Vers la Tradition n°72 (Juin-Juillet-Août 1998)
PRÉSENTATION
Curieux silence que le silence total – et depuis plus
de 40 ans ! (1) – sur le cas de John-Gustav Agelii (2)... Ferait-il de l'ombre
à certains ténors actuels de l'Ésotérisme islamique en France et en Italie,
pourtant si prodigues par ailleurs d'écrits et traductions incessants ? À
croire que tout le monde veut banaliser, minimiser voire discréditer
l'importance de la fonction de Cheykh 'Abdu-l-Hedi al-Maghribi 'Uqayli. Et que
l'on n'excipe point du manque d'indications ou d'informations à son sujet : Michel
Vâlsan lui-même en a parlé en terme élogieux et non équivoques (3). Il s'est
même fait traduire (traduction hélas partielle et défectueuse) des extraits de
l'ouvrage monumental et irremplaçable d'Axel Gauffin (4). Les quelques
allusions à Cheykh Abdu-l-Hedi, en France en tout cas, sont insuffisantes ou
inexactes, quand elles ne sont pas totalement de mauvaise foi (5).
La présente introduction a pour but de présenter et de
réhabiliter un homme providentiel, sans lequel on peut se demander s'il y aurait
actuellement en Europe un Tasawwuf digne de ce nom. Certains ont été choqués
par un manque apparent de « vertu » et de « discernement ». Facile à dire ! Des
êtres comme Abdu-l-Hedi, et éminemment René Guénon, ont permis d'éviter tous
les écueils. Ils ont déblayé et « balisé » la Voie jusqu'à ce qu'advienne le
Magistère suprême en la personne de Cheykh Mustafâ Abdel-'Aziz. Ceux qui les
critiquent devraient d'abord reconnaître ce qu'ils leur doivent ou n'en point
parler. Voilà pourquoi nous pensons combler un vide et, pourquoi pas, réparer
une injustice en publiant ce 1er chapitre sur celui qui fut en son temps le
Précurseur des Études Akbariennes en Occident.
(1) Si l'on excepte l'introduction aux écrits posthume
d'Aguéli, d'une impression si défectueuse qu'elle frôle l'irrespect et la
désinvolture délibérés. Ce n'est qu'un tissu d'erreurs sciemment distillées.
(2) Né en Suède en 1869, mort à Barcelone en 1917 ;
peintre, linguiste, écrivain et traducteur musulman de texte soufis. N.B. Le
nom d'état civil est bien « Aguelii »
(3) Cf. ouvrage posthume, L'Islam et la Fonction de
René Guénon, Paris, 1984, (multiples références).
(4) Ivan Aguéli,
Människan, Mystikern, Malaren, 2 tomes, Stockholm, 1940-41.
(5) Presque tous les renseignements donnés par
Chacornac – dans un livre sur René Guénon par ailleurs utile – sont erronés ou
tendancieux ; quant aux autres auteurs, nous préférons ne pas les citer par
charité intellectuelle et pour éviter toute polémique stérile !...
On ne sait exactement quand John-Gustav Aguelii (de son
nom d'artiste Ivan Aguéli) est entré en Islam : Chacornac, à la suite d'Axel
Gauffin, penche pour le 2ème semestre de 1897 (6). Sa biographe la plus
récente, Mme Viveca Wessel (7), repousse cette date au début de 1898. Nous
pensons que ces dates pourraient sans invraisemblance être avancées de
plusieurs années : tout dépend si l'on s'en tient uniquement aux données «
historiques » ou à d'autres références d'un ordre plus « intérieur ». Nous
voulons dire simplement ici (et les exemples ne sont pas rares) : on peut très
bien être musulman de cœur bien longtemps avant de prononcer la « shahâda »,
parce que le milieu (notamment européen) empêche ou retarde la pratique
effective de l'Islam, ce qui, surtout à notre époque et vu le milieu où il
vivait, était éminemment le cas d'Aguéli, sans parler du cas très particulier
de René Guénon, toutes proportions gardées. On peut également prononcer la
Shahâda sans rien en laisser paraître extérieurement. La véritable question est
plutôt : qui a fait entrer Aguéli en Islam ?
Et si l'on réclame des preuves ou des documents, il
n'est que de se référer d'abord à l'intérêt exceptionnellement précoce d'Aguéli
pour l'Islam, le monde arabe et le Qoran (8), et surtout à une certaine lettre
de 1907 pour le comprendre. En effet, dès 1893 Ivan Aguéli a eu une vision du
Cheykh al-Akbar qui ne laisse place à aucun doute, et sur laquelle nous
reviendrons plus longuement. À la même époque (1893), il a la révélation de la
Science des Lettres sous une forme « linguistique » qui est un aspect de ce
qu'on appelle symboliquement le « Don des Langues » (9) et, à part René Guénon,
on ne connaît aucun Européen au XXè siècle qui ait bénéficié d'un don aussi
indiscutable et aussi prodigieux (10). À ce propos, un développement sous forme
d'annexe (11) s'imposerait, car sur le « Don des Langues » (sauf un court
chapitre de René Guénon dans Aperçus sur l'initiation) rien n'a jamais été dit
de précis : Aguéli lui-même, après avoir annoncé une étude dans La Gnose, s'est
finalement abstenu (12) : ce silence mérite réflexion... et prudence (13).
Donc, bien avant sa pratique « officielle » de l'Islam aux Indes puis en
Egypte, tout se passe comme si Aguéli se préparait in petto à cette nouvelle
étape de sa vie spirituelle (14) ainsi qu'à la fonction qu'il devait assumer
pendant une quinzaine d'années comme intermédiaire entre l'Orient arabe et
l'Europe. Si l'on compte le temps de préparation, on peut dire qu'Aguéli a
consacré 20 ans de sa courte vie (15) à ce qu'il faudra bien appeler sa «
mission traditionnelle » à la fois comme « Initié » et comme « Précurseur », ce
dernier point exigeant des arguments qui par nature échappent à l'histoire
profane (voir infra).
(6) Gauffin écrit : « Malgré toutes mes recherches, je
n'ai jamais réussi à établir quand et dans quelles circonstances cela s'est
produit. » (Ivan Aguéli, Människan, Mystikern, Malaren, II, p.40).
(7) Viveca Wessel, Ivan Aguéli - porträtt av en rymd,
Stockholm, juin 1988, p. 20.
(8) De novembre 1891 à juillet 1892, il fréquente
assidûment la Bibliothèque Royale de Stockholm, section Orient et Islam
(Gauffin, op.cit. I, p.72-73)
(9) cf. lettre à Arthur Bianchini (Gauffin, op.cit. I,
p. 91-94).
(10) C'est-à-dire la connaissance des principales
doctrines traditionnelles et la compréhension de leur Unité transcendante,
directement dans le texte original. Quant à l'aspect « performance »
linguistique, Aguéli était capable de lire plus de 20 langues, dont la moitié
de langues orientales. Nous mettons bien sûr à part le cas des « Cheykh Murshid
» qui n'entre pas ici dans notre propos.
(11) Prévue à la fin de la présente étude.
(12) La Gnose de décembre 1910, où Aguéli écrira son
tout premier article.
(13) Cf. la mise en garde d'Ibn Arabi (Fut. I, chap.
26, p. 191).
(14) dès mai 1894, dans sa prison, il essaie de
s'abstenir d'alcool.
(15) De 1893 à 1913. Rappelons qu'il est mort à l'âge
de 48 ans.
