dimanche 10 février 2013

Extrait de la thèse « Fès, la ville et ses saints : hagiographie, tradition spirituelle et héritage prophétique » - 1. La naissance d’une tradition hagiographique - Le Mustafād et la vie de saints comme enseignement initiatique - Ruggero Vimercati Sanseverino










par Ruggero Vimercati Sanseverino vimsans@gmail.com Extrait de la thèse « Fès, la ville et ses saints (808-1912) : Hagiographie, tradition spirituelle et héritage prophétique », soutenue à l’Université de Provence, 2012 (en cours de publication)


Malgré l’abondance des données hagiographiques sur les saints de Fès, certains ouvrages acquirent le statut de référence et marquent particulièrement la vie spirituelle de la ville et du Maroc en général. Ce sont notamment les ouvrages qui s’inscrivent dans une tradition propre à Fès et qui marquent son évolution. Ouvrages de synthèse, ils rassemblent les passages des écrits antérieurs ou inaugurent un nouveau type du récit hagiographique. Ainsi le Mir’āt al-Maḥasin introduit par exemple l’hagiographie centrée sur un saint et sa zâwiya, alors que le Rawḍ al-‘aṥir al-anfās présente les biographies des saints en suivant l’ordre des quartiers où se trouve leur sanctuaire. Les hagiographes de Fès se référent généralement à leur prédécesseurs et entretiennent ainsi une continuité remarquable qui vise à constamment réactualiser la mémoire spirituelle de la ville1. C’est une tâche lourde qui incombe à ces auteurs qui d’ailleurs semblent en être conscients lorsqu’ils déplorent la déficience de leurs contemporains à l’égard de ce qu’ils considèrent comme une responsabilité vis-à-vis du patrimoine spirituel de Fès et de ses saints2.

 

Le souci de continuité explique aussi les innombrables répétitions auxquelles est confronté le chercheur désireux de connaître mieux tel ou tel personnage. Certains auteurs n’hésitent pas à rapporter parfois toutes les versions qu’ils ont pu trouver d’une même anecdote comme le font souvent les traditionnistes. C’est le mérite des grands auteurs d’avoir rassemblé les passages concernant chaque saint et de les avoir organisés de manière synthétique.

Dans l’examen des ouvrages hagiographiques qui suit, il s’agit, à l’instar de Nelly Amri, de dégager « le lien ou la corrélation entre la structure du recueil et le modèle de sainteté propagé par ce dernier »3. Cela permettra de suivre l’évolution des modèles de sainteté et d’analyser à travers des exemples concrets le rapport entre l’hagiographie et la tradition spirituelle de Fès. Vu l’abondance des écrits et la variété des genres hagiographiques, le choix opéré ici s’est évidemment montré une affaire complexe, surtout pour ce qui concerne les ouvrages assez abondants des XIe-XIVe/XVIIe-XXe siècles, mais en même temps, certains ouvrages apparaissaient au cours de la recherche comme incontournables, pour aborder la tradition spirituelle de Fès. C’est ce qui a déterminé notre étude des principaux ouvrages consacrés aux saints de Fès.

1. La naissance d’une tradition hagiographique - Le Mustafād et la vie de saints comme enseignement initiatique
 
 

Premier ouvrage hagiographique du Maroc, le Mustafād fī manāqib al-‘ubbād bi-madīnat Fās wa mā yalīhā min al-bilād4 (« Le renseignement bénéfique au sujet des faits vertueux des dévots de la ville de Fès et de ses environs ») de Muḥammad ‘Abd al-Karīm al-Tamīmī5 (m. 603-4/1206-7) constitue en premier lieu un témoignage de la vie spirituelle de Fès à partir du IVe/Xe jusqu’au VIe/XIIe siècle. Une partie du Mustafād a été découverte et éditée il y a seulement quelques années, ce qui explique que É. Lévi-Provençal ne le mentionne pas dans Les Historiens des Chorfa6. C. Addas7 évoque l’auteur comme associé d’Ibn al-‘Arabī pendant son séjour à Fès et déplore la perte du Mustafād. V. Cornell8 semble être le premier à avoir eu l’occasion de traiter de l’oeuvre et de son auteur lorsqu’il analyse la figure du soufi-juriste. Plus récemment K. Honerkamp9 a traduit le passage d’al-Tamīmī sur Abū Ya‘zā et étudié le rapport entre le degré spirituel élevé accordé au saint et l’image que l’hagiographe présente de ce dernier comme ascète.

Al-Tamīmī10 ne s’étend guère sur l’aspect historique des personnages qu’il évoque et se limite à mentionner leur nom sans préciser le lieu ou la date de naissance, ni l’origine ethnique. Comme le remarque justement M. Cherif11, c’est avant tout la dimension spirituelle des personnages qui l’intéresse, conformément à la vocation « édifiante » de son ouvrage. Pour la même raison, la « mise en perspective temporelle du saint »12 cédé à la valorisation du profil spirituel de ce dernier.

Dans la partie qui nous est parvenue, al-Tamīmī recense 115 personnages, dont 74 semblent habiter à Fès et 23 dans les proches alentours, alors que 15 personnages sont d’origine andalouse et trois viennent du Maghreb Central. Si ces données témoignent de l’influence des milieux soufis andalous sur Fès, l’Orient musulman, notamment le Hedjaz, la Grande Syrie et l’Égypte, apparaît comme une destination des saints13, surtout dans le cadre du pèlerinage et de la guerre sainte contre les croisés, mais aussi dans la recherche de la science comme c’est le cas pour al-Tamīmī lui-même. Il est probable que Fès est l’une des haltes privilégiées des soufis andalous en route pour l’Orient, bien que certains s’y soient installés.

