jeudi 11 décembre 2014

Jean Biès - De la mort aujourd'hui à l'éternel aujourd'hui




On peut lire dans la Katha-upanishad (I, 20 sv.) un dialogue où le jeune prince Naciketas s'en vient interroger Yama sur le mystère de la mort. Yama répond qu'il préfère ne pas répondre à une question aussi redoutable. "Les dêva même, jadis, furent en doute là-dessus ; ce n'est pas facile à connaître ; c'est un subtil problème !.." Naciketas insiste : "Eh ! quoi, toi, le dieu de la Mort, tu ne sais pas ce qu'est la Mort !.."

Comment, faut-il lire en sous-entendu, n'en serait-il pas alors, de même, et à plus forte raison, pour nous, simples mortels ? Et, ajouterons-nous, plus spécialement encore pour les mortels nos contemporains, privés de toute référence spirituelle, victimes dès l'enfance de conditionnements athées et laïcistes, et totalement insatisfaits des réponses religieuses, seulement consolatrices sans doute mais non explicatives[1]? Notre société a choisi de gommer la mort, lui substituant toutes sortes de divertissements censés la faire oublier, voire en supprimer l'inévitable échéance.

La mort n'a point pour si peu perdu de son effrayante réalité, que tente de conjurer une médecine humaniste, depuis les soins palliatifs jusqu'à l'accompagnement des mourants. L'opposition à l'euthanasie montre à quel point chaque vie continue de garder sa valeur et son prix, son caractère unique et irremplaçable. Il va de soi qu'à l'exception de certains cas limites, dits "torturants", l'euthanasie relève d'une mentalité toute moderne, où l'homme, dans ce domaine aussi, s'arroge les droits d'un Tout Autre[2]. Avant de passer à l'acte irrémédiable, il convient, que l'on s'inspire ou non d'une référence spirituelle, de tout faire au préalable pour assurer le confort du malade ; les analgésiques y ont leur part. Mais surtout, il n'y a pas à perdre de vue que celui qui demande quelque chose, - la mort en l'occurrence -, ne la souhaite pas forcément. Ce ne peut être là qu'inconsciente stratégie en vue d'attirer sur soi l'intérêt qu'on assure pourtant ne plus présenter. L'angoisse de celui qui meurt n'est pas étrangère à la question : "Suis-je encore digne d'être estimé, apprécié ?.." Donner à cette demande d'amour la mort en guise de réponse a en soi quelque chose de tragique. Sans même évoquer de sinistres et sordides arguments économico-financiers, il est bien évident que le cynisme et le mépris humain, résultat du nihilisme dont s'affuble tout Age crépusculaire, se justifient par le fait que l'être humain n'est rien, seulement voué à pourriture, et que sa vie est sans valeur. Tout contexte spirituel considère au contraire que prolonger la vie peut permettre à cet être de se clarifier encore, de se réconcilier avec un ancien ennemi, de se repentir sincèrement d'une faute grave et cachée, de se préparer au Grand Passage par la prière et l'invocation.

De ce point de vue, ce qui est pris en considération, c'est l'interrelation entre les êtres, cette solidarité implicite, cette connivence génétique qui, étroitement, les relie, et fait que ce qui arrive à tous les autres nous arrive personnellement. Au nom de cette mystérieuse empathie, une infime part en nous s'éteint chaque fois que s'éteint l'un d'entre nous. Tout départ d'un être, qu'il nous soit cher, ou même indifférent, en révèle la fraternelle singularité. C'est ce sentiment qu'a magnifiquement exprimé John Donne lorsqu'il écrit : "La mort de tout homme me diminue parce que je fais partie de l'humanité."

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A l'angoisse métaphysique la solution ne peut être que métaphysique : celle du devenir posthume, tel que l'expose unanimement, à quelques dissonances près, d'ordre exotérique, l'ensemble des traditions. Celles-ci seraient seules de nature à mettre un peu d'ordre dans le mental incohérent de l'homme d'aujourd'hui, aussi expert dans les domaines matériels qu'ignare dans ceux de l'intelligible. Cette formule de Matgioï dans La Voie métaphysique s'applique parfaitement à cet homme : "Il n'y a pas de choses inintelligibles, il y a seulement des choses actuellement incompréhensibles." Et cela, non parce qu'on n'est pas encore parvenu au moment où l'on sera en mesure de les comprendre, - ce qui correspondrait à une vision progressiste, sans raison d'être dans ce contexte -, mais parce que l'homme d'aujourd'hui a précisément perdu les clés qui expliqueraient ces choses. Dans les circonstances présentes, avec des moyens d'investigation tout à fait insatisfaisants, d'ordre seulement mental et non plus noétique, un tel homme est condamné à ne pas appréhender la mort, sinon au second sens de ce verbe.

Les enseignements traditionnels s'accordent à déclarer d'abord que toute mort à une certaine modalité d'existence est naissance à une autre. Tous rappellent les trois niveaux dont se constitue l'être humain : le corps physique, formé d'agrégats d'atomes et d'éléments destinés à destruction, car tout ce qui est composé est destiné à être décomposé, comme le fait observer Platon[3] ; l'âme, formée d'éléments subtils qui, en fonction de leur degré de purification, évoluent vers des états intermédiaires, plus ou moins obscurs ou lumineux, de nature erratique, et transmigrant dans le monde des impressions fantasmatiques avant de se dissoudre à leur tour ; l'esprit enfin, qui seul demeure tel qu'en lui-même, et qui rejoint ce qu'il n'a jamais cessé d'être en réalité : pure Essence.

