-sûfiyya, p. 16. Suivi ici de ces deux qualitatifs, il désigne l'Homme universel qui cache sa face indicible, tournée vers le divin, correspondant à la limite entre le qur'ân et le furqân.
63. « Là-bas » (hunâka) correspond sans doute au démonstratif lointain de « Ce livre-là » (dhâlika l-kitâb) dont provient ce livre-ci : l'exemplaire lu et récité. Cf. Coran 2 : 2.
64. Yaghîbu 'an al-ghayb : par-delà l'être et le non-être.
65. Li-kulli haqq haqîqa : réponse du Prophète à un Compagnon qui déclare : « Je me trouve ce matin vraiment (haqqan) croyant ». Cf. Nûr al-Dîn al-Haythamî, Majma' al-zawâ'id, Beyrouth, 1967, I 57-8, d'après Tabaranî et Bazâr.
66. Voir les différentes versions et occurrences de ce hadîth dans «Adab and Revelation», op. cit., pp. 259-60, n. 34.
67. Cf. Futûhât III 371 chap. 369.68. Laylan n'est plus compris dans cette interprétation comme un complément de temps se rapportant au voyage, mais comme un complément de manière (hâl) se rapportant au serviteur. On pourrait traduire «nuitamment». La nuit par son obscurité désigne symboliquement le corps, dans toute sa noblesse et sa dimension cosmique. Le vers cité en exemple confirme ce sens en même temps que cette interprétation grammaticale.
69. la particule bi dans asrâ bi-'abdi-hi « a fait voyager de nuit Son serviteur » marque la dépendance. On pourrait, pour souligner ce sens, traduire : « a emmené de nuit ». le cas indirect se dit khafd «abaissement». La voyelle i qui marque la flexion casuelle, se nomme kasr «brisure».
70. En arabe la possession ne s'exprime pas comme en français par un adjectif possessif : Son serviteur, mais par un pronom complément du nom : le serviteur de Lui ou du Soi (al-huwa).
71. Le verbe arabe inclut son pronom, tantôt explicite, tantôt implicite dans le cas de la troisième personne. Le pronom de rappel est le lien grammatical et logique entre le pronom relatif (« Celui qui ») et la proposition relative.
72. Le pronom de troisième personne se dit en arabe damîr al-ghâ'ib ou pronom de l'absent.
73. Harâm signifie à la fois sacré et interdit.
74. Sur ces deux versets comportant des noms divins que l'homme s'est indûment attribué et qui lui sont reprochés, cf. Futûhât I 421, II 153 chap. 80 et 166 chap. 88. «Tyrannique» se traduirait plutôt, à propos de Dieu, par «Réducteur» (Jabbâr).
75. « Le Paradis ... et le Feu par les passions sensuelles », hadîth rapporté par Muslim, Sahîh, janna, 1 VIII 142.76. Cf. Coran 57 : 13, à propos des Hypocrites, séparés des élus le Jour du jugement : « Il sera dressé entre eux une muraille possédant une porte. Sa face intérieure en elle est la miséricorde et sa face extérieure devant elle est le châtiment ».
77. C'est-à-dire la présence d'un fait insolite annonçant un événement en rapport avec ce signe.78. Cf. le hadîth : «Prenez soin des femmes, car la femme a été créée d'une côte et le partie la plus courbe d'une côte est sa partie supérieure. Si tu cherches à la redresser, tu la casses, mais si tu la laisses, elle restera toujours ainsi » (Bukhârî, Sahih, anbiyâ', 1 IV 161). Voir autres versions dans Wensinck, Concordance et Indices, III, 519.
79. Sur la qualification bonne ou mauvaise des actes chez les Mu'tazilites, voir l'analyse de la position du Qâdî 'Abd al-Jabbâr in D. Gimaret, Théories de l'acte humain en théologie musulmane, Paris-Louvain, 1980, pp. 19-22.
80. Voir deux phrases de Sahl, exprimant une idée semblable, citées d'après son Tafsîr par G. Böwering, The Mystical Vision of Existence in classical Islam. The Qur'ânic Hermeneutics of the Sûfî Sahl al-Tustarî, Berlin-New York, 1980, pp. 242 et 256.
81. Cf. l'anecdote rapportée par Abû Sulaymân al-Khawwas à son propre sujet : « Je montai un jour un âne. Les mouches l'importunaient et il ne cessait de secouer la tête. Je la lui frappais avec un bâton. Il leva alors la tête vers moi et me dit : frappe, car c'est sur ta tête que tu frappes » (Sarrâj, Luma', Le Caire, 1960, p. 391).

