vendredi 22 juin 2012

Le soufisme en Égypte et en Syrie - Éric Geoffroy - Chapitre XIX - L’ “homme du blâme” (al-malāmatī)













Éric Geoffroy



I - Malāmatī et qalandarī
II - Visages de la malāma : de la provocation outrancière à la totale transparence





Bien que fondée sur le Coran et la Sunna et correspondant à une attitude spirituelle universelle, la malāma apparaît en tant que mouvement à Nichapur (Nīsābūr), capitale du Ḫurāsān, dans la seconde moitié du iiie/ixe siècle. Nous avons vu qu’elle s’érige à l’origine, face au taṣawwuf iraqien, comme l’autre grand courant de la mystique musulmane. Le maître le plus connu de ce mouvement est Ḥamdūn al-Qaṣṣār (m. 271/884), dont la malāma adopte parfois le nom1.




“Hommes du blâme”2, les malāmatī-s le sont d’abord « parce qu’ils ne cessent de se blâmer de leurs imperfections et ne jugent aucun de leurs actes suffisamment exempt d’impureté pour être agréé par Dieu, mais surtout parce qu’ils occultent leur perfection spirituelle en se fondant dans la masse des croyants »3. Des points doctrinaux développés par Abū ʿAbd al-Raḥmān al-Sulamī dans sa Risālat al-Malāmatiyya, il ressort que le grand ennemi des malāmatī-s est la nafs, l’ego ou l’âme charnelle, siège de tous les désirs et de toutes les illusions. Les soufis en général participent à cette lutte spirituelle, dont un des fondements scripturaires est le hadith selon lequel « le plus farouche ennemi de l’homme est l’âme charnelle qu’il recèle »4. Mais les malāmatī-s ont développé des stratégies spécifiques pour lutter contre l’ego (la muḥārabat al-nafs)5.




Si les mondains courent après les honneurs matériels, les mystiques, eux, peuvent être abusés par leurs propres états spirituels et par l’effet qu’ils produisent sur autrui. Le malāmatī cherche donc à couper court à ces passions (ḥuẓūẓ al-nafs), d’ordre subtil certes, mais qui n’en sont que plus perverses. Il considère toute extériorisation de son état ou de son rang spirituel comme une entrave à l’authenticité, la sincérité de sa démarche, et c’est en ce sens que Šihāb al-Dīn al-Suhrawardī axe entièrement son analyse de la malāma sur la notion d’iḫlāṣ6. Cherchant à préserver l’intimité qu’il entretient avec son Seigneur, le malāmatī se fait transparent dans la société pour ne pas attirer les regards. Il ne se distingue pas par les marques vestimentaires des soufis tel la muraqqaʿa ou la ḫirqa, ne manifeste ni grâce surnaturelle (karāma, ḫarq al-ʿāda) ni transport d’extase (tawāǧud), ne se laisse pas dominer par l’ivresse spirituelle (al-ǧaḏb, al-sukr) et évite toute fonction publique d’enseignement ou de sermon qui laisserait supposer sa supériorité sur les hommes. C’est ainsi qu’al-Sulamī décrit globalement “l’homme du blâme”7 et l’on comprend qu’il place un tel modèle, chez lequel « l’état intérieur n’influe aucunement sur le comportement extérieur »8, au sommet de la spiritualité muhammadienne : après avoir été immergé dans la Présence divine lors de son miʿrāǧ, le Prophète est revenu parmi les hommes sans que rien ne transparaisse sur lui9.




Dans la précellence qu’il accorde au malāmatī sur les autres catégories de sālikūn10, Ibn ʿArabī se situe dans le sillage d’al-Sulamī11, si ce n’est que le Šayḫ al-Akbar confère à ce terme une signification beaucoup plus profonde : par son effacement total et sa transparence à la volonté divine, le malāmī – comme l’appelle de préférence l’auteur des Futūḥāt – réalise l’état de servitude absolue (ʿubūdiyya). Il « est un caillou dans la main de Dieu », et de ce fait occupe le degré suprême de la sainteté12. L’influence akbarienne se décèle ici encore chez ʿAlī al-Ḫawwāṣ, qui voit dans cette modalité la perfection spirituelle : inconnus en ce monde, Dieu conserve intégralement leur “capital” (ra’s māli-him) auprès de Lui, contrairement à ceux dont la sainteté est ostensible ; la notoriété dont ces derniers jouissent ici-bas peut en effet entamer la plénitude de leur réalisation13.



I - Malāmatī et qalandarī


La position akbarienne ne fait pas l’unanimité chez les auteurs du taṣawwuf. Certains inversent paradoxalement les termes de la comparaison entre malāmatī et ṣūfī ; ils considèrent en effet que l’attention portée par les premiers pour cacher leur état aux yeux des créatures constitue pour eux un voile : « Tant que leurs regards se portent sur leur propre conduite, ils n’ont pas exclu entièrement les autres de tout rapport avec leurs actions et leurs états surnaturels. »14 Contrairement aux ṣūfī-s immergés dans la contemplation divine, l’ “homme du blâme” serait encore dans le monde de la dualité. Sa démarche est pure mais il s’agit toujours d’une démarche, alors que la pureté du ṣūfī est intrinsèque à son état : pour Šihāb al-Dīn al-Suhrawardī, la sincérité de ce dernier est donc plus authentique15. Al-Ǧāmī se fonde à son tour sur la notion d’iḫlāṣ, affirmant que le malāmatī est sincère par volonté (muḫliṣ), tandis que le ṣūfī l’est par nature (muḫlaṣ)16.