Indépendamment du corps promis à dispersion moléculaire, l'évolution posthume offre trois possibilités.

La voie d'en bas conduit aux états infra-humains, les "ténèbres extérieures" ; lieu de la "seconde mort", réservée aux rares individus qui ont servi d'agents, ou de véhicules à des influences ou entités lucifériennes ; tels les "saints de Satan", possédés par leur mission destructrice, et condamnés aux tourbillons périphériques et à la désintégration finale.

L'autre voie est celle d'en haut ; la voie de la Libération, réservée à un nombre d'individus probablement tout aussi rarissimes : définitivement affranchis de toutes les limitations de la condition humaine ordinaire ; tels les êtres déifiés, les "délivrés-vivants" situés au centre de l'ultime Réalité.
Entre ces polarités extrêmes se déploie toute une hiérarchie d'états, symboliquement désignés comme "enfers" et "paradis" ; états dont la nature et la qualité dépendent du travail intérieur effectué durant la vie terrestre. Ces états qui correspondent à une spatialité et à une temporalité tout autres que celles que nous connaissons, concernent, - on peut le deviner -, l'immense majorité des humains dont nous sommes. Les "enfers" désignent les états réservés à ceux qui ont accompli une somme d'actions négatives, obscurcissantes, "tamasiques", comme les "paradis", les états réservés à ceux qui ont accompli une somme d'actions positives, allégeantes, "sattviques", un "bon karma", dirait l'Inde, mais sans réalisation métaphysique effective.

On ne saurait ignorer la multiplicité des états de l'être, à la limite différents pour chacun, puisque chacun a eu son propre destin et son propre comportement. Non seulement "il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père (Jean, 14, 1), mais, comme l'assure saint Paul, "chacun recevra son salaire selon son labeur" (1 Co 3, 8).

Quant à la "réincarnation", dans son sens le plus immédiat et littéral, elle reste étrangère à l'orthodoxie traditionnelle, n'est que "déviation populaire", selon l'expression de Coomaraswamy. Si rien de ce qui a existé une fois ne peut cesser d'exister, ce ne peut jamais être sous la même forme pour la simple raison que l'Infini en tant que tel ne peut se répéter[4]. On ne peut guère entendre par "réincarnation" que la succession, au sein d'une seule et même vie, d'étapes, d'expériences, dont chacune constitue à la fois la mort à une phase antérieure et périmée, et la naissance à une autre. Comme le dit encore Platon, "chaque âme use de nombreux corps, particulièrement si l'on vit de nombreuses années"[5]. On peut également voir une sorte de "réincarnation" dans ce que la science moderne nomme l'héritage génétique, où les gènes de tel parent ou d'un lointain ancêtre réapparaissent dans tel descendant ; mais il ne saurait s'agir du transfert du même "moi" dans une autre forme corporelle.

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Les mêmes traditions enseignent que la condition post-mortem est le résultat de ce que fut l'individu dans son incorporation terrestre. Le sens de la vie, - ce sens dont l'homme contemporain est tragiquement frustré -, consiste à réduire la Limite séparant l'être relatif de l'Etre absolu, jusqu'à l'évanouissement pur et simple de cette Limite. En d'autres termes, le but de la vie humaine est de ne pas rater sa mort ; il est fondamentalement spirituel. Comme l'écrit Jean Chrysostome dans une formule qui pourrait être de Sénèque, "ce n'est pas un mal de mourir, mais c'en est un de mourir mal"[6].

Quelle que soit la méthode suivie, la préparation à la mort consiste à détruire les écorces et opacités égotiques, à alléger, et mieux encore, supprimer le karma individuel, s'exercer aux différentes "vertus" spirituelles, à se détacher du monde profane, - ses attraits, ses prestiges -, à "mourir avant sa mort", selon l'exhortation percutante d'Angelus Silesius[7]. Ce dont il s'agit là est une véritable descente aux enfers, mais précédant l'autre, et permettant ainsi de l'éviter ; relatée par de nombreux mythes, et au cours de laquelle seront épuisées les influences inférieures pour permettre aux potentialités supérieures d'émerger, de se rendre actives en vue d'une "cristallisation" ; et cela, en recourant à des pratiques dûment et universellement éprouvées depuis des millénaires. L'état psycho-mental et spirituel où l'on se trouve au moment de la mort est déterminé par le travail antérieur auquel on s'est consacré ; et lui-même détermine à son tour la tonalité, la saveur de l'état qui suivra. On se dirige vers ce avec quoi l'on a le plus d'affinité, et donc le plus d'attirance, vers ce dont on a acquis par avance, au moins partiellement, la nature, et qui, par sa nature, nous est le plus conforme.

En tant qu'axe immuable, noyau dur (pour autant qu'on puisse attribuer une quelconque dureté à l'esprit), la "cristallisation" fait échapper aux variations perpétuelles, aux "accidents" du devenir ; résistant toujours mieux à toutes les attaques subversives de l'extérieur ; développant un corps second, qui est de fait le corps premier.

