mercredi 30 octobre 2013

Face au défi de notre temps - Roger Du Pasquier









Découverte de l'Islam [Broché]  de Roger Du Pasquier


 
 
 
Chapitre 1. Face au défi de notre temps
 

    Plus rien sur terre ne semble échapper à la crise qui secoue le monde moderne. Il ne suffit plus de parler de crise de civilisation, car le phénomène a pris des dimensions cosmiques. Ses aspects sinistres apparaissent avec une évidence croissante et l'angoisse se répand.

    Or, l'Islam a été donné aux hommes précisément pour les aider à traverser sans se perdre dans cette phase ultime de l'histoire universelle. Dernière Révélation du cycle prophétique, il offre les moyens de résister au chaos actuel, de rétablir l'ordre et la clarté à l'intérieur de soi-même ainsi que l'harmonie dans les rapports humains, et de réaliser la destinée supérieure à laquelle le Créateur nous a conviés.

    L'Islam s'adresse à l'homme, dont il a une connaissance profonde et précise, situant exactement sa position dans la création et en face de Dieu.

    La pensée moderne, au contraire, n'a pas d'anthropologie  définie et généralement acceptée. Elle possède sur l'homme une quantité immense de notions diverses mais, dans sa confusion et ses divergences, elle démontre son incapacité de donner une définition cohérente de la condition humaine. Dans aucune autre civilisation, on n'avait ignoré d'une manière aussi totale et aussi systématique pourquoi nous sommes nés, pourquoi nous vivons et pourquoi nous devons mourir.

    Tel est le paradoxe de cette civilisation qui, au départ, se voulait «humaniste», c'est-à-dire qui faisait de l'homme le principe et la fin. de toutes choses: la notion même d'homme s'est désagrégée. L'évolutionnisme en avait fait un singe perfectionné, puis la philosophie de l'absurde est venue lui enlever le peu de cohérence qui lui restait. L'être humain est désormais semblable à un pantin secoué et désarticulé par une mécanique qu'il a mise en train, mais dont il n'arrive plus à maîtriser l'agitation désordonnée et le mouvement accéléré.

    Proclamée absurde, la vie sur terre a effectivement perdu son sens. Elle offre à l'homme une multitude de possibilités et d'avantages matériels auxquels les générations précédentes n'auraient pas osé rêver mais, comme on ignore ce qu'est en réalité un homme et donc quelles sont ses aspirations profondes, toutes ces merveilles ne l'empêchent pas de sombrer dans le désespoir.

    Pourtant, la civilisation moderne avait proclamé hautement et sur tous les tons qu'elle apporterait le bonheur au genre humain. La Révolution française avait adopté la Déclaration des droits de l'homme et la Constitution américaine prétendait garantir à chaque citoyen la «poursuite du bonheur». Le XIXe siècle accrédita dans tous les pays occidentaux et même au-delà la grande idée de Progrès en vertu de laquelle l'âge d'or ne serait pas derrière, mais devant nous.

    Les faits ont longtemps donné à cette croyance des confirmations apparentes. Les conditions matérielles des couches inférieures de la société occidentale se sont considérablement améliorées, l'exercice des libertés individuelles a été garanti à tous, la science a donné à l'homme moderne le sentiment d'être incomparablement plus instruit que les plus savants parmi les générations antérieures, et le développement technique a placé entre ses mains les instruments d'une puissance insoupçonnée auparavant.

    Sur un autre plan et en vertu de théories psychologiques prétendant avoir enfin découvert où se situe le véritable centre des gravité de la personne humaine, c'est-à-dire au niveau du sexe, on a promis aux individus qu'ils pourraient se «réaliser» eux-mêmes en échappant à toute contrainte et en suivant tous leurs penchants. Ce fut, pour beaucoup, un prétexte suffisant pour supprimer la morale héritée du passé et considérée désormais comme un ramassis de préjugés périmés.

    C'est ainsi que l'homme moderne croit être devenu «adulte», sous-entendant que les générations des siècles passés étaient infantiles. Il ne manque pas de philosophes ni même de théologiens pour le confirmer dans cette idée.

    Mais les faits eux-mêmes ont fini par singulièrement contredire ces théories.

    Déjà, la Première Guerre mondiale et les désastres qu'elle entraîna avaient donné de sérieux démentis à l'optimisme des annonciateurs du nouvel âge d'or. Cela ne les empêcha pourtant pas, au retour de la paix, de prophétiser de plus belle l'avènement

    d'une ère de paix, de justice et de bonheur, comme si l'effroyable tragédie avec ses millions de victimes n'avait été qu'un incident de parcours.

    La Deuxième Guerre mondiale, bien plus épouvantable encore, aurait dû instruire les hommes sur les illusions et les dangers des idéologies progressistes et plus ou moins athées promettant le bonheur par des voies exclusivement profanes, quantitatives et matérialistes. Mais au lieu d'en discerner le caractère trompeur et de s'en détourner pour revenir à des valeurs plus spirituelles et traditionnelles, ils ont au contraire accéléré le mouvement de sécularisation. Si les promesses de bonheur ne se réalisent pas, les idéologues du système n'en concluent aucunement qu'elles étaient fallacieuses ou infondées, mais ils s'en prennent aux dernières survivances de l'ordre ancien et des idées traditionnelles, qu'ils dénoncent comme autant d'obstacles à la marche du progrès et qu'il serait donc urgent de faire disparaître.

    Les bouleversements sociaux ne sont qu'un aspect de ce mouvement. Ils s'accompagnent d'une subversion d'ordre moral et psychique qui prétend éliminer les «préjugés» et l'esprit «autoritaire», lesquels empêcheraient l'homme de parvenir à sa pleine libération et donc au bonheur.

    La réalité, notamment celle que l'on peut constater dans la jeunesse acquise aux idées «anti-autoritaires», est révélatrice: selon des témoignages convergents, le nombre des névrosés, détraqués et intoxiqués ne cesse de croître, de même que les cas de soumission aveugle à des systèmes idéologiques et à des chefs conduisant en fait au contraire de la liberté.