La plupart des personnages du Mustafād sont des artisans, alors que certains saints mentionnés ne semblent se livrer à aucune occupation professionnelle et vivent dans la pauvreté14. Dans les deux cas tous ces saints font preuve d’un détachement intransigeant (zuhd) et se contentent du peu qui leur reste après avoir distribué une partie importante de leurs ressources aux pauvres. Certains individus ont à leur disposition des biens plus ou moins importants auxquels ils renoncent ou qu’ils gardent. Du point de vue sociologique, la plupart des personnages du Mustafād sont issus d’un milieu social moyen. La typologie élaborée par al-Tamīmī ne se limite donc pas au modèle de l’ascète mendiant. Le dépouillement matériel ne se présente pas comme une condition de la sainteté.

Le même état de fait peut être constaté par rapport aux origines ethniques ou tribales. Si le phénomène du chérifisme ne montre pas encore l’impact qu’il aura quelques siècles plus tard, dans le Mustafād la sainteté n’est pas le privilège d’une famille comme c’est le cas à Aghmat par exemple15. La science est beaucoup plus présente. La plupart des saints de Fès sont des spécialistes de jurisprudence, de la récitation coranique ou des hadiths qu’ils enseignent à un public plus ou moins important selon les cas. Quelques-uns sont des autorités intellectuelles de leur époque16. La figure du saint juriste, comme l’a relevé V. Cornell17, est effectivement prépondérante dans cette première hagiographie du Maroc. La prééminence de la science n’empêche pourtant pas certains de se consacrer exclusivement à l’adoration et de mener une vie assez discrète. Le saint illettré Abū Ya‘zā représente une exception assez remarquable, d’autant plus que l’auteur lui dédie un nombre important de pages pleines de témoignages personnels.

Fait assez inhabituel pour le milieu maghrébin du VIIe/XIIIe siècle, le soufisme apparaît dans le Mustafād plus comme une science et moins comme une pratique. L’auteur entend par taṣawwuf probablement la connaissance des sentences des maîtres orientaux ainsi que des manuels comme la Ri‘āya li-ḥuqūq Allāh d’al-Muḥāsibī, la Risāla d’al-Qushayrī, le Qūt al-Qulūb d’Abū Ḷālib al-Makkī et surtout l’Iḥyā’ ‘ulūm al-dīn d’al-Ghazālī18. Quant à la pratique, elle n’est pas encore organisée et codifiée dans le cadre des confréries. Pour al-Tamīmī les soufis ou le qawm (« la tribu ») ce sont simplement ceux qui ont approfondi et pleinement réalisé l’islam. C’est pour cela qu’on ne trouve aucune allusion explicite à la doctrine initiatique. Ce qui transparaît ce sont plutôt la pratique et les qualités personnelles. Il s’agit donc d’un soufisme de tendance akhlāqī (« fondé sur les vertus spirituelles »), ce qui n’est pas du tout inhabituel pour l’époque, surtout au Maghreb.

Quelques notions techniques apparaissent cependant parfois. Au tout début du livre19 on lit que ‘Alī b. Ismā‘īl Ibn Ḥirzihim suit la voie de la malāmatiyya et qu’il est le premier à l’introduire au Maroc. Sans donner d’explications supplémentaires, al-Tamīmī remarque que les gens désapprouvent « certains de ses états », ce qui n’empêche pas que « les coeurs s’inclinent vers lui avec affection »20. Un peu plus loin, al-Ḥājj Abū ‘Abdallāh al-Bannā’ est dit avoir pratiqué « une voie qui se caractérise par la grandeur d’âme (al-futuwwa) et l’excellence du caractère (ḥusn al-khuluq) »21. Or, malāmatiyya et futuwwa sont des notions de la tradition spirituelle du Khorasan22, mais aucun élément ne permet d’affirmer des liens historiques précis entre les soufis de Fès et cette dernière. Il est vrai que ces termes désignent en effet des attitudes et des méthodes initiatiques qui, au moins depuis l’apparition des manuels du soufisme, ne sont pas forcément liées à une région spécifique. Ainsi, sans vouloir exclure la possibilité d’une filiation historique, il est également possible que ces termes aient été appliqués, par al-Tamīmī lui-même ou par d’autres, à certains saints maghrébins après la lecture des ouvrages orientaux.

Si le côté akhlāqī est dominant, les faits surnaturels, il est vrai, ne manquent pas non plus23. En effet, les vertus spirituelles ne sont pas une fin en soi, mais les signes visibles d’une élection divine qui se manifeste parfois à travers des grâces surnaturelles (al-karāmāt)24. Cependant, il faut remarquer qu’al-Tamīmī ne se livre pas à l’énumération des miracles. Les faits surnaturels sont dans le Mustafād presque toujours associés à un enseignement ou à un éveil spirituel25. Les divers récits donnent toujours l’impression que si les saints en manifestent parfois, c’est en raison du bénéfice spirituel qu’ils peuvent apporter à ceux qui les entourent. Enfin, dans le cadre du discours hagiographique, les miracles ne font qu’illustrer le statut hors norme de ces personnages. Il s’agit sans doute de montrer que la sainteté correspond essentiellement à un don divin qui surpasse la piété du croyant commun et qui n’est pas mesurable par les catégories de l’entendement humain. Les miracles des saints illustrent enfin de manière incontestable leur fonction de représentants du Prophète qui a été secouru par Dieu par de nombreux miracles.26

