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mercredi 23 juillet 2014

Dr Denis Gril - Le voyage du salut ou le voyage de Noé - Sur lui la paix



Noé – sur lui la paix – sut qu'approchait le temps de la conjonction astrale que Dieu dans Sa sagesse avait déterminée et provoquée (1). Il vit qu'elle se produirait dans le signe du cancer dont l'élément est l'eau. C'est dans ce signe changeant et instable que Dieu a créé le monde d'ici-bas. Quand on entra dans ce signe et que l'ascendant de ce monde coïncida avec lui, Dieu voulut par son anéantissement et sa permutation vers la demeure dernière, lui conférer un ascendant semblable et stable, le lion. Telle est la sagesse d'un être omniscient !

Noé – sur lui la paix – se mit à construire l'arche. Le signe de sa prophétie ne résidait ni dans cette conjonction ni dans le Déluge, car certains savants parmi ses compagnons pouvaient en avoir eu la science et la partager avec lui. Il reçut donc le Four (al-Tannûr) (2) comme signe. S'il avait annoncé cette conjonction, il se serait agi d'une science et non d'un miracle prophétique. C'est pourquoi son peuple se moqua de lui et sans doute aussi les astronomes de son époque. Il advint ensuite ce que l'on sait et son fils resta en arrière car il se rendit coupable d'une œuvre impie « et il fut parmi les noyés » (11: 43).

Noé emmena ses compagnons en voyage. Il fit entrer dans l'Arche « un couple de chaque espèce » (11: 40) et dit: « Embarquez ! Au nom de Dieu est sa course et son ancrage; certes mon Seigneur est très-pardonnant très-miséricordieux » (11: 41), quand le Four se mit à bouillonner et que les nuées grosses de pluie mirent bas leur fardeau. Dans cet anéantissement, les deux eaux furent réunies : celle de la terre et celle du ciel. Dans sa course, l'Arche portait Noé et les siens « à travers des vagues comme des montagnes ». Noé appela: « Ô mon fils, monte avec nous ! » (11: 42) et le fils de répondre: « Je me réfugierai sur une montagne qui me protégera de l'eau », et Noé – sur lui la paix – de répliquer : « Rien ne protège aujourd'hui contre l'ordre de Dieu si ce n'est ceux à qui Il a fait miséricorde » (11: 43), c'est-à-dire les passagers de l'Arche. L'invocation prononcée auparavant par Noé, « ne laisse pas sur la terre le moindre des incroyants » (71: 26), avait été exaucée. Ceux qui s'étaient réfugiés sur la montagne et tous ceux qui n'étaient pas dans l'Arche se noyèrent. Alors du non-manifesté se fit entendre l'appel du Soi. En effet, Celui qui lança l'appel ne se mentionna pas Lui-même et n'usa pas directement du vocatif (3). La terre engloutit son eau, le ciel s'arrêta et l'eau diminua. L'Arche du salut s'établit sur le mont Jûdî, allusion à la générosité (jûd) divine. Depuis cette station fut prononcée cette parole: « Banni soit le peuple des injustes ! » (11: 44), ceux qui s'étaient moqués.

Sache, ô secret subtil établi par Dieu à un rang analogue à celui de Son prophète Noé – sur lui la paix –, que Dieu – Il est puissant et majestueux – a achevé ton arche et l'a façonnée de Ses Mains par Son inspiration. Quand Dieu inspirait l'Arche, celle-ci se trouvait « par Son œil », autrement dit conservée en Dieu qui la faisait voir à Noé (4). Dieu dit, s'adressant à ce secret : qui es-tu pour que Dieu accomplisse vers toi une telle descente, depuis la station du Moi divin de surcroît ? Ton âme ordonnant le mal, ton satan, ton monde d'ici-bas, ta passion ne cessent ensuite de se moquer de toi tant que tu édifies cette arche qui est la constitution du salut. Le four, le réceptacle du feu à ton côté dit : de là sortira l'eau. Eux, convaincus qu'une chose ne peut en aucune façon se transformer en son opposé, se sont moqués et ont dit à Noé : tu n'es qu'un niais. Ils n'ont pas fait la différence entre le réceptacle du feu et l'eau par ignorance de la substance et des formes du monde. S'ils avaient su que le feu est une forme dans cette substance tout comme l'eau, ils ne se seraient pas moqués. S'imaginant que l'eau et le feu sont tous deux une substance distincte s'opposant ensuite l'une à l'autre, ils trouvèrent absurdes les paroles de Noé et se moquèrent de lui. Toi qui t'occupes à édifier ton arche, l'arche du salut, et te prépares à recevoir, sur l'ordre de Dieu, Son Commandement qui est une manifestation du Moi, réponds aux moqueurs que s'ils périssent dans une chose, ils lui seront voués sans pouvoir jamais en sortir. Embarque dans ton arche par le bâ' qui est le nom d'Allâh, redresse l'alif de la réalisation de l'unité entre le bâ' et le sîn de bismi (5). Tu ne verras pas ici le Tout-Miséricordieux le Très-Miséricordieux, car Nous restons en arrière de ton arche. Sa course s'accomplit par le bâ', particule d'abaissement, ainsi que son ancrage au rivage de la générosité divine. Par la générosité (jûd) est apparue l'existence (wujûd), et sur le mont Jûdî s'est manifesté ce que contenait l'Arche. Fais sortir de ton arche « un couple de chaque espèce » pour l'engendrement et la procréation, car tu es le produit de la multiplication du monde supérieur par le monde inférieur, toi et tous les êtres engendrés. La présence du couple est indispensable dans ce voyage d'anéantissement.

L'eau symbolise la science, la vie provenant de l'une sur le plan sensible, de l'autre sur le plan spirituel. Aussi périrent-ils par l'eau pour avoir refusé la science. L'eau provenait du Four parce que c'est en cette eau qu'ils avaient mécru, rejetant la science que Noé leur avait transmise de vive voix par la langue du four de son corps. Ils ne surent pas qu'il traduisait ainsi la signification du Four, qui est la lumière absolue. L'eau du Four voila pour eux le four (tannûr), et ils ne comprirent pas qu'il s'agissait de la lumière (nûr) à laquelle s'était ajouté le tâ' de l'achèvement (tamâm) de la constitution humaine par l'existence du corps. La lumière devint « four », c'est-à-dire une lumière accomplie dans le monde du Royaume, la lumière du tâ' et son lieu de manifestation.

L'ignorance les conduisit également à déclarer absurde la transmutation. S'ils avaient regardé le Four, ils l'auraient considéré comme la source de l'eau. Il n'y a d'opposition sous aucun rapport entre l'un et l'autre, car le froid embrasse [les autres états de la matière]. Ils ignorèrent le secret de Dieu dans la nature et le secret de Dieu dans le rôle privilégié du Four, et ils périrent. Tous ceux à qui Noé avaient adressé la parole ne périrent que par l'eau du Four, car ils n'avaient rien refusé d'autre. Le reste du monde périt à la fois par l'eau du Four et par celle du ciel. Cette dernière est celle de la roue à godets qui recueille l'eau distillée dans l'alambic du froid glacial et retournée à son origine. Dieu – Il est puissant et majestueux – fait périr par le feu, mais ici, à cause de l'intervention de la mission prophétique, le feu fut introduit dans l'eau, car « la jambe n'a pas encore été découverte » (6). Le feu fit sortir les humidités et les vapeurs et commença de s'élever en redevenant de la vapeur. Il se mit à exercer dans l'air la même action que la roue de la noria quand elle fait monter l'eau du puits. Il continua à s'élever jusqu'à atteindre le cercle du froid glacial et retomba en goutte de pluie par « la détermination du Tout-Puissant le Très-Sage ». Les cercles de la détermination ne cessent de tourner dans la sphère de la formation des êtres dans ce monde et dans l'autre.

Un des effets de ce voyage est de faire connaître que la Sagesse divine (7) peut s'interrompre, alors que la Toute-Puissance continue de s'exercer sur le couple pour la reproduction ; que la sagesse divine, si elle n'est pas d'ordre supérieur, n'est pas authentique ; que de la Générosité dépend le salut. Ne vois-tu pas que Moïse – sur lui la paix – lorsqu'il invoqua Dieu pour qu'Il fasse périr son peuple, Lui demanda de lui infliger l'avarice. Devenus avares, ils coururent à leur perte. Il apparut aussi que la Parole divine s'oriente nécessairement vers chaque être dans le monde ; tantôt à partir du non-manifesté du non-manifesté, s'il s'agit de la voix où l'agent n'est pas nommé (8) : « Sera amenée ce jour-là la Géhenne (89: 23) ou « il fut dit: bannis... et il fut dit: ô terre absorbe ton eau » (11: 44) ; tantôt par le Nous: « Lorsque Nous dîmes...» ; tantôt par la Divinité: « Dieu dit » ; tantôt encore par la Seigneurie: « Ton Seigneur dit... ». Toute parole dépend du nom qui lui est attaché.

Celui qui accomplira le voyage de Noé connaîtra certaines des sciences relatives au monde intermédiaire et créaturel. C'est au cours de ce voyage que l'on apprend le Grand Œuvre. C'est pourquoi ce dernier s'achève par la Générosité qui est sa raison d'être. En voici assez sur le voyage de Noé ; dire son secret serait trop long.

(1) Ou, selon la lecture de B : « et dont le pouvoir allait s'exercer » (ajrâ hukmahu au lieu de ajrâhu hikmatan).
(2) Sur ce terme coranique, cf. Claude Gilliot, Exégèse, langue et théologie en Islam. L'exégèse coranique de Tabari, Paris, 1990 p. 105. L'interprétation que donne Ibn 'Arabî ci-dessous coïncide avec celle de 'Alî, pour qui ce mot signifiait « l'illumination de l'aurore» (tanwîr al-subh), cf. Tabarî, Jâmi al-bayân XV 318-9. Selon Ibn 'Arabî, l'expression coranique fâra l-tannûr signifiait métaphoriquement chez les Arabes l'apparition de la clarté de l'aube (daw' al-fajr) ; cf. Futûhât I 493, à propos de la prière surérogatoire de l'aube et I 608, à propos du début du temps du jeûne. Le verbe fâra associe l'eau et le feu, puisqu'il signifie « jaillir » pour l'eau, « bouillonner » pour la marmite et « rougeoyer de chaleur » pour le four.
(3) Allusion au verset, simplement évoqué : « Et il fut dit : ô terre, engloutis ton eau ; ô ciel, arrête-toi et l'eau décrût...».
(4) Allusion au verset 11 : 37 : « Façonne l'Arche par Nos yeux et Notre inspiration...».
(5) Allusion au verset 11 : 41 « Au nom de Dieu est sa course et son ancrage ». Comme dans la basmala l'alif de ism « nom » est occulté et représente donc l'unité divine ou l'Essence inconnaissable, le bâ', comme dans la basmala, contient le reste de la formule.
(6) Expression coranique (68 : 42) signifiant l'arrivée de l'Heure, soit parce qu'elle dévoilera une réalité jusqu'alors cachée, soit pour évoquer la peur panique de celles qui s'enfuient en retroussant leur robe.
(7) Qui préside à la marche du monde.
(8) Désignation en grammaire arabe de la voix passive.


[Muhyî-d-Dîn Ibn ‘Arabî, Kitâb al-isfâr ‘an natâ’ij al-isfâr, présenté, traduit et annoté par Denis Gril dans Le dévoilement des effets des voyages, éditions de l’éclat, 1994. Dans l’édition 2004, la traduction est accompagnée du texte en arabe établi à partir d’un manuscrit de base copié à Konya (K), 25 ans après la mort du Cheikh. Cinq autres manuscrits ont été examinés par l’auteur, notés B, S, L, Z, Zh, ainsi que l’éd. de Hayderabad notée T. Le texte arabe établi suit la vocalisation lorsque celle-ci est indiquée dans le manuscrit de base. Nous notons aussi une affirmation de D. Gril dans l’Introduction : « Les erreurs des copistes ne suffisent pas à expliquer certaines variantes (…) Le fait est fréquent dans l’œuvre d’Ibn Arabî qui diffusait souvent différentes rédactions d’un même ouvrage.]

