Affichage des articles dont le libellé est La Shadhiliya en Tunisie. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est La Shadhiliya en Tunisie. Afficher tous les articles

vendredi 1 novembre 2013

Le rituel de la Shâdhiliyya à Tunis - Ismail Warscheid


 

                 Vue sur le lac de Tunis à partir de la zaouïa de Sidi Belhassen Chedly - 1846
 
 
Journées Doctorales des étudiants du Centre d’Histoire Sociale de l’Islam Méditerranéen (CHSIM), Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS)

Jeudi 07 Juin 2007, 96 Bd Raspail, 75006 Paris, Salle Maurice et Denys Lombard

Les confréries soufies au XXIème siècle. Du Maghreb à l’Extrême Orient

Les confréries soufies à travers le rituel : permanences, transformations, réaffirmation des pratiques et des discours

Le rituel de la Shâdhiliyya à Tunis

Ismail Warscheid

Nombreuses sont les confréries soufies dans le monde arabo-musulman, et particulièrement au Maghreb, qui se réclament de l’enseignement du grand saint d’origine marocaine, Abu’l-Hassan al-Shadhili (m. 656/1258). On pourrait presque dire que toutes les grandes turuq au Maghreb, d’une manière ou d’une autre, retracent leur généalogie spirituelle (silsila al-baraka) à ce saint médiéval du XIIIe siècle.1 La Tunisie n’y fait pas exception. Sa capitale présente toutefois le cas particulier d’une branche shadhilite qui, contrairement aux autres branches comme la Derqawiyya-Shadhiliyya ou la Jazouliyya Shadhiliyya, se réclame directement du saint fondateur sans aucun saint intermédiaire.

Les dignitaires de la Shadhiliyya tunisoise sont souvent issus des élites traditionnelles de la société citadine. À Tunis, les maîtres de la Shadhiliyya au XIXe siècle, l’époque sur laquelle je travaille essentiellement, ont tous fait leurs études à la Zitouna et occupent des postes supérieurs dans l’establishment religieux de la ville. Le cheikh Abu Hafs al-Haj ‘Omar ben Mouaddib (m. 1293/1829), fondateur de la maison des Belhassan qui détient la mashā’ikha de la Shadhiliyya tunisoise jusqu’à aujourd’hui, est nommé par exemple deuxième Imam de la Zitouna en 1819 sur l’ordre de Mahmud Bey (1814-1824).2 Comme nous allons voir, un tel profil de confrérie de lettrés citadins a un impact considérable sur la nature du rituel de la confrérie. Je tiens pourtant à préciser que ce profil est valable pour le cas de la Shadhiliyya tunisoise et ne s’applique pas forcement à toutes les confréries maghrébines se réclamant d’al-Shadhili. Leur association collective à l’image d’une confrérie de lettrés constitue, à mon avis, un cliché de l’époque coloniale.

De mi-juin à début septembre, le sanctuaire principal de la Shadhiliyya au cimetière Jellaz de Tunis devient pendant quatorze jeudis le centre de la vie religieuse traditionnelle.

Dès l’après-midi, la partie du sanctuaire qui se situe sur la colline du cimetière, le Maqam, est investi par des centaines de visiteurs qui participent, à des degrés divers, aux cérémonies shadilites durant jusqu’à l’aube. Ces cérémonies, appelées dans le parler tunisois jama’a (les semaines) ou ‘arba’tash (les quatorze), constituent sans doute l’aspect le plus visible et le plus connu de la tariqa dans le paysage religieux de la capitale.

Elles s’insèrent dans un calendrier liturgique couvrant actuellement, selon mes informations, la période de février jusqu’au début de l’automne. En printemps, la cérémonie du jeudi se déroule dans le sanctuaire de Sidi ‘Ali Hattab à l’extérieur de la ville qui, selon la tradition a été le premier disciple d’al-Shadhili à Tunis. Bien que la liturgie récitée diverge au niveau du texte et du mode musical dans certaines parties de celle utilisée à Sidi bel Hassan, la réunion se déroule toutefois dans le cadre organisationnel de la Shadhiliyya tunisoise. Le public est aussi plus ou moins le même. Une ou deux fois pendant cette période, le grand cheikh de la Shadhiliyya, fait une visite officielle à Sidi Hattab et participe à la cérémonie montrant ainsi symboliquement le lien étroit entre les deux sanctuaires. C’est d’ailleurs également lui qui nomme formellement le cheikh du sanctuaire.3