En effet, al-Tamīmī ne se limite pas à relater la vie des saints de Fès, mais il compare leurs expériences avec celles des saints orientaux. Cela traduit d’une part la volonté de transmettre aux lecteurs maghrébins l’enseignement que l’auteur a pu collecter dans ses voyages orientaux et, d’autre part, le souci apologétique de montrer la concordance entre l’expérience des soufis de Fès et celle des grands noms de l’Orient. Côtoyant les cercles soufis tunisiens et orientaux, al-Tamīmī a sans doute pris connaissance des ouvrages hagiographiques comme le Riyāḍ al-nufūs27 d’Abū Bakr ‘Abdallāh al-Mālikī (m. 541/1047) et les Ṥabaqāt d’al-Sulamī. Montrant la continuité entre les compagnons du Prophète, la génération des ascètes et les soufis, ces ouvrages ont probablement incité notre auteur à rédiger son livre afin d’inclure dans l’univers de la sainteté musulmane les ṣulaḥā’ de sa ville natale28.

Le manque d’historicité du Mustafād est un indice du fait qu’il ne s’agit pas d’une simple collection biographique, mais d’une lecture spirituelle. Si Ibn al-‘Arabī l’a étudié, ce n’est certainement pas par curiosité historique. Les anecdotes des saints personnages font partie de l’enseignement religieux et initiatique de l’islam depuis le début29 et à une époque où le Maghreb n’a pas encore produit des traités doctrinaux ou des manuels de soufisme, l’hagiographie représente un moyen privilégié pour la transmission du savoir initiatique par l’écrit. Sur la base des vies des saints et à travers ses propres explications, al-Tamīmī livre un enseignement initiatique pour ses disciples et pour la tradition spirituelle de son pays.

Bien que le Mustafād ne soit pas un traité doctrinal, al-Tamīmī développe un enseignement initiatique lorsqu’il explique et commente les anecdotes et sentences des saints de Fès. Employant un langage simple et évitant les commentaires sophistiqués, il illustre ses arguments par des hadiths et des versets coraniques, démontrant ainsi le lien de l’expérience soufie avec les textes fondateurs de la tradition musulmane. Il avoue d’ailleurs lui-même d’avoir opéré un choix parmi les récits30 ce qui montre son souci d’insister sur certains aspects au détriment d’autres qu’il juge inopportuns. En effet, il trace les contours d’une sainteté fondée sur le modèle prophétique (sunna), la voie des pieux anciens (salaf) et sur l’exemple des soufis orientaux unanimement reconnus. Le modèle prophétique transparaît par l’importance que prennent les hadiths et les pratiques de la Sunna. Certains saints transmettent un hadith qui leur est propre ou prennent un hadith comme support de méditation privilégié pour leur cheminement initiatique31. Le récit de la rencontre de l’auteur avec Abū Madyan évoqué plus haut montre même comment la mise en pratique des hadiths est considérée comme supérieure à la connaissance théorétique de la doctrine soufie formulée en Orient. La pratique des salaf, c'est-à-dire des compagnons du Prophète et des deux générations qui suivent, apparaît par la mise en valeur du wara‘, le « scrupule », notamment quand il s’agit de la nourriture, et du zuhd, le « renoncement », qui caractérisaient les premiers musulmans. Quant aux soufis orientaux, l’auteur insiste visiblement sur la similitude (tashābuh) entre l’expérience des saints de Fès et leurs homologues orientaux. Le vocabulaire est clairement influencé par la littérature soufie. M. Cherif32 distingue les termes concernant la relation entre le maître et disciple (ṣuḥba, shaykh, khidma), ceux qui relèvent des vertus spirituelles (irāda, war‘, zuhd, faqr, istiqāma, tawakkul, akhlāq etc.), les notions désignant des expériences cognitives (khāṥir, kashf, muḥādatha, mukhāṥaba, ru’ya, etc.) et celles qui dénotent les étapes et les pratiques du cheminement (sulūk, bidāyāt, mujāhadāt, siyāḥa, khalwa, etc.). Or, al-Tamīmī ne définit pas ces termes qui sont d’ailleurs pour la plupart d’origine coranique33 et, comme le note encore M. Cherif, les notions de doctrine métaphysique sont pratiquement absentes34.
 
 

En présentant la tradition spirituelle de Fès35 tout en s’appuyant sur ces trois éléments, à savoir le modèle prophétique, la pratique des salaf et le soufisme oriental, le Mustafād réalise une synthèse qui rattache les saints de la ville idrisside d’une part à la sainteté telle qu’elle a été énoncée par l’hagiographie orientale, et d’autre part au contexte intellectuel et socioreligieux de Fès. Or, le fait que l’auteur évite visiblement les exposés doctrinaux et utilise parfois un langage populaire pose la question du public auquel le livre est destiné. S’agit-il d’un ouvrage de vulgarisation censé sensibiliser un public plus large et non-soufi à l’hagiologie et à l’enseignement spirituel ? Le soin apporté à la vérification de l’authenticité des anecdotes36 par les chaînes de transmission utilisées dans la science des hadiths relève de la volonté de rendre le Mustafād acceptable pour milieu savant. D’autre part, l’idée de l’héritage prophétique est à considérer à ce propos. Si la littérature des rijāl, les transmetteurs des hadiths, documente la transmission des dites prophétiques, l’hagiographie, pourrait-on sous-entendre, démontre la transmission de la spiritualité prophétique par les saints37. Apologétique et hagiologie se croisent quand le texte illustre la conformité des saints de Fès au modèle prophétique. Sans doute l’auteur espère également retracer des modèles normatifs pour les soufis contemporains et pour les générations à venir. Fournir une première référence écrite de la tradition spirituelle de Fès dont les contours commencent à se concrétiser représente un moyen idéal pour sa mise en valeur et permet de la consolider face aux milieux hostiles et aussi face aux autres centres du monde musulman. En se référant constamment aux expériences des saints orientaux, al-Tamīmī établit des critères et des profils qui, tout en ayant une valeur universelle, représentent autant de modalités d’une sainteté adaptée au contexte local. Ainsi, les modèles qu’il trace, sont supposés établir une référence normative pour les cercles soufis de Fès.