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mardi 25 février 2014

Les commentaires du Coran du Cheikh al-Alâwî - Dr Denis Gril - Vidéo











A l'occasion du centenaire de la Voie Alâwiyya en 2009




Résumé : Les écrits du Cheikh al-Alawî sur le Qorân ne peuvent être qu'en partie qualifiés de « commentaires ». Dans plusieurs traités qui relèvent de la science traditionnelle du commentaire Qorânique (tafsîr), le Cheikh n'interprète pas seulement le Qorân, il le vit intensément comme une réalité intériorisée en lui.  Tel l'exprime son poème, bien connu, la Lutfiyya, prière à Dieu : "Tu sais notre amour du Qorân, comment il a pris place dans le cœur et sur la langue, jusqu'à se mêler à notre sang, notre chair, à nos veines, nos os et tout notre être". Assurément, ces vers expriment une expérience de la Révélation propre aux « Gens du Qorân » dont la tradition dit qu'ils « sont les Gens de Dieu et Son élite » Ahl al-Qur'ân ahl Allâh wa khâssatuh [et le Qorân : les « Gens du dhikr »].
Si l'on considère l'ensemble de son œuvre, on constate la place éminente qu'y tient le commentaire Qorânique dès son accès à la maîtrise spirituelle et jusqu'à la fin de sa vie. Le commentaire de sourate l’Étoile en 1915 (al-Najm, 53), le Lubâb al-'ilm, celui des premières lettres de l'alphabet en 1926, al-Unmûdhaj al-farîd, le commentaire de la sourate le Temps (al-'Asr, 103), Miftâh 'ulûm al-sirr. Son tafsîr inachevé, al-Bahr al-masjûr (1934), est une œuvre de maturité, interrompue par la mort de son auteur. Ces textes, comme toutes ses œuvres, sont de portée différente et ont été composés pour répondre aux exigences du moment. Ils n'en suivent pas moins une même orientation, celle d'un être qui plonge son calame dans l'encre de la science inspirée, sans négliger toutefois, comme point de départ, le recours à la littérature de l'exégèse Qorânique.
Les faces multiples du Qorân
Le commentaire inachevé, al-Bahr al-masjûr fi tafsîr al-qur'ân bi mahdh al-nûr, pourrait être qualifié d'introduction à une lecture plurielle du Qorân, depuis le sens obvie nécessitant une simple explication, jusqu'au sens le plus profond. Celui-ci reste discrètement abordé, même s'il inspire l'ensemble.
L'introduction de ce commentaire énonce six principes que le lecteur doit garder en mémoire pour progresser dans la lecture. Ils expriment une vision du Qorân que le Cheikh veut transmettre à son lecteur, pour l'en convaincre mais surtout pour le guider sur la voie du Qorân vers Celui qui l'a fait descendre sur le cœur du Prophète et qui ne cesse de le faire descendre sur le cœur de ceux qui, à sa suite, le récitent et le lisent comme une révélation.
Premier principe : le Cheikh défend précisément l'ininterruption de l'inspiration divine dans la communauté du Prophète et la présence en elle d’une élite spirituelle comparable à celle des premières générations de l'islam : « A Dieu ne plaise que le Bien-Aimé laisse la communauté de Son bien-aimé – sur lui la grâce et la paix – en pure perte ». De nombreux hadîths sont cités à l'appui.
Second principe : Le Qorân ne cesse, tel un jardin verdoyant ou un arbre de grande taille aux branches étendues [parabole citée dans le Qorân sur la bonne parole, et il n'y a pas de parole plus bonne que celle du Qorân], de produire des fruits de connaissance et de sens, car, selon la parole attribuée Alî Ibn Abî Tâlib, « ses merveilles (du Qorân) ne s'épuisent point (lâ tanqadhî 'ajâ'ibuhu) ». Il comporte de multiples possibilités d'interprétation, selon le hadîth d'Abû al-Dardâ' : « On n'a pas une compréhension [fiqh] totale de la religion tant qu'on ne voit pas dans le Qorân de nombreux aspects (lit. « faces ») » : lan tafqaha qulla-l-fiqh hattâ tarâ li-l-qur'ân wujuhân kathîra ». Quant à la hiérarchie des interprétations, la référence scripturaire en est le hadith bien connu, cité également par le Cheikh : « le Qorân a un sens extérieur (dhâhir) et intérieur (bâtine), une limite (hadd) et un point de vue supérieur (matla') ».
L'Imâm Alî commentait ainsi cette tradition : « Le sens extérieur en est la récitation, le sens intérieur la compréhension, la limite en est l'expression claire ou allusive et les statuts légaux de l'illicite ; le point de vue supérieur est ce que Dieu attend du serviteur dans chaque verset ». Le cheikh al-Alawî s'inscrit ainsi dans une longue tradition d'exégèse spirituelle remontant aux Compagnons et donc au Prophète lui-même.
Troisième principe : cette compréhension intérieure du Qorân relève d'une connaissance inspirée, jaillissant du cœur et non simplement transmise par la langue et l'écriture. A la suite de certains Compagnons du Prophète, y ont accès ceux dont « les corps sont sur la terre et l'esprit attaché au plus haut qui soit », les vrais représentants (khulafâ) de Dieu sur terre. Pour le Cheikh, comme pour tous les maîtres, la compréhension du Qorân est fonction de la sainteté et du degré spirituel du lecteur.
Quatrième principe : le Qorân doit être lu comme un discours adressé à chacun personnellement, de même que le Prophète est envoyé ici et maintenant à chaque homme. Il ne suffit pas, par ailleurs, de croire que le Qorân est la Parole de Dieu. Il faut l'entendre et l'écouter ainsi. Ici encore herméneutique et sainteté coïncide car la parole doit être entendue comme étant celle de Dieu lui-même, selon le hadith « du saint » (hadîth al-walî) : « …Mon serviteur ne se rapproche de Moi par quelque chose que J'aime plus que les œuvres obligatoires et il ne cesse de se rapprocher de Moi jusqu'à ce que Je l'aime et quand Je l'aime, Je suis l’ouïe par laquelle il entend, la vue par laquelle il voit... ». L'audition et l'interprétation de la Parole divine sont donc à la mesure de l'état de l'homme avec Dieu et, à la mesure de cet état, la Parole exerce un effet, tant sur le plan spirituel que physique [ce qui consiste en le principe de réciprocité déjà mentionné auparavant, la lecture est fonction de l'état spirituel, et l'état spirituel est fonction de la lecture]. Le Cheikh raconte à ce propos qu'il éprouvait à la lecture du Qorân un tremblement : « C'était, dit-il, comme si j'entendais un son retentissant encore du tintement de la cloche (mine baqiyyat salsalat al-jaras) », allusion à la modalité la plus éprouvante de la descente du Qorân sur le Prophète. La sainteté prenant toujours la forme d'un héritage prophétique, ceci se traduit entre autre par la manière dont les hommes de Dieu reçoivent le Qorân. Le Prophète le reçut tout d'abord intérieurement dans sa globalité (jumlatane), puis de manière successive et fragmenté (ou « étoilée » : munajjamane) ainsi que les Compagnons (de manière successive et fragmentée), tandis que les générations suivantes le reçoivent tout d'abord (extérieurement) dans sa globalité, sous la forme de l'exemplaire du Qorân (mus-haf), puis il redescend (intérieurement) à nouveau sous cette forme « étoilée » sur le cœur des connaissants qui accèdent ainsi à la compréhension de certains versets et sourates. Les anges accompagnent cette descente pour qu'ils en reçoivent le sens et réalisent ainsi l'héritage prophétique qui fait d'eux les véritables gardiens de la religion, l'argument de Dieu à l'égard des hommes (hujjat Allâh 'lâ l'âlamîne), comme les prophètes avant eux. C'est ainsi que le Cheikh comprend le verset : « Ceux qui disent : notre Seigneur est Dieu puis font preuve de rectitude, les anges descendent sur eux... » (Qorân 41, 30). Mais il sait aussi se mettre à la portée de tous les lecteurs du Qorân pour leur faire partager la manière dont il faut le recevoir. Il faut, dit-il, se mettre à le lire avec une émotion comparable à celle d'un étranger qui, loin de sa patrie et de ses siens, vient de recevoir une lettre de sa famille. Belle image du Qorân, patrie spirituelle du croyant.
Cinquième principe : le discours s'adresse à tout un chacun et plus précisément à ceux qui sont concernés par tel passage, quelle que soit l'époque. Ainsi, lorsque le Qorân interpelle le Prophète en lui disant : « ô Prophète » ou « ô Envoyé », ce vocatif vise après lui ses héritiers et au premier chef le Pôle Muhammadien. C'est pourquoi, explique le Cheikh, le Prophète n'est généralement pas appelé dans le Qorân par son nom propre mais par sa qualité ou sa fonction. Remontant dans l'histoire de la Révélation, il considère que le verset de la Torah commençant par : « ô puissant, prends ton épée », peut très bien viser le Prophète, car il évoque l'une de ses qualités, en l'occurrence de celle de khalîfa, à l'instar de David. Qu'il s'agisse de ses héritiers ou de ses prédécesseurs, c'est en réalité le Prophète qui est toujours interpellé car l'appel a été entendu par la lumière cachée de la prophétie. La règle herméneutique ainsi énoncée repose sur la doctrine de la Lumière ou Réalité Muhammadienne, source de toute illumination et présente dans son intemporalité ou plutôt son actualité, incluse de toute éternité dans le Verbe. C'est par cette Lumière que la Parole confère également à chaque héritier de la prophétie « notre part ou plutôt notre compréhension du Livre de Dieu », tout particulièrement dans les nombreux versets ou propositions commençant par l'impératif « dis ! (qul) ». Tous ceux qui, à l'instar du Prophète, lisent la parole comme venant de Dieu, non d'eux-mêmes, sont concernés, à un degré ou un autre par ces versets.
Sixième principe : le plus important dans la réception du Qorân est de le considérer avec une foi infaillible comme venant de « la Présence du Tout-Miséricordieux » (hadrat al-Rahmân), car l'enseigne ('unwâne) du Qorân est « Voilà le Livre ; pas de doute à son sujet » (Qorân 2, 2). Le cheikh al-Alawî sait tous les doutes émis sur l'origine divine du Qorân, anciennement comme à son époque. La dimension historique de la Révélation, les circonstances de la constitution et de la mise en forme du Qorân tel qu'il nous est parvenu, ne lui échappent pas. Il rappelle par exemple la question débattue de l'ordre des sourates, émanant d'une décision divine (tawqîf) ou relevant de l'initiative (ijtihâd) des Compagnons. Pour lui les faits historiques et l'action des hommes ne contredisent nullement l'inspiration de Dieu qui a garanti la protection de Sa révélation : « C'est Nous qui avons fait descendre le Rappel (al-dhikr = le Qorân) et c'est Nous qui en sommes les gardiens » (Qorân 15, 9). A travers la matérialité et l'historicité du texte, les connaissants perçoivent la présence et l'intervention divines dans l'ordonnance du Livre ainsi que la descente des anges qui, selon de nombreuses traditions, accompagne celle du Qorân.
La démarche exégétique du Cheikh (dans son commentaire « al-bahr al-masjûr ») consiste à aborder successivement quatre niveaux d'interprétation : le commentaire simple (tafsîr) concernant le sens général du verset (al-maqsûd al-'âmm), accessible à tous ; la déduction (istinbât) des statuts juridiques ou jugements intellectuels (ahkâm) ; l'allusion ou indication spirituelle (ishâra) exprimée selon la terminologie des soufis ; enfin le langage de l'Esprit (lisâne al-Rûh). « Ce sont quatre fleuves », précise-t-il, faisant allusion aux fleuves du Paradis, symbole de différents plans ou modalités de connaissance : « il y a en lui (en le Paradis) des fleuves d'eau non gâtée, des fleuves de lait dont le goût ne s'est pas altéré, des fleuves de vin, délice pour ceux qui boivent et des fleuves de miel purifié... » (Qorân 47, 15). En citant encore, en conclusion de cette introduction (de son commentaire), l'abreuvement des Douze Tribus par Moïse, en frappant le rocher de son bâton : « Chaque homme savait où il devait boire » (Qorân 2, 60), il suggère tout aussi allusivement que la lecture de la Révélation est nécessairement plurielle et qu'elle ne peut que jaillir du cœur, symbolisé par le rocher touché par le bâton miraculeux de la prophétie.
Pour donner un aperçu de ces quatre degrés, on se limitera ici au commentaire de la basmala : bismi-llâhi l-Rahmâni l-Rahîm « au Nom de Dieu, le Tout-miséricordieux, le Très-Miséricordieux », par laquelle commence le Qorân ainsi que toutes les sourates sauf une.
C'est par l'évocation de la Miséricorde que le Cheikh inaugure son tafsîr. La mention de ces Attributs divins annonce la grâce subtile de Dieu pour Ses serviteurs (lutf Allâh bi-'ibâdihi), même s'ils se détournent de Lui. L'ordre divin et prophétique de prononcer et d'écrire cette formule en toute occasion a pour but de rattacher toute chose à Sa bénédiction et aux Noms divins qui la composent. Se situant à ce stade du commentaire sur un plan éthique-religieux immédiatement saisissable par quiconque, le Cheikh constate qu'évoquer le Nom de Dieu et non celui de quelque roi ou grand personnage, revient à mettre sur un pied d'égalité tous les serviteurs de Dieu. Le seul mérite d'un homme par rapport à un autre réside dans le degré de son rattachement à Dieu, selon le Qorân : « Le plus noble d'entre vous auprès de Dieu est le plus pieux » (Qorân 49, 13) ou le hadith : « Personne n'a de supériorité sur quiconque si ce n'est par la piété ». Par ailleurs, la prononciation de la basmala fait que l'acte accompli au Nom de Dieu, l'est aussi avec Sa permission (idhn) et donc conforme à Sa Loi, alors que celui qui agit sans invoquer Son Nom, institue en quelque sorte sa propre loi. A travers la simplicité de ce commentaire, on sent un maître immergé dans la Présence divine, soucieux d'appeler les hommes à Elle, en douceur, en leur faisant déjà pressentir quelques principes de la Voie.
Il passe ainsi au second degré de l'interprétation, l'istinbât (déduction) [dans un verset il est dit : « en auraient connaissance ceux d'entre eux qui en font apparaître le sens (yastanbitûna) »], consistant à faire « jaillir » du texte, par le travail de l'intelligence, un certain nombre de significations ou jugements (hukm pl. Ahkâm), une loi au sens large et non exclusivement juridique.
Il induit ainsi de la basmala les quatre ahkâm suivants :
- si Dieu a ouvert ainsi Son Livre, on comprend qu'il faut commencer par elle tout acte louable ;
 