Ainsi, dès 1899, malgré l'hostilité du milieu (entre
autres les obstacles suscités par Marie Huot), il prend contact avec la plus
éminente et la plus mystérieuse organisation soufie des Indes, dont avant lui
aucun Occidental n'avait jamais entendu parler, la tariqa Akbariya (16). Ceci,
il ne le fait pas à titre individuel : Ivan Aguéli n'était pas un homme à faire
du « tourisme » par plaisir aux Indes ; il accomplit sa mission au péril de sa
vie (17) et de sa santé, puisqu'il en reviendra avec des séquelles de malaria
et une surdité aggravée.
La question qui se pose est évidemment la suivante :
avec quel mandat et sur l'ordre de qui a-t-il effectué cette mission et pris
ces contacts ? À cette époque il ne semble pas qu'il ait déjà fait la
connaissance de Cheykh Elish el-Kebir. Quoi qu'il en soit, en très peu de
temps, il rencontre des personnalités éminentes du monde ésotérique indien sur
lesquelles il est extrêmement discret (18). Quand on sait l'importance dans sa
vie initiatique de la personne et de l'œuvre du Cheykh al-Akbar, on peut tout
de même se faire une petite idée des forces invisibles qui l'ont guidé dans sa
démarche et pourquoi, malgré tous les aléas d'une telle expédition à cette
époque, et pratiquement sans fortune, il a réussi, bénéficiant d'une étonnante
immunité (comme plus tard pendant ses 7 ans en Egypte). Pour comprendre
l'importance de la chose, il faut se rapporter aux quelques allusions discrètes
faites par Michel Vâlsan, sans lequel personne n'aurait saisi l'aspect
providentiel de la fonction et de l'œuvre de Chekh Abdu-l-Hedi (19). La
conversion d'Aguéli à l'Islam est tout le contraire d'un engouement passager, «
orientaliste » et « exotique ». On sait par des témoins directs qu'il lui
arrivait de dire la prière canonique en son temps et dans la rue, comme le font
couramment les Arabes, et ce, même devant de sceptiques Européens, comme le
rapporte M. Georges Rémond, contrôleur des Beaux-Arts au Caire (20). La vie
islamique étant devenue pour lui une « seconde nature », il écrivait déjà, dans
une lettre de Colombo : « La vie dans un pays non-musulman est un ENFER ».
(Juin 1899).
Dès son arrivée au Caire, surtout à partir de 1902, il
est parfaitement acclimaté au mode de vie traditionnel, pensant et écrivant en
arabe, vêtu comme un Arabe, vivant comme eux et appréciant cette façon de
vivre. Si cette adéquation a été si aisée et si naturelle, c'est que, comme
certains êtres prédestinés, Aguéli est né étranger à sa propre famille, à sa
terre et à la mentalité européenne pseudo ou anti-traditionnelle (21). Ce qui
explique ses soi-disant « excentricités », sa révolte contre sa famille et son
milieu, ses réactions apparemment « anarchistes » (22), son inadaptation au
système scolaire et le rejet de la religiosité ambiante (le Protestantisme)
pour lesquels il n'était pas fait et où il étouffait (23). Les bizarreries
apparentes de son comportement échappent au décryptage facile de certaine
tendance moderne qui ne sait que réduire le Spirituel au psychique ou ne voir
que de la psychologie là où il s'agit de Métaphysique et de Tradition.
(16) Dans une lettre du 22 mars 1899, il écrit en
parlant des Malais de Colombo : « Presque tous ici sont Soufis. Parmi eux, il y
en a qui sont d'une intelligence remarquable. »
(17) Dans une lettre à Marie Huot, il écrit : « Mon
petit revolver m'a sauvé la vie... mais il faudrait que tu m'en procure un plus
gros ! » (Gauffin, op.cit. II, p.70).
(18) Pour protéger le secret de son voyage, il avait
même fait croire à des amis qu'il comptait aller jusqu'à Lhassa (Gauffin,
op.cit. II, p.41), et pour calmer Marie Huot jalouse de cette absence, il
faisait semblant de porter un grand intérêt aux Bouddhistes dont il dira sur
place le plus grand mal ! (ibid, pp.56, 62...etc).
(19) Études Traditionnelles, 1953. - repris dans
L'Islam et la Fonction de René Guénon. Éd. de l'Œuvre, Paris, 184, p.37-38.
(20) M. Rémond et ses amis n'avaient pu réprimer une
subite envie de rire : Abdu-l-Hedi s'était mis à prier longuement devant eux,
en plein air, en s'excusant, car « c'était l'heure de la prière » (Gauffin,
op.cit. II, p.139).
(21) Dans une de ses nombreuses et passionnantes
lettres de prison à son ami Verner von Hausen, il montre qu'il a déjà choisi
entre le monde « aryen » et le monde « sémitique ». Par exemple : « Ce sont les
Musulmans et le monothéisme qui guérissent de toutes les impuretés du sang et
de la race : il purifie tout par la Foi et ainsi constitue un récepteur de
l'énergie spirituelle la plus élevée. » (Gauffin, op.cit I, p.166).
(22) Malgré ses fréquentations dans ce milieu, il ne
sera jamais anarchiste militant. Cf. son droit de réponse au journal La Libre
Parole qui le traitait d' « anarchiste » et d' « agitateur ». (Gauffin, op.cit.
II, p.115-116).
(23) Cf. ses « Notes sur l'Islam » dans L'Initiation
d'août 1902 : « [L'Islam] met la patrie dans le cœur de l'homme et le dispose à
être chez soi partout. » Il s'écriera même un jour : « Ma patrie, c'est
l'Univers ! » (Gauffin , op.cit. II, p.96).*
*Dans une lettre de mai 1894, il expliquait son goût de
l'Orient et de l'originel par « la haine de [sa] patrie, de [sa] langue
naturelle, de [son] éducation... » (Gauffin, op.cit. II, p.96).
Quant à son statut personnel dans le cadre de l'Islam,
ou plus précisément du tasawwuf, on remarquera déjà son titre officiel en tant
qu'écrivain traditionnel œuvrant sous la direction d'un Cheykh de l'envergure
de 'Abder-Rahman Elish el-Kebir, « Cheykh 'Abdu-l-Hedi, khâdim al-Awliya »
(24). À ce nom d' « Abdu-l-Hedi » il adjoint celui d' « al-Maghribi » qui est
celui de son maître Elish el-Kebir, et encore celui de « 'Uqayli », nom d'une
famille de lettrés égyptiens bien connue dans le pays. Ce titre figure
d'ailleurs sur son sceau personnel. (25)
(24) C'est son nom d'auteur, de traducteur et de
correcteur, tel qu'il figure sur la réédition arabe des Usûl al-Malâmatiya en
page de couverture (Le Caire, 1907). Cf. Viveca Wessal, op.cit., p.81.*
* Quant au titre de Khâdim, rappelons l'adage islamique
: « Khâdim el-Qawm, sayyidu-hum ». Sur les « Khâdim », voir « Les Haleines de
la familiarité », Études Traditionnelles, 1955, p.176.
(25) Reproduction p. 93, et en couleur sur la page de
couverture de Viveca Wessel, Ivan Aguéli, porträtt av en rymd.
