«
Tant sainte chose est le Graal » que l'on ne saurait prétendre en épuiser les
problèmes, encore moins les significations. C'est pourquoi, au terme de cette
étude, nous laisserions volontiers au lecteur le soin de décider lui-même des
points qui lui paraissent acquis, souhaitant que les autres lui offrent des
directions utiles de recherche et de méditation. L'honneur qui tient au sujet
même commande pourtant que nous proposions quelques conclusions. Si elles ne
sont pas exclusives, ni, sur certains points, trop catégoriques, elles nous
semblent, en tout cas, conformes à la « vérité » du Graal.
La « légende
souveraine » n'est pas une invention de poète. Elle n'est pas non plus
l'expression romancée d'une certaine théorie de la Grâce. Elle est la résurgence,
en terre occidentale chrétienne, d'un courant traditionnel immémorial touchant
le Mystère essentiel de toute Révélation, Mystère de la Connaissance de Dieu
selon Dieu, « participation à la Nature divine » (II Pierre, I, 4), qui est en
soi Vie éternelle (Jean, XVII, 3), consommation de l'Unité (Jean, XVII, 23) :
le Mystère de la θέώδις ou du Tawhîd métaphysique. Si, dans cette «
Fontaine d'enseignement » un moment découverte, les eaux apparemment diverses
du Celtisme, du Christianisme, du Judaïsme et de l'Islam ont pu s'unir sans se
corrompre, c'est qu'elles étaient intellectuellement et spirituellement pures
et venaient de la même unique Source.
Les modes et les circonstances de cette confluence ne
sont pas de ceux dont l'histoire puisse garder trace. Mais elle n'a peut-être
pas été aussi complexe qu'elle peut le paraître, si l'on songe qu'elle a été
précédée par l'intégration chrétienne du legs celtique, et que, lorsqu'elle
s'est produite, la conjonction des ésotérismes judaïque et islamique existait de longue date. Mais ce qui ressort
du texte de Wolfram comme de multiples données convergentes, c'est que
l'ésotérisme islamique a été mandaté à un moment déterminé par les
représentants qualifiés de la Sagesse traditionnelle universelle pour
entreprendre, en accord avec ses frères chrétiens et juifs, une oeuvre de
restauration initiatique dont l'un des principaux aspects semble avoir été le
rétablissement d'un lien conscient entre les organisations initiatiques
occidentales et le Centre spirituel suprême, en vue de cette « réorientation »
de l'Occident dont nous parlons plus haut. On peut, d'après certains indices,
se demander si cette action de l'Islam a été comprise de tous ceux qui devaient,
normalement, lui prêter leur concours. En tout cas, si le magistère du Graal
était unique à l'origine, comme le donne à entendre Wolfram, et comme doit le
faire penser sa nature même, son enseignement semble avoir comporté assez tôt
deux courant distincts : un courant d'apparence spécifiquement chrétienne,
expression en mode chevaleresque de la tradition ésotérique propre du
Christianisme enrichie de l'apport celtique, qui s'est développé selon les
structures doctrinales et intellectuelles de l'Église d'Occident, à l'intérieur
de ses cadres dogmatiques, et, si l'on en croit Robert de Boron, avec son «
congé » ; - un courant gardant la marque de son inspiration orientale et de sa
filiation islamique et templière, identique quant au fond de la doctrine, mais
comportant en outre ouvertement certaines de ses conséquences immédiates,
telles que la notion d'universalité du Graal et de l'unité essentielle des
traditions, qui impliquaient, non plus seulement l'approfondissement ésotérique
du contenu des dogmes, mais leur transposition métaphysique, et tendaient par-là
à la rupture, par transcendance, des limites intellectuelles tenant au fait
même de leur définition, par là également au renversement, pour les élites, des
barrières religieuses, et à l'ouverture ou plutôt la réouverture de l'« espace
» spirituel chrétien aux influences et à l'assistance providentielles du Centre
suprême, condition de la réintégration de la Chrétienté, pour son propre
accomplissement, à l'Ordre traditionnel universel que ses propres Écritures lui
désignaient comme une réalité et une Norme perpétuelles en la personne et la
fonction de Melki-Tsedeq. Les moyens nécessaires et possibles de cette oeuvre
étaient, d'une part, une union véritable, institutionnellement garantie, entre
les autorités spirituelles des traditions respectives, d'autre part la solution
du problème des deux pouvoirs temporel et spirituel, dont l'existence menaçait
de plus en plus celle de la Chrétienté et devait si largement contribuer à sa
ruine, solution qui reposait uniquement sur la possibilité de les intégrer de
façon réelle et efficace à leur principe commun, le Christ, clavis David
sceptrumque domus Israël. Cette double possibilité s'offrait alors à la
conscience des élites responsables du monde chrétien en cette hypostase
mystérieuse, nommée Graal, de la Réalité christique sous ses deux aspects
sacerdotal et royal, et dans son Ordre.
Le premier de ces courants semble ne s'être maintenu,
après le XIIIème siècle, que dans des organisations de plus en plus restreintes
et fermées. Le second, où se reconnaissent le dessein et l'oeuvre interrompue
des Templiers, leur survécut à travers le Haut Gibelinisme et le
Rosicrucianisme, mais ne devait plus subsister, après le départ des derniers
Rose-Croix, que dans les vestiges recueillis par la Franc-Maçonnerie. Cette
dualité, quels qu'en aient été les circonstances et les motifs profonds, a eu
pour résultat l'isolement intellectuel du Templarisme, et par là l'échec final,
du moins sur le plan historique, du dernier et suprême effort pour conquérir au
monde la Cité divine.
Sans doute, avant que la Cité pût descendre du ciel en
terre, fallait-il que le monde allât encore en « avalant », et les pages les
plus sombres de l'histoire restaient encore à écrire, celle où l'on ne
trouverait plus, non seulement le souvenir du Graal, mais même le souvenir de
Dieu. Mais si le Graal fut à nouveau perdu, après que les meilleurs eurent cru,
un instant, pouvoir espérer en son Empire, ce n'est pas tant, ou d'abord à
cause du « péché », qui ne pouvait l'atteindre, que parce que l'Occident, en
rejetant finalement un pacte presque conclu, s'était retranché lui-même du
mystère de Grâce et de Justice dont il était la chance et la sanction.
Ce mystère est celui de Melki-Tsedeq, prototype éternel
du Sacerdoce et fondement de l'Ordre traditionnel universel et impérissable. Le
Graal est caché en lui avec la Parole également valable. Il ne cessera jamais
d'être cherché, parmi les Gens du Livre et parmi les Gens de l'Unité. C'est
avec cette Parole qu'ils le retrouveront, car Celui que tous les « enfants
d'Abraham » attendent, le Sacerdos in aeternum promis par serment à
Israël, le Messie de la Seconde Venue, Seyidnâ Aïssa, « Sceau de la Sainteté
universelle », leur a envoyé d'avance la même convocation.
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