Publication posthume dans Recueil
Réflexions à propos du « pouvoir occulte »
On a pu lire ici, la semaine dernière, le remarquable
article de M. Copin-Albancelli intitulé « Les Yeux qui s’ouvrent » ; on y a vu
que notre confrère ne craint pas, à propos du socialisme, d’envisager nettement
une action des Supérieurs Inconnus « dont la Franc-Maçonnerie n’est que
l’instrument », ou même qu’un instrument entre bien d’autres, et « aux
suggestions desquels obéissent les Francs-Maçons », inconsciemment pour la
plupart. C’est là pour nous une nouvelle occasion de revenir sur certains points
de cette question, si complexe et si controversée, du Pouvoir Occulte, sur
laquelle le dernier mot n’a pas été dit et ne le sera peut-être pas de
longtemps encore, ce qui n’est pas une raison pour désespérer de voir la
lumière se faire peu à peu.
Tout d’abord, il est nécessaire de dire qu’il existe
des « pouvoirs occultes » de différents ordres, exerçant leur action dans des
domaines bien distincts, par des moyens appropriés à leurs buts respectifs, et
dont chacun peut avoir ses Supérieurs Inconnus. Ainsi, un « pouvoir occulte »
d’ordre politique ou financier ne saurait être confondu avec un « pouvoir
occulte » d’ordre purement initiatique, et il est facile de comprendre que les
chefs de ce dernier ne s’intéresseront point aux questions politiques et
sociales en tant que telles ; ils pourront même n’avoir qu’une fort médiocre
considération pour ceux qui se consacrent à ce genre de travaux. Pour citer un
exemple, dans le monde musulman, la secte des Senoussis, actuellement tout au
moins, ne poursuit guère qu’un but à peu près exclusivement politique ; elle
est, en raison même de cela, généralement méprisée par les autres organisations
secrètes, pour lesquelles le panislamisme ne saurait être qu’une affirmation
purement doctrinale, et qui ne peuvent admettre qu’on accommode le Djefr aux
visées ambitieuses de l’Allemagne ou de quelque autre puissance européenne.
[1] Publié dans la France Antimaçonnique,
les 11 et 18 juin 1914, signé le Sphinx. [N.d.É.]
Si l’on veut un autre exemple, en Chine, il est bien
évident que les associations révolutionnaires qui soutinrent le F∴ Sun Yat Sen, de concert
avec la Maçonnerie
et le Protestantisme anglo-saxons1, ne pouvaient avoir de relations d’aucune
sorte avec les vraies sociétés initiatiques, dont le caractère, dans tout
l’Orient, est essentiellement traditionaliste, et cela, chose étrange, d’autant
plus qu’il est plus exempt de tout ritualisme extérieur.
Ici, nous pensons qu’il est bon d’ouvrir une parenthèse
pour ce qui concerne ces sociétés initiatiques extrême-orientales : jamais
elles ne se mettront en relations, non seulement avec des groupements
politiques, mais avec aucune organisation d’origine occidentale. Cela coupe
court, en particulier, à certaines prétentions occultistes, qu’on a eu grand
tort de prendre au sérieux dans les milieux antimaçonniques ; voici, en effet,
ce qu’une plume autorisée a écrit à ce propos : « Pas plus qu’autrefois – moins
encore qu’autrefois – il n’y a de fraternité possible entre des collectivités
jaunes et des collectivités blanches. Il ne peut y avoir que des affiliations
individuelles de blancs à des collectivités jaunes… Mais il n’y a pas de
terrain d’entente pratique entre les sociétés collectives des deux races ; et
si, par impossible, par suite d’une organisation dont les moyens nous
échappent, ce terrain d’entente pratique venait à exister, les collectivités
jaunes refuseraient d’y descendre. C’est pourquoi il est impossible d’ajouter
foi à une information déjà ancienne – et dont je n’aurais certes pas parlé, si
sa répétition dans le volume L’Invasion Jaune, par M. le commandant Driant,
n’avait appelé l’attention sur elle – information d’après laquelle une société
secrète jaune et un groupe occultiste européen auraient uni fraternellement
leurs buts et leurs symboles. « Nous sommes heureux d’apprendre, dit
l’Initiation de mars 1897 (et le commandant Driant le répète dans L’Invasion
Jaune, p. 486), au Suprême Conseil, la création à San-Francisco de la première
Loge martiniste chinoise, sur laquelle nous fondons de grandes espérances, pour
l’entente de notre Ordre avec la Société de Hung. » Et le commandant Driant
ajoute : « La Société de Hung est la société-mère des Boxers chinois. Ces
relations de sectes paraîtront invraisemblables à nombre de lecteurs, qui ne
voient pas les progrès des sociétés occultes visant à l’internationalisme.