Le paradoxe du malāmatī ne s’arrête pas là. Partant du principe que « celui qui est agréé par Dieu ne doit pas l’être par les hommes »17, il ne se contente pas de se fondre parmi la foule, mais cherche également sa réprobation. Pour briser son ego, il s’avilit volontairement aux yeux des créatures. Ibn Ḥaǧar al-Haytamī illustre l’intention délibérée d’auto-destruction (qaṣd al-taḫrīb) qui anime le malāmatī par l’exemple d’Ibrāhīm al-Ḫawwāṣ18. Voyant que les habitants de sa ville avaient pour lui beaucoup de vénération (yaʿtaqidūna-hu), cet autre Ḫawwāṣ vola un jour au ḥammām un habit appartenant au prince. Se pavanant avec dans la rue, il fut vite attrapé, battu, et obtint ce qu’il désirait : on le surnomma dès lors « le voleur du ḥammām ». Al-Haytamī s’empresse d’ailleurs de justifier ce vol, qui constitue bien évidemment une transgression de la Šarīʿa. Puisque le fiqh permet d’utiliser en cas de nécessité – pour se soigner par exemple – des matières illicites (muḥarram), al-Ḫawwāṣ pouvait bien administrer une médication à sa nafs par un interdit d’un autre type19.




Transgresser la Loi sacrée est en effet dans la société islamique le meilleur moyen de s’exposer au blâme public. Tous les comportements sont dès lors possibles, du laxisme religieux aux attitudes les plus provocantes. Ici se profile la déformation de la malāma, survenue rapidement si l’on en croit le témoignage d’al-Huǧwirī20. ʿAfīfī parle d’exagération (ġulūw) des principes du blâme21, mais il s’agit plutôt de leur inversion totale. Si le malāmatī est originellement « le paradigme de la sobriété »22, il devient souvent par la suite celui de l’outrance et de la mystification. Cette ambiguïté profonde transparaît dans nos sources biographiques, comme nous le verrons, mais aussi chez les auteurs.




Šihāb al-Dīn al-Suhrawardī est le premier à traiter amplement du qalandarī. Celui-ci, d’après le maître de la Suhrawardiyya, ne recherche que “la paix du cœur” (ṭībat al-qulūb), sans se soucier aucunement de son environnement. Alors que le malāmatī se contente d’occulter ses œuvres et ses états spirituels en prenant l’allure d’un homme ordinaire, le qalandarī, lui, travaille à détruire les règles de convenance sociales (taḫrīb al-ʿādāt). Son comportement n’en est pas moins authentique, même s’il se borne à pratiquer les œuvres (prière, jeûne, etc.) minimales23. Cependant, tous les auteurs postérieurs qui reprennent en des termes similaires la distinction fondamentale entre malāmatī et qalandarī insistent sur la dérive qui a rapidement entraîné ce dernier vers l’antinomianisme et l’hérésie. Ceux qui se prétendent qalandarī à l’époque d’al-Ǧāmī – celle qui nous concerne – ont en effet « ôté de dessus leurs cous les brides de l’islamisme »24. Ibn Ḥaǧar al-Haytamī dresse un constat identique en évoquant leur « affranchissement des œuvres de servitude » (taḥrīr al-ʿibādāt)25, et nous retrouvons, dans la description que fait d’eux al-Sanūsī, l’attitude excentrique du qalender26. Le pseudo-qalandarī constitue bien une déviation au second degré du malāmatī, par l’intermédiaire du qalandarī27.



II - Visages de la malāma : de la provocation outrancière à la totale transparence


La profondeur historique que nous avons voulu donner au malāmatī était indispensable pour saisir les multiples facettes du personnage que reflète la réalité de nos sources. Si l’on s’en tient à l’image retenue généralement par les orientalistes, l’ “homme du blâme” apparaît à la fin de l’époque mamelouke essentiellement sous l’aspect qalandarī : plutôt qu’à occulter sa sainteté, il s’emploie à bousculer les conventions, à braver les interdits et à choquer les esprits bien pensants ; il ne se fond pas en tout cas dans la masse des croyants, mais s’en distingue d’une manière assez proche du maǧḏūb28. Bien que Šaʿrānī ne réserve pas, comme l’avance M. Winter, le terme malāmatī à des « derviches dont la conduite est très repoussante »29, il est vrai néanmoins que ce genre de blâme ressort à première vue davantage que d’autres, notamment dans le milieu cairote. Nous l’aborderons donc avant d’envisager les expressions plus subtiles de la malāma.




L’usage de l’illicite – ou la simulation de cet usage – se justifie lorsqu’il s’agit d’avilir réellement son ego aux yeux des créatures. Al-Sanūsī suit la même position qu’al-Haytamī sur ce point : « Commettre certains interdits est moins nuisible pour l’âme que l’infatuation de soi-même (al-ʿuǧb) et les autres grands péchés (kabā’ir) que la vie en société suscite. »30 Des cheikhs dont on ne peut mettre en doute a priori la sincérité déploient pour cela les artifices les plus variés. L’atteinte aux bonnes mœurs constitue évidemment le moyen privilégié de s’exposer au blâme. L’accusation de pédérastie plane ainsi à plusieurs reprises sur Ibrāhīm al-Matbūlī31, lui qui confond par ailleurs un homme qui courait après un éphèbe32 ; ʿAlī Abū Ḫawḏa, à son tour, « s’intéresse ouvertement aux femmes et aux jeunes garçons et il fait dire que ses compagnons sont ses mignons »33, tandis que ʿAbd al-Qādir al-Ṣafadī « se cache derrière une apparente débauche (ḫalāʿa) »34. Le vol reste un paravent commode pour le malāmatī ; Afḍal al-Dīn al-Aḥmadī, le “frère sur la Voie” de Šaʿrānī, simule ainsi de détourner les aumônes versées aux pauvres à son profit35. De même peut-on établir un lien entre le fait que certains Damascènes considèrent ʿAlī al-Daqqāq comme un des afrād – la catégorie la plus élevée des malāmī-s selon Ibn ʿArabī – et son détournement apparent des revenus provenant du waqf de la mosquée des Omeyyades. Nous ne pouvons apprécier l’authenticité d’al-Daqqāq car ses contemporains sont eux-mêmes partagés à son sujet : tantôt saint (walī) et tantôt escroc (kaḏḏāb), il se dérobe à tout jugement objectif36.