82. Al-ghafûr, forme intensive de ghâfir, pardonnant.

83. Il est impossible de rendre le rapport linguistique entre «lieu» (makân) et «degré» (makâna).

84. Sur ce «haut lieu», voir le Verbe d'Idrîs, Fusûs al-hikam, éd. 'Afîfî, pp. 75-6 et 181.
85. Cf. Futûhât I 327 chap. 327 où lui est attribué la science de l'écriture ('ilm al-khatt).
86. Le gardien du Paradis.

87. Wakîl : l'ange chargé de ce ciel.
88. Cf. Futûhât I 324 chap. 66 : sur ce verset, à propos d'Idrîs.
89. Sur les mouvements lents et rapides des sphères, voir également Futûhât III 417 chap. 371.

90. Cf. Coran 6 : 13.

91. Ou, selon la lecture de B : « et dont le pouvoir allait s'exercer » (ajrâ hukmahu au lieu de ajrâhu hikmatan).

92. Sur ce terme coranique, cf. Claude Gilliot, Exégèse, langue et théologie en Islam. L'exégèse coranique de Tabari, Paris, 1990 p. 105. L'interprétation que donne Ibn 'Arabî ci-dessous coïncide avec celle de 'Alî, pour qui ce mot signifiait «l'illumination de l'aurore» (tanwîr al-subh), cf. Tabarî, Jâmi al-bayân XV 318-9. Selon Ibn 'Arabî, l'expression coranique fâra l-tannûr signifiait métaphoriquement chez les Arabes l'apparition de la clarté de l'aube (daw' al-fajr) ; cf. Futûhât I 493, à propos de la prière surérogatoire de l'aube et I 608, à propos du début du temps du jeûne. Le verbe fâra associe l'eau et le feu, puisqu'il signifie «jaillir» pour l'eau, «bouillonner» pour la marmite et «rougeoyer de chaleur» pour le four.

93. Allusion au verset, simplement évoqué : « Et il fut dit : ô terre, engloutis ton eau ; ô ciel, arrête-toi et l'eau décrût...».
94. Allusion au verset 11 : 37 : « Façonne l'Arche par Nos yeux et Notre inspiration...».
95. Allusion au verset 11 : 41 « Au nom de Dieu est sa course et son ancrage ». Comme dans la basmala l'alif de ism «nom» est occulté et représente donc l'unité divine ou l'Essence inconnaissable, le bâ', comme dans la basmala, contient le reste de la formule.

96. Expression coranique (68 : 42) signifiant l'arrivée de l'Heure, soit parce qu'elle dévoilera une réalité jusqu'alors cachée, soit pour évoquer la peur panique de celles qui s'enfuient en retroussant leur robe.
97. Qui préside à la marche du monde.
98. Désignation en grammaire arabe de la voix passive.

99. Deux interprétations du Prophète : la première dans un hadîth indiquant certaines clés pour l'interprétation ; la seconde, à propos d'une vision où le Prophète se voit boire du lait et donner le reste à 'Umar. Cf. Bukhârî, Sahîh, ta'bîr, 14-5 et 24, IX 45 et 47-8.
100. Sur l'absence d'interprétation de la vision par Abraham, voir également Fusûs al-hikam, p. 85. On remarquera que dans cet ouvrage, le sacrifice et l'interprétation sont traités dans le Verbe d'Isaac.
101. Pour rendre les deux sens du mot sharaf, noblesse et élévation au sens spatial.
102. Cf. Coran 5 : 66 : « S'il s'en tenaient de façon droite à la Torah, à l'Evangile et à ce qui leur a été révélé, ils mangeraient d'au-dessus d'eux et de dessous leurs pieds ...»; allusion, selon Ibn 'Arabî, aux sciences inspirées et aux sciences acquises par les œuvres. Cf. Futûhât II 488 chap. 206, 594-5 chap. 276, III 439 chap. 371.

