بـــسْم ﭐلله ﭐلرّحْمٰن ﭐلرّحــيــم ﭐللَّهُمَّ صَلِّ عَلَى سَيِّدِنَا مُحَمَّدٍ وَ عَلَى آلِهِ و صحبه وَ سَلِّمْ السلام عليكم و رحمة الله و بركاته
vendredi 22 juin 2012
Le soufisme en Égypte et en Syrie - Éric Geoffroy - Chapitre XIII - La voie initiatique : un organisme multiforme
Éric Geoffroy
I - Soufisme et sainteté : un même visage
1 - Le voile de la walāya
2 - Les piliers “invisibles” du monde
3 - L’intercession dans les deux mondes
4 - Un rôle d’intégration
5 - Le miracle au service de la Communauté
II - Le prince et le saint
1 - Mamelouks et Ottomans : un intérêt partagé pour le soufisme
Un code de relations
Une allégeance publique au saint
Quel soufisme reçoit la faveur des Mamelouks?
Émirs, soufis et fuqahā’
Ottomans et soufisme
Le mariage entre une dynastie et une doctrine
2 - Autorité spirituelle et pouvoir temporel : le gouvernement de l’Invisible
I - Soufisme et sainteté : un même visage
Derrière les termes taṣawwuf, ṣūfiyya, mutaṣawwifa, c’est la sainteté qui est visée (al-walāya, al-ṣalāḥ). Les cheikhs comme leurs biographes en témoignent par l’équivalence qu’ils établissent entre les uns et les autres vocables. L’inflation de la titulature que nous avons constatée chez les bio-hagiographes ne reflète-t-elle pas la place éminente que donne au saint la société dans son ensemble1 ? Le linceuil d’Ibn Nūḥ acheté cinquante miṯqāl-s2, les habits ayant appartenu à al-Yāfiʿī ou à Suyūṭī se vendant à prix d’or tels des reliques3, les gens ne pouvant accéder à Šams al-Dīn al-Dimyāṭī à cause de la foule et lançant leur vêtement contre le sien pour se le passer ensuite sur le visage4, la population profondément ébranlée à la nouvelle de la mort de Muḥammad al-Šinnāwī5 : autant de marques de vénération qui s’expliquent par le rôle essentiel que tiennent les hommes de Dieu dans la société.
L’usage facile que toutes les sources font du terme iʿtiqād dénote peut-être l’appauvrissement de la conception de sainteté ; mais il témoigne certainement de la diffusion de l’idée de walāya dans la société. Nous avons souligné que cette « croyance » (iʿtiqād) en la sainteté d’un personnage et la vénération qu’elle suscite provenaient des couches les plus diverses. On ne saurait voir, par exemple, une manifestation de piété populaire dans l’attention portée aux extatiques qui hantent la rue ; malgré leur excentricité, les ʿulamā’ sentent chez eux les effluves de la sainteté. Il nous suffit de relever que Suyūṭī considère Muḥammad al-Maǧḏūb, qui lui prédit la mort prochaine de son père, comme « un grand saint »6, et nous aurons donné le ton qui prédomine alors dans le milieu des ʿulamā’7.
1 - Le voile de la walāya
Plus le rang spirituel du saint est élevé, plus il doit se voiler des regards profanes. Al-Ġazzī évoque explicitement cette loi à propos de Sulaymān al-Ḫuḍayrī : « Il s’occulta de plus en plus à la fin de sa vie, écrit-il, compte tenu de son haut degré spirituel. »8 Cheikh ʿAlwān distingue deux sortes d’ “hommes de Dieu” (riǧāl) : ceux qui sont tournés vers les créatures (riǧāl ḫalq) et connus d’elles (mašhūrūn), et ceux qui sont voilés par Dieu de leur regard (riǧāl Ḥaqq mastūrūn)9. Il cite un peu plus loin une parole audacieuse d’Abū al-ʿAbbās al-Mursī affirmant qu’il est plus difficile de connaître le saint (walī) que de connaître Dieu10. Le maître de Hama emploie ailleurs une belle image : Dieu cache ses saints comme il cache la Nuit du Destin (laylat al-qadr) parmi les dix dernières nuits de Ramaḍān11.
La sainteté n’a donc pas toujours un visage manifeste ou spectaculaire ; ce fait suscite, semble-t-il, une véritable quête du saint dans la société. Voilée, la walāya doit être détectée chez tous les hommes spirituels, du docteur de la Loi à l’extatique de la rue12. Un saint (baʿḍ al-awliyā’) conseilla ainsi à Zakariyyā al-Anṣārī d’occulter sa sainteté derrière le paravent du droit musulman (fiqh), l’extériorisation de la Voie (al-Ṭarīq) n’étant plus compatible, selon lui, avec leur époque ; et le grand cadi de souligner que depuis lors, il ne montra presque rien des états spirituels qu’il partage avec les soufis (aḥwāl al-Qawm)13. Le cheikh palestinien ʿAbd al-Qādir al-Ṣafadī (m. 915/1509) déploie lui aussi cette ruse ; il y ajoute un apparent dévergondage (ḫalāʿa) et s’adonne de manière effrénée à la musique dans les souks et les fêtes14, ceci jusqu’à ce que ʿAlī b. Maymūn al-Fāsī le dévoile aux gens de Ṣafad et au-delà. ʿAbd al-Qādir lui demande alors de préserver son occultation, comme s’il cachait quelque vice enfoui, mais al-Fāsī veut au contraire divulguer sa sainteté15. Voici encore ʿAbd al-Qādir al-Dašṭūṭī (m. 924/1518) qui prend l’aspect d’un maǧḏūb, bien qu’il soit lucide (ṣāḥī)16, ou ʿAlī al-Kurdī (m. 925/ 1519) qui s’adonne au même jeu et brouille les pistes en changeant constamment d’accoutrement (il revêt tour à tour l’habit de l’émir, du cheikh, du soldat, etc.)17.
Toute personne est en fin de compte susceptible d’être un saint cherchant à se voiler du commun par les attitudes les plus diverses, comme nous le verrons à propos des malāmatī. Cette conception crée par contrecoup une certaine ambiguïté quant à l’authenticité de la walāya de tel ou tel personnage, et explique les opinions divergentes émises sur lui. Les gens sont partagés à propos de l’ivresse spirituelle (sukr al-ḥāl) qui saisit fréquemment Abū al-Mawāhib ; selon leur propre entendement, ils en parlent en bien ou en mal18. Les Damascènes, eux, apprécient différemment ʿAlī al-Daqqāq ; pour certains, c’est un walī, pour d’autres un menteur19.
Derrière le thème du “saint caché” se profile en fait l’ombre de la hiérarchie initiatique des saints, qui se projette constamment sur la société islamique médiévale.
2 - Les piliers “invisibles” du monde
ʿAlī al-Ḫawwāṣ explique à Šaʿrānī que le Pôle (quṭb, pl. aqṭāb) de la hiérarchie initiatique des saints soutient le monde sans être vu20 ; pour cette raison, des maîtres soufis jouissant d’une grande notoriété ne peuvent être des aqṭāb21. De même, il ne sied pas au Pôle de montrer les signes miraculeux dont il est gratifié car sa fonction l’oblige à se cacher22. Pourtant, jamais peut-être dans l’histoire islamique les « hommes du monde invisible » (riǧāl al-ġayb), dont le nombre varie légèrement selon les auteurs, n’ont été aussi présents, aussi manifestés qu’en cette fin d’époque mamelouke23. La hiérarchie des « saints apotropéens », comme les appelle Massignon, « axe vertical au long duquel se distribuent les degrés et les fonctions » spirituels24, est évoquée en effet par les sources les plus diverses. Toutes témoignent de l’imprégnation profonde dans la société de ce qui est pour certains un mythe collectif et pour d’autres une réalité d’ordre subtil. Le gouvernement ésotérique du monde que le musulman traditionnel, toutes classes confondues, accorde aux saints se laisse entrevoir plus particulièrement dans ses implications politiques25. Cette doctrine suscite évidemment beaucoup de polémiques de la part des exotéristes26. Contentons-nous pour l’instant d’en relever les principales manifestations dans la société.
La tâche essentielle qu’attribuent à la communauté des saints les paroles prophétiques est d’assister et de protéger les créatures, de prendre sur eux les calamités (balā’) venant du ciel27. Selon al-Ḫawwāṣ, ces fonctions rendent le Pôle et ses proches indispensables à l’équilibre cosmique ; « si le Pôle et son entourage ne supportaient pas les épreuves du monde, dit-il, celui-ci serait anéanti en un instant. »28 Quelque interprétation que l’on donne à ces paroles, il est indéniable qu’elles correspondent à un rôle social très tangible. ʿAlī al-Nabtītī ne mange ni ne dort lorsqu’un malheur arrive aux musulmans, tandis que Muḥammad Ibn Abī al-Ḥamā’il, tel le joueur de flûte de la légende allemande, délivre un village des rats qui l’infestaient29. Afḍal al-Dīn al-Aḥmadī, le compagnon de Šaʿrānī, « porte les soucis des gens au point d’avoir le corps totalement décharné »30, et Muḥammad Ibn ʿInān prend sur lui les maladies des personnes « utiles à la société » (al-nāfiʿīn li-al-nās)31. Ce cheikh, par ailleurs, pressent qu’al-Ḫawwāṣ attire sur lui-même un fléau devant descendre sur l’Égypte, en la personne du tyrannique émir Ǧānbulāt qui martyrise le saint sans raison apparente32. Al-Ḫawwāṣ est attaché « au service du Nil », donc de la vie elle-même : chaque année, il nettoie le Nilomètre (miqyās) de ses propres mains, pleurant et suppliant Dieu d’accorder au pays une crue bénéfique. Les autres saints reconnaissent que grâce à lui verdit l’Égypte33. Dans sa fonction de protecteur, il utilise certains personnages doués de dévoilement (kašf) car ils sont directement en prise avec le monde invisible. Ainsi, lorsqu’il redoute la venue d’une calamité, il se préoccupe de savoir si Muḥaysin al-Bursalī a allumé son feu ; si c’est le cas, un malheur, une catastrophe s’annoncent ; sinon, c’est la paix assurée pour l’Égypte34. Notons que la tradition islamique attribue aux saints une telle fonction depuis les origines ; Suyūṭī cite la parole d’un des Tābiʿīn (génération suivant celle des Compagnons), selon laquelle « il se trouve dans toute agglomération quelqu’un grâce auquel Dieu détourne [les fléaux] »35.
La sauvegarde de la Communauté est assurée par une autre figure d’homme spirituel : le ḫafīr. Il s’agit généralement d’un maǧḏūb plus ou moins vagabond dont la fonction est de garder, de protéger la ville36. Jusqu’au xxe siècle, Damas attribuait à certains de ses “ravis en Dieu” un tel rôle. À la fin de l’époque mamelouke, ce personnage apparaît surtout dans le Bilād al-Šām. Les Damascènes ont Abū Sanqar al-Baʿlī (m. 930/1524), en qui ils voient un des abdāl37, tandis que ʿĪsā al-Ġawrī veille sur Jérusalem38. Prenons garde ne pas faire du ḫafīr un thème de la religion populaire ; le strict ʿAlī b. Maymūn al-Fāsī, par exemple, considère le maǧḏūb ʿAlī Ibn al-Samīka comme un grand saint. Il l’appelle « le ḫafīr », et, selon son disciple cheikh ʿAlwān, il déclare fréquemment : « Béni (ṭūbā) est le lieu ou la ville qui abrite ʿAlī b. al-Samīka ! »39 Véritables consciences de leur ville, ces personnages exercent aussi une vigilance très concrète : Niʿma, le maǧḏūb de Ṣafad, empêche les voleurs d’opérer par divers miracles40, tandis que Qāsim Ibn Zalzal les affronte par son seul courage dans les rues d’Alep41. L’insécurité qui règne dans la cité à la fin du régime mamelouk en Syrie semble avoir suscité beaucoup de vocations...42
3 - L’intercession dans les deux mondes
Le rayonnement des cheikhs se mesure aux sollicitations dont ils sont l’objet de la part de la population. Si le saint représente l’intermédiaire privilégié entre Dieu et les hommes, si une femme vient demander à cheikh Madyan l’entrée au Paradis en échange de trente dinars43, le walī a également pour mission d’élever vers les puissants de ce monde les requêtes du peuple anonyme. Le terme arabe šafāʿa recouvre les deux niveaux d’intercession, de même que le ǧāh du cheikh qui lui permet d’intercéder désigne un prestige spirituel d’abord, puis temporel.
La šafāʿa à laquelle ont recours les cheikhs auprès des dirigeants des deux régimes relève presque de la banalité, tant elle revient fréquemment dans les sources de l’époque. Plus le cheikh est notoire, plus les gens le chargent de leurs espoirs. Muḥammad al-Ḥanafī présente en un seul jour trente-cinq requêtes au sultan Ṭaṭar ; « Ne cesse pas d’intercéder auprès de moi, dit ce dernier au cheikh, car même si tu me présentais chaque jour mille requêtes, je les exaucerais. »44 Comme dans le cas du “conseil au prince”, la šafāʿa est attendue par le sultan. Elle semble constituer une sorte de gage de l’éthique du pouvoir, et à la fin de l’époque mamelouke, elle fait l’objet d’une véritable institutionnalisation ; le cheikh ʿUbayd al-Danǧāwī (m. 935/1529) a ainsi sept représentants ou naqīb qui ont pour unique mission d’exercer la fonction d’intermédiaire entre la population et le pouvoir45. Le prestige des maîtres soufis dans la société explique le rôle délicat qu’on leur fait parfois remplir. Les ʿulamā’ de Damas ont reçu les doléances de la population concernant les taxes excessives réclamées par la Sublime Porte, mais c’est Muḥammad al-Ṣamādī qu’ils chargent de présenter leur requête à Istanbul46, car ils savent que le sultan Sélim lui manifeste une grande vénération47.
L’intercession demande cependant une implication directe du cheikh dans l’arène sociale, ce qui le place du côté des pauvres et des opprimés. Zakariyyā al-Anṣārī, dans ses lettres d’intercession adressées aux dirigeants, se présentait comme « le cheikh Zakariyyā » ; après que Ḫaḍir, le guide des saints, l’eut repris sur cette titulature pourtant modeste, il se présente comme « Zakariyyā, le serviteur des pauvres (ḫādim al-fuqarā’) »48. On conçoit que la šafāʿa puisse parfois lasser le prince. Le cheikh Yūnus (m. 923/1517) de la Hamadāniyya a beaucoup de disciples à Alep à cause, selon Ibn al-Ḥanbalī, de l’oppression et de l’injustice qui règnent dans la ville en cette fin d’époque mamelouke, et qui font se précipiter les désorientés vers les cheikhs ; mais le gouverneur d’Alep en a un jour assez des intercessions auxquelles le cheikh ne manque pas de procéder chaque fois qu’un de ses disciples mal repenti commet un délit, et ceci oblige Yūnus à s’exiler à Damas49. Un soufi persan établi à Damas, Muḥammad al-ʿAǧamī al-Ṭawāqī (m. 910/1504) paiera de sa vie l’ardeur qu’il met à défendre le droit des opprimés (al-maẓlūmūn) : le vice-roi (nā’ib) Qānṣūh al-Burǧ, dont les Damascènes louent le comportement, accepte et soutient les requêtes du cheikh malgré l’opposition de son dāwādār50, mais ce dernier profitera de la mort de Qānṣūh pour faire assassiner ce justicier importun qu’est al-Ṭawāqī dans sa zāwiya du Qāsiyūn51.