C’est en la personne du cheikh d’Afḍal al-Dīn, Barakāt al-Ḫayyāṭ, que nous trouvons l’exemple le plus ostensiblement provocateur de la malāma. Portant un chèche à raies à la manière des Chrétiens, il encourt la réprobation des gens. « Sa boutique puait, dit Šaʿrānī, et était pleine d’ordures : il y mettait tous les chiens, chats ou moutons qu’il trouvait morts et personne ne pouvait venir s’asseoir chez lui. »37 Les notables religieux, qui affichent avec componction une piété très digne, constituent la cible privilégiée de ceux qui refusent toute complaisance à eux-mêmes et à autrui : le mufti d’al-Azhar et d’autres ʿulamā’ rendant visite à Barakāt un vendredi l’invitent à se joindre à eux pour prier la ǧumuʿa à la mosquée, et lui de leur répondre qu’il n’en a point l’habitude (mā lī ʿāda bi-ḏālik). Il atténue leur désaveu en leur assurant que pour eux tout spécialement il ira prier en ce jour. Les clercs ne sont pas au bout de leur déconvenue car, sur le chemin les menant à la mosquée, le cheikh Barakāt accomplit ses ablutions dans un réservoir où s’abreuvent les chiens, puis il chute à l’endroit où urinent les ânes. C’en est trop pour nos fuqahā’ qui le laissent là. Al-Ḫayyāṭ opère en fait par un tel comportement un renversement des valeurs identique à celui que provoque le maǧḏūb Ibn ʿUṣayfir par ses actes et ses paroles38 : «L’abreuvoir des chiens, dit le cheikh Barakāt à celui qui a amené chez lui les docteurs de la Loi, symbolise la source illicite de leur subsistance, et l’urinoir des ânes est à l’image de leur foi impure. »39 La provocation sociale n’a donc de sens, pour le malāmatī, que dans l’enseignement allusif qu’elle comporte : les vraies valeurs spirituelles sont intérieures, l’authenticité ne peut affleurer au-dehors sans être corrompue40.




Le clivage social entre ce type de malāmatī, qui appartient au monde des petits commerçants et artisans, et le milieu des notables religieux, ne saurait être dissimulé ; il corrobore en tout cas la parenté de l’ “homme du blâme” avec l’autre personnage qui défie la société musulmane de son temps : le maǧḏūb. Certains extatiques sont explicitement nommés malāmatī par Šaʿrānī41, et, outre l’obscénité qu’affichent volontiers l’un et l’autre types, une même excentricité dans l’allure extérieure les réunit parfois : Abū Ḫawḏa, l’ “homme au casque”, ne se sépare jamais en effet de cet ornement, et les esclaves noirs qui évoluent autour de lui portent également tous cet élément décoratif42. À l’instar des maǧḏūb-s, ces malāmatī-s sont sollicités par les maîtres soufis pour des missions spécifiques43. De façon plus générale, ces deux types de spirituels témoignent d’une égale rupture par rapport à la norme extérieure, sociale comme religieuse44. Il n’est donc pas surprenant que malāmatī et maǧḏūb qualifient souvent un même personnage45, ni que les auteurs occidentaux mettent en relief leur parenté en les traitant côte à côte46.




Au-delà de la transgression et de la provocation bien identifiées, la malāma se pratique selon d’autres modalités plus intérieures. L’ “homme du blâme” s’employant à briser sa nafs en quelque situation où il se trouve, il peut présenter les visages les plus divers, les plus paradoxaux, et apparaître là où on ne l’y attend point. La malāma se décèle alors plus qu’elle ne s’impose. Dévoilons-en quelques facettes. Beaucoup de maîtres de la Voie ont lutté contre le formalisme qui régna très tôt dans certaines sphères de la mystique musulmane. Le faqīr ne doit pas se laisser prendre au piège des apparences, même si elles prétendent refléter un état spirituel intérieur, car elles corrompent aussitôt l’authenticité de la démarche. Al-Sanūsī range ainsi des grands maîtres de la Voie, tels ʿAbd al-Qādir al-Ǧīlānī, ʿAlī Wafā, cheikh Madyan et Šams al-Dīn al-Ḥanafī, parmi les malāmatī-s car ils ont été dénigrés par les soufis pour les allures princières qu’ils affichaient et les vêtements somptueux dont ils se paraient47. De même, les réceptions fastueuses qu’organisait un des grands saints persans, le cheikh Abū Saʿīd (m. 440/1049) « étaient en flagrante contradiction avec les règles de la vie ascétique que le soufisme avait connues aux siècles précédents », et « son mode de vie, sa doctrine mystique [...] scandalisèrent non seulement les théologiens légalistes, mais encore les mystiques traditionalistes de son époque »48. Ce maître a d’ailleurs des affinités, à travers le temps et l’espace, avec celui que nous considérons comme un des grands représentants de la malāma. L’attitude de ʿAlī b. Maymūn al-Fāsī refusant de transmettre la ḫirqa, car elle trahit le “secret” et n’est le plus souvent qu’une parodie49, évoque l’ « ironie [du cheikh Abū Saʿīd] à l’égard du manteau mystique », symbole de l’hypocrisie qui s’est infiltrée dans le soufisme déjà à l’époque du maître50.