Elles sont rigoureusement vraies. » Ces affirmations sont rigoureusement une fable.
Je ne sais pas si des Chinois, ni quel genre de Chinois se sont introduits dans
la Loge martiniste de San-Francisco, ni même s’il y a jamais eu une Loge
martiniste à San-Francisco.
[1] Voir, dans
la France Antimaçonnique, Sun Yat Sen contre Yuan Shi Kaï (27e année, n° 37, pp.
440-441), et Le Protestantisme et la Révolution (28e année, n° 1, pp. 11-12).
Ce que je sais et affirme, c’est que jamais la Société
de Hung – puisque Société de Hung il y a, et qu’on semble viser une société
entre toutes, et le nom spécial et temporaire d’une secte de cette société – ne
s’est affiliée au Martinisme ; c’est que jamais la Société de Hung, ni quelque
autre société secrète chinoise que ce soit, n’a entretenu la moindre relation,
même épistolaire, avec le Martinisme, ni avec quelque autre société occulte
occidentale que ce soit. Pour se livrer ainsi, les Chinois connaissent trop
bien le tempérament des blancs, et combien peu secrètes sont leurs sociétés
occultes.1 »
On en pourrait dire à peu près autant pour les
organisations initiatiques hindoues et musulmanes, qui, d’une façon générale,
sont presque aussi fermées que celles de l’Extrême-Orient, et tout aussi
inconnues des Occidentaux. Maintenant, il est bien entendu que tout cela ne
préjuge rien contre l’existence, pour l’Occident, d’un « Pouvoir central »
compatible avec les conditions d’une pluralité d’organismes distincts et
hiérarchisés (nous ne pouvons plus dire ici « superposés » comme dans les
sphères inférieures). Si l’on admet cette existence, il faudra certainement
assigner, dans la constitution de ce « Pouvoir central », un rôle important à
l’élément judaïque ; et, lorsqu’on sait quelle aversion éprouvent à l’égard du
Juif les Orientaux en général et les Musulmans en particulier, il est permis de
se demander si la présence d’un tel élément ne contribue pas à rendre
impossible les rapports directs entre les sociétés secrètes orientales et
occidentales. Il y a donc là, au point de vue du « pouvoir occulte », des
barrières que l’influence juive ne saurait franchir ; en outre, même en
Occident, il n’y a certainement pas que cette seule influence à considérer à
l’exclusion de toute autre, encore qu’elle paraisse être des plus puissantes.
Quant aux communications indirectes possibles, malgré tout, entre le « Pouvoir
occulte central » de l’Occident et certains pouvoirs plus ou moins analogues
qui existent en Orient, tout ce que l’on peut en dire, c’est qu’elles ne
pourraient résulter que « d’une organisation dont les moyens nous échappent ».
Pour en revenir à notre distinction entre différents
ordres de « pouvoirs occultes », nous devons ajouter qu’elle ne supprime pas la
possibilité d’une certaine interpénétration de ces différents ordres, car il ne
faut jamais établir de catégories trop absolues ; nous disons interpénétration,
parce que ce terme nous semble plus précis que celui d’enchevêtrement, et qu’il
laisse mieux entrevoir la hiérarchisation nécessaire des organismes multiples.
[1] Matgioi, La Voie Rationnelle, chapitre X, pp.
336-338.
