samedi 28 juillet 2012

René Guénon : Vrais et faux instructeurs spirituels






Nous avons souvent insisté sur la distinction qu’il y a lieu de faire entre l’initiation proprement dite, qui est le rattachement pur et simple à une organisation initiatique, impliquant essentiellement la transmission d’une influence spirituelle, et les moyens qui pourront ensuite être mis en œuvre pour contribuer à rendre effective une initiation qui n’était tout d’abord que virtuelle, moyens dont l’efficacité est naturellement subordonnée, dans tous les cas, à la condition indispensable d’un rattachement préalable.

Ces moyens en tant qu’ils constituent l’aide apportée du dehors du travail intérieur dont doit résulter le développement spirituel de l’être (et il est bien entendu qu’ils ne peuvent jamais suppléer en aucune façon à ce travail même), peuvent être désignés, dans leur ensemble, par le terme d’instruction initiatique, en prenant celui-ci dans son sens le plus étendu, et en ne limitant pas à la communication de certaines données d’ordre doctrinal, mais y comprenant également tout ce qui, à un titre quelconque, est de nature à guider l’initié dans le travail qu’il accomplit pour parvenir à une réalisation spirituelle à quelque degré que ce soit.
Ce qui est le plus difficile, et surtout à notre époque, ce n’est certes pas d’obtenir un rattachement initiatique, ce qui peut-être n’est même parfois que trop aisé (nous voulons faire allusion par là au fait que certaines organisations initiatiques sont devenues beaucoup trop « ouvertes », ce qui d’ailleurs est toujours pour elles une cause de dégénérescence) ; mais c’est de trouver un instructeur vraiment qualifié, c’est-à-dire capable de remplir la fonction de guide spirituel, ainsi que nous venons de le dire, en appliquant tous les moyens convenables à ses propres possibilités particulières, en dehors desquelles il est évidemment impossible, même au Maître le plus parfait, d’obtenir aucun résultat effectif.
Sans un tel instructeur, comme nous l’avons déjà expliqué précédemment l’initiation, tout en étant assurément valable en elle-même, dès lors que l’influence spirituelle a été réellement transmise au moyen du rite approprié (nous devons rappeler ici que l’initiateur agit comme « transmetteur » de l’influence attachée au rite n’est pas forcément apte à jouer le rôle d’instructeur ; si les deux fonctions sont normalement réunies là où les institutions traditionnelles n’ont subi aucun amoindrissement, elles sont bien loin de l’être toujours en fait dans les conditions actuelles), demeurerait toujours simplement virtuelle, sauf dans de très rares cas d’exception.
Ce qui aggrave encore la difficulté, c’est que ceux qui ont la prétention d’être des guides spirituels, sans être aucunement qualifiés pour jouer ce rôle, n’ont jamais été aussi nombreux que de nos jours ; et le danger qui en résulte est d’autant plus grand que, en fait ces gens ont des facultés psychiques très puissantes et plus ou moins anormales, ce qui évidemment ne prouve rien au point de vue du développement spirituel et est même d’ordinaire un indice plutôt défavorable à cet égard, mais ce qui n’en est pas moins susceptible de faire illusion et d’en imposer à tous ceux qui sont insuffisamment avertis et qui, par suite, ne savent pas faire les distinctions essentielles.
On ne saurait donc trop se trop se tenir en garde contre ces faux instructeurs, qui ne peuvent qu’égarer ceux qui se laissent séduire par eux et qui devront encore s’estimer heureux s’il ne leur arrive rien de plus fâcheux que d’y perdre leur temps ; que d’ailleurs ils ne soient que de simples charlatans, comme il n’y en a que trop actuellement, ou qu’ils s’illusionnent eux-mêmes avant d’illusionner les autres, il va de soi que cela ne change rien aux conséquences, et même en un certain sens, ceux qui sont plus ou moins complètement sincères (car il peut y avoir en cela des degrés) n’en sont peut-être que plus dangereux par leur inconscience même.
Il est à peine besoin d’ajouter que la confusion du psychique et du spirituel, qui est malheureusement si répandue chez nos contemporains et que nous avons dénoncée à maintes occasions, contribue dans une large mesure à rendre possibles les pires méprises à cet égard ; si l’on y joint l’attrait des prétendus « pouvoirs » et le goût des « phénomènes » plus ou moins extraordinaires, qui d’ailleurs s’y associent presque inévitablement, on aura par là une explication assez complète du succès de certains faux instructeurs.
Il est cependant un caractère auquel beaucoup de ceux-ci, sinon tous, peuvent être reconnus assez facilement, et, bien que ce ne soit là en somme qu’une conséquence directe et nécessaire de tout ce que nous avons constamment exposé au sujet de l’initiation, nous ne croyons pas inutile, en présence des questions qui nous ont été posées en ces derniers temps à propos de divers personnages plus ou moins suspects, de le préciser encore d’une façon explicite.