4 - Un rôle d’intégration
Les cheikhs les plus prestigieux ont dans leur giron des marginaux, des exclus, voire des bandits. Un faqīh rend visite au maître qādirī palestinien Abū al-ʿAwn al-Ǧalǧūlī dans sa zāwiya et y découvre avec gêne aussi bien « le maigre que le gros, le pieux que le libertin » ; le cheikh devinant sa pensée lui dit que ʿAbd al-Qādir al-Ǧīlānī avait auprès de lui le bon grain comme l’ivraie : les pieux redoublaient de piété et les libertins s’amendaient52. Le même al-Ǧalǧūlī, qui est par ailleurs le directeur spirituel de ʿulamā’ distingués, prend sous sa protection le maǧḏūb Qāsim Ibn Zalzal qui vient de tuer un Mamelouk du gouverneur d’Alep, car il s’apprêtait à violer une femme. Après avoir intercédé pour lui auprès des autorités, il l’arrache des mains de la canaille qu’il fréquentait en cette ville, en fait son disciple et lui assigne la tâche de porteur d’eau53. À Damas, le gouverneur ottoman de la Syrie témoigne beaucoup de vénération au cheikh ʿUmar al-ʿUqaybī, mais il lui confie un jour qu’il s’étonne de voir chez lui des disciples qui volent, boivent et s’adonnent à d’autres délits. Al-ʿUqaybī explique que le rôle d’un cheikh n’est pas d’avoir des disciples déjà accomplis (kummal), des ʿulamā’ ou des saints, mais de prendre en main ceux qui n’en sont pas encore là : celui qui réalise à la perfection des ouvrages en bois, lui démontre-t-il, n’entre pas comme apprenti chez un maître menuisier, ce serait une perte de temps pour les deux54. Yūnus al-Hamadānī, qui est pourtant un ʿālim ayant étudié à la Mecque avec Saḫāwī, tient à Alep, nous venons de le voir, le même rôle de protection et d’intégration des marginaux.
L’intégration dans la société s’opère principalement par le travail ; or, il faut noter que celui-ci constitue pour la plupart des ordres initiatiques un principe, une condition d’affiliation : le faqīr doit avoir recours aux asbāb, aux moyens ordinaires de gagner sa vie. Il est connu que dans l’Aḥmadiyya, le travail manuel revêt une grande importance, mais les maîtres šāḏili n’acceptent pas plus un disciple en marge de la société active. Si certains cheikhs obligent parfois leurs disciples à mendier, c’est pour les inciter à s’en remettre totalement à la volonté divine, mais cet exercice spirituel ne doit durer qu’un temps. Ceux qui en font une règle de vie sont sévèrement jugés par les maîtres : pour Ibn ʿInān et Šaʿrānī, les fuqarā’ de Muḥammad al-Šarbīnī (m. 927/1519), qui exploitent la population ignorante de la Šarqiyya égyptienne, ne sont que des pseudo-soufis55, et nous verrons comment les maîtres šāḏili syriens stigmatisent les derviches parasites qui sillonnent le pays.
5 - Le miracle au service de la Communauté
Tāǧ al-Dīn al-Subkī, dans son Muʿīd al-niʿam, assigne déjà à la zāwiya un rôle d’accueil et de convivialité56, rôle qui ne fera que se développer à la fin de l’époque mamelouke durant laquelle ce type d’établissement remplace la ḫānqāh57. Contrairement à cette dernière, la zāwiya est directement en prise avec la société. Son cheikh nourrit d’abord ses disciples, qui dépassent parfois la centaine ; il doit pouvoir également honorer tous ceux qui le visitent à l’improviste. Muḥammad Ibn ʿInān héberge un jour un groupe de cinq cents fuqarā’58, mais les “pauvres en Dieu” se transforment parfois en ces temps difficiles en “pauvres” au sens mondain du terme ; sous le règne du sultan Qāytbāy, la cherté de la vie pousse un nombre identique d’indigents vers la zāwiya d’Ibrāhīm al-Matbūlī59. Comment rassasier tous ces nécessiteux par des moyens ordinaires ? Or c’est une obligation, affirme le cheikh égyptien Muḥammad al-Šinnāwī, pour celui qui a vocation d’appeler les gens à Dieu, que de les nourrir et non pas qu’il soit à leur charge60.
Ici intervient la karāma, la générosité divine envers le saint afin que ce dernier puisse être également généreux avec les créatures. Cette grâce prend parfois la forme de la multiplication du pain et de la nourriture61, mais le plus souvent, le cheikh puise ses ressources du monde invisible. Il s’agit d’un miracle bien défini, puisque toutes les sources l’appellent la nafaqa min al-ġayb et qu’elle est octroyée, si l’on en croit les auteurs, à la plupart des cheikhs de zāwiya-s de l’époque62. Faut-il faire le lien entre sa récurrence et la crise économique qui sévit à la fin du régime mamelouk ? Un étrange personnage, initiateur de ʿAbd al-Ḥalīm al-Manzalawī, affirme à ce dernier qu’il ne sera pas un saint (ṣāliḥ) tant qu’il ne dispensera pas les dons du monde invisible, ce qui montre bien l’importance de cette karāma63. On ne peut y voir une manifestation de religion populaire, car des maîtres comme les šāḏili Muḥammad al-Maġribī et Ibrāhīm al-Mawāhibī en sont également investis64 ; le non moins šāḏilī Murād al-Rūmī, l’auteur des manāqib de Zakariyyā al-Anṣārī, voit dans ce miracle le fruit d’une quête sincère de la science religieuse (al-iḫlāṣ fī al-ʿilm)65. Les esprits sceptiques s’interrogent toutefois sur l’origine de cet argent, lorsqu’ils doutent de la sainteté des thaumaturges ; ainsi affirment-ils que Ḥusayn Abū ʿAlī est prodigue de son or parce qu’il pratique l’alchimie66. Les biographes, quant à eux, nous assurent que de manière générale, les soufis refusent tout argent du pouvoir comme de la population.
Les cheikhs bénéficiant de la nafaqa min al-ġayb ont généralement un rayonnement social bien au-delà de leur zāwiya, prolongement naturel du miracle dont ils sont gratifiés. Le cheikh du Delta égyptien al-Manzalawī, évoqué plus haut, écoute les conseils de son initiateur et, après neuf mois d’ascèse, lorsqu’il tend la main, un dinar lui tombe du ciel. Ce n’est toutefois qu’un début car nous le voyons construire par la suite de nombreuses mosquées dans sa région, avec waqf et repas toujours servi (simāṭ) ; il bâtit de même un hôpital (bīmāristān) pour les pauvres67. L’omniprésence de Muḥammad al-Šinnāwī dans sa province, la Ġarbiyya égyptienne, est non moins manifeste : personne ne penserait à circoncire son fils ou à le marier sans que le cheikh ne soit là pour apporter sa bénédiction ; il initie au ḏikr hommes, femmes et enfants, qu’il intègre ensuite dans des réseaux initiatiques locaux68. On ne peut cependant en faire un cheikh de village, car il initie également la fille du calife et ses servantes69. Dieu l’a placé, dit Šaʿrānī, au service des gens pour répondre à leurs besoins de jour comme de nuit. En effet, c’est grâce à lui qu’aurait été supprimée la « corvée de l’orge » (saḫrat al-šaʿīr) imposée par le multazim Ibn Yūsuf70, travail éreintant qui emportait une partie des paysans. Deux versions complémentaires de l’affaire nous sont proposées par Šaʿrānī et al-Ġazzī : al-Šinnāwī, menacé d’empoisonnement par Ibn Yūsuf71 pour avoir dénoncé publiquement un tel asservissement, projette de se rendre à Istanbul pour informer le sultan Sulaymān, mais Aḥmad al-Badawī, le grand saint de Tanta auquel il est affilié, lui apparaît et l’avertit qu’il n’a pas à se donner cette peine ; le sultan le voit en effet en rêve et ordonne dès le matin de faire cesser la corvée. Très reconnaissante au saint, la population marque cet événement dans la pierre et dans l’écrit72. S’illustre ici le lien entre les deux acceptions du terme “charisme”, à la fois karāma, faveur divine (la charisma grecque), et prestige spirituel et social ; la générosité divine doit avoir des conséquences humaines immédiates.
L’intérêt des mystiques pour la Communauté se porte sur les lieux comme sur les hommes. Muḥammad al-Munayyir (m. 931/1524) construit un véritable complexe d’habitat près de Bilbays, dans un endroit désert du Delta où seraient morts de soif une femme et son enfant. Après y avoir fait jaillir la vie en creusant un puits dont on ne dit pas s’il s’appelle Zemzem, ce lieu devient une terre d’échange et une étape pour les voyageurs se rendant de l’Égypte au Bilād al-Šām73. Tant que l’on continuera à y nourrir les passants, affirme al-Munayyir, le fléau venant de l’est (al-balā’ al-ǧā’ī min al-šarq) – les Ottomans, les Safavides ? – ne touchera pas l’Égypte. Cette fois, c’est la générosité de l’homme qui appelle celle de Dieu74.
Les maǧḏūb-s eux-mêmes, que l’on pourrait croire absorbés par leurs états spirituels, se soucient également de leur entourage : les gens chargent Suwaydān de résoudre leurs problèmes en lui mettant une graine de pois-chiche dans la bouche pour qu’il s’en souvienne75. Les chiens dont ne se sépare jamais Abū al-Ḫayr al-Kulaybātī rendent différents services à la population ; ʿAlī al-Ḫawwāṣ assure qu’il s’agit en fait de djinns76. Nous verrons que ʿAbd Allāh sèvre les intoxiqués du haschisch, et que Waḥīš s’occupe de l’âme de ceux qui visitent les filles de joie. On le voit étendre sa protection à ces dernières lorsqu’il leur prédit un jour que le bâtiment où elles logent va s’écrouler : seule l’une d’entre elles écoute ses paroles et les autres périssent dans l’accident qui ne tarde pas à se produire77.
Ces quelques exemples pris dans tous les types spirituels issus de milieux sociaux divers nous montrent des hommes proches des réalités quotidiennes, chargés des besoins et des problèmes des autres. Il est difficile de voir en eux des mystiques retranchés de la société : le quiétisme qu’on leur a souvent attribué ne les concerne pas.
II - Le prince et le saint
Ne pas évoquer les rapports entre les soufis et les dirigeants temporels reviendrait à se couper d’une partie majeure du champ des comportements dans la société islamique traditionnelle. La mentalité qui les sous-tend trouve son origine dans les sources scripturaires. Il est connu que l’Islam ne laisse pas de part à César : nombreux sont les versets coraniques rappelant que toute puissance n’appartient qu’à Dieu78. Il délègue aux hommes la royauté (mulk) ou le commandement (amr) pour les affaires temporelles, mais cette délégation ne s’opère que sur la base de la métaphore ; pour le Musulman, un tel pouvoir n’est jamais exempt d’usurpation. Les hommes qu’Il investit réellement sur terre ne sont pas les rois, mais les prophètes et leurs héritiers, les ʿulamā’ et les saints79. Là réside la différence entre le mulk et la ḫilāfa, qui explique l’empressement des Mamelouks à faire légitimer leur pouvoir par le calife, le « successeur ou représentant de l’Envoyé de Dieu » (ḫalīfat rasūl Allāh).
1 - Mamelouks et Ottomans : un intérêt partagé pour le soufisme
Un code de relations
Nous avons vu que les ʿulamā’, gardiens intransigeants de la Loi, considéraient les mamlūk-s comme des esclaves, étrangers de surcroît80 ; c’est un trait fréquent en effet que des cheikhs, surtout ceux qui jouissent d’un grand prestige, rappellent au sultan l’inanité de son pouvoir. Qu’il s’agisse d’Ibn ʿAṭā’ Allāh avec al-Manṣūr Lāǧīn (régnant de 696 à 698 h.), de Zakariyyā al-Anṣārī avec Qāytbāy ou encore de Šams al-Dīn al-Dimyāṭī avec Qānṣūh al-Ġawrī, le processus est le même : « Tu étais néant, leur disent-ils, puis tu es venu à l’existence ; tu étais mécréant puis tu as été honoré par l’Islam ; tu étais esclave puis tu as été libéré ; de sultan tu redeviendras poussière et seras mangé par les vers ; ayant en charge la Communauté, tu comparaîtras le premier devant Dieu et tu auras à répondre de ta tyrannie. »81 Les dirigeants semblent accepter ce type de sermon, car les sources nous les montrent pleurant et remerciant les cheikhs. Zakariyyā al-Anṣārī pense qu’il n’échappera pas à la rancœur de Qāytbāy, tant il vient d’en faire la cible de ses attaques durant la ḫuṭba ; mais le sultan laisse à peine le temps à al-Anṣārī de finir sa prière pour lui baiser la main et lui montrer sa gratitude82. Parfois, les émirs attendent même le blâme ; al-Nāṣir Muḥammad, sultan de la période baḥride, confie à ses proches sa déception après sa rencontre avec le cheikh égyptien Muḥammad al-Muršidī (m. 737/1337) : celui-ci ne lui a adressé aucun sermon (mawʿiẓa), se contentant de louer un haut fonctionnaire ayant permis leur rencontre. « S’il était un saint (walī), fait remarquer le sultan, il m’aurait recommandé l’ensemble de la population, et non simplement cet homme que beaucoup dépassent en bien. »83
Le “conseil aux princes” (al-naṣīḥa li-al-mulūk) peut être mordant et ne pas se limiter à de pieux désirs. Cheikh ʿAlwān rappelle dans son commentaire du Silk al-ʿayn de ʿAbd al-Qādir al-Ṣafadī que si le dernier sultan mamelouk al-Ġawrī a été injuste, c’est parce que la population ne méritait pas mieux ; puis il enchaîne sur une condamnation des qānūn-s ottomans inconnus de la Loi islamique84. Dans les Naṣā’iḥ muhimma li-al-mulūk wa al-a’imma (Conseils essentiels destinés aux rois et aux dirigeants), il s’adresse directement au Ḫankār, le sultan Sélim. Dénonçant d’abord les abus du pouvoir mamelouk, il montre, de manière plus ou moins explicite, que ces abus ont été reconduits sous le régime ottoman, exprimant ainsi le mécontentement d’une partie de la population syrienne quelque temps après la conquête. Cheikh ʿAlwān critique principalement le comportement de l’armée sultanienne qui terrorise et exploite le peuple ; il demande que des maux sociaux comme l’adultère ou la diffusion de l’alcool soient sévèrement réprimés85. Le texte est bien sûr émaillé de formules signifiant au sultan que la royauté n’est pas aux rois mais à Dieu86. Cheikh ʿAlwān s’inscrit ici dans la lignée de son maître, ʿAlī b. Maymūn, qu’il montre sévère et intransigeant à l’égard des émirs syriens87.