Cette transformation intérieure, qui aura le mérite de rendre conscient au moment de la mort, s'obtient entre autres moyens par l'exercice de la vigilance, la présence à soi, la suspension du bavardage des pensées et des mots, la maîtrise des sens, le dépassement des passions, la concentration sur une image sacrée ou sur une formule rituelle. La répétition d'un Nom divin, fondée sur l'identité du Nom et de l'Essence divine, et sur le fait que s'identifier au Nom revient à s'identifier à cette Essence, est reconnue par tous les enseignements initiatiques comme la pratique la plus adéquate à l'homme d'une fin de cycle. Celui qui s'y est toute sa vie entraîné saura y recourir également au moment suprême. Pour ne citer qu'un exemple, Krishna déclare à son disciple Arjuna : "Celui qui, à l'heure de sa fin, trépassant, n'a conscience que de Moi, lorsqu'il quitte son corps, rejoint mon Essence ; nul doute à ce sujet"[8].

Il n'est un secret pour personne que la base même de cette élaboration est d'ordre sacrificiel. On sait parfaitement que si rien n'est sacrifié, rien ne peut être obtenu. Le sacrifice est le maître-mot de tous les enseignements, étant en réalité considéré non comme une frustration ou une perte, mais comme un gain (pour plus tard). C'est ce qu'a résumé d'une façon définitive Mircea Eliade : "Celui qui renonce se sent par là non pas amoindri, mais au contraire enrichi ; car la force qu'il obtient en renonçant à un quelconque plaisir dépasse de loin le plaisir auquel il avait renoncé"[9].

Lorsque Yama, que nous évoquions en commençant, refuse de répondre à Naciketas, il le fait, on l'aura deviné, pour le mettre à l'épreuve. Au lieu de la réponse souhaitée, le dieu de la Mort, se faisant l'avocat du diable, propose au jeune homme une longue vie, une nombreuse descendance, des éléphants et des chevaux, des femmes charmantes, des musiques... Mais Naciketas s'obstinera : "Une vie, c'est bien court", objecte-t-il. Non pas, comme on pourrait le comprendre, dans le sens d'un amoralisme libertaire et jouissif : puisque la vie est courte, profitons-en !, mais dans un sens supérieur : hâtons-nous de nous purifier, - ce qui est une longue patience -, ne perdons pas notre temps en insignifiances.

Yama voudra bien alors distinguer deux chemins offerts à l'être humain. Celui de l'"agréable" aux mille rets : la sensualité à laquelle s'abandonne l'hédoniste qui n'a foi qu'en ce monde, et qui, victime d'une tragique méprise, cherche à compenser par avance matériellement tout ce dont il sera privé spirituellement dans l'au-delà. C'est le cas de la plupart de ces hommes d'aujourd'hui, que Platon nommait déjà, - car ils étaient aussi ses contemporains -, les "non-initiés", qui, dit-il, "pensent qu'il n'y a rien d'autre que ce qu'ils peuvent saisir de leurs mains", et "nient tout ce qui est invisible".

L'autre chemin est celui du "salutaire" : la recherche de l'essence en tant que seul bien réel, et cela, par la rigoureuse astreinte du yoga des sages. Il se trouve que l'homme moderne se situe à l'exact opposé de cette vision des choses : décentré, s'identifiant à tout au lieu de s'en détacher, mû par des forces qu'il croit diriger alors qu'il est dirigé par elles faute de les avoir maîtrisées, s'intégrant à l'illusoire au lieu d'y assister en spectateur, se dispersant en actions, pensées, paroles au lieu de se fixer sur le "seul nécessaire", dédaignant la méditation (peut-être parce qu'incapable de s'y adonner plus de quelques instants), s'excluant de la prière dans son refus de la divinité ; et par-dessus tout, refusant tout sacrifice dans son insatiable désir d'accumuler toujours plus d'avoirs. Un tel homme, perdu corps et biens dans l'absence de tout repère, ignorant tout des enseignements premiers, a peur de la mort parce qu'il a peur de la vie. Et peur de la vie parce qu'il ne sait plus ce qu'elle est dans sa réalité prégnante, qu'elle lui apparaît dénuée de toute orientation, et que la vie qu'il s'est lui-même fabriquée se révèle cruellement inauthentique, insignifiante.

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Admettre la valeur éminemment positive de la mort exige un complet retournement, celui des priorités, des centres d'intérêt, et même des raisons d'être ; une transformation radicale de ses modes de penser, et d'agir, et de vivre. Et c'est à quoi notre contemporain est particulièrement peu enclin. A la différence de l'homme traditionnel, il ne dispose plus des moyens et des clés qui permettent de croire que le but de la vie n'est point la mort mais la Libération. Par Libération, entendons un état de plénitude harmonique exempt du moi et de ses innombrables métastases, un état rayonnant par delà tous les contraires ; le Vide en sa toute-majesté de transcendance, celui de la "Grande Paix" : état central, échappant à toutes les définitions, car inconditionné ; le séjour de ce souverain Soi qui ne peut jamais mourir parce qu'il n'est jamais né, comme aimait à le répéter laconiquement Ramana Maharshi.

L'ultime mot de l'histoire est qu'il s'agit de comprendre que la Vacuité suprême n'est pas synonyme de néant, qu'elle en est même l'opposé en tant que Plénitude absolue, l'Ici en tant que Lieu sans lieu, et le Maintenant en tant que présent sans commencement ni fin.

