mardi 22 janvier 2013

Le redressement intellectuel chez El Ghazali - Tayeb Chouiref

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Tayeb Chouiref
 
 
Qu’est-ce que le redressement intellectuel qu’El Ghazali appelle de ses voeux ?

La réponse est dans l’Ihyâ’ lui-même qui s’ouvre par un chapitre intitulé Kitâb al-’ilm, le Livre de la science.

El Ghazali y expose ce qu’il faut entendre par science et ce qu’est la connaissance véritable. Mais cela présuppose de clarifier dans un premier temps ce qu’il faut entendre par ‘’intellect’’ (‘aql). Ghazali expose les confusions largement répandues sur la notion d’intellect en faisant remarquer qu’elles sont inévitables dès lors que l’on ignore ce que sont l’homme et les facultés de connaissance dont il est doté : «Sache qu’il y a divergence en ce qui concerne la définition de l’intellect et de sa réalité. La plupart des gens sont surpris de voir attribuer à ce terme des significations différentes. C’est là la cause de leurs divergences».

De fait, on peut entendre le terme intellect en plusieurs sens. C’est, en effet, une faculté pluridimensionnelle qui permet la connaissance depuis le traitement des données des sens jusqu’à la connaissance transcendante des vérités spirituelles et métaphysiques. C’est évidemment cette dernière connaissance qui intéresse le plus Ghazali : «On désigne par le mot ‘aql la connaissance des choses dans leur réalité véritable ; en d’autres termes c’est une catégorie de la connaissance dont le siège est dans le coeur. Ce mot désigne ce par quoi s’opère la compréhension dans le domaine des sciences de la religion».

Qu’est-ce que le coeur de l’homme dont Ghazali nous dit qu’il est le siège de la connaissance véritable ? On sait que le Coran insiste en de nombreux versets sur le coeur comme organe de saisie et de compréhension du message divin : «Ce ne sont pas leurs yeux mais leurs cœurs qui sont aveugles». (Sourate 22, v.46) «Il y a dans tout cela un rappel pour celui qui possède un coeur [capable de saisir]...» (Sourate 50, v.37) Ghazali expose en détail ce que désigne le coeur au sens spirituel : «Le coeur est un élément subtil, à la fois divin et spirituel (latîfa rabbâniyya rûhiyya), qui s’accorde avec le coeur physique.

Cet élément subtil représente la réalité de l’homme; c’est en lui que
l’homme comprend, sait, connaît...» Cela nous permet de comprendre que le dépassement de la raison s’opère par un accès au coeur. Cet accès ouvre la voie à la réalisation de la certitude intérieure et c’est précisément en cela que consiste la voie soufie. L’élément central de l’enseignement d’El Ghazali dans le Livre de la science est donc ce que l’on pourrait appeler une anthropologie spirituelle. Selon cette perspective, c’est parce que l’homme ignore qu’il possède une faculté de connaissance universelle et supérieure à la raison discursive qu’il cherche à réduire la religion à ce que cette dernière peut saisir. Dès lors, on assiste à un appauvrissement, à un rejet de tout ce qui dépasse le simple savoir rationnel, et il en résulte un dogmatisme théologique auquel El Ghazali n’a cessé de s’opposer.

A partir de là, Ghazali va organiser son message autour de trois axes : mettre en garde contre le juridisme stérile, dénoncer les dérives des ‘’théologiens sans scrupule’’ (‘ulamâ’ al-sû’) et mettre l’accent sur l’intériorité et la spiritualité à travers l’affirmation que la voie soufie constitue l’essence du message du Coran et du Prophète.

Concernant le juridisme stérile Ghazali fait remarquer que le terme fiqh - qui a fini par prendre le sens de Droit ou de jurisprudence - a perdu son sens coranique et originel : «Ce terme a été appauvri et a été réduit à la connaissance des cas juridiques particuliers, des fatwas, des points de détail, de l’excès de verbiage, de la collecte minutieuse des avis dans ce domaine, de telle sorte que celui qui est le plus érudit et le plus préoccupé par ces choses sera appelé ‘’le plus versé dans le fiqh’’. Pourtant, ce terme désignait dans les premiers temps de l’Islam la science de la voie menant à la vie éternelle et la connaissance détaillée des maladies de l’âme...» Ghazali poursuit son argumentation en soulignant que dans le Coran le terme fiqh désigne la compréhension intérieure que reçoit celui dont le coeur est éveillé. Il cite le verset suivant qui emploie un verbe tiré de la racine f-q-h : « Ils ont des coeurs avec lesquels ils ne comprennent (yafqahûn) rien. « (Sourate 59, v.13) Selon l’analyse de l’auteur de l’Ihyâ’, ce sont les ‘’théologiens sans scrupule’’ qui sont responsables de ce dramatique
infléchissement et de l’appauvrissement de la signification du terme fiqh. On comprend dès lors qu’il mit tant d’énergie à les dénoncer: «Un théologien qui se limite à controverser et à faire l’apologie de son dogme sans cheminer vers l’Au-delà ni purifier son coeur ne saurait faire partie des véritables savants en religion...

La théologie scolastique (‘ilm al-kalâm) ne peut faire parvenir à la connaissance de Dieu, de Ses Qualités et de Ses Actes, ni à tout ce que nous désigné par l’expression ‘’science par dévoilement’’. Au contraire, la théologie scolastique est un voile jeté sur cette connaissance. On ne peut parvenir à Dieu que par l’effort spirituel (al-mujâhada) car Dieu en a fait un préambule à la guidance : ‘’Ceux qui auront combattu en Nous, Nous les guiderons assurément sur Nos chemins. En vérité, Dieu est avec ceux qui pratiquent la vertu spirituelle.’’ (Sourate XXIX, v. 69)»

Nous avons dit précédemment que le troisième axe du message de Ghazali dans le chapitre intitulé Kitâb al-’ilm est l’insistance sur la voie soufie. Il faut préciser qu’El Ghazali avait étudié les enseignements soufis dès sa jeunesse. Toutefois, ce n’est qu’après son départ de Bagdad qu’il en découvrit toute l’ampleur et la profondeur, quand il prit la décision de vivre intérieurement cette voie et de ne pas se contenter d’une connaissance livresque et théorique. C’est en effet grâce à ce cheminement initiatique qu’il put avoir accès à la connaissance transcendante. Cette connaissance a comme origine, nous dit-il, la ‘’source de la lumière prophétique’’:

«Je suis resté en retraite dix ans: j’eus, durant cette période, le dévoilement de choses innombrables. Il me suffira de déclarer que les Soufis cheminent dans la seule Voie qui mène à Dieu le Très-Haut :

leur chemin est le meilleur des chemins et leur voie la meilleure des voies. Ils se comportent de la manière la plus pure...

Leurs actions comme leur repos, intérieurement comme extérieurement, sont tirés de la source de la lumière prophétique;

il n’y a point d’autre lumière à la surface de la terre pour s’éclairer».

 

Tayeb Chouiref

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