Il n'est déjà pas courant fin XIXè siècle de voir un
Européen, Suédois de surcroît, s'intégrer de façon si authentique à une société
traditionnelle arabe et à ces cercles très fermés que constituent les
confréries shadhilites ; mais il y a plus, dans la lettre du 29 juillet 1907
que nous avons déjà mentionnée où il fait allusion à sa vision 14 ans plus tôt
du Cheykh al-Akbar, Aguéli révèle que le Cheykh Elish-el-Kebir, avant même
qu'il ait su qui il était, ne cessait de l'appeler « Muhyi-d-Din », ce qui est
le titre même d'Ibn Arabi (« Revivificateur de la Religion »), (26) et son nom.
Or on sait que les êtres d'exception qui ont un maître décédé ou invisible font
partie de la catégorie privilégiée des « Uwaysy ». (27)
C'était le cas d'Aguéli, ou plutôt de « Cheykh 'Abdu-l-Hedi
al-Maghribi, 'Uqayli, Khâdim al-Awliya ». Avec Abdu-l-Hedi, c'est en effet
toute une filiation akbarienne qui prend naissance en Europe et se prolonge
avec Cheykh Abd-el-Wahed Yahya (René Guénon) et Cheykh Mustafâ 'Abdel-Aziz
(Michel Vâlsan), sans exclure d'autres successeurs possibles dans le monde
occidental. La fonction et l'œuvre de ces personnalités successives ne
s'expliquent pas sans la référence obligatoire à Seyyiduna Ibn Arabi, Cheykh
al-Akbar et à sa Baraka (Rûhâniya) toujours agissante. Mais on devra
reconnaître que, dans le monde européen tout au moins, le point de départ en
est Ivan Aguéli, [Cheykh Abdu-l-Hedi], lui-même maillon d'une chaîne de «
revivification » dont l'éminent et lointain précurseur, pour le monde arabe,
n'est autre que l'Emir Abd-l-Qâdir al-Jazâ'iri (28). On peut se demander si
Abdu-l-Hedi eut conscience de sa fonction et de sa « mission ». La réponse
attendue se trouve textuellement dans une lettre à sa mère, dès l'été 1904 : «
Si tout continue à aller bien, je peux m'attendre à un avenir glorieux et
annoncer une voie comme personne n'en a tracé avant moi. » (29)
C'est également à l'initiative d'Abdu-l-Hedi que se
constitue à Paris une Société d'Études appelée « Al-Akbariya », le 26 Jumâda II
de l'année hégirienne 1329, soit dans la nuit du jeudi au vendredi 23 juin
1911, dont est membre évidemment René Guénon. (30) Cette société qui n'est pas
une « Tariqa » n'est tout de même pas sans rapport analogique avec la « Tariqa
Akbariya » avec laquelle il avait pris contact aux Indes (octobre-novembre
1899). (31)
(26) Ce titre figure également dans le nom complet de
l'Émir Abd el-Qader.
(27) Une remarque linguistique s'impose ici : le titre
d'Uways que l'on rapporte à un Soufi du même nom, en est en fait le diminutif
grammatical du mot « aws » qui signifie « lynx » lequel, comme le « loup »,
symbolise dans la plupart des langues européennes le « voyant » ou le « rishi »
des Hindous. D'autre part, le « aws » arabe n'est pas sans rapport prophétique
voire étymologique avec la racine grecque « οψ » (la vue, la vision). Pour en
revenir au cas d'Aguéli, on se rappellera la prééminence qu'il accordait à la
Vision sur l'audition ; et ceci pas seulement à titre de peintre. Pour lui, il
ne pouvait pas y avoir contradiction entre la Vision intuitive et son
application esthétique.
(28) Cf. Charles-André Gilis, Introduction à
l'Enseignement et au mystère de René Guénon, p.29.
(29) Gauffin, op.cit. II, pp.133 et 160-161.
Ceci a une résonance « shadhilite » antérieure dans la
parole de Sidi Belhassen avant sa mort : « Par Allah, j'ai apporté à cette voie
ce que personne ne lui avait apporté auparavant. »
(30) Cf. lettre d'Abdu-l-Hedi à un destinataire
inconnu, écrite en arabe, en septembre 1911.
(Gauffin, op.cit.II, p.189)
(31) Malgré les affirmations répétées d'Aguéli, de René
Guénon et de Michel Vâlsan, certains ont cru pouvoir nier l'existence d'une
Tariqa « Akbariya » en tant que telle. Peut-être n'est-ce qu'une querelle de
mots ? Un début d'explication pourrait peut-être se trouver dans ce qu'Aguéli
dit d'une certaine Tariqa « malâmatiya » dans une traduction du texte de 'Abu
Abder-Rahman al-Sulâmi (La Gnose, 1911) ; voir également l'extrait inédit d'une
lettre de René Guénon, citée par l'éditeur d'Arche Milano dans le recueil
posthume : Écrits sur La Gnose, 1988, p.XXIII.
Pour en revenir au Cheykh al-Akbar, la vision qu'eut de
lui Abdu-l-Hedi (ou plutôt à cette époque Ivan Aguéli) fut déterminante et
jette quelques lueurs sur le court passage énigmatique que ce dernier consacre
aux « Deux Chaînes Initiatiques », intercalé sans transition – et apparemment
sans raison – dans son article de La Gnose : « Sahaïf Ataridiya ». (32) Il
écrivait en effet : « Il y a toujours un maître, mais il peut être absent,
inconnu, même décédé il y a plusieurs siècles » (33). L'importance de ce texte
n'échappa pas à René Guénon qui y fit allusion dans son chapitre : « À propos
du rattachement initiatique » avec une note supplémentaire (34). Quoi qu'il en
soit, Abdu-l-Hedi bénéficia plus tard d'un rattachement régulier auprès d'un
Cheikh égyptien qui ratifia et consacra en quelque sorte l'illumination akbarienne
de son exceptionnel disciple (35).
On sait par ailleurs que le Cheykh Elish était très
élogieux pour les travaux de son disciple (36), et, par Chacornac, on apprend
que Abdu-l-Hedi devint moqqadem de son Cheykh, avec autorisation de transmettre
l'initiation, ce qui, à défaut de nous renseigner sur son statut spirituel,
montre la dignité de sa fonction, puisqu'il était en quelque sorte chargé
d'implanter le Soufisme en Europe et, qui plus est, sous sa modalité
akbarienne.
Dans l'initiation, trois éléments entrent en jeu : le
transmetteur, la Baraka et le bénéficiaire du rattachement ; or, ici, il ne
s'agit pas de n'importe quel rattachement puisque le bénéficiaire en est René
Guénon lui-même ; de plus, la Baraka est spécifiquement akbarienne, véhiculée
tout particulièrement par la Tariqa shadhilite (37) ; et, si le transmetteur en
est le Cheykh Abdu-l-Hedi, ceci devrait tempérer quelque peu le zèle hypocrite
des contempteurs d'Aguéli qui ont beau jeu de mettre en avant ses
excentricités, sa carrière de peintre ou ses activités politiques et ses
manœuvres d'agent secret.
