lundi 12 mars 2012

La Shadhiliya en Tunisie

 

 

La Chadlia en Tunisie



Pr. MESTAOUI Mohamed Salaheddine


Le nom de Abou El Hassen Echadheli n’a pas attendu une Hadhra, montée en spectacle pour faire partie du vécu tunisien.
Depuis maintenant près de huit siècles, des plus hautes autorités religieuses exotériques au plus humble des croyants, la Tunisie a toujours frémi aux accents du Hizb el Bahr et au Wird Chadhili qui n’a pas cessé de bercer les générations qui se sont succédées.
Avant même de se distinguer par ses particularités culturelles, la Tunisie s’est signalée par ses pratiques spécifiques dans le domaine du sacré.
Sans dévier du dogme fondamental ni des préceptes de la Sunna, elle a su, à travers les âges, faire une place à la spiritualité.
L’ordre qu’Echadheli a fondé sur cette terre a contribué largement à la douceur du caractère et à la modération du comportement de ses habitants.
On sait que sur un plan aussi sobre, la Zitouna se distingue par la Hamazia du jour du Mouled.
Mais au délà de manifestations populaires et spectaculaires, on sait moins ce que l’ordre Chadheli a introduit dans les habitudes et le comportement du tunisien en termes d’ésoterisme.
Un ordre qui s’appuyant sur le dogme fondamental de la religion, préservant les préceptes de base dans leur lettre et leur esprit, il s’inscrit en droite ligne dans l’héritage d’Abou El Kacem Junaïd.
Comme depuis des siècles, la Tunisie vit cet été le moussem du Maquam où tous les jeudis soir, la colline du Jellaz s’anime en s’ouvrant à la véritable spiritualité. Celle qui met en valeur le message que l’Islam, dans sa sagesse veut transmettre à l’humanité.

 

 

ABOU EL Hassen


Quant on arrive à Tunis venant du Sud par la GP1, on ne manque pas de remarquer ces deux imposantes bâtisses, perchées au haut du cimetière du Jellaz.


                            Le Maqâm  est l'édifice qui est situé tout en haut du cimetière du Djellaz 



A l’architecture vaguement ottomane, elles se dressent depuis des siècles face à la ville de Tunis, comme des vigies garantes de sa protection et témoins de sa pérennité.

Choisi comme lieu de retraite et de méditation par ABOU EL HASSEN ECHADLI au début du 13e siècle, ce sanctuaire se présente dans le conscient des tunisiens comme le penchant oriental du mausolée de SIDI MEHREZ, sur le versant occidental de la ville.
Si MEHREZ BENKHLAF, reste le Patron incontesté de la médina, ECHADLI garde toutes ses prérogatives dans la mémoire des générations successives.


 la zaouïa du saint Mehrez ibn Khalef dans la vieille ville
(visiter la mosquée Mohamed Bey en face qui est fantastique)


Mais c’est sur un autre plan que ABOULHASSEN a marqué de son empreinte Tunis et la Tunisie, alors IFRIQUIA, passage obligé vers l’orient et les lieux saints et carrefour des diverses tendances spirituelles en pleine gestation.
C’est vers cette époque que le grand MOHIEDDINE IBN ARABI, se trouvant au bastingage d’un bateau ancré dans la baie de Tunis, a vu EL KHADHIR sortir d’une grotte surplombant le port de Tunis et y retourner.






La Topographie de Tunis ne laissant aucun doute, c’est de la Maghara qu’il doit surement s’agir. La croyance populaire n’assure-t-elle pas que quant l’imam ECHADLI a construit son sanctuaire sous une forme plus humble et moins imposante que celle d’aujourd’hui. Il a été aidé par ELKHADHIR lui-même ?
Toujours est-il jusqu’à nos jours ce lieu a toujours bénéficie d’une vénération sans égale que ce soit de la masse populaire conditionnée par l’hagiographie que par l’élite des ulémas qui, parallèlement à leur vécu de savants exotériques, n’ont pas moins fréquenté le Maquam et la Maghara pour satisfaire leur besoin de perfection.
L’Imam IBN ARAFA a même composé une Wadhifa, sous forme d’invocation que jusqu’à nos jours, on récite après chaque clôture du Coran, soit environ tous les deux mois à la MAGHARA et deux fois durant le moussem du Maquam.
Plus près de nous, le Cheikh TAHAR BEN ACHOUR et son fils, le Cheikh Fadhel n’ont pas manqué au rituel du Jeudi.
Entre ces illustres figures du savoir, combien d’autres ont gravi la cote menant vers le Maquam pour prendre part à la récitation du Coran, l’oraison des Ahzabs et pour certains, à participer au Dhikr de la fin de la nuit.