En général, l’attitude des cheikhs est d’éviter les relations avec les hommes du pouvoir, mais certains restent divisés sur ce point : vaut-il mieux ne pas s’exposer à d’éventuelles compromissions ou bien user de son ascendant pour le bien du peuple et de l’Islam ? La position de Suyūṭī émerge par son caractère péremptoire. Sommé par Qāytbāy de lui rendre visite à la Citadelle à l’instar des autres personnalités religieuses, le savant refuse et règle son compte avec le pouvoir mamelouk, illégitime selon lui ; il rédige à cet effet l’épître Mā rawā-hu al-asāṭīn fī ʿadam al-maǧī’ ilā al-salāṭīn (Ce que rapportent les autorités [islamiques] à propos de l’interdiction de visiter les sultans), dans laquelle il rassemble hadiths et paroles des “pieux devanciers” (al-salaf al-ṣāliḥ) condamnant les ʿulamā’ qui frayent avec les puissants de ce monde88. Suyūṭī justifie son refus notamment par le fait que de tels contacts le priveraient de la faveur de voir le Prophète à l’état de veille89. Cette vision s’efface en effet lorsqu’elle est exposée à la souillure des relations mondaines avec les émirs90.
Des cheikhs comme Ibrāhīm al-Matbūlī et ʿAlī al-Marṣafī adoptent donc la même fermeté, en interdisant à leurs disciples de fréquenter ces derniers91. L’attitude de ʿAlī al-Ḫawwāṣ est plus nuancée ; selon lui, on ne doit pas solliciter l’homme de pouvoir pour son propre intérêt, mais l’intercession pour autrui est louable92. Il préconise par ailleurs des marques de respect et de politesse dans les rapports avec les grands de ce monde93, là où beaucoup n’agissent qu’avec le plus profond mépris ; Ibrāhīm al-Ǧaʿbarī (m. 687/1288), par exemple, s’adressait déjà au sultan (Qalāwūn ?) en l’appelant « Zūbarī le chien », Zūbarī étant le nom que portait le sultan dans son pays d’origine avant d’être importé comme mamlūk en Égypte94. ʿUmar al-Kurdī, quant à lui, refuse de donner aux soufis la nourriture somptueuse que lui apportent les émirs ; considérée comme impure, elle est juste bonne pour les fumeurs de haschisch95.
Au nom de cette impureté foncière des hommes du pouvoir, les soufis refusent souvent les cadeaux et les rentes qu’offrent les dirigeants96 ; ceci les fonde à critiquer les cheikhs qui les acceptent97. Al-Ḫawwāṣ a pendant longtemps retourné ce qui lui venait des émirs, avant de l’accepter à la fin de sa vie pour le distribuer aux nécessiteux98. Il est évident que les cheikhs ne montrent pas toujours autant de réticences vis-à-vis des offres des émirs. Ils peuvent en profiter personnellement, tel Ibn al-Ṣaʿīdī dont la richesse en femmes, troupeaux et propriétés n’est pas étrangère au prestige dont il jouit sous les deux dynasties99, ou encore Aḥmad al-Qarʿūnī, auquel al-Ġawrī donne de l’argent et octroie une part de la récolte de blé d’un village100. Toutefois, la générosité du prince est surtout orientée vers la construction de lieux de vie pour les fuqarā’101.
Une allégeance publique au saint
Dans les relations entre les dirigeants et les hommes de Dieu, l’initiative vient incontestablement des premiers, malgré le rôle d’intercesseurs auquel se prêtent les seconds. Les émirs mamelouks éprouvent plus que tout autre groupe social le fameux iʿtiqād en la sainteté des cheikhs. Ils ne cachent pas le penchant, la vénération qu’ils ont pour les mystiques, et l’expriment par différentes marques. Avancer que cette conduite est motivée par une recherche de sacralisation et donc de justification de leur pouvoir temporel, face à des populations fascinées par la sainteté, pourrait paraître simpliste. Le prince quête chez le saint le madad, l’assistance ou le secours spirituel, tout particulièrement en cette ambiance crépusculaire qui règne à la fin du régime mamelouk. Ainsi Qāytbāy sollicite l’aide de celui qu’il ne connaît pas encore mais pense être al-Dašṭūṭī, pour renforcer sa lutte contre les Ottomans102. De même, lorsque al-Ġawrī demande aux cheikhs soufis de l’accompagner dans la bataille qu’il va livrer au maître d’Istanbul, il ne s’agit pas pour lui d’une tactique politique mais du souci de s’assurer de leur madad dans cette opération fatale103.
Les sultans visitent fréquemment les cheikhs dans leur zāwiya104 ; il arrive même qu’ils descendent de leur monture lorsqu’ils croisent l’un d’entre eux, et qu’ils leur baisent la main ou le pied105. Bien plus, ils leur prêtent allégeance en devenant parfois leurs disciples. Le grand Baybars (m. 676/1277) a pour Aḥmad al-Badawī une vénération sans borne (iʿtiqād ʿaẓīm) ; ceci l’amène, selon certaines sources, à se rattacher à sa voie initiatique106. L’attitude directive du cheikh Ḫaḍir al-Mihrānī envers ce sultan, en ce qui concerne tant les affaires temporelles que spirituelles, est comparable à celle de ʿAbd al-Qādir al-Dašṭūṭī à l’égard de Qāytbāy. Celui-ci reçoit du cheikh, comme tout autre aspirant, la tarbiya, l’éducation spirituelle des soufis107. Il se conforme à ses indications, et lui demande, en bon disciple, l’autorisation (iḏn) d’accomplir un voyage en Syrie108.
Quel soufisme reçoit la faveur des Mamelouks?
L’intérêt des dirigeants pour la spiritualité se limiterait, selon beaucoup d’études arabes et occidentales, à un soufisme “populaire”. Cette vision des choses demande sans doute à être nuancée. Certes, ils se montrent parfois friands de miracles spectaculaires ; après que l’entourage d’al-Ġawrī lui eut vanté les prodiges ascétiques de Šaraf al-Dīn al-Ṣaʿīdī, le sultan le met à l’épreuve en l’enfermant durant quarante jours sans boire ni manger, pour le voir sortir indemne de cette étrange retraite109. Mais l’attention que prête le sultan à cet ascète n’est-elle pas également suscitée par la réputation qu’il a de prédire l’avenir des hommes politiques110 ? Cette faculté explique en partie les relations indéniablement étroites des émirs avec les détenteurs par excellence du dévoilement (kašf) : le maǧḏūb Aḥmad al-ʿAǧamī (m. 801/1399) devient un proche de Barqūq, car il prédit au sultan, encore simple soldat, son avenir glorieux111. Le kašf de ʿUbayd al-Bulqīnī, dont les prédictions se réalisaient, dit Šaʿranī, aussi clairement qu’apparaît la « fissure de l’aurore », est peut-être ce qui pousse Qāytbāy à visiter le maǧḏūb à Bulqīn même, puis au Caire ; al-Ġawrī montrera d’ailleurs le même intérêt pour le personnage112. On peut se demander si ce n’est pas une reconnaissance de cet ordre qui pousse Ḫūnid, la femme de ce dernier sultan, à offrir chaque année à Suwaydān une étoffe vénitienne113 ?
Notons que le kašf a, d’une façon générale, des applications politiques directes. Des personnages mal intentionnés demandent ainsi à Suyūṭī de prouver sa sainteté en prédisant quelque événement concernant les dirigeants ; le cheikh leur ayant annoncé le jour précis où sera tué par ses rivaux le sultan Ǧānbulāṭ, ils s’empressent d’en informer celui-ci tout en répandant la nouvelle au Caire. Le sultan, voyant dans la mort de Suyūṭī le moyen d’échapper à la sienne, convoque le savant, mais celui-ci se cache durant plus d’un mois, le temps que Ǧānbulāṭ soit étranglé dans la prison d’Alexandrie en 906/1501 114.
Les prodiges de maǧḏūb pourtant peu ragoûtants attirent spécialement Ḫayrbak, gouverneur d’Alep. Il manifeste de la vénération pour Muḥammad al-ʿUryān, qui vit nu sous son dôme en brique, parce que sa demande de pluie a été exaucée115 ; il s’amuse aussi des facéties magiques de Suwayd, un poussiéreux fumeur de haschisch116.
Parallèlement à cette vénération pour les maǧḏūb-s, partagée d’ailleurs par toute la société, certains émirs s’intéressent aux sciences islamiques117 et aux débats doctrinaux118 ; ils sont également assidus aux leçons données à al-Azhar par des ʿulamā’ soufis119. Ils peuvent avoir pour ami intime des soufis akbariens120 et vouer une grande admiration (iʿtiqād zā’id) à un cheikh aussi intransigeant sur la Sunna que ʿAlī b. Maymūn al-Fāsī121. Toutes les sources font de Qāytbāy un prince juste et pieux, et même un saint122 ; Raḍī al-Dīn al-Ġazzī, qui était son ami, écrit sur lui un ouvrage hagiographique123. Mort en 901 de l’Hégire, il est considéré comme le « rénovateur de la royauté » (muǧaddid al-mulūk) pour le neuvième siècle, par transposition sur le plan politique du thème islamique du muǧaddid, grand savant ou saint envoyé par Dieu à chaque siècle pour vivifier la religion124.
Rien n’oblige par ailleurs al-Ġawrī à avoir une profonde vénération (iʿtiqād ʿaẓīm) pour Suyūṭī, qui ne cache pas, nous l’avons vu, son mépris pour le pouvoir mamelouk125 ; ce n’est pas par tactique politique non plus qu’il admire le dīwān du poète mystique turc Nesīmī pourtant exécuté par le sultan Mu’ayyad en 820/1417 126. Al-Ġawrī semble bien discerner entre les cheikhs authentiques et ceux qui utilisent le taṣawwuf comme un alibi : « Tu prétends être un soufi et un guide spirituel, mais tu n’es qu’un hypocrite127 et un diable de faussaire ! », dit-il au Turc Sanṭbāy qui fabrique de la fausse monnaie. À nous de distinguer également entre les Mamelouks détenant une bonne culture islamique et ceux qui se laissent appâter par de séduisants imposteurs, comme les disciples de Sanṭbāy qui se prosternent devant lui128.
Émirs, soufis et fuqahā’
Durant la période mamelouke, les émirs prennent position à maintes reprises en faveur des mystiques en proie aux attaques des juristes. Muḥammad al-Bāǧarbaqī (m. 724/1324) sauve sa tête lors de son procès au Caire grâce à l’influence (ǧāh) de Baybars al-ʿAlā’ī129 ; le vice-roi de Damas Lāǧīn témoigne de façon ostensible sa vénération pour Ibn Hūd, alors qu’Ibn Taymiyya ne cesse de vitupérer contre le soufi130 ; le sultan valide l’islam du šāḏilī Muḥammad Ibn al-Labbān (m. 749/1348) mis en cause par un faqīh malékite131 ; les dirigeants défendent fermement Aḥmad al-Ḥusbānī (m. 823/1420) menacé par les fuqahā’ d’Alep132 : ces quelques exemples montrent que l’Islam médiéval a souvent pu respirer grâce à l’intervention du prince. Qāytbāy, comme on peut s’y attendre, perpétue cette tradition ; il convoque au Caire le grand faqīh Abū Bakr Ibn Qāḍī ʿAǧlūn (m. 928/1521), qui harcèle à Damas le soufi syrien Muḥammad al-ʿUmarī (m. 897/1492) 133.
Al-Ġawrī éprouve pour les juristes une haine proportionnelle à la foi qu’il a dans les soufis. Il est frappant que les griefs qu’il formule contre les fuqahā’ – ivrognerie, adultère, usurpation des waqf-s134 – sont en grande partie ceux que le cheikh maghrébin ʿAlī b. Maymūn al-Fāsī présente au vice-roi al-Sībā’ī, dans une lettre qui fit grand bruit à Damas. Le maître šāḏilī y dénonce la corruption des notables religieux, cause de la sécheresse qui s’est abattue sur la ville en cette année 913/1507. L’anarchie qui règne à la fin de l’époque mamelouke favorise en effet confiscations arbitraires de biens, détournements de waqf-s au profit de notables et autres malversations135. Toujours est-il que le vice-roi, ébranlé par le document, va le montrer un vendredi à la mosquée des Omeyyades devant un parterre de ʿulamā’ et de cadis. Alors que l’assemblée se repent de son ẓulm et qu’al-Sibā’ī est ému aux larmes, la pluie se met à tomber...136. Al-Ġawrī prolonge par l’arme du pouvoir la critique d’al-Fāsī (le cheikh visait en effet en premier lieu Ibn Qāḍī ʿAǧlūn) ; le sultan convoque ce dernier au Caire et exige de lui une amende élevée137. Dans une autre occasion, le nā’ib al-Sibā’ī tranche de manière encore plus péremptoire en faveur des mystiques. Le voici condamnant un “exotériste” (baʿḍ ʿulamā’ al-rasm) ayant diffamé le soufi palestinien ʿAbd al-Qādir al-Ṣafadī, mais ce cheikh l’amène à résipiscence et lui pardonne138.
Ottomans et soufisme
Dans les relations qu’entretiennent les régimes mamelouk et ottoman avec la mystique, les sources n’opèrent aucune coupure ; ainsi mentionnent-elles fréquemment l’ascendant qu’a tel cheikh auprès des Atrāk (Turcs), terme désignant indistinctement l’un et l’autre pouvoirs ; parfois, elles précisent « sous les deux régimes » (fī al-dawlatayn). Cependant, la situation diffère chez les Ottomans ; d’autres enjeux s’y présentent, en germe depuis les origines de la dynastie.