103. Car la contemplation, résultat d'une acquisition, conduit à l'extinction.104. «Jeu de mot» sur le nom d'Isaac en arabe : Ishâq, qui est en même temps le nom d'action du verbe ashaqa, de même racine que sahq, l'«écrasement», mais signifiant «éloigner» ; cf. l'expression ashaqa-hu 'llâh «que Dieu l'éloigne».
105. Sur cette notion, cf. Futûhât, II 554 chap. 155.
106. Al-'ayn : l'identité de l'être.
107. Tabdîd vient de baddada qui signifie «séparer» (=farraqa), mais un autre verbe de la même racine: badda signifie «donner à chacun sa part» (budda). Tabdîd connote donc les sens de don, de séparation et de fragmentation.
108. Yaqîn ou Yâqîn, localité sur la route entre Jérusalem et Hébron où s'était réfugié Loth après sa fuite de Sodome. Voyant le châtiment tomber sur les villes maudites, il se prosterna en disant : « J'ai la certitude que la promesse de Dieu est vérité ». Un oratoire avait été édifié à cet emplacement, signalé par Harawî, Guide des lieux de pélerinage, texte arabe, Damas, 1953, pp. 29-30. Ibn 'Arabî le visita en 602 H. et composa à l'emplacement même de la prosternation de Loth le Kitâb al-yaqîn, un opuscule sur la notion coranique de certitude, en rapport notamment avec certains passages concernant Abraham. M. Michel Chodkiewicz m'a aimablement communiqué une copie d'un des manuscrits d'Istanbul : Yahya Efendi 2415 f. 121b-125. Cf. O. Yahya, Histoire et classification de l'Œuvre d'Ibn 'Arabî, Damas, 1964, n° 834.

109. Le nom Lût est rapproché ici du verbe lâta-yalûtu. Intransitif, il signifie «s'attacher à» ; transitif, «joindre».110. En regrettant l'absence de soutien humain, Loth montre qu'il ne se réfugie qu'en Dieu. Sur cette parole du Prophète, cf. Tabarî, Jâmi' al-bayân, éd. M. Shâkir XV 419-22 ; Futûhât IV 53 chap. 440 et Fusûs, p. 127.
111. Surâ est de même racine que isrâ' «voyage nocturne», toutefois la forme verbale de ce dernier terme comporte en plus l'idée d'être emmené en voyage.
112. Parole prononcée à propos de Coran 2 : 260 : « Et lorsqu'Abraham dit : Seigneur, fais-moi voir comment Tu ressuscites les morts. Il demanda : Ne crois-tu pas ? – Si, répondit-il, mais afin que mon cœur soit apaisé ». Cf. Tabarî, Jâmi' al-bayân, V 490.
113. Le premier terme employé dans ce vers est zill, l'ombre en général ; le second, fay', l'ombre qui s'étend avec le déclin du soleil.
114. Le fait que «dirhems» soit au pluriel indique un nombre de trois à dix, car au-delà le nom qui suit un nombre reste au singulier.
115. Ses frères à qui il confia sa chemise. Cf. Coran (12 : 93).
116. Allusion au verset : « Dieu a acheté aux croyants leurs âmes et leurs biens en échange de quoi ils auront le Paradis» (9 : 111).
117. De l'âme de Joseph.
118. C'est-à-dire l'Âme universelle représentée par la femme de Putiphar.
119. Les épouses paradisiaques.
120. Certains manuscrits ajoutent : « Pour que le temps ne lui semble pas trop long ou qu'il ne se préoccupe pas en son secret intime de la mention des quarante ».

121. Le siwâk est un bâtonnet dont on mâchonne l'extrémité et qui sert à brosser les dents et à purifier la bouche. On se sert pour cela des rameaux ou des racines de l'arbre arâk. 
122. Cf. le hadîth : « le siwâk est une purification pour la bouche et une satisfaction pour le Seigneur » (Bukhârî, sawm 24 III 38). Sur ces deux aspects du siwâk, cf. Futûhât I 468.
123. En cherchant à se purifier. 
124. 'Azîz signifie aussi fier et digne et s'oppose à dhalîl : humble et humilié, mais évoque aussi l'incomparabilité et l'inaccessibilité, d'où le rapport avec la sainteté. Il faut préciser que l'on emploie pas du tout le même terme en Islam pour désigner le Saint (quddûs) et le saint (walî) ; cf. M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints, Paris, 1986, pp. 33-34.
125. Ce hadîth ne se trouve pas dans les principaux recueils. Il est cité par Abû Nu'aym dans la Hilyat al-awliyâ' et Ibn Hanbal dans le Kitâb al-zuhd ; cf. Sakhâwî, al-maqâsid al-hasana, Beyrouth, 1985 pp. 620-1 et al-'Ajlûnî, Kasf al-khafâ' II 224. 
126. Du point de vue de la transmission, ce hadîth n'est pas reconnu comme authentique (cf. Sakhâwî p. 657 et 'Ajlûnî II 262), mais Ibn 'Arabî, qui le commente très souvent, le considère comme authentifié par sa signification.
127. Cf. Coran 11 : 17 : « Quel est-il celui qui détient un signe évident de son Seigneur, suivi par un témoin de sa part et avant lui, le livre de Moïse comme guide et miséricorde...».
128. Cf. Coran 21 : 110.
129. Sur la poignée, cf. Coran 20 : 96 ; sur le beuglement, 7 : 148 et 20 : 88.