L'on serait assez tenté de penser qu'une telle réponse a, beaucoup plus que d'autres, toute chance d'être vraie. Nous satisfait-elle pour autant ? Ne nous sentons-nous pas tout de même quelque peu déçus d'en savoir tant ? Fût-elle suprême, ou parce que telle, la Vacuité peut-elle avoir pour nous des charmes ; et la nécessité de mourir à tout pour naître au Tout suffit-elle pour nous séduire ? N'éprouvons-nous pas, d'autre part, un secret bonheur, dû-t-il avoir l'angoisse pour rançon, être pétri d'incertitude, à penser que "chaque fois que l'aube paraît, le mystère est là tout entier", comme l'écrivait René Daumal ? Un complet et trop confortable éclaircissement, étranger à l'indispensable ambiguïté delphique, une trop béante déchirure ne pourraient, en proposant la voie de la facilité, qu'ôter à la vie son sel ; et si le sel est insipide, avec quoi l'assaisonnera-t-on ? ; ce sel totalement inaperçu, et pourtant répandu partout dans l'immensité de la mer, ce sel dont le grain brille secrètement jusqu'aux abîmes, comme le point infinitésimal qui réside en nos profondeurs doit à son invisibilité d'être éternel.

Jean BIES


[1] L'insuffisance de l'explication chrétienne est connue. On peut y déceler une déficience de l'ésotérisme, mais aussi, un acte d'humilité, où la foi qui s'incline remplace la gnose qui enfle : je m'abandonne en toute confiance à mon Sauveur. Toutefois, un livre comme celui de J. C. Larchet, La vie après la mort selon la Tradition orthodoxe (Cerf, 2004), a le mérite de rassembler les écrits patristiques sur la question, plus nombreux et précis qu'on ne croit. Il est vrai que le fond de l'homme occidental reste le scepticisme : "S'ils n'écoutent ni Moïse, ni les prophètes, même si quelqu'un se relève d'entre les morts, ils ne seront pas convaincus." (Luc, 16, 31).

[2] Voir le cinquième Commandement : "Tu ne tueras point". (Exode, 20, 13).

[3] Platon, Phédon, 78 c : "N'est-ce donc pas à ce qui a été composé, aussi bien qu'à ce qui est composé par nature, qu'il convient d'être affecté ainsi : être décomposé de la façon dont il a été composé.

[4] Voir R. Guénon, L'Erreur spirite, II, 6 et 7, Editions Traditionnelles, 1952.

[5] Platon, Phédon, 87 d.

[6] Commentaire de l'Evangile de saint Matthieu, XXXV, 1.

[7] L'errant chérubinique, IV, 77 : "Meurs avant de mourir, pour n'avoir pas à mourir quand il te faudra mourir". Même formule dans Mathnavî, VI, 723 sv. Il s'agit de la "mort initiatique" vers laquelle tend le vrai philosophe. C'est ce que s'emploie à montrer l'ouvrage d'Ananda K. Coomaraswamy, La signification de la mort, Arché, 2001.

[8] Bhagavad-Gîtâ, VIII, 5.


[9] Techniques du Yoga, II, 8.


vendredi 24 octobre 2014

Jeff Kerssemakers – Un étendard d'une organisation initiatique musulmane







Jeff Kerssemakers – Un étendard d'une organisation initiatique musulmane

[Revue Vers la Tradition n°89, septembre - octobre - novembre 2002.]





  
Au milieu du siècle dernier est publié à Amsterdam le récit de voyage d’un Néerlandais à travers l’Archipel de l’Indonésie(1). Le livre contient plusieurs lithographies coloriées, parmi elles la reproduction assez fidèle d’un étendard appartenant à la tarîqah ou confrérie islamique des Rifa’iyah, copié par l’auteur alors qu’il assistait à une réunion des «derviches hurleurs», comme il les appelle, dans l’île de Java. Les calligraphies de l’étendard sont remarquables à plusieurs points de vue et contiennent des symboles graphiques originaux, comme par exemple le nom du Prophète écrit en forme de croix. Notre voyageur se montre assez laconique et offre peu d’explications précises. Dans une note de la page 25, il se contente de transcrire quelques noms qu’il considère déformés par la main d’un Malais ne connaissant pas assez l’arabe et qui sont plutôt «adaptés», comme les noms des fondateurs des quatre écoles juridiques, appelés «les quatre Ratus» (de Râjah : roi, souverain) : Sapingi est ash-Shâfi’i, Kambala Ibn Hanbal, Malaki bien sûr Malik b. Anas ; quant à Kanapi, il représente Abu Hanîfa...