Or, comme l'a indiqué René Guénon dans une mention
privée, il n'est pas indifférent d'être rattaché par tel ou tel (38). Si
Abdu-l-Hedi avait été indigne de cette fonction, il ne l'aurait pas reçue de
Cheykh Elish el-Kebir. D'autre part, le cas de René Guénon étant exceptionnel,
il est assez logique qu'il ait eu un transmetteur exceptionnel en la personne
de Cheykh Abdu-l-Hedi. Quand on sait la place éminente de Cheykh Abdel-Wahed
Yahya dans la hiérarchie ésotérique islamique par la suite, et sa qualité certaine
de Rose-Croix effectif, on mesure par là l'importance de l'apport soufi
transmis par Abdu-l-Hedi et immédiatement réalisé par son bénéficiaire. On sait
aussi par Abdu-l-Hedi que « [les Afrad] arrivent à l'initiation (et opère par
elle) d'une façon particulière (c'est-à-dire que chacun d'eux a une formule
spéciale d'Initiation) » (39). Pour clore ce court aperçu des relations entre
Ivan Aguéli et René Guénon, nous pouvons confirmer la date de rattachement de
ce dernier, donnée une fois par Michel Vâlsan, à savoir 1911, et non 1912 comme
croient pouvoir l'affirmer de nombreux auteurs à la suite de Chacornac (40).
(32) En arabe littéraire : « Sahâ'if 'utâridiya ».
(33) Allusion patente au cas des Uwaysy.
(34) Respectivement pp.55 et 271 de l'ouvrage posthume
: Initiation et Réalisation Spirituelle, Paris, 1971.
(35) Rappelons qu'en 1893, année de sa « vision », il
n'est pas encore officiellement musulman, qu'il n'ira en Egypte pour la
première fois qu'en septembre 1894 et qu'on ne sait rien sur son Islam avant
1897-98. Le maître inconnu, absent et décédé dont parle Aguéli ne peut être
autre que le Cheykh al-Akbar.
(36) Voir également la note manuscrite inédite de
Michel Vâlsan sur le Traité de l'Unicité, citée opportunément par Viveca Wessel
: « La traduction d'Abdu-l-Hedi est fine, intelligente et riche, mais bien
inégale. Sa langue est souvent ingénieuse, mais techniquement pas toujours
adéquate ; elle se ressent même un peu de l'atmosphère occultiste du milieu
auquel La Gnose s'adressait, mais Abdu-l-Hedi a rendu avec ce travail un
inestimable service à ceux qui se sont intéressé de plus près à la métaphysique
et à l'ésotérisme islamique; » (op.cit, p.184).
(37) Cf. Michel Chodkiewicz, Introduction aux Écrits
Spirituels de l'Émir Abdel-Qadir, p.36.
(38) Dans une lettre, il dissuadait certains
correspondants de se faire rattacher par Probst-Biraben.
(39) « Les Catégorie de l'Initiation », La Gnose,
décembre 1911. Cf. allusion dans Initiation et Réalisation Spirituelle, p.164.
(40) Aguéli a séjourné en France d'octobre 1910 à juin
1911, ensuite il sera absent de France jusqu'en mai 1912. C'est pendant la
première période, et forcément avant la fondation de la Société « Akbariya »
que se situe la date de rattachement de René Guénon ; en serrant de près les
rares données chronologiques que nous avons pu réunir sur Aguéli, il y a de
fortes présomptions pour que ce rattachement ait eu lieu au début de 1911, qui
correspond à l'année islamique 1329, mois de Muharram (1er mois de l'année) *
* Sans doute année de rattachement de René Guénon au
Taoïsme (février 1911).
A noter également l'âge d'homme accompli d'Aguéli,
quand il rattache René Guénon, soit 42 ans.
Pour en revenir au statut spirituel de Cheykh
Abdu-l-Hedi, certains se sont demandé s'il était « malâmati » en s'appuyant sur
les aspects extérieurs déroutants (pour dire le moins) de sa vie publique. Sans
vouloir cerner définitivement le cas d'Aguéli dont on commence seulement à
découvrir la complexité, nous dirons qu'il y a là une méprise, voir un
contresens : le véritablement Malamati n'est pas celui qui se livre à des actes
blâmables du point de vue de l'orthodoxie mais au contraire celui qui est
blâmé, critiqué, persécuté pour sa rectitude inébranlable dans l'exercice de sa
fonction, dont l'authenticité est ressentie comme un défi par le milieu
exotérique borné et décadent.
Quoi qu'il en soit, Cheykh Abdu-l-Hedi a fait preuve
d'un mépris admirable du danger et d'un courage indomptable à travers toutes
les vicissitudes et malgré tous les obstacles suscité par ses ennemis, parmi
lesquels il compte parfois Marie Huot (41). Obligé de quitter l'Egypte en 1909,
il écrit : « Je n'ai plus besoin de ma liberté. Je suis libre partout, dans
quelque situation que ce soit, sous quelque contrainte que ce soit... » (42)
Malheureusement, les dernières années de sa vie font
craindre la perte de cet état de sérénité : en relisant attentivement les
lettres et documents des années 1913 à 1917 jusqu'à sa fin tragique, on est
pris peu à peu d'un malaise grandissant. Tout se passe comme si, une fois sa
mission terminée en Egypte (et en Europe vraisemblablement, soit vers 1912), il
avait commis une erreur fatal en retournant peindre en Egypte, où il semble ne
plus bénéficier de l'extraordinaire immunité qui avait été la sienne pendant
les années 1902-1909. Les malheurs s'accumulent sur sa tête : il est
pratiquement mourant de faim, insolvable financièrement, abandonné de tous ; il
se fait expulser par les Anglais (il s'était jeté dans la gueule du loup !)
pour finir écrasé par un train à Barcelone (43).
(41) Cette charmante personne lui avouera un jour
qu'elle avait eu « l'intention d'empoisonner son ami avec la « mascarine des
champignons » qui ne laisse pas de traces, et qu'elle l'aurait fait sans
scrupules ni remords ; » (Gauffin, op.cit. II., p.13-14).
(42) Gauffin, op.cit. II, p.165 ; et lettre de
septembre 1911, p.188 et sq (écrite en arabe). En lisant ce passage de la
lettre d'Aguéli, reviennent en mémoire quelques lignes qu'il a traduites des «
Malâmatis » : « Leur vie extérieure est toute à découvert, tandis que les
subtilités de leur vie intérieure sont rigoureusement cachées ; » dans Le
traité de l'Unité, Éd. de l'Échelle (= Éd. Orientales), 1977, p.72.
(43) Peut-on aller jusqu'à parler de perte de la Baraka
? En tout cas, le contraste est saisissant entre ces années où tout semble lui
réussir, au Caire, à Paris, et celles, où, sa mission « islamique » accomplie,
il ne se consacre plus qu'à la peinture. (Peut-être pourrait-on parler dans ce
cas de « Takhfif al-dhunûb ») (a)
(a) allégement sacrificiel des fautes commises.
On voit que le cas Aguéli est complexe, et une question
sujette à controverse est celle des Maîtres qu’il a eus. Si l'on met à part le
Maître Invisible, c'est-à-dire le Cheykh al-Akbar lui-même, on sait de façon
certaine qu'il a eu au moins deux ou trois Maîtres : Cheykh Hosafi (44) et
surtout Cheykh Elish el-Kebir fils. Quant à Cheykh Senûsi, ses relations avec
lui étaient surtout d'ordre politique et « exotérique ». On ne sait pas
exactement quand ni comment il est entré en rapport avec eux. Abdul-Hedi étant
muet sur ce sujet, mais c'est vraisemblablement peu de temps après son arrivé
en Egypte (1902), au plus tard au moment de la création de la revue Al-Nadi (=
Il-Convito), soit 1904.