- si Dieu a choisi de qualifier Son Essence par les deux Noms divins « le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux », c'est qu'Il veut être loué par Ses Attributs de Beauté ou de Miséricorde beaucoup plus que par ceux de Majesté ou de Rigueur ;
- la mention successive de ces deux Noms implique qu'ils ont chacun un sens propre, sinon ce serait une répétition ;
- le fait de dire « Au Nom de... », Ou plutôt « Par le Nom... » Suppose que le Nom soit le Nommé lui-même. Sinon, comment pourrait-on demander de l'aide par le « Nom » ?
On perçoit la pédagogie du Maître qui fait passer insensiblement, le lecteur ou le disciple du stade de la réflexion à celui de la réception intuitive du sens par l'allusion spirituelle (ishâra).
Comprendre le Qorân par allusion, c'est percevoir à partir de la Lettre un sens qui concerne personnellement et directement le lecteur dans sa relation avec Celui qui lui adresse la Parole [c'est acquérir en quelque sorte cette disposition spirituelle pouvant détecter ce sens].
Le fait que la particule (la lettre) bâ' « au » ou « par » (le Nom de Dieu) soit collé (iltisâq) au Nom de Dieu indique que toute chose « colle » à Dieu, non bien sûr au sens d'un contact sensible car si le contingent touchait l'éternel, il s’évanouirait aussitôt, mais parce que toute chose subsiste par Dieu et non par elle-même si bien que son être (wujûd) est comme « emprunté » (musta'âr) à l'Etre de son Existenciateur. A ce propos, le Cheikh cite souvent ce vers :
Celui dont l'essence n'a pas d'existence par elle-même,  Son existence, n'était Lui, serait l'impossibilité même.
Sur un plan graphique, l'écriture du bâ' de la basmala plus haut que le bâ' ordinaire pour indiquer l'alif supprimé de ism « nom », vient de ce qu'il se rattache au nom et donc au Nommé. Cette élévation du bâ' indique que les hommes de Dieu qui se rattachent au Nommé, s'élèvent pour cette raison au-dessus de l'humanité ordinaire. D'autre part, cette élévation qui tient lieu de l'alif fait allusion à la lieutenance (niyâba) que l'héritier Muhammadien exerce de la part de Dieu sur la création.
La basmala, placée en tête et comme au sommet du Livre, indique l'élévation de Dieu au-dessus de toute chose et de Son trône, non pas ici en tant qu'Il embrasse ainsi toute Sa création [non par la considération d'immanence] mais en tant qu'Il est par Sa présence transcendante dans chaque être [par la considération de transcendance], tout comme chaque sourate commence par la basmala.
Enfin, la tradition selon laquelle tout le Livre est dans la basmala, est une allusion à la résorption (intiwâ') de toute chose dans l'être de Son Existenciateur.
A propos des trois noms divins de la basmala : Allâh, al-Rahmâne, al-Rahîm, le Cheikh relève l'antériorité de l'Essence divine qui inclut en Elle, comme un trésor caché (fi hâl al-kanziyya), tous les Noms et Attributs. Parmi ceux-ci, al-Rahmân (le Tout-Miséricordieux) est le premier qui se soit manifesté, signe de son antériorité sur les autres noms divins, ceux de Colère et de Rigueur en particulier. Le Tout-Miséricordieux embrasse toute chose qu'elle quelle soit [ce dont consiste l'istiwâ, l'établissement du Tout-Miséricordieux, sur Son trône, ainsi Sa création]; par lui « l'incroyant jouit de délices de l'existence et Satan s'est rebellé ». Le nom al-Rahîm (le Très-Miséricordieux), la dernière des descentes (âkhir al-tanazzulât) est pour cette raison, caché dans la finalité des actes des créatures.
Revenant ensuite à l'ensemble de la basmala, le Cheikh s'interroge sur ce qui dépend d'elle. Qu'est-ce qui est « au Nom de Dieu le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux » et qui se trouve, de point de vue de l'analyse grammaticale, sous-entendu (mahdhûf) ? L'allusion contenue dans cette question est à la mesure du degré spirituel du lecteur du Qorân. Pour celui qui est immergé dans la vision de la grandeur de Dieu (al-mustghriq fî 'azamat Allâh), ce qui dépend de la basmala est totalement mahdhûf, lit. « Supprimé », ni existant ni non existant. Celui qui est doué d'intuition spirituelle (shu'ûr) voit l'Essence de Dieu précéder Son acte et trouve donc en Dieu la preuve de ce qui procède de Son Etre ; pour lui, le sous-entendu est donc postérieur. Celui qui progresse vers Dieu voit l'acte avant l'Agent et parvient ainsi jusqu'à Lui [à travers l'acte, qui pour lui comme preuve sur l'Agent, la création comme preuve sur le Créateur, alors que pour le premier, c'est le Créateur qui, en Lui-même, la preuve sur la création, voyant le Créateur avant la création, l'Agent avant l'acte]; pour lui, le sous-entendu précède la basmala.
C'est ainsi que le Cheikh fait accéder son lecteur à la compréhension du « langage de l'esprit », celui qui exprime la seule réalité divine où se résorbe la dualité de l'existence. Selon ce langage, la particule bi (le bâ', « b », avec kasra, « i », comme voyelle) par extension de la voyelle (de la kasra) est entendue bî « par Moi », ce qui signifie : « Par Moi est le Nom de Dieu. C'est Toi qui M'a manifesté, comme Moi, je T'ai manifesté ». Par l'intermédiaire du Nom, l'Essence se manifeste et se révèle à elle-même.
Le développement des quatre niveaux d'interprétation varie en importance selon les versets. Certains passages donnent lieu à de amples développements. On en donnera un exemple concernant le début de la sourate al-Baqara (la Vache), du point de vue de l'allusion spirituelle (sans les trois autres niveaux) : « A-L-M (alif, lâm, mîm). Voilà le Livre ; pas de doute à son sujet... » (Qorân : 2,1). Le Livre signifie ici non seulement l'Ecriture mais aussi l'ensemble de l'univers «descendu », c'est-à-dire issu de la «Présence sacro-sainte et du rayonnement de la Divinité », reliés à la dernière lettre de A-L-M, le Mîm qui symbolise la «Poignée de lumière et la Présence Muhammadienne » à partir de laquelle les êtres ont été manifestés. « Le monde, dit-il, et tout ce qu'il contient est lumineux de tous les points de vue, que tu le saches ou non ; « Nous n'avons créé les cieux, la terre et ce qui est entre eux que selon le Vrai (al-Haqq) » (Qorân : 15, 85 – 46 ; 3), que tu en aies ou non la contemplation. Celui qui ne voit pas le monde comme émanant du Vrai et descendu selon Lui ne peut saisir l'existence des lumières ; les nuages des altérités mettent un voile entre lui et le soleil des connaissances... ».
L'exégèse comme appel à Dieu
Le Miftâh 'ulûm al-sirr fî tafsîr sûrate wa-l-'asr « La Clé des sciences du secret dans le commentaire de la sourate “ Par le Temps ” » illustre un autre aspect de la personnalité intellectuelle et spirituelle du Cheikh. Son discours paraît tout d'abord s'inscrire dans une certaine tradition philosophique, celle de la Hikma, la sagesse islamique pour laquelle l'esprit doit se détacher du corps et des passions sensuelles pour parvenir à la félicité éternelle. L'interprétation du serment initial wa-l-'asr par le Temps (al-Dahr) commence par aller en ce sens, mais ne tarde pas à remonter vers le principe métaphysique du temps, à partir du hadith qudsî où Dieu s'identifie lui-même au Dahr. Après avoir envisagé différents aspects du temps, le Cheikh conclut finalement qu'il est le lieu où se déroule l'existence de l'homme, avec tout ce qu'elle comporte d'événements et de déboires, d'où l'accent particulièrement fort mis sur la perte de l'homme, par le serment du verset 1 : « Par le Temps » et par les particules d'insistance dans le verset 2 : « Certes l'homme vraiment est dans une perte (innal-insâna lafî khusr) ». L'insistance du Qorân est d'autant plus forte que l'homme ordinaire est inconscient de cette perte tant que sa nature spirituelle (rûhâniyya) ne l'emporte pas sur sa nature physique ('unsuriyya). L'homme est dans cette situation de perte tant qu'il reste au niveau de « l'homme second » enfermé dans le monde des sens ou de l'homme animal (hayawânî) par opposition à l'homme « seigneurial » (rabbânî). Les rabbâniyyûn désignent dans le Qorân les savants inspirés et plus précisément ceux qui se consacrent à l'enseignement et à l'étude du Livre (voir Qorân 3, 79). L'homme devient rabbânî lorsqu'il accède au monde de l'esprit après avoir voyagé de son être extérieur vers son être intérieur et retrouve son statut d' « homme premier » (al-insân al-awwal), perdu depuis la Chute. La perte de l'homme vient de ce qu'il se considère être avant tout comme un corps, alors qu'il n'est pleinement homme que par l'esprit. C'est ainsi que le Cheikh comprend l'expression Qorânique : « Ils ont oublié Dieu et Il les a fait oublier leurs âmes » (Qorân : 59, 19) qu'il rapproche de : « Nous avons créé l'homme dans la plus belle constitution. Puis Nous l'avons renvoyé au plus bas des bas » (Qorân : 95, 4-5). Il distingue de même la création première de l'homme (l'homme premier, spirituel) de la formation de son être corporel (l'homme corporel) dans : « Nous vous avons créé puis Nous vous avons formés (puis Nous avons dit aux anges : prosternez devant Adam) » (Qorân : 7, 11).
Sa démarche exégétique procède souvent par ce type de rapprochement qui donne aux versets une dimension supérieure (en fait, elle ne fait qu'illustrer cette dimension). L'interprétation du Qorân consiste donc à rappeler à l'Homme sa nature première purement lumineuse pour le ramener à son origine et le conduire à la félicité éternelle, selon la phrase attribuée à l'Imâm 'Ali : « Vous avez été créés pour l'éternité originelle » (khuliqtum li-l-abad). Le commentaire, en développant une anthropologie spirituelle, donne toute sa force au nom de l'homme (al-insân). Le dernier verset : « Sauf ceux qui croient, accomplissent les œuvres saintes, se recommandent mutuellement la vérité et se recommandent mutuellement la patience » excepte de cet état de perte quatre catégorie d'hommes dont les vertus suivent un ordre hiérarchique. la foi est la condition évidente du retour à l'origine et son absence « une perte manifeste » (Qorân : 4, 119) ; les œuvres confirment la foi et la plus haute d'entre elles (des œuvres) consiste dans le rappel mutuel de la vérité (al-haqq). En se conformant à l'ordre Qorânique de commander le bien et d'interdire le mal, ceux qui appellent à Dieu et à Dieu seul (al-haqq) se trouvent pour cette raison en butte aux épreuves. C'est pourquoi ils doivent se recommander mutuellement la patience (al-sabr), comme le conseille Luqmân à son fils : « O mon fils, ordonne le bien, interdit le mal et supporte patiemment ce qui t'atteint ; cela est ferme détermination » (Qorân : 31, 17). Seule la réunion de ces quatre vertus assure la délivrance finale (al-khalâs al-nihâ'î). Les prophètes les possèdent de manière innée et ceux qui, à leur suite, guident les hommes vers Dieu (al-murshidûn) les réalisent non sans un certain effort, à la mesure de leur héritage prophétique, en persévérant patiemment dans la voie qui est la leur.
Quant aux autres hommes, ils doivent se rattacher à celui qui rétablira en eux le lien d'amour ou d'amitié (al-wusla) qui les unit (spirituellement) à Dieu. Le Cheikh conclut par un enseignement prophétique bien connu, mais auquel il donne dans ce contexte toute sa force en le considérant comme le chemin le plus sûr vers la délivrance finale : « Aucun de vous ne sera véritablement croyant tant qu'il n'aimera pas pour son frère ce qu'il aime pour lui-même ». Cette conclusion du commentaire de la sourate al-'Asr montre combien l'herméneutique du cheikh al-Alawî illustre ce qu'il est, un maître spirituel Muhammadien, aimant pour ses frères ce qu'il aime pour lui-même, œuvrant ici par la voie de l'exégèse à la délivrance de l'esprit.



