Manuscrit du Insha' al-Jadawil wal Dawa'ir (إنشاء الجداول والدوائر)
بـــسْم ﭐلله ﭐلرّحْمٰن ﭐلرّحــيــم ﭐللَّهُمَّ صَلِّ عَلَى سَيِّدِنَا مُحَمَّدٍ وَ عَلَى آلِهِ و صحبه وَ سَلِّمْ السلام عليكم و رحمة الله و بركاته
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mardi 7 juin 2016
lundi 29 février 2016
dimanche 2 mars 2014
Le Kitâb Khatm al-awliyâ (Le Sceau des Awliyâ) d'Al-Ḥakîm Al-Tirmidhî (ob 285/898) - Osman Yahia
Par Osman Yahia*
L’ouvrage intitulé « Le Sceau des saints »1, du célèbre
mystique du Khorassan, Hakîm Tirmidhî (mort en 898), est considéré à juste
titre comme une œuvre originale et qui compte parmi les tout premiers monuments
de la littérature mystique de l’Islam. Ce livre développe la question
fondamentale de la réalisation spirituelle selon ses deux modes distincts : le
sidq – l’effort humain sincère – et la minna – l’action de la Grâce –. L’auteur
expose cette idée maîtresse à l’aide de toutes ses connaissances d’ordre à la
fois psychologique, théologique et métaphysique. Par la même occasion sont
évoqués plusieurs problèmes ayant trait à la mystique : la science des saints
(awliyâ) et ses liens avec la science profane, le facteur-temps et son rôle
dans l’expérience spirituelle, la nature de la sainteté et celle de la
prophétie, leurs rapports mutuels, la distinction entre contemplation et
action, la récompense des actes et celle de la progression des cœurs… […]
L’expérience spirituelle et ses différents modes
La réalisation mystique s’opère, d’après Hakîm
Tirmidhî, selon deux modes nettement distincts : le mode basé sur la règle du
sidq et le mode basé sur l’action de la Grâce. La distinction ainsi établie
correspond à la nature même et au but envisagé par chacun de ces deux modes de
vie spirituelle qui tous deux prennent rang dans la hiérarchie des degrés de la
sphère de la sainteté. Les termes qui définissent les multiples états de la
réalisation spirituelle revêtent sous la plume de Tirmidhî une grande précision
qui révèle l’expérience vécue, l’expérience d’un fin psychologue et d’un
métaphysicien.
Le saint selon la loi d’Allah, c’est celui qui suit la
règle du sidq. La règle du sidq se réalise en deux opérations complémentaires.
Tout d’abord, l’aspirant dans cette voie, prenant conscience du sens de sa vie
d’être humain, de sa destinée, impose à ses membres la stricte observance des
rites. C’est la phase préliminaire qui consiste en l’accomplissement parfait et
scrupuleux des commandements de la Loi établie. A cette phase succède
l’opération intérieure qui consiste uniquement à surveiller et à redresser
l’âme individuelle, pivot de la règle du sidq. Tirmidhî nous décrit la lutte
déchirante et dramatique que l’homme spirituel doit entreprendre contre son âme
charnelle en vue de tuer ses désirs passionnels et ses inclinations. […] Pour
Tirmidhî, l’âme charnelle est le principe du mal, la source de toutes les
déviations. C’est pourquoi l’homme spirituel devra mener contre elle une lutte
sans merci et extirper jusqu’à la racine les passions qu’elle suscite.
Surveillance des membres extérieurs, maîtrise de l’être intérieur, ce sont les
deux opérations successives qui illustrent la lutte du corps et de l’esprit en
vue de la restauration d’une harmonie détruite dans la multiplicité de la vie
courante.
Le but final vers lequel tend le réalisateur du sidq
est l’accomplissement de son individualité et de son salut personnel. En termes
religieux, c’est la conformité aux obligations du culte ici-bas en échange de
l’état paradisiaque dans l’Au-delà.
L’expérience spirituelle basée sur l’action de la Grâce
repose elle aussi sur la maîtrise des membres extérieurs et de l’âme
passionnelle, mais la perspective est différente. Certes, l’être touché par la
Grâce est plus qu’aucun autre conscient de la nécessité de purifier son être
intérieur et de maîtriser ses membres. Au fur et à mesure que la Grâce irradie
l’être de sa lumière, l’être répond par une purification plus grande de son
âme, par une conscience plus profonde de ses devoirs, par un effort plus ardent
de sincérité, précisément pour être digne de porter le Dépôt divin et refléter
la Lumière du Ciel. Mais, tandis que l’être du sidq est écrasé sous le poids de
la lutte à mener contre son âme charnelle et tout absorbé par les observances
qu’il doit accomplir, l’être touché par la Grâce se libère de ses liens
corporels et voit sa tâche facilitée. Alors que l’être du sidq est en quelque
sorte déterminé par ses dimensions individuelles – qu’il ne parvient pas à
dépasser – l’être de la Grâce s’envole hors des limites de son individualité et
atteint la délivrance totale.