Quiconque se présente comme un instructeur spirituel sans se rattacher à une forme traditionnelle déterminée ou sans se conformer aux règles établies par celles-ci ne peut pas avoir véritablement la qualité qu’il s’attribue ; ce peut-être, suivant les cas, un imposteur ou un « illusionné » ignorant des conditions réelles de l’initiation ; et dans ce dernier cas plus que dans l’autre, il est fort à craindre qu’il ne soit trop souvent , en définitive rien de plus qu’un instrument au service de quelque chose qu’il ne soupçonne peut-être pas lui-même.
Nous en dirons autant (et d’ailleurs ce caractère se confond forcément jusqu’à un certain point avec le précédent) de quiconque a la prétention de dispenser indistinctement un enseignement de nature initiatique à n’importe qui et même à de simples profanes, en négligeant la nécessité, comme condition première de son efficacité, du rattachement à une organisation régulière, ou encore de quiconque procède suivant des méthodes qui ne sont conformes à celles d’aucune initiation reconnue traditionnellement.
Si l’on savait appliquer ces quelques indications et s’y tenir strictement, les promoteurs de «pseudo-initiations» de quelque forme qu’elles soient revêtues se trouveraient presque immédiatement démasqués ; il resterait seulement encore le danger pouvant venir de représentants d’initiations déviées, quoique réelles, et qui, ont cessé d’être dans la ligne de l’orthodoxie traditionnelle ; mais celui-là est certainement beaucoup moins répandu, du moins dans le monde occidental, et, par conséquent, il est beaucoup moins urgent de s’en préoccuper dans les circonstances présentes.
Du reste, nous pouvons dire tout au moins que les « instructeurs » se rattachant à de telles initiations ont généralement, en commun avec les autres dont nous venons de parler, l’habitude de manifester leurs « pouvoirs » psychiques à tout propos et sans aucune raison valable (car nous ne pouvons considérer comme telle celle de s’attirer des disciples ou de les retenir par ce moyen, ce qui est le but qu’ils visent le plus ordinairement), et d’attribuer la prépondérance à un développement excessif et plus ou moins désordonné des possibilités de cet ordre, ce qui est toujours au détriment de tout véritable développement spirituel.
D’autre part, pour ce qui est des vrais instructeurs spirituels, le contraste qu’ils présentent avec les faux instructeurs, sous les divers rapports que nous venons d’indiquer, peut, sinon les faire reconnaître avec une entière sûreté (en ce sens que ces conditions, si elles sont nécessaires, peuvent pourtant n’être pas suffisantes), du moins y aider grandement ; mais ici il convient de faire une autre remarque pour dissiper encore quelques idées fausses.
Contrairement à ce que beaucoup paraissent s’imaginer, il n’est pas toujours nécessaire pour que quelqu’un soit apte à remplir ce rôle dans certaines limites, qu’il soit lui-même parvenu à une réalisation spirituelle complète ; il devrait âtre bien évident, en effet, qu’il faut beaucoup moins que cela pour être capable de guider valablement un disciple aux premiers stades de sa carrière initiatique. Bien entendu, lorsque celui-ci aura atteint le point au-delà duquel il ne peut le conduire, l’instructeur qui se trouve dans ce cas, mais qui est néanmoins vraiment digne de ce nom, n’hésitera jamais à lui faire savoir que désormais il ne peut plus rien pour lui, et à l’adresser alors, pour suivre son travail dans les conditions les plus favorables, soit à son propre Maître si la chose est possible, soit à tout autre instructeur qu’il reconnaît comme plus complètement qualifié que lui-même ; et quand il en est ainsi, il n’y a en somme rien d’étonnant ni même d’anormal à ce que le disciple puisse finalement dépasser le niveau spirituel de son premier instructeur, qui d’ailleurs, s’il est vraiment ce qu’il doit être, ne pourra que se féliciter d’avoir contribué pour sa part, si modeste soit-elle, à le conduire à ce résultat. Les jalousies et les rivalités individuelles, en effet, ne sauraient avoir aucune place dans le véritable domaine initiatique, tandis que, par contre, elles en tiennent presque toujours une fort grande dans la façon d’agir des faux instructeurs ; et ce sont uniquement ceux-ci que doivent dénoncer et combattre, chaque fois que les circonstances l’exigent, non seulement les Maîtres spirituels authentiques, mais encore tous ceux qui ont à quelque degré conscience de ce qu’est réellement l’initiation.
(René Guénon, Initiation et Réalisation Spirituelle, chap.XXI : Vrais et faux instructeurs spirituels ; p.153-157)

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