L’attrait qu’exercent en effet les cheikhs du taṣawwuf sur leurs contemporains les expose à contempler leur propre personnalité si exceptionnelle. Le regard de dévotion que leur portent la population et leur entourage agit comme un miroir et peut troubler l’authenticité de leur démarche. Étouffer la renommée qui entoure ces personnages en vue, l’isqāṭ al-šuhra, constitue un des fondements de la malāma51. Ainsi s’explique, croyons-nous, la fuite de ʿAlī b. Maymūn al-Fāsī vers les confins de la montagne libanaise. Al-Ġazzī y voit l’effet d’un état de resserrement spirituel (qabḍ) qui aurait saisi al-Fāsī sans qu’il puisse s’en dégager, mais cheikh ʿAlwān affirme que l’exil de ce dernier fut volontaire et qu’il s’agissait bien pour lui d’échapper aux séductions (fitan) que suscitait chez lui sa notoriété damascène52. Nous soutenons contre M. Winter que J. S. Trimingham a raison de voir en ce cheikh un personnage de « type essentiellement malāmatī »53. Pour al-Fāsī, l’âme charnelle inspirée par Satan est, selon l’expression d’al-ʿAfīfī, un « mal absolu » qu’il faut combattre54 ; il tient, à l’instar des premiers malāmatī-s, « l’âme en suspicion »55. La maîtrise du Šayṭān et de la nafs ne peut se faire qu’en les connaissant intimement, sans qu’aucune intrusion ne fausse cette relation56. L’extrême défiance qu’il montre vis-à-vis des karāmāt57 et sa réprobation de tout débordement spirituel constituent également une des règles de base de la malāma, pour laquelle ces démonstrations ne sont qu’une illusion suscitée par la ruse divine (istidrāǧ)58. L’intransigeance avec laquelle al-Fāsī considère son propre ego n’a d’égal que celle qu’il manifeste à l’égard d’autrui. Il traite souvent les notables religieux qui l’entourent de menteurs (kaḏḏābūn)59 et affirme, dans une de ses épîtres, qu’il n’a pu trouver, au cours de ses périples au Moyen-Orient, aucun homme sincère dans sa démarche spirituelle60. Un certain pessimisme se dégage en définitive de ses œuvres ; ce bas monde est en effet un mal, pour lui comme pour les malāmatī-s du Ḫurāsān, et ne peut inspirer que tristesse et dérision61.




D’autres cheikhs contemporains d’al-Fāsī et que la célébrité poursuit tout autant suivent une méthode identique. Son propre disciple, ʿAlī al-Kāzawānī, a été banni à Rhodes par les Ottomans, nous l’avons vu, sans doute à cause de l’impact qu’il avait à Alep62. Après cet exil, il va séjourner à la Mecque, mais s’aperçoit que sa réputation l’y a précédée. Les Mecquois le vénèrent en effet, et s’empressent autour de lui63, le distrayant ainsi de la Présence qui habite ce lieu. Afin de briser cette bonne réputation, le cheikh se met à simuler l’amour des choses mondaines et à quémander de l’argent à ses admirateurs64. Le stratagème réussit, car bientôt les gens le fuient. Ainsi justifie-t-il à Šaʿrānī, lors du pèlerinage où ils se rencontrent, le fait que la plupart des Mecquois le dénigrent65.




L’attitude d’al-Fāsī évoque également celle d’Abū al-Suʿūd al-Ǧāriḥī, et al-Ġazzī ne s’y trompe pas : reprenant la notice que consacre l’auteur des Ṭabaqāt au maître cairote, il ajoute que la discipline spirituelle de ce cheikh (ṭarīqa) est proche de celle des malāmatiyya66. Prétendant ne pas avoir de disciples67 alors qu’ils étaient très nombreux selon Šaʿrānī68, al-Ǧāriḥī conseille de ne jamais avoir de murīd ou de zāwiya, de ne pas laisser d’œuvre écrite et de fuir les gens, car l’époque dans laquelle il vit est celle de la fuite69. Ainsi, nous le voyons se déguiser pour ne pas être reconnu par ses compagnons, et disparaître de leur vue en se cachant à la Mecque. Deux d’entre eux, partis à sa quête jusqu’au Hedjaz, mèneront durant trois ans une course harassante entre cette région et le Yémen, se fiant aux informations que le cheikh fait circuler concernant sa présence dans l’un ou l’autre lieu. Lorsqu’enfin ils le trouvent à la Mecque, il répand sur eux toutes sortes de calomnies et ces disciples zélés finissent par être frappés et emprisonnés sans avoir entendu une seule bonne parole de sa bouche. Al-Ǧāriḥī appliquait déjà cette méthode au Caire, où il éprouvait pendant plusieurs années ses murīd-s en les accusant devant les dirigeants de forniquer, de tuer ou de voler ; puis il intercédait en leur faveur après qu’ils aient été battus...70 Le fait que les disciples d’al-Ǧāriḥī se rasent la barbe dans un but évident de provocation indique d’ailleurs chez lui une influence qalandarī71. La malāma de ce cheikh est évidemment outrancière par rapport à celle d’al-Fāsī, mais elle procède du même principe.




La relation à première vue surprenante du maître marocain avec ʿAbd al-Qādir al-Ṣafadī s’explique mieux désormais : les deux cheikhs illustrent des tendances du blâme qui ne sont pas aussi différentes qu’il n’y paraît à première vue. La malāma d’al-Ṣafadī s’extériorise certes par des comportements extravagants, mais derrière ce jeu, al-Fāsī et ses proches ont su déceler l’authenticité du personnage. Le cheikh de Galilée s’occulte également par des fonctions très communes, comme celles de muezzin et d’enseignant pour les enfants. Il n’aime pas, à l’instar d’al-Fāsī, les fuqarā’ qui revêtent l’habit de soufi72, et ne permet à personne de lui embrasser la main73. ʿAlī b. Maymūn lui demande-t-il l’autorisation de le rencontrer à Ṣafad, il lui répond que « le gueux des souks ne mérite pas d’être visité »74. Al-Fāsī exposera au grand jour sa sainteté75, déchirant ainsi le voile de la malāma. De fait, lorsqu’al-Ṣafadī vient à Damas après la mort du maître šāḏilī, il reçoit un accueil enthousiaste de la foule, tant à Ṣāliḥiyya qu’à la mosquée des Omeyyades ou en d’autres endroits de la ville76. Le cheikh de Ṣafad laisse l’empreinte de la malāma en Syrie, car al-Ġazzī voit en ʿAlī Ibn Ṣadaqa (m. 975/1568) son digne émule. Ce sermonnaire à la grande mosquée de Damas s’occulte, quant à lui, en fréquentant les oisifs et les vauriens, en se mêlant à leurs jeux dans les cafés et en fumant, dit-on, du haschisch. Il appartient donc aux malāmatiyya qui, selon l’auteur des Kawākib, « détruisent leur apparence extérieure pour édifier leur intérieur »77.