Les êtres du sidq sont les ouvriers de la vie
spirituelle. Ils visent la récompense immédiate et le profit, et sont tout
absorbés dans l’action. Ils n’ont point accès à la contemplation pure. Ils ne sauraient
en aucune manière dépasser les limites de l’individualité, car ils n’aspirent
dans l’Au-delà qu’à atteindre l’état paradisiaque. Au contraire, les êtres
touchés par la Grâce sont appelés les Libres, les Nobles. Leur but, c’est la
délivrance totale, le dépassement de la condition individuelle. Leur aspiration
est orientée vers Dieu seul et ils dédaignent la récompense, dans l’Au-delà, de
délices paradisiaques. Et sur la terre, ils vivent déjà dans le vaste champ de
l’Unicité divine et au fond de leur cœur réside le Trône seigneurial.
Pour Tirmidhî, l’être du sidq ne peut échapper
totalement à l’emprise de son âme individuelle. Il se peut cependant qu’il
parvienne à se détacher des plaisirs du péché, mais il ne parviendra jamais à
effacer de son âme les douceurs du culte. Or, les douceurs du culte, tout comme
les plaisirs des péchés, sont la manifestation concrète de la présence de l’âme
individuelle. L’ego se refuse à mourir et il exerce son autorité subtilement et
d’une façon indirecte. Aussi, l’homme du sidq, même s’il parvient à un certain
degré de perfection spirituelle, n’est pas à l’abri de l’influence de son âme
charnelle. Il reste soumis à ses tentations et à sa traîtrise.
Si l’être favorisé par la Grâce parvient effectivement
à se libérer de son âme, c’est qu’une force supérieure, celle du Tout-Puissant,
s’oppose à la force de son ego. L’expérience de l’être de la Grâce se
différencie de celle de l’être du sidq en ce sens qu’il parvient à vivre
ici-bas, intégralement, toutes les possibilités de l’existence, non par son
propre effort, mais par Dieu. Tirmidhî, à cet égard, commente merveilleusement
le célèbre hadîth qudsî récité et médité par tant de maîtres spirituels en
Islam :
Et lorsque J’aime Mon fidèle,
Je suis l’œil par lequel il voit,
L’ouïe par laquelle il entend,
La main par laquelle il palpe,
Le cœur par lequel il médite.
C’est par Moi qu’il voit,
Par Moi qu’il entend,
Par Moi qu’il palpe,
Par Moi qu’il médite.
C’est donc en quelque sorte un acte d’identification de
l’être avec Dieu ou, plus exactement, un acte de transcendance de l’être par le
Principe. Sa vie devient ainsi l’expression de l’Amour, de la Foi, de la
Connaissance. […]
Sainteté et Prophétie
La sainteté est à la fois présence et intimité avec
Dieu. On pourrait la représenter sous la forme d’une sphère où viennent se
ranger par ordre hiérarchique la totalité des croyants. Car il existe une
sainteté d’ordre général et une sainteté d’ordre particulier. Sur le plan
général, la sainteté embrasse la grande famille des croyants dont la relation
avec Dieu s’effectue par l’énonciation de la chahâda. Elle est le lien commun
de tout fidèle qui croit au Message de Dieu et à Sa Présence parmi nous. Mais sur
le plan particulier, la sainteté est réservée aux élites de Dieu, à Ses intimes
qui communiquent avec Lui au moyen de l’union effective et transcendante. Ces
êtres sont ceux de l’Entretien, de la Communication et de la Paix profonde
(sakîna). Ils accèdent librement aux Conseils divins et parlent à Dieu face à
Face.
Ces deux plans ou conditions de la sainteté expriment,
en quelque sorte, la distinction qui existe entre le virtuel et le réel. Alors
que le simple croyant possède en lui les germes d’une réalisation future par la
foi, le saint proprement dit réalise effectivement, par la Grâce sanctifiante,
l’Intimité et la Proximité divines, en un mot la vie en Dieu. Ainsi le problème
de la délivrance et de la vision béatifique est résolu par anticipation pour le
saint proprement dit, ici-bas, tandis qu’il reste à résoudre pour le simple
croyant dans la vie de l’Au-delà.
La sphère de la sainteté englobe non seulement
l’ensemble des croyants, mais aussi les Prophètes et les apôtres car ceux-ci
portent en eux-mêmes, outre leur fonction particulière, la sainteté. La
personnalité de l’apôtre, tout comme celle du Prophète, comporte de multiples
fonctions. Elle se présente à la fois sous une forme extérieure qui est la
prophétie et sous une forme intérieure qui est la sainteté. Cependant tout
Prophète ou apôtre est un saint et non inversement. Il se peut toutefois
qu’Allah accorde à un saint des faveurs qu’il refuse à un Prophète ou à un
apôtre. Tels sont, par exemple, les cas de Salomon et son compagnon qui détient
la science (Coran XXVII, 40), et de Moïse et Khadir (Coran XVIII, 65-82).
