Sagesses et leçons du récit de l’ouverture de sa
poitrine[1]
1- Le grand
savant Ibn al-Munayyar a dit : « L’ouverture de sa poitrine – sur lui la grâce
et la paix – et sa capacité à endurer cela est du même ordre que l’épreuve que
Dieu infligea à celui qui fut offert en sacrifice[2] et qui endura celle-ci. Ce
fut même plus pénible et plus éprouvant car le sacrifice ne fut que symbolique,
tandis que l’ouverture de la poitrine s’est effectivement réalisée. De plus,
elle s’est répétée à plusieurs reprises et s’est produite quand il était petit,
orphelin et loin des siens.
2- On
interrogea le « Cheikh al-Islam » Abū
al-Ḥasan
al-Subkī -
que Dieu lui fasse miséricorde
– au sujet du morceau
coagulé noir (‘alaqa sawdā’) qui fut extrait du cœur du Prophète lors de l’ouverture de sa poitrine,
et de la parole de l’Ange : « Ceci est la part [d’influence] du diable sur toi
». Il répondit :
« Dieu a
créé dans le cœur de tous les hommes ce morceau (‘alaqa) qui les rend
vulnérable (qābilatan) à ce que le diable y
insuffle, tandis qu’il
fut enlevé
du cœur du Prophète, ne
laissant plus aucun moyen au diable d’y insuffler quoi que ce soit. Tel est le
sens du ḥadīth.
Le diable n’eut
alors plus aucune influence sur lui. Quant à
la chose que l’Ange
a expulsée, elle concerne la nature
humaine en tant que telle. La partie vulnérable (qābil)
fut retirée,
et pourtant sa présence
n’impliquait pas nécessairement la projection
de suggestions diaboliques dans son cœur.
» On lui demanda : « Mais pourquoi Dieu a-t-il
créé cette partie vulnérable dans ce noble être, alors qu’il aurait tout aussi bien
pu ne pas la créer en lui ? » Il répondit :
« - Elle est
une composante de l’être humain ; elle a été créée pour compléter la structure
humaine et elle a donc sa place nécessaire. Son extraction relève d’un miracle
seigneurial survenu inopinément.
Un autre a
dit : Si Dieu avait créé Son Prophète ainsi, les êtres humains n’auraient pas
eu connaissance de sa réalité intérieure – sur lui la grâce et la paix. Dieu
l’a donc remis aux mains de Gabriel (Jibrā’īl)
afin qu’ils réalisent la perfection de
son intérieur tout comme leur apparaissait la perfection de sa forme
extérieure.
3- Le Cheikh
Abū
Muḥammad
b. Abī
Jamra[3] a dit : «
La sagesse contenue dans le récit
de l’ouverture de sa poitrine,
en considérant
que son cœur
aurait pu se remplir de foi et de sagesse sans cette ouverture, est de
renforcer sa certitude, car il reçut l’assurance, en voyant l’ouverture de sa
poitrine sans en être affectée, d’être protégé de tous les périls ordinaires.
C’est pourquoi il était le plus courageux des hommes en acte et en parole, et
c’est pour cela que le Très-Haut l’a décrit de la manière suivante : « Le
regard ne se détourna point et ne trahit point » [53 :17].
4-
Concernant la leçon à retirer du fait que cet évènement ce soit produit
plusieurs fois, le Ḥāfiẓ
Ibn Ḥajar
[al-‘Asqalānī] – que Dieu lui fasse miséricorde – a dit, après avoir mentionné la première, la troisième et la quatrième ouverture : « En chacune des trois, il
y a une sagesse. La première
eut lieu lors de son enfance pour qu’il grandisse dans les plus parfaits états
d’impeccabilité à l’égard du diable ; ensuite, cela se produisit au début de sa
mission prophétique, pour l’honorer davantage et afin qu’il reçoive ce qu’il
lui était révélé avec un cœur fort, dans les plus parfaits états de
purification ; enfin cela se produisit juste avant l’ascension céleste pour
qu’il se prépare à l’aparté [avec Dieu].
Le Ḥāfiẓ
al-Shāmī a
dit : « On m’interrogea au sujet de la
sagesse contenue dans la deuxième
[ouverture de sa poitrine] malgré le fait qu’il [Ibn Ḥajar
al-‘Asqalānī]
l’ait déjà mentionnée de manière catégorique dans le Kitāb
al-tawḥīd
[de son Fatḥ al-bārī].