On constate une évolution très nette entre l’attitude des premiers chefs des Banū ʿUṯmān ayant pour seul souci d’étendre leur territoire, et celle des maîtres d’Istanbul régnant plus tard sur un immense empire. Les ġāzī-s du viiie/xive siècle affirment combattre les Byzantins pour la cause de l’Islam, mais ils n’ont pas encore autour d’eux un corps islamique les appuyant et les légitimant. Les seuls hommes de religion, dans le domaine ottoman primitif, sont les ahi (ou aḫī), membres de corporations mystico-professionnelles issues d’Asie Centrale, qui ont un rôle social important dans la population mais aussi une influence spirituelle montant jusqu’à la cour : les trois premiers sultans sont affiliés à leur tarikat, terme turc désignant la voie initiatique139. Les dynastes s’entourent par ailleurs des baba et des abdāl ayant également suivi la vague d’émigration turque de l’Asie Centrale vers l’Anatolie. Ces derviches errants et antinomiques, que Taškoprüzādeh présente par euphémisme comme des maǧḏūb-s somme toute respectables140, assistent en effet Orḫān Ġāzī (m. 763/1362) dans ses conquêtes, notamment lors du siège de Brousse141. Ils jouissent des faveurs de ce sultan et de son fils Murād I, qui leur concèdent terres et bâtiments142. Parallèlement, il est vrai, les Ottomans soutiennent un islam plus savant, plus urbain. C’est ainsi qu’Orḫān fonde à Iznik (l’antique Nicée) la première madrasa ottomane. Il en confie la direction à Dā’ūd al-Qayṣarī (ou Kayseri, m. 751/1350), dont nous verrons l’importance pour l’orientation doctrinale postérieure de l’Empire.
Jusqu’au milieu du ixe/xve siècle, les souverains ottomans manifestent un penchant pour les courants hétérodoxes venant de l’Est de l’Asie. Mehmed II le Conquérant (m. 886/1481) se laisse séduire au début de son règne par des missionaires de la secte extrémiste chiite des Ḥurūfiyya ; le jeune sultan ne semble pas connaître la réalité de leur doctrine, mais son vizir Maḥmūd Pacha est plus averti : il fait intervenir le cheikh Faḫr al-Dīn al-ʿAǧamī, qui confond le chef des “hérétiques” devant Mehmed qui n’ose broncher. Après un procès rapide à Edirne, sur la base du ḥulūl (rappelons que le fondateur, Faḍl Allāh al-Astarābāḏī, représente pour ses disciples une incarnation de la divinité), al-ʿAǧamī allume lui-même le feu qui va brûler le groupe de ḥurūfi143.
Le sultan a visiblement compris la leçon, car il établit par la suite des relations avec des cheikhs d’obédience strictement sunnite144. La renommée du grand maître persan ʿAbd al-Raḥmān al-Ǧāmī parvient à Mehmed sans qu’il l’ait jamais vu145. Il invite à plusieurs reprises le poète, qui décline l’offre, et le sollicite comme arbitre suprême pour départager théologiens, soufis et philosophes146. Mais le véritable guide spirituel de Mehmed est Āq Šams al-Dīn (m. après 865/1461), auquel le sultan demande l’assistance dans le siège de Constantinople en 1453 147. Après la prise de la ville, le souverain rend visite au cheikh dans sa tente pour lui demander de le faire entrer en retraite spirituelle (ḫalwa) ; mais le maître, qui reste allongé, refuse ; en effet, le plaisir spirituel éprouvé alors par le sultan l’amènerait à abandonner son pouvoir temporel. L’anecdote prend davantage de relief si l’on se rappelle la personnalité extrêmement autoritaire de Mehmed148. Bāyazīd II 149 (m. 918/1512) montre à l’égard des soufis une déférence non moins affichée150.
En cette fin du ixe/xve cependant, l’attention des maîtres d’Istanbul est polarisée par le danger représenté par les derviches des provinces. Le pouvoir sait depuis longtemps que ceux-ci pratiquent une religion populaire syncrétique et véhiculent des doctrines chiites hybrides, mais c’est maintenant l’ombre du Safavide violemment anti-sunnite qui se profile derrière eux. La propagande imamite de Šāh Ismāʿīl s’exerce en effet dans le domaine ottoman par leur intermédiaire. L’Anatolie tout spécialement, terre infiltrée de longue date par ces derviches venant de l’Est, est l’objet de sa prédilection. Les poèmes, composés à dessein en langue turque populaire par le souverain safavide, ont une grande influence sur les populations turcomanes et les baba bektachis. Après la rébellion de 916/1510 menée par Baba Šāh Kulī et manipulée par Šāh Ismāʿīl151, suivie de celle de Kalenderoǧlu en 933/1526 152, le régime ottoman traque toute infiltration chiite et persécute certains derviches soupçonnés d’être des émissaires safavides : le poète bektachi Pīr Sulṭān Abdāl, parmi d’autres, paie de sa vie son soutien au souverain safavide Šāh Tahmāsp et son rôle de meneur dans une révolte de paysans anatoliens153. L’insoumission des derviches atteint Istanbul et la personne même du sultan : à la suite de la tentative d’assassinat de Bāyazīd par un derviche ḥaydarī en 898/1493 154, les groupes de qalandar sont persécutés155.
Les sultans contrecarrent l’influence des derviches en promouvant dès le ixe/xve siècle des voies strictement sunnites comme la Naqšbandiyya. Ses cheikhs, qui se sont toujours attachés à “sunniser” les populations turcomanes156, ont les faveurs de Bāyazīd ; la voie a beaucoup d’adhérents parmi les cadres du régime, et deux sultans tardifs (fin xviiie, début xixe) s’y font initier157. Le cheikh Ilāhī (m. 896/1491), qui a introduit la Naqšbandiyya dans l’Empire, prône en effet une soumission au pouvoir sultanien que l’on peut aisément opposer à l’esprit frondeur des derviches anatoliens158.
Sélim, le conquérant du domaine mamelouk, entretient des relations étroites avec les soufis syro-égyptiens. À Damas, il s’enquiert des awliyā’, nous dit Ibn Ayyūb ; il demande, nous l’avons vu, l’aval du cheikh Muḥammad Ibn ʿArrāq avant d’envahir l’Égypte159. Il rencontre par deux fois en cette ville un autre akbarien, Muḥammad al-Badḫašī (m. 923/ 1517) 160. Sélim prête beaucoup d’attention aux cheikhs d’ordres familiaux damascènes ; ceux de la Saʿdiyya et de la Ṣamādiyya, personnalités religieuses qui étaient déjà liées au pouvoir mamelouk161, gagnent encore en reconnaissance et en prestige avec les Ottomans162. Le sultan rend de même visite à des maîtres soufis du Caire163. Les gouverneurs montrent également des marques de déférence à l’égard des soufis. Arrêtons-nous sur celui de Damas, ʿĪsā Pacha (m. 941/1534) ; il s’affilie à la Qādiriyya mais a pour maître le šāḏilī ʿUmar al-ʿUqaybī, chez lequel il se rend régulièrement de nuit pour lui confesser ses pensées (ḫawāṭir). Le gouverneur se fait traîner à terre une fois mort, comme le font les disciples de ce cheikh de leur vivant, « par pénitence » (taʿzīran)164.
La liste des affiliations respectives des trente-six sultans ottomans, telle que l’a dressée E.B. Šapolyo dans son ouvrage d’histoire du taṣawwuf165, ouvre une perspective intéressante sur les liens entre la dynastie ottomane et le soufisme. L’auteur cite pour chaque souverain la “tarikat” majeure à laquelle il était rattaché, car certains pratiquaient la multiple affiliation. On remarque d’emblée qu’il n’y a pas une voie officielle que se seraient transmis les sultans de façon héréditaire. Les appartenances sont assez diverses, mais on y repère quelques dominantes. Après la mystique hétérogène d’origine turcomane à laquelle sont liés les premiers chefs ottomans, la Suhrawardiyya a la faveur des sultans du ixe/xve, avec ses branches Zayniyya et Ǧamāliyya. Mais la Ḫalwatiyya exerce vite une quasi souveraineté sur les autres voies initiatiques, en comptant ses différents rameaux Bayrāmiyya, Sünbüliyya, Gülšaniyya, ceci jusqu’au xviiie siècle166. La Mawlawiyya apparaît de manière sporadique167, ainsi que la Šāḏiliyya. De cette liste qui est évidemment limitée, nous retiendrons un attachement des Ottomans à une mystique savante et sunnite (ils ne portèrent de ce fait jamais les noms de ʿAlī, Ḥasan ou Ḥusayn)168, ainsi qu’un regard nouveau sur la Ḫalwatiyya, trop souvent présentée comme crypto-chiite : dans l’Empire ottoman, de telles tendances n’auraient pu être tolérées face à l’ennemi safavide. Il en va de même pour la Hamadāniyya, considérée également comme une voie chiite alors que le sultan Sulaymān se fait initier au ḏikr par un des cheikhs de cette voie, ʿAbd al-Laṭīf al-Ǧāmī, qui devient son proche169.
L’attachement des Mamelouks au soufisme n’a pas été moindre que celui manifesté par les Ottomans ; il se concrétise surtout chez les premiers par l’influence qu’exercent sur eux quelques personnalités spirituelles, tandis que les dynastes d’Istanbul pratiquent l’affiliation systématique aux grandes voies de leur époque. Ce changement ne fait que refléter l’évolution générale du taṣawwuf entre les deux périodes : l’appartenance initiatique va progressivement apparaître comme plus importante que la seule relation de maître à disciple.
Le mariage entre une dynastie et une doctrine
Le tableau des relations entre les Ottomans et le soufisme serait très lacunaire si l’on n’évoquait pas la vénération de ces souverains pour le personnage d’Ibn ʿArabī et leur adhésion à sa doctrine. Leur fidélité au Šayḫ al-Akbar est en effet un axe immuable qui traverse la longue histoire de cette dynastie. Nous avons suggéré que Dā’ūd Kayserī, qui dirige la première madrasa ottomane, avait un rôle essentiel dans l’élaboration de l’islam ottoman170. Il a d’abord étudié les sciences extérieures au Caire, avant de s’ouvrir à la doctrine akbarienne avec le Persan ʿAbd al-Razzāq al-Kāšānī (m. 730/1329), grand commentateur de l’œuvre akbarienne. Il aurait alors séjourné à Konya, sur les traces de Ṣadr al-Dīn al-Qūnawī (m. 673/1274), disciple majeur du maître andalou171.
À partir de Kayserī, la doctrine de la Waḥdat al-wuǧūd va peu à peu être officiellement liée au pouvoir ottoman, au même titre que le maḏhab hanafite172. Au ixe/xve siècle, nous avons des indices sûrs de la large diffusion de cette doctrine. Le cheikh de Mehmed, Āq Šams al-Dīn, est un ardent pro-akbarien173, tandis que le naqšbandī Ilāhī se fait un apôtre de la Waḥda en Anatolie et dans les Balkans174. La Ḫalwatiyya, dont nous venons de voir l’audience à la cour, épouse les thèses akbariennes dans ses rameaux persan, turc et égyptien. C’est, semble-t-il, avec Sélim, le bâtisseur du mausolée d’Ibn ʿArabī à Damas, que la doctrine akbarienne devient affaire d’État. Ibn Kamāl Pacha (m. 940/1534), savant polygraphe qui fut le šayḫ al-Islām de l’Empire durant les dix dernières années de sa vie, est la personnalité la plus notoire à apposer le sceau de l’orthodoxie sur la doctrine d’Ibn ʿArabī175. Il exerce sur Sélim un grand ascendant, et valide lors de la campagne d’Égypte une fatwa qui fera jurisprudence. Cette fatwā assigne au sultan la tâche de redresser et de châtier ceux qui attaquent le maître andalou, de par son devoir « d’ordonner le bien et d’interdire le mal »176.
La position pro-akbarienne des Ottomans devient véritablement sous Sulaymān une question d’État. En 942/1535, Muḥammad al-Falūǧī est condamné à mort par les autorités et le cadi d’Alep pour avoir taxé d’hérésie le Šayḫ al-Akbar177 ; en 948/1541, le sultan démet de ses fonctions le mufti Ǧawīzādeh « parce qu’il attaque le cheikh Muḥyī al-Dīn Ibn ʿArabī »178. Si certains ʿulamā’ ottomans sont réfractaires à la position officielle du régime, les gouverneurs semblent facilement l’adopter ; ʿĪsā Pacha, par exemple, se fait enterrer aux pieds d’Ibn ʿArabī179. Avoir des marques de vénération pour le Šayḫ al-Akbar, et affirmer être en liaison subtile avec lui paraissent d’excellents moyens de se rapprocher du souverain ottoman. Ainsi, Rūḥ Allāh al-Qazwānī compose-t-il le panégyrique de Sulaymān, en prétendant que le titre lui en a été donné en rêve par Ibn ʿArabī180.
Faut-il lire le soutien intransigeant des Ottomans à la personne et à l’œuvre d’Ibn ʿArabī comme une marque de reconnaissance à celui qui aurait prédit plusieurs siècles à l’avance l’avènement de leur empire, décrit comme « immense et bâti sur la justice » ? Taufic Fahd rattache la Šaǧara nuʿmāniyya fī aḫbār al-dawla al-ʿuṯmāniyya, attribuée à Ibn ʿArabī, au genre de la malḥama, divination basée sur l’interprétation ésotérique des lettres (ǧafr). Si Osman Yahya compte la Šaǧara parmi les œuvres du Šayḫ al-Akbar181, T. Fahd voit en Ṣadr al-Dīn al-Qūnawī le véritable auteur de l’ouvrage182 ; un commentaire du texte est également attribué à ce dernier. Mais M. Chodkiewicz nie à la fois l’authenticité de la Šaǧara et celle de son commentaire par al-Qūnawī ; ces ouvrages, selon lui, sont bien postérieurs183. Le šarḥ qu’aurait écrit l’historien akbarien Ḫalīl Ṣalāḥ al-Dīn al-Ṣafadī (m. 764/1363) semble également être un apocryphe : l’État ottoman, présenté comme le plus sain après celui des Compagnons, y triomphe de l’oppression et de l’injustice que faisaient régner les Mamelouks, cités uniquement de façon implicite184. D’après les dates figurant à la fin du texte, on peut situer la rédaction de celui-ci au xie/xviie siècle. Quelle qu’en soit l’origine, la Šaǧara, on s’en doute, « fit fortune à l’époque ottomane »185.
2 - Autorité spirituelle et pouvoir temporel : le gouvernement de l’Invisible
L’attitude de déférence ou de vénération du prince à l’égard du saint participe à la représentation que se fait la société médiévale en général de l’autorité spirituelle des cheikhs. La hiérarchie initiatique des saints se profile ici encore sur le pouvoir temporel, comme en témoigne l’attribution aux saints de titres d’ordinaire réservés aux puissants de ce monde. Le cheikh šāḏilī Muḥammad al-Ḥanafī est connu comme « le sultan al-Ḥanafī » (al-sulṭān al-Ḥanafī) ou encore « le roi » (al-malik)186. Un terme spécifique impliquant une autorité parallèle désigne dans le taṣawwuf le pouvoir du saint : le taṣrīf ou taṣarruf. Ce pouvoir, en effet, n’est pas de nature terrestre, puisque Zakariyyā al-Anṣārī affirme qu’il se prolonge dans la “vie intermédiaire” du barzaḫ ; après sa mort, le walī peut même jouir d’un taṣarruf plus complet que durant son existence en ce bas-monde187. Toutefois, ʿAlī al-Ḫawwāṣ précise qu’une telle karāma n’est pas accordée à tous les saints, à l’instar du dévoilement (kašf)188 ; elle l’est du moins aux piliers de la hiérarchie initiatique189.