En elle-même, la sainteté est donc supérieure à la
Prophétie et à l’apostolat. D’une part, parce qu’elle est commune aux Envoyés,
Prophètes et saints, et, d’autre part, parce que sa nature étant intemporelle,
elle est union intime et transcendante avec Dieu.
La prophétie est de nature eschatologique. Elle est
déterminée par le cycle existentiel. L’apostolat est de nature sociale. Ainsi
donc, prophétie et apostolat se situent sur un plan temporel tandis que la
sainteté se situe sur un Plan divin où elle est attribut et perfection. En
outre, on trouve, parmi les Attributs et Noms divins, celui de « walî » et non
celui de « nabî » ou de « rasûl »… Mais la primauté de la sainteté sur la prophétie
et l’apostolat ne signifie pas que le saint soit supérieur au Prophète ou à
l’apôtre, car ceux-ci sont également des saints.
Le Prophète et l’apôtre sont protégés de l’erreur par
la vertu de la Révélation, et le saint par la vertu de la Vérité (haqq) et de
la sakîna. Cependant, la fonction du Prophète étant salvatrice, exige
l’adhésion des créatures, et celui qui refuse son message est considéré comme
infidèle. Pour le saint, bien que tout l’univers chante sa sainteté, l’adhésion
n’est pas requise, seulement sollicitée. Certes, celui qui refuse de
reconnaître le saint n’encourt pas de peine formelle, mais il se prive ainsi de
la Lumière divine.
De même que la prophétie, représentée symboliquement
sous la forme d’une sphère où viennent se ranger les Prophètes, s’achève par le
« Sceau des Prophètes », de même, la sainteté, qui se manifeste sur la scène de
l’histoire par la figure lumineuse des saints, s’achève par le « Sceau des
saints ». La sainteté, tout comme la prophétie, trouve son épanouissement
complet dans le Sceau. Cependant, tandis que la prophétie est scellée avec le
dernier Prophète, Muhammad, la sainteté jaillit jusqu’à la fin des mondes2.
* Docteur de l’Université al-Zahar du Caire et maître
de recherche au CNRS. Cet article est initialement paru dans la revue de
l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, Section des sciences religieuses, 1959
(www.persee.fr).
1 Khatm
al-awliyâ, traduction de Slimane Rezki, éditions al Bouraq.
2 Ibn ‘Arabî
(1165-1240) et l’Emir Abd el-Kader (1808-1883) distinguent trois « Sceaux de la
sainteté » : le « Sceau de la sainteté universelle », qui serait incarné par
Jésus, le « Sceau de la sainteté muhammadienne », qui serait incarné par Ibn
‘Arabî lui-même, et le « Sceau des enfants d’Adam », qui sera le dernier saint
du cycle de l’humanité.
mardi 26 juin 2012
IBN ‘ARABÎ (1165-1240) Biographie par Osman Yahia
Prestigieuse figure du soufisme, et l’un des plus grands visionnaires de tous les temps, Ibn ‘Arabī est le théoricien du monisme ontologique et théologal, le grammairien de l’ésotérisme musulman. Sa doctrine a ébranlé le monde de la pensée islamique, suscitant nombre de controverses. Son œuvre, authentique et apocryphe, a dominé la spiritualité islamique depuis le VIIe siècle de l’hégire (XIIIe siècle chrétien) ; et le soufisme, tout au long de son histoire, n’a jamais connu de personnalité plus forte et plus complexe.
Son influence a marqué aussi bien ses partisans que ses adversaires ; son lexique technique représente la forme achevée du vocabulaire gnostique en langue arabe, et les penseurs musulmans postérieurs, qu’ils soient arabes, iraniens ou turcs, ont tous repris sa terminologie. Ainsi Ibn ‘Arabī apparaît-il véritablement comme le pivot de la pensée métaphysique en Islam.
