Cheykh 'Abdu-l-Hedi el Maghribi 'Uqayli au-dessus, à gauche
Le musulman suédois
John G. Aguelii
en Islam, Cheykh
'Abdu-l-Hedi
el Maghribi 'Uqayli
Jean
FOUCAUD
Vers la Traditionn°77
(sept.- oct. - nov.
1999)
II. Le précurseur
Quand nous écrivons qu'Aguéli est un précurseur, on est
en droit de se demander de qui … Dût la réponse faire sursauter les guénoniens
« de stricte observance », (1) nous affirmerons, textes à l'appui, que le
Cheykh 'Abdu-l-Hedi est non seulement le précurseur des Études Akbariennes (2)
– ce qui est en soi un titre plus qu'honorable – mais encore le pionnier des
Études Traditionnelles avant la lettre, et donc avant même René Guénon qui en
sera le Maître par excellence. (3)
De même que l'on ne peut réduire Cheykh Mustafa à sa
seule fonction de « Murshid », (4) on ne peut confiner Cheykh 'Abdu-l-Hedi dans
le seul cadre islamique (nonobstant certaine présentation maladroite de sa
personne dans la Gnose de décembre 1910 : « Il ne connaît que l'Islam... »,
etc.) ; il n'est pas seulement un linguiste hors du commun ; il a aussi une
connaissance du Symbolisme universel qui préfigure celle de Guénon, et il
maîtrise un certain nombre de données (voire de techniques) d'ordre
cosmologique sur lesquelles s'appuiera Guénon en les réinsérant dans sa
prodigieuse synthèse métaphysique de portée universelle, comme personne ne
l'avait fait jusque là (voir infra). En effet, Aguéli n'a pas fait qu'« initier
» Guénon : il lui a transmis des connaissances techniques dont on retrouve
trace dans notamment Le Symbolisme de la Croix, Le Règne de la Quantité et les
Signes des Temps, Aperçus sur l'Initiation et Initiation et Réalisation
Spirituelle, avec allusions discrètes à son propre cas et à celui de son
Transmetteur. Le lecteur avisé saura les retrouver. D'ailleurs, si Aguéli
n'avait été qu'un « simple intermédiaire suscité pour René Guénon », comme on l'a
écrit, nous ne lui accorderions pas autant d'importance ! On peut même, dans le
cas d'Aguéli, parler sans exagérer de Réalisation au niveau des Petits Mystères
(wa 'Llah a'lam), ce qui n'est pas si courant au Xxè siècle en Europe.
Aguéli est déjà, au simple point de vue religieux, au
XIXè siècle, un précurseur : il fait partie des très rares Européens convertis
avec Étienne Dinet – al-Haj Nasr-ed-Din [1861-1929] ; l'officier Jules
Gervais-Courtellemont, alias Abd-Allah ben al-Bachir al-Haj [1863-1931] et
l'original député du Doubs, le docteur Philippe Grenier [1865-1944 ; cf.
L'Initiation de février 1897, p.178], sans oublier l'extravagante Isabelle
Eberhardt [1877-1904] ; tous convertis à peu près à la même époque (entre 1890
et 1898), si l'on excepte un ancêtre de Titus Burckhardt [1908-1984], le Cheykh
Ibrâhim, pèlerin à la Mecque en 1814... A partir de cette date, les conversions
à l'Islam ne cesseront pas et même se précipiteront. (5) Les autres Européens
plus ou moins connus se convertiront pour des raisons qui n'ont rien d' «
ésotérique ». (6) Il s'agit généralement d'Allemands et d'Anglo-saxons. En tout
cas, ils n'auront pas de postérité intellectuelle ni initiatique, au contraire
d'Aguéli, Guénon, Michel Vâlsan. (7)
Le précurseur, du point de vue des traductions
autorisées, dans un esprit traditionnel authentique et sous le contrôle d'un
Maître, est bien Cheykh Abdu-l-Hedi. En effet, quelle crédibilité accorder à
des profanes, généralement ni musulmans ni initiés, comme Nicholson, Nyberg, Blochet,
Massignon et tutti quanti ? Au nom de quoi devrions-nous reconnaître une
autorité à des chercheurs universitaires, généralement imbus du préjugé «
occidentaliste » (plus par dépit et rancune « anti-orientale » que pour
d'autres raisons), incapables d'admettre qu'il y a une perspective qui leur
échappe, parce qu'elle n'est ni philosophique, ni littéraire, ni livresque ; en
un mot : des gens non mandatés par quelque autorité traditionnelle que ce soit.