Le point sujet à controverse est que 'Abdu-l-Hedi a eu
plusieurs Maîtres et qu'il a affirmé cette possibilité généralement
déconseillée aux Européens. Dans la revue L'Initiation de 1902, il écrit en
effet : « [Le Cheykh] est plutôt un père spirituel, que l'on choisit et que
l'on peut quitter quand on veut. Le fait d'avoir quitté l'un, même pour [en]
suivre un autre, ne doit pas être considéré comme une insulte faite au premier.
Loin de là. » (45) Cet article parut en août 1902, avant qu'Aguéli retourne en
Egypte. Avait-il déjà bénéficié de la guidance d'un Maître lors de son premier
séjour (septembre 1894-septembre 1895), alors qu'il n'était pas encore
officiellement musulman, ou bien en a-t-il eu à Paris ? Ce point de sa
biographie personnelle n'est pas important en soi, mais il risque de faire
croire à l'aspirant actuel à l'Islam que l'on peut changer de Maître sans autre
formalité et faire oublier que le cas d'Aguéli est exceptionnel, et donc pas du
tout exemplaire.
En tout cas, on constate qu'Aguéli a eu des Maîtres de
qualité et que son éducation islamique n'a rien eu de fantaisiste, reçue dans
le pays, dans la langue originale et pendant près de 7 ans, ce qui représente
des conditions optimales dont pratiquement aucun Européen n'a bénéficié. Il n'est
pas à la portée de tout le monde, même de nos jours, de s'assimiler une langue
et une religion orientales, a fortiori d'écrire des études sur la Doctrine
soufie directement en arabe, en français et en italien comme l'a fait Aguéli.
Il l'a fait avec maestria – avec la grâce de Dieu – et c'est un cas rarissime
au XXème siècle : seul René Guénon et Michel Vâlsan ont accompli ce prodige.
Aussi, quand on voit la suspicion gratuite jetée par
l'arabisant suédois Nyberg – qui n'a jamais eu aucune compétence doctrinale
(46) – sur l'orthodoxie de Abdu-l-Hedi en le soupçonnant d'être devenu « behaï
» (sic!) sur la fin de sa vie, on ne peut s'empêcher de penser à la formule
célèbre : « Calomniez, calomniez ! Il en restera toujours quelque chose ! » En
effet, à la suite de Nyberg, ceux qui ignorent tout d'Aguéli, ne l'ayant jamais
lu dans le texte original, s'empressent de colporter cette imputation
calomnieuse, qui d'ailleurs ne s'appuie sur rien puisque Nyberg ajoute (ce
qu'on oublie à dessein de mentionner) : « Ce n'est qu'une supposition aléatoire
de ma part. » Alors pourquoi chercher à ternir la mémoire d'Aguéli ? Il eût
mieux valu s'abstenir.
(44) Abdu-l-Hedi le cite une première fois (Gauffin,
op.cit. II, p.190), et une deuxième et dernière fois (ibid., p. 271) dans une
lettre du 14 août 1916 : « Je possède quelques petits travaux en Islam
exotérique et ésotérique de mon vénéré Cheykh Sidi Hosafi, du Caire ; »
(45) Cette latitude fait penser à un privilège
akbarien.
(46) Voir son Addendum au tome II, p.299-304 ; (A.
Fauffin, op.cité).
En conclusion, et au risque de nous répéter, nous
dirons que le mérite de Cheykh Abdu-l-Hedi a été d'accomplir sa tâche et de
remplir sa fonction sans s'arrêter aux obstacles, souffrances et persécutions
dont il a largement eu sa part. On peut dire de lui ce que René Guénon a écrit
en parlant, pour une fois, de lui même, à savoir que « [son] seul mérite a été
d'essayer d'exprimer de [son] mieux quelques idées traditionnelles » (47) L'«
individu » Aguéli s'est effacé complètement – pendant des années – devant sa
mission. Ce n'est qu'après qu'est réapparue une autre facette de sa riche
personnalité : la peinture, dont nous parlerons plus tard, et qui peut poser
problème au regard de l'orthodoxie islamique.
« Wa inna 'Llâh
a'lam »
(47) Cf. «
Notes sur l'islam » dans L'Initiation, août 1902 : « Je n'ai rien de nouveau à
annoncer. »
Jean FOUCAUD
(extrait d'un ouvrage à paraître sur Aguéli)
(à suivre)
NOTES
COMPLÉMENTAIRES
Sur
le 1er chapitre consacré à John Gustave Agelii
(cf.
VLT N°72)
Jean
Foucaud
Vers
la Tradition, n°73
(Septembre
- Novembre 1998)
Il est évident que nous n'avons pu ni voulu tout dire
sur Agélii dans note premier article. Notre présentation est forcément un
condensé de nos recherches : nous n'avons essayé de donner en 10 petites pages
le maximum d'indications sûres et d'hypothèses fondées, ce domaine tant – à
notre connaissance – encore à peu près inexploré, voire inconnu (même en
Suède!)
Les lecteurs auront d'autre part remarqué que nous
associons à la personne d'Agélii celles de René Guénon et de Michel Vâlsan.
S’il s'y trouve des allusions apparemment de circonstance, nous n'y pouvons
rien (et d'ailleurs tant mieux) ; ce premier chapitre inédit a été écrit en
fait il y a près de 9 ans. Nous nous proposons d'ailleurs bientôt, si les
circonstances nous y contraignent, de montrer pourquoi on ne peut parler de
l'un sans parler des deux autres, car ils sont liés par un lien invisible que
nous appellerons la Ruhâniya Akbariya, ce qui est un cas de « survivance »
providentiel pour les Occidentaux en ce Xxème siècle finissant.
Les mêmes lecteurs auront relevé une première énigme, à
savoir « une Voie comme personne n'en a tracé avant moi », formule mot pour mot
identique à celle de Sidi Abul Hassan El Shâdhili 650 ans plus tôt. Pour ce
dernier on comprend que cette Voie portera l'empreinte du Maître, c'est-à-dire
sera Shâdhilite. Mais ceci est trop peu dire et il faudrait un livre pour
développer la spécificité intellectuelle, l'excellence et la rigueur de cette
méthode spirituelle. (1) Alors que veut dire Agélii quand il écrit : « Je peux
annoncer une voie comme personne n'en a tracé avant moi » ? Quelle est la part
de sa personne qui s'ajouterait à la fonction que lui a dévolue le Cheikh Elish
el-Kebir (notamment en Égypte et ultérieurement en Europe) ? Plus tard (en
janvier 1910) il reviendra là dessus dans une formulation encore plus
énigmatique, écrivant : « Je dois réussir par devoir cosmique » [?!] (2)
Compléments
aux notes
n.24 Pour les lecteurs non arabisants, nous traduirons
volontiers cette formule [Khâdim el-Qawm Sayyiduhum] par : « le Serviteur des
Initiés est [parfois] leur Maître ». Quant au « Sirr » [secret intime]
d'Agélii, Seul Allah le sait.