L’élection de la Voie et l’aventure orientale
Muḥyi-d-dīn Abū ‘Abd Allāh Muḥammad b.‘Alī b. Muḥammad b. al-‘ Arabī al-Ḥātimī al-Ṭā'ī, surnommé par ses disciples tardifs al-Shaykh al-akbar (Doctor maximus), est né à Murcie en Espagne le 27 ramaḍān de l’an 560 de l’hégire (7 août 1165). Son père Muhammad ainsi que son oncle paternel ‘Abd Allāh, nobles de Murcie, se rangeaient parmi les savants en matière de jurisprudence musulmane (fiqh) et de tradition du Prophète (ḥadīth). Il naît donc dans un milieu que distinguent l’aisance matérielle et l’amour du savoir, et grandit dans une atmosphère de piété. Il fut surtout influencé par sa mère et par son oncle paternel ‘Abd Allāh. Vers l’âge de 7 ans, il suit sa famille à Séville, devenue le centre administratif des Almohades en Andalousie, et la capitale intellectuelle de leur empire englobant l’Afrique du Nord entière. C’est là qu’Ibn ‘Arabī commence à acquérir la culture musulmane classique, tant religieuse que littéraire. Ses biographes affirment qu’à peine adolescent il avait déjà fait le tour des sciences islamiques. Ses dons extraordinaires ainsi que le rang de son père lui valent d’être choisi comme secrétaire à la chancellerie de Séville. Il épouse alors une jeune fille de grande famille andalouse, Maryam bint ‘Abdūn, qui représentait à ses yeux, comme il le dit lui-même, l’idéal de la vie spirituelle. Ce mariage occasionna cependant dans sa vie personnelle une crise profonde qui en bouleversa le cours. À la suite d’une maladie qui le mit aux portes de la mort, il abandonna son existence de lettré et de haut fonctionnaire. Il avait donc environ 20 ans lorsqu’il entendit l’appel du Ciel à la vie réelle et y répondit par l’élection de la “Voie”. Sa conversion s’exprima d’abord par une retraite de 9 mois, sous la direction d’un maître spirituel, Abu Dja‘far al-‘Uraynī (de Loulé, près de Silves au Portugal), qui se consacrait à la formation des jeunes attirés par la vie spirituelle. Une fois achevée sa retraite, Ibn ‘Arabī orienta désormais son existence et son activité vers l’approfondissement des études métaphysiques et traditionnelles, la visite des grands maîtres spirituels en différents lieux pour profiter de leur expérience, la composition d’ouvrages ésotériques, la formation des âmes aspirant à la vie de la pensée pure et de la spiritualité.
À coup sûr, les dons innés d’Ibn ‘Arabī, la qualité de son milieu familial concoururent à faire éclore sa nouvelle vocation : au seuil de l’âge adulte, les caractéristiques tant intellectuelles que spirituelles de sa personne s’affirmaient pleinement. Dès son entrée dans la Voie se manifestèrent des phénomènes psychiques exceptionnels qui attirèrent la curiosité du grand philosophe de Cordoue, Averroès (Ibn Rushd). Celui-ci était un ami personnel du père d’Ibn ‘Arabī ; il lui manifesta le désir de faire la connaissance de son jeune fils. Ibn ‘Arabī a enregistré dans les Futūhāt al-Makkiyya le récit de cette rencontre mémorable entre 2 esprits diamétralement opposés quant à leur vision du monde et leur conception du salut : Averroès, représentant la stricte obédience au pur aristotélisme, y est confronté à celui que ses disciples devaient plus tard nommer le platonicien par excellence (Ibn Aflātūn).
Le premier maître d’Ibn ‘Arabī dans cette Voie fut donc Abu Dja‘far (ou Abul-‘Abbās) al-‘Urayni. Le jeune mystique décrit en ces termes sa première rencontre avec lui : « J’entrai chez le Maître, et le trouvai complètement absorbé dans la récitation des noms divins [al-dhikr]. Sachant mon besoin, il me demanda : As-tu décidé d’entrer dans la Voie ? Je répondis : Quant au serviteur, il est décidé. Mais c’est à Dieu qu’appartient la confirmation. Il dit : Ô mon fils, ferme la porte, coupe les liens, sois dans la compagnie du Libéral, Il te parle sans voile » (Rūḥ al-Quds). Ibn ‘Arabī eut aussi pour maître Yūsuf al-Qaysī, qui avait été disciple d’Abū Madyan, patron de Tlemcen, et qui fit ensuite un séjour en Égypte. À son retour en Afrique du Nord, on proposa à al-Qaysi le poste de gouverneur de Fez, mais il refusa, préférant se consacrer au service de Dieu. Il suivait la règle des Malāmati, fondée sur la droiture de l’esprit, et l’effacement de l’individualité devant le Principe. C’est avec ce maître maghrébin qu’Ibn ‘Arabī lut pour la première fois le traité soufi classique de la Risālāt al-Qushayrī. Il faut citer encore parmi les maîtres d’Ibn ‘Arabī en Andalousie : Abū l-Hadjdjādj Yūsuf al-Shubarbuli (du village de Shubarbul près de Séville), qui fut compagnon du grand maître de Séville au XIIIe siècle, Abū Muhammad ‘Abd Allāh b. al-Mudjāhid. Une coutume touchante d’Abū l-Hadjdjādj, qu’Ibn ‘Arabī se plaît à relever, montre sa tendance pacifique : lorsque les agents du sultan entraient chez lui, il disait à ses disciples : « Ô mes enfants, ce sont là les instruments de Dieu sur Terre, qui travaillent à assurer la subsistance des hommes, et il nous convient donc de prier Dieu pour eux, afin qu’ils puissent faire le bien, et que Dieu les aide à accomplir leur tâche ».
L’existence d’Ibn ‘Arabī, dès son entrée dans la Voie et jusqu’à la fin de sa vie vers l’âge de 80 ans, ne fut qu’une recherche de la perfection et une évolution continue vers la vérité et la paix. Son désir de pénétrer le secret des choses et ses recherches des moyens appropriés ne connaissaient pas de limites, car il eut, dès le premier pas, la certitude de marcher dans la voie des principes éternels. C’est pourquoi il fut passionné de connaître tous les degrés de la dévotion dans toutes les religions et toutes les doctrines, au moyen d’une communion directe à l’esprit de leurs fondateurs.