 

Nous ne disposons malheureusement pas de l’introduction du Mustafād qui aurait peut-être fourni des informations précieuses concernant les motifs de sa rédaction. Les observations relevées ici permettent cependant quelques affirmations générales. Si plusieurs éléments apparaissent comme déterminants, à notre avis son intention est de mettre en évidence la tradition initiatique de Fès face à l’hagiographie orientale et de fournir ainsi un support d’enseignement initiatique référentiel. Le projet de consigner par écrit le patrimoine spirituel des générations fondatrices du soufisme de la ville idrisside et d’aligner ses protagonistes sous les autorités orientales semble tout à fait cohérent avec le parcours personnel d’al-Tamīmī et le moment historique. En second lieu, la volonté de montrer le fondement prophétique de cette sainteté, soit pour des raisons apologétiques soit pour fonder une hagiologie normative pour le soufisme en terre marocaine, apparaît clairement.

 

Première référence écrite pour l’hagiologie de la ville de Fès, l’importance de cet ouvrage pour le sujet de notre étude nécessite de porter un regard approfondi sur le contenu et d’analyser quelques passages représentatifs afin de mettre en évidence l’aspect initiatique du Mustafād.

 

Les passages choisis ne reflètent aucun ordre chronologique ou thématique, mais permettent d’obtenir une idée plus immédiate du style de l’ouvrage et de la façon dont il présente le milieu soufi de Fès dans sa période formative. Mais, avant tout, il s’agit de donner l’aperçu d’un enseignement spirituel. Si la recherche scientifique s’est concentrée sur l’aspect anthropologique et historique de la littérature hagiographique, le Mustafād procède bien évidemment d’une intention différente. La traduction de quelques extraits permettra de mieux suivre la méthode de l’auteur.

 

Nous commençons par traduire la notice consacrée à ‘Alī b. Ismā‘īl Ibn Ḥirzihim (m. 559/1162), un des maîtres d’Abū Madyan, placée au début du livre. Elle constitue la biographie la plus étendue de l’ouvrage, ce qui montre l’importance que l’auteur lui accorde.

 

« Et parmi eux il y avait le faqīh Abū al-Ḥasan ‘Alī b. Ismā‘īl Ibn Ḥirzihim, que Dieu nous fasse profiter de sa bénédiction !

Il était bienfaisant, vertueux, dévot, scrupuleux, renonçant [aux biens et honneurs de ce monde] et austère, parcourant la voie du blâme, alors que personne ne connaissait cette voie au Maghreb. Les gens du pays critiquaient certains de ses états, mais à cause de sa sincérité les coeurs inclinaient vers lui.

Je l’ai connu et fréquenté assidûment. Il vénérait la science s’acquittant de son droit et de son rang, tout en se retenant [d’utiliser] le pouvoir [que la science lui conférait]. Son âme était noble, montrant l’humilité vis-à-vis des pauvres et je n’ai jamais vu quelqu’un de plus détaché [de ce monde-ci]. Les qualités se réunissaient en lui comme en personne d’autre, que ce soit la compréhension des questions légales, la compréhension des hadiths, la connaissance de l’exégèse coranique ou le soufisme (al-taṣawwuf). Quant à l’enseignement de la Ri‘āya [li-ḥuqūq Allāh] et d’al-Muḥāsibī, personne ne pouvait l’égaler dans le scrupule, le renoncement dans ce monde, la rudesse de l’habillement, l’indulgence et la bonté du caractère. D’une apparence avenante et paisible, les coeurs étaient tous d’accord par rapport à l’amour qu’ils lui portaient et tous ceux qui le rencontraient éprouvaient un profond respect à son égard. Il accueillait les grands et les petits, répondait à celui qui l’appelait, n’éprouvait de la rancune vis-à-vis de personne et ne se donnait pas des airs importants. […]

Le cheikh Abū ‘Abdallāh Muḥammad, le fils de son frère, le faqīh Abū al-Qāsim et plusieurs personnes parmi les gens du pays m’ont rapporté que la cause qui le poussa à abandonner ce monde et à y renoncer était que lorsque son père, que Dieu lui fasse miséricorde, décéda, il lui légua son héritage, ainsi qu’à son frère, le faqīh Abū al-Qāsim mentionné. […] Lorsque le faqīh Abū al-Ḥasan [Ibn Ḥirzihim] s’apprêta à accomplir sa litanie nocturne, sa pensée était occupée avec l’héritage et la partie qui revenait à lui et à son frère jusqu’à ce qu’il ne sache plus combien il avait prié. Son for intérieur (sirr) restait occupé par cela [toute la nuit]. Quand il se leva le matin, il fit appeler son frère Abū al-Qāsim et lui dit : "Sois témoin que je te lègue ma partie de l’héritage paternel". Son frère lui répondait : "Ne le fais pas !". Alors il dit : "Si tu ne fais pas [ce que je te demande], je léguerai tout aux lépreux !". Quand son frère vit sa ferme résolution, il se prêta témoin et accepta de recevoir sa partie de l’héritage.