À la fin du mois de mai, une grande procession rituelle, kharja’a, clôt la période de Sidi ‘Ali Hattab et inaugure celle de Sidi bel Hassan au cimetière. Du cadre rural où vécut le disciple, le sacré semble être transporté symboliquement vers la ville, siège du maître. Mi-septembre, les cérémonies shadhilites du jeudi se terminent par une grande kharja’a à Sidi Bou Said pour ne reprendre que l’année prochaine. Après la campagne et la ville, le rituel atteint la mer, regroupant ainsi les trois aspects principaux de la géographie tunisoise. Dans une communication personnelle en août 2005, le cheikh de Sidi ‘Ali Hattab, M. Z. Jied, m’a précisé que dans le passé, les cérémonies de Sidi ‘Ali Hattab ont recommencé directement après la fin de la kharja’a de Sidi Bou Sa’id. Il existait donc une complémentarité rituelle directe entre le cimetière et la campagne qui est aujourd’hui quelque peu cassée par les contraintes de la vie moderne.

La grande cérémonie estivale du jeudi au Maqam d’al-Shadhili existe au moins depuis la fin du XIXe siècle puisque Muhammad Al-Hasha’ishi, un magistrat tunisien de la deuxième moitié du XXe siècle, nous rapporte qu’à son époque elle était déjà très fréquentée par les tunisois.4 À mon avis, c’est au cours du XIXe siècle que la cérémonie prend la forme qu’elle a gardé jusqu’à aujourd’hui. À cette époque s’effectue également une vaste rénovation du sanctuaire sur l’ordre du ministre Mustafa Khaznadar. Lors de mes visites sur le terrain entre 2004 et 2006, le rituel du jeudi était encore très présent dans la vie religieuse de la capitale, animé notamment par les membres des grandes familles bourgeoises traditionnelles (baldi).5 Notamment à la fin d’après-midi, le sanctuaire et ses abords sont investis par des centaines de visiteurs, qu’ils soient shadhilites ou non. À l’extérieur du sanctuaire, l’ambiance est plutôt festive. Profitant de la fraîcheur du soir, on s’assoit au café, juste à côté de l’entrée du Maqam, pour discuter et admirer la belle vue sur le lac de Tunis.

À l’intérieur du sanctuaire, la cérémonie débute à partir de la prière d’après-midi. Dans un premier temps, les membres d’une des confréries traditionnelles de Tunis, comme la Sulamiyya ou la ‘Aisawiyya, invités par les Shadhilites, récitent les textes liturgiques (awrād sg. wird) de leur tariqa. Cela indique d’une part un sentiment de solidarité entre les différentes confréries étant donné que leurs membres sont souvent issus du même milieu social; d’autre part, le fait que les autres confréries viennent présenter leurs hommages à al-Shadhili, démontre la place particulière de la tariqa dans le paysage religieux tunisois.

Juste avant la prière du coucher de soleil, les Shadhilites commencent à se réunir. On accomplit la prière dans la cour du Maqam et récite quelques invocations. Après ceci, un certain nombre d’adeptes se retire dans la salle de prière afin de dîner. Un quart d’heure avant la dernière prière canonique, les munshidin, les chanteurs réciteurs de la confrérie, entonnent une série de chants panégyriques en honneur du prophète. Le maître actuel de la tariqa, M. Hassan Belhassan, m’a d’ailleurs affirmé que la forme musicale de ces chants est propre à la Shadhiliyya tunisoise.