File:Sidi Belhassen Grotte.jpg
                                                       Entrée du mausolée de Abou Hassan al-Chadhili



LA MAGHARA



File:Sidi Belhassen Grotte 2.JPG

                                                        Entrée de la grotte (Mogharah)



C’est la bâtisse intérieure, bâtie à flanc de coteau, au dessus de la GP1.
Elle est animée tous les vendredis soir par des récitants du livre saint et le samedi dès l’aube par une foule de visiteurs venus chercher la baraka et des mourides attachés par un choix volontaire, venus, eux, à un rituel de séances d’oraisons tenues hebdomadairement et réglementées depuis des siècles selon un processus immuable qu’on respecte à la lettre.
C’est au dessus de la Maghara, dans une mosquée spacieuse que se tiennent ces séances.

On y accède à partir de cette mosquée en suivant un labyrinthe à l’itinéraire prodigieusement symbolique.
Mais tenons-nous en à l’activité exclusivement estivale dont le Maquam, la partie supérieure tient lieu de rendez-vous tous les jeudis soir à longueur d’été.
Le moussem de Sidi BELHASSEN qu’on a pris l’habitude d’appeler à travers tout le pays « les quatorze semaines » a, en réalité deux visages : l’atmosphère particulièrement conviviale et populaire entre El Asr et Le Maghreb, se transforme à la tombée de la nuit en une ambiance de recueillement et où la spiritualité envahit la colline dont les contreforts renvoient l’écho des psalmodies du livre saint avant de répercuter les accents émouvants des « Ahzabs » chadhilis pour finir de remplir, à l’approche de l’aube, le ciel du rythme de l’incantation du nom d’Allah, arraché à des poitrines dans un état de soumission totale.
Quel est donc le secret de cette colline qui a ce don d’inspirer chacun, selon sa condition, et au sujet de laquelle l’Imam IBN ARAFA a dit « c’est en fréquentant la Maghara Echadhilia que j’ai fini par avoir l’explication de problèmes d’exégèse qui me paraissaient totalement obscurs »
Pourquoi le Maquam et la Maghara de Tunis suscitent-ils cet engouement particulier ? pourtant le Dhikr CHADHILI est partout pratiqué, les oraisons rythmées ne sont pas l’apanage de ces lieux et la veille du vendredi est considéré comme bénie dans tout le monde musulman.


Ces pratiques ont cours au Maroc, en Egypte, en Syrie et ailleurs où on les exécute à temps variable et informel.
Mais c’est à Tunis seulement qu’elles prennent cette dimension de régularité exemplaire dans l’espace et dans le temps.
Les manaquebs de l’Imam ECHADLI, fruits d’une hagiographie florissante, nous apprennent que la tradition de célébrer ce moussem estival dans ce lieu, à dates et lieux précis prend sa source dans une vision qu’a eue le maitre en ce lieu, il y a huit siècles. Le prophète Mohamed, que la paix soit sur lui, lui est apparu et lui a fait la promesse de visiter ce lieu une fois par an jusqu’au jour du jugement, en été, la veille d’un vendredi au cours de la deuxième moitié de la nuit.


C’est donc dans l’espoir de vivre cette visite de l’esprit du prophète que depuis des siècles les générations successives des adeptes Chadhilis procèdent entre le dernière prière de jeudi et la première du vendredi, à un rituel immuable en trois parties : Lecture du Coran, à raison d’un sixième du Livre Saint par semaine, la récitation d’un « Hizb »tiré d’un recueil composé par le maitre et rassemblé par ses successeurs immédiats et enfin, à l’approche de l’aube, l’invocation du Dhikr, sous sa forme la plus dépouillée puisqu’il ne comporte que le nom d’Allah.
ABOU EL Hassen ECHADLI n’est ni né à Tunis, ni enterré entre ses murs. Deux séjours, de quelques années ont pourtant suffi pour que la voie dont il a été l’éponyme et qui allait par la suite se propager à travers le monde musulman et s’y imposer comme l’ordre de la sobriété et de la modération voit le jour. La voie qui, en Tunisie tout particulièrement, a attiré l’élite et dont la vocation est d’abord le « tarbya », l’enseignement d’un comportement exemplaire vis-à-vis de Dieu comme vis-à-vis de la Société.
L’attachement qu’éprouve le tunisien à la Chadhilia ne peut s’expliquer que par cette aptitude de la Tariqua à donner aux diverses catégories de la société qui s’y intéressent, le sentiment de trouver en son sein la réponse à ce besoin de sérénité qu’éprouve chacun dans sa quête de bien-être. Un sentiment qui, sans le détacher de la vie matérielle et des efforts qu’il faut y déployer, lui donne cet équilibre psychique qui le pousse à être meilleur.
Les milliers de personnes qui « montent » chaque jeudi entre juin et septembre ne sont certes pas tous des disciples, connaissant les arcanes de la doctrine et respectant la discipline doctrinale.
Mais tous, du simple visiteur curieux de découvrir cette ambiance conviviale au « mourid » qui en tant que « lecteur du Coran, Hazzab ou Dhaker s’inscrit dans une discipline qui lui permet de s’élever dans un « Soulouk » sans fin.