    Cette civilisation qui s'était voulue «humaniste» aboutit ainsi à un système qui, en même temps, méprise l'homme et le trompe pour, finalement, le détruire. Elle le méprise parce qu'elle le réduit aux fonctions matérielles et quantitatives de simple producteur et consommateur; elle le trompe parce qu'elle lui fait croire que, grâce au progrès, au développement de la science, à une meilleure organisation sociale et à la libération des derniers «préjugés» et contraintes hérités du passé, il parviendra au bonheur et vaincra la souffrance, laquelle est pourtant inhérente à la condition humaine; enfin elle le détruit en le corrompant, en le désintégrant et en privant sa vie de sens et d'espoir.

    D'ailleurs, le sentiment que l'ordre actuel des choses - si l'on peut parler d'ordre dans une telle confusion - est une énorme tromperie semble se répandre toujours davantage et les idéologies modernes sont de plus en plus battues en brèche par l'esprit de négation, de contestation et de nihilisme. Effectivement, ces idéologies, y compris le marxisme, finissent toujours par perdre leur crédit, parce qu'elles sont impuissantes à répondre à nos questions les plus importantes sur le sens de la vie et sur les raisons de notre présence sur terre. Ce qui finit inévitablement par les rendre vaines et inefficaces, c'est d'ignorer que l'homme, en fin de compte, se définit par l'Absolu et qu'au fond de lui-même, consciemment ou inconsciemment, il ne cherche pas autre chose que cela.

    La condition humaine ne saurait trouver sa justification et son plein accomplissement sur le plan horizontal terrestre, car elle comporte une aspiration essentielle et centrale à la transcendance. L'homme, à la différence des autres créatures, ressent le besoin fondamental de se dépasser soi-même et de rechercher cet Absolu que, seul ici-bas, il est capable de concevoir. C'est pourquoi tout le relatif qu'on lui propose en si grande abondance le laisse toujours sur sa faim ou finit par prendre un goût d'amertume.

    Fort significatif est le fait que la «contestation,» s'est surtout développée dans des pays industrialisés à niveau de vie élevé où tous les avantages matériels sont à la portée de chacun. Mais précisément, la civilisation moderne est inacceptable à l'homme parce que, lui offrant tout, sauf l'essentiel, elle lui paraît dénuée de sens. jamais il n'a disposé d'aussi nombreuses et prodigieuses possibilités de se distraire, et jamais il ne s'est pareillement ennuyé. A cet ennui, les réalisations extraordinaires de la science et de la technique, qu'il s'agisse de la télévision en couleur, des «conquêtes spatiales» ou des progrès de la médecine, n'apportent aucun véritable remède. L'homme, dans cette multiplicité de gadgets, se distrait, se disperse ou se dissipe, mais il ne trouve pas la véritable paix de l'âme venant de la certitude d'accomplir ici-bas la destinée supérieure pour laquelle il a été créé.

    Dans les conditions insensées de la vie moderne, les gens doués d'un peu de réflexion se rendent toujours mieux compte qu'ils courent vers l'abîme. Suivant une réaction parfaitement compréhensible, beaucoup cherchent leur salut en dehors du monde occidental promoteur de la civilisation discréditée. Ils se tournent alors vers des formes diverses de mysticisme oriental, d'occultisme ou de yoga. Mais, trop souvent, leur quête ignore l'Islam qui, pourtant, tient à leur disposition tous les moyens de donner à leur vie un sens répondant à leurs plus profondes aspirations.

    L'Islam n'est pas occidental, et cependant il ne serait pas juste de le considérer comme exclusivement oriental. Il est étranger au monde spécifiquement moderne, et cependant, de toutes les traditions sacrées, il est la mieux adaptée aux conditions du cycle cosmique déclinant. Il est simple et évident, mais en même temps il recèle des trésors de sagesse mystique et métaphysique dont se sont nourries de longues générations de contemplatifs et de saints.

    Par ses dimensions horizontales et verticales, l'Islam est capable de réconcilier concrètement l'homme avec le cosmos qui l'entoure, ainsi qu'avec le Créateur de toutes choses. Au plein sens du terme, il est universel.

    L'Occident, chrétien ou déchristianisé, n'a jamais vraiment connu l'Islam. Depuis qu'ils l'ont vu apparaître sur la scène mondiale, les chrétiens n'ont cessé de le calomnier et de le vilipender pour avoir des raisons de le combattre. On a donné de lui des déformations grossières dont les traces sont demeurées dans la mentalité européenne jusqu'à ce jour. Nombreux sont encore les Occidentaux pour lesquels l'Islam se réduit à ces trois notions: fanatisme, fatalisme, polygamie. Il existe assurément un public plus cultivé dont les idées sur l'Islam sont moins aberrantes, mais rares sont encore ceux qui savent que ce mot ne signifie rien d'autre que «soumission à Dieu». Symptomatique de cette ignorance est le fait que, dans l'esprit de la plupart des Européens, Allâh désignerait la divinité des musulmans et non le Dieu des chrétiens et des juifs; ils sont tout surpris d'entendre, lorsqu'on prend la peine de le leur dire, qu'Allâh signifie «Dieu» et que même les chrétiens arabes n'ont pas d'autre nom pour L'implorer.

    L'Islam a certes fait l'objet d'études poussées de la part d'orientalistes occidentaux qui, au cours des deux derniers siècles, ont publié sur lui une littérature abondante et savante. Cependant, si estimables que leurs travaux aient pu être, surtout du point de vue historique et philologique, ils n'ont que peu contribué à une meilleure compréhension, en milieu chrétien ou d'origine chrétienne, de la religion musulmane, car ils n'ont pas suscité grand intérêt au-delà des cercles académiques spécialisés. D'ailleurs, il faut bien admettre que les études orientales en Occident n'ont pas toujours été inspirées par le plus pur esprit d'impartialité scientifique et l'on ne saurait nier que certains islamologues et arabisants ont manifestement agi avec l'intention de dénigrer l'Islam et les musulmans. Cette tendance était particulièrement marquée - pour des raisons d'une évidente clarté - à la belle époque des empires coloniaux, mais il serait exagéré de prétendre qu'elle ait complètement disparu.

    Ce sont là quelques-unes des raisons pour lesquelles l'Islam est demeuré jusqu'à présent si méconnu en Occident où, chose curieuse, des religions asiatiques comme le bouddhisme et l'hindouisme ont suscité depuis près d'un siècle une sympathie et un intérêt nettement plus marqués, alors que lui-même est si proche du judaïsme et du Christianisme, étant issu de la même souche abrahamique. Cependant, depuis quelques années, il semble que des circonstances extérieures, notamment l'importance grandissante des pays arabo-islamiques dans les grandes affaires politiques et économiques du monde, se chargent de susciter en Occident un intérêt croissant pour l'Islam, dont la découverte est, pour certains, comme celle d'horizons insoupçonnés.