Le terme ḫumūl que cheikh ʿAlwān emploie à plusieurs reprises à propos de ʿAbd al-Qādir al-Ṣafadī78 désigne l’anonymat de celui auquel « on ne prête aucune attention »79. Il est dit de lui que « Dieu l’occulte » (aḫmala-hu Allāh)80 ; ce terme s’applique donc en premier lieu aux saints, « ceux que Dieu seul connaît », comme l’affirme le hadith qudsī81. Al-Subkī associe d’ailleurs, dans son Muʿīd al-niʿam, le ḫumūl aux soufis, disant que ceux-ci préfèrent généralement cette occultation au ẓuhūr, la manifestation de leur état spirituel82. Le ḫumūl équivaut au tasattur, qui permet au walī de se cacher derrière les paravents les plus divers. Nous avons déjà entraperçu différentes facettes de ce “déguisement”, celui du fiqh pour Aḥmad al-Zāhid et Zakariyyā al-Anṣārī, ou encore celui du ǧaḏb chez ʿAbd al-Qādir al-Dašṭūṭī et ʿAlī al-Kurdī. La malāma de certains cheikhs est encore plus transparente, et nous retrouvons enfin l’effacement total du serviteur, qui qualifie selon Ibn ʿArabī l’ “homme du blâme”. Šaʿrānī n’a jamais entendu parler de ʿAlī al-Ḏuwayb, avant d’être informé en rêve qu’il est le « pôle de la Šarqiyya » égyptienne. Ce cheikh préserve en effet son incognito en se voilant le visage, ou encore en revêtant tantôt l’habit du portefaix tantôt celui du charretier (al-tarrās)83. Quant à Muḥammad al-Tūzī, il passe la nuit seul en adoration sur la terrasse de la mosquée al-Ḥākim, vêtu de vieux habits usés qu’il ôte à l’aube pour prendre de jour une apparence mondaine. Modèle de transparence, il est faqīh avec les fuqahā’, faqīr avec les fuqarā’, gnostique lorsqu’il côtoie des ʿārifūn, et homme de la rue (ʿāmmī) au milieu de la foule84 : l’anonymat de ce cheikh égyptien évoque celui d’Ibn Ǧaʿdūn, un des Piliers (awtād) de la hiérarchie initiatique qu’a connu Ibn ʿArabī à Fès, et qui passait inaperçu dans son milieu en revêtant une apparence tout à fait banale85. Ce type de malāmatī se fond totalement dans son environnement, en épousant, tel un caméléon, ses aspects les plus divers. Le blâme devient alors la parure invisible de la sainteté.




La sobriété qui caractérise dans ce cas la malāma explique que son influence se soit diffusée dans les milieux de ʿulamā’ soufis par différents biais. L’affinité que la Naqšbandiyya entretient avec elle n’est pas que géographique : l’intériorisation de la spiritualité que propose cette voie procède d’une démarche identique, et le cheikh qui introduisit la ṭarīqa dans l’Empire ottoman à la fin du ixe/xve siècle, Molla Ilāhī86, répandit parallèlement en Anatolie et en Roumélie l’esprit malāmatī, « amoureux de l’humilité, ennemi de la gloire », tout en en dénonçant les déviations87. Par ailleurs, l’école spirituelle fondée par Ḥamdūn al-Qaṣṣār, qui s’identifia à la Malāmatiyya, conserve une influence au cours des siècles sous la forme d’une voie initiatique. Le cheikh syro-égyptien Abū al-Fatḥ al-Mazzī (m. 906/1501) mentionne en effet parmi ses nombreuses affiliations la Qaṣṣāriyya, par l’intermédiaire d’Abū Yazīd al-Bisṭāmī88. Quant à l’affiliation du cheikh hanbalite de Ṣāliḥiyya, ʿAbd al-Raḥmān Ibn Dā’ūd, à la Bisṭāmiyya, elle s’éclaire, semble-t-il, par l’intérêt qu’il prête à la malāma et à Ḥamdūn al-Qaṣṣār89. La tendance de certains cheikhs au blâme ne contredit donc aucunement chez eux une solide culture en sciences islamiques, et ce depuis les origines du courant90 : ʿAlī al-ʿAsalī, dont le malamatisme se traduit selon al-Ġazzī par l’intériorisation des actes91, n’en est pas moins un théologien et un savant polyvalent92.




Le propre de l’authentique malāmatī étant d’être occulté, ou du moins de présenter un visage d’emprunt qui préserve son intimité spirituelle, nous n’avons abordé ici que les aspects, sans doute restreints, de la malāma qui s’offraient à nous ; nous n’avons évoqué que les hommes qui ont suffisamment soulevé leur incognito pour que leur trace nous parvienne. Les umanā’, qu’Ibn ʿArabī met au degré suprême des malāmiyya, ne se connaissent pas entre eux93 : comment saurions-nous nous-mêmes les identifier ? D’autre part, tout spirituel musulman n’a-t-il pas recours à la malāma ? Ne peut-il se reconnaître dans le cheikh šāḏilī Muḥammad al-Maġribī, lequel, parlant à peine de la Voie, ne demande à ses disciples qu’une sincérité absolue et résume le Ṭarīq en deux mots : silence (sakta) et discrétion (lafta)94 ?