Dr Denis Gril



samedi 4 janvier 2014

Le personnage coranique de Pharaon d'après l'interprétation d'Ibn 'Arabî - Denis Gril








Denis GRIL, Annales Islamologiques 14 (1978), p.35-37.

L’étude du commentaire et de l’herméneutique coraniques est rendue délicate par la nature subtile de la relation qui s’instaure dans ceux-ci entre le texte sacré et son interprète. Cette remarque générale s’impose tout particulièrement dans le cas des commentateurs sûfîs, dont les buts et les moyens dépassent ceux de l’exégèse exotérique. Chez les Sûfîs l’intériorisation de la lecture resserre plus intimement encore le lien entre le Livre et le lecteur, entre le Verbe et son réceptacle, et de la qualité de ce lien dépend la profondeur de l’interprétation. C’est donc la nature de cette relation qu’il importe avant tout de définir, car d’elle dépendent la méthode exégétique de l’auteur et la portée doctrinale de son commentaire. Chez un auteur comme Ibn 'Arabî (1), la question de cette relation se pose à chaque instant.

En plus de ses traités strictement exégétiques ou herméneutiques, une part très importante de son oeuvre, tels les Futûhât al-Makkiyya et les Fusûs al-hikam, s’ordonne à partir de thèmes et de références coraniques nombreuses et répétées. Parmi ces thèmes, celui de « la foi de Pharaon » (îman Fir'awn) nous a paru digne d’étude. Cette expression désigne en fait l’interprétation par Ibn 'Arabî des données coraniques sur la destinée spirituelle et posthume du Pharaon de l’Exode. On ne doit donc pas s’attendre à y trouver tous les aspects que revêt le personnage de Fir'awn dans le Coran et dans l’exégèse traditionnelle, bien qu’Ibn 'Arabî y fasse parfois allusion. L’un des intérêts de ce thème est d’occuper une place de choix dans l’histoire de la polémique autour de son oeuvre. Souvent mal connue ou déformée sa position mit dans l’embarras nombre de ses défenseurs et lui attira de violentes critiques de la part de ses adversaires (2). L’historique de cette controverse exigerait toute une étude, aussi nous ne mentionnerons que les critiques touchant des points précis de son interprétation. Pour notre recherche le principal intérêt de celle-ci est de présenter un cas typique d’ésotérisme et de poser ainsi très clairement le problème de l’herméneutique de son auteur. Avant d’aborder cette question, nous avons essayé de reconstituer de la façon la plus cohérente possible son argumentation, d’après les passages des Futûhât et des Fusûs.

Nous avons pu ainsi relever quelques-unes des caractéristiques de son exégèse et en faire ressortir toutes les implications doctrinales. A partir de ces éléments nous avons esquissé l’ébauche d’une réponse à notre question initiale. Enfin, un autre intérêt non négligeable de ce thème est de montrer comment Ibn ‘Arabî, tout en défendant une position assez singulière, s’inscrit en même temps dans une certaine tradition dont la nature reste à définir.

L’importance du personnage de Pharaon dans le Coran est un fait remarquable. Il y apparaît la plupart du temps en relation d’opposition avec Moïse, le prophète dont le Coran mentionne le plus souvent l’histoire (3). Quand son nom est cité isolément ou suivi de ceux de Hâmân (4), le mauvais conseiller et de Qârûn, le riche endurci (5), il incarne surtout le type de l’orgueil indomptable (takabbur) et de la tyrannie rebelle à l’ordre divin (tughyân). En face de Moïse, d’autres aspects du personnage, plus énigmatiques, se font jour; notamment celui d’« exaltation » ('uluww) que le Coran lui attribue parfois (6) et de divinité exprimé sous deux formes sensiblement différentes (7). Les exégètes du Tasawwuf proposent en général deux interprétations de l’antagonisme de Moïse et de Pharaon. La première, se fondant sur le sens obvie des textes, y voit l’illustration du mystère de la Prédestination ; malgré les appels répétés que lui lance Dieu par l’intermédiaire de Son messager, Pharaon reste insensible à la Miséricorde divine, et, comme Iblîs, se damne par sa prétention et son orgueil. La seconde plus intérieure et d’ordre microcosmique considère leur lutte comme celle de l’esprit et de l’âme inférieure ; seule la mort de cette dernière met le coeur définitivement à l’abri des passions.

L’interprétation d’Ibn 'Arabî, dans l’ensemble (8), est tout autre. Pharaon, tout en restant ce personnage aux proportions humaines que met en scène le Coran, prend une dimension initiatique, que seul le Shaykh al-Akbar exprima avec autant de force. Pour celui-ci, en effet, Pharaon est un « connaissant » ('ârif), malgré le caractère imparfait et inachevé de sa réalisation spirituelle. Il tire argument de l’ordre intimé à Moïse et à Aaron dans les versets suivants : « Rendez-vous auprès de Pharaon, car il a excédé la limite, et parlez-lui avec douceur, peut-être se souviendra-t-il ou éprouvera-t-il de la crainte » (9). Le souvenir, pour lui, implique nécessairement une connaissance initiale, oubliée pour une raison ou une autre (10). On peut se demander de quelle nature était, selon l’expression de l’auteur, cette « authentique science reçue de Dieu qu’il détenait en son coeur » (11). Le passage suivant donne à penser qu’il pourrait s’agir de la connaissance de l’Identité suprême, conférée au serviteur à un certain moment de son cheminement spirituel : « Pharaon comprit que le message apporté par Moïse et Aaron était la vérité (al-haqq), car, par leur intermédiaire, c’était Dieu (al-haqq) qui parlait, de même que l’ouïe de Pharaon, par laquelle il entendit la parole de Moïse, était Dieu... Pharaon savait que Dieu est l’ouïe, la vue, la parole et toutes les facultés de sa créature. Aussi proclama-t-il, parlant pour Dieu : « Je suis votre seigneur le plus-haut ! » (12) Il était en effet conscient que c’était Allah qui prononçait une telle parole par la bouche de Son serviteur » (13). La crainte manifestée par les deux prophètes à l’annonce de leur mission s’explique donc, pour Ibn 'Arabî, par le haut degré de connaissance qu’ils s’accordent à reconnaître à Pharaon. Le verset « Nous avons peur qu’il ne se montre excessif envers nous, ou qu’il ne dépasse les bornes » (14), est commenté comme suit, par référence au sens étymologique des verbes farata et taghâ : « Nous avons peur qu’il nous dépasse par ses arguments fondés sur l’affirmation de l’unité divine absolue et que ses paroles ne prennent le dessus sur les nôtres, car il vise la Réalité essentielle ('ayn al-haqîqa) et, pour cette raison, nous donnera du mal » (15).

Tels quels, ces passages semblent particulièrement osés. Toutefois le but de leur auteur n’est pas de sanctifier ou de justifier à tout prix Pharaon. Ce qui importe pour lui, c’est de percer le mystère de cette prétention à la divinité, trop singulière pour n’être qu’une simple forme d’impiété. Il y voit au contraire la manifestation d’une prise de conscience de l’unité essentielle de l’Etre.

Si Ibn 'Arabî justifie métaphysiquement les propos de Pharaon, il n’en fait pas pour autant un modèle de spiritualité. Malgré la valeur intrinsèque de la voie suivie par ce dernier, elle est exactement à l’opposé de celle que trace le Coran et l’exemple prophétique, représenté ici par Moïse et Aaron. La voie prophétique, et il n’en est pas d’autre pour ceux qui y sont appelés, exige l’occultation totale de l’aspect seigneurial et divin de l’homme. En d’autres termes, la réalisation de la servitude totale ('ubûda) peut seule affranchir l’initié de ses limites individuelles. En s’attachant uniquement à la divinité absolue (ulûha) qui est en lui, il court un risque grave de déséquilibre, surtout quand l’âme individuelle n’est pas complètement maîtrisée. C’est au nom de cette règle de la voie initiatique que le Shaykh al-Akbar condamne à de nombreuses reprises le shath, locution théopathique où le serviteur dévoile involontairement sa divinité. La parole de Pharaon : « Je suis votre seigneur le plus-haut ! » aurait pu sembler de cette nature, mais, pour Ibn 'Arabî, elle est en fait l’usurpation d’un état exigeant une extinction totale de l’individualité. Elle peut donc être considérée comme le signe aussi bien d’une grave faute que d’un degré valable de connaissance et, par-là annonce tout à la fois son châtiment et sa délivrance.