(8)
Que comprennent à l'Islam (il ne suffit pas de
connaître l'Arabe) des esprits occidentaux (et parfois désorientalisés, tel le
pasteur Tartar), comme Louis Gardet, Caspar, Arnaldez... etc qui, trop souvent
servent de machines de guerre contre la Tradition en général (y compris contre
leur propre tradition – le Christianisme) et l'Islam en particulier ?
Que pensez de la Nième traduction du Qoran par Jacques
Berque dont les préoccupations ont toujours été – pendant plus de 50 ans ! –
étroitement sociologiques et exotériques ? Que peut bien saisir du sens caché
des Écritures (qu'il s'agisse de l'Islam, des Évangiles ou autres...) un homme
qui n'a jamais compris goutte à la Métaphysique ou à l'Initiation ? Crois-ton
encore une fois qu'il suffit de lire le français pour comprendre Guénon ou de
lire l'arabe pour comprendre le Qoran ? Il est temps d'en finir avec toutes ces
prétentions.
Les traduction de Cheykh Abdu-l-Hedi ne sont peut-être
pas irréprochables quant au vocabulaire (cf. VLT n°72, p. 52, n.36), mais au
moins son inspiration (ilham), son orientation (tawajjuh) et son intention
(niyya) sont authentiquement traditionnelles. Aussi, nous ne comprenons pas le
dédain et les critiques injustes de Michel Chodkiewicz (par ailleurs très bon
connaisseur d'Ibn Arabi) envers la traduction d'Aguéli du Traité de l'Unité et
du Cadeau (cf. critique dans « Connaissance des Religions » – 1988, n° de
juin-sept., vol. iv, p. 30 à 40), d'autant plus qu'il avait fort bien compris
certains aspects de la fonction d'Aguéli (comme en témoigne la note 9, p.31 -C
des R-) qu'il a dû oublier par la suite ! (8b) Aura-t-il la simplicité
d'accepter notre point de vue, à savoir que sa traduction, non seulement ne
nous semble pas meilleure, mais qu'elle manque du « souffle » initiatique et,
disons-le, akbarien qui passe dans le texte restitué en français par Cheykh
Abdu-l-Hedi ? On a vraiment l'impression que Michel Chodkiewicz ne sait pas du
tout à qui il a affaire, bien qu'il prétende le contraire (il se serait fait
traduire les passages du livre de Gauffin concernant le séjour d'Aguéli en
Orient... – Espérons que la publication de notre traduction l'éclairera un peu,
in châ'a Llah).
Il ne faut pas oublier qu'un précurseur est un homme
seul ; il a d'autant plus de mérite et de droit à notre indulgence. Il est
facile de nos jours après les œuvres magistrales de Guénon et Michel Vâlsan de
critiquer rétroactivement. C'est d'ailleurs grâces aux travaux (et parfois
erreurs) d'Aguéli que les deux Maîtres ci-dessus cités ont pu énoncer le point
de vue traditionnel autorisé, voire définitif sur certaines questions relevant
du Tasawwuf.
Pendant que nous y sommes, nous ajouterons ceci : à
quoi servent les concessions faites aux « spécialistes » de l'Université pour
obtenir leurs bonnes grâces et leur reconnaissance, quand on sait par ailleurs
comment on refuse à Paris, lieu de Liberté, des thèses d'inspiration guénonienne
ou vâlsanienne. (9) Il conviendrait au contraire que les universitaires aient
l'honnêteté et l'humilité de se mettre à l'École des Maîtres orientaux. On voit
assez ce que ce genre de « récupération » (= de l'Orient par l'Université) a
donné avec des gens comme Eliade, dont Cioran a dit avec son impitoyable
lucidité : « [les textes sacrés], il a beau les décrire et les commenter avec
talent, il ne peut leur insuffler la vie ; il leur aura soutiré toute leur
sève, il les aura comparés les uns aux autres, usés les uns contre les autres,
pour leur plus grand dam ; et ce qui en reste, ce sont des symboles exsangues,
dont le croyant n'a que faire si tant est qu'à ce stade de l'érudition, du
désabusement et de l'ironie il puisse y avoir [encore] quelqu'un qui [y] croie
véritablement. Nous sommes tous, Eliade en tête, des ci-devant croyants, nous
sommes tous des esprits religieux sans religion. » (Exercices d'Admiration,
Gallimard 1986, p. 131) Cioran se rendait-il compte que, ce faisant, il signait
là sa propre condamnation ?! Pour lui comme pour Eliade, qu'il démonte aussi
finement que cruellement, nous dirons qu'il y a des formes d'intelligence
dissolvantes au lieu d'être édifiantes : elles s'illustrent avec talent, sinon
avec bonheur, au sein de l'Université, repaire profane de l'Humanisme depuis le
XVIè siècle (siècle appelé aussi sans vergogne par les Espagnols « siglo de oro
», comme si les huit siècles de civilisations arabo-musulmane n'avaient été
qu'obscurantisme!).
