dimanche 17 juin 2012

Ibn ‘Arabî – Commentaire du célèbre poème sur « La Religion de l’Amour ».








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Mon cœur est devenu capable
D’accueillir toute forme.
Il est pâturage pour gazelles
Et abbaye pour moines !

Il est un temple pour idoles
Et la Ka’ba pour qui en fait le tour,
Il est les tables de la Thora
Et aussi les feuillets du Coran !

La religion que je professe
Est celle de l’Amour.
Partout où ses montures se tournent
L’amour est ma religion et ma foi.

Commentaire d’Ibn ‘Arabî.

Mon cœur est devenu capable d’accueillir toute forme… Quelqu’un a dit que le cœur a été nommé qalb du fait de sa permutabilité (taqallub – mot de même racine Q L B) car il se diversifie en fonction de la différenciation des inspirations [tanawwu’ al-wâridât] qui l’affectent. Or, celles-ci se nuancent en fonction de ses états spirituels, et ceux-ci selon la variété des Théophanies (tajalliyât ilâhiyya) convenant à son secret (sirr). La loi sacrée (shar’) fait allusion [selon une nouvelle prophétique] à cette caractérisation du cœur en parlant de mutation (tahawwul) et de substitution (tabaddul) dans les formes.

Le pâturage pour gazelles (mar’â li-ghizlân) est réservé aux pasteurs [as-sârihîn] de gazelles et non à ceux d’autres animaux. Nous nous exprimons ici selon le langage de la passion amoureuse [lisân al-hawâ] et les gazelles symbolisent alors l’amour des bien-aimées pour les amants. Pourtant, il n’est pas douteux que l’œil du cheval est plus noir et dilaté [que celui de la gazelle], mais l’analogie qui est faite ici concerne l’œil de celle-ci.

L’abbaye pour moines (diyar li-ruhbân) car, de même que nous comparons les amoureux aux moines à cause de la vie monacale [qui permet de se vouer entièrement à Dieu], de même le cœur est assimilé à un temple consacré qui est la demeure des religieux et l’endroit où ils se tiennent [pour l’adoration].

Ce cœur est semblable au temple pour idoles (bayt al-awthân) car, en s’emparant de lui, les Réalités essentielles (haqâ’iq) que les êtres humains sollicitent, et à cause desquelles ils adorent Dieu, reçoivent le nom d’idoles (awthân – ou de biens nombreux, selon une acception de la racine).
Quand les esprits sublimes [al-arwâh al-‘ulwiyah] entourent le cœur, il est appelé Ka’ba [ou Temple de forme cubique, ou en forme de sein, selon l’étymologie]. Il s’agit de ses esprits mentionnés dans le Coran lorsqu’un spectre de démon les touche [cf. Coran 7, 201 : inna-lladhîna attaqû idhâ massahum tâ’ifun mina-sh-shaytân tadhakkarû fa-idhâ hum mubsirûn, « En vérité, ceux qui ont la crainte révérencielle, se souviennent lorsqu’une suggestion de Satan les touche : et les voilà devenus clairvoyants »]. Ce sont les possesseurs d’attitudes angéliques (açhâb al-malakât al-malakiyya).

Les tables de la Thora [alwâh tawrât], car le cœur du spirituel, qui réalise les sciences mosaïques hébraïques, devient comme des tables réverbérantes (alwâh) pour ces sciences.
Quand il hérite des connaissances muhammadiennes parfaites (ma’ârif muhammadia kamâliyya), il devient comme des feuillets [mushaf]. Il se maintient alors dans la station du Coran (maqâm al-qur’ân) dès qu’il actualise celle du « J’ai été nanti de la somme des Paroles » [selon les termes d’une nouvelles prophétique : ûtîtu jawâmi’ al-kalim].

La religion que je professe est celle de l’Amour [udînu bi-dîni-l-hubb], en référence à cette parole divine : « Si vous aimez Dieu, conformez-vous à moi [il s’agit du Prophète selon l’interprétation habituelle], Dieu vous aimera » [Cor. 3, 31 : Qul in kuntum tuhibbûna-Llâh fa-t-tabi'ûnî yuhibbukumu-Llâhu]. Pour cette raison, elle appelée religion de l’amour (dîn al-hubb). Il la pratique afin d’accueillir les obligations que son bien-aimé lui impose, et cela avec acceptation et satisfaction, avec amour et disparition de la peine et de la fatigue qui accompagnent ces obligations sous un aspect ou sous un autre. En conséquence, il est précisé dans ce vers : Partout où les montures se tournent, ou encore quels que soient les chemins qu’elles empruntent, approuvés ou non, elles en sont satisfaites [fa-hiya kulluhâ mardiyah ‘indanâ], selon nous.

L’amour est ma religion et ma foi [fa-d-dînu dînî wa îmânî], car il n’y a pas de religion plus élevée que celle fondée sur l’amour et le désir pour Celui envers Qui je la professe et Qui l’ordonne mystérieusement [mâ tamma dîn a’lâ min dîn qâma ‘alâ al-mahabbah wa-sh-shawq li-man udîna la-Hu bi-hi wa amara bihi ‘alâ ghayb]. Telle est la caractéristique des spirituels de type muhammadien. Car Muhammad – sur lui la Grâce et la Paix de Dieu – a sur les autres prophètes le privilège de la station de l’amour parfait [maqâm al-mahabbah bi-kamâlihâ] ; et bien qu’il soit aussi élu, confident, ami intime et d’autres qualifications parmi celles qui sont reconnues aux prophètes, Dieu lui a accordé une faveur supplémentaire, celle de l’avoir pris comme amoureux (habîb), c’est-à-dire amant (muhibb) et aimé (mahbûb). Or, j’ai hérité de cette voie (wa warathtu ‘alâ minhâjihi).

[Ibn ‘Arabî, Turjumân al-ashwâq, extrait du poème 11 avec commentaire du Cheikh al-Akbar – qu’Allâh l’agrée ! Traduit par M. Gloton dans L’Interprète des désirs, Albin Michel p. 147 et 155-158. Nous avons rajouté quelques translittérations entre crochets à partir du texte en arabe du Livre des commentaires Kitâb dakhâ'ir al-a'lâq, sharh tarjumân al-ashwâq].

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