 

Cette anecdote montre l’étendue de sa connaissance de Dieu, exalté soit-Il, car le connaissant par Dieu garde et inspecte son coeur et s’il trouve qu’une affaire mondaine le préoccupe, il s’empresse d’ôter cette affaire de son coeur pour qu’il puisse se diriger vers sa prière et l’entretien intime avec son Seigneur tout en ayant le coeur [disponible et] vide. Ceci [s’impose] en raison du hadith « Dieu S’oriente vers le serviteur qui prie tant que celui-ci se dirige vers Lui avec son coeur ». Lorsque le coeur paît dans les champs de ce monde, Dieu S’en détourne. »38

 


Mausolée de Abû-l-hassan Ali Ibn Hirzihim ou Sidi Harazem qui était un penseur amazigh né à Fès à une date inconnue et mort dans la même ville en 1164, il est enterré à Bab Ftouh à Fès

 

Le début de cette biographie est centré sur les deux vertus du renoncement (zuhd) et de la bonté du caractère (ḥusn al-khuluq), bien que la notion capitale de la connaissance par Dieu apparaisse, ainsi que le rôle du coeur. Le commentaire d’al-Tamīmī met en évidence le fait que les deux vertus, qui d’ailleurs occupent une place importante dans la tradition prophétique39, ne sont que les signes extérieurs de la connaissance spirituelle (al-ma‘rifa) qui elle, relève véritablement de la pureté du coeur. L’enseignement initiatique de l’auteur s’annonce ici comme étant basé sur l’équilibre entre la pratique extérieure et le travail intérieur de l’aspirant, tout en affirmant la priorité qui doit être accordée à ce dernier. Il n’est pas possible de développer ici tout ce qu’implique ce passage du point de vue de l’enseignement soufi, mais notons que l’insistance sur l’aspect intérieur et contemplatif de la sainteté montre clairement la vocation initiatique du livre.

Un autre élément digne d’intérêt est le respect de la science, qu’elle soit conventionnelle ou spirituelle. La notion du « droit » (ḥaqq) qui revient à la science fait allusion à l’idée qu’elle indique une « limite » que le saint doit garder pour ne pas courir le risque de divulguer le secret initiatique40. La remarque concernant la voie du blâme est, comme nous l’avons déjà signalé, difficile à interpréter, puisqu’elle semble contredire le souci apologétique d’al-Tamīmī. D’autre part, on peut considérer que l’anecdote sur le renoncement de l’héritage est l’illustration évidente de cette voie, car Ibn Ḥirzihim renonce à son héritage afin de blâmer son âme pour la distraction dans la prière.

 
 
 

Les anecdotes qui suivent illustrent les qualités spirituelles énumérées dans l’introduction du personnage et al-Tamīmī en fournit parfois des explications en ajoutant ses propres commentaires ou en intégrant des extraits hagiographiques tirés des sources orientales. C’est une façon de procéder qui se poursuit dans le reste du Mustafād et qui permet de développer un enseignement spirituel très riche.

« Parmi eux, il y avait le cheikh Abū al-Ḥasan al-Zarhūnī41, que Dieu lui fasse miséricorde !

Il était parmi les éminents dévots (al-‘ubbād) et parmi les ascètes (al-zuhhād) d’un haut degré. Renonçant à ce qu’il avait, il se retirait vers Dieu et Dieu l’a mis à l’abri, il se remettait à Dieu et Dieu l’a satisfait ! Il pleurait beaucoup et s’adonnait à la récitation du Coran, étant triste au point qu’on ne le voyait sans qu’il semblât qu’un malheur lui fut arrivé. Abū ‘Alī al-Daqqāq42, que Dieu lui fasse miséricorde, a dit : "Le compagnon de la tristesse franchit dans la voie de Dieu dans un mois ce que celui qui en est dépourvu ne franchit qu’en plusieurs années". Dans la tradition prophétique il est dit que Dieu aime tout coeur triste. Notre cheikh le faqīh Abū Ḥafḵ43 nous chantait dans l’enceinte sacrée de La Mecque, que Dieu accroisse sa noblesse :

"J’ai interrogé mon médecin [divin] à propos de mon remède et Il m’a dit : / Meurs et tu seras sauvé ou vis et sois triste / Car si tu meurs par amour ardent pour Moi, tu triompheras de Mon paradis / Et si tu vis dans la tristesse, Je te compterai parmi les excellents ! "

 

De la même façon l’aspirant doit être triste tout au long de ses journées dans ce monde et la tristesse ne doit pas le quitter jusqu’à ce qu’il contemple la présence du Majestueux dans la demeure de la singularité par l’oeil de l’éternité. Dieu dit [dans le Coran] : Louange à Dieu qui a dissipé notre tristesse !44.»45