On peut faire l’hypothèse suivante : Lorsqu’il eut atteint l’âge de huit ans, qui est l’âge de raison et des
responsabilités religieuses, sa poitrine – sur lui la grâce et la paix – fut
ouverte et sanctifiée, afin qu’il ne soit pas entaché de quelque vice qu’on
attribue au commun des hommes, et Dieu est plus savant. »
Le Ḥāfiẓ
Ibn Ḥajar
– que Dieu lui fasse miséricorde – a dit : « Il est probable que le sens
profond (littéralement : la sagesse) du lavage [de sa poitrine] soit d’affirmer
avec plus de force la perfection de la purification, qui se réalise à la
troisième fois, comme le veut sa Loi – sur lui la grâce et la paix ».[4]
Ibn Abī
Jamra – que Dieu lui fasse miséricorde - a aussi dit : « Le lavage de son cœur – qui était déjà sanctifié et apte à recevoir le bien qui
devait y être
projeté, et qui avait déjà été lavé une première fois et débarrassé du
morceau [impur] quand il était enfant – fut opéré par vénération pour lui et en
préparation pour ce qui allait lui être révélé là-bas – c’est-à-dire lors de
l’ascension céleste. On retrouve cette sagesse dans d’autres situations, comme
les ablutions avant la prière rituelle pour ceux qui disposent d’un point
d’eau, car en vérité les ablutions ne sont rien d’autre qu’une vénération et
une préparation à se tenir devant le Très-Haut et à s’entretenir avec lui.
C’est pour cela qu’on ajoute [un troisième lavage des membres] après le premier
et le deuxième, bien qu’un seul lavage soit suffisant pour rendre l’ablution
valide : la troisième fois est une marque de vénération. C’est pour la même
raison que l’intérieur [du Prophète] fut lavé.
Dieu a bien
dit : « Celui qui prend en haute considération les prescriptions divines (sha‘ā’ir Allāh)
: Cela fait partie de la piété des cœurs. » [22:32]. Or le lavage
pour le Prophète
était de cet ordre-là, et une indication par l’action pour sa communauté de prendre en haute
considération les prescriptions de Dieu, comme Il le leur avait spécifié par la
parole.
Al-Burhān
al-Nu‘mānī -
que Dieu lui fasse miséricorde
- a dit : « S’il est bon d’accomplir la purification
par lavage (ġusl)
avant d’entrer dans le Territoire
sacré de la Mecque, que dire de l’entrée dans la Présence Sainte ? Ainsi,
puisque le Territoire sacré de la Mecque fait partie du monde physique (‘ālam
al-mulk), qui est la face extérieure
des choses créées,
la purification par lavage s’applique à l’extérieur du corps, dans le monde des
relations [avec les humains]. Et puisque la Noble Présence est du domaine du
Monde spirituel (‘ālam al-malakūt),
qui représente la face intérieure des choses créées, la purification par
lavage s’applique à l’intérieur du
corps, dans les réalités spirituelles. Le Prophète fut élevé au ciel pour que
[les modalités de] la prière rituelle lui soient montrées, et pour qu’il
l’accomplisse avec les Anges des cieux ; or, la purification fait partie des
conditions de la prière rituelle, c’est pourquoi il fut sanctifié
extérieurement et intérieurement. Maintenant, si tu dis : « Dieu le Très-Haut
l’a créé en tant que lumière passant de prophètes en prophètes, or la pureté de
la lumière implique qu’elle se passe de la purification extérieure ; le premier
lavage n’avait-il pas été suffisant pour purifier l’intérieur, pour qu’il y ait
nécessairement en lui après l’avènement de la prophétie une chose qui nécessite
[un autre lavage], alors qu’il est exempt des souillures humaines ? » Je
répondrai ceci : La première fois fut pour la science de la certitude, la
seconde pour l’œil de la certitude et la troisième pour la vérité de la
certitude. »
5-
Al-Suhaylī a dit : « L’or (ḏahab)
a été choisi[5] en raison de la relation existant entre cette matière et le
sens qu’il vise : si l’on considère le mot ḏahab
(« or »), on s’aperçoit qu’il est en correspondance avec al-ḏahāb
(« s’en aller, disparaître »). Dieu voulu ainsi faire
disparaître toute souillure du
Prophète et le purifier
parfaitement. Si l’on considère maintenant le sens et les qualités de l’or (ḏahab),
on s’aperçoit qu’il est la matière la plus propre et la plus pure. »
6- Du lavage
de son cœur – sur lui la grâce et la paix – avec l’eau de zamzam, on déduit
qu’elle est la meilleure eau. L’imam al-Bilqīnī l’affirme de manière catégorique.