Pour savoir jusqu’où s’étend cette hiérarchisation, il
faut se demander s’il existe encore, dans l’Occident contemporain, une
puissance vraiment initiatique qui ait laissé autre chose que des vestiges à
peu près incompris ; et, sans rien vouloir exagérer, on est bien obligé de
convenir qu’il n’y a guère, apparemment, que le Kabbalisme qui puisse compter
dans ce domaine, et aussi que les Juifs le réservent jalousement pour eux
seuls, car le « néo-kabbalisme » occultisant n’est qu’une fantaisie sans grande
importance. Tous les autres courants, car il y en a eu1, semblent s’être perdus
vers la fin du moyen âge, si l’on excepte quelques cas isolés ; par suite, si
leur influence a pu, jusqu’à un certain point, se transmettre en-deçà de cette
époque, ce n’est que d’une façon indirecte et qui, dans une large mesure,
échappe forcément à notre investigation. D’autre part, si on envisage les
tentatives qui ont été faites récemment dans le sens d’une « contre-kabbale »
(et qui se basaient principalement sur le Druidisme), on ne peut pas dire
qu’elles aient abouti à une réalisation quelconque, et leur échec est encore
une preuve de la force incontestable que possède l’élément judaïque au sein du
« pouvoir occulte » occidental.
Ceci posé, il est bien certain que le Kabbalisme, comme
tout ce qui est d’ordre proprement initiatique et doctrinal, est, en lui-même,
parfaitement indifférent à toute action politique ; sur le terrain social, ses
principes ne peuvent exercer qu’une influence purement réflexe. Le socialisme,
qui, certes, n’a rien d’initiatique, ne peut procéder que d’un « pouvoir
occulte » simplement politique, ou politico-financier ; il est vraisemblable
que ce pouvoir est juif, au moins partiellement, mais il serait abusif de le
qualifier de « kabbaliste ». Il en est qui ne savent pas suffisamment se garder
de toute exagération à cet égard, et c’est pourquoi nous avons cru bon de
préciser dans quelles conditions il est possible de considérer Jaurès, par
exemple, comme « le serviteur des Supérieurs Inconnus », ou plutôt de certains
Supérieurs Inconnus.
Maintenant, que Jaurès « soit à peine Franc-Maçon », ce
n’est pas là une objection sérieuse contre cette façon d’envisager son rôle,
comme le fait très justement remarquer M. Colpin-Albancelli. Nous ignorons
même, nous devons l’avouer, si Jaurès a jamais reçu l’initiation maçonnique ;
en tout cas, il n’est certainement pas un Maçon actif, mais cela ne fait rien à
la chose, et il peut même fort bien ne faire partie d’aucune « société secrète
» au sens propre du mot ; il n’en est qu’un meilleur agent pour les Supérieurs
Inconnus qui se servent de lui, parce que cette circonstance contribue à
écarter les soupçons.
[1] Voir L’Ésotérisme de Dante, dans la France
Antimaçonnique, 28e année, n° 10, pp. 109-113 [article repris dans ce Recueil,
voir p. 255].
Ce que nous disons de Jaurès, parce que notre confrère
l’a pris pour exemple, nous pourrions tout aussi bien le dire d’autres hommes
politiques, qui sont à peu près dans le même cas ; mais l’exemple est assez
typique pour que nous nous en contentions.
Un autre point qui est à retenir, c’est que les
Supérieurs Inconnus, de quelque ordre qu’ils soient, et quel que soit le
domaine dans lequel ils veulent agir, ne cherchent jamais à créer des «
mouvements », suivant une expression qui est fort à la mode aujourd’hui ; ils
créent seulement des « états d’esprit », ce qui est beaucoup plus efficace, mais
peut-être un peu moins à la portée de tout le monde. Il est incontestable,
encore que certains se déclarent incapables de le comprendre, que la mentalité
des individus et des collectivités peut être modifiée par un ensemble
systématisé de suggestions appropriées ; au fond, l’éducation elle-même n’est
guère autre chose que cela, et il n’y a là-dedans aucun « occultisme ». Du
reste, on ne saurait douter que cette faculté de suggestion puisse être
exercée, à tous les degrés et dans tous les domaines, par des hommes « en chair
et en os », lorsqu’on voit, par exemple, une foule entière illusionnée par un
simple fakir, qui n’est cependant qu’un initié de l’ordre le plus inférieur, et
dont les pouvoirs sont assez comparables à ceux que pouvait posséder un Gugomos
ou un Schrœpfer1. Ce pouvoir de suggestion n’est dû, somme toute, qu’au
développement de certaines facultés spéciales ; quand il s’applique seulement
au domaine social et s’exerce sur l’« opinion », il est surtout affaire de
psychologie : un « état d’esprit » déterminé requiert des conditions favorables
pour s’établir, et il faut savoir, ou profiter de ces conditions si elles
existent déjà, ou en provoquer soi-même la réalisation. Le socialisme répond à
certaines conditions actuelles, et c’est là ce qui fait toutes ses chances de
succès ; que les conditions viennent à changer pour une raison ou pour une
autre, et le socialisme, qui ne pourra jamais être qu’un simple moyen d’action
pour des Supérieurs Inconnus, aura vite fait de se transformer en autre chose
dont nous ne pouvons même pas prévoir le caractère.