Ainsi, la plupart des thèses universitaires – agréées
parce que conforme aux critères exclusifs en usage – ont le « don » d'enterrer,
de fossiliser la Connaissance vivante dans cette sorte de musée archéologique
que l'on appelle patrimoine de l'humanité. Pendant ce temps, les vraies connaissances
et leur transmission (comme se définit le mot « Tradition » sans son sens
originel que seul Guénon, au Xxè siècle, a su restituer) se perpétuent, à
l'abri des laboratoires et autres stérilisateurs de la pensée traditionnelle,
dans des lieux heureusement inaccessible à la curiosité des profanes.
Peut-on sans rire énumérer des listes de traducteurs
d'Ibn Arabi, du XIXè au Xxè siècle (comme dans l'introduction au Sceau des
Saints, Gallimard 1986) en les mettant sur le même plan que Cheykh Abdu-l-Hedi
et Cheykh Mustafa ? Quelle fâcheuse concession à la mentalité moderne ! Quand
on lit les six grandes pages rédigées en annexe de son livre à la demande
d'Axel Gauffin par l'arabisant suédois Nyberg, on hésite entre l'hilarité et
l'indignation : n'attribue-t-il pas au Cheykh al-Akbar (c'est-à-dire « le plus
grand des Maîtres ») la croyance dans les « supersititions les plus grossières
» (sic !) (10) On sent, une fois de plus, une tentative sournoise de minimiser
l'importance de l'auteur (Ibn Arabi), de déformer la Vérité, de réduire
l'Ésotérisme au mysticisme (c'est tellement plus facile !), voire de
christianiser le Tasawwuf (comme l'ont déjà tenté Asin Palacios, Massignon...
etc). On a nettement l'impression que l'Occidental (ou pire encore, l'Oriental
occidentalisé, qui a double moyen d'en imposer) est incapable d'admettre
l'Évidence (ce qui est la définition même du « péché contre l'Esprit » qui,
dit-on, ne sera pardonné ni en ce monde ni dans l'autre). Alors, que l'on ne
nous cite plus de sommités titulaires de ces chaires d'obscurantisme que sont
parfois les universités ! Cet argument d'autorité a vécu ! Car nous persistons
naïvement à croire qu'une vérité (pour être universelle) ne peut être portée
par une vision scientiste des choses exclusivement profane. Comme nous le
disions en supra, l'université est incapable d'intégrer le point de vue
initiatique : son champ est trop réducteur parce qu'exclusivement mental et «
mentaliste ». (11)
Aguéli PRÉCURSEUR ? A ce propos, il nous faut signaler
que les écrits d'Aguéli (lettres, articles, traductions... etc) sont à peu près
incompréhensibles si l'on n'a pas lu et compris préalablement René Guénon... et
Michel Vâlsan, qui lui sont pourtant postérieurs ! Inversement, on retrouve
bien des thèmes – jusque dans le lexique technique même – dans l'œuvre de
Guénon qui ne peuvent provenir que de Cheykh Abdu-l-Hedi. C'est à cette
continuité que nous faisons allusion (cf. VLT n°72) et comme ce n'est pas une
vue de l'esprit, il nous suffira de prendre quelques exemples référencés,
aisément vérifiables par tous lecteur.
1° Thèmes :
Par exemple « la manipulation des courants mentaux »,
technique à laquelle fait allusion René Guénon dans Orient et Occident (Vega,
éd. De 1964, 2è partie, chap. 3, p. 184).
Si l'on se réfère à Axel Gauffin, on trouve un
programme détaillé que, vu sa longueur, nous sommes obligés de renvoyer en
annexe du présent article. Ce document remarquable (et malheureusement inconnu
jusqu'à ce jour) montre la science précise d'Aguéli en ce domaine : près de 20
ans plus tard, au Caire, Nyberg notera l'influence toujours agissante des idées
traditionnelles énoncées par Cheykh Abdu-l-Hedi et l'équipe d'Il-Convito.
