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[Publié dans les Études Traditionnelles N° 232-233,
avril-mai 1939, repris dans Initiation et Réalisation spirituelle chapitre
XXXI.]
Nous n’entendons nullement parler ici de ce que les
mystiques appellent « nuit des sens » et « nuit de l’esprit » ; quoique
celles-ci puissent présenter quelques similitudes partielles avec ce dont il
s’agit, il s’y trouve bien des éléments difficiles à « situer » exactement et
même souvent des éléments d’un caractère assez « trouble », ce qui tient
évidemment aux imperfections et aux limitations inhérentes à toute réalisation
simplement mystique, et sur lesquelles nous nous sommes suffisamment expliqué
en d’autres occasions pour nous dispenser d’y insister de nouveau. D’autre
part, notre intention n’est pas non plus d’envisager les « trois nuits »
symboliques qui représentent trois morts et trois naissances, se référant
respectivement, en ce qui concerne l’être humain, aux trois ordres corporel,
psychique et spirituel (1) ; la raison de ce symbolisme, qui est naturellement
applicable aux degrés successifs de l’initiation, est que tout changement
d’état se produit à travers une phase d’obscuration et d’« enveloppement »,
d’où il résulte que la « nuit » peut être considérée suivant une multiplicité
de sens hiérarchisés comme les états mêmes de l’être ; mais nous n’en
retiendrons présentement que les deux extrêmes. En effet, ce que nous nous
proposons est de préciser quelque peu la façon dont le symbolisme des «
ténèbres », dans son acception traditionnelle la plus générale, se présente
sous deux sens opposés, l’un supérieur et l’autre inférieur, ainsi que la
nature du rapport analogique qui existe entre ces deux sens et qui permet de
résoudre leur apparente opposition.
1 — Cf. A. K.
Coomaraswamy, Notes on the Katha Upanishad, 1ère partie.
Dans leur sens supérieur, les ténèbres représentent le
non-manifesté, ainsi que nous l’avons déjà expliqué au cours de nos précédentes
études ; il n’y a là aucune difficulté, et pourtant il semble que ce sens
supérieur soit assez généralement ignoré ou méconnu, car il est facile de
constater que, lorsqu’il est question des ténèbres, on ne pense communément
qu’à leur sens inférieur ; et encore ajoute-t-on souvent une signification «
maléfique » qui ne lui est nullement inhérente essentiellement, et qui ne se
justifie que dans le cas de quelques aspects secondaires et beaucoup plus
particularisés. En réalité, le sens inférieur représente proprement le « chaos
», c’est-à-dire l’état d’indifférenciation ou d’indistinction qui est au point
de départ de la manifestation, soit dans sa totalité, soit relativement à
chacun de ses états ; et ici nous voyons immédiatement apparaître l’application
de l’analogie en sens inverse, car cette indifférenciation, qu’on pourrait
appeler « matérielle » en langage occidental, est comme le reflet de
l’indifférenciation principielle du non-manifesté, ce qui est au point le plus
haut se réfléchissant au point le plus bas, comme les sommets des deux
triangles opposés dans le symbole du « sceau de Salomon ». Nous aurons encore à
revenir sur cette considération par la suite ; mais ce qu’il importe surtout de
bien comprendre avant d’aller plus loin, c’est que cette indistinction, quand
elle s’applique à la totalité de la manifestation universelle, n’est autre que
celle même de Prakriti, en tant que celle-ci s’identifie à la hylê primordiale
ou à la materia prima des anciennes doctrines cosmologiques occidentales ; en
d’autres termes, c’est l’état de potentialité pure, qui n’est en quelque sorte
qu’une image réfléchie, et par là même inversée, de l’état principiel des
possibilités non-manifestées ; et cette distinction est particulièrement
importante, car la confusion entre possibilité et potentialité est la source
d’innombrables erreurs. D’autre part, lorsqu’il s’agit seulement de l’état originel
d’un monde ou d’un état d’existence, l’indistinction potentielle ne peut plus
être envisagée qu’en un sens relatif et déjà « spécifié », en vertu d’une
certaine similitude existant entre le processus de développement de la
manifestation universelle et celui de chacune de ses parties constitutives,
similitude qui trouve notamment son expression dans les lois cycliques ; ceci,
qui est susceptible de s’appliquer à tous les degrés, et au cas d’un être
particulier comme à celui d’un domaine d’existence plus ou moins étendu,
correspond à la remarque que nous avons faite plus haut au sujet d’une
multiplicité de sens hiérarchisés, car il va de soi que, du fait de leur
multiplicité même, ces sens ne peuvent être que relatifs.