Éric Geoffroy 



Notes

1 La Qaṣṣāriyya ; cf. le Kašf al-maḥǧūb d’al-Huǧwirī, p. 412. Sur ce maître, cf. al-Qušayrī, Risāla, p. 426 ; al-Sulamī, Ṭabaqāt, p. 123-129 ; al-ʿAfīfī, al-Malāmatiyya wa al-ṣūfiyya wa ahl al-futuwwa, Le Caire, 1945, p. 38.

2 La racine arabe LWM implique l’idée de blâme, de reproche.

3 M. Chodkiewicz, Un océan sans rivage, p. 71.

4 « Aʿdā aʿdā’i-ka nafsu-ka al-latī bayna ǧanbay-ka. »

5 Nous renvoyons sur ce point à l’article déjà cité de R. Deladrière, « Les premiers Malāmatiyya » (à paraître). Sa traduction de la Risāla d’al-Sulamī s’intitule La lucidité implacable (Paris, 1991). Notons que lorsqu’al-Sanūsī présente « la voie des malāmatī-s », il précise qu’elle consiste à « purifier l’âme de la souillure de la fatuité et de l’hypocrisie » (taṭhīr al-nafs min ǧanābat al-ʿuǧb wa al-riyā’) ; cf. Salsabīl, p. 58.

6 ʿAwārif, p. 71-75.

7 Al-ʿAfīfī, al-Malāmatiyya, p. 21-22, 40, 53, 63, etc.

8 Lā yu’aṯṯiru al-bāṭin ʿalā al-ẓāhir (ibid., p. 87).

9 Ibid ; cf. également J. Chabbi, « Remarques », p. 70.

10 Il les nomme « les seigneurs parmi ceux qui suivent la Voie » (sādāt ahl ṭarīq Allāh), cf. Fut., éd. O. Y., XI, p. 340.

11 R. Deladrière rappelle à ce propos les liens subtils qui unissaient les deux maîtres (cf. « Les premiers Malāmatiyya », p. 12 du texte non imprimé que nous a communiqué l’auteur).

12 Le statut privilégié du malāmī chez Ibn ʿArabī, ainsi que des catégories de saints qui s’y rattachent (afrād, umanā’, etc.), a été étudié par M. Chodkiewicz dans Le Sceau des saints (cf. le chap. VII) et dans Un océan sans rivage (notamment p. 70-72, 153, 155) ; il est évoqué également par Cl. Addas (Ibn ʿArabī, p. 95-97, 185). Al-Sanūsī écrit dans ce sens que la malāma se pratique en « dépouillant la nafs de toute prétention individuelle » (taḫliyatu-hā min ḥubb al-riyāsa) et « en l’ornant de la pure servitude » (taḥliyatu-hā bi-al-ṣifāt al-ʿabdiyya) ; cf. Salsabīl, p. 58.

13 Durar al-ġawwāṣ, p. 93.

14 Al-Ǧāmī, Vie des soufis, p. 51. Il est intéressant de relever qu’al-Huǧwirī reprochait déjà à un malāmatī de Transoxiane (mā warā’ al-nahr) de s’occuper des gens, alors qu’eux ne se soucient aucunement de lui (Kašf al-maḥǧūb, p. 265).

15 L’auteur des ʿAwārif parle d’iḫlāṣ à propos du malāmatī, et de muḫālaṣat al-iḫlāṣ pour le ṣūfī (p. 72-73) ; cf. également les Ādāb al-murīdīn de son oncle Abū Naǧīb Suhrawardī, Le Caire, s.d., p. 23. Il faut toutefois remarquer que les positions d’Ibn ʿArabī et d’al-Suhrawardī ne sont pas contradictoires : le Šayḫ al-Akbar voit dans le malāmī le modèle du serviteur, tandis que le maître irakien fait référence au courant ḫurāsānien des malāmatī-s dont il montre les limites.

16 Loc. cit., p. 52.

17 Al-Huǧwirī, Kašf al-maḥǧūb, p. 260.

18 Sur ce maître mort en 291/903, voir les références données par R. Deladrière dans son Traité de soufisme, p. 207, n° 40.

19 al-Fatāwā al-ḥadīṯiyya, p. 317.

20 Celui-ci stigmatise les prétendus malāmatī-s aux comportements religieux aberrants (Kašf al-maḥǧūb, p. 263). Si l’on en croit la Risāla d’al-Sulamī, les « apparences déplaisantes » qu’affichaient les premiers malāmatī-s restaient dans le cadre de la Šarīʿa (cf. l’art. de R. Deladrière, p. 16).

21 Loc. cit., p. 46.

22 M. Chodkiewicz, Un océan sans rivage, p. 153.

23 ʿAwārif, p. 77-78.

24 Vie des soufis, p. 64.

25 Loc. cit., p. 328.

26 Salsabīl, p. 30-31.

27 Al-Suhrawardī ouvre de manière révélatrice le chapitre où il traite de « ceux qui se disent ṣūfī-s sans l’être réellement » par le personnage du qalandarī (ʿAwārif, p. 77).

28 Cf. J.-Cl. Garcin, « Index », p. 43, et « Histoire et hagiographie », p. 307-308 ; M. Winter, Society and Religion, p. 115-116 et « Sheikh ʿAlī Ibn Maymūn », p. 288 ; J.-Cl. Vadet, « La Futuwwa », p. 64.

29 Society and Religion, p. 115-116.

30 Al-Sanūsī reprend d’ailleurs l’exemple du « voleur du ḥammām » cité par al-Haytamī (Salsabīl, p. 60). Il ajoute, comme on peut s’y attendre, qu’il ne faut ni critiquer ceux qui s’adonnent à de tels actes répréhensibles, ni les prendre comme modèles (ibid., p. 61).