    Signifiant «soumission à Dieu», l'Islam exprime une notion universelle que l'on retrouve d'une certaine manière dans les autres traditions sacrées. Car toute religion vraie est forcément conformité au vouloir de l'Absolu divin. D'ailleurs, l'Islam peut aussi être désigné comme la religion de toujours, parce que, se fondant sur la doctrine de l'Unité, qui est éternelle, il n'a rien apporté de fondamentalement nouveau, mais est venu rétablir la religion primordiale et réaffirmer la vérité intemporelle.

    Rétablissement et réaffirmation, l'Islam est aussi synthèse de la Révélation universelle. Il est la récapitulation de tous les précédents messages adressés à l'humanité de la part du Ciel. C'est ce qui lui a donné cet étonnant pouvoir d'intégrer dans une même communauté de croyants des populations d'origine ethnique extrêmement diverse tout en respectant leur personnalité.

    Etant d'essence intemporelle, l'Islam est à la fois ancien et moderne. Il est ancien puisqu'il transmet une vérité déjà connue de l'humanité des premiers âges, mais il est moderne par les moyens qu'il offre à celle des derniers âges de vivre cette vérité.

    Cette «modernité» se manifeste d'abord dans la simplicité de l'énonciation de ses principes doctrinaux, dont le premier et le plus fondamental s'exprime dans la Shahâda (profession de foi): Là ilâha illa 'Llâh, Muhammadun rasûluLlâh (« Il n'est de divinité que Dieu; Muhammad est l'envoyé de Dieu»). Cette attestation de l'Unité divine proclamée à l'humanité par la mission du Prophète Muhammad comporte une évidence accessible à l'homme moderne qui, pour être musulman, n'a pas besoin de souscrire à des «mystères» impénétrables à sa raison.

    Assurément, la Shahâda est en réalité d'une portée métaphysique que la raison humaine ne saurait épuiser, mais elle lui apporte une certitude, la plus fondamentale qui soit, celle de l'Absolu divin rendu accessible à l'homme par le message prophétique. Or, l'Islam a été Justement désigné comme la religion de la certitude.

     Dans la confusion intellectuelle contemporaine entretenue par l'agnosticisme des écoles philosophiques en vogue, cette possibilité offerte par l'Islam de retrouver une certitude inattaquable est d'une immense portée, car elle permet déjà de rendre son sens à la condition humaine. Elle est providentielle pour l'homme qui la fait sienne et qui, par là-même, échappe à l'incohérence absurde de la civilisation actuelle et, n'en étant étant plus solidaire, parvient à éviter d'être entraîné dans sa course à l'abîme.

    Ainsi la Shahâda est la première réponse de l'Islam à l'agnosticisme prométhéen du monde d'aujourd'hui. Elle constitue un argument fondamental dépassant le processus discursif de la pensée humaine et affirmant la Réalité absolue dont toutes les choses créées dépendent et ne sont donc que des expressions relatives. S'ouvrant sur une négation - Lâ ilâha, «point de divinité» - elle affirme ensuite la Vérité - illa'Llâh, «si ce n'est Dieu» - devant laquelle elle place l'homme d'une manière qui, en même temps, invite à la réflexion et défie l'analyse.

    Pour certains, la Shahâda comporte une évidence fulgurante. A d'autres, elle paraît énigmatique et déconcertante. Mais, que l'on y adhère comme dans un éclair ou à la suite d'un processus de maturation intellectuelle, elle est beaucoup plus qu'un énoncé invitant à une démarche mentale; elle engage la totalité de l'être humain.

    Proclamant la réalité absolue et donc exclusive de Dieu, la Shahâda implique la nécessité inéluctable de se conformer à Lui, de se soumettre à Sa volonté, ce qui est le sens exact du mot islâm. C'est alors que sa deuxiême proposition, conséquence a la fois logique et providentielle de la première, prend toute sa portée: Muhammadun rasûlu'Llâh, «Muhammad est l'envoyé de Dieu»; il n'est de meilleur moyen de réaliser cette conformité et cette soumission que de suivre la voie tracée par l'Envoyé.

    Suivre cette voie, c'est d'abord accepter le Livre révélé, le Coran, et mettre en pratique ses injonctions; c'est aussi se conformer aux enseignements et à l'exemple de celui qui a été l'instrument de la Révélation, Muhammad. Etre musulman - muslîm, c'est-à-dire « soumis à la volonté divine» - n'est, en principe, rien d'autre que cela.

    La reconnaissance de la réalité absolue de Dieu et la libre volonté de s'y soumettre suffisent à restituer tout son sens à la vie humaine dévalorisée par la mécréance, et, l'a confusion modernes. Mais elles n'exigent pas, en contrepartie, de prix exorbitant. Si l'énoncé de la Shahâda, profession de foi fondamentale, est d'une simplicité et d'une évidence remarquables, les autres éléments de la foi et de la doctrine islamiques n''exigent pas non plus d'efforts intellectuels ardus pour être compris et acceptés. Quant à la pratique de la religion, elle peut certes paraître astreignante à certaines individualités réfractaires à toute discipline mais, en fait, elle est suffisamment aisée et souple pour convenir, à toutes les circonstances de la vie, même à notre époque, et les devoirs qu'elle impose ne dépassent les forces d'aucun être humain doué d'un peu de bonne volonté. Au contraire, leur accomplissement est d'une efficacité amplement démontrée pour maintenir un sain équilibre de l'âme et du corps.

    Il est évident toutefois que cette pratique religieuse, si aisée soit-elle, paraîtra toujours trop contraignante à beaucoup de nos contemporains, car le rejet de toute discipline, encouragé par les théories psychanalytiques, «anti-autoritaires» et autres idées «philosophiques» en vogue, est précisément une caractéristique de la mentalité moderne. Quant à la prosternation accomplie pendant la prière rituelle pour exprimer la volonté de l'orant de se soumettre entièrement à la Seigneurie divine, elle est aussi contraire que possible au mouvement général de sécularisation et de «libération» qui, selon un célèbre slogan, ne reconnaît à l'homme «ni dieu, ni maître».

