Ce texte est extrait d’une intervention que le shaykh fit lors d’une « leçon » avant la prière du vendredi, à la Grande Mosquée de Paris.
Si Jésus l’avait ainsi prononcée, il aurait en effet suivi le
conseil du diable, même s’il s’agissait là du témoignage d’une vérité de foi, alors que cette vérité, seule, est l’unique et véritable
raison du témoignage. « Je la prononce », pourrait-on ajouter aux paroles
de Jésus, « parce que cela est vrai, car il est en effet vrai qu’il n’y a pas
de dieu si ce n’est Dieu et que Muhammad est l’envoyé de Dieu ». C’est ce
témoignage qui fait de nous de véritables musulmans.
« Comment pouvons-nous savoir, nous a alors questionné un frère, que nous le disons sans que ce soit le diable qui nous le demande ? » Nous avons nous aussi été tenté par le diable, qui est bon théologien, de répondre que nous le disons parce que nous savons
que la shahâdah est le premier pilier de l’islam, le témoignage de foi d’une révélation abrahamique d’origine divine, transmise
au Prophète par l’intermédiaire de l’Archange Gabriel, qui lui a inspiré le
Saint Coran, Parole de Dieu et Livre sacré, réceptacle de la manifestation de
l’Esprit dans une révélation postérieure au Christianisme....
Mais nous ne croyons pas que Jésus aurait répondu de cette façon, ni que notre frère aurait été satisfait d’une telle
réponse.
En effet, cela ne lui aurait pas enlevé le doute quant au fait de savoir si son intention de répéter la shahâdah et
le tahlîl, pendant la séance du dhikr, n’était pas motivée par la recherche de phénomènes et d’états tels que le diable, seul, aurait pu la lui suggérer. Et si, par malheur, notre frère avait pu atteindre
certains états avec une telle mauvaise intention, il n’aurait certes pu s’agir d’états
spirituels. Car nous savons que c’est seulement de l’intention droite, niyyah,
que dépend la validité des rites et que les actes ne valent que par les
intentions. A quel état spirituel pourrait-on, en effet, prétendre lorsqu’en
l’absence de sincérité, l’intention n’est pas droite et qu’on essaie de l’atteindre
avec son individualité !
C’est oublier, en effet, que la voie vers Dieu n’a pas pour objet l’acquisition d’états spirituels, mais bien l’extinction en Dieu.
C’est oublier aussi que cette extinction nécessite la mort de notre individualité
car, « tant que nous sommes, Dieu n’est pas ». C’est oublier enfin que la
Vérité, al-Haqq, ne saurait être atteinte par le mental, analytique et
discursif, mais tout au contraire par l’intellect dont le siège est le coeur de
l’homme. Ceci implique, justement et préalablement, la purification et la
régénérescence du mental. La Révélation s’adresse, en effet, non pas seulement
au mental de l’homme, mais surtout à sa nature ontologique, al-fitrah, pour
laquelle elle constitue un rappel du pacte primordial.
« Adore Dieu », dit le Saint Coran, « jusqu’à ce que te vienne la certitude ». Cette certitude est le fruit de la connaissance métaphysique, mais nul ne peut y prétendre sans la foi qui en est l’anticipation,
et sans la soumission à Dieu qui en est l’expression.
Les états spirituels ne sont autres que les grâces que Dieu
accorde à Ses serviteurs. Et si nous ne pouvons être certains de les recevoir, nous
savons, en revanche, ce qu’il ne faut pas faire pour s’y ouvrir.
L’intention n’est droite que si elle est orientée vers la
réalisation de la pure servitude qui constitue la vraie connaissance de notre Seigneur, suivant les termes mêmes de la Tradition prophétique : «
Qui se connaît soi-même connaît son Seigneur ». Mais il faut, pour cela, nous vider de nous-mêmes, et mourir à notre âme passionnelle, l’âme qui ordonne le mal parce qu’elle s’approprie les choses et croit qu’elle existe par elle-même.
La pire des choses qui aurait pu arriver, avons-nous dit à notre frère, aurait été d’avoir atteint de tels états psychiques qu’il
aurait pris pour des états spirituels. Ces états psychiques auraient pu l’illusionner
au point de croire qu’il n’aurait plus eu besoin ni de foi, ni de pratique, ni
de communauté, et l’auraient conduit, au contraire, à s’en éloigner, comme tant
d’autres avant lui, alors que ce sont les moyens indispensables à la
réalisation de la vérité.
C’est en effet la foi dans le témoignage contenu dans la shahâdah, qui en exprime la vérité, et c’est cette vérité qui fait
le témoignage de notre foi. Nous ne la disons pour aucune autre raison si ce n’est le fait qu’elle est vraie, qu’elle contient la
Vérité telle qu’aurait pu la prononcer Jésus, Sayyidynâ ‘Isâ (‘alayhi-ssalâm) qui dit de lui même : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie ».
C’est pour cela, nous avait dit une soeur chrétienne, que lui, qui
est la Vérité, La connaît.