De ce qui vient d’être dit, il résulte que le sens
inférieur des ténèbres est d’ordre cosmologique, tandis que leur sens supérieur
est d’ordre proprement métaphysique ; on peut aussi remarquer dès maintenant
que leur relation permet de rendre compte du fait que l’origine et le développement
de la manifestation peuvent être envisagés à la fois dans un sens ascendant et
dans un sens descendant. S’il en est ainsi, c’est que la manifestation ne
procède pas seulement de Prakriti, à partir de laquelle son développement tout
entier est un passage graduel de la puissance à l’acte, qui peut être décrit
comme un processus ascendant ; elle procède en réalité des deux pôles
complémentaires de l’Être, c’est-à-dire de Purusha et de Prakriti et, par
rapport à Purusha, son développement est un éloignement graduel du Principe,
donc une véritable descente. Cette considération contient implicitement la
solution de beaucoup d’antinomies apparentes, surtout en ce qui concerne les
cycles cosmiques, dont la marche est, pourrait-on dire, réglée par une combinaison
des tendances qui correspondent à ces deux « mouvements » opposés, ou plutôt
complémentaires ; les développements auxquels ceci peut donner lieu sont
d’ailleurs évidemment en dehors de notre sujet ; mais on pourra tout au moins
comprendre aisément par là qu’il n’y a aucune contradiction entre
l’assimilation du point de départ ou de l’état originel de la manifestation aux
ténèbres dans leur sens inférieur, d’un côté, et, de l’autre, l’enseignement
traditionnel concernant la spiritualité de l’« état primordial », car les deux
choses ne se rapportent pas au même point de vue, mais respectivement aux deux
points de vue complémentaires que nous venons de définir.
Nous avons envisagé le sens inférieur des ténèbres
comme le reflet de leur sens supérieur, ce qu’il est en effet à un certain
point de vue ; mais en même temps, à un autre point de vue, il en est aussi en
quelque sorte l’« envers », en prenant ce mot dans l’acception où l’« envers »
et l’« endroit » s’opposent comme les deux faces d’une même chose ; et ceci
demande encore quelques explications. Le point de vue auquel s’applique la
considération du reflet est naturellement celui de la manifestation, et de tout
être situé dans le domaine de la manifestation ; mais, à l’égard du Principe,
où l’origine et la fin de toutes choses se rejoignent et s’unissent, il ne
saurait plus être question de reflet, puisqu’il n’y a réellement là qu’une
seule et même chose, le point de départ de la manifestation étant
nécessairement, aussi bien que son point d’aboutissement, dans le
non-manifesté. Au point de vue du Principe en lui-même, s’il est encore permis
d’employer dans ce cas une telle façon de parler, on ne peut même pas
distinguer deux aspects de cette chose unique, puisqu’une telle distinction ne
se pose et n’est valable que par rapport à la manifestation ; mais, si le
Principe est considéré dans sa relation à la manifestation, on pourra
distinguer comme deux faces, correspondant à la sortie du non-manifesté et au
retour au non-manifesté. Puisque le retour au non-manifesté est le terme final
de la manifestation, on peut dire que c’est lorsqu’il est vu de ce côté que le
non-manifesté apparaît proprement comme les ténèbres au sens supérieur, tandis
que, vu du côté du point de départ de la manifestation, il apparaît au
contraire comme les ténèbres au sens inférieur ; et, suivant le sens dans
lequel s’accomplit le « mouvement » de celui-ci vers celui-là, on pourrait dire
aussi que la face supérieure est tournée vers le Principe, tandis que la face
inférieure est tournée vers la manifestation, quoique cette image des deux
faces paraisse impliquer une sorte de symétrie qui, entre le Principe et la
manifestation, ne saurait exister véritablement, et que d’ailleurs, dans le
Principe même, il ne puisse évidemment plus y avoir aucune distinction de
supérieur et d’inférieur. Le point de vue du reflet est illusoire par rapport à
celui-là, comme le reflet même l’est aussi par rapport à ce qui est reflété ;
ce point de vue des deux faces correspond donc à un degré plus profond de
réalité, bien que pourtant lui-même soit encore illusoire à un autre niveau,
puisqu’il disparaît à son tour quand le Principe est envisagé en lui-même et
non plus par rapport à la manifestation.