Cependant cette attitude d’ouverture à l’universel n’allait pas dans le milieu andalou sans 2 graves inconvénients. À la longue, en effet, ou bien il lui fallait suivre le courant général l’enserrant de toute part et qui tendait à assujettir ses pensées et ses sentiments à la lettre de la religion, lettre dépourvue d’esprit et de vie : c’était alors la disparition de sa personnalité et l’échec de sa mission, ce qu’il ne pouvait accepter à aucun prix ; ou bien il suivait sa vocation selon les exigences de son esprit et de son cœur, et alors il se heurtait à chaque pas à l’autorité aussi bien spirituelle que temporelle. C’est ce qui arriva. Pour sortir de cette situation, il n’eut d’autre issue que de quitter le Maghreb pour le Proche-Orient, en 1202.
Ainsi commence pour lui une grande aventure de 40 ans dans l’Orient musulman, prolongement de celle, similaire quant au but et quant à la durée, qu’il avait vécue dans l’Islam occidental.
Il séjourne à La Mekke 2 ans, de 1202 à 1204, après avoir traversé rapidement l’Égypte et la Palestine, où il avait visité les sanctuaires de Jérusalem et d’Hébron. Il fut accueilli dans la capitale spirituelle de l’Islam par un vénérable shaykh iranien, qui se distinguait par la force de son esprit et la profondeur de sa science. Il fit aussi connaissance de la sœur de ce shaykh, également remarquable par sa piété et ses connaissances, et de sa fille, Nizām, qui avait reçu du Ciel le triple don de la beauté, de la connaissance et de la sagesse. C’est à la mémoire de Nizām qu’Ibn ‘Arabī composa son immortel dîwân, Tardjumān al-ashwāq (L’Interprète des ardents désirs), qui compte parmi les chefs-d’œuvre, non seulement de la littérature du soufisme, mais de la poésie spirituelle de l’humanité.
De 1204 à 1223, le maître parcourt les différentes régions du monde musulman au Proche et au Moyen-Orient, sauf l’Iran qui était alors le théâtre des attaques mongoles. En 1204, il vint à Mossoul, où l’attirait l’enseignement du grand soufi ‘Ali b. ‘Abd Allāh b. Djāmi‘ ; de lui il reçut la khirqa [manteau symbole de la sainteté] de Khidr [figure légendaire, ni ange ni prophète, réputée initiatrice de Moïse et ayant valeur de guide spirituel pour les soufis], c’est-à-dire l’initiation immédiate où le Maître invisible et divin (al-Khidr) assume et résume la chaîne entière des initiateurs temporels. En 1206, il revint au Caire avec un groupe de soufis andalous qui vivaient tous dans un quartier populaire, Zuqāq al-qanādil. Un juriste le dénonça alors à l’autorité et réclama sa tête. Mais grâce à l’intercession d’un ami auprès du souverain ayyubide al-Malik al-‘Adil, Ibn ‘Arabī fut libéré. Il prit alors de nouveau la route de La Mekke où l’accueillirent ses amis iraniens qu’il n’avait pas revus depuis 3 ans. Il y séjourna jusqu’en 1210, puis repartit pour Qonya en Anatolie, où le sultan Kay-Khusraw Ier le reçut avec solennité. Un an plus tard il vint à Baghdād d’où il adressa, dans le courant de la même année 1211, au sultan Kay Kā’ūs de Qonya, à l’occasion de son accession au trône, un message politique dans lequel il l’exhortait à tenir bon devant les croisés et à s’occuper sérieusement des affaires de la communauté musulmane qui se trouvait sous son autorité.
De 1224 jusqu’à sa mort, le maître est définitivement installé à Damas qu’il ne quittera plus que pour de rares visites de dévotion en Terre Sainte musulmane. La sécurité matérielle et la paix de l’esprit dont il jouissait alors contribuèrent au prolongement de sa vie et à l’épanouissement de son activité intellectuelle. Il mourut à Damas, entouré de sa famille, de ses disciples et de ses proches, dans la nuit du vendredi 28 rabī‘II en l’an 638 de l’hégire (15 nov. 1241). Il fut inhumé dans le mausolée familial d’Ibn Zaki à Damas, dans le quartier al-Salihiyya, au pied de la colline de Qasiyūn. En 1517, le grand sultan ottoman Selim Ier, après avoir conquis la Syrie et l’Égypte, fit construire à Damas une mosquée-mausolée à la mémoire de celui que le monde ottoman considérait depuis 3 siècles comme un chef spirituel et un maître de pensée. Cet édifice est resté intact et continue d’être un lieu de pèlerinage.