[1] Voir La Stricte Observance et les Supérieurs
Inconnus, dans la France Antimaçonnique, 27e année, n° 47, pp. 560-564, et n°
49, pp. 585-588 [étude reprise dans Études sur la Franc-Maçonnerie et le
Compagnonnage, tome 2].
C’est peut-être là qu’est le danger le plus grave,
surtout si les Supérieurs Inconnus savent, comme il y a tout lieu de
l’admettre, modifier cette mentalité collective qu’on appelle l’« opinion » ;
c’est un travail de ce genre qui s’effectua au cours du XVIIIe siècle et qui
aboutit à la Révolution, et, quand celle-ci éclata, les Supérieurs Inconnus
n’avaient plus besoin d’intervenir, l’action de leurs agents subalternes était
pleinement suffisante. Il faut, avant qu’il ne soit trop tard, empêcher que de
pareils événements se renouvellent, et c’est pourquoi, dirons-nous avec M.
Copin-Albancelli, « il est fort important d’éclairer le peuple sur la question
maçonnique et ce qui se cache derrière ».
*
* *
La Bastille du 23 mai 1914 a reproduit une note des
Cahiers Romains intitulée « Les cours populaires d’antisectarisme », note dans
laquelle est formulé, comme le dit notre confrère, « le plan d’études
d’ensemble sans lesquelles il n’y aurait pas de victoire définitive contre la
Franc-Maçonnerie et ce qui se cache derrière elle ». Ce plan, d’ailleurs très
vaste, n’est présenté que comme un simple « canevas » pour un « cours pratique
antisectaire » ; c’est dire qu’il n’est pas définitif en toutes ses parties,
mais, tel qu’il est, il n’en présente pas moins un intérêt capital.
Tout d’abord, les Cahiers Romains divisent la « science
antisectaire » en trois parties, qu’ils définissent de la façon suivante :
« Première
partie. – Notions techniques sur la Secte et sur les sectes. Leur organisation.
Leur action. Leur but.
« Deuxième partie. – L’observation méthodique appliquée
à l’information et à l’action antisectaires.
« Troisième partie. – Culture et action antisectaires.
Essais historiques sur la Secte et sur les sectes. Examen pratique des faits
sectaires et antisectaires du jour. »
Cette division a le mérite d’être très claire, et sa
valeur pratique est évidente ; c’est là l’essentiel, étant donné le but qu’on
se propose. Sans doute, il peut arriver que certaines questions ne rentrent pas
entièrement et exclusivement dans l’une ou l’autre de ces trois parties, et
qu’ainsi on soit obligé de revenir à plusieurs reprises sur ces mêmes questions
pour les envisager à différents point de vue ; mais, quelle que soit la
division adoptée, c’est là un inconvénient qu’il est impossible d’éviter, et il
ne faudrait pas s’en exagérer la gravité.
La première partie se subdivise en deux :
« 1° La question fondamentale : les sectes forment la
Secte. (Pouvoir sectaire central ; Israël et la Secte.)