« A cause de l'infiltration mystérieuse de la Ulûhiyya dans l’être humain, celui-ci prétendit à la « divinité » en employant le terme al-ilâh « dieu », tel le Pharaon qui dit : « J’ignore qu’il puisse y avoir pour vous un dieu autre que moi » (Coran, XXVIII, 38), or cela ne convenait pas puisqu’il disait telle chose par un acte de volonté délibérée ('ani-l-mashî’a). Il n’a parlé ni sous l’empire d’un hâl initiatique et en se conformant à un ordre (d’en haut) qui lui aurait enjoint de dire : Anâ-llâh, « Je suis Allah! », ni en disant simplement le terme ilâh, « dieu », mais il a été exclusif, en précisant « autre que moi ». Comprends bien ce point. — Aussi le Pharaon a prétendu clairement à la Rubûbiyya, la Seigneurie, qui (d’ailleurs) ne saurait égaler le pouvoir de la Ulûhiyya, en disant : « Je suis votre Seigneur le plus élevé ! » (LXXIX, 24). Là encore, il a parlé sans avoir la justification de celui qui dirait une telle parole à cause d’un hâl, par voie d’ordre (divin) et avec simple adhésion de la volonté propre, dans un état d’« union » (jam'an), comme Abû Yazîd (al-Bistâmî) qui proclama (en s’exprimant en termes coraniques) : « En vérité Moi, je suis Allah ! Pas de divinité si ce n’est Moi, adorez-Moi donc ! » (cf. Coran, XXI, 25), et qui une autre fois affirma : Anâ-llâh, « Je suis Allah! », car dans l’être de celui-ci il ne restait nulle parcelle que la Ulûhiyya, par une parfaite pénétration, ne remplisse de sa présence totale ! (16)

« Allah dit par la voix de Pharaon : « Je suis votre seigneur le plus-haut ! » Alors que c’est Lui — gloire à Lui — qui est en réalité le Plus-haut ... Tel fut l’attribut de Dieu qui apparut sur la langue de Pharaon. Allah sut qu’il ne le prononça pas par délégation divine (niyâbatan 'ani-l-haqq), comme le fait l’orant en disant : « Allah entend celui qui Le loue » (17). Pharaon n’avait pas conscience de la délégation divine nécessaire pour prononcer une telle parole. La qualité divine à laquelle il prétendait rechercha son qualifié et retourna ainsi à Dieu — que Sa Majesté soit proclamée —. Quant à lui, elle lui fut enlevée, bien qu’il ne l’ait jamais vraiment revêtue » (18)

Dans un autre passage, Ibn ‘Arabî semble assimiler la parole de Pharaon à un shath véritable. Ce dernier apparaît bien alors comme le type du connaissant dont l’âme n’est pas définitivement maîtrisée, au contraire d’un prophète ou d’un saint totalement soumis à la Loi prophétique.

« Si l’âme pouvait se dégager de la matière, elle laisserait apparaître la puissance originelle qui lui est conférée par le Souffle divin ; rien ne s’enorgueillirait plus qu’elle. C’est pourquoi Allah la maintient à jamais dans la forme naturelle (al-sûra al-tabî'iyya) (19), dans ce monde, dans l’état intermédiaire du sommeil et après la mort, de sorte que jamais elle ne peut se considérer comme détachée de la matière. Ne vois-tu pas que, lorsque l’âme perd conscience d’elle-même, elle se lance à l’assaut de la station divine et prétend à la seigneurie, tel Pharaon. Sous l’empire de cet état, elle s’écrie : « Je suis Allah ! » ou « Gloire à Moi ! », paroles que proféra un connaissant (20) dominé par son état spirituel. Jamais de telles paroles n’émaneront d’un envoyé, d’un prophète ou d’un saint dont la science, la présence du coeur, l’observance du degré initiatique, le respect des convenances spirituelles et enfin la considération de sa condition matérielle sont parfaits » (21).

Le refus d’admettre ouvertement la mission de Moïse et d’Aaron, ainsi que le départ des Israélites est évidemment une réaction d’amour-propre de la part de Pharaon. S’il persiste à se proclamer dieu, c’est pour ne pas déchoir de la fonction que lui assigne la vénération de son peuple.

« Sache que Pharaon avait reçu de Dieu une certaine science, mais l’amour de l’autorité (hubb al-riyâsa) l’emporta chez lui en ce monde. Il dit en effet : « Je ne vous connais pas d’autre dieu que moi » (22). Il ne désigna que son peuple et non tous les êtres de l’univers. Il savait que son peuple le croyait dieu ; il ne fit donc qu’énoncer un état de fait en toute véridicité, puisque selon leur science, ils n’avaient d’autre dieu que lui » (23).

Le Coran retrace quelques controverses où Moïse et Pharaon s’affrontent au moyen d’arguments dont l’enchaînement logique est parfois déconcertant. On a l’impression que Moïse entame avec son adversaire un dialogue à mots couverts, pour ne pas le heurter de front et parce que la résistance qu’il lui oppose n’est pas d’ordre rationnel.

« Moïse dit : notre Seigneur est celui qui a donné à toute chose sa création » (24). Il montra ainsi que la science divine embrasse toute chose, ce qui n’était point le cas de la science de Pharaon, malgré sa prétention à la Seigneurie. Celui-ci comprit les deux envoyés et se tut, car il se rendit bien compte qu’ils avaient dit la vérité. Cependant l’amour de l’autorité l’empêcha de le reconnaître » (25).

De quelle autorité s’agit-il au juste ? Moïse ne dispute pas à Pharaon son royaume. Il se présente à lui pourtant comme détenteur d’un pouvoir (hukm), conféré par Dieu et distinct de sa qualité de prophète et d’envoyé. Ce pouvoir est celui du représentant de Dieu sur la terre, le khalîfa. Or c’est précisément cette fonction spirituelle et temporelle que Pharaon revendique pour lui. Ibn 'Arabî ne la lui dénie pas entièrement puisqu’il le qualifie de « Maître de l’instant », un des qualificatifs du Pôle (qutb) dans le Tasawwuf. Seulement sa fonction semble être uniquement terrestre, tandis que celle de l’envoyé est universelle, de par sa qualité d'insân al-kâmil. En somme Pharaon reconnaît le degré spirituel de Moïse, mais refuse de se soumettre à son autorité hiérarchique.

« Pharaon détenait l’autorité régissante (tahakkum) ; il était le Maître de l’instant (sâhib al-waqt) et khalîfa temporel (bi-l-sayf), quoiqu’il se fût écarté de la Norme (al-'urf al-nâmûsî). Ceci l’entraîna à déclarer : « Je suis votre seigneur le plus-haut ! » — c’est-à-dire : si tous les êtres sont des seigneurs sous un rapport ou un autre, je suis le plus haut d’entre eux, car l’autorité extérieure sur eux m’a été conférée. Sachant qu’il disait vrai, les magiciens ne le contredirent pas, ils le confirmèrent même en disant : « Tu ne juges que la vie de ce monde, exécute donc ce que tu as décrété » (26).

« La parole de Moïse : « Il m’a fait don d’un pouvoir » (27) désigne la lieutenance (khilâfa) », et « Il m’a compté au nombre de Ses envoyés » signifie la mission prophétique (risâla). Tout envoyé (rasûl) n’est pas nécessairement un khalîfa. Ce dernier détient le pouvoir temporel, la destitution et l’institution (al-'azl wa-l-wilâya). L’envoyé n’a pas de telles prérogatives, car sa fonction est limitée à la transmission (balâgh) du message qui lui a été confié. S’il reçoit l’ordre de le répandre et de le défendre par l’épée, c’est un « lieutenant-envoyé ». De même que tout prophète n’est pas un envoyé, tout envoyé n’est pas khalîfa, et dans ce cas, le royaume (mulk) ne lui a pas été confié, ni le pouvoir de le régir. La question posée par Pharaon sur la quiddité divine (28) n’était pas due à son ignorance, mais à son désir d’éprouver Moïse pour voir si sa réponse confirmerait sa mission prophétique. Pharaon connaissait en effet le degré de science des envoyés » (29)

Le dialogue de la sourate Tâhâ (30) est même la preuve pour Ibn 'Arabî que Pharaon voulait amener progressivement son peuple à reconnaître la véridicité des deux envoyés, sans perdre pour autant de son prestige. Le résultat cependant est autre : les sujets restent dans l’aveuglement, tandis que leur souverain, de plus en plus touché par les arguments de Moïse, en vient à reconnaître sa propre faiblesse.

« ...Pour les entraîner encore plus loin dans leur démonstration, Pharaon leur posa cette question : « Qu’est-il advenu des premières générations ? ils répondirent : la science à leur sujet se trouve auprès de mon Seigneur dans un livre, mon Seigneur ne s’égare pas ni n’oublie » (31). — comme tu avais toi-même oublié, jusqu’à ce que, grâce à notre rappel, tu te souviennes. Car si tu avais été un dieu, tu n’aurais point oublié. Allah n’a-t-il pas dit : « peut-être se souviendra-t-il... ». Moïse et Aaron poursuivirent leur démonstration, mais l’effet de ces paroles resta latent dans l’âme de Pharaon, car l’amour de l’autorité lui interdit de se démentir devant son peuple. « Il fit peu de cas d’eux et ceux-ci lui obéirent ; ils furent un peuple prévaricateur » (32).

Pour prouver que les propos des deux prophètes ont effectivement atteint leur but, Ibn 'Arabî use d’un argument assez inattendu qui fournit un bon exemple d’une exégèse conforme à la lettre du texte, mais aboutissant à un tout autre résultat que celui d’une lecture ordinaire.

« Allah a apposé un sceau sur tous les coeurs, pour que la Seigneurie de Dieu (rubûbiyyat al-haqq) ne s’y immisce point et ne devienne un attribut de ceux-ci. Pour cette raison personne au fond de son coeur ne peut se prendre pour seigneur et dieu. Chacun sait bien au contraire combien il est pauvre, indigent et humble. Allah — qu’il soit exalté — a dit : « Ainsi Allah imprime-t-Il son sceau sur tout coeur orgueilleux et tyrannique » (33). La Grandeur divine (al-kibriyâ’ al-îlâhî) ne peut y pénétrer d’aucune manière. L’être intérieur de chaque individu est scellé de telle sorte qu’aucune prétention à la divinité (ta’alluh) ne puisse s’y infiltrer. Toutefois Allah n’a pas immunisé les langues contre la formulation de la prétention à la divinité, ni les âmes contre la croyance à la divinité d’autrui. L’âme donc est protégée contre la croyance à sa propre divinité, mais non pas contre la croyance à celle d’autrui » (34).

Ce dernier passage fait allusion à la distinction qu’il faut établir entre la manifestation extérieure de l’individu et son être intime. Cette distinction trouve son expression dans la « parole douce » que les envoyés doivent adresser à Pharaon. Si l’extérieur chez lui est rude et plein de superbe, l’intérieur, incorruptible, est doux et humble. Par leur douceur, leurs paroles traversent l’enveloppe externe et grossière de leur antagoniste et opèrent leur effet dans le tréfonds de son âme. Par ailleurs cette douceur est le signe révélateur de la fonction de Moïse et de son assesseur ainsi que de leur degré spirituel par rapport aux prétentions de Pharaon. Pour accomplir sa mission le khâlîfa doit être un serviteur parfait et donc se qualifier des attributs servitoriaux de pauvreté et de faiblesse, afin que par lui les attributs seigneuriaux se manifestent dans toute leur puissance. Ayant renoncé à toute prétention individuelle, il devient le lieu de manifestation de la Majesté et de la Volonté divines. C’est ainsi que l’on doit expliquer la peur qui saisit Moïse, pour lui rappeler la nécessité du secours divin.

« Aaron lui (35) dit : ici est le ciel de la lieutenance de l’homme. Le pouvoir de son imam, est faible, bien que son fondement soit on ne peut plus solidement bâti. C’est pourquoi nous reçûmes l’ordre de traiter avec douceur les tyrans excessifs (al-jabâbira al-tughât). Il nous fut dit : « Parlez-lui avec douceur ». Or on ne donne un tel ordre qu’à celui dont la puissance et la force sont plus grandes que celles de celui à qui il est envoyé. Un sceau étant apposé sur le coeur de qui manifeste toute-puissance et grandeur, et ce dernier étant en fait le plus humilié de tous les êtres, Dieu ordonna aux envoyés de le traiter avec miséricorde et douceur. Leurs paroles correspondirent ainsi à son état intérieur et amenèrent son être extérieur à renoncer à sa superbe et à son orgueil » (36).

La correspondance entre la nature des propos de Moïse et d’Aaron et l’état de faiblesse intérieure de Pharaon constitue un premier argument. Le second est d’ordre philologico-théologique : un souhait émis par Dieu est inéluctable ; le verset : « peut-être se souviendra-t-il ou éprouvera-t-il de la crainte » n’échappe pas à la règle. Le souhait divin se réalisa même doublement dans l’immédiat car, sinon, comment expliquer que Pharaon laisse partir en paix les envoyés après les avoir menacés de prison ou de mort, et plus tard réduits à la dernière extrémité à l’approche de la noyade.