Le Pôle suprême (al-quṭb al-ġawṯ), le pivot du monde, détient en premier chef le taṣrīf, mais il ne l’exerce généralement pas de manière visible car nous avons vu qu’il devait rester ignoré des hommes190. Pourtant, la quṭbāniyya que détient le « sultan al-Ḥanafī » durant plus de quarante-six ans est tout à fait extériorisée191. Les créatures les plus diverses font un pacte d’allégeance avec lui, qu’il s’agisse des djinns, des hommes volants ou des habitants de la mer192 ; les rois de la terre, du Maghreb à l’Inde, lui prêtent également obédience193 et lui envoient des cadeaux merveilleux194. L’ascendant qu’a le cheikh sur les sultans mamelouks qui se sont succédé sous son “règne” évoque l’autorité à la fois extérieure et intérieure qu’exercèrent, selon Ibn ʿArabī, les califes Abū Bakr, ʿUmar, ʿUṯmān, ʿAlī et quelques-uns de leurs successeurs, qui furent les Pôles de leur époque195.
Šaʿrānī est, à notre connaissance, le seul auteur au Proche-Orient à évoquer les aṣḥāb al-nawba (“les Gens du Tour de Rôle”), censés occuper des fonctions ésotériques pour un temps et un espace déterminés196. On ne peut les assimiler aux nuwwāb des quatre piliers (awtād) évoqués par Ibn ʿArabī197. Dans sa fatwa sur la hiérarchie initiatique, Suyūṭī n’emploie jamais cette expression, et les auteurs postérieurs n’en font pas davantage mention198. L’auteur des Ṭabaqāt kubrā a de manière évidente pris ce terme de son maître ʿAlī al-Ḫawwāṣ, qu’il nous montre très lié avec le monde de l’Invisible.
Il règne sur ces aṣḥāb une certaine ambiguïté, car tantôt il s’agit de personnages réels, incarnés et identifiés, et tantôt ils constituent une seconde hiérarchie occultée davantage encore ; les initiés eux-mêmes les consultent en effet avec déférence (adab) et semblent placés sous leur obédience199. Il faut ici faire référence au Conseil des saints (dīwān al-awliyā’) de la hiérarchie, auquel font allusion les soufis et certains ʿulamā’. Celui-ci se réunit à la Mecque dans la grotte où se retirait le Prophète (Ġār Ḥirā’) ; de là se régirait le monde sur le mode ésotérique200. Il existe des conseils ayant une juridiction plus restreinte, à la tête desquels se trouvent les pôles (aqṭāb) régionaux201. Ainsi, une assemblée de awliyā’ se tient, selon al-Ḫawwāṣ, sur la montagne du Muqaṭṭam qui domine le Caire et d’où ils gèrent un vaste domaine202 ; les soufis damascènes, quant à eux, affirment que le dīwān des saints de Syrie se tient auprès de la tombe du prophète Yaḥyā dans la mosquée des Omeyyades.
Le rôle cosmique du walī s’applique en effet à un domaine plus ou moins large, en fonction de son degré spirituel. Ici intervient la notion de territorialité : chaque saint connaît l’étendue de son domaine de juridiction spirituelle et celui des autres awliyā’. Ceux-ci voient en al-Dašṭūṭī le « patron du Caire » (ṣāḥib Miṣr)203, tandis qu’Ibn ʿInān dit de ʿAlī al-Ḫawwāṣ qu’il détient le taṣrīf dans les trois quarts du pays égyptien204. ʿAlī al-Ḏuwayb, lui, n’est que le pôle de la Šarqiyya205 et la fonction du maǧḏūb al-Subkī se limite à la campagne206. Chaque région du monde aurait de même ses propres aṣḥāb al-nawba, nommés pour une durée précise (ce qu’indique le mot nawba)207, et pour un espace limité208.
Le saint est souverain sur son territoire. Muḥammad al-Ḥanafī ne laisse aucun saint entrer au Caire sans sa permission209 ; Ibrāhīm al-Matbūlī, désigné en son temps comme le maître du Caire (al-mušār ilay-hi fī-hā), refuse l’accès de la ville à Ḥasan al-ʿIrāqī, lui qui désire s’y établir après de longues pérégrinations210. Les conflits portant sur les frontières du pouvoir spirituel ne manquent donc pas d’apparaître, comme c’est le cas pour les rois de ce monde. Ainsi, lorsqu’Aḥmad al-Saṭīḥa, de la province de la Ġarbiyya, se rend en Haute-Égypte, il se heurte à la forte opposition des responsables occultes de cette région (fuqarā’ al- Ṣaʿīd min ahl al-bāṭin) ; seul un maǧḏūb le sort de sa situation inextricable211.
On remarquera que la hiérarchie des saints apparaît de façon plus estompée en Syrie, et surtout que la territorialité de la walāya, très forte en Égypte, y est quasiment inexistante ; en Syrie, zone de passage et d’échange, l’attachement à la terre est moins fort. Quoi qu’il en soit, l’autorité des cheikhs s’impose moins dans le Bilād al-Šām, ou du moins y est-elle moins extériorisée. D’autre part, l’importance singulière qu’attribue Šaʿrānī aux aṣḥāb al-nawba peut s’expliquer par celle qu’il accorde aux maǧḏūb-s ; la plupart de ces vigiles de l’Invisible sont en effet des “ravis en Dieu”, pour lesquels le monde tangible ne représente que l’antichambre du ʿālam al-ġayb. Or, les extatiques syriens ont incontestablement un rôle moindre dans la société.
Cette administration invisible du monde, telle que nous la présentent les auteurs du taṣawwuf, affleure souvent le champ concret du pouvoir temporel. Les souverains, ou les dynasties qu’ils représentent, semblent avoir des aṣḥāb al-nawba attachés à leur protection212. On peut consulter ceux-ci pour toute affaire relevant du domaine politique, selon al-Bursalī213 ; les aṣḥāb exercent d’ailleurs un contrôle strict sur les rapports entre le prince et le saint214. Al-Sanūsī donne, dans son Salsabīl, les indications qu’il faut suivre pour obtenir le soutien des riǧāl al-ġayb, lorsqu’on s’oppose ou qu’on présente une requête à ceux qui croient régir ce bas-monde, c’est-à-dire les autorités politiques et religieuses ; mais les dirigeants eux-mêmes peuvent bénéficier de cette assistance, notamment lorsqu’ils se préparent à la guerre215.
Il ne fait pas de doute que les tenants du pouvoir temporel donnent dans leur ensemble du crédit à cet « État ésotérique » (dawlat al-bāṭin ou dawla bāṭiniyya216) qui se superpose au leur ; du moins ont-ils conscience du pouvoir supranaturel des cheikhs, comme le montrent les marques d’allégeance que beaucoup manifestent à leur égard. Un homme du xxe siècle peut voir aisément dans cette autorité parallèle des saints une façon de sublimer, pour les cheikhs, les contraintes du pouvoir temporel qui s’exerce réellement sur eux217. Mais cette autorité s’impose à nous, quelle que soit l’interprétation qu’on en fasse ; elle imprègne tous les textes au même titre que les miracles, autre forme d’expression du pouvoir des saints218. L’historien se doit donc objectivement de la prendre en considération, sous peine d’effacer une part importante du vécu médiéval. Il sait, comme l’ethnologue, que la réalité ne s’appréhende pas à un seul niveau, mais qu’elle est au contraire pluri-dimensionnelle.
Ce n’est pas seulement la société, la masse anonyme, qui revêt les saints des attributs du pouvoir, mais aussi les sultans. Ǧaqmaq, par exemple, venant d’assister à une karāma de cheikh Madyan, aurait confié à son entourage que les maîtres soufis sont les vrais sultans219, et le Roman de Baïbars fait dire au futur souverain qu’il va « rendre visite au Souverain de ce temps », c’est-à-dire Aḥmad al-Badawī220. Šaʿrānī rapporte une anecdote dont il a été témoin alors qu’il était jeune homme, lorsqu’il accompagna Abū al-Ḥasan al-Ġamrī (m. 939/1533) à la Citadelle pour une question d’intercession. À leur arrivée, le sultan al-Ġawrī se leva pour accueillir le cheikh, pourtant plus jeune que lui, et lui dit : « Sīdī, tu m’honores en me visitant aujourd’hui, car mon royaume tout entier ne saurait se mesurer à la Voie que tu suis. »221
Les dirigeants montrent en plusieurs occasions qu’ils attribuent aux saints le pouvoir de changer le cours des événements par la seule puissance de leur pensée, de leur esprit : le ḫāṭir, volonté spirituelle efficiente émanant du maître, est en même temps craint et recherché, à l’instar de la hayba, qui implique à la fois fascination et effroi222. Pour Ǧaqmaq, cheikh Madyan est « le sultan », car ayant sollicité l’aide de son ḫāṭir pour le financement de son armée, le saint lui fait parvenir une colonne de pierre qui se révèle être en minerai précieux223. Le plus souvent cependant, le ḫāṭir du saint est dirigé contre le prince et s’exerce comme une vengeance lorsque ce dernier ne reconnaît pas l’autorité du saint. Le sultan Faraǧ, fils de Barqūq, entre en conflit avec al-Ḥanafī ; celui-ci, après avoir dirigé sa pensée contre lui (taġayyur ḫāṭir al-šayḫ), déclenche chez Faraǧ une tumeur224. Le saint peut se venger plus modestement en provoquant, par son ḫāṭir, la destitution d’un dirigeant225. Pour cette raison, le gouverneur de Damas met en garde celui d’Alep et lui conseille d’accepter l’intercession du cheikh Abū al-ʿAwn al-Ǧalǧūlī, de peur que la pensée de celui-ci ne s’assombrisse à son égard226. De même, al-Ġawrī convoque-t-il un jour Šams al-Dīn al-Dimyāṭī car celui-ci a reproché publiquement au sultan de délaisser le ǧihād, probablement contre les Portugais ; le sultan ne répondant pas tout d’abord aux salutations du cheikh, ce dernier lui signifie qu’il perdra le pouvoir s’il ne lui rend pas le salām : al-Ġawrī obtempère alors immédiatement227.
L’amplification du fait historique ne fait aucun doute chez des auteurs comme Šaʿrānī ou al-Ġazzī, mais elle laisse toutefois entrevoir une mentalité sous-jacente chez les dirigeants228. Celle-ci n’exclut pas que les émirs agissent parfois de la sorte par tactique politique ; le sultan sait pertinemment que les marques de vénération qu’il manifeste envers les cheikhs lui font gagner les suffrages de la population. Il est de toute façon obligé de les ménager, car l’autorité qu’ils détiennent peut l’appuyer, le légitimer ou bien s’opposer à lui et lui nuire. Comme le remarque Michel de Certeau pour l’Occident médiéval, « une attraction réciproque du prince et du saint les rassemble sous le signe d’une vedettisation »229 ; cette phrase caractérise parfaitement, nous semble-t-il, les relations entre les émirs et les cheikhs.
Il n’empêche qu’il y a bien un doute pour savoir qui l’emporte du pouvoir temporel ou du pouvoir spirituel en Islam médiéval. La compétition dans la souveraineté affleure parfois de manière aiguë : « Le royaume est-il à moi ou à toi ? », demande le sultan Faraǧ à al-Ḥanafī. « Il n’est ni à toi ni à moi, mais à Dieu, l’Unique, le Tout-Puissant », lui répond le cheikh230. Qāytbāy, exaspéré par l’opposition systématique d’Ibrāhīm al-Matbūlī, finit par lui dire : « Ou c’est moi ou c’est toi [qui gouverne] en Égypte », et al-Matbūlī de s’en aller sur sa mule en direction de Jérusalem...231. On imagine en effet que les dirigeants puissent être agacés par les comportements provocateurs de certains cheikhs visant à montrer aux premiers où se trouve selon eux le pouvoir. ʿAbd al-Qādir al-Dašṭūṭī, le saint cairote sans doute le plus populaire en cette fin d’époque mamelouke, demande un jour à Qāytbāy de faire partir les mouches qui l’assaillent. Devant l’étonnement et l’incapacité du sultan, le saint répond : « Comment peux-tu être sultan alors que les mouches ne t’obéissent pas ? », sur quoi al-Dašṭūṭī leur ordonne de s’éloigner232. La compétition entre les deux pouvoirs ne s’arrête pas au niveau du symbole mais peut aussi avoir des incidences politiques concrètes, car si l’on en croit Šaʿrānī, les soldats du sultan (il s’agit sans doute de Barqūq) se seraient soustraits un moment à l’obédience qu’ils lui devaient pour se placer sous celle du cheikh Ḥasan al-Tustarī233.
Illustrons enfin par un dernier témoignage la reconnaissance par le prince d’une autorité supérieure à la sienne. Le grand cadi ʿAfīf al-Dīn Ibn al-Šiḥna (m. 910/1504 ou 916/1510), qui fut kātib al-sirr auprès de Qāytbāy avant de l’être sous son fils et successeur Muḥammad al-Nāṣir, écrit en 902 h. un opuscule intitulé al-Badr al-zāhir fī nuṣrat al-malik al-nāṣir Muḥammad b. Qāytbāy234 dans lequel il prend la défense du sultan Muḥammad235, dont le pouvoir vient d’être usurpé par l’émir Qānṣūh « Ḫamsmiyya ». Ce “putsch” est bien éphémère, car Qānṣawh n’occupe alors le sultanat que trois jours, avant d’y revenir un an plus tard après l’assassinat de Muḥammad Nāṣir. Nous simplifions ici à l’extrême les remous qui secouent la scène politique mamelouke en cette fin de régime, car ce qui nous importe ici, c’est que dans le Badr zāhir, commandité sans doute par Muḥammad Nāṣir, Ibn al-Šiḥna convoque le monde invisible ainsi que tout un aréopage de saints pour qu’ils assistent le sultan : par leur soutien, « al-Nāṣir », celui qui défend l’État et l’Islam, deviendra « al-Manṣūr », le secouru, le victorieux. C’est bien la victoire en effet que lui prédisent al-Dašṭūṭī, cité en premier lieu236, et les maǧḏūb-s237 ; c’est surtout ce que dévoilent de nombreux rêves, où toutes les autorités spirituelles sont invoquées, du Prophète à ʿAbd al-Qādir al-Ǧīlānī, en passant par l’imam al-Šāfiʿī et Sayyida Nafīsa, deux figures célèbres enterrées au Caire, et bien sûr Ḫaḍir, qui veille sur le sultan238.
