samedi 2 mars 2013

Guido de Giorgio - René Guénon et la Quête de Dieu




                                                        Sourate Al-Ikhlas
 
 
 
Guido de Giorgio
 
Partout il L’a cherché, partout, et partout il L’a trouvé, partout. En nous, hors de nous, dans le monde, hors du monde, dans ce qui apparaît, dans ce qui n’apparaît pas, dans ce qui est, dans ce qui n’est pas, dans ce qui est et qui n’est pas, inlassablement.

Il a ramassé tous les fils qui de Lui proviennent et à Lui reviennent, tout ce qu’il y a de nouveau dans ce qui est vieux et tout ce qu’il y a de vieux dans ce qui est nouveau, puisque c’est le nouveau qui fait le vieux et le vieux qui fait le nouveau, c’est la quête qui retrouve dans l’ancien le nouveau et dans le nouveau l’ancien, Vsu Vetera Nova.

 L’Orient lui a avait appris la lumière, l’Occident lui enseigne le déclin de la lumière et l’Islam le calme zénithal, le point, suivant ce que Dante dit, où le soleil ralentit sa course, semble s’arrêter, se fixer au sommet des cieux. Avec St. Paul nous disons pour lui : Bonum certamen certavit, cursum consummavit, fidem servait, et, avec St. Paul, nous ajoutons, In reliquo reposita est ei corona justitiae quam reddetei Dominus in illa die, justus judex.

Sa quête fut radicale, absolue puisqu’il ne savait que Le chercher, Lui, le Principe, d’où tout découle et où tout aboutit, ce qui fut, ce qui est, ce qui n’est pas encore, obstinément, parcourant les voies traditionnelles, écoutant sourdre l’eau des fontaines cachetées, fontes signatae… Per visibliia ad invisiblia, cherchant partout, dans les cheveux, dans les cornes, dans la pluie, dans la montagne, dans la caverne, de l’Orient à l’Occident, dans l’ombre de la terre où niche la lumière des cieux, le passage, la trace, l’empreinte, le voile de Dieu. Là où avant voltigeait la Poésie, il plaça la Sagesse, car la Sagesse est, à vrai dire, la Poésie qui découvre le divin dans l’humain, l’hypercosmique dans le cosmique, l’invisible dans le visible, par réalisation totale, intégrale, absolue.

Il retrouva la source mère à travers le jaillissement des eaux, des fleuves traditionnels, les faces de la Grande Pyramide dont le sommet est unique et dont la base est le carré des mondes, les deux pointes du compas où se tient l’expression architecturale du Verbe, en dehors et au -dessus de laquelle commence la fuite infinie de Dieu.

Mais il maintint le sceau, il garda la porte de l’énigme, il fit comprendre ce que beaucoup d’autres avaient caché, que personne ne fait marcher ceux qui ne savent point marcher, puisque savoir c’est vouloir et celui vraiment ne saura jamais qui ne voudra jamais.

En ascendant il rendit tout à Dieu, en descendant il rendit Dieu au monde et ainsi il fit « la jonction des deux arcs » et réintégra le cercle de l’Universalité Divine, congrégeant ce qui est épars et épandant ce qui était congrégé.

Il y avait en lui l’inépuisabilité d’une quête illimitée, la certitude que rien ne peut contenir, enfermer, clôre, ce qui n’est pas tout ce qui est et c’est tout ce n’est pas, puisque du tout ôtez le tout, le tout demeure, du néant ôtez le néant le néant demeure : Plein dedans, plein dehors, il est dit dans Hatha Yoga, plein comme un vase dans l’océan, vide dedans, vide dehors, vide comme un vase dans l’air.

Il opéra ainsi la parification traditionnelle, fit déboucher tous les fleuves dans la mer qui les absorbe tous et il montra que l’orthodoxie est tout simplement la pureté dans la quête, l’amour du mystère, connaissance des connaissances, qui fait retrouver tous les pèlerins, sâlkûn, sur le même plateau, qui est au fond le sommet des mondes.

Il montra qu’il n’y a qu’une science, celle de Dieu, et que ceux qui s’y engagent - pauci electi - retrouvent la Sagesse qui n’est pas pourtant Lui, Dieu, comme Lui n’est pas Elle, car il n’y a point d’Il excepté Lui, Lâ Howa illâ Howa !