« Allah émit le souhait (tarajjâ) que Pharaon se souvienne et éprouve de la crainte. Donc il devait nécessairement en arriver là. Il n’en laissa toutefois rien paraître bien qu’intérieurement le souvenir et la crainte se fussent imposés à lui. Il ne fit pas violence à Moïse et à son frère dans cette assemblée, alors qu’il détenait le pouvoir et la force. Ce fut le souvenir et la crainte de Dieu eux seuls qui le retinrent... Allah secourut Moïse par cette douceur qu’il lui avait enjointe. Son discours fut tel une armée divine ; elle rencontra l’armée de l’intérieur de Pharaon et la vainquit par la permission d’Allah. Voyant la défaite de l’armée qui faisait sa force, Pharaon se souvint de Dieu, éprouva de la crainte et connut l’humilité. Cette humiliation et cette reconnaissance l’occupèrent tant qu’il ne put exercer sa puissance extérieure et ne fit point violence aux envoyés lors de cette assemblée » (37).

Cette humiliation inavouée prouve seulement que l’exhortation a porté. Ibn 'Arabî compare celle-ci au levain qui fait monter la pâte (38) ou à la graine qui produira un fruit (39), Le déséquilibre entre l’intérieur et l’extérieur est si grand chez Pharaon que son rétablissement exige une longue fermentation. Croyant et connaissant au fond de lui-même, sa rébellion a pour origine une erreur fondamentale. Celle-ci est de croire que, pour manifester les attributs divins et seigneuriaux de sa fonction royale, il doive se les attribuer à lui-même et surtout les extérioriser en sa propre personne. Il fallait donc, pour rétablir l’équilibre, une circonstance exceptionnelle qui mette son être corporel dans le même état d’indigence que son être intime. Ce fut l’imminence de la noyade qui le laissa sans d’autre recours que l’abandon à la Miséricorde divine. Son repentir également devait être sans équivoque, aussi inclut-il dans sa reconnaissance de l’unité divine les Israélites réduits par lui en esclavage et dont il n’avait pas voulu admettre la mission divine.

 « Ce ferment ne cessa pas d’agir sur son être intérieur, tandis que, par ailleurs, le souhait divin devait se réaliser. L’effet de ce ferment continua de s’accroître, jusqu’au moment où il renonça à rejoindre Moïse et où la noyade mit fin à ses ambitions. Il recourut alors à l’humilité et à l’indigence qu’il cachait au fond de lui-même, pour que les croyants puissent constater qu’un souhait divin doit nécessairement se réaliser. Pharaon dit : J’ai cru en « Celui en qui ont cru les Fils d’Israël, et je suis de ceux qui se soumettent à Dieu (mina-l-muslimîn) » (40). Il extériorisa son état intérieur et l’authentique science de Dieu celée en son coeur. En précisant : « Celui en qui ont cru les Fils d’Israël », il leva une équivoque possible. Les Magiciens (al-sahara) firent de même ; ayant cru en Dieu, ils dirent : « Nous croyons dans le Seigneur des mondes, le Seigneur de Moïse et d’Aaron » (41) — c’est-à-dire : Celui vers qui appellent les envoyés. Ils dissipèrent ainsi tout doute. « Je suis de ceux qui sont soumis à Dieu » est une parole adressée à Lui, en tant qu’il entend et voit. Dieu lui répondit sur le ton du reproche : « Est-ce maintenant ? » — que tu extériorises ce que tu savais déjà, « alors que tu as désobéi auparavant et que tu as été d’entre les corrupteurs » (42) pour ceux qui t’ont suivi. Allah ne lui dit pas « tu es d’entre les corrupteurs » ; ce reproche est donc en réalité une bonne nouvelle que Dieu annonce à Pharaon pour nous inciter à espérer en Sa Miséricorde, en dépit de nos excès et de nos crimes. Dieu lui dit ensuite : « Aujourd’hui nous te sauvons » — Il lui annonça cette bonne nouvelle avant de saisir son esprit — « en ton corps, pour que tu sois un signe pour la postérité » (43) — pour que ton sauvetage soit, pour qui viendra après toi et prononcera les mêmes paroles, le signe qu’il trouvera le même salut que toi. Rien dans ce verset n’indique que le châtiment de l’au-delà n’a pas été supprimé ni que sa foi n’a pas été agréée. Le verset prouve seulement que le châtiment de ce monde n’est pas écarté de celui qui fait profession de foi en voyant son échéance arriver, à l’exception du peuple de Jonas (44). « Aujourd’hui nous te sauvons en ton corps », car le châtiment ne concerne que ton être extérieur, et ainsi les hommes purent voir comment il avait été sauvé du châtiment. Celui-ci fut le début de la noyade, quant à sa mort elle fut un martyre pur et innocent (shahâda khâlisa barî’a), entaché d’aucune désobéissance. Son esprit fut saisi au moment où il accomplissait la meilleure des oeuvres, la profession de foi (al-talaffuz bi-l-îmân), pour que personne ne désespère de la Miséricorde d’Allah et que l’on sache que les actes sont jugés sur leurs conclusions (al-a’mâl bi-l-khawâtim) ... L’âme de Pharaon lui fut enlevée sans retard, dans son état de croyance, afin qu’il ne revienne pas à son ancienne prétention. Dieu — exalté soit-il — conclut cette histoire en disant : « Et la plupart des hommes sont indifférents à Nos signes » (45). De fait la plupart n’y prêtèrent pas attention et condamnèrent ainsi un croyant à la damnation. La parole d’Allah : « Et il (Pharaon) les conduisit au Feu » (46) ne permet pas d’affirmer qu’il y soit entré avec eux. Allah dit encore : « Faites entrer les Gens de Pharaon (âl Fir'awn) » et non : Pharaon et ses gens. La miséricorde de Dieu est trop large pour ne pas accepter la foi de l’homme réduit à une extrême nécessité (al-mudtarr). Et quelle nécessité de la Miséricorde divine est plus grande que celle de Pharaon au bord de la noyade. Allah ne dit-il pas de lui-même : « Celui qui répond à l’homme nécessiteux lorsqu’il L’invoque et dissipe le mal » (47). Puisqu’Allah promet à cet homme réponse et dissipation du mal, que dire de Pharaon, qui a cru en lui d’une foi pure. Il ne demanda pas la survivance ici-bas, de peur des défaillances et de perdre la pureté d’intention (ikhlâs) conférée par cet instant. En attestant sa foi, il préféra la rencontre avec Allah à la survie terrestre. La noyade constitua pour lui « le supplice de l’Au-delà et d’Ici-bas » (48) ; son châtiment ne fut que le désagrément de l’eau salée et son esprit fut saisi dans les meilleures conditions, comme l’indique le sens obvie du texte. « Certes en cela il y a sujet à méditation pour qui craint Dieu » (49), sur le fait que lui fut infligé le supplice de l’au-delà et d’ici-bas. L’au-delà est mentionné avant l’ici-bas, pour que l’on sache que la noyade fut le seul supplice de l’au-delà, ce qui constitue une grâce immense. Vois donc, mon ami, quel fut l’effet des propos adressés avec douceur et quel fruit ils produisirent » (50).

Citons encore cet autre texte où les arguments sont présentés de façon légèrement différente.

« Jusqu’à ce qu’au bord de la noyade, il dise : j’ai cru qu’il n’y a pas de dieu si ce n’est Celui en qui ont cru les Fils d’Israël ». Cette proclamation de l’unité est celle de l’appel au secours (tawhîd al-istighâta). Pharaon employa une proposition relative (sila) pour lever toute équivoque. Les magiciens avaient fait de même ; après avoir proclamé leur foi dans le Seigneur des mondes, ils avaient ajouté : « le Seigneur de Moïse et Aaron » pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté dans l’esprit des auditeurs, et pour cette raison Pharaon les avait menacés du supplice. Ce dernier paracheva ainsi son attestation : « et je suis de ceux qui se soumettent à Dieu ». Car Dieu est celui vers qui tous sont guidés et qui n’est guidé par personne ... Par ces paroles Pharaon informa son peuple qu’il revenait sur sa prétention d’être leur seigneur le plus-haut. Son sort est entre les mains d’Allah (fa-amruhu ilâ-llâh) puisqu’il crut en voyant l’imminence de sa mort. Une foi de ce genre ne peut écarter le châtiment de ce monde, à l’exception du peuple de Jonas, mais il n’est pas question ici du châtiment de l’au-delà. Allah le confirma ensuite dans sa foi : « est-ce maintenant, alors que tu as désobéi auparavant? » Ce verset prouve la sincérité de sa foi, sinon Allah lui aurait répondu comme aux Arabes du désert qui disaient : « nous avons cru!

Dis : vous n’avez pas encore cru, dites plutôt : nous nous sommes soumis, car la foi n'a point encore pénétré vos coeurs » (51). Allah a témoigné de la foi de Pharaon, or Il ne peut attester que quelqu’un ait proclamé sincèrement Son Unité, sans l'en rétribuer. Il ne désobéit plus après avoir cru et Allah l’agréa auprès de Lui — s’il en est ainsi — dans toute la pureté de sa foi. De même que l'incroyant en entrant en Islam doit procéder à une ablution totale (ghusl), de même la noyade constitua pour Pharaon une ablution et une purification. Allah le prit dans cet état et « lui infligea le supplice de l’au-delà et d’ici-bas » pour faire de lui « un sujet de méditation pour qui craint Dieu ». On ne peut pas assimiler sa foi a celle de l'agonisant (al-mugharghir). Ce dernier est absolument certain de quitter la vie, tandis que la noyade de Pharaon se présente autrement. Il vit la mer asséchée pour les croyants et comprit qu’ils le devaient à leur foi. Se fiant à sa propre foi, il ne fut pas certain de mourir et pensa même vivre. Sa situation est différente par conséquent de celui à qui se présente la mort et qui dit alors : « je me suis repenti maintenant », ou de « ceux qui meurent incroyants » (52). Son sort est donc entre les mains d’Allah » (53).

Ces deux passages (54) montrent assez avec quelle vigueur leur auteur a soutenu la foi de Pharaon. Il faut ajouter pourtant que dans le dernier texte Ibn 'Arabî remet à deux reprises son sort à Dieu, à qui seul appartient de connaître la destinée posthume des êtres. Ailleurs il émet une légère réserve sur la force de son argument fondé sur le « est-ce maintenant ? » (55). Mais dans l’ensemble sa position est cohérente et claire, n’était le passage suivant en contradiction apparente avec les textes que nous avons cités. Certains auteurs, soucieux de défendre l’orthodoxie du Shaykh al-Akbar, y trouvèrent même la preuve qu’il n’avait jamais soutenu pareille opinion (56).

«... Ces criminels (mujrimûn) se répartissent en quatre groupes, tous voués au Feu, dont ils ne sortiront point. Ce sont eux qui se sont enorgueillis à l’égard de Dieu (al-mutakabbirûn 'allâ-l-llâh), comme Pharaon et ses semblables, qui ont prétendu à la Seigneurie en niant celle d’Allah. C’est ainsi qu’il dit : « ô assemblée, je ne vous connais pas d’autre dieu que moi ! » et également : « je suis votre seigneur le plus-haut ! » Il entendait par là que, dans le ciel, il n’y avait pas d’autre dieu que lui comme l’avaient aussi prétendu Nemrod et d’autres. » (57).

Comment situer ce texte par rapport à ceux qui le précèdent ? Il a beau se trouver dans le premier tome des Futûhât et ceux qui expriment clairement la foi de Pharaon dans les tomes suivants, l’idée d’une évolution dans la pensée d’Ibn 'Arabî semble bien invraisemblable. Elle s’accorderait peu avec la nature de son oeuvre et l’existence d’une seconde rédaction des Futûhât. Une autre explication plus plausible serait de considérer Pharaon ici comme un type, celui de l’orgueil humain et de l'endurcissement du coeur, indépendant du contexte de l’histoire prophétique. Enfin, et peut-être est-ce la meilleure explication, pourquoi ne pas admettre simultanément l’existence de deux interprétations : l’une exotérique et destinée au commun des croyants, et l’autre destinée à l’élite spirituelle, seule capable de saisir la subtilité du verbe coranique et par conséquent la dimension initiatique du personnage (58).