Al-Tamīmī évoque d’abord les actes et les pratiques du saint pour ensuite traiter de son état spirituel, la tristesse (al-ḥuzn), et ajouter ses propres explications. Il s’agit donc d’une progression de l’extérieur vers l’intérieur qui est une façon de présenter un type d’expérience et de méthode spirituelle. La tristesse constitue un chapitre de la Risāla d’al-Qushayrī et fait partie du vocabulaire technique du soufisme depuis le début. La phrase « il était triste au point qu’on ne le voyait sans qu’il apparaisse comme si un malheur lui était arrivé » apparaît ainsi dans la Risāla46 à propos d’al-Ḥasan al-Baḵrī (m. 110/728), le fameux saint des premières générations. L’explication de l’auteur du Mustafād montre qu’il ne se limite pas à recopier les passages des ouvrages orientaux. Ainsi il développe la notion de tristesse et explique son rôle dans le cheminement spirituel, alors que dans le texte d’al-Qushayrī on ne trouve que des sentences. Le saint évoqué par al-Tamīmī incarne en quelque sorte cet état spirituel et sa pratique, ses traits de caractère et son mode de vie représentent les moyens de le réaliser.

 

 « Et parmi eux il y avait (Abū)47 Ḥajjāj b. Yūsuf al-Kandarī qui habitait à Fès, que Dieu lui fasse miséricorde !

Le cheikh Abū al-Ḥajjāj Yūsuf m’a rapporté qu’il était une fois touché par une terrible famine et que, d’une nuit à l’autre, il ne trouvait pour nourrir qu’une galette d’orge. Il se dit à lui-même au cours d’une de ces nuits : "Parmi ma famille et mes enfants, personne ne peut se rassasier, mais moi je suis capable d’endurer patiemment (aṣbir), donc je vais leur offrir (ūthir) ma portion". Ensuite il donna sa portion à son épouse et alla se coucher. Il vit alors en rêve qu’on lui donnait un bol de potage et qu’on lui disait : "Mange ! " Il mangea alors le potage jusqu’à être rassasié et quand il se réveilla, il se trouva fort et rassasié. Quand la deuxième nuit s’approcha, il offrit encore sa portion à son épouse et il fut nourri également dans son rêve comme dans la première nuit. Cette situation continua ainsi un mois ; il donnait sa portion à son épouse et était nourri dans son rêve, jusqu’à que ce la famine cessa et qu’il n’eût plus besoin qu’on lui donnât de la nourriture.

Lorsqu’on lui offrait de la nourriture dans laquelle il y avait quelque chose de douteux, il était averti et empêché de la consommer. C’est la station spirituelle d’al-Ḥārith b. Asad al-Muḥāsibī, que Dieu lui fasse miséricorde !»48

 

Le passage qui suit provient de la Risāla d’al-Qushayrī et rapporte une anecdote qui montre comment al-Muḥāsibī avait la capacité surnaturelle de reconnaître la nourriture d’origine douteuse. La référence au milieu bagdadien où s’est cristallisé le soufisme « classique » est ici, comme dans maints autres passages, explicite. La remarque que ce saint a atteint la station spirituelle d’al-Muḥāsibī, une des figures majeures du soufisme, est tout à fait significative, surtout si on considère la popularité de la Ri‘āya au Maghreb. Le wara‘ (« scrupule ») apparaît ici, comme dans de nombreux autres passages, comme une vertu cardinale permettant d’accéder aux plus hautes stations initiatiques. L’anecdote du miracle de la nourriture montre comment la pratique des vertus spirituelles est accompagnée par l’assistance divine. Les deux vertus dont il est question, la patience (al-ṣabr) et l’altruisme (al-īthār), forment deux chapitres dans la Risālat al-Qushayriyya, mais sont également des notions coraniques49.

« Et parmi eux il y avait le cheikh Abū ‘Abdallāh Muḥammad al-Tawdī50 qui enseignait le livre saint de Dieu et était un homme saint et dévot, adonné à l’ascèse ; se contentant de peu de ce monde, il faisait preuve de renoncement. Des preuves (barāhīn) et des grâces surnaturelles lui sont apparues. Je l’ai connu et je l’ai fréquenté auprès du cheikh Abū Madyan, que Dieu lui fasse miséricorde ! »51

Le récit se poursuit en relatant la multiplication miraculeuse d’un tissu au cours de la confection des vêtements d’une famille pauvre grâce à l’intervention du saint. La multiplication est en effet un type de miracle prophétique dont le Qāḍī ‘Iyāḍ rapporte différentes versions dans son Shifā52. Ce genre de récits met en valeur, entre autres, la baraka (« bénédiction ») du personnage et joue un rôle important dans la popularisation de la sainteté.

 

Pour conclure cet aperçu, remarquons qu’en considérant la ressemblance des saints de Fès et ceux de l’Orient, il est légitime de se demander qu’est-ce qui a poussé al-Tamīmī à rédiger un nouveau traité, au lieu de se contenter des ouvrages orientaux qui ont été introduits par les savants tunisiens. L’analyse de ces quelques passages fournit une réponse possible en montrant la contribution personnelle de l’auteur du Mustafād. L’enseignement oriental, a-t-il sans doute estimé, exigeait une adaptation au contexte de Fès. Al-Tamīmī veut éviter de traiter l’enseignement initiatique comme une science ou école (le madhhab dont parle al-Kalabādhī53 p. ex.) à part et montrer à l’instar d’al-Ghazālī que les saints ne sont tels qu’en fonction de leur assimilation et intériorisation de l’enseignement islamique.