Éric Geoffroy
Notes
1 Cf. supra, p. 24.
2 Ibn Mulaqqin, Ṭabaqāt al-awliyā’, p. 449.
3 Nabhānī, Ǧāmiʿ, II, p. 253 ; Ibn Iyās, Badā’iʿ, IV, p. 83.
4 Ṭ.K., II, p. 182.
5 Ibid., II, p. 134.
6 Dans son autobiographie éditée par E. M. Sartain, al-Taḥadduṯ bi-niʿmat Allāh, p. 235.
7 Nous illustrerons ce phénomène de façon plus complète lorsque nous traiterons du maǧḏūb.
8 Ġalaba ʿalay-hi fī āḫir ʿumri-hi al-ḫafā’ li-ʿulūw maqāmi-hi ; cf. Kaw., II, p. 149.
9 Šarḥ Silk al-ʿayn, fol. 187b.
10 Ibid., fol. 191b ; cf. Ibn ʿAṭā’ Allāh, Laṭā’if al-minan, p. 70.
11 Nasamāt al-asḥār, fol. 153b.
12 N’est-ce pas ce que suggère le hadith suivant, rapporté par Muslim : « Il peut arriver fréquemment qu’un homme échevelé, couvert de poussière et repoussé à toutes les portes, soit exaucé dans les requêtes qu’il adresse à Dieu » (rubba ašʿaṯ madfūʿ bi-al-abwāb law aqsama ʿalā Allāh la-abarra-hu) ?
13 Ṭ.K., II, p. 122-123.
14 Kaw., I, p. 243-244.
15 Bal wa Allāh la-afḍaḥanna-ka wa ušhiranna-ka ; cf. Ibid., I, p. 243.
16 Ṭ.K., II, p. 138.
17 Kaw., I, p. 283.
18 Ṭ.K., II, p. 67. Un autre cheikh égyptien de la première période mamelouke fait l’objet de jugements aussi contradictoires : les états spirituels (aḥwāl) de Muḥammad al-Muršidī (m. 737/1337) sont perçus comme venant tantôt de Dieu (raḥmāniyya), tantôt de Satan (šayṭāniyya) ; cf. al-ʿUmarī, Masālik al-abṣār, VIII, p. 271.
19 Al-Buṣrawī, Tārīḫ, p. 216.
20 En référence au verset coranique : « Il créa les cieux sans piliers visibles » (ḫalaqa al-samāwāt bi-ġayr ʿamad tarawna-hā) ; Cor. XXXI, 10 ; cf. Durar al-ġawwāṣ, p. 38.
21 Ibid., p. 39.
22 Laysa min ša’n al-quṭb iẓhār al-karāmāt wa al-ḫawāriq li-anna maqāma-hu al-tasattur ; cf. Durar al-ġawwāṣ, p. 118. Le savant cairote Kamāl al-Dīn Ibn al-Humām voit le Pôle entre ciel et terre à la Mecque en la personne d’Abū al-ʿAbbās al-Sarsī, le successeur de Muḥammad al-Ḥanafī ; de retour au Caire, il va immédiatement lui rendre visite ; al-Sarsī lui enjoint alors de ne point divulguer ce qu’il a vu (« Uktum mā ra’ayta-hu ») ; cf. Š.Ḏ., VII, p. 297-298. La nécessaire occultation des représentants les plus élevés de la hiérarchie des saints fait l’objet de nombreuses anecdotes dans la littérature du taṣawwuf.
23 L’expression riǧāl al-ġayb est la plus souvent employée par les auteurs ; pour Ibn ʿArabī, ceux-ci ne représentent toutefois qu’une catégorie parmi les saints de la hiérarchie qu’il nomme riǧāl al-ʿadad (Suʿād al-Ḥakīm, al-Muʿǧam al-ṣūfī, p. 517).
24 M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints, p. 111.
25 Cf. infra, p. 135 et sq.
26 Cf. infra, p. 429 et sq.
27 Cf. les hadiths cités dans la fatwa de Suyūṭī que nous aborderons plus loin (Ḥāwī, II, p. 456, 460, 463, etc.)
28 Durar al-ġawwāṣ, p. 38. On rapporte qu’Abū Yazīd al-Bisṭāmī fut chassé sept fois de sa ville, mais les habitants lui demandèrent finalement d’y revenir pour en éloigner les calamités (Šaʿrānī, al-Aǧwiba al-marḍiyya, fol. 118 ; E. Dermenghem, loc. cit., p. 165).
29 Kaw., I, p. 30, 281.
30 Littéralement : « au point qu’il n’ait plus une once (ūqiyya) de chair [sur les os] » ; cf. Ṭ.K., II, p. 174.
31 Kaw., I, p. 40.
32 Ṭ.K., II, p. 152.
33 Ibid., II, p. 151. Muḥammad Wafā (m. 760/1359) aurait été appelé ainsi parce que le Nil n’ayant pas atteint une année le niveau attendu (al-wafā’), il serait monté de dix-sept coudées le jour où le saint le lui aurait ordonné (Ibid., II, p. 21). En 926/1520, le niveau du fleuve baissant désespérément, le gouverneur d’Égypte Ḫayrbak envoie au Nilomètre ʿulamā’ et soufis pour qu’ils y invoquent Dieu (Badā’iʿ, V, p. 343).
34 Ṭ.K., II, p. 143.
35 al-Ḥāwī, II, p. 467. Ce Tābiʿ est Ibrāhīm al-Naḫʿī (m. 196/815), grand faqīh iraqien ; cf. Aʿlām, I, p. 80.
36 Selon le sens de la racine ḪFR ; de nos jours, celle-ci a avant tout un sens profane : le maḫfar est le poste de garde, de police.
37 Kaw., I, p. 121.
38 Al-ʿUlaymī, Uns, p. 504.
39 Cheikh ʿAlwān, Muǧlī al-ḥuzn, fol. 123a.
40 Ǧāmiʿ, II, p. 508, citant al-Munāwī.
41 Kaw., II, p. 240-241.
42 ʿAbd al-Ra’ūf al-Munāwī présente ʿĪsā b. Naǧm al-Burlusī comme le « ḫafīr du lac de Burlus » (ce lac se trouve dans le Delta égyptien, à l’est d’Alexandrie) ; cf. al-Kawākib al-Durriyya, fol. 299b.
43 Ṭ.K., II, p. 102.
44 Ibid., II, p. 93.
45 Kaw., II, p. 190.
46 Cf. Muḥammad Bakhit, The Ottoman Province of Damascus in the Sixteenth Century, Beyrouth, 1982, p. 183-184.
47 Ġazzī parle de iʿtiqād ʿaẓīm ; Kaw., II, p. 31.
48 Ibid., I, p. 201.
49 Durr, II, p. 616-620 ; Kaw., I, p. 320.
50 Ce personnage est, sous les Mamelouks, un émir faisant fonction de secrétaire exécutif auprès du sultan ou du vice-roi.
51 Kaw., I, p. 77-78 ; Ibn Ṭūlūn, Iʿlām al-warā, p. 177.
52 Kaw., I, p. 75.
53 Ibid., I, p. 75-76 et II, p. 240-242.
54 Ibid., II, p. 232.
55 Ibid., I, p. 93 et M. Winter, loc. cit., p. 104 et 122 note 56.
56 Voir p. 180.
57 Cf. infra, p. 174.
58 Kaw., I, p. 39.
59 Ṭ.K., II, p. 84.
60 Min šarṭ al-dāʿī ilā Allāh taʿālā an yuṭʿima al-nās wa lā yuṭʿimū-hu ; Kaw., I, p. 97-98.
61 Chez Ibn ʿInān (Kaw., I, p. 39) ou chez Muḥammad al-Šinnāwī (Laṭā’if al-minan de Šaʿrānī, cité par Nabhānī, Ǧāmiʿ, I, p. 300).
62 Sur le sens spirituel de ce charisme chez Ibn ʿArabī, cf. M. Chodkiewicz, Un océan sans rivage, p. 132-133.
63 Kaw., I, p. 224.
64 Le premier rembourse ainsi les dettes d’autrui (Kaw., I, p. 78) ; pour le second, cf. Ibid., I, p. 110.
65 Fatḥ al-bārī, fol. 12a.
66 Ṭ.K., II, p. 87.
67 Ibid., I, p. 223.
68 Ibid., II, p. 132.
69 Ibid., II, p. 133.
70 Le multazim est, sous les Ottomans, le "fermier", celui qui prend à ferme la levée des impôts dans une province (Dozy, Supplément aux dictionnaires arabes, Leyde, 1881, II, p. 535).
71 Le cheikh aurait été averti du projet du multazim grâce à un miracle.
72 Ṭ.K., II, p. 132-133 et Kaw., I, p. 98.
73 Kaw., I, p. 96 ; Tawfīq al-Ṭawīl, al-Taṣawwuf fī Miṣr, p. 131.
74 Kaw., I, p. 96.
75 Ibid., I, p. 213.
76 Ibid., I, p. 120.
77 Ibid., II, p. 150.
78 Il n’a pas d’associé dans cette souveraineté : lam yakun la-hu šarīk fī al-mulk ; Cor. XXV, 2.
79 « C’est Lui qui investit les saints » (wa huwa yatawallā al-ṣāliḥīn) ; Cor., VII, p. 196. Le saint, le walī (pl. awliyā’) est justement celui qui est investi de la proximité et de l’intimité divines (walāya).
80 Cf. supra, p. 58, note 22.
81 Laṭā’if al-minan d’Ibn ʿAṭā’ Allāh, p. 125-126 pour celui-ci ; Ṭ.Ṣ., p. 42 pour al-Anṣārī, et Ṭ.K., II, p. 182-183 pour al-Dimyāṭī.
82 Ibid., II, p. 123.
83 Al-ʿUmarī, Masālik al-abṣār, VIII, p. 272.
84 Šarḥ Silk al-ʿayn, fol. 121a-b.
85 Beaucoup de Turcs, mamelouks ou ottomans, semblent consommer de l’alcool, parmi ceux qui occupent les plus bas degrés de la hiérarchie militaire tout au moins ; les conflits avec les cheikhs qui s’emploient à crever les outres ne sont pas rares ; les Atrāk tentent par exemple de supprimer à Damas Mubārak al-Qābūnī (m. après 897/1492) pour cette raison ; cf. Ibn Ṭūlūn, Tamattuʿ, p. 199.
86 Ms. Damas, fol. 237-279. Cf. le compte rendu qu’en a fait ʿAbd Allāh Muḫliṣ dans le n° 20 de la Maǧallat al-maǧmaʿ al-ʿilmī al-ʿarabī, p. 224-228. Cf. également A. ʿUlabī, Dimašq, p. 437. Rappelons que le Tibr masbūk fī naṣīḥat al-mulūk d’al-Ġazālī constitue un précédent illustre du genre de la naṣīḥa (Beyrouth, 1988).
87 Muǧlī al-ḥuzn, fol. 114a-b.
88 L’ouvrage a été édité à Tanta en 1991 ; cf. également E. M. Sartain, loc. cit., p. 89.
89 Ṭ.Ṣ., p. 29, 30.
90 Šaʿrānī rapporte qu’un cheikh voyait le Prophète en rêve chaque nuit ; après avoir été reçu par un « dirigeant injuste » (ẓālim min al-wulāt), il ne le perçoit plus que de loin (Murād al-Rūmī, Fatḥ al-bārī, fol. 5b).
91 Šaʿrānī, Anwār, I, p. 79, 165.
92 Ṭ.K., II, p. 153.
93 Ibid., 151.
94 Ibid., I, p. 204. Le cheikh se permet de plus une rime sarcastique : « min Ibrāhīm al-Ǧaʿbarī ilā al-kalb al-Zūbarī ». Le ton est d’autant plus ironique que le mot zūbar ou zawbar désigne en arabe le brin de laine.
95 Ibid., II, p. 83.
96 C’est notamment la position de cheikh ʿAlwān dans ses Naṣā’iḥ muhimma (fol. 272b), de ʿAbd al-Qādir al-Ṣafadī (Š.Ḏ., VIII, p. 70) ou de Muḥammad al-Maġribī qui refuse les mille dinars que Qāytbāy le supplie de prendre (Kaw., I, p. 79) ; quant à Muḥammad al-Kafarsūsī, il ne touche pas un seul sou de la somme que lui a octroyée le vizir ottoman Ibrāhīm Pacha « à cause de l’injustice qui souille le Trésor public (Bayt al-māl) » ; Ibid., I, p. 54-55.
97 Les présents que Muḥammad al-Munayyir apporte aux Mecquois sont, pour Muḥammad Ibn ʿArrāq, impurs ou du moins douteux (min al-šubuhāt) car ils proviennent des émirs du Caire (Ibid., I, p. 96).
98 Ibid., II, p. 221. Muḥammad al-Tūzī et ʿUbayd al-Danǧāwī procèdent de même (Ibid., I, p. 94 ; II, p. 190). Al-Ḫawwāṣ confirme cette position dans sa réponse à Šaʿrānī le questionnant sur la nourriture offerte par les dirigeants : celle-ci vient en fait de Dieu, et le vrai serviteur (ʿabd) n’a pas à opérer un choix rationnel, mais à s’effacer devant la volonté divine (Durar al-ġawwāṣ, p. 76).
99 Kaw., I, p. 28-29.
100 Al-Ḥiṣkafī, Mutʿa, n° 53.
101 Al-Ġawrī fait rénover une zāwiya pour ʿUbayd al-Danǧāwī (Kaw., II, p. 190) alors que Sélim donne à Muḥammad al-Ṣamādī un village entier dont les revenus iront pour une partie à la zāwiya des ṣamādi à Damas, et pour l’autre à la descendance du cheikh (cf. infra, p. 131, n. 162).
102 Il s’agit en fait d’un imposteur qui attend la générosité pécunière du sultan, laquelle ne manque pas de se manifester (Ibn Iyās, Badā’iʿ, III, p. 254).
103 Sa requête s’adresse à tous les maîtres soufis du Caire, mais il semble n’avoir été suivi à Marǧ Dābiq que par un petit nombre d’entre eux ; Tāǧ al-Dīn al-Ḏākir lui prédit en effet sa défaite (Kaw., I, p. 258-259), à l’instar de nombreux maǧḏūb-s (cf. supra, p. 76) ; voir également Trimingham, loc. cit., p. 240, et M. Winter, loc. cit., p. 103.
104 L’émir Ṭaṭar rend plus qu’une simple visite à Muḥammad al-Ḥanafī : il ôte ses beaux habits pour remplir le bassin de la zāwiya. Une fois devenu sultan, il ne peut s’empêcher de continuer à descendre chez le cheikh plusieurs fois par semaine (Ṭ.K., II, p. 93).
105 Telles sont les marques de déférence employées par Qāytbāy envers le faux al-Dašṭūṭī (Badā’iʿ, III, p. 254), et par al-Ġawrī et Ṭūmanbāy envers Muhammad Ibn ʿInān (Anwār, I, p. 19).