    La pratique de l'Islam est aussi souvenir (dhikr) de Dieu qui, dans le Coran (111,52), dit: «Souvenez-vous de Moi, et je me souviendrai de vous.» Cela, évidemment, est en contraste direct avec, la vie ordinaire d'aujourd'hui qui, s'égarant dans une multiplicité insensée de distractions, de soucis et d'angoisses, est oubli  systématique et généralisé du Créateur. Ce souvenir, qui imprègne la vie musulmane, maintient l'homme en communication avec le centre de toutes choses, tandis que l'oubli fait de lui un être périphérique assujetti à leur aspect quantitatif extérieur et à l'accélération cosmique si clairement perceptible en ce dernier quart du XXe siècle.

    L'homme typiquement moderne et sécularisé est l'exact opposé du muslîm, le musulman qui s'en remet à la volonté divine. Incapable de se prosterner et d'adorer, submergé par le flot de possibilités d'une civilisation quantitative qui lui offre tout sauf l'essentiel, négligeant la seule chose qui donne à la vie son plein sens, il vit dans un état d'insatisfaction auquel il n'arrive pas à donner de remèdes efficaces malgré la quantité et la variété inouïes des ressources à sa disposition. Cette impuissance a pour effet d'accentuer son état de rébellion contre les conditions existantes et surtout contre les derniers vestiges de l'ordre normal procédant des traditions religieuses, donc de Dieu. C'est alors qu'il devient «l'homme révolté» si caractéristique de notre siècle.

    Si, à cet «homme révolté», Camus assigne encore des valeurs spirituelles et morales, celles-ci sont désormais dénuées de toute caution provenant d'une transcendance ou d'une foi religieuse; elles ne tardent donc pas à s'effriter et à se volatiliser. On peut le constater avec le «contestataire» qui, surgissant à la phase suivante, tend à ruiner tout ce qui ressemble encore à un ordre social et moral.

    Assurément, la «contestation» peut se justifier dans la mesure où elle est refus d'une civilisation quantitative réduisant l'homme aux fonctions de producteur et de consommateur, et donc incapable de donner une satisfaction quelconque à ses aspirations les plus profondes et les plus centrales. Mais, dans la grande majorité des cas, le mouvement contestataire. veut précisément exploiter des réactions légitimes, notamment celles de la Jeunesse, à des fins de subversion et de destruction. Et il finit par susciter un être humain n'ayant plus pour mobile de ses actions que les instincts de sa nature charnelle et végétative.

    L'homme tombé dans un tel nihilisme est aussi éloigné que possible de l'Islam. Comme il a oublié Dieu, Dieu aussi l'a oublié. La condition humaine, pour lui, n'a plus de véritable sens. Il n'est plus homme que de façon accidentelle et fragmentaire.

     D'une certaine manière, celui qui est parvenu à ce point extrême du processus moderne s'est placé plus bas que les animaux eux-mémes, lesquels sont liés à la norme de leur espèce et ne peuvent en franchir les limites. C'est pourquoi ils gardent toujours une certaine innocence, alors que l'homme, lui, a la possibilité de s'élever au-dessus de tous les êtres créés en même temps que celle de se perdre et de tomber ainsi au dernier degré de l'abaissement.

    A l'exact opposé de l'état de révolte et de contestation, l'homme musulman a conscience d'avoir été créé par Dieu, qui lui a insufflé son esprit et l'a chargé d'être son témoin et son représentant sur terre. Ainsi, de toutes les créatures, il est la plus centrale, celle qui manifeste le plus complètement les attributs divins. Toute la création lui est virtuellement assujettie, mais seulement en vertu du pouvoir qu'il tient lui-même de Dieu, à qui il doit entière soumission.

    Ayant fait de l'homme son représentant, son lieutenant ou son vicaire (comme on traduit aussi parfois le mot khalîfa) sur terre, Dieu lui a confié une responsabilité ou un «dépôt» (amâna) dont, seul dans la création, il a osé se charger. Le Coran s'exprime à ce sujet en termes qui, même traduits, demeurent saisissants:

    Oui, Nous avions proposé le dépôt de la foi aux cieux, à la terre et aux montagnes. Ceux-ci ont refusé de s'en charger, ils en ont été effrayés.

    Seul l'homme s'en est chargé, mais il est devenu injuste et ignorant. (Coran XXXIII, 72)

    Ce dépôt a ceci de redoutable qu'il confère à l'homme la liberté de choix entre le bien et le mal, entre la vérité et l'erreur, entre la soumission et la révolte, entre le ciel et l'enfer. Il confère toute sa grandeur à la condition humaine, mais c'est une grandeur qui comporte -un risque terrible, puisque l'homme se révèle «injuste et ignorant». L'Islam lui donne précisément les moyens de conjurer ce risque et d'utiliser sa liberté pour faire le choix conduisant, par la soumission, au bien, à la vérité, à Dieu.

    Ainsi, à l'agnosticisme contemporain incapable de définir l'homme et les raisons profondes de sa présence sur terre, l'Islam oppose une anthropologie parfaitement cohérente et répondant aux questions les plus fondamentales qu'il soit possible de se poser. Il est important à cet égard de relever que l'Islam fait appel à l'intelligence de l'homme, et non à sa sentimentalité. Mais il s'agit de l'intelligence dans ce qu'elle a de primordial, d'«adamique», d'essentiel, et non d'une capacité de tenir des raisonnements compliqués. Car l'Islam ne s'adresse pas aux «sages et intelligents de ce monde», mais à l'homme tel qu'il a été créé, avec sa capacité de concevoir l'Absolu et de choisir librement ce qui s'y conforme et y conduit.

    Religion de la Vérité, l'Islam -rend tout son sens à la condition humaine, laquelle ne s'explique qu' en fonction de l'Absolu, et abolit l'absurdité nihiliste du monde moderne. Il réconcilie l'homme avec lui-même et avec la création, apportant ainsi le remède le plus efficace qui soit au mal de notre temps.

    Ce mal est, en quelque sorte, l'aboutissement de la révolte d'Iblis, l'ange déchu, que le Coran relate dans des passages admirables faisant saisir à la fois le privilège incomparable de la condition où l'homme a été placé par Dieu et le drame de son égarement et de sa déchéance. Selon ce récit, Dieu, après avoir créé Adam, ordonna aux anges de se prosterner devant lui. Tous les anges, donc, se prosternèrent, à l'exception d'Iblis qui motiva son refus en disant:

    «Je suis meilleur que lui. Tu m'as créé de feu et tu l'as créé d'argile.»