2° Les Études Akbariennes :
Il s'agit, comme on le sait déjà, de traductions,
notes, commentaires (en arabe, italien, français) que nous aborderons plus tard
dans un autre point de notre introduction sur Aguéli (« Le lecteur, le
linguiste, l'écrivain, le traducteur »).
3° Le lexique technique :
Créé par Aguéli, il sera repris (et parfois amélioré)
par René Guénon et Michel Vâlsan. Un exemple inédit et frappant concerne
l'explication d'un concept énigmatique inconnu, employé pour la première fois
par Ibn Arabi (et donc sans doute forgé par lui), à savoir le terme « composé »
: « fahwâniya. » Cheykh Mustafa le signale dans une note des Études
Traditionnelles (n° mars-avril 1961, p.89), texte repris dans le recueil
posthume Le Livre de l'Extinction dans la Contemplation, où l'éditeur omet de
signaler que Cheykh Mustafa l'a aussi expliqué dans sa traduction de la Prière
sur le Prophète, opportunément publiée à l'occasion de sa disparition (Études
Traditionnelles, n° novembre-décembre 1974, p.242).
Or, plus de 50 ans auparavant, Cheykh Abdu-l-Hedi
(Il-Convito, 1907, p.58), dans une étude de vocabulaire soufi subséquente à sa
traduction du Progredire verso il Re dei Re (de Qasam ben Silah-ed-Din al Khani
; [1028-1109 h./1619-1697]) relève ce terme : « fahwâniyah » – qu'il écrit
d'ailleurs « fa-hû-wâniyah » pour certaines raisons qui relèvent du procédé dit
« nirukta » – dont il donne une définition précise, et nous semble-t-il
satisfaisante, que l'on retrouve presque mot pour mot chez Cheykh Mustafa (qui
en avait peut-être pris connaissance), dans la revue Études Traditionnelles
citée supra, à savoir : « E una parola che Iddio rivolge all'uomo nei
combattimenti spirituali nel mondo delle imagini primordiali », c'est-à-dire :
« C'est une parole qu'Allah adresse à l'homme lors de sa lutte spirituelle dans
le monde des Modèles primordiaux ». Comparons avec la définition de Cheikh
Mustafa (Études Traditionnelles, 1974, p. 245) : « La Fahwâniyah au sens
propre, employé par Muhyi-d-Din Ibn Arabi dans les Futûhat, se rapporte à la parole
divine adressée de façon directe [à l'homme] dans les mondes des Modèles
('Alamu-l-mithâl) » (12). [Rectificanda paru dans VLT n°79 : Comme nous l'a
fait remarquer avec raison un honorable lecteur, il y a un lapsus (pas du tout
calamiteux) à propos de la fahwâniya : les définitions d'Aguéli – comme celles
de Michel Vâlsan – sont, bien sûr, traduites du texte d'Ibn 'Arabi. Cela va
sans dire, mai cela va encore mieux en le disant.]
On mesurera par là la connaissance approfondie de
Cheikh Abdu-l-Hedi des œuvres d'Ibn Arabi et de son lexique, et on nous
concédera, au moins sur ce point (mais il y en a bien d'autres) son rôle de
précurseur quant à l'exégèse akbarienne.
4° Poursuivons avec le lexique technique,
en Français cette fois, repris par René Guénon et Michel Vâlsan, notamment la
remarquable formule de l' « Identité Suprême » (dont, en passant, on ne
comprend pas qu'elle ait été remise en cause dans l'ouvrage Les 7 Étendards du
Califat, chap. 3 – mais il faudrait une autre occasion pour aborder ce point
délicat).
Aguéli, dans les pages dédiées à Mercure (La Gnose,
J.F. 1911) emploie pour la première fois ce terme (« l'Identité Suprême /
Wahdatu-l-Wujud = l'Identité de l'Existence »), que l'on retrouve encore à
trois reprises au moins, respectivement dans les Pages dédiées au Soleil et
dans le long article L'Universalité en Islam, où il écrit : « Les Musulmans
disent : Et-Tawhidu wâhidun, ce qui signifie... la Doctrine de l'Identité
Suprême ».
Ce concept sera constamment repris et en quelque sorte
« consacré » par René Guénon et Michel Vâlsan.