Sans vouloir être exhaustif, nous avons essayé de reproduire le plus fidèlement possible l’interprétation qu’en donne Ibn 'Arabî. D’emblée on reste frappé par la démarche suivie par l’auteur dans ces textes. Leur aspect démonstratif et exégétique est l’un de leurs traits les plus remarquables : ils apparaissent en cela comme assez différents d’autres exemples d’interprétation ésotérique plus volontiers fondés sur l’allusion (ishâra). Une question donc se pose : sommes-nous en présence d’une interprétation guidée par une certaine forme de lecture, ou bien l’auteur essaye-t-il de retrouver, par le biais de l’exégèse, la confirmation d’une intuition de départ ? L’analyse de sa méthode exégétique permettra d’entrevoir un début de réponse et surtout de poser plus clairement la question des rapports entre la doctrine et l’exégèse.

L’attachement des commentateurs sûfîs à la lettre du Coran a été maintes fois signalé. Il ne signifie pas exégèse littérale, mais exploitation de sa richesse d’évocation symbolique, dans le but de faire découvrir au lecteur la portée spirituelle et métaphysique du texte. Une forme de cet attachement est la référence au sens originel et concret d’une racine ou d’un mot apparenté à celle-ci, pour découvrir le sens profond d’un autre mot rendu abstrait par l’usage. Ibn 'Arabî procède ainsi pour le mot nakâl, supplice, dans le verset « Et Allah lui infligea le supplice de l’au-delà et d’ici-bas ». Il ramène son sens à l’idée de « lien » (qayd), et par conséquent à celle de « conditionnement » (taqyîd), en le rapprochant du mot de même racine : nikl, lien, garrot. Pour le commentaire le résultat est le suivant : après avoir prétendu à l’état inconditionné de divinité, Pharaon est ramené, providentiellement, au conditionnement de la servitude, sans lequel il n’y a ni délivrance véritable ni félicité. Le verset « Certes, en cela il y a un objet de méditation ('ibra) » invite justement à un dépassement du sens (tajâwuz al-ma'nâ) du verset précédent par ce mot de 'ibra, du verbe 'abara, traverser, dépasser. Parfois la seule puissance de suggestion d’une racine suffit pour faire jaillir une idée nouvelle. Quand il est dit de Pharaon : « peut-être se souviendra-t-il » (yatadhakkar), les sens multiples de la racine DhKR s’interposent entre le lecteur et le texte et l’idée de réminiscence entraîne celle d’une connaissance antérieure et essentielle. Le temps d’un verbe peut lui aussi être chargé de signification. La forme accomplie du verbe âmantu, « j’ai cru », par lequel Pharaon commence son attestation de l’unité divine, est la preuve qu’il était en son for intérieur un croyant de longue date.

L’argumentation d’Ibn ‘Arabî dans ces trois derniers exemples se fonde sur la valeur des mots en eux-mêmes de par leur racine ou leur forme grammaticale. Dans une autre forme d’interprétation, ce n’est plus le contenu linguistique en lui-même qui constitue l’argument, mais le rapprochement logique suggéré dans l’esprit du lecteur par tel mot, telle expression, ou même l’ordonnance particulière des mots dans une phrase. Le « peut-être » (la'alla) par lequel Dieu souhaite le repentir de Pharaon serait insignifiant s’il était prononcé par un autre que Lui. Mais dans ce cas Sa Toute-Puissance exige que Son voeu soit réalisé. La parole possède en elle-même une certaine force opératrice, comme le témoignent ces mots prononcés par la femme de Pharaon : « (il sera) une fraîcheur de l’oeil pour moi et pour toi!» (59). Pour Ibn 'Arabî ces propos présagent l’heureuse fin de son époux, puisque, grâce à Moïse, Pharaon réalise sa véritable destinée spirituelle. La connexion d’un mot avec une notion traditionnelle peut renforcer la portée de celui-ci; après son attestation de l’unité divine, Pharaon fait acte de soumission à Dieu (islam), or, selon le hadith, un tel acte efface toutes les fautes antérieures, donc Pharaon est nécessairement pardonné. Enfin la place insolite d’un mot n’échappe pas à l’attention d’Ibn 'Arabî. Pourquoi l’au-delà est-il mentionné avant l’ici-bas dans le verset « Et Allah lui infligea le supplice de l’au-delà et d’ici-bas»? Cette permutation de l’ordre ordinaire nécessite une explication : la réunion des deux châtiments en un seul, celui de la noyade dans ce monde.

Enfin on trouve fréquemment sous la plume d’Ibn 'Arabï une série d’arguments exégétiques que la science du tafsîr désigne sous le terme générique de « commentaire du Coran par lui-même » (tafsîr al-qur'ân bi-l-qur’ân). Le rapprochement entre deux versets possédant chacun un terme en commun peut éclairer l’un par rapport à l’autre. Ainsi le verset « Ne craignent Allah, parmi Ses serviteurs, que les savants » rapproché du verset « peut-être se souviendra-t-il ou éprouvera-t-il de la crainte » signifie que, quand Pharaon aura éprouvé une telle crainte, il se souviendra de la science qu’il a oubliée. La forme comparable que prend l’attestation de l’unité divine chez Pharaon et les Magiciens est due pour Ibn 'Arabî à leur souci commun de lever toute ambiguïté possible dans leur formulation. Par conséquent celle du premier est tout aussi valable que celle des seconds. Inversement un autre argument pour l’acceptation de sa foi par Dieu est fourni par la comparaison de deux versets allant chacun dans un sens opposé. Si Dieu reproche à Pharaon d’avoir tant tardé à attester sa foi, Il ne lui en dénie pas non plus la valeur comme ce fut le cas pour ces Arabes du désert qui s’entendirent reprocher : « vous n’avez pas cru ! » C’est donc la preuve que la foi de Pharaon était sincère et qu’elle a été agréée. D’autre part Ibn 'Arabî relève que nulle part dans le Coran Pharaon n’est explicitement mentionné comme damné, si ce n’est dans l’expression « les gens de Pharaon ». Mais pour lui l’expression ne concerne pas Pharaon lui-même.

Tous ces procédés restent plus ou moins dans le cadre de l’exégèse classique. Evoquons encore une autre forme d’interprétation, plus suggestive que rigoureusement logique, s’attachant à mettre en valeur des relations insoupçonnées entre les mots. Par exemple, le témoignage (shahâda) de l’Unité divine proclamé par Pharaon, évoque aussi l’idée de martyre (shahâda), car, selon le hadîth, le noyé meurt martyr (shahîd). D’autre part, la noyade n’est pas ici sans évoquer l’ablution totale (ghusl), elle-même symbole, pour qui fait acte d'Islam, de purification des péchés antérieurs, ce qui est également une promesse faite aux martyrs.

Les arguments d’Ibn 'Arabî sont-ils convaincants ? La question a son intérêt, puisqu’autour de leur valeur tourne toute la polémique soulevée par sa position. Cependant elle n’offre guère d’utilité pour le but que nous nous sommes fixé. Il nous importe avant tout de comprendre la démarche d’Ibn 'Arabî et pour cela, nous devons nous interroger, non pas sur la valeur de son argumentation, mais sur ses motivations profondes. Comme cela a déjà été souligné, l’enjeu de celle-ci est essentiellement doctrinal et prend une coloration à la fois religieuse, métaphysique et initiatique. Incontestablement le point qu’il défend avec le plus de force et de conviction est l’incommensurabilité de la Miséricorde divine. L’oeuvre du Shaykh al-Akbar est émaillée de constants rappels de celle-ci, étayés par la mention du verset : « Ma miséricorde embrasse toute chose » (60) et du hadîth qudsî : « Ma miséricorde a précédé mon courroux ». Sur le plan religieux seul le désespoir ou refus de la grâce est, avec l’associationisme, un péché sans pardon possible. Or Pharaon renonce aux deux en même temps ; a-t-on le droit, dans ces conditions, de lui refuser d’être reçu dans la miséricorde divine ? Sur le plan métaphysique, condamner Pharaon c’est donc limiter cet aspect de l’Infini qu’est la Miséricorde. Sous ce rapport la position d’Ibn ‘Arabî est à replacer dans le cadre général de sa critique des théologiens, auxquels il reproche de vouloir, par leur réflexion limitée, conditionner l’Absolu.

Sur le plan initiatique la portée des textes cités est multiple. Nous rappellerons ici brièvement les quelques points de doctrine qui constituent l'essentiel de l'interprétation du personnage par Ibn 'Arabî. Celle-ci repose tout d’abord sur une certaine conception de la connaissance et du connaissant. Connaître une chose, ou un être, c’est s’identifier à elle, ou à lui. Plus l’identification est totale, plus la connaissance est parfaite. Or pour qu’elle puisse se réaliser, le sujet connaissant doit renoncer à toutes les formes de prétention individuelle, qui sont autant d’obstacles interposés entre lui et son but. Pour arriver à celui-ci, il n’est d’autre voie que celle de la servitude et de la pauvreté. Elles seules peuvent protéger le connaissant contre la terrible épreuve qu’est pour lui la découverte de sa propre « divinité » et « seigneurie », lesquelles ne lui appartiennent pas en propre, mais ne sont que des manifestations divines en lui. Le danger couru est donc l’appropriation illégitime de qualités qui n’appartiennent qu’à Dieu. Pourtant, et c’est un autre aspect important du personnage de Pharaon, la connaissance est acquise une fois pour toutes; si elle peut s’accroître, elle ne peut diminuer et reste donc source de délivrance. Cette dernière n’est autre que l’affranchissement de toutes les limitations par la réalisation de l’Unité essentielle de l’Etre, ou plutôt de sa non-dualité. On a reconnu là ce qu’on est convenu d’appeler la wahdat-al-wujûd, bien qu’il ne semble pas qu’Ibn 'Arabî lui-même ait fait usage de ce terme.

Nous possédons maintenant assez d’éléments pour esquisser une définition de son herméneutique. Celle-ci nous semble à la fois une, quant à son inspiration et à double sens, quant à sa démarche. Un être dont l’aspiration tout entière est tournée vers l’Un ne peut pas ne pas trouver dans la manifestation multiple de Son Verbe les indices de Son Unité. N’a-t-on pas le sentiment que l’interprétation d’Ibn 'Arabî est constamment guidée par cette dimension métaphysique ? Nous parlons du double sens de sa démarche parce que l’interprète a vis-à-vis du Verbe un double rôle, passif et actif. Réceptacle, il reçoit en fonction de sa prédisposition spirituelle et intellectuelle. Il nous semble, sans pouvoir rien affirmer, que la saisie du sens symbolique des racines et des mots soit de cet ordre, ce qui expliquerait son caractère parfois insolite. Par ailleurs le commentateur coule dans le moule de l’exégèse sa méditation sur le Livre divin. Ces deux aspects, schématiquement distingués, se conjuguent en fait dans la lecture. Pour le sûfî, celle-ci est aussi bien dhikr que fikr, c’est-à-dire : réminiscence intuitive et directe et réflexion sur le contenu symbolique et doctrinal du Coran. Il serait donc inexact de dire qu’Ibn 'Arabî, ou tel autre auteur du Tasawwuf se servent du Coran pour justifier leurs thèses. C’est au contraire en vertu d’une nécessité intérieure que tel ou tel point de doctrine est replacé par eux dans son contexte coranique.