On se demande comment cet étendard a pû trouver place dans ce livre, alors qu’il s’agit d’un récit de voyage certes pittoresque, contenant des descriptions de paysages grandioses, mais qui ne témoigne d’aucun intérêt pour la vie de l’Islam dans l’Archipel. Il faut dire que l’Indonésie est encore aujourd’hui peu connue comme étant un pays entièrement islamique, à l’exception de quelques peuplades soi-disant primitives(2) et de l’île de Bali qui a préservé une forme d’Hindouisme archaïque. L’Islam y est arrivé dès le treizième siècle, venant de l’Inde par la Malaisie, sous une forme teintée par sa confrontation avec la sagesse hindoue. La première mention de la présence islamique en Indonésie se trouve dans les Mémoires de Marco Polo qui visita l’Archipel comme ambassadeur du Grand Khan de la Mongolie et de la Chine. En 1292 il resta quelques mois sur la côte nord-est de Sumatra et il nous informe que la ville de Perlak à la pointe nord de l’île s’était convertie à l’Islam. La plus ancienne inscription arabe de Sumatra est une épitaphe relative au Sultan Malik al-Salih, portant la date de 1297 A.D.

L’île de Java a toujours joué un rôle important en Indonésie : centre traditionnel, artistique et politique, autant avant l’arrivée de l’Islam qu’après. Les missionnaires chrétiens qui y ont travaillés sont unanimes à reconnaître le sens du sacré de la population, toujours intéressée par des discussions sur les questions de métaphysique ou de connaissances ésotériques qui, sous d’autres cieux, sont traitées avec plus de discrétion et pratiquement tenues cachées pour l’extérieur. Comme le constatait dans les années trente un missionnaire protestant hollandais, B. Schuurman, non seulement les Prijaji’s (l’élite princière), mais aussi des villageois illettrés pouvaient participer à des discussions doctrinales et développer des points de vue d’une telle complexité, et même témérité, qu’on avait l’impression d’être en présence d’un grand shaykh d’une école initiatique(3). M. Schuurman souligne que la population en générale montre un vif intérêt pour tout ce qui concerne la spiritualité, la connaissance métaphysique, et leurs applications dans la vie humaine. Naturellement, le brave missionnaire parle de mystique et de sentiment religieux, mais on sait ce qu’il faut penser de l’abus toujours persistant du mot mystique, qui refait surface, surtout dans les milieux universitaires, malgré la mise au point sévère de René Guénon. En Java, la spiritualité est surtout représentée par les turuq, c’est-à-dire des organisations initiatiques qui n’ont absolument rien de mystique. En l’occurrence, les œuvres du Shaykh al-Akbar Ibn ‘Ârabi et d’Abd al-Karim al-Jîlî ont été introduites en Java par les Walis de Sumatra Hamzah Fansuri et Shams al-Dîn al-Samatrani. Vincent Monteil fait remarquer que la région d’Atjeh en Sumatra, connue pour sa résistance acharnée contre le colonisateur hollandais, est célèbre également pour ses discussions publiques autour des thèses akbariennes(4).

Typique de cette ambiance de sagesse pénétrant toutes les couches de la société est l’histoire de la conversion à l’Islam du dernier souverain hindou de Java : le roi Brawidjaja qui hésite un certain temps avant de se décider. Confronté aux arguments du Wali Sunan Kalidjaja, il se déclara vaincu par les démonstrations du sage, lorsque ses deux serviteurs personnels lui eurent fait remarquer que leur divergence n’était qu’une question de termes différents exprimant la même vérité(5).

En fait, le peuple javanais a assimilé l’Islam sur un fond persistant d’Hindouisme. Une ligne nette de démarcation, d’avant ou après, de refus ou d’acceptation, ne s’y constate pas. Certaines traditions vivantes ont probablement une origine hindoue. La légende nous parle ainsi de neuf Wali’s javanais qui se réunirent pour établir les doctrines concernant Allâh, l’homme et le monde. Ces neuf Wali’s sont vraisemblablement une adaptation islamique de la conception hindoue des huit gardiens du monde, plus Shiva. Le théâtre wajang met toujours en scène des histoires mythologiques hindoues.

On peut remarquer pourtant une nette différence entre Sumatra et Java. A Sumatra, régulièrement et commercialement en contact avec l’Arabie, une distinction entre une métaphysique de type akba-rien et les sciences de fiqh et de kalâm (droit et théologie) est scrupuleusement maintenue, alors qu’à Java les deux domaines sont toujours exposés dans le même traité sans le moindre problème de conflit ou de contestations hostiles de la part des exotéristes.

Toutefois, à partir du XVIIe siècle, et surtout du XIXe, on constate une uniformisation générale, plus proche de la théologie exotériste, due sans doute, aux pèlerinages à La Mecque où les Indonésiens restent parfois un an ou deux pour y suivre l’enseignement officiel. L’immigration joua également un rôle, comme à Pekalangan, sur la côte nord de Java, où se trouve une communauté d’Arabes originaires pour la plupart du Hadramaout, comprenant un bon nombre de Shérifs, descendants directs du Prophète, et bien intégré à la communauté javanaise(6).

C’est donc dans l’île de Java que notre voyageur aristocrate a eu la bonne idée de recopier un étendard d’une organisation initiatique, entrevue dans une zawiyah. Très peu d’étendards représentatifs de turuq sont connus ou décrits dans l’immense littérature consacrée au Soufisme. Comme les noms figurant sur l’étendard nous l’indiquent, il appartient manifestement à l’ordre des derviches Rifâ’iyah, une branche de la tarîqah Qâdiriyah, fondée par Seyyid Abû-l-Abbâs Ahmad b. Abî-l-Hasan ‘Alî ar-Rifâ’i (mort en 578 H./1182 AD). Cet ordre était notamment répandu au Moyen Orient, dans l’Inde et en Indonésie(7). Des groupes de la Horde d’Or y étaient affiliés et, aujourd’hui encore, il existe une communauté Rifa’iyah importante en Afrique du Sud, constituée de musulmans indonésiens(8).