[Rectificanda paru dans VLT n°79 : « Pour prévenir contre d'anciennes ou
nouvelles confusions, nous rappelons fermement que quand Cheykh 'Abdu-l-Hedi a
parlé d'Identité Suprême, il a toujours eu en vue – à l'exclusion de tout autre
terme arabe – les concepts de tahwid/wahdatu-l-wujud, et dans le seul contexte
islamique. Enfin, nous mettons au défi quiconque de trouver chez 'Abdu-l-Hedi
une référence où il utiliserait le terme d'ittihad (= Yoga = Union) pour
désigner l'Identité Suprême (ou inversement, traduirait ittihad par Identité
Suprême, confusion déjà dénoncée par Ibn 'Arabi). De toute façon, même si la
chose se produisait, elle ne pourrait troubler que ceux qui n'auraient pas bien
assimilé l'enseignement de Michel Vâlsan et René Guénon. »]
Qu'il ait été créé pour la langue française par un
Suédois venant de passer 7 ans en Égypte à écrire et traduire de l'arabe et de
l'italien est tout de même quelque chose de peu ordinaire. Or Cheikh Mustafa,
sans énoncer le terme de « précurseur » que nous revendiquons à l'égard de
Cheikh Abdu-l-Hedi, en suggère évidemment l'idée en écrivant à propos de
l'œuvre entreprise dans la revue Al-Nadi=Il-Convito et la Société Akbariya
(citant nommément Cheikh Elish el-Kebir et Abdu-l-Hedi) : « Les lecteurs de
René Guénon y reconnaîtrons facilement certaines thèses fondamentales de son
œuvre qui apparaîtra […] comme le développement d'une idée providentielle » ;
et plus loin il ajoute : « L'idée traditionnelle telle qu'on la connaît de nos
jours en Occident à la suite de l'œuvre de René Guénon, a ainsi historiquement
une sûre origine islamique et akbarienne » (13) (Études Traditionnelles n°
janvier-février 1953, « L'Islam et la Fonction de René Guénon », pp.
32-33.
5° Dans sa traduction de l'épître intitulée
Le Cadeau (La Gnose, janvier février 1911, p. 21, n. 5) Aguéli
dresse un tableau de correspondances de notions métaphysiques dont il crée en
français les mots-clés, ainsi :
Exaltation / Ampleur
Hauteur / Largeur... etc, dont le Cheikh Mustafa
reprendra, sans rien y changer, la précieuse liste dans son article sur les «
Références islamiques du Symbolisme de la Croix [de René Guénon] », ajoutant cette
précision que, à ces notions-clés correspondent les termes arabes « tûl
(longueur) » et « 'ard (largeur) », « ce qui fait penser qu'Abdu-l-Hedi avait
lui-même en vue les termes techniques arabes dont nous parlons maintenant ».
Cet hommage tardif rendu à Aguéli confirme bien le titre de Précurseur que nous
employons à son égard. Nous disons « tardif », car René Guénon, dans son
Symbolisme de la Croix avait lui aussi repris ces termes d'Ampleur et
d'Exaltation, mais sans citer leur « inventeur ».
6° Nous pourrions ajouter à l'appui de
notre thèse les termes de Mystères « dominicaux » (asrâr rabbâniya) distinguer
du terme « seigneuriaux » (rubûbiya)... etc, et dans un autre
ordre d'idée, la fondation d'une « Organisation purement intellectuelle », préfigurant
l' « Entente intellectuelle entre les peuples » de René Guénon dans les années
1925/26 ; le projet imminent de construction d'une Mosquée à Paris... etc, etc.
Enfin, point que nous traiterons à part, il y aurait
bien des choses à dire sur la filiation mystérieuse de Dante jusqu'à René
Guénon en passant par Aguéli, précurseur à double titre...
Jean FOUCAUD (à
suivre)
NOTES
1. Michel
Vâlsan nous disait il y a plus de 25 ans : « Être guénonien de nos jours, cela
ne veut plus rien dire ! » - dans le contexte, cela signifiait que les «
guénoniens » qui ne se sont pas engagés dans une Voie traditionnelle
initiatique sont pour la plupart condamnés à la paraphrase et au psittacisme,
quand ce ne sont pas tout simplement des « caractériels » comme nous le disait
aimablement un jour le directeur des Cahiers de l'Herne, à son stand du Salon
du Livre, stigmatisant par là certains « guénonisme » mondain, jeu où excellent
nombre de pseudo-intellectuels de salon qui ont leur « période guénonienne »
quand c'est – ou c'était – la mode.
2. Cheykh
Mustafa en étant le Maître sinon incontesté du moins incontestable pour les
gens de bonne foi (homini bonae voluntatis).