 

DIEU t’a nommé CHADHELI


Dans son « Dorat El Asrar », IBN ESSABIGH rapporte qu’ABOU HAFS EL DJASOUS, vénérable Cheikh de Tunis du début du 7e siècle de l’Hégire, disait à l’un de ses élèves « Mon fils ! guette l’arrivée de ton maitre. Il arrivera d’Occident un Chérif de la descendance Hassanide du Prophète ».
De fait, ABOU EL Hassen est arrivé deux fois à Tunis.
Le première fois en quête de science qu’il trouva, en particulier, auprès de ABOU SAID EL BEJI, disciple d’ABOU MADYANE.
La seconde fois quand ABDESSELEM Ibn Machieh, le seul qui continua à le considérer comme tel jusqu’à sa mort, lui intima l’ordre de rejoindre Chadhela en Ifriquia.« Dieu t’a doté du nom de Chadheli », lui avait-il dit.
Chadhela, c’est la région au nord de Tunis, comprenant la Monaghan actuelle et ses alentours.

File:Sidi Bilhassen Chedly 1900.jpg


Né en 593 (1196) à Ghomara, dans le Rif marocain, ABOU EL Hassen ECHADLI est allé, jeune, en pèlerinage, puis pérégriné à travers le moyen orient, à la recherche du pole (Qutb). C’est à Baghdad qu’ABOU EL FATH EL WASSITI le réorienta vers l’Occident. C’est là qu’il rencontra Ibn Machich et de là que son exceptionnelle destinée devait prendre sa source.
Après Chadhla et la Jbel Zaghouan, Echadeli fut attiré par la Colline du jellaz où il prit l’habitude de se retirer dans des retraites (Khalwa) plus ou moins longues.
C’est en contrebas du Maquam, où il a eu la vision du Prophète que la Paix soit sur lui, qu’il prit une grotte aux formes hautement symboliques, comme lieu de prière et d’invocation.
Plus tard, on a érigé une mosquée au dessus de cette grotte en prenant soin d’aménager un accès à la grotte à partir de la mosquée.
Jusqu’à aujourd’hui, cette grotte n’a pas cessé d’exercer sur les hommes, une impression de vénération profonde que même les grands esprits ne peuvent y échapper.
Un universitaire Italien, musulman et versé dans les sciences sacrées, convié il y a quelques années à un séminaire organisé à Tunis et ayant pour thème « L’Islam et la Paix », a eu l’occasion de visiter cette grotte d’une façon fortuite et sans s’y attendre. Après la visite et le retour au séminaire, devant des assistants médusés, il a décrit avec des accents émouvants les sentiments qu’il éprouva lors de la descente dans la « Maghara ». Sous le choc de sa découverte, il assura qu’à sa remontée, il avait le sentiment de la Fitra, cette pureté primordiale tant recherchée.
Avant lui, des centaines d’Européens de souche, médecins, ingénieurs universitaires et écrivains, touchés par la grâce de l’Islam et gagnés à la doctrine si chère à René Guénon (Abdelwahed Yahia), ont choisi depuis maintenant un demi siècle de venir à Tunis, en été, se ressourcer dans cette ambiance spirituelle, en quête de perfection. C’est que le disciple le plus doué, peut être, de Guénon, Mustapha Abdelaziz (Michel Valsan) a choisi la Chadhilia comme Tariqua et le Maquam de Tunis comme lieu de ses réflexions dont plusieurs revues spécialisées en ont fait leur thème.
Aujourd’hui encore, le fils et les petits fils du Cheikh Mustapha Abdelaziz, ses innombrables disciples de Paris, de Lyon ou d’ailleurs, continuent de rendre visite au sanctuaire du Jellaz, à la Khaloua de souk El Blat, au mausolée de Sidi Mehrez et à la Zitouna.
Que de livres et d’essais ont été écrits par Charles André Gilis, le disciple le plus proche de Michel Valsan traitant de la voie et de la doctrine sous l’inspiration de cette colline qu’on croit, à tort, réservée uniquement aux morts.
Cela fait près de six siècles que la colline du Jellaz, appelée Jebel Errahma, le mont de la miséricorde, joue dans le conscient des générations le rôle de régénérateur de la piété. Piété populaire qu’inconsciemment on monte cherche de père en fils.
Piète de l’élite où ceux qui, dépassant la simple gestuelle du quotidien, vont chercher dans les profondeurs de l’enseignement Chadhili les moyens spirituels qui équilibreraient leur contraintes purement matérielles imposées par la vie.
Chacun, selon ses aptitudes, sa vocation et ses efforts trouve ce qui renforce sa piété, libère sa conscience ou lui donne des raisons de s’élever moralement.


