samedi 22 février 2014

« Nous croyons tous au même Dieu » - Farid-hadhrat Salman



La mosquée Qolşärif (également appelée Qol Sharif, Kol Sharif, Qol Sherif, en tatar : Колшәриф мәчете et Kul Sharif, en russe : мечеть Кул-Шариф)  est un édifice religieux de la ville de Kazan en Russie.  Source Wiki

Interview par Daria Gonsales, La Russie d’Aujourd’hui


Farid-hadhrat Salman, chef du Conseil des oulémas (théologiens musulmans) du Muftiat russe, évoque les moyens pour lutter contre la propagande du wahhabisme ainsi que les litiges entre les communautés des islamistes russes et le Tatarstan, une république musulmane située au cœur d’un État orthodoxe.

Peut-on dire que la confrontation entre les musulmans et les chrétiens orthodoxes s’intensifie ces derniers temps en Russie ?

Jugez vous-même : la télévision russe a récemment annoncé que 20% des habitants d’ethnie russe du territoire de Stavropol (sud) ont quitté cette région. En outre, des non-musulmans quittent la république du Daghestan (Caucase du Nord). Je ne voudrais pas que la même situation se reproduise au Tatarstan. Si cela arrive, notre pays s’effondrera.

Au Tatarstan, tout est calme, et le secret est dans la mentalité nationale du peuple tatar, qui est connu pour sa tolérance. Nous avons toujours été de paisibles voisins pour les chrétiens orthodoxes comme pour les juifs. Mais ces derniers temps les jeunes perdent cette tolérance. Pour le voir, il suffit de jeter un regard sur les sites web consacrés à l’islam. Pour un site « traditionnel » sur l’islam, vous trouverez plus d’une vingtaine de sites des wahhabites et des salafistes.

Comment les islamistes radicaux ont-ils pénétré le Tatarstan ?

C’est un problème de l’ensemble de la Russie : des adeptes de l’islam radical affluent vers notre pays. Il s’agit principalement des travailleurs migrants, qui arrivent chez nous des ex-républiques soviétiques : Tadjikistan, Ouzbékistan, Kirghizstan ou Kazakhstan. Leur migration vers la Russie n’est pas contrôlée car il n’y a pas longtemps nous étions tous membres de l’URSS et les frontières ne nous séparaient pas. Lors des manifestations des islamistes radicaux au Tatarstan, je voyais beaucoup de gens qui brandissaient les drapeaux noirs des islamistes, et ce n’étaient pas des Tatars ou des Russes, mais des Tadjiks et des Ouzbeks.

Cependant, une interdiction d’entrée pour les ressortissants d’Asie centrale ne permettrait pas de résoudre la crise.

Par exemple, le Tadjikistan pourrait bientôt devenir un centre de l’islamisme radical. Le pays a déjà commencé à « flirter » avec le Qatar, un fournisseur très puissant du radicalisme vers de nombreuses régions du monde. Le Qatar a notamment investi plusieurs millions d'euros dans le développement des infrastructures des banlieues parisiennes. Les immigrés venus des pays musulmans subissent à Paris la propagande des prêcheurs qataris. Cela pourrait représenter une menace pour nous, car le Qatar débloque des fonds importants pour financer des écoles et exporter de la littérature salafiste vers l’Europe, en particulier vers l’Espagne, l’Italie et la France. La Russie ne peut pas résoudre toute seule ce genre de problèmes.

Quelles contradictions surgissent au sein des communautés musulmanes et pourquoi ?

Il existe une question théologique très délicate, qui surgit tôt ou tard chez toutes les confessions dans notre pays : doit-on utiliser durant les cérémonies la langue russe ou la langue arabe ? Selon le dogme, nous devons utiliser dans nos sermons la langue maternelle du pays où l’on prêche.

Les Tatars étaient le premier peuple musulman sur le territoire de notre pays. C’est pourquoi, il y a une tradition ancienne selon laquelle les musulmans de toute la Russie – de Kaliningrad à Sakhaline – utilisaient la langue tatare. Tout d’abord, c’est le tatar, puis c’est la langue officielle du pays. Rien de nouveau : dans la Mosquée Baitul Futuh, par exemple, les imams donnent les sermons en arabe, puis en anglais.

Actuellement, à la suite de la migration interne et externe, la composition ethnique et confessionnelle des musulmans russes a considérablement changé.

Je travaillais comme mufti sur la péninsule de Yamal (nord), la moitié des musulmans locaux sont des Tatars, et les autres sont des Caucasiens. Les Caucasiens ne comprennent pas des sermons en tatar. Alors actuellement, quelques années après mon départ, presque toutes les villes de la péninsule, sauf deux ou trois peut-être, ont arrêté d’utiliser le tatar dans les cérémonies. Dans plusieurs régions russes, le sermon ne se fait plus en tatar et c’est une violation des dogmes.

En même temps, il y a maintenant beaucoup de muftis et d’imams qui estiment qu’il faut faire les sermons uniquement en russe. Cela peut provoquer des contradictions au sein des communautés musulmanes, un problème non pas ethnique, mais mental, théologique.

Les muftis qui décident eux-mêmes de la langue à utiliser pour les sermons, qui les contrôle ?

Dans l’islam traditionnel, il existe un modèle très concret : il y a un mollah, imam ordinaire, qui se subordonne à un ecclésiastique de rang supérieur, qui est à son tour subordonné au mufti principal.

Les islamistes radicaux croient que l’imam peut être choisi par la foule. Et le choix de la foule se base rarement sur la raison et la logique.

Quelles sont vos prévisions sur les relations entre les confessions ?

L’année dernière, j’ai pris part à une conférence internationale consacrée à la persécution des chrétiens au Moyen-Orient et au Proche-Orient. Personnellement, je n’approuve pas les musulmans qui se convertissent au christianisme, mais c’est leur affaire privée. Un Pakistanais chrétien m’a raconté durant la conférence que les islamistes radicaux éliminent les chrétiens au Pakistan. C’est absolument inacceptable !

Le Prophète, que la prière et la paix d'Allah soient sur lui, a prédit qu’avant la fin du monde, la maladie entrerait dans chaque famille arabe (à l’époque, l’islam n’était répandu que parmi les Arabes). Mais il ne parlait pas d’un virus ou d’une infection, il s’agissait d’une maladie idéologique. Les gens se détourneront de la vérité et adopteront des positions radicales. Ce sera une impasse. Pour l’éviter, il faut comprendre : nous tous croyons en Dieu de différentes manières, mais nous croyons tous au même Dieu. 

Farid-hadhrat Salman, chef du Conseil des oulémas (théologiens musulmans) du Muftiat russe


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