A l’occasion de la sortie de son nouveau livre Poutine
d’Arabie, Pourquoi et comment la Russie est devenue incontournable en
Méditerranée et au Moyen-Orient (VA Editions), Roland Lombardi revient dans cet
extrait sur l’islam et le terrorisme islamiste en Russie...
L’islam en Russie
La grande différence concernant l’islam entre la Russie
et par exemple les Etats-Unis, la France ou d’autres pays européens, c’est que
les communautés musulmanes en Russie ne sont pas issues de l’immigration. Ce
sont des populations présentes en Russie depuis des siècles. Comme le rappelle
Vladimir Poutine lui-même, la majorité des régions autonomes russes sont
musulmanes et plus étonnant, que l’islam aurait été présent avant le
christianisme en Russie.
En effet, la pénétration musulmane sur le territoire
actuel russe se fait au milieu du VIIe siècle (Daghestan), alors que
l’évangélisation chrétienne de la Russie et des Rous’ ne commence qu’à la fin
du IXe siècle. Véritable puissance musulmane (près de 15 % de la population russe
est musulmane soit entre 20 et 22 millions – la plus importante des minorités
autochtones – sur 146 millions d’habitants), la Russie a une histoire et une
proximité très ancienne avec l’islam (il est implanté depuis près de 1300 ans
dans certaines régions comme le Nord-Caucase, dans l’Oural et près de la
Volga). Il y a près de 10 000 mosquées en Russie et la plus grande d’Europe,
inaugurée en 2015, se trouve d’ailleurs à Moscou (1 million de musulmans sur un
total de 8 millions d’habitants).
L’islam jouit donc du statut de religion traditionnelle.
L’islam russe est « multiforme » mais principalement hanafite, chaféite et
soufi. Cette religion a toutefois connu des relations mouvementées et
ambivalentes avec le pouvoir central russe tout au long de l’histoire. C’est
aussi, rappelons-le, contre le « joug Tatar » et les armées musulmanes que
s’est en partie forgée aussi l’identité russe avec par exemple la victoire
russe lors de la bataille de Koulikovo en 1380 ou encore la prise du Khanat de
Kazan par Ivan le Terrible en 1552.
C’est au XVIIIe siècle, sous l’influence des réformes de
la tsarine Catherine II, que l’islam russe, essentiellement des Tatars
(majoritaires), se réforma pour donner le djadidisme. Pour beaucoup, ce
« modèle de Kazan (capitale du Tatarstan, fondée 150 ans avant Moscou) »
représente un exemple d’islam moderne, libéral et éclairé par une tradition
érudite. D’ailleurs, les Tatars et les Bachkirs se considèrent, et sont
considérés, comme un des piliers historiques de la Russie.
Les musulmans russes sont donc sunnites, majoritairement
issus de trois zones : la république du Tartastan, évoquée plus haut, puis la
république de Bachkirie (ou Bachkortostan) dont la capitale est Oufa et enfin,
les républiques du Caucase du Nord (Tchétchénie, Ingouchie, Daghestan...). Le
Tatarstan et le Bachkortostan sont de l’école juridique hanafite, la plus
libérale comme on l’a vu, car légitimant une certaine interprétation
rationnelle dans l’élucidation des points de droit. Le Caucase du Nord est quant
à lui principalement de l’école chaféite, laissant moins de champ à
l’interprétation personnelle, mais surtout il est imprégné de traditions
soufies (culte des saints et piétisme en général lié à des tarîqat, voies
religieuses rattachées le plus souvent à des appartenances claniques) .
Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, l’islam de
Russie, sans pour autant avoir une autorité centrale , est toutefois
relativement discipliné, hiérarchisé et organisé. Il existe notamment de
nombreuses institutions représentatives comme l’une des plus importantes et des
plus anciennes, l’Assemblée spirituelle des musulmans (DUM) de Russie, créée en
1788 et qui est une autorité administrative chargée de nommer les mollahs et de
veiller au respect de la législation russe. Cette institution a évolué au fil
des siècles et s’est démultipliée au niveau régional. De fait, chaque région a
son organisation, qui est l’interlocutrice naturelle des autorités : le Conseil
des muftis de Russie pour les Tatars, la Direction spirituelle centrale des
Bachkirs, le Centre de coordination pour les musulmans du Caucase du Nord.
Quoi qu’il en soit, même si elles restent toujours sous
étroite surveillance de la part des autorités russes comme sous l’ère des Tsars
ou des Soviets, les diverses organisations musulmanes et les autorités
religieuses du pays demeurent dans l’ensemble relativement loyales et fidèles à
la patrie.