Le véritable rituel shadhilite débute à partir du salāt al-‘ishā, la prière de nuit, et se termine vers l’aube. Il se laisse diviser en trois parties principales : d’abord on récite sept parties du Quran (ahzāb sg. hizb), puis on continue par l’intonation des ahzāb d’al-Shadhili et on termine par une séance de dhikr collectif. Les deux première parties se déroulent dans la cour du Maqam tandis que la dernière, le dhikr, a lieu dans une petite salle, à côté de la salle de prière. Ces trois parties paraissent moins comme l’enchainement des différentes étapes consécutives d’un rituel, que comme trois modules liturgiques complémentaires mais au fond indépendants. Cet aspect est souligné par le fait que chaque partie est dirigé par un autre dignitaire de la confrérie : un shaykh al-qura’ préside la récitation du Coran et le dhikr collectif est dirigé par un shaykh al-dhikr. La récitation des ahzāb est animée par le grand cheikh lui-même qui s’assoit devant le Mihrab, entouré par les membres les plus anciens de la tariqa. Cette récitation des ahzāb constitue l’essentiel du rituel shadhilite, rassemblant le plus grand nombre de fidèles dans la cour du Maqam. Les différentes prières du maître al-Shadhili sont également étroitement associées au caractère cyclique des quatorze jeudis. Chaque jeudi on récite un autre hizb selon un ordre fixe. Il est frappant de voir que la plupart des participants connaissent ces textes, pourtant très longs, parfaitement par coeur. Certains sont totalement submergés par la récitation et portés par leurs émotions bien que la cérémonie se déroule dans une grande sobriété qui ne tolère aucun débordement extatique.

Après la fin de la récitation des ahzāb, qui dure environ une heure et demi, le cheikh se rend dans la chambre où se déroulera le dhikr. Les participants lui suivent afin de le saluer et de recevoir sa bénédiction. Puis, la grande majorité des participants, y compris le cheikh lui-même, rentre chez soi. Il reste environ une quarantaine de personnes pour exécuter le rituel du dhikr. Après une pause d’un quart d’heure, les dhākirūn, vêtus dans les habits traditionnels de la tariqa, entrent dans la chambre. On éteint la lumière et le rituel d’invocation débute. Formant deux colonnes, les participants invoquent d’une manière très rythmique le nom de Dieu, Allah, puis celui de son essence, selon la tradition soufie classique, huwa, lui.6 Le rituel consiste en plusieurs cycles d’invocation qui durent jusqu’à la prière de l’aube. Comme c’est le cas dans la plupart des rituels du dhikr dans le monde arabo-musulman, on trouve au centre de chaque cycle un processus de crescendo dans l’invocation du nom divin, qui est censé induire le ravissement mystique, le hāl. On débute par une invocation très lente qui s’accélère pour devenir frénétique. Ensuite, le cheikh du dhikr restaure le calme et laisse débuter un nouveau cycle d’invocation. La cérémonie se clôt par un repas rituel en commun qui consiste d’olives noires, du pain et de l’eau, consacrés par des prières. Ces aliments ont constitué, selon la tradition, la nourriture d’al-Shadhili et de ses quarante compagnons à Tunis.

Le rituel du jeudi se démarque par son caractère tripartite. Même si les trois parties sont complémentaires et conformes aux caractéristiques des rituels soufis dans le monde arabe (récitation du Quran, récitation des litanies de l’ordre, dhikr collectif), elles constituent néanmoins des modules indépendants qui sont fréquentés d’une manière très inégale. Durant la récitation des ahzāb, des centaines de fidèles se pressent dans la petite cour du Maqam tandis que la séance du dhikr est seulement animée par un groupe relativement restreint. Cette division du rituel est d’une certaine manière voulue par les dignitaires de la confrérie. Ainsi mon informant principal, le cheikh de Sidi ‘Ali Hattab, m’a indiqué que le néophyte, quand il entre dans la tariqa, choisit dans laquelle des trois parties il veut s’engager.7

Le rituel shadhilite à Tunis reflète une piété savante qui se méfie des débordements extatiques, qui met en avant l’idéal d’une moralité exemplaire et qui tire ses références des sources scripturaires de l’islam. Il n’est pas un hasard que la lecture des ahzāb, composés des versets coraniques et des prières issues de la tradition du ‘ilm islamique, constitue l’essence du rituel shadhilite à Tunis.

