jeudi 2 juin 2011

Lettre de l’Imâm Ahmad Ar-Rifâ`î au Calife Al-Mustanjid Billâh Al-`Abbâsî






Introduction

Louange à Dieu, le Très Haut. Que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur notre Messager bien-aimé, ainsi que sur sa famille et ses compagnons.
Louange à Dieu Qui nous a permis de traduire cette lettre de conseil adressée par l’Imâm des ascètes et des dévots, Ahmad Ar-Rifâ`î, puisse Dieu l’agréer, au Calife Al-Mustanjid Billâh Al-`Abbâsî, décédé en 1170 E.C.. Outre la revivification de notre patrimoine islamique, cette lettre renferme des conseils bénéfiques pour tout gouverneur musulman, notamment à notre époque où la communauté musulmane, divisée et convoitée, vit une période critique de son Histoire. Cette lettre constitue également un témoignage de l’implication des grands Sheikhs du Tasawwuf sunnite dans les affaires d’Etat. En effet, l’ascétisme et la dévotion n’ont pas écarté les Imâms seigneuriaux de l’arène des soucis de leur société et ne les ont pas confinés dans des sphères de la séclusion. Au contraire, ces savants ont honoré le dépôt de la science dont ils sont les héritiers, ils ont éduqué leurs disciples, exhorté les musulmans, propagé la science, et prodigué de précieux conseils aux gouverneurs.
Et c’est Dieu Qui accorde la guidance et le succès.
Ahmad Al-Murtada