31 Cf. notamment Ṭ.K., II, p. 85.

32 Ibid., II, p. 87.

33 J.-Cl. Garcin, « Histoire et hagiographie », p. 307.

34 Kaw., I, p. 243.

35 Salsabīl, p. 59.

36 Al-Buṣrawī, Tārīḫ, p. 216, et supra, p. 111.

37 Nous reprenons ici la traduction de ce passage des Ṭabaqāt (II, p. 144) par J.-Cl. Garcin dans son article « Le sultan et Pharaon », p. 267. Al-Ġazzī commente cette attitude en ajoutant que Barakāt cachait son niveau spirituel par une saleté apparente (taqaḏḏur) ; cf. Kaw., I, p. 167.

38 Cf. supra, p. 326.

39 Ṭ.K., II, p. 144.

40 Cette provocation ne transgresse pas obligatoirement la Loi ; elle peut rester dans le champ des comportements qu’elle autorise, (al-afʿāl al-mubāḥa ; cf. al-Sanūsī, Salsabīl, p. 58). La distinction est d’importance au regard des ʿulamā’. Ibn Taymiyya, par exemple, agrée le malāmī qui ne fait pas de concession à son ego tout en accomplissant des actes « loués par Dieu et son Prophète » ; il rejette par contre le malāmatī dont le blâme s’exprime par la transgression de la Loi ; cf. Maǧmūʿ al-fatāwā, X, p. 61 (notons que l’éditeur de ce texte, un wahhabite sans doute peu versé en mystique, a imprimé dans les deux cas le mot malāmī, mais le second doit assurément être lu malāmatī).

41 C’est le cas de Naṣr (Kaw., I, p. 311)

42 Ṭ.K., II, p. 135.

43 ʿAlī al-Marṣafī agit de la sorte avec le cheikh Barakāt, comme le fait ʿAlī al-Ḫawwāṣ avec les extatiques aṣḥāb al-nawba. Le fait que malāmatī et maǧḏūb soient les auxiliaires précieux de certains maîtres apparaît dans une remarque du même Barakāt à propos d’al-Marṣafī : le premier y affirme de manière allusive que des hommes comme lui effectuent des tâches spirituelles lourdes, dont ces maîtres retirent le bénéfice aux yeux des créatures (ibid., II, p. 144).

44 La provocation du malāmatī, comme celle du maǧḏūb, peut revêtir un aspect ludique ; elle n’en heurte pas moins la conscience ordinaire. ʿAbd al-Qādir al-Ṣafadī affirme ainsi à qui veut l’entendre que « Dieu n’est pas généreux (karīm) » ; rien ne Lui étant en effet comparable (laysa ka-miṯli-hi šay’ ; Cor., XLII, p. 11), « on ne peut L’assimiler à une biche » (laysa ka-rīm) ; cf. Kaw., I, p. 244.

45 Dans des recueils de lignages initiatiques (al-Zabīdī, Itḥāf, fol. 28, à propos de la Zarrūqiyya), ou chez les hagiographes (cf. les exemples que donne A. L. de Prémare pour la tradition marocaine, loc. cit., p. 92 notamment).

46 J.-Cl. Garcin, « Index », p. 43 ; « Histoire et hagiographie », p. 307-309 ; M. Winter, Society and Religion, p. 114-115.

47 Salsabīl, p. 58-59.

48 Mohammad Ebn Monawwar, Les étapes mystiques du shaykh Abu Saʿid, p. 10. L’éditeur du texte fait expressément d’Abū Saʿīd un malāmatī (ibid.).

49 Cf. son Bayān al-aḥkām, fol. 170a-b, et Kaw., I, p. 272. Rappelons-nous la vigueur avec laquelle le maître maghrébin stigmatise le matérialisme spirituel des pseudo-soufis.

50 Les étapes mystiques, p. 11. Dès l’origine, le malāmatī est iconoclaste vis-à-vis de l’habit du faqīr ; il doit « se dévêtir de la muraqqaʿa (le manteau rapiécé des soufis) pour ne pas abuser les gens et s’abuser lui-même », selon Ḥamdūn al-Qaṣṣār (al-Huǧwirī, Kašf al-maḥǧūb, p. 412). Cf. également al-ʿAfīfī, loc. cit., p. 40. La pauvreté spirituelle ne saurait s’afficher, affirme al-Fāsī, sinon elle n’est qu’imposture (nifāq) ; cf. Bayān al-aḥkām, fol. 171a. Après avoir rapporté qu’un des maîtres de la Madyaniyya de Tunisie, Aḥmad b. Maḫlūf al-Šābbī, endossait des habits aussi divers que ceux de l’émir, du cadi ou du faqīr, cheikh ʿAlwān souligne que le parfait connaissant (ʿārif) n’est pas tenu par un vêtement particulier, et surtout pas par la muraqqaʿa des soufis. Les gens de Hama, ajoute-t-il, critiquaient les membres de cette voie car ils portaient leurs habits à l’envers, autre indice de l’anticonformisme de type malāmatī de la Šāḏiliyya syrienne (Muǧlī al-ḥuzn, fol. 86a).

51 Al-ʿAfīfī, loc. cit., p. 68.

52 Kaw., I, p. 277 ; Muǧlī al-ḥuzn, fol. 117a. Les précisions de cheikh ʿAlwān, qui connaissait bien son maître, ne contredisent en rien le fait qu’al-Fāsī ait pu être sujet au qabḍ ; cette modalité caractérise, semble-t-il, le maître maghrébin, et Ibn ʿAṭā’ Allāh ne dit-il pas que le qabḍ est plus propice que le basṭ (dilatation spirituelle) à l’état de servitude (Laṭā’if al-minan, p. 111) ? Sur l’importance du couple qabḍ et basṭ dans la tradition šāḏilī, cf. Paul Nwyia, Ibn ʿAbbād de Ronda, Beyrouth, 1961, p. 109.