C’est pourquoi, la Fédération a développé une politique
souveraine envers « son islam » et c’est une raison pour laquelle, depuis le
début des années 1990, les imams étrangers ont été expulsés et tout
financement, comme toute influence extérieure, notamment venant des pays du
Golfe, sont interdits. D’ailleurs, le wahhabisme (le salafisme) ainsi que les
Frères musulmans sont proscrits de la Fédération ! Les imams russes sont formés
dans les universités musulmanes (à Kazan, Moscou...). On l’a vu, les imams, par
exemple, formés au Moyen-Orient, ne sont donc pas les bienvenus et si des
dérogations peuvent être à la rigueur accordées afin d’exercer dans une mosquée
russe, elles ne le sont qu’après de profondes enquêtes et une longue période de
transition étroitement surveillée. Toutefois, cette procédure lourde et
drastique en dissuade finalement plus d’un...
Moscou face au terrorisme islamiste
Evidemment, la Fédération russe n’a pas été épargnée par
le même phénomène de radicalisation qui touche les musulmans ou les convertis
des pays occidentaux. Par exemple, plus de 5 000 Russes et près de 7 000
ressortissants des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale auraient
rejoint les rangs des jihadistes en Syrie. Notons au passage qu’officiellement
les autorités moscovites ont interdit ces départs. Mais dans les faits, elles
ne les ont pas vraiment empêchés. Peut-être même qu’elles les ont parfois
facilités afin d’éloigner le danger du territoire national tout en espérant
« fixer » à l’extérieur ces « traîtres » pour pouvoir les « traiter » avec plus
d’efficacité ultérieurement… comme c’est le cas aujourd’hui en Syrie.
Actuellement en Russie, les imams, les muftis, les
théologiens, les savants et toutes les instances religieuses, comme
l’Université islamique de Moscou, sont mobilisés au plus haut niveau pour
essayer d’endiguer l’extrémisme religieux et faire redécouvrir l’islam
traditionnel aux jeunes musulmans russes. Parallèlement, le pouvoir et les
autorités religieuses travaillent main dans la main pour faire concilier islam
et patriotisme. En 2015, le Conseil des muftis de Russie a notamment lancé « la
doctrine sociale des musulmans russes », un document à caractère patriotique,
mais précisant la place et le rôle des musulmans dans la vie de la Russie du
point de vue des sources du droit musulman comme de la législation russe. Quant
au puissant FSB (ex-KGB), le service de sécurité intérieure russe (comme le
SVR, le service extérieur de l’espionnage russe) s’active depuis des années à
combattre impitoyablement le terrorisme. Car la Russie est comme la France, une
des principales cibles de ce fléau.
Cette menace du terrorisme islamiste a toujours été
présente sur le sol russe et le Kremlin a pris la mesure du problème il y a
déjà bien longtemps. Nous l’avons vu précédemment, depuis les guerres de
Tchétchénie (guerres asymétriques que la Russie a d’ailleurs finalement
remportées…), Moscou a fait l’amère expérience de ce grave problème et a connu
une longue série d’attaques et d’attentats. Les plus notables étant la prise
d’otages du théâtre de Moscou en octobre 2002 (128 morts parmi les otages),
l’attaque de l’école de Beslan en septembre 2004 (334 civils tués dont 186
enfants), attentats de Volgograd en décembre 2013 (30 morts) et en octobre
2015, l’attentat contre l’avion de la compagnie russe Metrojet au-dessus du
Sinaï égyptien (224 victimes). Si le FSB est connu pour son expertise dans la
lutte antiterroriste, notamment grâce à son renseignement humain, ses
infiltrations voire parfois ses intrigues, ses ruses (divisions des rebelles
tchétchènes) et ses manipulations (vieilles, mais non moins efficaces, méthodes
du feu KGB), les autorités russes sont très bien conscientes que le risque zéro
n’existe pas dans ce domaine.
Néanmoins, la Russie semble mieux armée que les
démocraties occidentales contre ce genre d’attaques. Tout d’abord, parce qu’en
temps normal, déjà, les responsables russes sont peu adeptes des Droits de
l’homme et de l’État de droit. Alors en situation de « guerre », on peut
aisément penser qu’ils ne s’encombrent nullement de ce genre de considérations…
En Russie, les autorités ont moins de scrupules que les autorités françaises
par exemple...
Comme disait le tyran géorgien, Staline : « L’important
n’est pas que le poing frappe, mais qu’il soit toujours suspendu au-dessus de
chacun… » !