L’œuvre et les problèmes d’attribution
[ci-dessous : couverture de La sagesse des prophètes traduite par Titus Burckhardt. Elle a pour motif un sceau (Katham) en lettres kouliques monumentales, reprenant 4 fois la formule “huwah-Allah” (Lui [est] Dieu) en forme de svastika]
L’œuvre d’Ibn ‘Arabī pose un problème complexe à un double point de vue. D’une part, il est malaisé de faire le départ entre les ouvrages authentiques et les ouvrages apocryphes. La dispersion de l’œuvre, parfois dans des endroits ignorés, fait obstacle à un recensement exact. D’autre part, il est difficile de distinguer avec précision les œuvres qui furent écrites en Afrique du Nord et celles qui le furent dans le Proche-Orient. Pour élucider ce problème de classification chronologique, on peut relever qu’Ibn ‘Arabī lui-même, vers la fin de sa vie, a laissé 2 listes de ses écrits, dans lesquelles il n’a enregistré que 317 titres, tout en déclarant qu’elles n’étaient pas exhaustives. De cet ensemble seulement 106 titres ont leur correspondant dans le répertoire général de son œuvre, alors que dans les divers fonds de bibliothèques de l’Orient et de l’Occident près de 948 titres d’œuvres lui sont attribués, mais ne se trouvent pas dans les listes établies par lui. L’auteur de cet article, durant la préparation du répertoire général de l’œuvre d’Ibn ‘Arabī [Histoire et classification de l'œuvre d'Ibn 'Arabî, 2 vol., Damas, 1964] (préparation qui a exigé plusieurs années de labeur et de recherches et la consultation de la plupart des fonds de manuscrits qui se trouvent au Proche et Moyen-Orient et en Afrique du Nord), a constaté que chaque fois qu’un manuscrit anonyme apparaît avec des caractéristiques ésotériques, ou philosophiques, ou mystiques, le copiste ou l’archiviste, même hautement spécialisé, l’attribue immédiatement à Ibn ‘Arabī.
La partie de l’œuvre qu’on peut consulter donne une idée des thèmes, des modes de composition et des intentions de l’auteur. Elle traite des sujets suivants : exégèse, tradition prophétique ; ésotérisme ; métaphysique ; éthique mystique ; jurisprudence ; poésie. Le mode de rédaction s’éloigne de la formule systématique : le maître se plaît, en effet, à aborder dans un même ouvrage ou un même chapitre une foule de sujets. Sa pensée évolue en spirale à la verticale, autour de la même idée centrale, s’éloignant d’elle et y revenant sans cesse, l’idée qui a dominé et oriente toute sa vie : l’ésotérisme.
Trois ouvrages représentatifs
Des difficultés majeures se présentent lorsqu’on veut exposer objectivement et avec certitude la doctrine d’Ibn ‘Arabī : tout d’abord, son œuvre n’a pu être publiée en entier ; d’autre part, ce qui est actuellement édité (à peine une quarantaine d’ouvrages) ne l’a pas été, à quelques exceptions près, d’une manière scientifique et ne permet pas de discerner nettement entre les écrits authentiques et les apocryphes ; enfin, Ibn ‘Arabī a lui-même expressément voulu disperser sa doctrine dans l’immense production de ses œuvres, s’abstenant volontairement d’employer la forme de l’exposé méthodique. C’est pourquoi l’on est tenu d’approcher la doctrine avec précaution et de s’en tenir à l’analyse de 3 livres représentatifs : Al-Futūḥāt al-Makkiyya, Al-Tadjalliyat al-ilāhiyya et Fusūs al-ḥikam.
Le livre des conquêtes spirituelles de La Mekke
Il est hors de doute que le Kitāb al-futuhāt al-Makkiyya soit une œuvre authentique du maître, car le texte autographe a été conservé. L’auteur avait commencé la rédaction de la première version à La Mekke, en 1203 ; après en avoir rassemblé les matériaux et tracé le plan, il mit 30 ans à la réalisation du projet. L’ouvrage, dans sa conception primitive, se compose de 560 chapitres, divisés en 6 grandes sections. La première, al-Ma‘ārif (les doctrines), a 60 chapitres ; la deuxième, al-Mu‘āmalāt (les pratiques spirituelles), en a 116 ; la troisième, al-Aḥwāl (les états spirituels), 90 ; la quatrième, al-Manāzil (les demeures spirituelles), 114 ; la cinquième, al-Munāzalāt (l’affrontement spirituel), 78 ; la sixième, al-Maqāmāt (les étapes spirituelles), 99.