NB. : Rappelons que « Khâdim al-Awliyâ » signifie : «
Serviteur des Saints ».
n.27 Si l'on nous faisait l'objection (courante, mais
dépassée) que l'arabe est une langue sémitique et que les langues occidentales
sont indo-européennes, – donc apparemment sans rapport – nous répondrons
simplement qu'il y a une parenté originaire fort ancienne entre ces langues
(latin, grec, allemand, sanscrit) et lesdites langues sémitiques (akkadien,
syriaque, éthiopien, arabe, hébreu), sans oublier les langues
chamito-sémitiques (pulaar, égyptien, libyco-berbère, etc), dont nous avons
retrouvé bien des racines communes qui relèvent d'une Tradition unique et d'une
langue unique, remontant au début du présent manvantara, et que l'on appelle «
racines universelles ». (vestiges de la langue « solaire », dite « syriaque »
[sûriyâniya]).
n.31 Sans rien retirer de notre assertion, nous voulons
dire par « affirmations répétées » : affirmation successives, car il est
évident que René Guénon n'a pas passé son temps à répéter qu'il y avait une
Tariqa akbariya aux Indes. Nous espérons être un jour plus à l'aise pour
apporter au moins un élément de preuve au sujet de l'existence de cette Tariqa
à « dominante » akbarienne.
Références
épistolaires
1° (pp. 45, 46, 47 de notre article).
Voici la traduction inédite d'un extrait de cette
lettre de 1907 (3) : « Il y a environ 14 ans, j'ai vu en songe l'image d'un
homme inconnu... Et voilà qu'en lisant maintenant la biographie d'Ibn 'Arabi
écrite par l'un de nos collaborateurs arabes, je le reconnais : c'était bien
lui. Je n'ai jamais parlé de mon rêve, pour la simple raison que c'était une
énigme dont la clé me faisait défaut. Jusqu'à un détail dans l'œil, la couleur
des vêtements qu'il portait habituellement, la nuance exacte de ses cheveux et
de son teint, tout y était... » (4)
2° (p.47 de notre article).
A propos de la fondation de l'Akbariya à Paris, voici
la traduction de la lettre de septembre 1911 écrite en Suède en arabe, traduite
par Nyberg en suédois et que nous retranscrivons en français :
« Pour ce qui concerne la France, je veux dire Paris,
beaucoup de nos amis ont embrassé l'Islam, tel 'Abdel Wahidet Abdel Halim. (5)
– La grande majorité appartient aux milieux cultivés, littéraires et libéraux,
mais aucun aux milieux politiques – J'ai eu assez à faire à de telles gens sans
parler de l'expérience que j'ai faite avec le Docteur Insabato. Ils sont entrés
en Islam par amour pour le plus grand Cheikh, Muhyi-d-Din Ibn 'Arabi – qu'Allah
soit satisfait de lui – et par inclination pour l'ordre des Malâmatis. Pour eux
la clé de l'Islam est la doctrine de l'Unité [Enhetslära] conformément au
système « philosophique » de l'Ishrâq [illumination du cœur], autrement dit :
l'Unité dans la multiplicité et la multiplicité dans l'Unité (…)
Enfin nous avons avec l'aide du TRÈS HAUT fondé la
société AL AKBARIYA à Paris dans la nuit du vendredi 26. Nous n'avons point
fait de publicité. On ne peut entrer dans ladite Société que par cooptation et
nous n'accordons notre investiture qu'après un sévère contrôle. »
Jean FOUCAUD
NOTES
1. cf. ce qu'à
écrit Sheikh Abdu-l-Hedi :
« Ogni qualvolta retroverete in Oriente un uomo
superiore per carattere e sapere potete esser quasi sicuri di trovarvi alla
presenza di un Sciàdilita. » c'est-à-dire :
« Chaque fois que vous rencontrez en Orient un homme
supérieur par le caractère et le savoir vous pouvez être presque sûr de vous
trouver en présence d'un Shâdhilite. » (Il Convito 1907, Anno IV, série 1, p.
108).
2. Axel
Gauffin, op.cit. t.II, p. 161.
3. Comme pour
toutes les citations extraites d'Axel Gauffin dans notre article de VLT n°72,
c'est nous qui traduisons.
4. Gauffin,
op.cit. t.II, p. 143.
5. Ce dernier reste non identifié à ce jour. Quant à 'Abdel Wahid, tout le monde aura reconnu René Guénon.
ANNEXE 1 / REHABILITATION D’AGUELI
Mise au point :
Malgré mes études parues à VLT, en 1998-99, concernant la date probable d’initiation de René Guénon (par l’intermédiaire d’Aguéli), ceux qui paradent dans le microcosme de l’ésotérisme parisien, continuent à parler de 1912 (ce qui est faux!) non sans mauvaise intention, car cela leur permet de faire gratuitement le rapprochement entre son mariage en juillet 1912 et sa date d’initiation; ainsi on essaie d’amalgamer :
- son mariage catholique
- son initiation soufie
- l’appartenance maçonnique ( le tout étant incompatible selon le milieu catholique de l’époque),
en soulignant évidemment la supposée duplicité de René Guénon et sa dissimulation vis-à-vis de son épouse et de sa belle-famille.Or, tous ses rattachements étaient bien antérieurs à son mariage, comme on le verra dans notre Annexe 2.
On retrouve bien sûr au premier rang de cette malveillance un certain Jean-Pierre Laurant, suivi de tous ses thuriféraires parmi lesquels on compte -hélàs- un certain Abdelwadoud Gouraud dans sa dernière traduction malgré notre mise en garde après sa conférence à la Grande Mosquée de Paris il y a quelques années.
*******
Rappelons donc que la première mention d’une appartenance au taçawwuf est faite par Aguéli en septembre 1911, que Cheykh Mustafa parle aussi de 1911 et que René Guénon lui-même écrit une lettre à un correspondant en Nouvelle-Zélande, en 1911 également, en signant Abdelwahid (cf. numéro spécial de Science Sacrée 2003). Enfin, n’oublions pas la curieuse dédicace de René Guénon au Cheykh Elish el-Kabîr (dans le « Symbolisme de la Croix ») : 1329-1349; or l’année héjirienne 1329 correspond exactement à l’année solaire 1911, elle y est même intégralement incluse. Cette date a donc une importance particulière pour René Guénon: que s’est-il donc passé d’exceptionnel à cette période (et non en 1910) ? 1
Mais entre-temps, on a découvert une lettre de René Guénon à son médecin Tony Grangier parlant de rattachement en 1910 (lettre du 28 Juin 1938) : « …mon rattachement aux organisations initiatiques islamiques remonte à 1910 [souligné par Guénon] » (réf. Les Cahiers Verts, n°4/ 2009)
D’où notre mise au point actuelle. Nous n’avons jamais dit que René Guénon n’était pas déjà rattaché avant ( il parle d’organisations initiatiques au pluriel); dans une lettre de 1948 il parle même de rattachement « ..depuis bien près de 40 ans… », soit 1909 ou 1910.
Pour notre part nous avons seulement essayé de montrer que l’effet de ce rattachement avait culminé avec la baraka chadhiliya venant du Cheykh Elish El Kébir - considéré comme le pôle de son époque - et par l’intermédiaire du Cheykh Abdulhédi al Maghribi ’Uqayli (idée que nous avait suggérée M. Patrice Brecq dès 1990, notant l’excellence du premier article de Guénon dans la revue La Gnose de 1911- « La Prière et l‘Invocation » - , ce qui nous porte à croire que c’était juste après son rattachement.)
Après, Monsieur Gilis peut parler de rattachement en 1910 (en effet Guénon ne cite pas Aguéli dans sa lettre de 1938), ce n’est pas impossible mais qu’en sait-il, à part ce que nous en avons écrit nous-même?!