Le cimeterre à double lame, qui figure au centre du tableau, revêt une signification particulière, car, comme l’on sait, les derviches Rifa’iyah se réunissent régulièrement pour une danse en commun au cours de laquelle ils se transpercent avec des sabres, des poignards ou de longues aiguilles. Ce cimeterre représente avant tout le glaive Dhû-l-Fakâr de Seyidnâ ‘Alî, gendre du Prophète à qui remontent toutes les chaînes initiatiques des turuq. La tradition rapporte que Seyidnâ ‘Alî accourut à l’aide du Prophète blessé sur le champ de bataille d’Ohod avec cette arme à la main. Le glaive est toujours représenté avec deux pointes ou une double lame, et on le trouve figuré sur des images populaires propres à d’autres confréries, comme chez les Bektashi’s en Turquie ou encore dans l’imagerie dévotionnelle shi’ite(9).

L’usage du sabre dans les rites initiatiques de la tarîqah Rifa’iyah est déjà présent dans le rite d’admission du murshid (néophyte). Le Shaykh donne alors un peu de sa propre salive au disciple ; il la place avec sa main sur la langue du murshid en disant : «Frappe toi-même sans peur avec le glaive, et s’il t’arrive d’être blessé, applique ta salive sur la plaie, et elle guérira par la barakah de votre shaykh Ahmed Sa’îd». Il est dit aussi que celui qui n’a pas commis de péché depuis la dernière réunion, ne verra pas son sang couler lorsqu’il se frappera avec un couteau, une aiguille ou un sabre.

Sur la poignée de l’épée représenté sur l’étendard Rifa’i figure la mention écrite «Bismillah», et sur la garde, à droite et à gauche, respectivement «ar-Rahmân» et «ar-Rahîm», ce qui complète la formule «Au Nom de Dieu, le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux». La place donnée ainsi à la formule qui doit précéder toute activité traditionnelle, indique que c’est au moyen de la poignée que le glaive est dirigé : la poignée est le point où naît l’action, à la fois destructive (quant au corps) et libératrice (quant à l’esprit). Le cimeterre est ainsi un symbole de l’intellect (‘aql) qui sépare l’obscurité de l’ignorance et qui tranche le nœud des enchevêtrements psychiques(10). Par sa position centrale sur le tableau, autant que par sa forme(11), il est un symbole de l’Homme primordial(12).

L’ensemble du tableau est «contenu» dans la Shahâdah, le témoignage de foi, répétés sur les quatre côtés : «Il n’y a d’autre divinité qu’Allâh, Mohammad est l’Envoyé d’Allâh, qu’Allâh lui accorde Ses Grâces unitives et Sa Paix !». C’est évidemment un encadrement, dont la fonction est de rassembler et de maintenir à leur place les divers éléments qu’il renferme. Dans les deux coins du bas figurent les noms des quatre fondateurs des écoles juridiques de l’Islam, à savoir l’Imâm Malik Ibn Anas, l’Imâm Ahmad Ibn Hanbal, l’Imâm Mohammad b. Idrîs ash-Shâfi’i et l’Imâm Abû Hanîfah al-Kûfi. Dans les coins du haut on peut lire les noms des quatre Saints Rifa’is : Sîdî b. Mûsa, Sîdî Mohammad ar-Rifa’i, Sîdî Abdallah et Sîdî Yûssuf ar-Rifa’i. Dans les angles situés à l’intérieur de l’encadrement se trouvent des invocations aux quatre «arkân» célestes : les archanges Israfïl, ’Azrâ’il, Mikâ’il et Jibrâ’il. Dans les grands cercles adjacents sont inscrits, en revanche, les quatre «arkân» terrestres, autrement dit les premiers califes : Abû Bakr aç-Ciddîq, Othmân b. Affan, ’Omar Ibn al-Khattâb et ’Alî b. Abî Tâlib. Quant au «rukn al-arkân», il est figuré ici entre les deux lames écartées de l’épée Dhû-l-Fakâr : c’est le nom du Prophète Mohammad, écrit quatre fois sous la forme d’une croix, ayant la lettre mîm pour centre. De là, ce centre ne doit pas être considéré comme une simple intersection, mais plutôt comme un cercle, une ouverture, une «porte», qui rappelle le symbole du Pôle, relevé par Michel Vâlsan, sur les portes d’entrée de la Mosquée Zitouna de Tunis, entre autres. Ce centre «ouvert» évoque ainsi la «Porte du Ciel» ou la «Clef de Voûte». Le quadruple nom rayonnant dans toutes les directions de l’espace figure aussi la «Nûr Muhammadî», la Lumière de Mohammad rayonnant à travers le monde, ou plutôt à travers les mondes. C’est la forme principielle et totale de l'Homme Universel. Cette dernière désignation évoque la désignation du Prophète comme «Miftâh Rahmat Allâh», Clef de la Miséricorde de Dieu. Quant à la «Porte du Ciel», il est dit aussi que nul ne rencontrera Allâh, s’il n’a pas rencontré auparavant le Prophète.