Ces différentes parties sont organiquement agencées. Tout au début, Ibn ‘Arabī pose les fondements doctrinaux, essentiellement ésotériques, qu’il estime nécessaires au soufi dans sa montée vers le Réel. Il part de la science des lettres (cabale) et termine par un exposé sur les secrets des rites religieux. Ce qui est surprenant dans cet exposé doctrinal, c’est que l’auteur n’y fait aucune place à la théologie, que ce soit sous sa forme de simple exposé de la profession de foi destinée au peuple ou sous sa forme théorique à l’usage des élites. Il semble que, pour le maître, cette discipline (‘ilm al-kalām) soit secondaire et qu’elle doive trouver sa vraie place dans une introduction aux doctrines. Ibn ‘Arabī ne consacre aucune section non plus à l’exposé de sa propre profession de foi. Cependant, après avoir traité de la triple profession de foi : celle du peuple, celle des théologiens (mutakallimūn) et celle des philosophes, il dit qu’il faut chercher la sienne dans les diverses références qu’il y fait au cours de son œuvre entière.
Après cette partie doctrinale, qui est en quelque sorte le versant théorique de son système et sa vision de l’Être, il en vient aux pratiques (mu‘āmalāt) que le pèlerin doit suivre pour son avancement spirituel et sa perfection personnelle. Puis il décrit les ahwal, c’est-à-dire les états par lesquels le soufi doit passer, et les évènements auxquels il doit faire face dans son ascension vers le Roi. Viennent ensuite les manāzil (les demeures spirituelles), qui sont les endroits où le Bien-Aimé a laissé les traces de sa présence sur cette terre d’exil et de souffrance. Le soufi s’arrête à ces demeures pendant quelques instants fugaces et y trouve réconfort et consolation. Reprenant alors son ascension, le chevalier spirituel va vers l’affrontement (munāzalāt), le rendez-vous de l’âme avec son Époux, qui n’est autre que le grand combat que l’homme doit soutenir pour conquérir le château de l’âme et le Ciel perdu. Et voilà que le soufi arrive aux sphères supérieures de notre être (māqamāt), l’ultime étape de la perfection, où s’achève le pèlerinage de l’esprit et se parachève l’existence.
Comme on peut le voir par ce plan, les Futūhāt sont essentiellement un exposé du problème de l’Homme.
Le livre des théophanies divines
Ibn ‘Arabī rédigea le Kitāb al-tadjalliyāt al-ilāhiyya à Mossoul, lors de ses pérégrinations dans le Proche-Orient, vers la fin de l’an 1204. Il y développe son idée maîtresse concernant le monisme (tawhīd), problème à la fois théologique et philosophique. Pour exposer sa pensée, il choisit la forme d’un dialogue imaginaire avec les grands maîtres spirituels de l’Orient qui l’ont précédé. Pour lui, la notion de l’unité divine en théodicée doit amener à conclure à l’unité de l’Être en ontologie et de ce fait à distinguer un monisme théologal et un monisme ontologique qu’il estime intrinsèquement liés l’un à l’autre. En effet, si le premier n’était pas parachevé par le second, la notion même de l’unité divine serait métaphysiquement altérée. Puisqu’il y a unité au niveau du divin, il y a forcément unité au niveau de l’Être. D’autre part, si, du point de vue théologique, Dieu est l’unique objet de la foi et de l’adoration, ce même Dieu, du point de vue ontologique, est le sujet suprême de l’Être. Ibn ‘Arabī refuse ainsi tout dualisme au sein de l’Être, même conçu en termes d’analogie, car cela aboutirait inévitablement à introduire le dualisme au niveau du divin... Mais, dans cette perspective, quel est le statut existentiel de tout ce qui est autre que Dieu ? À cette question cruciale Ibn ‘Arabī répond : ce sont les lieux d’apparition de l’Être, les formes où le divin révèle son existence ou, si l’on prend son image préférée, les miroirs épiphaniques dans lesquels se reflète la gloire de l’Être, depuis la matière première jusqu’à l’intellect suprême. Quoi qu’il en soit, cet Être dont Ibn ‘Arabī affirme l’unité doit être considéré de 2 manières et selon 2 plans : celui des faits concrets — c’est-à-dire l’Être dans sa manifestation extrinsèque — et celui des principes, à savoir l’Être en tant que tel, indépendamment de tout attribut inhérent ou accidentel.
Dans le premier cas, l’Être (wudjūd) désigne l’Acte qui produit l’existence [le "trouver à l'intérieur de soi" cher aux mystiques de l'École de Bagdad]. Il est īdjād ou Être à l’impératif, comme le traduit fort justement Henry Corbin. C’est lui l’Acte existenciateur par lequel l’existé revêt sa forme existentielle. En d’autres termes, idjad spécifie le passage de l’être d’un état de pure potentialité à l’état d’actualisation. Grâce à cet idjad, les êtres et les choses sont donc associés à l’Être et participent réellement à son activité créatrice. À ce niveau il convient néanmoins de distinguer nettement entre l’Acte par lequel l’existé vient à l’existence, d’une part, et l’existé en soi quant à son essence et sa nature propre, d’autre part. Cette distinction est nécessaire si l’on veut éviter d’être pris au piège du panthéisme ou du monisme existentiel. La multiplicité des êtres créés — qui sont les lieux épiphaniques de l’Être — n’altère en rien l’unité transcendantale de l’Acte créateur, pas plus que la contingence et le changement, attributs inhérents aux existés, n’affectent l’éternité et l’immuabilité de l’Être en soi.