Pourquoi spécialement ce lieu ? Qui à première vue rassemble une foule de visiteurs hétérogène, allant du profane, venu prendre l’air jusqu’au Alim, le savant, venu, là, compléter par la méditation ses connaissances livresques.
Car plus qu’en Egypte ou en Syrie où s’est développé à des dimensions institutionnelles, plus qu’ailleurs, où sa doctrine fait école, c’est à Tunis que le Chadilisme a pris forme et c’est de Tunis que l’imam a commencé de diffuser son enseignement, et former ses premiers disciples, ces fameux quarante compagnons dont une partie l’a suivi dans son émigration vers l’Egypte et dont quelques uns, restés à Tunis, ont continué son œuvre.
C’est généralement vers cette époque que les historiens du soufisme situent l’apparition des « Tutuqs » les confréries.
Comme les autres grands éponymes, Echchadeli n’avait pas l’intention de créer une confrérie sectaire comme on crée un clan.
Il faut comprendre Tariqua dans son acceptation linguistique de voie et de méthode ; La voie Chadhili, exclusivement en conformité avec l’enseignement du Coran et la Sunna, a réussi une large diffusion dans les milieux des ulamas orientaux et de penseurs occidentaux.



Pour ne citer que ceux ouvertement affiliés au Chadhilisme, ou séduite par sa doctrine, disons que beaucoup ont tenu à visiter le Maquam et la Maghara du Jellaz.
C’est par deux fois que le Cheikh Abdelhalim Mahmoud, doyen dEl Azhar a effectué le voyage de Tunis pour s’y recueillir.
Le professeur Sayed Houcine Nasr, alors doyen de la faculté de Tcheran a tenu à passer, seul, près d’une heure, dans la Maghara à la même époque.
Dans ses écrits si emprunt d’herméneutique, René Guénon n’a cité le sanctuaire Chadhili de Tunis que rarement. Il l’a fait dans un ouvrage traitant de Hermès, ce qui pour les initiés, ne relève pas du simple hasard.
Titus Burckhardt, Frithjof Shuon, historiens de la mystique musulmane et eux-mêmes Chadhilis, ont consacré bien des travaux à ce sujet.
Et qui ne se souvient de Michel Valsan, le vénérable Mustapha Abdelaziz, devenu un habitué des séances d’oraisons et de Dhikr pendant de longues années, jusqu’à sa mort en 1973.combien de Tunisiens, novices à cette époque lui doivent l’explication d’une doctrine qu’ils suivaient sans en comprendre les arcanes.
Qu’on soit simple visiteur adepte novice ou mouride accompli, on trouve toujours dans l’ordre Chadhili, la voie la plus appropriée à sa vocation, dans la pratique du rituel ou dans l’esprit de la doctrine.
Et si ailleurs, le tronc a donné naissance à diverses branches que le temps a fini par distinguer les unes des autres, en Tunisie, l’ordre est resté uniforme, centralisé, structuré comme l’ont voulu les héritiers immédiats de l’imam restés en Tunisie.
Le mérite revient en premier lieu au Maquam et à la Maghara qui ont exercé sur cette école, si effritée ailleurs, un effet centralisateur qui explique le secret de sa pérennité. La conservation intacte de ses structures et de son esprit doivent aussi beaucoup à cette noble famille de la médina de Tunis qui, investie de la charge de l’ordre, a su perpétuer depuis maintenant deux siècles la tradition Chadhilie dans sa pureté originelle. Encore aujourd’hui, sous l’égide du cheikh Hassen Belhassen, que Dieu lui accorde longue vie, neuvième de la lignée les différentes sections du rite Chadhili, sourdes à toute innovation, s’articulent comme à l’origine.
Support essentiel de la communion de la Société tunisienne, l’ordre Chadhili de Tunis n’a pas dévité, tout au long des ans, de sa voie exemplaire, celle de la sobriété (Ashw) de la modération et de la rectitude.

Ceux qui arrivent par la GP1 en peuvent soupçonnez combien de cette colline un esprit saint se diffuse sur la Cité.

Pr. MESTAOUI Mohamed Salaheddine

http://www.mestaoui.com/



Voir aussi le Cimetière du Djellaz en visite virtuelle sur le site  http://www.vvt360.com/visite-virtuelle/ejallaz

A suivre inchAllâh

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