Le point de vue que nous venons d’exposer en dernier lieu
sera peut-être rendu plus clair si l’on considère ce qui y correspond, à
l’intérieur même de la manifestation, dans le passage d’un état à un autre : ce
passage est en lui-même un point unique, mais il peut naturellement être
envisagé de l’un et de l’autre des deux états entre lesquels il est situé et
dont il est la limite commune. Ici encore, on retrouve donc la considération
des deux faces : ce passage est une mort par rapport à l’un des deux états,
tandis qu’il est une naissance par rapport à l’autre ; mais cette mort et cette
naissance coïncident en réalité, et leur distinction n’existe qu’à l’égard des
deux états, dont l’un a sa fin et l’autre son origine en ce même point.
L’analogie est évidente avec ce qui, dans les considérations précédentes, concernait,
non deux états particuliers de manifestation, mais la manifestation totale
elle-même et le Principe, ou plus précisément le passage de l’un à l’autre ; il
convient d’ailleurs d’ajouter que, là encore, le sens inverse de l’analogie
trouve son application, car, d’un côté, la naissance à la manifestation est
comme une mort au Principe, et de l’autre, inversement, la mort à la
manifestation est une naissance, ou plutôt une « re-naissance » au Principe, de
sorte que l’origine et la fin se trouvent inversées suivant qu’on les envisage
par rapport au Principe ou par rapport à la manifestation ; ceci, bien entendu,
toujours dans la relation de l’un à l’autre, car, dans l’immutabilité du
Principe même, il n’y a assurément ni naissance ni mort, ni origine ni fin,
mais c’est lui-même qui est l’origine première et la fin dernière de toutes
choses, sans que d’ailleurs il y ait entre cette origine et cette fin une
distinction quelconque dans la réalité absolue.
Si nous en venons maintenant à considérer le cas de
l’être humain, nous pouvons nous demander ce qui, pour lui, correspond aux deux
« nuits » entre lesquelles se déploie comme nous l’avons vu, toute la
manifestation universelle ; et, pour ce qui est des ténèbres supérieures, il
n’y a là encore aucune difficulté, car qu’il s’agisse d’un être particulier ou
de l’ensemble des êtres, elles ne peuvent jamais représenter autre chose que le
retour au non-manifesté ; ce sens, en raison même de son caractère proprement
métaphysique, demeure inchangé dans toutes les applications qu’il lui est
possible de faire de ce symbolisme. Par contre, en ce qui concerne les ténèbres
inférieures, il est évident qu’elles ne peuvent plus être prises ici qu’en un
sens relatif, car le point de départ de la manifestation humaine ne coïncide
pas avec celui de la manifestation universelle, mais occupe à l’intérieur de
celle-ci un certain niveau déterminé ; ce qui y apparaît comme « chaos » ou
comme potentialité ne peut donc l’être que relativement, et possède déjà en
fait un certain degré de différenciation et de « qualification » ; ce n’est
plus la materia prima, mais c’est, si l’on veut, une materia secunda, qui joue
un rôle analogue pour le niveau d’existence envisagé. Il va de soi, d’ailleurs,
que ces remarques ne s’appliquent pas seulement au cas d’un être, mais aussi à
celui d’un monde ; ce serait une erreur de penser que la potentialité pure et
simple peut se trouver à l’origine de notre monde, qui n’est qu’un degré
d’existence parmi les autres ; l’âkâsha, malgré son état d’indifférenciation,
n’est pourtant pas dépourvu de toute qualité et il est déjà « spécifié » en vue
de la production de la seule manifestation corporelle ; il ne saurait donc
aucunement être confondu avec Prakriti, qui, étant absolument indifférenciée,
contient par là même en elle la potentialité de toute manifestation.