La lecture des inscriptions figurant à l’intérieur du cadre commence avec la Shahâda, le témoignage de foi islamique et continue avec une série de noms, faisant partie de la silsilah ou chaîne initiatique, d’ailleurs bien loin d’être complète : «il n’y a pas d’autre divinité qu’Allâh, Mohammad est l’Envoyé d’Allâh. Ensuite : le Sultan des Saints bien-aimés, de tous les Pôles (Aqtâb) le plus puissant (’azam Ghaouth), Sîdî Shaykh Muhyi-d-Dîn ’Abd al-Qâdir al-Jilâni, que Dieu sanctifie son secret(13).

Puis, le Sultan des Saints, le possesseur des mondes Sîdî al-Qiyâh Ahmad al-Kabîr ar-Rifa’i(14).

Puis, le Sultan du Temps, le Seigneur de la Droite(15), Ahmad Çafî-d-Dîn Ibn ’Alwân,

Puis, le Sultan des Connaissants et des Aspirants, Ahmad al-Badawî ar-Rifa’i, que Dieu sanctifie son secret,

Puis, ô Shaykh des Shaykhs, Sîdî Ahmad Ibrâhîm ad-Dasûqî, que Dieu lui accorde Sa Miséricorde(16),
Et ensuite, le Vivificateur des âmes ‘Abdallâh Ibn Abû Bakr».

Suivent quelques noms enchevêtrés de frères Rifâ’i. L’avant-dernière ligne contient une invocation adressée aux deux fils de Sîdî ’Alî : O fils de l’Imâm, Hussein et Hassan d’al-Bâqiyah(17), que Dieu leur accorde Ses grâces». La dernière ligne présente encore une fois la Shahâda.

Il est propre à tout symbolisme d’avoir plusieurs sens hiérarchisés ou équivalents, rendant possible des interprétations différentes qui ne s’excluent nullement. Malgré les apparences, on ne peut pas conclure que notre étendard serait un mandala, ou tableau initiatique, support de méditation. Il représente plutôt une «action de présence» de forces célestes et de la baraka du Shaykh fondateur et de ses successeurs.

Relevons enfin l’enseignement que nous adresse le texte intérieur où la silsilah des maîtres spirituels commence avec la Shahâda et se termine avec la Shahâda : «Car nous sommes à Allâh et c’est vers Lui que nous retournerons»(18). Tous les mystères de la manifestation sont contenus dans ce verset.

Puissent ces quelques indications nous aider à découvrir la richesse symbolique que peut contenir un simple étendard de confrérie.

Jeff KERSSEMAKERS
 
NOTES :

(1) W. Van Hoëvell, Reis over Java, Madura en Bali, in het midden van 1847. Amsterdam 1849.

(2) Par exemple, les Dayaks de Bornéo et les Bataks autour du lac Tobi en Sumatra sont restés animistes jusqu’à aujourd’hui.

(3) B. Schuurman, Mystik und Glaube im Zusammenhang mit der Mission auf Java. Den Haag 1933.

(4) Vincent Monteil, Le Monde Musulman. Paris, Horizons de France, 1963, p. 195.

(5) D. Rinkes, De Heiligen van Java. Bd. IV P- 439 (Tijdschrift Batavisch Genootschap).

(6) B. Vlekke, Nusantara. A history of the East Indian Archipelago. Cambridge 1943, p. 68-90. Cf. carte p. 95.

(7) W. Seabrook, Aventures en Arabie. Paris 1933, consacre tout un chapitre à cette tarîqah : p. 224 : Dans le hall Rufai de torture, où il est témoin des blessures que s’infligent les dervishes de Syrie. René Guénon a donné un compte-rendu de ce livre (Et. Trad., 1935, p. 42). Signalons aussi l’étude détaillée que J. Brown en fait dans son livre publié en 1867 : The Darvishes. Réédité un Siècle plus tard avec des nouvelles notes de H. Rose : Londres, Cass, 1968, p. 124-139 : The Rifâ’ia or Howling Darvishes.

(8) Signalons le disque extraordinaire enregistré au Cap : Rufai Ceremony, Folkways Records FR 8942. Une description détaillée de la séance par Joseph Schacht illustrée de quelques photographies y est jointe.

(9) J. Birge, The Bektashi Order of Dervishes. Londres 1965, planche 7,8 ss. Encyclopédie de l’Islam, 2e éd., notammentpl. XVII.

(10) On notera la ressemblance avec le Pentagramme, l’étoile à cinq pointes tirée d’un seul trait.

(11) Cf. le titre d’un traité d’Ibn ’Arabi : Ma’rifat al-kanz al-’azîm. Interprétation ésotérique de la formule Bismillâh ar-Rahmâni ar-Rahîm, représentée symboliquement par l’Homme Parfait. Osman Yahia, Histoire et Classification. Damas 1964, n°. 426.

(12) Cf. René Guénon, Sayfu-l-Islam, dans l’Islam et l'Occident, Cahiers du Sud, 1947, p. 59. Repris dans Symboles fondamentaux, 1962, p. 197, ch. XVII.

(13) Fondateur de la tarîqah Qâdiriyah, mort en 1166 A.D. à Baghdad.

(14) Fondateur de la confrérie Rifâ’iyah.

(15) Allusion à la fonction qui fut la sienne auprès du Pôle.