« 2° Sectes
principales : a) Franc-Maçonnerie ; b) Carbonarisme ; c) Martinisme ; d)
Illuminisme ; e) Théosophie ; f) Occultisme varié ; g) Sectes locales ou de
race. »
Nous devons nous
féliciter hautement de voir poser ici, en premier lieu, la vraie « question
fondamentale », celle du « Pouvoir Occulte », en dépit de ceux qui prétendent
la résoudre par une négation pure et simple. Pour préciser d’avantage ce qui
n’est qu’indiqué dans ce programme, il y aurait lieu de s’occuper ici de la
pluralité des « pouvoirs occultes », de leurs attributions respectives, de leur
hiérarchisation et des conditions de leur coexistence, toutes choses dont nous
avons quelque peu parlé précédemment. Quant aux rapports indéniables qui
existent entre « Israël et la Secte », il faudrait voir s’ils n’entraînent pas,
corrélativement d’ailleurs à d’autres circonstances ethniques, une limitation
de l’influence de certains « pouvoirs occultes », comme nous l’avons dit
également, et si ce fait ne doit pas conduire à donner à cette expression
générale : « la Secte », une signification plus restreinte qu’on pouvait le
supposer « a priori », mais aussi plus précise par là même. Ajoutons que cette
restriction ne modifiera en rien, pratiquement, les conclusions auxquelles on
sera conduit pour ce qui concerne l’Occident moderne ; seulement, ces
conclusions ne seraient plus entièrement applicables, même pour l’Occident, si
l’on remontait au-delà de la Renaissance, et elles le seraient encore moins
s’il s’agissait de l’Orient, même contemporain.
Ceci dit, pour ce qui est de l’étude des « sectes
principales », nous nous permettrons de formuler quelques observations qui ont
leur importance ; il est évident, en effet, que cette étude pourrait se
subdiviser indéfiniment si l’on ne prenait soin de grouper toutes les sectes
autour d’un certain nombre d’entre elles, dont le choix, tout en renfermant
forcément une part d’arbitraire, doit être avant tout celui des types les plus
« représentatifs ». On peut fort bien, à ce point de vue, commencer par l’étude
de la Franc-Maçonnerie, surtout parce que, de toutes ces sectes, elle est la
plus généralement connue et la plus facilement observable ; sur ce point, il n’y
a aucune contestation possible. Il nous semble seulement que l’historique de la
Maçonnerie moderne, pour être parfaitement compris, devrait logiquement être
précédé d’un exposé, aussi succinct et aussi clair que possible, de ses
origines, en remontant, d’une part, aux divers courants hermétiques et rosicruciens,
et, d’autre part, à l’ancienne Maçonnerie opérative1, et en expliquant ensuite
la fusion de ces divers éléments. En outre, il est nécessaire de faire
ressortir que la Maçonnerie moderne, issue de la Grande Loge d’Angleterre
(1717), est essentiellement la « Maçonnerie symbolique », à laquelle, par la
suite, sont venus se superposer les multiples systèmes de hauts grades ; parmi
ceux-ci, chacun des plus importants pourrait être l’objet d’une étude spéciale,
et c’est alors qu’il y aurait lieu de rechercher à quel ordre d’influences
occultes se rattache sa formation. Cette recherche serait facilitée par une
classification en systèmes hermétiques, kabbalistiques, philosophiques, etc. ;
l’ordre rigoureusement chronologique ne peut être suivi que dans une première
vue d’ensemble. Il serait bon de montrer tout particulièrement le rôle joué par
le Kabbalisme dans la constitution d’un grand nombre de ces systèmes, sans
négliger pour cela de tenir compte des autres influences, dont certaines ont
même pu, dans leur principe et leur inspiration tout au moins, ne pas
appartenir au monde occidental. C’est dire que les cadres d’une telle étude
doivent être aussi larges que possible, si l’on ne veut pas s’exposer à laisser
en dehors certaines catégories de faits, et précisément celles qui,
d’ordinaire, paraissent les plus difficilement explicables.
Maintenant, parmi les organisations superposées à la
Maçonnerie ordinaire, il n’y a pas que les systèmes de hauts grades ; il y a
aussi des sectes qui ne font aucunement partie intégrante de la Maçonnerie,
bien que se recrutant exclusivement parmi ses membres. Tels sont, par exemple,
certains « Ordres de Chevalerie », qui existent encore de nos jours, notamment
dans les pays anglo-saxons ; mais, là aussi, il y aurait lieu de distinguer
entre les organisations dont il s’agit, suivant qu’elles présentent un
caractère initiatique, ou politique, ou simplement « fraternel ». Les sectes à
tendances politiques ou sociales méritent une étude particulière ; à ce point
de vue, on peut prendre comme type, au XVIIIe siècle, l’Illuminisme, et, au
XIXe, le Carbonarisme.
Jusqu’ici, nous n’avons donc eu à envisager que la
Maçonnerie et ce qui s’y rattache directement ; mais cette étude ne comprend
que les sections a, b et d du programme des Cahiers Romains.
