Traduit par Titus Burckhardt
Lettre 28
Par
Dieu, si nous quittions le monde1, il finirait par nous chercher et nous trouver
comme nous l'avions cherché sans pouvoir
le trouver; il courrait après nous et nous rejoindrait, comme nous avions couru
après lui sans pouvoir le rejoindre;
il pleurerait sur nous et nous devrions le consoler, comme nous avions pleuré
sur lui sans qu il nous ait consolé;
il languirait après nous et aurait besoin de nous, comme nous languissions
après lui sans qu'il eût besoin de nous,
et ainsi de suite . Dieu est garant de ce que nous disons. On dit que si
quelqu'un est sincère dans son ascèse, le monde
vient vers lui malgré lui ; et si une calotte 2 tombe du ciel, elle tombera
sur la tête de celui qui n'en désire pas.
L'état
d'élection, ô faqîr, est fait de vertu, de beauté, de mesure et d'équilibre; il
est comme une épouse qui n'a pas de pareille
dans sa beauté, mais dont ne jouira que celui qui s'est défait de sa passion,
de sorte qu'il a remplacé la satiété par
la faim, le discours par le silence, le sommeil par les veilles, l'honneur par
l'humiliation, l'élévation par l'abaissement,
la richesse par la pauvreté, la force par la faiblesse, la puissance par
l'impuissance, ou disons d'emblée:
les qualités blâmables par les qualités louables; c'est lui qui jouira de sa
beauté, de sa bonté et de tout le bien
de ses vertus; c'est lui qui verra son Seigneur (exalté soit-Il) et Son
Prophète (que Dieu le bénisse et lui donne la paix);
c'est lui qui vivant dans ce monde en profite; c'est lui l'adamite, le savant,
le traditionnel, le gnostique, le soufi,le
viril. C'est lui qui méprise le temps, mais que le temps ne méprise pas. Quant
à celui dont le coeur est rempli de saletés,
il ne jouira pas de l'état d'élection; il n'aspire pas vraiment à la vision de
son Seigneur (exalté soit-Il) ni à la vision
de son Prophète (que Dieu le bénisse et lui donne la paix); qu'il purifie donc
son coeur de toutes les qualités blâmables,
comme nous le disions, et il obtiendra ce qu'il désire, si Dieu le veut. Salut.
1 En arabe, le terme dunyâ qui désigne le monde au sens de "ce bas-monde" est féminin.
2Signe d'autorité dans le makhzen, l'administration chérifienne.
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