Énoncé de la lettre de l’Imâm Ar-Rifâ`î

Au Nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux
Louange à Dieu. Que la Paix et les Bénédictions soient sur le maître de Ses créatures, Muhammad, Son serviteur, Son bien-aimé et Son élu.
De la part du pauvre en Dieu, Ahmad Ibn `Alî Abû Al-Hasan, que Dieu soit pour lui, à l’Imâm, le Calife obéi, l’Émir des Croyants, Abû Ahmad Al-Mustanjid Billâh Al-`Abbâsî Al-Hâshimî, que Dieu l’assiste par le Soutien qu’Il accorde à Ses pieux serviteurs. Âmîn.
Nous est parvenue ta lettre où tu nous demandes de te prodiguer un bon conseil en rappelant le hadîth : « La religion (Ad-Dîn) exige le bon conseil (nasîhah), la religion exige le bon conseil, la religion exige le bon conseil ».
Si ce n’est ce hadîth, je ne t’aurais guère prodigué de conseil, car conseiller un homme comme toi, puisse Dieu te bénir, requiert deux conditions : la sincérité de la part de celui qui prodigue le conseil et l’acceptation, conditionnée par la mise en pratique, de la part de la personne conseillée. Que Dieu te soutienne et t’accorde le succès.
Ô Émir des Croyants, si tu appliques à toi-même les jugements du Livre de Dieu - Exalté et Glorifié Soit-Il - les jugements établis par tes édits seront alors mis en oeuvre dans Son Royaume. Si tu glorifies l’Ordre de Dieu - Exalté Soit-Il - en suivant Son Messager - paix et bénédictions de Dieu sur lui - et si tu honores son noble rang, les sujets honoreront les responsables et les gouverneurs que tu auras désignés.
Ne regarde pas avec considértion, ô Émir des Croyants, la force dont jouissent les Césars et les rois des Mages dans leurs royaumes alors qu’ils sont loin des principes que je viens de mentionner. En réalité, ceux-là ont méconnu le Vrai si bien qu’Il les a éloignés de Sa Majesté, Il les a rapprochés de l’ici-bas et leur a rapproché ses artifices. Il leur a donné le pouvoir sur qui Il veut parmi Ses créatures. S’ils gouvernent par ce qui est agréable pour leurs sujets, leur pouvoir s’étendra dans les voiles de l’ici-bas jusqu’à leur dernier souffle. Si toutefois ils ne les gouvernent pas avec douceur et ménagement, s’ils leur infligent ce qu’ils ne peuvent endurer, Dieu lèvera leurs peuples contre eux ; Il emploiera les uns pour retirer les artifices de ce monde des autres. Et le Feu est certes le refuge des mécréants.
Quant à toi, ô Émir des Croyants, tu es le gardien et le défenseur de la terre, du sang et de l’argent des musulmans. Les sabres de l’Islam furent brandis victorieusement, non pas parce qu’on savait que tu allais devenir Calife, ni pour préparer le terrain à ton accès au pouvoir afin que tu gouvernes par ton opinion. Cela n’a été fait que pour Dieu et Son Messager. Accours donc, dans toutes les situations, vers Dieu. Honore dans toutes tes affaires l’ordre du Messager de Dieu ; tu seras alors englobé dans la sécurité de Dieu et la bénédiction de Son Messager. Aussi, pèse par la balance de la religion tes affaires privées dans ce monde : ta nourriture, ta boisson, tes habits, et l’ombre sous laquelle tu t’adosses. Puis fais en sorte que tes penchants vers ce monde soient à la mesure de ce que la religion agrée.
Garde-toi d’être injuste. Si Satan te pousse au mal et tente de t’insuffler quelque injustice, demande-toi quel comportement tu espérerais de la part de ton gouverneur si jamais tu étais emprisonné, ou si tu avais subi une injustice, ou encore si tu étais vaincu par la force, ou enfin si tu étais victime d’un mensonge. Traite alors les gens comme tu aimerais être traité. Si tu agis ainsi, tu honoreras la justice et l’humanité comme il se doit.
Sache que ton royaume et ton État ne sont qu’une infime partie du Royaume de Dieu - Exalté Soit-Il - et que toi-même tu n’es qu’une petite partie de ton royaume. Si tu t’en appropries quelque chose, en oubliant Dieu - Glorifié Soit-Il -, si tu te comportes comme celui qui prétend partager le Royaume de Dieu avec Lui, en oubliant les Droits de Dieu et en trahissant Ses créatures, alors Il détournera Son Aide et Sa Victoire de toi. Et tu as en ceux qui ont péri une leçon à saisir.
Et ne regarde pas, ô Émir des Croyants, l’exemple des bien-aimés rapprochés de Dieu qu’Il éloigna des affaires de ce monde. Tel fut le cas de certains compagnons que les gens contestèrent et leur arrachèrent les rênes du pouvoir. Dieu les attira vers Lui et gouverna les gens par leurs semblables. Et chacun est responsable de ses oeuvres et "ton Seigneur ne commet point d’injustice envers quiconque".
Ô Émir des Croyants, de l’ombre prend ce qui t’ombrage, des habits contente-toi de ce qui te couvre et de la nourriture restes-en à ce qui te rassasie. De ta fortune, tu ne possèdes rien, et "tu n’as aucune part dans l’ordre (divin)", certes mon Seigneur fait ce qu’Il veut.
Quel bon sceau parmi les sceaux de la Volonté Divine tu es. Ce sceau est apposé sur les âmes des formes. Dieu repousse par lui, Il établit par lui, Il lie ou sépare par lui. Si tu observes la bienséance avec Celui qui agit dans l’Absolu en veillant sur les droits de Sa Législation qu’Il a établie pour Ses serviteurs, Il te rétribuera et tournera le pivot du Don par toi et ta famille après toi. Mais si tu négliges Son Ordre et détruis l’abri de ses créatures, alors tu seras du nombre des injustes, "et les injustes n’ont point de secoureur".