106 Ṭ.K., I, p. 184 ; Ibn Mulaqqin, Ṭabaqāt al-awliyā’, p. 423, note 1. Le Roman de Baïbars, geste populaire du sultan datant de l’époque ottomane, atteste de l’affiliation de Baybars à « l’Extatique des deux mondes » ; cf. La chevauchée des fils d’Ismaïl, traduit de l’arabe et annoté par G. Bohas et J. P. Guillaume, Paris, 1987, p. 101. Il faut par contre considérer comme une légende l’affirmation selon laquelle le sultan serait sorti du Caire avec son armée pour accueillir le cheikh arrivant d’Iraq ; ce voyage a eu lieu en effet vers 635/1237, alors que Baybars n’accède au pouvoir qu’en 658/1260 (cf. sur ce point ʿAlī Ṣāfī Ḥusayn, al-Adab al-ṣūfī fī Miṣr fī al-qarn al-sābiʿ al-hiǧrī, Le Caire, 1964, p. 149). Au xve siècle, le sultan Ḫušqadam est connu pour la vénération qu’il manifeste à l’égard du saint de Tanta ; cf. Annemarie Schimmel, « Sufismus und Heiligenverehrung im spätmittelalterlichen Ägypten », dans Festschrift Werner Caskel, Leiden, 1968, p. 275 ; cet article donne un bon aperçu des relations entre Mamelouks et soufis (p. 274-288).
107 Kaw., I, p. 298.
108 Ibid., I, p. 249.
109 Ṭ.K., II, p. 148.
110 Kaw., I, p. 214.
111 Ǧāmiʿ, I, p. 528.
112 Ṭ.K., II, p. 146-147.
113 Ibid., II, p. 144.
114 Cf. Ǧāmiʿ, II, p. 156-157 (Nabhānī cite ici les ʿUhūd muḥammadiyya de Šaʿrānī) ; al-ʿUlabī, Dimašq, p. 143 ; Les grandes dates de l’Islam, p. 88.
115 Kaw., I, p. 83.
116 Ibid., I, p. 212-213.
117 Tel Kasbāy Salḥadār, qui demande à Suyūṭī une fatwa sur la vision de Dieu par les femmes dans l’Au-Delà (Kaw., I, p. 300-301).
118 Deux d’entre eux se disputent à propos de ʿUmar Ibn al-Fāriḍ : pour le premier, le poète mystique est un saint, pour le second un hérétique ; ils demandent alors un avis juridique à Zakariyyā al-Anṣārī (Ibid., I, p. 203).
119 Tel Šams al-Dīn al-Dimyāṭī (Ṭ.K., II, p. 182).
120 ʿAlī al-Ḥiṣnī (m. 887/1482), ʿālim enseignant au Caire, se lie avec les deux dawādār-s Bardabak al-Ašrafī et Yašbak ; il est enterré dans le mausolée de ce dernier ; cf. Ḍaw’, V, p. 299 ; Tamattuʿ, p. 150.
121 Kaw., I, p. 276.
122 Il voit le Prophète en rêve ; il écrit, nous l’avons vu, des prières et des litanies. Les sources sont unanimes sur ce point : cf. Kaw., I, p. 297-300 ; Rasā’il šayḫ Damirdāš, p. 28 ; Nūr sāfir, p. 13-15 ; Uns ǧalīl, II, p. 616-617.
123 Ce recueil de poésie a pour titre al-Durra al-muḍī’a fī al-ma’āṯir al-ašrafiyya, du surnom (laqab) du sultan, al-Ašraf Qāytbāy ; cf. Kaw., I, p. 298.
124 Ibid., I, p. 300. Sur le taǧdīd, cf. infra, p. 489.
125 Ṭ. Ṣ., p. 34.
126 Cf. l’art. de L. Massignon, « La survie d’al-Ḥallāj », dans B.E.O., XI, 1945-1946, p. 139.
127 C’est le sens du terme zūkārī, dont Dozy donne le pluriel zawākira ; cf. Supplément aux dictionnaires arabes, I, p. 597.
128 Kaw., I, p. 211-212.
129 Ibn Ḥaǧar, Durar, IV, p. 13.
130 Al-ʿUmarī, Masālik al-abṣār, VIII, p. 238-240.
131 Ibid., VIII, p. 276.
132 Nabhānī, Ǧāmiʿ, I, p. 530, citant al-Munāwī. C’est pourtant ce cheikh, souvenons-nous, qui aurait fait condamner Nasīmī.
133 Cf. infra, p. 384.
134 Badā’iʿ, IV, p. 343.
135 Cf. J.-P. Pascual, Damas à la fin du xvie siècle, Damas, 1983, p. 10, 15.
136 Ibn Ṭūlūn, Mufākaha, I, p. 319 ; al-Ġazzī commentant l’événement s’empresse d’ajouter qu’il s’agit là d’un miracle évident du cheikh (Kaw., I, p. 275).
137 Ibid., I, p. 275-276.
138 Cheikh ʿAlwān, Šarḥ Silk al-ʿayn, fol. 21a.
139 Cf. E. B. Šapolyo, Mezhepler ve Tarikatler Târihi, Istanbul, 1964, p. 448.
140 Šaqā’iq, p. 8, 11, 12.
141 Ibid., p. 12.
142 Histoire de l’Empire ottoman, p. 32-33. Orḥān montre une grande déférence pour Kīklo Baba, dont un de ses émirs s’est fait le serviteur (Šaq., p. 11).
143 Šaq., p. 38-39 ; J. Birge, The Bektashi Order of Dervishes, Londres, 1937, p. 61-62.
144 Šaq., p. 146, 158.
145 Cf. l’art. de M. Kara « Molla Ilāhī : un précurseur de la Nakšbendiye en Anatolie », dans les actes du colloque Naqshbandis, cheminements et situation actuelle d’un ordre mystique musulman, Istanbul-Paris, 1990, p. 304, 308.
146 Al-Ǧāmī répond à sa demande en écrivant plusieurs épîtres (Šaq., p. 159).
147 Ibid., p. 139. Āq, médecin et alchimiste, enseigne également les sciences islamiques ; il est un des cheikhs de la Bayrāmiyya, où des influences chiites sont supposées être présentes, mais nous doutons qu’elles soient très fortes ; cf. infra, p. 231.
148 Ibid., p. 140. C’est également Āq Šams al-Dīn qui aurait découvert, à la deman-de du souverain, et par « dévoilement », l’emplacement de la tombe du Compagnon du Prophète Ayyūb al-Anṣārī (le Eyüp turc), mort lors du premier siège de la ville par les Arabes. D’après ce que rapporte Šawkānī, le sultan aurait défailli devant l’évidence d’une telle faculté surnaturelle (al-Badr al-ṭāliʿ, Le Caire, 1348 h., II, p. 166-169).
149 Notons au passage que l’attachement des Ottomans au soufisme se traduit notamment par leur vénération pour Abū Yazīd al-Bisṭāmī, le maître ḫurāsānien du iiie/ixe siècle, dont deux sultans ont porté le nom (sous la forme Bāyazīd).
150 Cf. l’épisode où le sultan demande à voir le visage du cheikh défunt Ibn al-Wafā, avant qu’il ne soit enterré ; le souverain insiste après avoir essuyé un premier refus des ʿulamā’ : de ce visage, rapporte Taškoprüzādeh, émanait la majesté, reflet de la Majesté divine (al-Ǧalāl) ; Šaq., p. 146. Bāyazīd ne voit d’autre recours pour enrayer la peste qui sévit en Turquie que d’envoyer le cheikh Chelebi Khalifa et quarante de ses disciples au Pèlerinage pour qu’ils invoquent la clémence divine (Šaq., p. 163-164).
151 Trimingam, loc. cit., p. 101 ; Les grandes dates de l’Islam, p. 98.
152 J. Birge, loc. cit., p. 69-70.
153 Histoire de l’Empire ottoman, p. 709-710.
154 La Ḥaydariyya est une branche de la Qalandariyya, qui professe une doctrine chiite hétérodoxe.
155 Cf. Dans l’empire de Soliman le Magnifique, relation de voyage du Français Nicolas de Nicolay au xvie siècle, présentée et annotée par M. C. Gomez-Géraud et S. Yérasimos, Paris, 1989, p. 292, notes 106 et 107.
156 Cf. Trimingham, loc. cit., p. 63.
157 Cf. l’art. de H. Algar, « Political Aspects of Naqshbandī History », dans Naqshbandis, p. 129-130, 169.
158 Cf. l’art. de M. Kara, « Molla Ilāhī », p. 328.
159 Rawḍ, fol. 225a-b.
160 La première fois, l’entretien a lieu sans aucun échange de paroles ; la seconde, le sultan écoute le cheikh qui le sermonne (Kaw., I, p. 89).
161 Le vice-roi de Damas envoie en 917/1511 le cheikh Muḥammad al-Ṣamādī en mission auprès d’un grand chef des Arabes bédouins de Syrie, Muḥammad b. Sāʿid. Il s’agit de mettre fin à sa révolte et de le ramener à l’allégeance envers le sultan : les deux personnages arrivent en cortège à Damas, accompagnés des tambours des ṣamādi ; cf. l’art. de Fr. Meier, « Die Ṣumādiyya, ein Zweigorden der Qādiriyya in Damaskus », dans Fest. H.R. Rœmer, Beyrouth, 1979, p. 451.
162 Cf. supra, p. 115 pour le rôle d’intercesseur de Muḥammad al-Ṣamādī. Ce cheikh visite Sélim à Istanbul. Le sultan, qui le vénère (Ġazzī parle de iʿtiqād ʿaẓīm), lui donne un village pour sa famille et ses disciples dans la Béqaa puis dans le Ḥawrān (Ibn Ayyūb, Rawḍ, fol. 260b ; Kaw., II, p. 31 ; Muḥammad Bakhit, loc. cit., p. 183 ; cf. également l’art. de Fr. Meier, p. 451). Sélim se montre également généreux envers Ḥasan al-Ǧibāwī, le cheikh de la Saʿdiyya, pour lequel il fait construire une zāwiya dans le quartier de Qubaybāt à Damas ; un waqf lui assure des ressources (cf. M. Bakhit, loc. cit., p. 181-182 ; notons que le cheikh s’appelle bien Ḥasan, et non pas Ḥusayn comme l’écrit Bakhit).
163 Tel Muḥammad al-Damirdāš ; cf. Badā’iʿ, V, p. 188.
164 Kaw., II, p. 232, 235-236 ; Al-ʿUlabī, Ḫiṭaṭ, p. 423. Al-ʿUqaybī l’appelle par son simple prénom ʿĪsā. C’est encore Sulaymān Pacha, le gouverneur d’Égypte (sur lui, Iʿlām al-warā’, p. 275), qui construit une coupole verte sur la tombe de Saʿūd, ce maǧḏūb qui annonce au jour le jour, depuis la Qarāfa, qui va être nommé ou démis parmi les notables, comme s’il s’agissait d’une loterie (Ṭ.K., II, p. 144 ; Kaw., II, p. 147). Le grand vizir Iyās Pacha envoie, quant à lui, de l’argent d’Istanbul à Ḫadīǧa Ḫātūn (m. 946/ 1539), šayḫa hanbalite de Damas, pour qu’elle se bâtisse une maison (Kamāl al-Dīn Ġazzī, al-Naʿt al-akmal, p. 109).
165 Loc. cit., p. 448-449.
166 Selon Šapolyo, Sélim est affilié à la Sünbüliyya, branche fondée par Sünbül Sinān Yūsuf (m. 936/1529) ; cf. également Trimingham, loc. cit., p. 75.
167 Elle est pourtant très liée au pouvoir : quand un sultan monte sur le trône, c’est le Tchelebi ou cheikh de l’ordre qui lui remet son épée ; Mehmed le Conquérant et, à la fin du xviiie, Sélim III y sont affiliés (cf. l’introduction de Maître et disciple de Sultan Valad, par Eva de Vitray-Meyerovitch, Paris, 1982, p. 13, en ce qui concerne le premier sultan).
168 Un seul sultan est dit affilié à l’ordre des bektachis (Šapolyo, loc. cit., p. 449), mais il vit dans la deuxième moitié du xixe siècle, à une époque où ces derviches ont dû se départir de nombreux aspects hétérodoxes et ont perdu leur esprit d’insoumission.
169 Durr, I, p. 847. Les voies initiatiques citées dans ce paragraphe seront identifiées plus bas.
170 Cf. supra p. 128.
171 Cf. l’art. de William Chittick, « The Five Divine Presences : from al-Qūnawī to al-Qayṣarī », dans The Muslim World, avril 1982 ; cf. également la thèse de Mehmet Bayrakdar présentée à la Sorbonne et éditée à Ankara en 1990 : La philosophie mystique chez Dawud de Kayseri, p. 14-15 ; Histoire de l’Empire ottoman, p. 31, 702. La notice que Ṭāškoprüzādeh consacre à Kayserī est assez décevante par sa concision (p. 8), mais l’auteur des Šaqā’iq semble peu porté sur Ibn ʿArabī et évite le plus souvent d’y faire allusion. Cherche-t-il là encore à normaliser le soufisme, comme il l’a fait déjà pour les baba-s et autres abdāl ? L’ensemble en ressort affadi et les « anémones » (šaqā’iq al-Nuʿmān) passablement fanées.
172 M. Bayrekdar, loc. cit., p. 28.
173 Comme en témoigne son texte inédit intitulé al-Difāʿ ʿan Muḥyī al-Dīn Ibn ʿArabī ; cf. R. al-Māliḥ, Fihris, I, p. 548, ainsi que O. Yahia, loc. cit., I, p. 118.
174 Cf. M. Kara, « Molla Ilāhī », p. 318 et sq.
175 Sur Ibn Kamāl, cf. Šaqā’iq, p. 226-228 ; Kaw., II, p. 107-108. Sa culture est vaste, et il écrit en persan, en turc et en arabe.
176 « Celui qui condamne [Ibn ʿArabī] se trompe, est-il écrit, et s’il persiste dans son erreur, il devient un égaré (ḍalla) » : en employant ce terme qui implique l’hérésie, l’auteur de la fatwā exclut de l’orthodoxie les détracteurs du maître andalou. Le texte arabe de cette fatwā figure en annexe, p. 511. Nous l’avons établi suivant différents manuscrits, dont ceux d’Istanbul (Aṣir Ef. 430) et de Médine, et le texte édité dans al-Burhān al-azhar, p. 11-12. Cf. également E.I.2, IV, p. 913.