[1] Sur cette Maçonnerie opérative et ses
rituels, il n’y a que très peu de documents qui aient été publiés ; nous avons
donné, dans la France Antimaçonnique (27e année, n° 42, pp. 493-495), la
traduction complète de l’ouverture de la Loge au premier degré.
Quant à la section c, c’est-à-dire au Martinisme, il
faudrait s’entendre sur le sens de ce mot, et nous nous sommes déjà expliqué à
ce sujet ; nous rappellerons donc seulement que les « Élus Coëns » ont leur
place marquée parmi les systèmes maçonniques de hauts grades, et, quant à
Saint-Martin, nous le retrouverons tout à l’heure. Il ne reste donc plus que le
Martinisme contemporain, qui doit logiquement figurer au chapitre de
l’Occultisme (section f), entre le « néo-kabbalisme » et le « néo-gnosticisme
». Par contre, nous réserverions volontiers une section à part au Spiritisme
avec ses nombreuses variétés, et aussi avec toutes les sectes plus ou moins
religieuses auxquelles il a donné naissance, comme l’Antoinisme, le
Fraternisme, le Sincérisme, etc.
Pour la Théosophie (section e), on devrait distinguer
soigneusement les deux acceptations de ce terme, dont la première s’applique,
d’une façon générale, à un ésotérisme plutôt mystique, comptant parmi ses
principaux représentants des hommes de conceptions d’ailleurs très diverses,
tels que Jacob Bœhme, Swedenborg, Saint-Martin, Eckartshausen, etc. L’autre
acception, toute spéciale et beaucoup plus récente, est celle qui désigne ce
que nous appellerions plus volontiers le « Théosophisme », c’est-à-dire les
doctrines propres à la « Société Théosophique » ; à l’étude de cette dernière
se joint naturellement celles des schismes qui en sont issus, comme l’«
Anthroposophie » de Rudolf Steiner.
Il ne reste plus que la section g, qui contient des
éléments assez divers, et pour laquelle nous proposerons une subdivision, en
mettant à part, en premier lieu, les sectes qui doivent leur existence à
l’influence du Protestantisme : dans ce groupe se trouveront l’Orangisme et
l’Apaïsme, cités par les Cahiers Romains, ainsi qu’un bon nombre des sociétés
secrètes américaines que nous étudions, depuis longtemps déjà, dans la France
Antimaçonnique, et enfin certains « mouvements » religieux comme le Salutisme,
l’Adventisme, la « Christian Science », etc. Dans un second groupe figureraient
les associations qui présentent un caractère plus proprement national ou « de
race », comme les Fenians, les Hiberniens, etc. ; on pourrait y joindre le
Druidisme, bien que son caractère artificiel lui assigne une place un peu à
part. Un troisième chapitre serait réservé aux sectes à tendances
essentiellement révolutionnaires : il faudrait y montrer les influences
respectives du socialisme et de l’anarchisme dans l’Internationalisme, dans le
Nihilisme, et dans quelques organisations secrètes ouvrières d’Europe et
d’Amérique. Cela fait, il resterait encore une certaine quantité de sectes
diverses, ne rentrant dans aucune de ces catégories, et échappant peut-être
même à toute classification.
Dans tout ceci, nous avons complètement laissé de côté
la dernière partie de la section g, c’est-à-dire les « sectes secrètes
orientales », parce que celles-là ne peuvent pas se ramener au même cadre que
les autres, et parce qu’il serait vraiment difficile de les étudier d’une façon
satisfaisante dans un « cours populaire », qui doit forcément rester quelque
peu élémentaire, au moins quand il s’agit de questions particulièrement ardues,
à peu près incompréhensibles sans une préparation spéciale. Le plus qu’on
puisse faire, dans ces conditions, c’est de consacrer à ces organisations
orientales quelques indications très sommaires, et cela dans une section tout à
fait à part, en y établissant d’ailleurs trois grandes divisions très
distinctes, suivant que l’on considère le monde musulman, ou le monde hindou,
ou le monde extrême-oriental1. Il est certain que toutes ces organisations,
sans pouvoir rentrer dans la définition précise de « la Secte » au sens où nous
l’avons indiquée, présentent cependant avec certains éléments de celle-ci une
sorte de parallélisme et des analogies assez remarquables, procédant surtout
des grands principes généraux communs à toute initiation ; mais leur étude, à
ce point de vue, trouvera mieux sa place dans la deuxième partie de la «
science antisectaire ».