Les chiens aboyèrent, aboient, aboieront, derrière lui, car, comme il est dit dans un dicton arabe qu’il aimait à citer, les chiens aboient, la caravane passe… La caravane passe, les chameaux chargés, avec les maisons, les villes aux deux extrémités, au milieu le désert, inépuisablement… La science sacrée ne connaît point de limites, ne connaît point d’arrêts, ne connaît point de personne, c’est la caravane qui compte, non pas les chameliers, eux qui, quasi cursores, vitai lampadas tradunt…

Au milieu de l’effondrement moderne, dans cette sinistre culbute où les machines seules comptent, point les hommes qui au lieu d’être les fils de Dieu sont devenus les fils de la machine, lui, Guénon, il éclaira les souterrains immenses des traditions où, dans la nuit lumineuse des flambeaux, ruissellent fleuves de perles et de rubis entre les doigts des Saints et des Maîtres accroupies. A ce petit monde qui trouble la nuit des nuits, aveuglant de lumières artificielles le secret de la création, l’homme, qui est un secret pour le secret qui est son secret, Dieu, il dit que hors de la Tradition il n’y a rien et que chaque source traditionnelle est toutes en une et une en toutes, rampes du ciel, qui, lui, est au-delà de tous les cieux, coelum coeli Deo. Et parmi toutes, il embrasse la dernière, l’Islam, celle qui, répétait-il, semble devoir sceller l’expression divine dans le monde, la parole de Dieu aux hommes, la route où confluent finalement les aspects du cycle évolutif abrahamique. Il y fut peut-être amené par la « centralité » de l’Islam, la troisième tradition qui absorbe et parfait les deux premières, qui est l’aboutissement zénithal du soleil dont les deux qui précèdent représentent l’Est et l’Ouest, l’Orient et l’Occident. Lui, Guénon, qui gardait tout, substance et rites, noyau et écorce, intérieur et extérieur,batin et zahir, il est passé en murmurant, en invoquant le Nom que tous murmurent et invoquent, anges et démons, Saints et hommes, les premiers comme les derniers, ceux qui savent, ceux qui ignorent, montrant par-là que personne ne se sauve et n’atteint la délivrance s’il ne canalise pas son aspiration dans l’orthodoxie du chœur traditionnel, puisque la tradition seule, – dans son unité insécable qui pourtant, comme l’Etre, dont elle est le devenir – un devenir Ce qui est -, comporte des degrés, comprend, unifie, harmonise intérieur et extérieur, sublimité et infinité, sagesse et ignorance, vocation et élection, occulte et manifeste. Tout est pur dans ce qui est pur et rien n’est pur si ce n’est pas sanctifié par la tradition dont l’orthodoxie englobe toutes les oppositions, unifie toutes les divergences, contemple toutes les hiérarchies, maintient tous les plans, centralise toutes les aspirations, harmonise mais ne confond pas, n’assujettit pas les hommes aux hommes, mais tous les hommes à elle, toutes les traditions à la Vérité Divine, tout dieu à Dieu. Mais l’ineffabilité de l’Ineffable est l’amour substantiel, nous devrions dire essentiel, de Dieu qui enjambe tous les paradis pour se fixer où il n’y a plus de où, dans l’absence de toute limitation affirmative on spéculative excluant toute inclusion, parce que toutes exclusion est incluse, où celui qui connaît ignore et qui ignore celui-là vraiment connaît.

Et il est tombé debout : debout et seul, pauvre et nu, n’ayant qu’un seul nom sur ses lèvres, le Nom où se dissout tout ce qui s’affirme en face de Lui, parce que ce qui n’est pas Lui n’est point et ne peut pas être, où tout est rien et rien n’est tout, tout devant mourir pour qu’Il, Lui seul, vive, dans la plénitude de son incommensurabilité radicale suivant laquelle rien n’est qui ne soit pas Lui. Dans la « circularité » de l’Islam il a enfermé son secret, son sirr, le trésor que chacun enferme en soi et qu’il ne sait presque jamais découvrir, parce que s’il arrivait à connaître vraiment sa servitude, il connaîtrait sûrement sa seigneurie.

Ce qu’il pouvait et devait dire il l’a dit, mais il ne pouvait pas tracer une route qui, dans la réalisation par la Connaissance, est strictement personnelle et ne peut aucunement s’exprimer « didascaliquement » puisqu’elle s’acquiert par fulgurations, baignant dans la lumière de l’esprit, l’Esprit de Dieu, qui est Dieu, devenant elle, car, lorsque l’homme n’a plus de secrets devant Dieu, Dieu n’a plus de secrets pour l’homme et alors il atteint cette station « où le Seigneur ne parle qu’avec les Siens ».

 Le véritable mystère de Guénon est dans sa mort que seul le Seigneur connaît dans la plénitude de Sa Grâce et dans la perfection de Sa Miséricorde, parce Lui seul Il est avec Lui, en Lui, par Lui, – ma Allah, fi ‘Llah, bi ‘Llah !
Voir aussi la correspondance entre Guido de Giorgio et  René Guénon ici

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