53 « Sheikh ʿAlī Ibn Maymūn », p. 288, note 41 ; The Sufi Orders, p. 89.

54 Loc. cit., p. 51.

55 Cf. l’art. de R. Deladrière, p. 21.

56 Al-Fāsī traite de ce point dans une épître destinée à mieux armer les novices contre les pièges de Satan : Mawāhib al-Raḥmān fī kašf ʿawn al-Šayṭān (ms. Damas) ; mais le cheikh marocain revient fréquemment sur ce thème dans son œuvre. D’autre part, la confession des pensées (šakwā al-ḫawāṭir) que pratiquent al-Fāsī et les maîtres de sa voie a pour but de purifier l’âme du disciple.

57 Souvenons-nous de la réaction très violente qu’il eut à l’égard de ʿAlī al-Kāzawānī ayant fait miraculeusement disparaître des lions dans la campagne de Hama (cf. supra, p. 221, note 104).

58 Al-ʿAfīfī, loc. cit., p. 63-64.

59 Al-Fāsī dénonce par là le manque de sincérité qu’il décèle en eux (Kaw., I, p. 50 et également I, p. 276).

60 Cf. sa Risālat al-iḫwān min ahl al-fiqh wa ḥamalat al-Qur’ān, ms. Damas, fol. 6b. L’expansion qu’y a d’ailleurs connue sa voie, ajoute-t-il, s’est faite contre son gré (ibid.).

61 Al-ʿAfīfī, loc. cit., p. 42 ; R. Deladrière, « Les premiers Malāmatiyya », p. 21. Un dernier indice confirme la tendance malāmatī prononcée d’al-Fāsī : il a pour disciple une personne explicitement associée à la malāma, ʿAbd Allāh Ibn Salāma, « celui qui a poli l’âme qui se blâme » (littéralement, « qui a rasé la barbe de l’âme... », ḥāliq liḥyat al-nafs al-lawwāma), et dont le nom rime, comme le souligne al-Ġazzī, avec le terme malāma (Kaw., I, p. 50).

62 Cf. supra, p. 142, note 233.

63 « Iʿtaqadū-nī wa aqbalū ʿalay-ya. »

64 « Taẓāhartu bi-ḥubb al-dunyā wa su’āl-ī la-hum min al-ṣadaqāt. »

65 Ṭ.K., II, p. 180.

66 Kaw., I, p. 48.

67 « Laysa lī aṣḥāb », affirme-t-il (Ṭ.K., II, p. 130).

68 Ibid., II, p. 129.

69 Ibid., II, p. 130.

70 Ibid.

71 Kaw., I, p. 48.

72 Cheikh ʿAlwān, Šarḥ silk al-ʿayn, fol. 18b.

73 Ibid., fol. 15a.

74 Inna miškāḥ al-aswāq lā yuzār ; ibid., fol. 16a-b, et Kaw., I, p. 244. Sur le terme miškāḥ, cf. Dozy, Suppl., I, p. 777.

75 Cf. supra, p. 110-111.

76 La visite que lui rend même le vice-roi soulève une tempête chez certains ʿulamā’ damascènes (Mufākaha, I, p. 328-329).

77 Kaw., III, p. 191.

78 Cf. notamment Šarḥ silk al-ʿayn, fol. 16b ; Muǧlī al-ḥuzn, fol. 14a.

79 Lā nabāha la-hu, dit Ibn Manẓūr (Lisān al-ʿarab, IV, p. 221). Lā yuʿrafu wa lā yuḏkar, ajoute-t-il. Cet état est bien entendu celui d’al-Ṣafadī avant qu’al-Fāsī ne le dévoile. Peut-être al-Ġazzī s’inspire-t-il de cheikh ʿAlwān quand il emploie le même mot ḫumūl pour décrire l’incognito du cheikh palestinien dans sa ville : kāna ḫāmil al-ḏikr bi-madīnat Ṣafad maǧhūl al-qadr ʿinda ahli-hā (cf. Kaw., I, p. 243).

80 Ibid.

81 « Awliyā’ī taḥta qubbā’ī (Mes saints sont [abrités] sous mes coupoles), lā yaʿrifu-hum ġayr-ī » : cité par al-Huǧwirī à propos des malāmatiyya (Kašf al-maḥǧūb, p. 261).

82 Voir p. 176.

83 Dozy, Suppl., I, p. 144. Cf. Ṭ.K., II, p. 136 ; Kaw., II, p. 219-220. Notons que Šaʿrānī place al-Ḏuwayb parmi les « grands malāmatī-s », alors qu’il ne se livre à aucun acte provocateur : l’auteur des Ṭabaqāt donne plus d’ampleur à ce type spirituel que M. Winter ne veut bien le reconnaître (Society and Religion, p. 115-116).

84 Kaw., I, p. 94.

85 M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints, p. 126 ; Cl. Addas, Ibn ʿArabī, p. 185.

86 Cf. supra, p. 130.

87 Cf. M. Kara, « Molla Ilāhī », dans Naqshbandis, p. 324.

88 al-Ḥuǧǧa al-rāǧiḥa, fol. 45.

89 Adab al-murīd, fol. 12, 58.

90 Cf. la Risāla d’al-Qušayrī, qui mentionne un disciple d’al-Qaṣṣār, ʿAbd Allāh b. Munāzil (m. 329/941), présenté comme ʿālim spécialiste du hadith (p. 435).

91 Inna la-ġālib ʿalay-hi aḥwāl al-malāmatiyya wa inna ġālib aʿmāli-hi qalbiyya.

92 Al-Ġazzī mentionne seulement que ce cheikh est mort après Šaʿrānī, donc dans la seconde moitié du xe/xvie (Kaw., III, p. 180-181).

93 Ce qui les distingue, selon le Šayḫ al-Akbar, des autres classes de saints (Fut., XI, p. 364).

94 Ṭ.K., II, p. 115.

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