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[Émir Abd El-Kader, Kitâb al-Mawâqif, Mawqif 36, traduit et annoté par A. Penot dans Le Livre des Haltes, éd. Dervy, p.141-143]
Nous n’avons envoyé des prophètes qu’afin qu’ils soient obéis, avec la permission de Dieu (1).
Dieu nous fait savoir parce verset qu’il n’est pas un envoyé qui n’ait été obéi de tous les hommes auprès desquels il avait été envoyé. Que ceux-ci l’aient accrédité ou renié, qu’ils aient été d’entre les égarés ou d’entre les bien-guidés, tous se soumettaient, soit à un ordre clairement exprimé, soit à une Volonté [divine] non formulée. Si Dieu, en effet, envoie Ses prophètes afin qu’ils soient obéis, on ne saurait concevoir qu’il puisse en être autrement… Chaque prophète sera de fait l’instrument par lequel les uns seront guidés et les autres égarés ; et, en définitive, il n’est envoyé que pour mettre en évidence ces deux formes d’obéissance [à une Volonté divine unique]. Dieu ne dit-Il pas [d’une façon similaire] à propos du Coran : [C’est] par lui qu’Il en guide une multitude, et encore par lui qu’Il en égare une multitude (2).
Il n’est cependant aucun prophète qui ait reçu une soumission de son peuple si claire, que tous ceux auprès desquels il avait été missionné aient été guidés sans exception, et pas un qui n’ait été désobéi au point qu’aucun membre de sa communauté n’ait été guidé. Tout prophète doit nécessairement, au cours de sa mission, rencontrer ces deux types de comportement, et ceux auxquels il a été envoyé ne peuvent que se soumettre en se conformant à l’un des deux statuts. Ainsi manifestent-ils à la fois, au sein de leur communauté, la guidance et l’égarement : celui qui est guidé obéit à un ordre apparent (zâhir), et l’égaré se soumet à un ordre sous-jacent (bâtin) ; quant au prophète, il est bel et bien envoyé pour mettre ces deux orientations en évidence, car sa mission consiste à distinguer la bonne direction de l’égarement (al-rushd min al-ghayy) (3). C’est dans la mesure où l’errance de l’égaré était initialement imperceptible, et qu’elle se révèle en présence du prophète, que l’on peut considérer son égarement, sous ce rapport tout au moins, comme une forme d’ « obéissance ». Car il faut que l’erreur comme la guidance soient mises en évidence par la venue du prophète, comme si ce dernier avait été envoyé expressément pour cela (4). Ainsi, manifester ouvertement son insoumission au prophète revient encore [en un sens] à lui obéir.
Avec la permission de Dieu (bi-idhni-Llâh) signifie en conformité avec Sa Science. En d’autres termes, la soumission témoignée au prophète de l’une de ces deux manières différentes, ainsi que la manifestation des effets (litt : traces, âthâr) propres à ces deux Noms divins Celui qui guide (al-Hâdî) et Celui qui égare (al-Mudill), ne se produisent qu’en conformité avec Sa Science et sa Volonté. Notre Seigneur – exalté soit-Il – est bien trop élevé pour qu’il se produise dans Son Royaume ce qu’Il ignorerait, ou qui contreviendrait à Sa Volonté !
(1) Cor. 4, 64 [wa mâ arsalnâ min rasûlin illâ li-yutâ’a bi-idhni-Llâh].
(2) Cor. 2, 26 [yudillu bihi kathîran wa yahdî bihi kathîran [wa mâ yudillu bihi illâ-l-fâsiqîn].
(3) Cor. 2, 256 [lâ ikrâha fî-d-dîn qad tabayyana ar-rushdu min al-ghayy fa-man yakfuru bi-t-tâghût wa yu’min bi-Llâh fa-qad istamsaka bi-l-‘urwah al-wuthqâ lâ infisâma lahâ wa-Llâhu samî’un ‘alîmun ; « Nulle contrainte en religion ! Car le bon chemin s’est distingué de l’égarement. Donc, quiconque mécroit au Rebelle tandis qu’il croit en Allah saisit l’anse la plus solide, qui ne peut se briser. Et Allah est Audient et Omniscient. »].
(4) On peut se rappeler à cette occasion la formule évangélique selon laquelle « il faut que le scandale arrive ». [René Guénon avait terminé le premier chapitre de La crise du monde moderne par : « La civilisation moderne, comme toutes choses, a forcément sa raison d’être, et, si elle est vraiment celle qui termine un cycle, on peut dire qu’elle est ce qu’elle doit être, qu’elle vient en son temps et en son lieu ; mais elle n’en devra pas moins être jugée selon la parole évangélique trop souvent mal comprise : « Il faut qu’il y ait du scandale ; mais malheur à celui par qui le scandale arrive ! » »]
[Émir Abd El-Kader, Kitâb al-Mawâqif, Mawqif 36, traduit et annoté par A. Penot dans Le Livre des Haltes, éd. Dervy, p.141-143]
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