    A Dieu qui le chassait, le Démon demanda:

    «Accorde-moi un délai jusqu'au jour de la résurrection.»

    Et le délai fut accordé. Iblis, dès lors, en profita pour détourner les hommes de la voie droite:

    « Je les harcèlerai, par-devant et par-derrière, sur leur gauche et sur leur droite »

    Dieu dit: « Sors d'ici, méprisé, rejeté! je remplirai la Géhenne de vous tous et de tous ceux qui t'auront suivi.» (VII, 11-18)

    Adam lui-même céda au tentateur. Mais il se repentit, et Dieu accepta son repentir, lui promettant, ainsi qu'à son épouse, de les guider: «Quiconque aura suivi sa direction ne s'égarera pas et il ne sera pas malheureux.» (XX, 122)

    Cette direction, c'est la religion de toujours qui a pris des expressions diverses au cours des âges et dont la forme ultime et définitive est l'Islam tel qu'il procède de la Révélation adressée à Muhammad. Cet Islam, comme les précédentes religions, permet d'échapper à la malédiction frappant ceux qui suivent Iblis, et d'accomplir la véritable vocation humaine qui est de se soumettre au Créateur tout en tirant pleinement parti des privilèges et bienfaits promis à la descendance du premier homme:

    «Très certainement Nous avons donné de la noblesse aux fils d'Adam. Nous les avons portés sur terre et sur mer. Nous leur avons accordé d'excellentes nourritures. Nous leur avons donné la préférence sur beaucoup de ceux que nous avons créés.» (XVII, 70)

    L'Islam, donc, n'interdit nullement aux hommes de jouir pleinement des bienfaits que Dieu leur accorde, pourvu qu'ils soient reconnaissants:

    «O vous qui croyez! Mangez de ces bonnes choses que Nous vous avons accordées; remerciez Dieu, si c'est Lui que vous adorez .»(II, 172)

    Religion d'équilibre, il fait la part de l'ici-bas comme de l'Au-Delà, étant entendu que celui-ci est préférable:

    «Au milieu des biens que Dieu t'a accordés, recherche la demeure dernière. Ne néglige pas ta part de la vie de ce monde. »(XXVIII, 77)

    «Et certes l'Au-Delà est meilleur pour toi que la vie présente.» (XCIII, 4)

    L'Islam place l'homme sur la voie de cet Au-Delà préférable à tout ce que l'on peut imaginer ici-bas, mais il lui offre aussi les moyens de tirer le meilleur parti de la «vie présente» en l'organisant harmonieusement sur le plan individuel et collectif, comme on le verra dans les chapitres suivants. Car la volonté de Dieu, à laquelle il est soumission, est que les hommes soient heureux.

    Un fait significatif à cet égard est qu'en arabe islâm, «soumission», est étroitement apparenté à silm, ou salâm, «paix». En effet la soumission à Dieu procure la paix, condition du bonheur.

    Peut-être objectera-t-on que les musulmans d'aujourd'hui ne donnent pas précisément des images de bonheur et de paix. A cela, il y aurait beaucoup à répondre, mais on se bornera pour l'instant à quelques brèves remarques, avant de revenir sur la situation présente du monde de l'Islam.

    Il faut reconnaître d'abord que toutes les religions sont en crise à notre époque, y compris l'Islam, bien qu'il le soit probablement à un moindre degré que d'autres. Aucune, en tout cas, ne saurait être équitablement jugée en prenant pour principal critère la situation des peuples censés la professer. Les musulmans sont généralement conscients de vivre fort éloignés des véritables idéaux de la Révélation faite à leur Prophète et reconnaissent volontiers que, s'ils en suivaient réellement les prescriptions, toute leur existence en serait transformée. L'Islam ne fut intégralement mis en pratique que dans sa phase initiale, à l'époque du Prophète et des quatre premiers califes «bien guidés», et la communauté musulmane, l'oumma, a toujours, par la suite, gardé la nostalgie de ce temps privilégié. Il y eut certes encore au cours des âges de belles périodes d'épanouissement et de ferveur, mais personne n'oserait prétendre que nous vivons présentement dans l'une d'elles. A l'évidence, c'est exactement le contraire qui est vrai: le monde musulman, comme le monde en général, est actuellement dans un état de crise et de déclin dont l'histoire n'offre pas d'équivalent.

    On ne saurait nier cependant qu'au regard de la crise vécue par l'Occident industrialisé, le monde de l'Islam. souffre d'un mal différent à bien des égards; ses fondements moraux et spirituels ne sont pas contestés de la même manière et, dans sa grande majorité, la population des pays musulmans garde sa foi traditionnelle. La crise dont ces pays sont atteints est d'ordre beaucoup plus matériel et certains, en Asie surtout, figurent parmi les plus pauvres de, la planète. Cette situation, imputable en partie aux anciennes puissances coloniales, est assurément cause de grandes souffrances mais, de façon générale, elle ne porte pas atteinte à la dignité humaine, même chez les plus défavorisés. Car l'Islam confère à l'homme une noblesse que la pauvreté n'efface pas et même parfois rehausse. C'est lui, indéniablement, qui, jusque dans le plus grand dénuement, préserve le sens de la vie et lui garde la saveur qui la rend encore digne d'être vécue.

    Ainsi, que ce soit dans le monde occidental prospère, mais démoralisé, ou dans la pauvreté matérielle des peuples de ce qu'on appelle le «tiers monde», l'Islam constitue la réponse la plus claire, la plus fondamentale et la plus catégorique au défi moderne. A ceux, individus et sociétés, qui l'acceptent et le mettent en pratique, il offre les remèdes les plus salutaires et les plus efficaces contre le mal de notre temps.

     * Les autres chapitres sont:

II. L'homme, centre de la création
III. Le Message éternel et son dernier porteur
IV. Un miracle et ses prolongements historiques
V. Ce qu'il faut croire et ce qu'il faut faire pour être musulman
VI. La civilisation de l'unité
VII. Familles et voies spirituelles

 


mardi 29 octobre 2013

Voltaire et l' Islam



 




Au départ, Voltaire était très hostile à l’islam. La pièce théâtrale « Mahomet, ou le fanatisme » composée en 1742, était considérée comme le parfait exemple pour dépeindre le personnage du Prophète Mohammed (SBDL).Lire la pièce en intégral, ici .
« Mahomet le fanatique, le cruel, le fourbe, et, à la honte des hommes, le grand, qui de garçon marchand devient prophète, législateur et monarque. » Recueil des Lettres de Voltaire (1739-41),

Goethe, qui avait traduit la pièce en allemand pour complaire à son maître, le prince Charles-Auguste de Weimar, parla de ce sujet à Napoléon qu’il rencontra à Erfut. L’Empereur rétorqua :
« Je n’aime pas cette pièce, c’est une caricature !