Il résulte de là que, à ce qui représente les ténèbres
inférieures dans l’être humain, on ne pourra appliquer, par rapport aux
ténèbres supérieures, que l’image du reflet, à l’exclusion de celle des deux
faces ; en effet, tout niveau d’existence peut être pris comme un plan de
réflexion, et ce n’est d’ailleurs que parce que le Principe s’y reflète d’une
certaine façon qu’il possède quelque réalité, celle dont il est susceptible
dans son ordre propre ; mais, d’autre part, si l’on passait à l’autre face des
ténèbres inférieures, ce n’est pas dans le Principe ou dans le non-manifesté
que l’on se trouverait en pareil cas, mais seulement dans un état « préhumain »
qui n’est qu’un autre état de manifestation. Ici, nous sommes donc ramené à ce
que nous avons expliqué précédemment au sujet du passage d’un état à un autre :
d’un côté, c’est la naissance à l’état humain, et, de l’autre, c’est la mort à
l’état « préhumain » ; ou, en d’autres termes, c’est le point qui, suivant le
côté dont on l’envisage, apparaît comme le point d’aboutissement d’un état et
comme le point de départ de l’autre. Maintenant, si les ténèbres inférieures
sont prises en ce sens, on pourrait se demander pourquoi on ne considère pas simplement,
d’une façon symétrique, les ténèbres supérieures comme représentant la mort à
l’état humain, ou le terme de cet état, qui ne coïncide pas forcément avec un
retour au non-manifesté, mais qui peut n’être encore que le passage à un autre
état de manifestation ; en fait, le symbolisme de la nuit s’applique bien,
comme nous l’avons dit, à tout changement d’état quel qu’il soit ; mais, outre
qu’il ne pourrait s’agir en ce cas que d’une « supériorité » très relative, le
commencement et la fin d’un état n’étant que deux points situés à des niveaux
consécutifs séparés par une distance infinitésimale suivant « l’axe » de
l’être, ce n’est pas là ce qui importe au point de vue où nous nous plaçons. En
effet, ce qu’il faut considérer essentiellement, c’est l’être humain tel qu’il
est actuellement constitué dans son intégralité, et avec toutes les
possibilités qu’il porte en lui ; or, parmi ces possibilités, il y a celle
d’atteindre directement le non-manifesté, auquel il touche déjà, si l’on peut
dire, par sa partie supérieure, qui, bien que n’étant pas elle-même proprement
humaine, est cependant ce qui le fait exister en tant qu’humain, puisqu’elle
est le centre même de son individualité ; et, dans la condition de l’homme
ordinaire, ce contact avec le non-manifesté apparaît dans l’état de sommeil
profond. Il doit d’ailleurs être bien entendu que ce n’est point là un «
privilège » de l’état humain, et que, si l’on considérait de même n’importe
quel autre état, on y trouverait toujours cette même possibilité de retour
direct au non-manifesté, sans passage à travers d’autres états de
manifestation, car l’existence dans un état quelconque n’est possible que du
fait qu’Âtmâ réside au centre de cet état, qui sans cela s’évanouirait comme un
pur néant ; c’est pourquoi, en principe tout au moins, tout état peut être pris
également comme point de départ ou comme « support » de la réalisation
spirituelle, car, dans l’ordre universel ou métaphysique, tous contiennent en
eux les mêmes virtualités.