Pourtant, les réunions officielles de la tariqa ne sont pas réservées à des initiés shadhilites versés dans les sciences islamiques traditionnelles, bien au contraire elles sont fréquentées par toutes les couches sociales de la ville. En dehors des cérémonies collectives, les sanctuaires shadhilites font en plus objet d’une dévotion populaire qui cherche plutôt le miraculeux. Cette dévotion populaire insère les sanctuaires shadhilites dans tout en ensemble de légendes et de croyances, mais je n’ai malheureusement pas le temps d’en parler. À mon avis, on pourrait voir le rituel shadhilite comme un point de rencontre entre deux styles religieux différents qui sont habituellement présentés comme s’opposant mutuellement, la piété des lettrés traditionnels et la dévotion populaire. Il faut toutefois préciser que, à ma connaissance, le noyau dur des shadhilites autour du cheikh est néanmoins composé des personnes issues des familles baldis. Une des hypothèses de mon projet de recherche sur la Shadhiliyya tunisoise est précisément que cet enracinement de la tariqa dans la vie religieuse publique de la ville ne date pas du Moyen Age tardif lorsqu’al-Shadhili a séjourné dans la ville, mais a lieu au cours du XIXe siècle, s’insérant dans un vaste processus d’institutionnalisation du soufisme tunisien. Il me paraît qu’à cette époque les adeptes de la Shadhiliyya, dont une grande partie est issue des milieux zitouniens, procèdent à une ouverture de leurs rituels au grand public. À mon avis, les quatorze jeudis de l’été sont l’exemple principal de cette ouverture qui rapproche une culture soufie savante aux formes d’une religiosité populaire. Ce sont évidemment des hypothèses que j’espère expliciter et affiner au cours de ma recherche.

Pour conclure, on peut dire que le rituel shadhilite fournit donc un cadre rituel, temporel et spatial dans lequel se déploient à la fois les formes d’une religiosité populaire et savante. Comme souvent au Maghreb, la distinction entre cérémonie soufie à proprement parler et dévotions islamiques ordinaires, n’est pas nette et dépend largement de l’attitude individuelle du visiteur. La grande fréquentation des sanctuaires shadhilites par presque toutes les couches sociales montre que pour une grande partie de la population tunisoise, les formes de religiosité et de sociabilité rendues possibles dans le cadre confrérique demeurent encore largement pertinentes et sont même, à un certain degré, soutenues par l’Etat.

 
 
 

1 Sur la Shadhiliyya voir GEOFFROY, Eric (dir.), Une voie soufie dans le monde: la Shadhiliyya, Paris, Maisonneuve & Larose, 2005.

2 SANUSI, Muhammad ben Othman, Musāmarāt al- tharīf bi husn al-ta’rīf, Beyrouth, Dar al-Gharb al-Islami, 1994, (1880), tome 2, p. 206.

3 Information orale en août 2005 de M. Zouhair Jied, cheikh de Sidi Ali Hattab depuis 2005.

4 AL-HASHA’ISHI, op. cit., p. 58.

5 Nous aimerions ajouter que le cinéaste tunisien Mahmoud ben Mahmoud, issue lui-même d’une famille de Shadhilites, montre dans son film Les mille et une voix : terres et voix de l’Islam (2001) le rituel de la Shadhiliyya à Tunis.

6 Cf. Ibn ‘Ata illah

7 Information orale en avril 2006.

lundi 12 mars 2012

La Shadhiliya en Tunisie

 

 

La Chadlia en Tunisie



Pr. MESTAOUI Mohamed Salaheddine


Le nom de Abou El Hassen Echadheli n’a pas attendu une Hadhra, montée en spectacle pour faire partie du vécu tunisien.
Depuis maintenant près de huit siècles, des plus hautes autorités religieuses exotériques au plus humble des croyants, la Tunisie a toujours frémi aux accents du Hizb el Bahr et au Wird Chadhili qui n’a pas cessé de bercer les générations qui se sont succédées.
Avant même de se distinguer par ses particularités culturelles, la Tunisie s’est signalée par ses pratiques spécifiques dans le domaine du sacré.
Sans dévier du dogme fondamental ni des préceptes de la Sunna, elle a su, à travers les âges, faire une place à la spiritualité.
L’ordre qu’Echadheli a fondé sur cette terre a contribué largement à la douceur du caractère et à la modération du comportement de ses habitants.
On sait que sur un plan aussi sobre, la Zitouna se distingue par la Hamazia du jour du Mouled.
Mais au délà de manifestations populaires et spectaculaires, on sait moins ce que l’ordre Chadheli a introduit dans les habitudes et le comportement du tunisien en termes d’ésoterisme.
Un ordre qui s’appuyant sur le dogme fondamental de la religion, préservant les préceptes de base dans leur lettre et leur esprit, il s’inscrit en droite ligne dans l’héritage d’Abou El Kacem Junaïd.
Comme depuis des siècles, la Tunisie vit cet été le moussem du Maquam où tous les jeudis soir, la colline du Jellaz s’anime en s’ouvrant à la véritable spiritualité. Celle qui met en valeur le message que l’Islam, dans sa sagesse veut transmettre à l’humanité.