- Je suis de l’avis de Votre Majesté, j’ai fait ce travail à contre-cœur. Mais dans cette tragédie, dans ces tirades contre le fanatisme, ce n’est pas l’islam qui était visé, mais l’Église catholique.

 - Les allusions, dit Napoléon, sont tellement voilées que cet impertinent a pu dédier son œuvre au pape… qui lui a donné sa bénédiction.» (Jean Prieur, Muhammad, Prophète d’Orient et d’Occident, Éditions du Rocher, Paris 2003, p 215.).

Mais au fur et à mesure, Voltaire va faire ses recherches personnelles et délaisser les vieux ouvrages sur les musulmans que propageaient l’église. Voltaire se détache des sources héritées du Moyen Âge et sa perspective change radicalement.
C’est en travaillant en véritable historien, sur son Charles XII, que Voltaire forgea ses idées sur le monde musulman et plus particulièrement sur les Ottomans. L’évolution de Voltaire sur l’islam arrive à son point culminant avec l’Examen important de milord Bolingbroke, ou le tombeau du fanatisme, intégré au Recueil nécessaire, en 1766. Dans cet écrit, il fustige sévèrement le christianisme et fait l’éloge du Prophète Mohammed (SBDL) qui établit un culte qui « était sans doute, plus sensé que le christianisme».

Voltaire accuse et attaque le christianisme qu’il considère comme « la plus ridicule, la plus absurde et la plus sanglante religion qui ait jamais infecté le monde. » (Lettre à Frédéric II, roi de Prusse, datée du 5 janvier 1767). Par contraste, il vante la doctrine musulmane pour sa grande simplicité : « Il n’y a qu’un Dieu et Mahomet est son prophète. »

« Chanoines, moines, curés même, dit Voltaire, si on vous imposait la loi de ne manger ni boire depuis quatre heures du matin jusqu’à dix heures du soir, pendant le mois de juillet, lorsque le carême arriverait dans ce temps ; si on vous défendait de jouer à aucun jeu de hasard sous peine de damnation ; si le vin vous était interdit sous la même peine ; s’il vous fallait faire un pèlerinage dans des déserts brûlants ; s’il vous était enjoint de donner au moins deux et demi pour cent de votre revenu aux pauvres ; si, accoutumés à jouir de dix-huit femmes, on vous en retranchait tout d’un coup quatorze ; en bonne foi, oseriez-vous appeler cette religion sensuelle ? » Et la fin de son article est une leçon qui déteste et rejette la caricature : « Il faut combattre sans cesse. Quand on a détruit une erreur, il se trouve toujours quelqu’un qui la ressuscite.» (dictionnaire philosophique 1764)
Depuis 1742, date à laquelle Voltaire a présenté sa pièce de théâtre « Mahomet » à la Comédie française, le chemin parcouru est long. Ce jour-là, il attaquait « le fondateur de l’islam » pour montrer comment les religions ont été établies. Puis vingt-huit années plus tard, en 1770, il le défend pour soutenir que « d’autres peuples pouvaient penser mieux que les habitants de ce petit tas de boue que nous appelons Europe ».
  

Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, et sur les principaux faits de l’histoire depuis Charlemagne jusqu'à Louis XIII (1756)
Edition : Chez Treuttel et Würtz ; 1835 ; Tome Premier ; Chapitre VI : De l’Arabie ; et de Mahomet ; page 74, 75

« De tous les législateurs et de tous les conquérants, il n'en 'est aucun dont la vie ait été écrite avec plus d'authenticité et dans un plus grand détail, par ses contemporains, que celle de Mahomet. Otez de cette vie les prodiges dont cette partie du monde fut toujours infatuée, le reste est d’une vérité reconnue. Il naquit dans la ville de Mecca, que nous nommons la Mecque, l'an 569 de notre ère vulgaire, au mois de mai. Son père s'appelait Abdala, sa mère, Emine : il n'est pas douteux que sa famille ne fût une des plus considérées de la première tribu," qui était celle des Coracites. […] »

Edition: Chez Treuttel et Würtz ; 1835 ; Tome Premier ; Chapitre VI : De l’Arabie, et de Mahomet ; page 80

[…]. De tous les législateurs qui ont fondé des religions, il est le seul qui ait étendu la sienne par les conquêtes. D'autres peuples ont porté leur culte, avec le fer et le feu, chez des nations étrangères; mais nul fondateur de secte n'avait été conquérant. Ce privilège unique est aux yeux des musulmans l'argument le plus fort, que la Divinité prit soin elle-même de seconder leur prophète. [...]
Ce n'était pas sans doute un ignorant, comme quelques-uns l'ont prétendu. Il fallait bien même qu'il fût très-savant pour sa nation et pour son temps, puisqu'on a de lui quelques aphorismes de médecine, et qu'il réforma le calendrier des Arabes, comme César celui des Romains. Il se donne, à la vérité, le titre de prophète non lettré; mais on peut savoir écrire, et ne pas s'arroger le nom de savant. […]

 
Edition: Chez Treuttel et Würtz ; 1835 ; Tome Premier ; Chapitre VII : De l’Alcoran, et de la loi musulmane ; page 101

« Il n'y a point de religion dans laquelle on n'ait recommandé l'aumône. La mahométane est la seule qui en ait fait un précepte légal, positif, indispensable. L'Alcoran ordonne de donner deux et demi pour cent de son revenu, soit en argent soit en denrées.

Edition: Chez Treuttel et Würtz ; 1835 ; Tome Premier ; Chapitre VII : De l’Alcoran, et de la loi musulmane ; page 103,104

« La prohibition de tous les jeux de hasard est peut-être la seule loi dont on ne puisse- trouver d'exemple dans aucune religion. […] »
Toutes ses lois qui, à la polygamie près, sont si austères, et sa doctrine qui est si simple, attirèrent bientôt à sa religion le respect et la confiance. Le dogme surtout de l’unité d'un Dieu, présenté sans mystère, et proportionné à intelligence humaine, rangea sous sa loi une foule de nations, et jusqu'à des Nègres dans l'Afrique, et des insulaires dans l'Océan indien.