Rappelons qu’Aguéli est revenu en France dès Avril 1910, mais il n’a pu rencontrer Guénon ( sans doute avec P. Genty, chez Dujols) au plus tôt que pendant l’été 1910 voire fin 1910. Avant, il aurait pu étre rattaché par Champrenaud, mais celui-ci ne nous semble pas être mutaçawwif avant le retour d’Aguéli en France après une absence de huit ans (1902 ~ 1910), et d’ailleurs à cette époque, il ignore tout de l’islam, de la langue arabe et du monde arabe (ce qui ne préjuge en rien de ses qualités de métaphysicien, appréciées par René Guénon - cf. sa notice nécrologique de 1925 dans le Voile d’Isis)
Faut-il préciser que nous ne réduisons pas la richesse spirituelle de René Guénon à la somme de ses rattachements. Car il a bénéficié d’autres grâces divines (qu’a bien vues M. Gilis dans son curieux ouvrage « L’Héritage Doctrinal de Michel Valsân ») et auxquelles il fait une discrète allusion [ishàra] dans la suite de sa lettre de 1938 au Dr Grangier : « … cela n’empêche absolument rien d’un autre côté… ».
Et puis il y aurait de curieuses considérations à faire sur l’Islam « caché » (par exemple entre autres, celui des « rijàl al-ghayb » - cf. la 2è sourate : »al-muttaqîn/ al-ladhîna yu‘minûna bi-ghayb« ) qui, heureusement, et contrairement aux turuq, échappe totalement à l’emprise du monde moderne et à ses persécutions. Mais ceci ne relève pas du domaine public (cf. René Guénon : « mes sources ne comportent point de
références »).
PS : Pour nous, en 1911,il n’y a pas eu un simple rattachement mais une véritable « passation de pouvoir » d’Elish le-Kébir par l’intermédiaire d’Aguéli.(c’ à d. que Guénon est investi d’un Fonction particulière pour la France ,comme on verra plus loin)
A ce propos, le spécialiste (et victime!) de la contre-initiation qu’est devenu Jean Robin, a eu une curieuse inspiration sur ce secret que constituent les relations (à distance, car ils ne se sont jamais rencontrés) entre Elish el-Kébir et René Guénon (cf. « Le Royaume du Graal », Trédaniel, 1993; p. 601 : « [dans ses tentatives de manipulation de Guénon] rien n’empêchait en effet la contre-initiation(qui ne peut connaître des êtres que ce qui, en eux, appartient au monde intermédiaire) de ne voir en Guénon qu’une individualité d’une puissance animique exceptionnelle, qu’il convenait de recruter au plus vite ! Guénon de son côté, du fait de sa génération spirituelle très particulière, n’était pas alors « armé » pour reconnaître l’Adversaire. Mais cet intérêt manifesté par la contre-initiation attira aussi … celui du Pôle, qui autrement n’eût pas connu Guénon, et qui bien sûr l’aida en cette périlleuse occurrence.
(C’est Abdul-Hedi qui, par la suite, constituerait le lien « physique » entre Guénon et le Pôle.)
Ainsi était en somme préfiguré ,par le destin de Guénon, le moment où les initiés relevant du Pôle et ceux relevant d’el Khidr , oeuvreraient désormais en commun…(…) Dès lors , il n’allait plus être question pour les puissances d’en bas de s’assurer le concours de Guénon, mais bien de le supprimer purement et simplement .(Jean Robin, »Le Royaume du Graal »
********************
Contrairement à René Guénon, Frithjof Schuon non seulement ignore la Tradition Primordiale (qu’il traitait d’ »acte de foi ») - ce qui lui interdisait de comprendre l’action invisible de S. le-Khidhr - mais surtout, ce qui nous semble beaucoup plus grave, il ignore le Centre du Monde (comme en témoigne son article « Avoir deux Centres »,remarquable ,mais uniquement restreint au domaine individuel psychologique), donc il ignore ipso facto, le Roi du Monde et subséquemment, la fonction correspondante appelée « tasarruf » (dont nous avons dit plus haut qu’elle a pris la relève du « pouvoir des Clefs » perdu par la chétienté).(*).
Cette fonction est le privilège du Qutb de l’époque, en l’occurrence le Cheykh égyptien Elish le-Kébir al-Maghribi sous l’égide duquel oeuvrait le Cheikh ‘Abdul-Hédi al-Maghribi, à titre d’ auxiliaire, si l’on peut s’exprimer ainsi; fonction reprise par Cheikh ‘Abdel-Wahed Yahya dont l’œuvre n’est pas théorique (elle est doctrinale, ce qui n’est pas pareil) mais s’accompagne d’une action plus ou moins apparente qu’il exprimera une seule fois , montrant qu’il n’était ni un « auteur » ni un « écrivain »,mais « chargé de Mission » (………………) [cf. lettre à louis Cattiaux,10/10/1950 : »…Mon travail , qui, n‘a assurément rien de commun avec un travail « d’homme de lettres » …] quand il dit : « Nous continuerons… jusqu’à ce que nous ayons écrasé le nid de vipères » -souligné par Guénon - parlant du repaire satanique qu’était devenue, entre autres ,la sinistre revue RISS (cf. le V.d’I., 1932; repris dans « le Théosophisme »,p.464 - éd. De 1969).
Quant à la fonction d’Aguéli, nous nous appuyons sur son programme d’action (annoncé en annexe de notre article de sept. 1998, mais non publié vu sa longueur : 10 pages) qui figurera bientôt sur le site Esprit-Universel.Guénon s’en inspirera quand il traitera de la « manipulation des courants mentaux » dans « Orient et Occident » (cf. VLT n° 77).
Guénon quitte la France au bout de 19 ans (19 = nombre solaire par excellence; et symbole de protection 2- comme nous l‘a rappelé un ami - car c‘est le nombre d‘anges gardiens appelés « zabâniyya« - cf. sourate n°96) et s’installe au Caire, centre « géographique » du monde(?) , selon l’abbé Moreux (auteur du « Secret des Pyramides« )..
Il y a entre lui et Michel Vâlsan des échanges d’ordre « ruhani » et pas seulement épistolaires ,contestés évidemment par les historicistes actuels qui sévissent à l’EHESS, ce qui leur permet de camoufler provisoirement leur ignorance et incompétence métaphysique! Or ils ne s’étaient jamais rencontrés,( à la différence de F.Schuon qui a vu Guénon une quinzaine de fois au Caire - mais pour quel bénéfice ? …)
(*)S’il avait eu accès au Centre du Monde,F.S. n’aurait certainement pas manqué de déployer ses connaissances…Il joue au Maître universel (universalisme que critique M.Vâlsan dans son article des E.T. de 1951), ce qui explique mais ne justifie pas que, non seulement il n’est jamais allé à Tunis (alors qu’il est tout de même shadhili), mais encore moins à la Mecque (ce qui est un comble pour un chaykh murshid qui doit donner l’exemple), alors qu’il est allé 10 fois au Maroc,2 fois à Venise ,une fois (avant son exil de 1980) aux USA…etc. Ceci explique peut-être cette formule énigmatique de Cheykh Mustafa : « Cheikh Aissa est plus élevé que moi, mais je suis plus central ». Et pôur nous, il ne fait pas de doute que CH. Mustafa avait un lien particulier avec le Centre du Monde, reprenant le flambeau de René Guénon, mais dans le cadre d’une mission toute différente dont il trace les grandes lignes à la fin de son article de 1951...