3. Malgré
toute l'importance de l'œuvre et de la fonction d'Aguéli, nous ne pouvons lui
reconnaître le critère d'infaillibilité qui est attaché à René Guénon pour tout
ce qui est métaphysique, Initiatique, Ésotérique et Traditionnel en général ;
les deux ouvrages sur l'Initiation sont uniques au monde et ne se trouvent dans
aucune religion ou tradition. Ces livres font penser à un Testament de Cheykh
Abdel-Wahid Yahya ; notons d'ailleurs que le 2ème volume est un ouvrage posthume.
A ce sujet, Cheykh Mustafa a parlé d'une Charte de la Tariqa (shadhiliya).
4. Il a une
fonction doctrinale complémentaire – et parfois distincte – de celle de Guénon,
dont il faudra un jour tenir compte. Nous espérons développer bientôt ce thème
par des données inédites, complétant le point abordé par Charles-André Gilis
(cf. VLT n°74).
5. Toutes les
enquêtes sur les Musulmans de France sont fort hésitantes sur le nombre de
Français de souche convertis... Quelle étrange pudeur ! Quant aux Bouddhistes
convertis, on les chiffre d'une semaine à l'autre de 200.000 à 700.000 sans
voir l'illogisme et l'impossibilité d'un tel chiffre : les Européens font peu
d'enfants et les moines bouddhistes, à notre connaissance, n'en font pas aussi
gaillardement !
6. Cf. le cas
du co-directeur d'Il-Convito, Enrico Insabato qui simulait un Islam de façade
pour mieux espionner et infiltrer les tribus senoussies. (cf. L'Islam et la
Politique des Alliés, Paris : Berger-Levraut, 1920, p. 194, où il s'affirme catholique,
dût son défunt collaborateur Aguéli se retourner dans sa tombe !). Aguéli,
subodorant la trahison de cet « agent double », ne le lui pardonnera jamais
(cf. Gauffin, t. II pp. 146, 148, 155... etc.)
7. Aguéli (op.
Cité, t. II, p. 134) cite comme pratiquants secrets de l'Islam les deux
arabisants Van den Berg et Nallino (?).
8. D'où les
difficultés d'un Georges Vallin à traiter de « Métaphysique », faute de
recourir aux deux notions-clés de «
Tradition » et « d'Initiation », exclues des axiomes
universitaires (La Perspective métaphysique, Dervy, 1977).
8b. quand on pense que la meilleure traduction inédite
du Traité de l'Unité – de Michel
Vâlsan, évidemment – dort encore dans ses tiroirs !
9. Rappelons
que l'Université française s'est déshonorée autrefois en refusant la thèse de
René Guénon (Introduction Générale à l'Étude des Doctrines Hindoues) par le
veto du doyen Sébastien Brunot. – Par contre, à l'époque actuelle, il arrive
qu'une thèse passe à travers le mur des préjugés universitaires, comme celle de
Patrick Geay (Hermès trahi), il est vrai soutenue à Dijon, loin des intrigues
du microcosme parisien. A part cette honorable exception le terrorisme
anti-intellectuel ne sévit-il pas toujours dans la Ville-Lumière, « Phare de
l'Humanité » ?
N.B. N'est-il pas étrange que la disparition d'un
hindouisant comme Alain Daniélou [1907-1994] soit passée à peu près inaperçue
des instances universitaires de notre pays ? Sans doute n'était-il pas assez
courtisan !
10. Nous nous proposons de publier bientôt cet addendum
dans un prochain numéro de Vers la Tradition.
11. Ne voulant pas être injuste ni accusé de persiflage
gratuit (mais l'Université prend-elle toujours des gants ?), nous reconnaissons
volontiers deux qualités éminentes à la recherche universitaire :
1°) le sérieux dans la documentation et la
référenciation (comme le disait à peu près René Guénon : ils nous dispensent de
ce travail fastidieux que nous replaçons ensuite dans une perspective
traditionnelle).
2°) la rigueur et la méthode dans l'exposé, qualités
qui font souvent, hélas, défaut aux Orientaux au style trop « fleuri » et aux
développements trop désordonnés, voire anarchiques !
12. Le terme entre crochet est ajouté par nous, car il
semble manquer dans le texte des Études Traditionnelles n°446.
13. Les italiques sont de esprit-universel.overblog.com
Note : Nous avons tenu compte des : Rectificanda
(V.L.T. N°77), Vers la Tradition, n°79, Mars – Avril – Mai 2000.
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