Dôme intérieur de la mosquée du Prophète (Saws) à Médine (Al-Masjid Al-Nabawi)
La doctrine de l’unité, (1) c'est-à-dire l’affirmation
que le Principe de toute existence est essentiellement Un, est un point
fondamental commun à toutes les traditions orthodoxes, et nous pouvons même
dire que c’est sur ce point que leur identité de fond apparaît le plus
nettement, se traduisant jusque dans l’expression même. En effet, lorsqu’il
s’agit de l’Unité, toute diversité s’efface, et ce n’est que lorsqu’on descend
vers la multiplicité que les différences de formes apparaissent, les modes
d’expression étant alors multiples eux-mêmes comme ce à quoi ils se rapportent,
et susceptibles de varier indéfiniment pour s’adapter aux circonstances de
temps et de lieux. Mais « la doctrine de l’Unité est unique » (suivant la
formule arabe : Et-Tawhîdu wâhidun), c'est-à-dire qu’elle est partout et
toujours la même, invariable comme le Principe, indépendante de la multiplicité
et du changement qui ne peuvent affecter que les applications d’ordre
contingent.
Aussi pouvons-nous dire que, contrairement à l’opinion
courante, il n’y a jamais eu nulle part aucune doctrine réellement «
polythéiste », c'est-à-dire admettant une pluralité de principes absolue et
irréductible. Ce « pluralisme » n’est possible que comme une déviation
résultant de l’ignorance et de l’incompréhension des masses, de leur tendance à
s’attacher exclusivement à la multiplicité du manifesté : de là l’ « idolâtrie
» sous toutes ses formes, naissant de la confusion du symbole en lui-même avec
ce qu’il est destiné à exprimer, et la personnification des attributs divins
considérés comme autant d’êtres indépendants, ce qui est la seule origine
possible d’un « polythéisme » de fait. Cette tendance va d’ailleurs en
s’accentuant à mesure qu’on avance dans le développement d’un cycle de
manifestation, parce que ce développement lui-même est une descente dans la
multiplicité, et en raison de l’obscuration spirituelle qui l’accompagne
inévitablement. C’est pourquoi les formes traditionnelles les plus récentes
sont celles qui doivent énoncer de la façon la plus apparente à l’extérieur
l’affirmation de l’Unicité ; et, en fait, cette affirmation n’est exprimée
nulle part aussi explicitement et avec autant d’insistance que dans l’Islamisme
où elle semble même, si l’on peut dire, absorber en elle toute autre affirmation.
La seule différence entre les doctrines traditionnelles,
à cet égard est celle que nous venons d’indiquer : l’affirmation de l’Unité est
partout, mais, à l’origine, elle n’avait pas même besoin d’être formulée
expressément pour apparaître comme la plus évidente de toutes les vérités, car
les hommes étaient alors trop près du Principe pour la méconnaître ou la perdre
de vue. Maintenant au contraire, on peut dire que la plupart d’entre eux,
engagés tout entiers dans la multiplicité, et ayant perdu la connaissance
intuitive des vérités d’ordre supérieur, ne parviennent qu’avec peine à la
compréhension de l’Unité ; et c’est pourquoi il devient peu à peu nécessaire,
au cours de l’histoire de l’humanité terrestre, de formuler cette affirmation
de l’Unité à maintes reprises et de plus en plus nettement, nous pourrions dire
de plus en plus énergiquement.
Si nous considérons l’état actuel des choses, nous voyons
que cette affirmation est en quelque sorte plus enveloppée dans certaines
formes traditionnelles, qu’elle en constitue même parfois comme le côté
ésotérique, en prenant ce mot dans son sens le plus large, tandis que dans
d’autres, elle apparaît à tous les regards, si bien qu’on en arrive à ne plus
voir qu’elle, quoiqu’il y ait assurément, là aussi, bien d’autres choses, mais
qui ne sont plus que secondaires vis-à-vis de celle-là. Ce dernier cas est
celui de l’Islamisme, même exotérique ; l’ésotérisme ne fait ici qu’expliquer
et développer tout ce qui est contenu dans cette affirmation et toutes les
conséquences qui en dérivent, et, s’il le fait en termes souvent identiques à
ceux que nous rencontrons dans d’autres traditions, telles que le Vêdânta et le
Taoïsme, il n’y a pas lieu de s’en étonner, ni de voir là l’effet d’emprunts
qui sont historiquement contestables ; il en est ainsi simplement parce que la
vérité est une, et parce que, dans cet ordre principiel, comme nous le disions
au début, l’Unité se traduit nécessairement jusque dans l’expression elle-même.