Le peu que je viens de dire, dément bien tout ce que nos historiens, nos déclamateurs et nos préjugés, mais la vérité doit les combattre.

Bornons-nous toujours à cette vérité historique: le législateur des musulmans, homme puissant et terrible, établit ses dogmes par son courage et par ses armes; cependant sa religion devint indulgente et tolérante. […]

Extrait : Examen important de Milord Bolingbroke ou le tombeau du fanatisme, écrit sur la fin 1736
Edition: Chez Lefèvre ; Œuvres de Voltaire Tome XLIII [43] ; Mélanges ; Tome VII ; 1831 ; Chapitre XXXV : Des sectes et des malheurs des chrétiens jusqu'à l'établissement du mahométisme ; page 192, 193

« Le mahométisme était sans doute plus sensé que le christianisme. On n'y adorait point un Juif en abhorrant les Juifs; on n'y appelait point une Juive mère de Dieu; on n'y tombait point dans le blasphème extravagant de dire que trois dieux font un dieu; enfin on n'y mangeait pas ce dieu qu'on adorait et on n'allait pas rendre à la selle son créateur. Croire un seul Dieu tout puissant était le seul dogme; et si on n'y avait pas ajouté que Mahomet est son prophète, c'eût été une religion aussi pure, aussi belle que celle des lettrés chinois. C'était le simple théisme, la religion naturelle, et par conséquent la seule véritable. […]

Extrait : Il faut prendre un parti, ou le principe d’action, Diatribe (1772)Edition : Ch. Lahure, Librairie : L. Hachette ; Œuvres Complètes de Voltaire ; Tome Vingt-deuxième ; 1860 Mélanges (suite) ; page 102

« Sa religion est sage, sévère, chaste, et humaine : sage, puisqu'elle ne tombe pas dans la démence de donner à Dieu des associés, et qu'elle n'a point de mystères; sévère, puisqu'elle défend les jeux de hasard, le vin et les liqueurs fortes, et qu'elle ordonne la prière cinq fois par jour; chaste, puisqu'elle réduit à quatre femmes ce nombre prodigieux d’épouses qui partageaient le lit de tous les princes de l'Orient; humaine, puisqu'elle nous ordonne l'aumône bien plus rigoureusement que le voyage de la Mecque.

Ajoutez à tous ces caractères de vérité la tolérance, […]

Cette célèbre prière est un extrait du chapitre XXIII du Traité sur la tolérance de Voltaire publié en 1763. Voltaire était déiste. Il était anticlérical, mais il n’était pas athée.

Voici le texte en entier de la célèbre Prière à Dieu de Voltaire :

« Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à Toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser Te demander quelque chose, à Toi qui as tout donné, à Toi dont les décrets sont immuables comme éternels, Daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; Fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant Toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour Te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut T’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de T’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau ; que ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car Tu sais qu’il n’y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s’enorgueillir.

« Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu’à la Californie, Ta bonté qui nous a donné cet instant. »

 

Autres citations :

« La politique est le premier des arts et le dernier des métiers.  »

« La loi naturelle est l’instinct qui nous fait sentir la justice.  »
Extrait de Dictionnaire Philosophique

« N’est-il pas honteux que les fanatiques aient du zèle et que les sages n’en aient pas ?  »
Extrait des Pensées détachées de M. l’abbé de Saint-Pierre

« L’homme est né pour l’action, comme le feu tend en haut et la pierre en bas.  »
Extrait de Sur les pensées de M. Pascal

« L’univers m’embarrasse et je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger.  »
Extrait de Les Cabales Plus sur cette citation
 
« Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer.  »
Extrait de Epître

« Dieu n’a créé les femmes que pour apprivoiser les hommes.  »
Extrait de L’ingénu

« Toujours du plaisir n’est pas du plaisir.  »
Extrait de Zadig ou la destinée
 
« Si l’homme était parfait, il serait Dieu.  »
Extrait des Lettres philosophiques

« On doit des égards aux vivants ; on ne doit aux morts que la vérité.  »Extrait de Œdipe
 
« Les hommes sont des insectes se dévorant les uns les autres sur un petit atome de boue.  »
Extrait de Zadig ou la destinée

« Heureux qui jouit agréablement du monde ! Plus heureux qui s’en moque et qui le fuit !  »
Extrait de Lettre

« Dieu nous a donné le vivre ; c’est à nous de nous donner le bien vivre.  »
Extrait de Le sottisier

« Quand je vous aurai bien répété que la vie est un enfant qu'il faut bercer jusqu'à ce qu'il s'endorme, j'aurai dit tout ce que je sais.  »
Extrait de Correspondance

« Les abus invétérés ne se corrigent qu'avec le temps.  »
Extrait d’ Eloge funèbre de Louis XV

« S'il fallait choisir, je détesterais moins la tyrannie d'un seul que celle de plusieurs. Un despote a toujours quelques bons moments ; une assemblée de despotes n'en a jamais.  »

« La plupart des bons mots sont des redites.  »

« Il n'y a que les ouvriers qui sachent le prix du temps ; ils se le font toujours payer.  »

« Le meilleur gouvernement est celui où il y a le moins d'hommes inutiles.  »

« Il n'est point de grand conquérant qui ne soit grand politique. Un conquérant est un homme dont la tête se sert, avec une habileté heureuse, du bras d'autrui.  »
Extrait d’un Essai sur les mœurs

« Le seul moyen d'obliger les hommes à dire du bien de nous, c'est d'en faire.  »

« Il faut rougir de commettre des fautes et non de les avouer.  »
 
« Aimez qui vous aime.  »

« Je plains l'homme accablé du poids de son loisir.  »

« La beauté n'est qu'un piège tendu par la nature à la raison.  »

« Ce qui m'a dégoûté de la profession d'avocat, c'est la profusion de choses inutiles dont on voulut charger ma cervelle. Au fait ! est ma devise.  »Extrait de Lettre au marquis d'Argenson

« Il ne dépend pas de nous de n'être pas pauvres, mais il dépend toujours de nous de faire respecter notre pauvreté.  »

« Si l'on n'imprimait que l'utile, il y aurait cent fois moins de livres.  »