130. Cf. Coran 7 : 155.

131. Cf. Ibn Mâja, Sunan, muqaddima 13, hadîth n° 196.

132. Sur le passage d'une forme divine à une autre, cf. Coran 25 : 60 : «Et lorsqu'il leur est dit : prosternez vous devant le Tout-Miséricordieux, ils répondent : et qu'est le Tout-Miséricordieux ?...».
133. Cf. Coran 20 : 111 : « Et les visages s'inclinent (s'humilient) devant le Vivant, le Subsistant...»
134. Ibn 'Arabî joue sur l'assonance entre sûra, la forme (avec un sâd, s emphatique) et sûra, sourate (avec un sîn, s non-emphatique) pour suggérer que la sourate manifeste une forme divine.
135. Ahl désigne aussi bien la femme, la famille au sens restreint ou étendu, que ceux qui se rattachent à un lieu, une pratique, une conviction : les gens de ... Le terme traduit par «les siens» dans le titre du chapitre est 'â'ila : la famille dont on a la charge.
136. Cf. Ibn Mâja, Sunan, muqaddima 16 n° 215 ; Ibn Hanbal, Musnad III 127-8, 242.
137. Farra' : savant du deuxième siècle de l'Hégire (m. 207 H.), commentateur du Coran, spécialiste des lectures coraniques et philologue. Cette interprétation ne se trouve pas dans ses Ma'ânî l-qur'ân.
138. Trois degrés successifs d'identification au Coran sont ici définis : l'acquisition des vertus divines, correspondant aux Noms et aux Attributs (takhalluq), l'identification à sa réalité essentielle (tahaqquq), jusqu'au moment où le Coran devient l'un de ses attributs, expression possible de l'«Identité suprême» ; ceci si l'on considère que le sujet de wa kâna min sifâtihi est le Coran et non l'homme, contrairement à la traduction minimale proposée ci-dessus.
139. Ibn 'Arabî le cite dans la catégorie spirituelle des muhaddathûn, «ceux à qui Dieu parle», ce qui va dans le sens de cette anecdote. Cf. Futûhât II 21 chap. 73.
140. Un des grands maîtres du VI/XIIe siècle, né près de Séville vers 520/1126 et mort en 594/1197 à Tlemcen, dont il est devenu le saint patron (Sîdî Boumedien). Il opéra la synthèse de la spiritualité andalouse et maghrébine et forma un grand nombre de disciples dont certains partirent en Orient et diffusèrent sa voie spirituelle. Bien qu'il ne l'ait jamais rencontré physiquement, Ibn 'Arabî le considère comme l'un de ses maîtres. Sur ces relations avec lui, voir Claude Addas, Ibn 'Arabî, op. cit., index et «Abû Madyan and Ibn 'Arabi», in M. Ibn 'Arabi, a Commemorative Volume, op. cit., pp. 163-80.
141. Un autre disciple d'Abû Madyan. Ibn 'Arabî lui consacre une notice dans le Rûh al-quds, éd. Mahmûd M. Ghurâb, Damas 1986 p. 97-102 ; Les Soufis d'Andalousie, Paris, 1971 p. 91-101. Il le considère comme « le pôle de ceux qui se confient à Dieu » (qutb al-mutawakkilîn) ; cf. Futûhât IV 76 chap. 462.
142. Ce terme signifie le plus couramment « occultation ». Le rapport entre ce passage et ce qui précède et ce qui suit n'est pas explicite, si ce n'est que la ruse divine qui guette toujours le serviteur ne peut que l'inciter à un surcroît de peur et de méfiance.
143. Le plus célèbre poète de l'Arabie antéislamique. Le vers est cité intégralement par Ibn Manzûr, Lisân al-'Arab, XVIII 256.
144. Pharaon auquel fait allusion le vers précédent.
145. Variante du hadîth : « Méfiance ne saurait être utile contre le destin, mais l'invocation est utile pour ce qui est advenu et ce qui ne l'est pas. Pratiquez l'invocation, serviteurs de Dieu ! » (Ibn Hanbal, Musnad V 234).

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