On raconte qu’un jour, alors que le muezzin descendait de son minaret après avoir fait le grand appel à la prière, l’imâm
Ghazâlî le qualifia d’hypocrite et de menteur. « Pourquoi ? », dit le muezzin, «
je n’ai fait que dire qu’il n’y a pas de dieu si ce n’est Dieu et que Muhammad
est Son prophète ». « Certes », répliqua l’imâm, « mais si tu l’avais vraiment
dit avec toute la sincérité de ton témoignage de foi, il n’y aurait plus ni
minarets, ni mosquée, ni muezzin, ni imâm, alors que nous sommes là à bavarder
! »
Voilà toute la différence entre les choses dites et les choses réalisées. Il ne s’agit pas de rechercher dans la réalité qui nous entoure des états qui ne sauraient aucunement être des états spirituels, mais plutôt de réaliser la Vérité des formules contenues dans le dogme. Il ne s’agit pas d’apprendre quelque chose de différent, mais de prendre conscience de la Vérité de l’énoncé de notre foi vécue dans la plus complète sincérité. S’il suffisait seulement d’affirmer sincèrement certaines vérités, ce qui représente notre témoignage dans le monde et qui peut nous conduire, si Dieu le veut, au salut après la mort, nous n’aurions nul besoin d’une initiation dans une voie qui seule peut nous conduire à la réalisation de la Vérité, pendant notre vie même.
C’est la Vérité qui donne la vie à notre voie. C’est la vérité de notre voie qui donne un sens à notre vie. C’est cette même vie vécue au nom de la Vérité, qui donnera le but à notre voie, à
notre itinéraire spirituel.
Jamais comme aujourd’hui, notre seul maître n’a été la vie, une vie faite de témoignage dans un monde dépourvu de foi, dans des
temps dépourvus de sens, au milieu d’hommes sans sincérité, ouverts à toutes
les tentations diaboliques. Seule la pratique d’une foi, d’une religion vécue, peut
nous sauver du nivellement intellectuel progressif de ceux qui prétendent
changer les dogmes d’une vérité révélée, pour préparer l’avènement de
l’antéchrist, dans un monde qui s’illusionne sur son propre progrès, dans
l’ignorance de toute dimension intérieure inhérente à chaque homme digne de ce
nom.
La présence, en Occident même, de croyants sincères et de leurs familles, au sein de confréries, naturellement insérés dans la ummah, atteste du caractère providentiel de l’islam, en ces temps difficiles et en des lieux d’où l’influence spirituelle
semblait s’être retirée. Mais il n’y a pas de religion occidentale ou
orientale, car, selon la Parole Coranique, « l’Orient et l’Occident
appartiennent à Dieu » et « où que vous vous tourniez, là est la Face de Dieu
».
De même, il ne saurait être question d’immigrés dans quelque pays que ce soit, car là où est le croyant, il s’y trouve dans la maison de Dieu.
Le critère n’est pas la race, la nation ou la langue, ni même la forme religieuse, mais bien la juste orientation, l’intention
droitecmise en pratique et la pratique bien intentionnée. Le critère est, selon
les propres paroles du Shaykh al-Alawî, dont l’influence spirituelle est
toujours présente dans cette salle de prière de la Grande Mosquée de Paris, la
volonté véritable « d’élever son esprit au-dessus de soi-même ». Seuls des
hommes engagés de tout leur être sur une telle voie semblent pouvoir, grâce à
Dieu et à la barakah de ses saints, contrebalancer les tendances anti-traditionnelles
toujours plus manifestes, dans les domaines de la doctrine, des institutions ou
de la pratique quotidienne.
Il s’agit pour ces hommes de rendre sacré tous les actes de leur vie. Cette sacralisation nécessaire à la réalisation spirituelle
est tout d’abord rendue possible par la pratique du dhikr qui
vivifie, sous la guidance du maître et le contrôle de la communauté, la pratique
des cinq piliers qui deviennent ainsi les supports privilégiés de l’action
transformante de l’influence spirituelle. C’est par leur sincérité, à travers
leur soumission à Dieu dans cette action de transformation, qu’ils retrouveront
la conformité à l’ordre divin, dans toutes les modalités et situations de leur
existence, qu’elles soient familiales, sociales ou professionnelles.
La voie de ces hommes, ainsi vécue en conformité avec la Vérité, n’est
autre que la réalisation des cinq piliers de l’islam, expression de la vraie
vie dont le modèle est la vie du Prophète dont « le caractère était », selon un
hadîth, « comme le Coran ».
A ces hommes incombent l’immense responsabilité de cette fonction spécifique,
qui ne peut souffrir ni faiblesse, ni divisions. Alors Dieu, s’Il le veut, les
fera croître en nombre et en qualité, renforcera leur foi et leur unité, reflet
de cette seule Réalité qui n’est autre que l’Unicité de Dieu Lui-même, al-Wâhidiyyah, car lâ ilâha illâ-llâh.
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