D’autre part, il est à remarquer, toujours en envisageant
les choses dans leur état présent, que les peuples occidentaux et plus
spécialement les peuples nordiques, sont ceux qui semblent éprouver le plus de
difficultés à comprendre la doctrine de l’Unité, en même temps qu’ils sont plus
engagés que tous les autres dans le changement et la multiplicité. Les deux
choses vont évidemment ensemble et peut-être y a-t-il là quelque chose qui
tient, au moins en partie, aux conditions d’existence de ces peuples : question
de tempérament, mais aussi question de climat, l’un étant d’ailleurs fonction
de l’autre, au moins jusqu’à un certain point.
Dans les pays du Nord, en effet, où la lumière solaire
est faible et souvent voilée, toutes choses apparaissent aux regards avec une
égale valeur, si l’on peut dire, et d’une façon qui affirme purement et
simplement leur existence individuelle sans rien laisser entrevoir au-delà;
ainsi, dans l’expérience ordinaire elle-même, on ne voit véritablement que la
multiplicité. Il en est tout autrement dans les pays où le soleil, par son
rayonnement intense, absorbe pour ainsi dire toutes choses en lui-même, les faisant
disparaître devant lui comme la multiplicité disparaît devant l’Unité, non
qu’elle cesse d’exister selon son mode propre, mais parce que cette existence
n’est rigoureusement rien au regard du Principe. Ainsi, l’Unité devient en
quelque sorte sensible : ce flamboiement solaire, c’est l’image de la
fulguration de l’oeil de Shiva, qui réduit en cendre toutes manifestation. Le
soleil s’impose ici comme le symbole par excellence du Principe Un (Allahu
Ahad), qui est l’Etre nécessaire, Celui qui seul Se suffit à Lui-même dans Son
absolue plénitude (Allahu Es-Samad), et de qui dépendent entièrement
l’existence et la subsistance de toutes choses, qui hors de Lui ne seraient que
néant.
Le « monothéisme », si l’on peut employer ce mot pour
traduire Et-Tawhîd, bien qu’il en restreigne quelque peu la signification en
faisant penser presque inévitablement à un point de vue exclusivement
religieux, le « monothéisme », disons-nous, a donc un caractère essentiellement
« solaire ». Il n’est nulle part plus « sensible » que dans le désert où la
diversité des choses est réduite à son minimum, et où, en même temps, les
mirages font apparaître tout ce qu’a d’illusoire le monde manifesté. Là, le
rayonnement solaire produit les choses et les détruit tour à tour ; ou plutôt,
car il est inexact de dire qu’il les détruit, il les transforme et les résorbe
après les avoir manifestées. On ne pourrait trouver une image plus vraie de
l’Unité se déployant extérieurement dans la multiplicité sans cesser d’être
elle-même et sans en être affectée, puis ramenant à elle, toujours selon les
apparences, cette multiplicité qui, en réalité, n’en est jamais sortie, car il
ne saurait rien y avoir en dehors du Principe, auquel on ne peut rien ajouter
et duquel on ne peut rien retrancher, parce qu’Il est l’indivisible totalité de
l’Existence unique. Dans la lumière intense des pays d’Orient, il suffit de
voir pour comprendre ces choses, pour en saisir immédiatement la vérité
profonde ; et surtout il semble impossible de ne pas les comprendre ainsi dans
le désert, où le soleil trace les Noms divins en lettres de feu dans le ciel.
Mesr, Seyidna
El-Hussein, 10 moharram 1349 H.
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