« L'instant où nous naissons est un pas vers la mort.  »
Extrait de Supplément aux Mélanges de Poésie

 « Les compliments sont le protocole des sots.  »

 « Les rivières ne se précipitent pas plus vite dans la mer que les hommes dans l'erreur.  »

« Les faiblesses des hommes font la force des femmes.  »

« Les passions sont les vents qui enflent les voiles du navire ; elles le submergent quelquefois, mais sans elles il ne pourrait voguer.  »
Extrait de Zadig ou la destinée

« Les hommes abreuvés de liqueurs fortes ont tous un sang aigri et adulte qui les rend fous en cent manières différentes.  »
Extrait de La princesse de Babylone

« C'est à celui qui domine sur les esprits par la force de la vérité, non à ceux qui font les esclaves par la violence, que nous devons nos respects.  »
Extrait de Lettres philosophiques

« Les superstitieux sont dans la société ce que les poltrons sont dans une armée : ils ont, et donnent des terreurs paniques.  »
Extrait de Lettres philosophiques

« La religion juive, mère du christianisme, grand-mère du mahométisme, battue par son fils et par son petit-fils.  »
Extrait de Le sottisier

« N'ayant jamais pu réussir dans le monde, il se vengeait par en médire.  »Extrait de L'envieux

« La politique a sa source dans la perversité plus que dans la grandeur de l'esprit humain.  »
Extrait de Le sottisier

« L'art de la médecine consiste à distraire le malade pendant que la nature le guérit.  »

« Le doute est un état mental désagréable, mais la certitude est ridicule.  »

« Le pape est une idole à qui on lie les mains et à qui on baise les pieds.  »Extrait de Le Sottisier

« Le fanatisme est un monstre mille fois plus dangereux que l'athéisme philosophique.  »
Extrait de Dictionnaire philosophique

« Si vous voyez un banquier se jeter par la fenêtre, sautez derrière lui : vous pouvez être sûr qu'il y a quelque profit à prendre.  »

« Quand il s’agit d’argent, tout le monde est de la même religion.  »

« Que les supplices des criminels soient utiles. Un homme pendu n'est bon à rien, et un homme condamné aux ouvrages publics sert encore la patrie et est une leçon vivante.  »
Extrait de Dictionnaire philosophique

« Qui sait aimer et s’occuper est au-dessus de tout.  »
Extrait de Lettre à Mme Denis (sa nièce)

« Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin.  »
Extrait de Candide ou l'optimisme

« Exterminez, grands dieux, de la terre où nous sommes, Quiconque avec plaisir répand le sang des hommes !  »

« Il n’y a peut-être rien de si fou que de croire avoir toujours raison.  »
Extrait de Dictionnaire philosophique

« Les hommes ne haïssent l'avare que parce qu'il n'y a rien à gagner avec lui.  »

« Remarquez que les temps les plus superstitieux ont toujours été ceux des plus horribles crimes.  »
Extrait de Dictionnaire philosophique

« Il faut avoir une religion et ne pas croire aux prêtres ; comme il faut avoir du régime et ne pas croire aux médecins.  »

« J'approche tout doucement du moment où les philosophes et les imbéciles ont la même destinée.  »

« Les rois sont avec leurs ministres comme les cocus avec leurs femmes : ils ne savent jamais ce qui se passe.  »
Extrait de Le sottisier

« L'espérance est un aliment de notre âme, toujours mêlé du poison de la crainte.  »
Extrait de Le sottisier

« Les soldats se mettent à genoux quand ils tirent : apparemment pour demander pardon du meurtre.  »
Extrait de Le sottisier

« Le fanatisme est un monstre qui ose se dire le fils de la religion.  »

« Les français parlent vite et agissent lentement.  »
Extrait de Lettre au Comte d'Argenta

« Dans l'opinion qu'il y ait un Dieu il peut se trouver des difficultés, mais dans l'opinion contraire il y a des absurdités. Aussi reconnaître qu'il y ait un Dieu est la chose la plus vraisemblable que les hommes puissent penser.  »

« Vous devez passer votre vie à aimer et à penser ; c'est la véritable vie des esprits.  »
Extrait de Micromégas

« Quand un homme parle à un autre homme, qui ne comprend pas, et que celui qui parle ne comprend pas non plus, ils font de la métaphysique.  »

« La superstition est à la religion ce que l'astrologie est à l'astronomie, la fille très folle d'une mère très sage.  »
Extrait de Politique et législation

« Demandez à un crapaud ce que c’est que la beauté : il vous répondra que c’est sa crapaude avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête... Interrogez le diable il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes et une queue.  »
Extrait du Dictionnaire philosophique

« Les femmes ressemblent aux girouettes : elles se fixent quand elles se rouillent.  »

« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire.  »

« Malheur aux faiseurs de traductions littérales, qui en traduisant chaque parole énervent le sens ! C'est bien là qu'on peut dire que la lettre tue, et que l'esprit vivifie.  »
Extrait des Lettres philosophiques

« Il n’y a point de hasard ; tout est épreuve, ou punition, ou récompense, ou prévoyance.  »
Extrait de L’Ermite

 
« S’il n’y avait en Angleterre qu’une religion, le despotisme serait à craindre ; s’il y en avait deux, elles se couperaient la gorge ; mais il y en a trente, et elles vivent en paix et heureuses.  »
Extrait des Lettres philosophiques

« Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?  »
Extrait du Dictionnaire philosophique

« Comme le despotisme est l'abus de la royauté, l'anarchie est l'abus de la démocratie.  »

« Les médecins administrent des médicaments dont ils savent très peu, à des malades dont ils savent moins, pour guérir des maladies dont ils ne savent rien.  »

« Je meurs en adorant dieu, en aimant mes amis, en ne détestant pas mes ennemis, en haissant la superstition.  »

« Quand on a tout perdu, quand on n'a plus d'espoir, La vie est un opprobre et la mort un devoir.  »

« Le premier des devoirs, sans doute, est d’être juste ; Et le premier des biens est la paix de nos coeurs.  »
Extrait de Poème sur la loi naturelle

« Il est à propos que le peuple soit guidé et non pas instruit. Quand la populace se mêle de raisonner, tout est perdu.  »
Extrait d’une lettre à Damilaville – 1766

« Que chacun aille à Dieu par le chemin qui lui plaît !  »

« Puissent tous les hommes se souvenir qu'ils sont frères.  »