Dès lors qu’on se place au point de vue de la
constitution de l’être humain, les ténèbres inférieures devront apparaître
plutôt sous l’aspect d’une modalité de cet être que sous celui d’un premier «
moment » de son existence ; mais les deux choses se rejoignent d’ailleurs en un
certain sens, car ce dont il s’agit est toujours le point de départ du
développement de l’individu, développement aux différentes phases duquel
correspondent ses diverses modalités, entre lesquelles s’établit par là même
une certaine hiérarchie ; c’est donc ce qu’on peut appeler une potentialité
relative, à partir de laquelle s’effectuera le développement intégral de la
manifestation individuelle. À cet égard, ce qui représente les ténèbres
inférieures ne peut être que la partie la plus grossière de l’individualité
humaine, la plus « tamasique » en quelque sorte, mais dans laquelle cette
individualité tout entière se trouve pourtant enveloppée comme un germe ou un
embryon ; en d’autres termes, ce ne sera rien d’autre que la modalité
corporelle elle-même. Il ne faut d’ailleurs pas s’étonner que ce soit le corps
qui corresponde ainsi au reflet du non-manifesté dans l’être humain, car, ici
encore, la considération du sens inverse de l’analogie permet de résoudre
immédiatement toutes les difficultés apparentes : le point le plus haut, comme
nous l’avons déjà dit, a nécessairement son reflet au point le plus bas ; et
c’est ainsi que, par exemple, l’immutabilité principielle a, dans notre monde,
son image inversée dans l’immobilité du minéral. On pourrait dire, d’une façon
générale, que les propriétés de l’ordre spirituel trouvent leur expression,
mais « retournée » en quelque sorte et comme « négative », dans ce qu’il y a de
plus corporel ; et ce n’est là, au fond, que l’application à ce monde de ce que
nous avons expliqué précédemment quant au rapport inverse de l’état de
potentialité à l’état principiel de non-manifestation. En vertu de la même
analogie, l’état de veille, qui est celui où la conscience de l’individu est «
centrée » dans la modalité corporelle, est spirituellement un état de sommeil
et inversement ; cette considération du sommeil permet d’ailleurs encore de
mieux comprendre que le corporel et le spirituel apparaissent respectivement
comme « nuit » au regard l’un de l’autre, bien qu’il soit naturellement
illusoire de les envisager symétriquement comme deux pôles de l’être, ne
serait-ce que parce que le corps, en réalité, n’est point une materia prima,
mais un simple « substitut » de celle-ci relativement à un état déterminé,
tandis que l’esprit ne cesse jamais d’être un principe universel et ne se situe
à aucun niveau relatif. C’est en tenant compte de ces réserves, et en parlant
conformément aux apparences inhérentes à un certain niveau d’existence, qu’on
peut parler d’un « sommeil de l’esprit » correspondant à la veille corporelle ;
l’« impénétrabilité » des corps, si étrange que cela puisse sembler, n’est
elle-même qu’une expression de ce « sommeil », et, du reste, toutes leurs
propriétés caractéristiques pourraient également s’interpréter suivant ce point
de vue analogique.
Sous le rapport de la réalisation, ce qu’il y a surtout
à retenir de ces considérations, c’est que, si elle s’accomplit à partir de
l’état humain, c’est le corps même qui doit lui servir de base et de point de
départ ; c’est lui qui en est le « support » normal, contrairement à certains
préjugés courants en Occident et suivant lesquels on voudrait ne voir en lui
qu’un obstacle ou le traiter en « quantité négligeable » ; l’application au
rôle qu’un élément d’ordre corporel joue dans tous les rites, en tant que
moyens ou auxiliaires de la réalisation, est trop évidente pour qu’il soit
besoin d’y insister. Par ailleurs il y aurait assurément à tirer de tout cela
bien d’autres conséquences que nous ne pouvons développer présentement ; on
peut notamment entrevoir par-là la possibilité de certaines transpositions et «
transmutations » fort inattendues pour qui n’y a jamais songé ; mais, bien
entendu, ce n’est pas en concevant le corps suivant les théories « mécanistes »
et « physico-chimiques » des modernes qu’il sera jamais possible d’y comprendre
quoi que ce soit (1).
1 — Dans la tradition islamique, les deux « nuits »
dont nous avons parlé sont représentées respectivement par laylatul-qadr et
laylatul-mirâj correspondant à un double mouvement « descendant » et «
ascendant » : la seconde est l’ascension nocturne du Prophète, c’est-à-dire un
retour au Principe à travers les différents « cieux » qui sont les états
supérieurs de l’être ; quant à la première, c’est la nuit où s’accomplit la
descente du Qorân, et cette « nuit », suivant le commentaire de Mohyiddin ibn
Arabi, s’identifie au corps même du Prophète. Ce qui est particulièrement à
remarquer ici, c’est que la « révélation » est reçue, non dans le mental, mais
dans le corps de l’être qui est « missionné » pour exprimer le Principe : Et
Verbum caro factum est, dit aussi l’Évangile (caro et non pas mens), et c’est
là très exactement, une autre expression sous la forme propre à la tradition
chrétienne, de ce que représente laylatul-qadr dans la tradition islamique.
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