Cette deuxième
partie est subdivisée en deux comme la première ; ici, nous citerons
intégralement les Cahiers Romains :
« 1° L’« observation » est faite d’intuition, d’attention,
d’expérience. Elle suppose un esprit intelligent et attentif, une bonne
mémoire, une culture compétente sur la matière à observer. On naît bon
observateur, mais une formation rationnelle rend excellent l’observateur né, et
assez apte celui qui n’est pas né observateur.
« 2°
Applications générales et particulières de ces constatations à notre matière.
Attention spéciale aux “mystères” de la Secte et des sectes, en commençant par
leur symbolisme (phonique, mimique, graphique : jargon, gestes, figures). »
Ce qu’il importe
de faire ressortir, c’est d’abord que l’« observation », telle qu’elle est ici
comprise et définie, est loin de se borner à la recherche des « documents »,
dans laquelle prétendent se confiner certains antimaçons à courte vue ; c’est
ensuite que les « mystères » méritent une « attention spéciale », et, par «
mystères », on doit entendre évidemment tout ce qui a une portée proprement
initiatique, et dont l’expression normale est le symbolisme sous toutes ses
formes.
[1]
Il ne s’agit ici, bien entendu, que des organisations véritablement orientales,
et non de celles qui, en Orient, sont d’importation européenne ou américaine.
Cette étude peut, suivant les circonstances, être
limitée à des notions plus ou moins étendues, ou au contraire être poussée très
loin ; et c’est ici le lieu de faire intervenir ce que nous pourrions appeler
le « symbolisme comparé », c’est-à-dire l’examen des analogies que nous
signalions un peu plus haut. Dans cet ordre d’idées, il est deux états d’esprit
dont il importe de se méfier tout particulièrement : c’est, d’une part, le
dédain que professent, par ignorance, la plupart des Maçons actuels à l’égard
de leurs propres symboles, vestiges d’une initiation qui est pour eux lettre
morte, et, d’autre part, l’assurance pleine de mauvaise foi avec laquelle les
occultistes, non moins ignorants, donnent de toutes choses les explications les
plus fantaisistes, et parfois les plus absurdes ; d’où la nécessité d’une
extrême prudence lorsqu’on veut consulter les travaux courants sur le
symbolisme et les questions connexes. Là plus encore qu’en toute autre matière,
il faut se faire des convictions qui soient le fruit d’un travail personnel, ce
qui est sans doute beaucoup plus difficile, mais aussi beaucoup plus sûr, que
d’accepter des opinions toutes faites ; la compréhension et l’assimilation de
ces choses ne s’acquièrent pas en un jour, et elles demandent avant tout « de
l’intuition, de l’attention, et de l’expérience ».
Quant à la troisième partie de la « science
antisectaire », elle est, elle aussi, susceptible de recevoir autant de
développements qu’on le voudra ; mais nous nous bornerons à en reproduire les
subdivisions générales. Si nous mettons à part, pour les raisons que nous avons
dites, les études qui concernent l’antiquité et le moyen âge (et que l’on
pourrait résumer brièvement en une sorte d’introduction à cette troisième
partie), ces subdivisions, au nombre de trois, seront les suivantes :
« 1° Essais
historiques sur la Secte et sur les sectes, depuis la Renaissance jusqu’à notre
temps, avant et après la Révolution, jusqu’en 1870.
« 2° Essais pratiques sur les faits sectaires et antisectaires
contemporains (depuis 1870).
« 3° Bibliographie antisectaire. »
Si un tel
programme était rempli dans toutes ses parties, nous sommes persuadé qu’on
arriverait à en dégager un ensemble de notions fort exactes sur le « Pouvoir
Occulte » et les conditions de son fonctionnement, et cela sans qu’il soit
nécessaire de s’enfermer dans une systématisation trop étroite. En attendant
une semblable réalisation, nous souhaitons que les quelques réflexions qui
précèdent contribuent, pour leur modeste part, à apporter dans ces questions si
complexes un peu d’ordre et de clarté.
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