177 S’étant enfui d’Alep, al-Falūǧī parviendra par la suite à s’innocenter ; cf. Kaw., II, p. 49.
178 Ibid., II, p. 28. Ṭāškoprüzādeh cache élégamment ce point (Šaq., p. 265).
179 Kaw., II, p. 236.
180 Ibn al-Ḥanbalī ne cache pas son scepticisme sur ce point (Durr, I, p. 635).
181 Histoire et classification de l’œuvre d’Ibn ʿArabī, II, p. 456-457.
182 La divination arabe, Paris, 1987, p. 226-228.
183 Un océan sans rivage, Paris, 1992, p. 35.
184 Fol. 117, 124 (ms. Damas).
185 Toufic Fahd, loc. cit., p. 226. Muḥammad Raǧab Ḥilmī, l’auteur d’al-Burhān al-azhar fī manāqib al-Šayḫ al-Akbar, affirme qu’Ibn ʿArabī aurait prédit la prise de Constantinople par Mehmed (p. 36). Le pouvoir ottoman n’est pas le premier à afficher sa vénération pour Ibn ʿArabī et son œuvre. Les Rasulides du Yémen, qui règnent jusqu’en 858/1454, collectent et étudient les écrits du ; ils attirent à leur cour des cheikhs pro-akbariens venant de Syrie, de Perse, etc. (cf. Alexander Knysh, « Ibn ʿArabi in the Later Islamic Tradition », dans Muhyiddin Ibn ʿArabi, a Commemorative Volume, Dorset (G.B.), 1993, p. 317). Toutefois, la dynastie ottomane franchit une étape supplémentaire en officialisant cette vénération. Il faut noter par ailleurs que l’influence akbarienne n’a cessé d’être très forte au Yémen après les Rasulides, ainsi que commence à le révéler l’exploration des manuscrits de ce pays qui s’est récemment ouvert sur l’extérieur.
186 Kaw., I, p. 155.
187 Cf. sa Risāla fī karāmāt al-awliyā’, ms. Damas, fol. 208b.
188 Durar al-ġawwāṣ, p. 79.
189 C’est-à-dire al-quṭb al-ġawṯ, les deux imām-s, les quatre awtād, les sept abdāl, etc. Dans ses Nafaḥāt al-Uns, le maître persan ʿAbd al-Raḥmān al-Ǧāmī les appelle « les officiers généraux de la cour de Dieu » (suivant la traduction de S. de Sacy, dans Vie des soufis, Paris, 1977, p. 75-76).
190 Cf. supra p. 111, ainsi que M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints, p. 124.
191 Ṭ.K., II, p. 91.
192 Ṭ.K., II, p. 94-95 ; sur ce pacte, cf. Ibn ʿArabī, Fut., III, p. 135-140. Rappelons que les djinns ne sont pas en Islam des êtres fantastiques ; le Coran les mentionne fréquemment, et la Šarīʿa leur donne un statut précis. Suyūṭī leur a consacré un ouvrage très complet intitulé Laqṭ al-marǧān fī aḥkām al-ǧānn, Le Caire, 1988. Al-Ḥanafī leur enseigne d’ailleurs le fiqh hanafite, et les mariages entre humains et djinns soulèvent dans les traités de jurisprudence des problèmes épineux. Les hommes volants (riǧāl al-ṭayarān fī al-hawā’) sont une catégorie d’êtres cachés aux yeux des profanes, mais les gnostiques sont censés les voir et avoir des relations avec eux ; de fait, la littérature du taṣawwuf médiéval les mentionne fréquemment. Certains personnages aux miracles prodigieux (arbāb al-aḥwāl) sont dits en faire partie (cf. par exemple Kaw., I, p. 182). Les habitants de la mer sont sans doute les êtres dont parle Ibn ʿArabī, les riǧāl al-mā’ qui « adorent Dieu au fond des mers et des fleuves » (Suʿād al-Ḥakīm, Muʿǧam, p. 520, note 10).
193 Le sultan hafside Abū Fāris (m. 837/1434) envoie de Tunis son représentant (wakīl) pour prendre le pacte initiatique (ʿahd) avec le cheikh (Ṭ.K., II, p. 94 ; cf. également Les grandes dates de l’Islam, p. 79). Le cas d’al-Ḥanafī évoque à cet égard l’autorité spirituelle qu’exerça Aḥmad al-Badawī, le Pôle de son époque selon le Roman de Baïbars (cf. La chevauchée des fils d’Ismaïl, en maintes occurrences). Toutes les créatures sont également soumises au saint de Tanta ; il affirme par exemple à quelqu’un qui le voit en rêve qu’il veille sur les bêtes sauvages et les poissons (Ṭ.K., I, p. 187).
194 Ṭ.K., II, p. 98. Le cheikh en donne d’ailleurs un au sultan Barsbāy.
195 Fut., éd. O. Yahia, XI, p. 275. Cf. également Suyūṭī, Ta’yīd, p. 55-56.
196 A. L. de Prémare mentionne l’expression Ahl en-nawba à propos du Mejdūb marocain ; nous avons suivi sa traduction du terme (loc. cit., p. 112).
197 Fut., XI, p. 270 ; Abū Yazīd al-Bisṭāmī est un de ces nuwwāb (Ibid., p. 272).
198 Cf. al-Ḥāwī, II, p. 455 et sq.
199 Ibrāhīm a pour surnom « al-Nawba » parce qu’il résout les difficultés majeures sur lesquelles al-Ḫawwāṣ est impuissant (Ṭ.K., II, p. 142). Il ne faut pas quitter sa ville, affirme ce dernier, sans en avoir au préalable demandé l’autorisation aux aṣḥāb, intérieurement en son cœur (Ibid., II, p. 168).
200 Sur le Dīwān al-awliyā’ ou Dīwān al-ṣāliḥīn, cf. le Kitāb al-Ibrīz d’Aḥmad b. Mubārak, II, p. 9-19.
201 Chaque pays, chaque région, a en effet son quṭb. Par extension, tout maître d’une sphère (dā’ira) en est le pôle, quelle que soit l’étendue de cette sphère : famille, assemblée, quartier, ville, etc. (cf. Ibn ʿArabī, Fut., éd. O. Yahia, XI, p. 274). Le Pôle suprême, lui, est appelé généralement le Secours (al-ġawṯ), l’Unique (al-fard) qui totalise la quṭbiyya (al-Ǧāmiʿ).
202 Ǧāmiʿ, II, p. 372.
203 Ṭ.K., II, p. 138. D’après le contexte, Miṣr ne désigne pas l’Égypte mais la métropole cairote.
204 Ibid., II, p. 150.
205 Ibid., II, p. 136.
206 Ibid., II, p. 184.
207 ʿAlī al-Ḫawwāṣ connaît le jour même tous ceux qui sont nommés ainsi que ceux qui sont destitués (Ṭ.K., II, p. 150-151) ; Šihāb al-Dīn al-Našīlī, par exemple, serait resté sept ans dans sa fonction, avant d’être démis (Ibid., II, p. 141). Les aṣḥāb al-nawba ont notamment pour rôle d’être l’agent du destin : Ḥusayn le maǧḏūb va tuer un mendiant de Bāb Zuwayla dont la vie est arrivée à terme (Ǧāmiʿ, II, p. 48 citant al-Munāwī).
208 Šaʿrānī désirant intercéder pour l’émir Ǧānim convoqué à Istanbul adresse aux aṣḥāb turcs et persans un message que l’émir emporte. Muḥaysin al-Bursalī lui reproche alors d’avoir fait cette démarche sans la permission des aṣḥāb d’Égypte, car Šaʿrānī est soumis à leur juridiction (Ṭ.K., II, p. 143).
209 Ibid., II, p. 94. De même, Yaḥyā al-Ṣanāfīrī (m. 772/1372) garde le territoire égyptien en filtrant les cheikhs venant de l’étranger ; il accepte le Persan Yūsuf al-ʿAǧamī al-Kūrānī (m. 768/1367), dont il pressent peut-être, en tant que maǧḏūb (Suyūṭī, Ḥusn, I, p. 251), l’importance pour le soufisme égyptien (cf. Ṭ.K., II, p. 3 et infra, p. 212).
210 Ṭ.K., II, p. 139.
211 Ibid., II, p. 187.
212 ʿAlī al-Ḫawwās, voyant que Sélim, le conquérant du Caire, a sept aṣḥāb avec lui, dit qu’il retournera sain et sauf en Turquie ; il indique par là que le sultan est bien protégé sur le plan ésotérique (Ṭ.K., II, p. 151).
213 Ibid., II, p. 143.
214 À cause des intercessions trop nombreuses qu’il effectue auprès des dirigeants ottomans, al-Ḫawwāṣ est en conflit avec leurs aṣḥāb ; ceux-ci finissent par lui asséner un coup de poignard dont il mourra un mois plus tard (Ibid., II, p. 150). Ces vigiles intransigeants ne seraient plus en effet, sous le nouveau régime, des Égyptiens mais des Persans (ou des Orientaux, selon Durar al-ġawwāṣ, p. 81) : l’Égypte, on le remarque également au niveau ésotérique, n’est plus qu’une province.
215 Les indications que donne al-Sanūsī portent essentiellement sur une bonne orientation spatiale ; il utilise à cet effet des dā’ira-s, tableaux circulaires appelés aussi zā’irǧa (cf. T. Fahd, loc. cit., p. 243-245 ; D. Gril, « La science des lettres », dans Les Illuminations de la Mecque, Paris, 1988, p. 616, note 142). Ceux qui figurent dans le Salsabīl proviennent notamment d’Ibn ʿArabī et d’Ibn ʿAṭā’ Allāh (p. 102-105).
216 Cf. par exemple Šaʿrānī, al-Yawāqīt wa al-ǧawāhir, II, p. 79.
217 Cf. J.-Cl. Garcin, « Histoire et hagiographie », p. 309-310 ; « Le sultan et Pharaon », p. 267-268, 271.
218 Cf. J.-Cl. Garcin, « Index », p. 40, note 4.
219 « Haw’lā’i hum al-salāṭīn » ; cf. Ṭ.K., II, p. 103.
220 La chevauchée des fils d’Ismaïl, p. 211.
221 Anwār, I, p. 19.
222 Voici encore un attribut du pouvoir partagé par les chefs temporels comme spirituels ; Zakariyyā al-Anṣārī dégageait, selon Šaʿrānī, davantage de « crainte révérentielle » ou hayba que les sultans al-Ġawrī et Ṭūmanbāy (Ṭ.Ṣ., p. 38).
223 Ṭ.K., II, p. 103.
224 D’après Šaʿrānī, les proches de Faraǧ prient al-Ḥanafī de le guérir, ce qu’il ne fait qu’après de nombreuses requêtes ; il menace alors le sultan de lui "tirer les oreilles", comme s’il s’agissait d’un gamin, s’il ne montre pas plus de déférence à son égard ! L’auteur des Ṭabaqāt semble aller ici un peu loin ; il affirme pourtant que l’affaire a été connue de la population au point que, à l’époque de Šaʿrānī encore, lorsque les gens veulent faire des reproches à quelqu’un, ils lui disent : « al-Ḥanafī est en colère ! » (yanġāẓu al-Ḥanafī) ; cf. Ṭ.K., II, p. 91.
225 J.-Cl. Garcin en donne un exemple dans son article « Le sultan et Pharaon », p. 267.
226 Ḥaḏḏara-hu min takdīr ḫāṭir al-šayḫ ʿalay-hi ; cf. Kaw., II, p. 242.
227 Ṭ.K., II, p. 182.
228 Nos bio-hagiographes n’omettent pas d’ailleurs de mentionner les cas où le prince et le saint s’affrontent : ʿAlī al-Kurdī et le vice-roi de Damas Ǧānbirdī al-Ġazālī (Kaw., I, p. 283), Niʿma al-Ṣafadī et le gouverneur de Ṣafad (Ibid., I, p. 311), Suyūṭī et Qāytbāy (Ṭ.Ṣ., p. 33)... Les conflits finissent généralement, il est vrai, par la vengeance implacable du saint ; ainsi un wazīr connaît-il une fin sordide en raison de son opposition à al-Matbūlī (Ṭ.K., II, p. 85), et ʿAbd al-Razzāq al-Turābī ne descendra pas de la Citadelle tant que le gouverneur d’Égypte Ḫayrbak, qui a repoussé grossièrement son intercession, ne mourra pas, ce qui se produit dans les trois jours (Ibid., II, p. 147).
229 Cf. son art. « Hagiographie », dans l’Encyclopaedia Universalis, p. 208.
230 Ṭ.K., II, p. 91.
231 Le saint serait parti profondément irrité d’auprès de Qāytbāy, mais Šaʿrānī en doute car les "Parfaits" (al-kummal) ne se mettent pas en colère pour ce qui ne touche que leur personne (Ibid., II, p. 87).
232 Kaw., I, p. 298.
233 Ṭ.K., II, p. 66. Les Ottomans se montrent d’une manière générale plus radicaux que les Mamelouks, dès qu’ils voient planer à l’un des horizons de l’Empire une menace sur leur pouvoir. Mehmed le Conquérant exile le cheikh ʿAlā’ al-Dīn al-Ḫalwatī, car il redoute les conséquences du prestige dont il jouit à Istanbul (Šaq., p. 160). Ibrāhīm al-Kulšānī, un autre cheikh ḫalwatī, est suspecté de vouloir gouverner l’Égypte à cause de l’ascendant qu’il exerce sur l’armée ottomane de ce pays ; il est donc envoyé pour quelque temps à Istanbul (Abouseif et Fernandes, « Sufi Architecture », dans Ann. Isl., XX, 1984, p. 110) : ce n’était que lui permettre d’étendre son charisme dans la capitale, puisqu’il y laisse trois tekiyye-s (Trimingham, loc. cit., p. 76) et que le sultan Sulaymān s’affilie à la Gülšaniyye ou Kulšaniyya (E. B. Šapolyo, loc. cit., p. 448). Un autre ḫalwatī, Uways al-Qaramānī, est emprisonné à la citadelle d’Alep sur ordre du même sultan ; certains de ses disciples prétendent en effet qu’un personnage issu de leurs rangs prépare l’arrivée du Mahdī (cf. infra, p. 274). Enfin, le šāḏilī ʿAlī al-Kāzawānī est d’abord dans les bonnes grâces du gouverneur d’Alep, qui lui construit un grand tekiyye ; mais des habitants de cette ville accusent par la suite le cheikh d’avoir fomenté les meurtres du daftadār et du qāḍī al-ʿaskar, et le voilà exilé pour un moment à l’île de Rhodes (Kaw., II, p. 203).
234 Le texte est présenté et édité par ʿUmar ʿAbd al-Salām al-Tadmirī, Beyrouth, 1983. Le cadre politique est campé p. 5-10 ; cf. également Les grandes dates de l’Islam, p. 87.
235 Celui-ci règne de 901/1495 à 903/1498.
236 Rappelons-nous qu’il fut le cheikh de Qāytbāy ; il est donc normal que par un miracle il paralyse la bombarde (mikḥala) dirigée contre la Citadelle où réside Muḥammad Nāṣir (p. 101).
237 Ibid., p. 101-102.
238 Ibid., p. 102-111.
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