 

 

ABOU EL Hassen


Quant on arrive à Tunis venant du Sud par la GP1, on ne manque pas de remarquer ces deux imposantes bâtisses, perchées au haut du cimetière du Jellaz.


                            Le Maqâm  est l'édifice qui est situé tout en haut du cimetière du Djellaz 



A l’architecture vaguement ottomane, elles se dressent depuis des siècles face à la ville de Tunis, comme des vigies garantes de sa protection et témoins de sa pérennité.

Choisi comme lieu de retraite et de méditation par ABOU EL HASSEN ECHADLI au début du 13e siècle, ce sanctuaire se présente dans le conscient des tunisiens comme le penchant oriental du mausolée de SIDI MEHREZ, sur le versant occidental de la ville.
Si MEHREZ BENKHLAF, reste le Patron incontesté de la médina, ECHADLI garde toutes ses prérogatives dans la mémoire des générations successives.


 la zaouïa du saint Mehrez ibn Khalef dans la vieille ville
(visiter la mosquée Mohamed Bey en face qui est fantastique)


Mais c’est sur un autre plan que ABOULHASSEN a marqué de son empreinte Tunis et la Tunisie, alors IFRIQUIA, passage obligé vers l’orient et les lieux saints et carrefour des diverses tendances spirituelles en pleine gestation.
C’est vers cette époque que le grand MOHIEDDINE IBN ARABI, se trouvant au bastingage d’un bateau ancré dans la baie de Tunis, a vu EL KHADHIR sortir d’une grotte surplombant le port de Tunis et y retourner.






La Topographie de Tunis ne laissant aucun doute, c’est de la Maghara qu’il doit surement s’agir. La croyance populaire n’assure-t-elle pas que quant l’imam ECHADLI a construit son sanctuaire sous une forme plus humble et moins imposante que celle d’aujourd’hui. Il a été aidé par ELKHADHIR lui-même ?
Toujours est-il jusqu’à nos jours ce lieu a toujours bénéficie d’une vénération sans égale que ce soit de la masse populaire conditionnée par l’hagiographie que par l’élite des ulémas qui, parallèlement à leur vécu de savants exotériques, n’ont pas moins fréquenté le Maquam et la Maghara pour satisfaire leur besoin de perfection.
L’Imam IBN ARAFA a même composé une Wadhifa, sous forme d’invocation que jusqu’à nos jours, on récite après chaque clôture du Coran, soit environ tous les deux mois à la MAGHARA et deux fois durant le moussem du Maquam.
Plus près de nous, le Cheikh TAHAR BEN ACHOUR et son fils, le Cheikh Fadhel n’ont pas manqué au rituel du Jeudi.
Entre ces illustres figures du savoir, combien d’autres ont gravi la cote menant vers le Maquam pour prendre part à la récitation du Coran, l’oraison des Ahzabs et pour certains, à participer au Dhikr de la fin de la nuit.

File:Sidi Belhassen Grotte.jpg
                                                       Entrée du mausolée de Abou Hassan al-Chadhili



LA MAGHARA



File:Sidi Belhassen Grotte 2.JPG

                                                        Entrée de la grotte (Mogharah)



C’est la bâtisse intérieure, bâtie à flanc de coteau, au dessus de la GP1.
Elle est animée tous les vendredis soir par des récitants du livre saint et le samedi dès l’aube par une foule de visiteurs venus chercher la baraka et des mourides attachés par un choix volontaire, venus, eux, à un rituel de séances d’oraisons tenues hebdomadairement et réglementées depuis des siècles selon un processus immuable qu’on respecte à la lettre.
C’est au dessus de la Maghara, dans une mosquée spacieuse que se tiennent ces séances.