Ibn Abī
Jamra a dit : « S’il n’a pas été lavé par l’eau du paradis, c’est seulement parce que
l’eau de zamzam provenait [elle-même] du Paradis avant d’avoir été amenée sur
terre ; le but étant de souligner par là la permanence de la bénédiction du
Prophète sur la terre. »
D’autres que
lui ont dit : « L’eau de zamzam fut à l’origine léguée à Ismā‘īl – sur lui la paix – et il fut élevée avec elle ; son cœur et son corps grandirent
nourris de cette eau si bien qu’il
en devint le gardien, ainsi que le gardien de cette Ville bénie. Pour cette raison, il
convenait qu’il
en soit de même pour son descendant, le sincère et le digne de confiance. Et
pour indiquer que cette charge serait toujours spécialement associée à Ismā‘īl,
lorsque l’autorité revint au Prophète lors de la conquête de la Mecque, il confia
à al-‘Abbās
et à ses descendants la charge
d’abreuver les pèlerins, tandis qu’il confia la charge de couvrir la Ka‘ba à ‘Uṯmān
b. Abī
Shayba et à
sa postérité jusqu’au Jour de la Résurrection. »
7- Le lavage
de sa poitrine avec de l’eau provenant de la neige et de la glace – outre le
fait qu’elle est un remède et qu’elle n’est pas troublée par des morceaux de
terre, celle-ci étant le lieu des souillures et des impuretés – est un signe
que l’époque allait devenir brillante pour lui et sa communauté, et propice au
rayonnement de sa Loi éclatante et de sa Sunna. C’est aussi une allusion à la «
fraîcheur de son cœur »[6] – c’est-à-dire à son épanouissement - découlant du
triomphe et de la victoire sur ses ennemis, et un signe annonciateur de la
douceur de son cœur – ou de son caractère pacifique - envers sa communauté,
[qu’il manifestera] en leur pardonnant et en passant outre leurs fautes.
Ibn Duḥayya
a dit : « Son cœur fut lavé avec de la neige pour indiquer la transmission de
la fraîcheur de la certitude dans son cœur. Le Prophète avait l’habitude de
dire, entre la formule d’entrée en prière (takbīr)
et la récitation [de la Fātiḥa],
l’invocation suivante : « Ô mon Dieu, lave-moi de mes fautes par la neige et la
glace. » Le Très-Haut voulut donc que son cœur soit lavé avec une eau en
provenance du Paradis, dans une bassine d’or contenant la foi et la sagesse,
afin que son cœur connaisse le parfum du Paradis et découvre sa saveur, et
qu’il soit ainsi plus détaché à l’égard de ce bas monde et plus soucieux
d’appeler les créatures au Paradis. De plus, ses ennemis répandaient des propos
infondés sur son compte, c’est pourquoi Dieu voulut chasser loin de lui les
affectations liées à la nature humaine comme l’oppression du cœur et les
mauvaises paroles proférées par ses ennemis ; alors son cœur fut lavé pour que
sa poitrine s’en trouve élargie et que l’oppression le quitte, comme Il l’a dit
dans Son Livre : « Nous savons que ton cœur est oppressé à l’audition de leurs
propos. » [15:97]. Puis son cœur fut lavé une autre fois et il atteignit l’état
qui lui fit dire, alors qu’il était frappé, blessé à la tête ou les dents
cassées – comme le jour de Uḥud : « - Ô mon Dieu
! Pardonne à mon peuple car ils ne savent point. »
8- Les
savants ont divergé sur la signification de la « sagesse » (ḥikma)
[dans ce ḥadīth]
: Certains ont dit qu’elle
désigne la science qui
inclut la connaissance divine, l’acuité de la vue intérieure, l’éducation de l’âme et la réalisation de la Vérité pour l’appliquer et délaisser son contraire ; le
sage est celui qui acquiert cela. L’imam al-Nawawī a
dit : « C’est la meilleure définition qui nous soit
parvenue d’entre
de nombreuses paroles. »
La sagesse
peut aussi être un synonyme du Coran, qui englobe toutes ces choses
mentionnées, comme elle peut aussi être un synonyme de la prophétie, ou elle
peut désigner seulement la science, ou seulement la connaissance, ou autre
chose.
Le Ḥāfiẓ
Ibn Ḥajar
a dit : « Le plus juste qui a été dit à ce sujet est qu’elle désigne le fait de
mettre chaque chose à sa place, ou bien la compréhension du Livre de Dieu. »
Dans la première explication la sagesse peut exister sans la foi, tout comme
elle peut ne pas exister (sans elle]. Dans la seconde, elles doivent être à
priori étroitement liées parce que la sagesse est un signe de la foi.
[1] Extrait des Dhakhâ'ir al-Muhammadiyya du Cheikh
Muhammad ibn 'Alawî al-Mâlikî.
[2] Allusion à Ismā‘īl qui fut sur le point d’être
sacrifié par son père Ibrāhīm sur ordre de Dieu.
[3] Soufi andalou enterré à Qarāfa, en face de la tombe
du célèbre soufi Ibn ‘Aṭā Allāh.
[4] De même que les ablutions (wuḍū’) sont rendues plus
parfaites en lavant trois fois les membres du corps, la purification du cœur du Prophète fut parachevée par le lavage à trois reprises.
[5] La bassine dans laquelle le morceau noir fut lavé
était faite d’or.
[6] ṯulūj ṣadrihi.