Ainsi s’éclaire le sens de l’Être (wudjūd) quant à sa réalité essentielle et sa manifestation ad extra. Les mondes extérieurs, de la matière inorganique à l’intellect suprême, ne sont pas des faits étrangers à l’Être ; ils constituent le théâtre où évolue l’Être dans ses actes et ses jeux, exactement comme la pensée s’exprime à travers l’expression, comme la lumière se devine à travers l’ombre.
Quant à l’Être en soi, c’est-à-dire l’Être considéré d’un point de vue purement principiel, il est l’Absolu et l’Inconditionné. Son unité est évidente à l’esprit. Cependant, il faut distinguer entre l’Être absolument inconditionné tant à l’égard de l’universel que du particulier et l’Être inconditionné, soumis à une condition négative, à savoir l’universel conditionné par l’absence de toute détermination particulière. L’idée que l’on se fait ici de l’Être dans son sens absolu et inconditionné s’applique naturellement au premier cas et, par voie de conséquence, à Dieu, en tant que sujet suprême de l’Être. C’est l’absence de tout conditionnement qui permet de concevoir le divin se manifestant sous ses différents modes théophaniques et aussi toute approche mutuelle entre Dieu et l’homme.
Le livre des gemmes de la sagesse
Dans le Kitāb fusūs al-hikam, composé à Damas, 11 ans avant sa mort, Ibn ‘Arabī se propose d’exposer, à la lumière de sa doctrine du monisme ontologique, la vie et l’histoire des prophètes bibliques cités dans le Coran. Plus que tout autre écrit musulman, cet ouvrage mystérieux a provoqué dans le monde de la pensée islamique des remous et des réactions violentes depuis sa parution jusqu’à l’époque actuelle. Il pose plusieurs problèmes, et d’abord celui-ci : quel sens précis le maître entend-il donner à son œuvre en présentant au lecteur les prophètes cités par le Coran ? Car ces personnalités n’ont de rapports ni avec les récits coraniques ni avec les récits bibliques. En réalité, l’attitude d’Ibn ‘Arabī, simple, mais d’une extrême audace, est en quelque sorte l’illustration de sa doctrine du monisme ontologique et peut se résumer de la manière suivante : si la présentation des prophètes dans le Coran apparaît par rapport aux récits de la Bible comme une interprétation au niveau ou dans le contexte de l’idée religieuse, la présentation de ces mêmes personnages dans l’ouvrage d’Ibn ‘Arabī apparaît comme une interprétation au niveau ontologique, c’est-à-dire que le maître les considère dans leur réalité métaphysique et non comme réalités historiques et religieuses. Une telle perspective est sans précédent dans la littérature islamique.
Mais ici surgit un autre problème clef. Si l’exposé de la vie des prophètes est fondé dans cet ouvrage sur la théorie du monisme ontologique, il est constitué dans sa matière par une autre théorie non moins audacieuse, à savoir la “théorie du Logos”, qu’il convient d’envisager selon trois points de vue : le Logos vis-à-vis du Principe inconnaissable, le Super-Être ; le Logos par rapport au monde extérieur ; le Logos par rapport à l’homme et à sa destinée finale. Le terme technique que donne Ibn ‘Arabī au Logos est al-haqīqa al-Muḥammadiyya (la réalité métaphysique de Muhammad). Vis-à-vis du Principe ou Super-Être, le Logos, d’après Ibn ‘Arabī, est le premier degré de l’Être. Il est la théophanie parfaite du Dieu sur le plan de l’Être absolu. À travers lui et en lui se reflète toute la perfection divine : en tant qu’intelligent, intelligé et intelligence ; en tant qu’aimant, aimé et amour. Le Logos, d’autre part, est vis-à-vis du monde extérieur la cause première de son existence, de son évolution et de sa conservation. Il est la loi qui domine toute chose, l’intelligence qui pénètre tout, l’ordre qui organise et maintient tout. Enfin, vis-à-vis de l’homme et de sa destinée finale, il est non pas la cause immédiate de l’existence de l’homme, mais précisément l’instrument efficace de son évolution spirituelle et de sa destinée éternelle ; car, pour Ibn ‘Arabī, le Logos remplit à l’égard de l’homme 2 fonctions principales : il est source de la prophétie (nubuwa) et l’origine de la sainteté (walāya). Dans ces valeurs et en elles se joue, en effet, le drame de l’homme et de sa délivrance. Par la voie de la prophétie, Dieu annonce sa volonté face à la conscience humaine sous la forme d’une loi céleste et d’un ordre divinement établis. Par la voie de la sainteté, il manifeste sa volonté en la personne du saint, le sommet de la perfection de l’homme, le but suprême de sa vie étant d’identifier sa volonté avec la volonté de Dieu et d’être, corps et âme, un lieu de la manifestation divine.
► Osman Yahia, in : Encyclopédie Universalis ©, 1984.
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