On y accède à partir de cette mosquée en suivant un labyrinthe à l’itinéraire prodigieusement symbolique.
Mais tenons-nous en à l’activité exclusivement estivale dont le Maquam, la partie supérieure tient lieu de rendez-vous tous les jeudis soir à longueur d’été.
Le moussem de Sidi BELHASSEN qu’on a pris l’habitude d’appeler à travers tout le pays « les quatorze semaines » a, en réalité deux visages : l’atmosphère particulièrement conviviale et populaire entre El Asr et Le Maghreb, se transforme à la tombée de la nuit en une ambiance de recueillement et où la spiritualité envahit la colline dont les contreforts renvoient l’écho des psalmodies du livre saint avant de répercuter les accents émouvants des « Ahzabs » chadhilis pour finir de remplir, à l’approche de l’aube, le ciel du rythme de l’incantation du nom d’Allah, arraché à des poitrines dans un état de soumission totale.
Quel est donc le secret de cette colline qui a ce don d’inspirer chacun, selon sa condition, et au sujet de laquelle l’Imam IBN ARAFA a dit « c’est en fréquentant la Maghara Echadhilia que j’ai fini par avoir l’explication de problèmes d’exégèse qui me paraissaient totalement obscurs »
Pourquoi le Maquam et la Maghara de Tunis suscitent-ils cet engouement particulier ? pourtant le Dhikr CHADHILI est partout pratiqué, les oraisons rythmées ne sont pas l’apanage de ces lieux et la veille du vendredi est considéré comme bénie dans tout le monde musulman.


Ces pratiques ont cours au Maroc, en Egypte, en Syrie et ailleurs où on les exécute à temps variable et informel.
Mais c’est à Tunis seulement qu’elles prennent cette dimension de régularité exemplaire dans l’espace et dans le temps.
Les manaquebs de l’Imam ECHADLI, fruits d’une hagiographie florissante, nous apprennent que la tradition de célébrer ce moussem estival dans ce lieu, à dates et lieux précis prend sa source dans une vision qu’a eue le maitre en ce lieu, il y a huit siècles. Le prophète Mohamed, que la paix soit sur lui, lui est apparu et lui a fait la promesse de visiter ce lieu une fois par an jusqu’au jour du jugement, en été, la veille d’un vendredi au cours de la deuxième moitié de la nuit.


C’est donc dans l’espoir de vivre cette visite de l’esprit du prophète que depuis des siècles les générations successives des adeptes Chadhilis procèdent entre le dernière prière de jeudi et la première du vendredi, à un rituel immuable en trois parties : Lecture du Coran, à raison d’un sixième du Livre Saint par semaine, la récitation d’un « Hizb »tiré d’un recueil composé par le maitre et rassemblé par ses successeurs immédiats et enfin, à l’approche de l’aube, l’invocation du Dhikr, sous sa forme la plus dépouillée puisqu’il ne comporte que le nom d’Allah.
ABOU EL Hassen ECHADLI n’est ni né à Tunis, ni enterré entre ses murs. Deux séjours, de quelques années ont pourtant suffi pour que la voie dont il a été l’éponyme et qui allait par la suite se propager à travers le monde musulman et s’y imposer comme l’ordre de la sobriété et de la modération voit le jour. La voie qui, en Tunisie tout particulièrement, a attiré l’élite et dont la vocation est d’abord le « tarbya », l’enseignement d’un comportement exemplaire vis-à-vis de Dieu comme vis-à-vis de la Société.
L’attachement qu’éprouve le tunisien à la Chadhilia ne peut s’expliquer que par cette aptitude de la Tariqua à donner aux diverses catégories de la société qui s’y intéressent, le sentiment de trouver en son sein la réponse à ce besoin de sérénité qu’éprouve chacun dans sa quête de bien-être. Un sentiment qui, sans le détacher de la vie matérielle et des efforts qu’il faut y déployer, lui donne cet équilibre psychique qui le pousse à être meilleur.
Les milliers de personnes qui « montent » chaque jeudi entre juin et septembre ne sont certes pas tous des disciples, connaissant les arcanes de la doctrine et respectant la discipline doctrinale.
Mais tous, du simple visiteur curieux de découvrir cette ambiance conviviale au « mourid » qui en tant que « lecteur du Coran, Hazzab ou Dhaker s’inscrit dans une discipline qui lui permet de s’élever dans un « Soulouk » sans fin.