 1 C’est notamment la vocation des écrivains comme les Qādirī, voir infra.
2 Cf. par exemple l’hagiographe d’Idrīs II, al-Ḥalabī (al-Durr al-nafīs, p. 12), et al-Kattānī (Salwa, vol. I, p. 4).
3 « Ecriture hagiographique et modèles de sainteté dans l’Ifriqiya Ḥafḵide (VIIIe-IXe/XIVe-XVe siècle) d’après trois recueils de manāqib », Les Cahiers de Tunisie, Tunis : Faculté des Sciences Humaines et Sociales, n° 173, 1996, 2e sem., p. 14. 
4 2 vol., CHERIF, Mohamed (éd.), Tétouan : Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Tétouan, 2002.
5 Nous abordons la biographie de cet auteur dans la deuxième partie (voir chap. IV, 2).
6 Op. cit.
7 ADDAS, Claude, Ibn ‘Arabī ou la quête du soufre rouge, Paris : Gallimard, 1987, p. 165-166.
8 CORNELL, Vincent, op. cit., p. 68-69, p. 99-100.
9 HONERKAMP, Kenneth, « Tamīmī’s Eyewitness Account of Abū Ya‘zā Yallanūr », Tales of God’s Friends, RENARD, John (dir.), Berkeley : University of California Press, 2009, p. 30-46.
10 Voire la première partie de notre recherche (« Aperçu historique »).
11 CHERIF, Mohamed, op. cit., vol. I, p. 170.
12 GEOFFROY, Éric, loc. cit., p. 90-92.
13 CHERIF, Mohamed, op. cit., vol. I, p. 180-192. 
14 Ibid., p. 194-200.
15 Cf. Uns al-Faqīr, p. 58.
16 Cf. CHERIF, Mohamed, op. cit., vol. I, p. 202-203.
17 Op. cit., p. 3-12.
18 Cf. CHERIF, Mohamed, op. cit., vol. I, p. 204-206, où l’auteur réunit les passages qui font allusion au taṣawwuf. Dans les mêmes pages il remarque l’importance de l’Iḥyā’ comme référence principale des soufis mentionnés dans le Mustafād. Le projet du magnum opus d’al-Ghazālī d’établir « la science de l’au-delà », c'est-à-dire le soufisme, comme principe et finalité des sciences religieuses (cf. GARDEN, Kenneth, al-Ghazzālī’s contested Revival – Iḥyā’ ‘ulūm al-dīn and its critics in Khorasan and the Maghrib, thèse de doctorat, University of Chicago, 2005) correspond en quelque sorte au motif plus ou moins implicite du Mustafād de qualifier les saints comme les véritables transmetteurs de l’héritage prophétique. 
19 Mustafād, p. 15.
20 Ibid.
21 Ibid, p. 143.
22 Cf. THIBON, Jean-Jacques, L’oeuvre d’Abū ‘Abd al-Raḥmān (325/937-412/1021) et la formation du Soufisme, Damas : IFPO, 2009, p. 45 sq.
23 Cf. CHERIF, Mohamed, op. cit., vol. I, p. 159-160. L’auteur distingue deux types de miracles rapportés dans le Mustafād : ceux concernant la nature et ceux concernant les hommes et les animaux. Il ajoute aussitôt que les récits d’al-Tamīmī restent toujours assez sobres et qu’il ne s‘étend pas excessivement sur les aspects surnaturels de ces derniers, car ce qui l’intéresse davantage ce sont « les qualités et les attributs subtils qui indiquent le mérite » des saints.
24 « Les traditionnels développements sur les faveurs surnaturelles que contiennent toutes les monographies de saints répondent au dessein d’extérioriser de façon optimale la sainteté » (GEOFFROY, Éric, loc. cit., p. 86).
25 C’est donc la « fonction édifiante » du miracle (cf. AIGLE, Denise, « Le statut du miracle dans l’islam », Annuaire EPHP, Section des sciences religieuses, 1996-97, n° 105, p. 286-287) qui est mis en avant. 
26 Cf. RENARD, John, Friends of God, op. cit., p. 95-98. Les miracles du Prophète forment dans le fameux Kitāb al-shifā’ du Qāḍī ‘Iyāḍ un argument important en faveur d’une spiritualité centrée sur la figure prophétique. Al-Tamīmī, on l’a vu, a fréquenté les disciples du Qāḍī ‘Iyāḍ à Sabta et a sans doute subi l’influence de ses idées. Il mérite d’être remarqué à ce propos que dans la littérature religieuse les miracles constituent entre d’autres une façon de rendre palpable à un public populaire l’élection divine d’un personnage ainsi que la puissance de son aspiration spirituelle - ou si on veut, son « charisme » -, sans pourtant en constituer un critère. Cf. GEOFFROY, Éric, « Attitudes contrastées des mystiques musulmans face aux miracles », Miracle et karāma, Hagiographies médiévales comparées 2, AIGLE, Denise, (dir.), Turnhout : Brepols, 2000, p. 301-316 ; GRIL, Denis, « Le miracle en islam, critère de la sainteté ? », Saints orientaux, Hagiographies médiévales comparées1, AIGLE, Denise (dir.), Paris : De Boccard, 1995, p. 69-81.