Ô Émir des Croyants, les gens doués d’un entendement sain et d’un bon goût se réunissent dans la vérité et s’épanouissent dans la largesse de l’équité et de la bienfaisance. Petits et grands, gouverneurs et gouvernés, hommes libres ou esclaves, sont rendus égaux dans la religion et chacun d’eux a un rang bien connu. Les flammes de la discorde ne font pas rage parmi eux et ils ne sont pas sous l’emprise des mauvaises manières. Ils jugent par ce que Dieu a révélé et seront dans la Sécurité de Dieu aussi longtemps qu’ils le feront. S’ils recourent à la tromperie dans le jugement, en lui donnant une facette apparente et en cachant secrètement le faux, alors le Juge Équitable leur dira : "Et ceux qui ne jugent pas par ce que Dieu a révélé, voilà donc les pervers". S’ils manifestent le faux en tentant de lui tirer quelque légitimité juridique par les efforts de leurs soutiens au pouvoir, alors le Vrai - Exalté Soit-Il - leur dira : "Et ceux qui ne jugent pas par ce que Dieu a révélé, voilà donc les injustes". S’ils manifestent le faux et l’appuient par leur opinion, par mépris de la sagesse de la Législation et par orgueil, alors le Vengeur, le Contraignant leur dira : "Et ceux qui ne jugent pas par ce que Dieu a révélé, voilà donc les mécréants".
O Émir des Croyants, les allées de l’oeuvre ne se bâtissent guère par les mains de l’imagination. Une cité n’est maintenue que par une substance unifiante qui rallie les coeurs et chasse la dispute et la division. Il ne s’agit, par Dieu, que de la Législation Juste et de la noble Sunnah du Prophète Muhammad. C’est là l’Ordre de Dieu Qui a disposé les caractères et qui connaît ce qui les apaise. C’est par cette Loi que le faible trouve sa garantie pour demander ses droits à son puissant adversaire. Tu sais que ton cousin, l’Imâm des musulmans, l’Émir des Croyants, `Alî - que Dieu honore sa face et l’agrée - a rapporté selon son cousin, le maître des créatures : "Ne sera point sanctifiée une communauté où le dû du faible n’est retiré du fort qu’avec beaucoup de peine". Par Dieu, telle est la vérité.
Tu as appris, ô Émir des Croyants, par la vie de l’illustre `Omar Ibn Al-Khattâb Al-Fârûq - que Dieu l’agrée - qu’il n’intimida les persans, les byzantins, les maghrébins, les chinois, les indiens ou les berbères, en déployant les brocarts, les tapis en soie, les coupes ornées de joyaux, les chevaux marqués, les demeures élevées, et les arcs dorés. Non ! Il les intimida par la justice pure et réduisit au silence les plus orgueilleux de leurs hommes par la sagesse suprême qu’est la Législation de ton Prophète, le maître des sages, la preuve des gens doués de sens, l’Imâm des Prophètes, Muhammad - paix et bénédiction de Dieu sur lui.
Et sache - puisse Dieu déverser sur ton coeur les nuages bénis de l’inspiration et du succès et puisse-t-Il renforcer ton pouvoir par les pieux soutiens, les gens de la sagesse et du secours - que la vérité est logée dans le for intérieur des gens de l’élite et ceux du commun, et de ceux qui, parmi eux, s’y conforment et ceux qui manifestent le faux. Il se peut donc que ton esclave te soutienne par sa main et sa langue, parce que le règne te revient, alors qu’il te réprouve secrètement et porte en son coeur le mal à ton égard. Un tel homme ne te sera favorable, quand bien même tu l’affranchirais et le nommerais vizir, et ce, même s’il était lui même plus sévère que toi. C’est là un secret divin déposé dans la vérité.
Et sache, mon sieur, que l’armée des rois c’est la justice, leurs gardes sont leurs oeuvres et les registres de leurs états sont les gouverneurs qu’ils nomment et leurs compagnons. Ces registres sont entre les mains du peuple. Réforme donc le registre de tes états, raffermis tes gardes et renforce ton armée. Je te recommande les gens sensés et pieux. Garde-toi des gens de la dureté, de la perfidie et de l’égarement, car ce sont ceux-là tes ennemis. Préserve ton autorité et veille à ce qu’elle ne devienne un jouet entre les mains des femmes, des jeunes gens, et des gens dépourvus de dignité, car ceci est une cause de ruine et de déclin.
Si tu éprouves quelque sentiment d’amour à l’égard d’une chose, alors pèse ton action par la balance de l’équité, pour ne pas donner la prééminence à celui qui ne le mérite pas ni élever celui qui n’en a le droit.
Si tu éprouves quelque inimité, alors souviens-toi de Dieu, et préserve ton caractère de la faiblesse de la traitrise. Ta position est celle de celui qui répand la sécurité. Celui qui la détient doit être guidé par la vérité et non par ses intérêts.
Dans la colère penche vers le pardon. Mieux vaut se tromper en pardonnant qu’en châtiant.
Dirige ta générosité et tes faveurs vers les gens de religion et de sagesse, et ceux qui défendent jalousement la religion. Choisis parmi eux ceux qui ont le caractère le plus noble, l’intelligence la plus affûtée, la parole et l’opinion la plus concise, l’argument le plus probant, et qui sont les meilleurs connaisseurs de Dieu et de Son Prophète.
Que les gens soient égaux devant la porte de ta justice, et ce, qu’ils soient pieux ou pervers, croyants ou mécréants.
Honore la sacralité de la religion et de ses adeptes. Accomplis une oeuvre qui te donne un bon aboutissement dans l’au-delà, quand tu comparaîtras devant ton Seigneur. Et c’est Dieu qui accorde le succès.
Nous appartenons à Dieu et à Lui nous retournerons. Et que le Salut, la Paix, la Miséricorde et les Bénédictions de Dieu soient sur vous.

P.-S.

Cette lettre de l’Imâm Ar-Rifâ`î fut reproduite dans plusieurs recueils dont Al-Wasâyâ (Les testaments) édité par le professeur Salâh `Azzâm chez Al-Maktabah As-Sûfiyyah, et dans Al-Majâlis Ar-Rifâ`iyyah (Les assemblées rifâ`iyyah) édité par Sheikh Mahmûd As-Samarâ’î Ar-Rifâ`î, dans As-Silsilah Ar-Rifâ`iyyah.
Notre traduction s’appuie sur ces deux sources arabes

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