 

DIEU t’a nommé CHADHELI


Dans son « Dorat El Asrar », IBN ESSABIGH rapporte qu’ABOU HAFS EL DJASOUS, vénérable Cheikh de Tunis du début du 7e siècle de l’Hégire, disait à l’un de ses élèves « Mon fils ! guette l’arrivée de ton maitre. Il arrivera d’Occident un Chérif de la descendance Hassanide du Prophète ».
De fait, ABOU EL Hassen est arrivé deux fois à Tunis.
Le première fois en quête de science qu’il trouva, en particulier, auprès de ABOU SAID EL BEJI, disciple d’ABOU MADYANE.
La seconde fois quand ABDESSELEM Ibn Machieh, le seul qui continua à le considérer comme tel jusqu’à sa mort, lui intima l’ordre de rejoindre Chadhela en Ifriquia.« Dieu t’a doté du nom de Chadheli », lui avait-il dit.
Chadhela, c’est la région au nord de Tunis, comprenant la Monaghan actuelle et ses alentours.

File:Sidi Bilhassen Chedly 1900.jpg


Né en 593 (1196) à Ghomara, dans le Rif marocain, ABOU EL Hassen ECHADLI est allé, jeune, en pèlerinage, puis pérégriné à travers le moyen orient, à la recherche du pole (Qutb). C’est à Baghdad qu’ABOU EL FATH EL WASSITI le réorienta vers l’Occident. C’est là qu’il rencontra Ibn Machich et de là que son exceptionnelle destinée devait prendre sa source.
Après Chadhla et la Jbel Zaghouan, Echadeli fut attiré par la Colline du jellaz où il prit l’habitude de se retirer dans des retraites (Khalwa) plus ou moins longues.
C’est en contrebas du Maquam, où il a eu la vision du Prophète que la Paix soit sur lui, qu’il prit une grotte aux formes hautement symboliques, comme lieu de prière et d’invocation.
Plus tard, on a érigé une mosquée au dessus de cette grotte en prenant soin d’aménager un accès à la grotte à partir de la mosquée.
Jusqu’à aujourd’hui, cette grotte n’a pas cessé d’exercer sur les hommes, une impression de vénération profonde que même les grands esprits ne peuvent y échapper.
Un universitaire Italien, musulman et versé dans les sciences sacrées, convié il y a quelques années à un séminaire organisé à Tunis et ayant pour thème « L’Islam et la Paix », a eu l’occasion de visiter cette grotte d’une façon fortuite et sans s’y attendre. Après la visite et le retour au séminaire, devant des assistants médusés, il a décrit avec des accents émouvants les sentiments qu’il éprouva lors de la descente dans la « Maghara ». Sous le choc de sa découverte, il assura qu’à sa remontée, il avait le sentiment de la Fitra, cette pureté primordiale tant recherchée.
Avant lui, des centaines d’Européens de souche, médecins, ingénieurs universitaires et écrivains, touchés par la grâce de l’Islam et gagnés à la doctrine si chère à René Guénon (Abdelwahed Yahia), ont choisi depuis maintenant un demi siècle de venir à Tunis, en été, se ressourcer dans cette ambiance spirituelle, en quête de perfection. C’est que le disciple le plus doué, peut être, de Guénon, Mustapha Abdelaziz (Michel Valsan) a choisi la Chadhilia comme Tariqua et le Maquam de Tunis comme lieu de ses réflexions dont plusieurs revues spécialisées en ont fait leur thème.
Aujourd’hui encore, le fils et les petits fils du Cheikh Mustapha Abdelaziz, ses innombrables disciples de Paris, de Lyon ou d’ailleurs, continuent de rendre visite au sanctuaire du Jellaz, à la Khaloua de souk El Blat, au mausolée de Sidi Mehrez et à la Zitouna.
Que de livres et d’essais ont été écrits par Charles André Gilis, le disciple le plus proche de Michel Valsan traitant de la voie et de la doctrine sous l’inspiration de cette colline qu’on croit, à tort, réservée uniquement aux morts.
Cela fait près de six siècles que la colline du Jellaz, appelée Jebel Errahma, le mont de la miséricorde, joue dans le conscient des générations le rôle de régénérateur de la piété. Piété populaire qu’inconsciemment on monte cherche de père en fils.
Piète de l’élite où ceux qui, dépassant la simple gestuelle du quotidien, vont chercher dans les profondeurs de l’enseignement Chadhili les moyens spirituels qui équilibreraient leur contraintes purement matérielles imposées par la vie.
Chacun, selon ses aptitudes, sa vocation et ses efforts trouve ce qui renforce sa piété, libère sa conscience ou lui donne des raisons de s’élever moralement.