27 Riyāḍ al-nufūs fī ṥabaqāt ‘ulamā’ al-Qayrawān wa al-Ifrīqiyya, 2 vol., Beyrouth : Dār al-Gharb al-Islāmī, 1981. L’ouvrage a été partiellement traduit par Hady Roger Idris (« Contribution à l’histoire de l’Ifriqiya d’après le Riyâd an-nufûs d’Abû Bakr al Mâlikî », Revue des études islamiques, 1969, n° XXXVII, p. 117-149). Selon M. Cherif (cf. op. cit., vol. I, p. 168), c’est cet ouvrage qui a le plus inspiré l’auteur du Mustafād quant au style et à la terminologie. Ce dernier manque toutefois l’orientation savante et juridique du Riyāḍ al-nufūs qui concerne avant tout les fuqahā’.
28 C’est un des hypothèses qu’avance V. Cornell pour expliquer la naissance de l’hagiographie marocaine (cf. op. cit., p. 1-5). Cf. aussi à ce propos GRIL, Denis, « Le saint et le maître ou la sainteté comme science de l’homme, d’après le Rûh al-quds d’Ibn ‘Arabî », Saint et sainteté dans le christianisme et l’islam. Le regard des sciences de l’homme, AMRI, Nelly, GRIL, Denis, (dir.), Paris : Maisonneuve et Larose-MMSH, 2007, p. 60.
29 Cf. l’introduction de ce chapitre. 
30 Mustafād, p. 76.
31 Dans les premiers ouvrages hagiographiques comme les Ṥabaqāt d’al-Sulamī et la Ḥilyat al-awliyā’ d’al-Isfahānī, la transmission des hadiths apparaît comme une marque de la sainteté.
32 Op. cit., vol. I, p. 159.
33 Des termes plus spécifiquement soufi qu’on trouve notamment dans la Risāla d’al-Qushayrī comme sukr/ṣaḥw (« ivresse/sobriété »), qabḍ/basṥ (« contraction/dilatement »), jam‘/farq (« union/ séparation ») ou fanā’/baqā’(« extinction/subsistance ») ne sont pas employés. La figure du Khiḍr apparaît dans quelques anecdotes, ce qui présuppose la connaissance du rôle initiatique de ce personnage.
34 Ḥāqā’iq (« les vérités spirituelles ») est employé seulement une fois, ainsi que wujūd (« être, existence »). Il n’est pas question du tawḥīd al-khāṣṣ (« la doctrine de l’unité de l’élite ») comme on le rencontre chez un Junayd p. ex., ni du tajallī (« théophanie ») si important chez Ibn al-‘Arabī, bien que l’auteur connaît sans doute l’enseignement de ces deux personnages. 
35 Il est bien sûr sous-entendu que cette tradition spirituelle soit en effet encore assez hétérogène et peut-être est-il trop tôt pour parler d’une tradition qui soit propre à Fès, vu l’influence andalouse et celle du soufisme rural. Néanmoins, il nous semble légitime de s’y référer en raison de la centralité d’Abū Madyan qui intègre les plus importants parmi ces courants, sans oublier les Ibn Ḥirzihim et le rôle de Fès comme centre d’étude de l’Iḥyā’.
36 Plus que la moitié des récits sont des témoignages directs d’al-Tamīmī lui-même, alors qu’un tiers a été recueilli oralement par l’auteur. Seulement 5 % des anecdotes proviennent des sources écrites (cf. CHERIF, Mohamed, op. cit., vol. I, p. 146-152).
37 C’est naturellement une caractéristique de toute la littérature hagiographique musulmane, cf. GEOFFROY, Éric, « Entre hagiographie et hagiologie – Les Laṥā’if al-minan d’Ibn ‘Aḷā’ Allāh », ANISL, Le Caire : IFPO, 1998, n° 32, p. 50.
38 Mustafād, p. 15-17.
39 Cf. AL-QĀḌĪ ‘IYĀḌ, Abū al-Faḍl, al-Shifā bi-ta‘rīf ḥuqūq al-Muṣṥafā, Beyrouth : Dār al-Fikr, 1988, p. 96-147.
40 Dans l’Iḥyā’ (« Kitāb al-‘aqāid », ch. II), ouvrage préféré des Ibn Ḥirzihim, al-Ghazālī s’étend  particulièrement sur ce point.
41 Nous n’avons pas pu trouver des informations biographiques à propos de ce personnage.
42 Mort en 405/1015 ou 412/1021, c’est le maître d’al-Qushayrī qui le cite fréquemment dans sa Risālah.
43 Nous ignorons l’identité de ce personnage. Cf. la note de M. Cherif, op. cit., vol. II, p. 175.
44 Coran, XXXV : 34.
45 Mustafād, p. 175. 
46 AL-QUSHAYRĪ, Abū al-Qāsim, al-Risālat al-Qushayriyya, Le Caire : Dār al-Sha‘b, 1989, p. 256.
47 Il n’est pas très clair si le « Abū » fait partie de son nom ou pas, car al-Tamīmī le mentionne parfois avec et parfois sans.
48 Mustafād, p. 111-112. 
49 Cf. p. ex. Coran, III : 200 pour le ṣabr et IX : 59 pour l’īthār.
50 Mort en 580/1184 à Fès, c’est un disciple d’Ibn Ḥirzihim. Il est enterré à Fès à l’extérieur de Bāb ‘Ajīsa. Cf. Tashawwuf, p. 272-275 ; Salwa, vol. III, 136-139 ;
51 Mustafād, p. 137-138.
52 Cf. AL-QĀḌĪ ‘IYĀḌ, Abū al-Faḍl, op. cit., p. 291-298.
53 Cf. AL-KALABĀDHĪ, Muḥammad Abū Bakr, al-Ta‘arruf li-madhhab al-taṣawwuf, Le Caire : sans éd., 1960 (trad. par Roger Deladrière : Kalâbâdhî – Traité de soufisme, les maîtres et les étapes, Arles : Actes Sud, 2005). 
 


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