(16) Ibrâhîm ad-Dasûqi, fondateur de la tarîqah Dasûqiyyah, nommée plus couramment Burhâniyyah, une branche de la tarîqah Shâdhiliyah. Né en Basse-Égypte, il est mort dans son village Dasûq en 680 H./l282 A.D.

(17) Al-Bâqiyah, le cimetière de Médine, où Seyidnâ Hassân est enterré.

(18) Coran, S. II, v. 156.
 



vendredi 12 septembre 2014

« Notre seule parole, lorsque Nous voulons une chose, est de dire : « Kun ! - Sois ! », et elle est. » [Sourate 36 – Verset 82]





AL MUHÂSIBIYYAH (AL MUHÂSIBÎ)

L'un des plus grands théologiens (mutakallim) parmi les Ahl Us Sunnah du Salaf, Al Imâm Al Hârith Ibn Asad Al Muhâsibî (qu'Allâh lui fasse miséricorde) a dit :

« Louange à Allâh Le Seigneur des mondes. L'issue heureuse appartient aux pieux. Il n'y a de force et de puissance qu'en Allâh, L'Immensément Exalté, Le Tout-Puissant.

Que Le Salut et La Paix se déversent infiniment sur Muhammad le Sceau des Prophètes, et ce jusqu'au Jour de la Résurrection.

Louange à Allâh qui a embelli les visages et les a orné par la beauté des yeux et qui a permis à la langue d'user de belles paroles. Louange à Allâh que même le sable glorifie et pour Lequel l'ombre se prosterne. Devant Sa Majesté les montagnes les plus solides se pulvérisent.

Il est Celui à Qui rien n'échappe, ni de ce qui est dans la nuit noire, ni de ce que renferment les mers et leurs vagues. Il sait tout de ce qui est dans le ciel orné de constellations et de ce qui est enfoui au fond d'une mer houleuse.

Il est Celui qui rend délicieuse la douceur de Sa mention sur les langues de ceux qui L'invoquent, Celui qui terrifie les cœurs de ceux qui méditent devant la crainte de Ses stratagèmes, Celui qui comble de Ses bienfaits le louangeur reconnaissant, Celui qui fait miséricorde aux pécheurs par une générosité enfouie dans Ses mystères, Celui qui a comblé les serviteurs par Sa mansuétude et qui a couvert ce qu'ils ont dissimulé par la Science.

Il est Celui qui savait ce qui serait avant même que cela soit, dont la Science a précédé la clarté des yeux. Il est Celui qui connaît les mystères cachés et que les imaginations et les suppositions ne peuvent atteindre.

Il prit possession du Trône  et embrassa le Royaume sans que nous Le voyons.

Il est si rapproché qu'aucune confidence ne Lui échappe. Il connaît les secrets et ce qui est encore plus caché : les idées qui traversent les esprits des 'Ârifîn avant même qu'elles n'effleurent leur pensée, ou les consciences de ceux qui méditent en silence, ainsi que les intentions des doctrines des Théologiens. Car Il est Celui auquel rien ne ressemble, et Il est Le Créateur de toute chose et ceci à partir du néant.

Il a partagé entre Ses créatures leurs parts de subsistance et a conçu des modèles pour leurs formes, différenciés selon leur constitution. Mais la création de toutes les créatures ne L'a pas épuisé. Et Il n'a confondu ni les modèles de leurs formes, ni la variété de leurs idiomes, ni la diversité de leurs doctrines, ni la différenciation de la couleur de leur peau, ni la complexité de leurs systèmes phonologiques, ni les changements de leurs systèmes phonétiques, ni les subtilités de leurs langages.

Comment peut-Il être impuissant alors qu'elles sont Ses créatures, soumises à Son ordre et assujetties à Lui ? Car tout leur sort dépend de l'ordre Divin : « Kun ! – Sois ! », conformément à la Parole d'Allâh (qu'Il soit exalté et magnifié) : « Notre seule parole, lorsque Nous voulons une chose, est de dire : « Kun ! - Sois ! », et elle est. » [Sourate 36 – Verset 82].


Yâ-Sîn
 
NDLR[36:82]  Son Ordre, en vérité, est tel que lorsqu'Il veut une chose, il lui dit " Sois ! " et elle est. (Trad de Jean-Louis Michon)


Bénit soit Celui auquel rien ne ressemble. Il est Celui qui entend et qui voit. Il est Allâh.

Toute bonne action provient de Ses dons et toute mauvaise action relève de Ses épreuves.

Il est Celui qui est adoré sur Sa terre et dans Son ciel, qui est voilé aux regards de ceux qui voient, de sorte qu'aucun œil ne Le voit, ni aucun discernement ne peut L'atteindre. Pourtant Il est Celui qui comble Ses amis en leur permettant de Le voir dans les Jardins des délices.

Je Lui demande de combler de grâce le Prophète qu'Il a élu pour être obéi et qu'Il a choisi pour transmettre Son Message. Ainsi, le Prophète a transmis le Message, s'est acquitté de la charge qui lui a été confiée et a mérité le pouvoir d'intercession. Que Le Salut et La Paix d'Allâh soit sur lui). »

Fin de citation.


Source : Al Qasdu wa Ar Rujû'u Illa Llâh de l'Imâm Al Hârith Al Muhâsibî (qu'Allâh l'agrée).