Pourquoi spécialement ce lieu ? Qui à première vue rassemble une foule de visiteurs hétérogène, allant du profane, venu prendre l’air jusqu’au Alim, le savant, venu, là, compléter par la méditation ses connaissances livresques.
Car plus qu’en Egypte ou en Syrie où s’est développé à des dimensions institutionnelles, plus qu’ailleurs, où sa doctrine fait école, c’est à Tunis que le Chadilisme a pris forme et c’est de Tunis que l’imam a commencé de diffuser son enseignement, et former ses premiers disciples, ces fameux quarante compagnons dont une partie l’a suivi dans son émigration vers l’Egypte et dont quelques uns, restés à Tunis, ont continué son œuvre.
C’est généralement vers cette époque que les historiens du soufisme situent l’apparition des « Tutuqs » les confréries.
Comme les autres grands éponymes, Echchadeli n’avait pas l’intention de créer une confrérie sectaire comme on crée un clan.
Il faut comprendre Tariqua dans son acceptation linguistique de voie et de méthode ; La voie Chadhili, exclusivement en conformité avec l’enseignement du Coran et la Sunna, a réussi une large diffusion dans les milieux des ulamas orientaux et de penseurs occidentaux.



Pour ne citer que ceux ouvertement affiliés au Chadhilisme, ou séduite par sa doctrine, disons que beaucoup ont tenu à visiter le Maquam et la Maghara du Jellaz.
C’est par deux fois que le Cheikh Abdelhalim Mahmoud, doyen dEl Azhar a effectué le voyage de Tunis pour s’y recueillir.
Le professeur Sayed Houcine Nasr, alors doyen de la faculté de Tcheran a tenu à passer, seul, près d’une heure, dans la Maghara à la même époque.
Dans ses écrits si emprunt d’herméneutique, René Guénon n’a cité le sanctuaire Chadhili de Tunis que rarement. Il l’a fait dans un ouvrage traitant de Hermès, ce qui pour les initiés, ne relève pas du simple hasard.
Titus Burckhardt, Frithjof Shuon, historiens de la mystique musulmane et eux-mêmes Chadhilis, ont consacré bien des travaux à ce sujet.
Et qui ne se souvient de Michel Valsan, le vénérable Mustapha Abdelaziz, devenu un habitué des séances d’oraisons et de Dhikr pendant de longues années, jusqu’à sa mort en 1973.combien de Tunisiens, novices à cette époque lui doivent l’explication d’une doctrine qu’ils suivaient sans en comprendre les arcanes.
Qu’on soit simple visiteur adepte novice ou mouride accompli, on trouve toujours dans l’ordre Chadhili, la voie la plus appropriée à sa vocation, dans la pratique du rituel ou dans l’esprit de la doctrine.
Et si ailleurs, le tronc a donné naissance à diverses branches que le temps a fini par distinguer les unes des autres, en Tunisie, l’ordre est resté uniforme, centralisé, structuré comme l’ont voulu les héritiers immédiats de l’imam restés en Tunisie.
Le mérite revient en premier lieu au Maquam et à la Maghara qui ont exercé sur cette école, si effritée ailleurs, un effet centralisateur qui explique le secret de sa pérennité. La conservation intacte de ses structures et de son esprit doivent aussi beaucoup à cette noble famille de la médina de Tunis qui, investie de la charge de l’ordre, a su perpétuer depuis maintenant deux siècles la tradition Chadhilie dans sa pureté originelle. Encore aujourd’hui, sous l’égide du cheikh Hassen Belhassen, que Dieu lui accorde longue vie, neuvième de la lignée les différentes sections du rite Chadhili, sourdes à toute innovation, s’articulent comme à l’origine.
Support essentiel de la communion de la Société tunisienne, l’ordre Chadhili de Tunis n’a pas dévité, tout au long des ans, de sa voie exemplaire, celle de la sobriété (Ashw) de la modération et de la rectitude.

Ceux qui arrivent par la GP1 en peuvent soupçonnez combien de cette colline un esprit saint se diffuse sur la Cité.

Pr. MESTAOUI Mohamed Salaheddine

http://www.mestaoui.com/



Voir aussi le Cimetière du Djellaz en visite virtuelle sur le site  http://www.vvt360.com/visite-virtuelle/ejallaz

A suivre inchAllâh