1Quant à la deuxième date (1349/1930),la solution de l’énigme se trouve probablement dans l’article intitulé « al-Tawhîd » que Guénon,à peine arrivé au Caire, rédige entre mars et juin 1930 et qui est très précisément daté des 23 shawwal 1348 ( et localisé au Gebel Mousa) et 10 muharram 1349 H./ soit le jour de ’’Ashûrâ /(et publié en juillet 1930 dans le « Voile d’Isis »), ce qui fait exactement 20 années lunaires, mais aussi 19 années solaires et quelques mois, chiffre qui présente un certain intérêt symbolique ,car une période s’achève où Guénon était en quelque sorte en charge de la France (et pendant 19 ans, comme une certaine héroïne française,dont la devise était le plus pur tawhîd en contexte chrétien: »Dieu ,premier servi« ), ce qui relève du tasarruf, lequel a pris la relève après la disqualification de l’Eglise de Rome et de France à 2 reprises (l’affaire des Templiers et la condamnation de Jeanne d’Arc) , privée de son « Pouvoir des Clefs ».(a)
Pour en revenir à l’article,on remarquera des réflexions très proches entre Guénon et Aguéli : « …les pays où le soleil, par son rayonnement intense, absorbe pour ainsi dire toute chose en lui-même, les faisant disparaître devant lui comme la multiplicité disparaît devant l’Unité… », à comparer avec « L’Orient,où la merveilleuse et éblouissante lumière consume tous les détails et métamorphose les proportions et la perspective, est la terre de cette synthèse caractéristique de la vitalité humaine intérieure qui s’appelle Religion… »(Gauffin,t.II, p.127 -trad. inédite).Et enfin, terminons sur ces paroles nées certainement d’un « Hâl » très puissant et d‘une vision bénie (Qaddasa Llah sirra-hu!): « … le désert,où le soleil trace les Noms divins en lettres de feu dans le ciel »(Le V.d’I. -juil.1930).
PS : Inutile de souligner le rapport entre le Sinaï, seyydna Mûsâ, le Buisson ardent et le Tawhid.et l’article de Cheikh ‘Abdel-Wahed inspiré par ce lieu.
(a) la 3è trahison sera Vatican 2, préparé par un pape prenant le nom d’un anti-pape (ce qui est rarissime) et régnant comme lui 5 ans (1958-1963) ! («Avant que le coq n’ait chanté, tu m’auras renié trois fois »)
2Il signera même cette fonction secrète (dans ses articles sur la maçonnerie envoyés à la revue anglaise « The Speculative Mason ») du trigramme AWY (mais à partir de 1935 seulement). L’interprétation de cette signature comme initiales de Abdel Wahid Yahya a occasionné toute une polémique entre M.Gilis et ses contradicteurs qui ont remarqué que le « A » ne pouvait correspondre au ‘ (la lettre arabe : ‘aïn), ce qui n’est d’ailleurs pas si sûr qu’ils ne le croient !…Passons !
En fait l’explication se trouve ailleurs et n’était pas bien difficile à trouver : AWY est tout simplement le seul mot arabe formé des 3 lettres semi-consonnes ( c’ à d : tantôt voyelles , tantôt support de voyelles) alif-waw-ya, que l’on trouve notamment dans la Sourate XCIII,6 avec le sens de refuge, asile (d’où l’idée de protection), laquelle sourate s’applique, selon nous, presque entièrement à la personne et à la fonction de Cheikh ’Abdel Wahid Yahya … Wa ‘Llahu a’lam !
ANNEXE
2 :
LES
RATTACHEMENTS DE RENE GUENON
Ils sont de plusieurs sortes :
- il y a les rattachements à des organisations
pseudo-initiatiques comme l’Ordre Martiniste (1907) ou l’Eglise Gnostique
(1909) sur lesquelles Guénon ne se fait pas d’illusions mais qu’il voulait
vérifier,
- il y a le rattachement à des organisations
authentiques comme la Franc-Maçonnerie en 1907 (car on ne peut y entrer avant
sa majorité) suivi de l’entrée dans la Maçonnerie opérative à une date
impossible à déterminer. On peut supposer que cette appartenance a fait de
Guénon le dernier Maçon opératif de France, hélàs ! S’ajoute éventuellement son
initiation au Compagnonnage en tant que Compagnon Imprimeur (le seul indice
qu’on possède est que Guénon a signé une fois un compte-rendu sous le nom de «
Le Liseur »)
On peut situer vers 1910 son rattachement à la HB of L
(Hermetic Brotherhood of Luxor) peut-être par l’intermédiaire de F.-Ch. Barlet
(On remarquera que les trois premières lettres de ce double prénom
correspondent à « Frère de la Communauté Hermétique »).
A la même époque il y a les divers rattachements aux
organisations initiatiques islamiques (voir « Annexe 1 ») et, éventuellement,
en 1911 aussi le rattachement à un maître taoïste.
Malgré les connaissances initiatiques de Guénon dans la
Kabbale, l’Hindouisme et l’Esotérisme chrétien, on ne peut pas en inférer un
rattachement respectif.
- il y a son investiture mystérieuse au sein de l’OTR
(Ordre du Temple Rénové) dès 1908 et l’instruction particulière reçue auprès de
Sayyidunà Al Khidhr (wallàhu a’lam).
PROBLEMES POSES PAR LA MULTIPLICITE ET L’HETEROGENEITE
DES RATTACHEMENTS
On a vu que Guénon a reçu plusieurs rattachements
différents à la fois, ou qu’il les cumulait en très peu d’années. Apparemment,
il ne mélangeait pas les formes traditionnelles mais ne pratiquait pas non plus
l’exotérisme correspondant à ces rattachements. Sans doute était-il déjà R+C
et, en tant que tel, au-dessus des formes particulières. Ou bien, comme Jean
Reyor le fera remarquer plus tard, cumulait-il des rattachements sans y voir
d’interdit ni d’incompatibilité et qu’il vaut mieux « avoir plusieurs cordes à
son arc’ », quitte plus tard comme Reyor à revenir en arrière ou à privilégier
une forme traditionnelle à sa convenance (cf. lettre de René Guénon à Galvao du
12/11/1950 : « … pour le rattachement à plusieurs organisations, …, deux
sûretés valent mieux qu’une. »)
Maintenant, vu le statut exceptionnel de Guénon, ne
bénéficiait-il pas d’une dispense extraordinaire ? En effet, seuls les êtres
délivrés de leur vivant sont dispensés (temporairement) de l’astreinte légale
(rites et prières) ; voir là-dessus la note - bien oubliée- de Michel Valsân
dans Etudes Traditionnelles 1953 n° 307, p.131, note 3 dans sa traduction du
chapitre 45 des Futûhât.
On peut penser aussi que les Afrâd, de par leur statut
de naissance (cf. Michel Valsân : « Les matrices de la providence avaient formé
son entité de façon précise. » ET 1951) parviennent directement à Dieu sans
passer par les organismes officiels (Eglise, Zaouias, etc…). C’est un statut
d’exception qui explique que Guénon ne pratique pas immédiatement une religion
particulière. (« Ma Vérité est d’origine divine, obtenue par révélation,
impersonnelle, détachée et sans passion »).
Wallàhu a’lam…
Jean Foucaud, mars 2013.
Nous avons rajouté les : Notes complémentaires sur le
1er chapitre consacré à John Gustave Agelii (cf. VLT N°72), Vers la Tradition,
n°73, Septembre - Novembre 1998, ainsi que des annexes 1 et 2 inédit.
Et tenu compte des : Errata & corrigenda (VLT
N°72), Vers la Tradition, n°73, Septembre - Novembre 1998.
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