Il reste maintenant, pour conclure, à situer l’interprétation du Shaykh al-Akbar dans l’histoire de la littérature ésotérique de l’Islam. Une première remarque s’impose : si elle n’est pas isolée, elle est du moins unique par son ampleur. On en trouve une première trace, à notre connaissance, chez Sahl al-Tustarî (61). Sarrâj rapporte de lui cette parole : « L’âme a un secret que Dieu n’a divulgué que par la bouche de Pharaon, lorsqu’il proclama : « Je suis votre seigneur le plus-haut ! » (62) Al-Hallâj, immédiatement après Sahl, prend dans une certaine mesure la défense de Pharaon de façon beaucoup plus allusive qu’Ibn 'Arabî. On lit dans les Akhbâr al-Hallâj : «... et l’un d’eux lui demanda (à Hallâj) : ô Shaykh ! Que dis-tu de la parole de Fir'awn ? — C’est une parole véritable (kalimat haqq). Et que dis-tu de la parole de Moïse ? — C’est une parole véritable : toutes deux sont des paroles dont le cours prééternel est conforme à leur cours post-éternel » (63). Ce texte en lui- même reste ambigu ; reste celui des Tawâsîn, dont une seule phrase peut être mise en relation avec un commentaire d’Ibn 'Arabî : « Pharaon dit : « Je ne vous connais pas d’autre dieu que moi ! », sachant que dans son peuple personne n’était capable de distinguer entre le vrai et le faux » (64). Mais ce qui frappe plutôt chez al-Hallâj, c’est cette sorte d’affinité qu’il affirme lui-même exister entre lui et Pharaon (65). On pense naturellement aux passages où Ibn 'Arabï assimile la parole de Pharaon à un shath. Il est intéressant de remarquer qu’un certain nombre d’auteurs ont soutenu simultanément deux opinions sur Pharaon. Jalâl al-dïn Rûmî, par exemple, dans le Mathnavî condamne Pharaon ou l’interprète microcosmiquement comme le symbole de l’imagination luttant contre l’intellect (66). Mais dans le Fîhi mâ fîhi il signale la possibilité de l’interprétation ésotérique, tout en considérant le point de vue exotérique comme nécessaire : « Les spirituels ne nient pas totalement la faveur de Dieu envers Pharaon, mais ceux qui ne voient que l’apparence le considèrent comme totalement abandonné par Dieu; et pour le maintien des apparences, cette croyance est convenable » (67). Un autre exemple d’une double interprétation se retrouve également chez les commentateurs respectifs de Hallâj et Ibn 'Arabî, Rûzbehân Baqlî et Qâshânî ; le premier justifie dans son commentaire des Tawâsîn (68) les propos d’al-Hallâj ou de son disciple sur Pharaon mais n’en souffle mot dans son commentaire du Coran, les 'Arâ’is al-bayân. De même Qâshânï ne fait aucune allusion à la position d’Ibn 'Arabî dans son propre commentaire, les Ta’wîlât al-qur’ân, tandis qu’il commente les Fusûs al-hikam et admet parfaitement l’interprétation de l’auteur. Beaucoup plus proche de nous, l’Emir 'Abd al-Qâdir, disciple fervent d’Ibn 'Arabî, condense dans un premier passage des Mawâqif (69) l’argumentation de ce dernier, comme le fit également Dawwâni, cet autre défenseur de la position d’Ibn 'Arabï (70). Mais dans un autre mawqif, la question de la félicité posthume de Pharaon apparaît pour l’Emir sous un jour beaucoup plus personnel, puisque sa propre félicité lui est annoncée sous forme d’un verset concernant Pharaon. Comme il s’en étonne, Dieu lui révèle que Pharaon a consacré sa vie à l’adoration divine et qu’il est mort « pur, purifié et martyr » (71).

L’intérêt de cette dernière attestation de la « sainteté » de Pharaon est de répondre partiellement à la question que nous nous sommes posée sur la nature de la tradition ésotérique concernant Pharaon et dont Ibn 'Arabî fut le plus éclatant représentant. Faut-il y voir une communauté d’attitude herméneutique ou bien une transmission littéraire ou orale ? L’exemple de l’Emir Abd al-Qàdir montre qu’il est parfaitement possible d’admettre les deux simultanément.

On aimerait pouvoir replacer cette interprétation dans une tradition « gnostique » des « Gens du Livre ». Peut-on espérer plus belle illustration de la Gnose salvatrice que l’histoire de Pharaon telle qu’elle nous est présentée par Ibn 'Arabî ? Les quelques textes que nous avons consultés ne nous ont apporté que des réponses à moitié satisfaisantes. Le Midrash fait pourtant allusion au repentir de Pharaon (72). La tradition exégétique chrétienne s’est elle aussi intéressée à Pharaon, mais, dans l’ensemble, elle en fait plutôt l’illustration du mystère de la prédestination ou le symbole des forces ténébreuses qui entraînent l’homme vers la matière (73). Mais nos possibilités dans ce domaine étant très limitées, c’est plutôt pour susciter une réponse que nous mentionnons ces deux exemples. Quant à l’Egypte pharaonique, ce Fir'awn coranique la concerne assez peu; toutefois il n’est pas inintéressant de retrouver sous la plume d’un auteur sûfî une quasi justification de la « divinité » de Pharaon.

 

(1) Muhyî-l-dîn M. b. 'Alî Ibn 'Arabî, surnommé al-Shaykh al-Akbar est né à Murcie en 560/1165 et est mort à Damas en 638/1240.

(2) Ibn Taymiyya notamment; v. Majmû'a al-rasâ’il wa-l-masâ’il, T. IV, pp. 98-101. Il semble qu’il n’ait connu que le texte des Fusûs. Voir également la réfutation par Mollâ Qârî de l’épître de Dawwânî (v. infra) : Farr al-'awn min mudda'î îmân Fir'awn, Le Caire 1964. Pour la polémique autour de l’oeuvre d’Ibn 'Arabî, voir la liste des ouvrages dans l’introd. d’O. Yahya à l’éd. du Nass al-nusûs de Haydar Âmolî, Paris-Téhéran 1975.

(3) Moïse est mentionné 135 fois dans le Coran, Pharaon 74 fois, Abraham 69 fois etc...

(4) Cf. Coran XXVIII, 6 et 8; XXIX, 39 et XL, 24.

(5) Cf. Coran XXIX, 39 et XL, 24.

(6) Cf. Coran X, 83; XXIII, 46; XXVIII, 4.

(7) Cf. Coran XX, 71; XXVI, 44; XXVIII, 38; XLIII, 51; LXXIX, 24.

(8) Les passages des Futûhât où Ibn 'Arabî traite de la question sont les suivants : T. I pp. 194, 235, 301, 436 ; II pp. 276-7, 410, 411; III pp. 90, 163-4, 178, 264, 355, 514, 533 ; IV, 20, 60, 291 (éd. du Caire 1329). Pour les Fusûs al-hikam, éd. 'Afîfî, Le Caire 1946 ; pp. 197-213.

(9) Coran XX, 43-44.

(10) Futûhât III, 264 et 533.

(11) lbid. II, 276.

(12) Coran LXXIX, 24.

(13) Futûhât III, 533. Le texte fait évidemment allusion au hadîth qudsî : «... Mon serviteur ne peut se rapprocher de Moi par une oeuvre qui me soit plus agréable que celle que Je lui ai imposée, et il ne cesse de se rapprocher de Moi jusqu’à ce que Je sois l’ouïe par laquelle il entend, la vue par laquelle il voit, la main par laquelle il saisit, le pied par lequel il marche » Cité par Bukhârî, Riqâq 38 (Le Caire 1315 h., T. VII, 190).

(14) Coran XX, 44.

(15) Futûhât III, 533.

(16) Kitâb al-Jalâla, éd. Hyderabad 1948, p. 5. Trad. M. Vâlsan, in Etudes Traditionnelles 1948, p. 152. Les transcriptions ont été modifiées par nous.

(17) Formule que l’on prononce dans la prière canonique en se relevant de l’inclination. Dans cette position debout l’orant assume potentiellement la fonction de khalîfa ; c’est donc Dieu qui parle en réalité.

(18) Futûhât I, 436.

(19) La « nature » (tabî'a) désigne chez Ibn 'Arabî la manifestation formelle au sens le plus large.

(20) Il s’agit d’Abû Yazîd al-Bistâmî. V. supra.

(21) Futûhât 1, 275-6.

(22) Coran XXVIII, 38.

(23) Futûhât III, 178.

(24) Coran XX, 50.

(25) Futûhât IV, 291.

(26) Coran XX, 72 : parole prononcée par les Magiciens condamnés par Pharaon au supplice. Fusûs p. 210.

(27) Coran XXVI, 21.

(28) Cf. Coran XXVI, 23.

(29) Fusûs, p. 207.

(30) Coran XX, 49-52.

(31) Coran XX, 51-52.

(32) Coran XLIII, 54. Futûhât III, 533.

(33) Coran XL, 35. Ce verset concerne Pharaon bien qu’il n’y soit pas nommément mentionné.

(34) Futûhât III, 514.

(35) Le pronom désigne Ibn 'Arabî lui-même.

(36) Futûhât II, 276. Ce passage et celui qui suit un peu plus loin sont extraits du chapitre 167 intitulé Kimiyâ' al-sa'âda (l’Alchimie du Bonheur). Celui-ci a été traduit en entier par G. Anawati, in MIDEO, VI, 1959-1961.

(37) Futûhât III, 264. V. également II, 410 et 411.

(38) Futûhât III, 90 et infra.

(39) Ibid. II, 277.

(40) Coran X, 90.

(41) Coran VII, 121 et XX, 70.

(42) Coran X, 91.

(43) Ibid. 92.

(44) Cf. ibid. 98.

(45) Ibid. 92.

(46) Coran XI, 98.

(47) Coran XXVII, 62.

(48) Coran LXXIX, 25.

(49) Ibid. 26.

(50) Futûhât II, 276-7

(51) Coran XLIX, 14.

(52) Coran IV, 18.

(53) Futûhât II, 410.

(54) V. également Futûhât III, 533 et Fusûs, p. 212.

(55) Futûhât II, 410.

(56) Tel Sha'rânî dans ses Yawâqît wa-l-jawâhir, Le Caire 1307 h., p. 13.

(57) Futûhât I, 301.

(58) Il nous faut signaler un autre passage découvert après la rédaction de cet article. Ibn 'Arabi y oppose l’état de misère (shaqâ’) de Pharaon à l’état de félicité (sa'âda) de sa femme. Bien que ces deux termes se rapportent généralement à l’au-delà, l’auteur ne précisant pas, il est difficile de trancher. D’autre part, comme dans les textes cités plus haut, la déchéance de Pharaon est expliquée par la hauteur du maqâm qu’il a atteint. (Cf. Futûhât III, 11).

(59) Coran XXVIII, 9 ; Fusûs, p. 201.

(60) Coran VII, 156.

(61) Mort en 283 h.

(62) Al-Luma', éd. Nicholson, Leyde 1914, p. 354 ; v. aussi p. 227. Cf. Massignon, Passion d’al-Hallâj, rééd. Gallimard, T. I, 111.

(63) Cité dans Passion III, 122.

(64) Tawâsîn, p. 50. Même si le passage est, selon Massignon, rajouté par Wâsitî, il reflète néanmoins le point de vue de son maître al-Hallâj.

(65) V. Tawâsîn, p. 50 et Passion I, 58. La vision de Ibn Fâtik pourrait tout aussi bien s’appliquer à al-Hallâj. Mais nombre d’auteurs, pour défendre la légitimité du shath de ce dernier, l’opposent à la prétention (da'wâ) de Pharaon. Cf. Passion II, 281.

(66) Sur cette dernière interprétation, v. Mathnavî, trad. Nicholson; T. IV, vers 399 à 403.

(67) Fîhi mâ fîhi, trad. E. de Vitray-Meyerovitch; Téhéran 1975, p. 224-5.

(68) Tawâsîn, p. 93.

(69) Mawâqif, pp. 53-55.

(70) Risâla fî îmân Fir'awn, éd. Ibn al-Hatîb, Le Caire 1964, suivie de la réfutation de Mollâ Qârî.

(71) Mawâqif, pp. 236-7.

(72) Cf. Sidersky, Les origines des légendes musulmanes, Paris 1933, p. 85 : « Prends exemple de Pharaon, roi d’Egypte; par le même langage qu’il avait péché, il s’est ensuite repenti, en disant (Exode XIV, 11) « Qui est comme toi parmi les Dieux, ô Eternel! »».

(73) V. Origène, Homélies sur l’Exode, et Grégoire de Nysse, La Vie de Moise, Sources Chrétiennes, Tomes XVI et I.