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lundi 11 novembre 2013

« Lapsit exillis » - René Guénon










Symboles de la Science sacrée, René Guénon, éd. Gallimard, 1962 XLIV

« Lapsit exillis »1
 
En parlant du symbolisme de la « pierre angulaire », nous avons eu l’occasion de mentionner incidemment le lapsit exillis de Wolfram d’Eschenbach ; il peut être intéressant de revenir plus particulièrement sur cette question, en raison des multiples rapprochements auxquels elle donne lieu. Sous sa forme étrange2, cette expression énigmatique peut renfermer plus d’une signification : c’est certainement, avant tout, une sorte de contraction phonétique de lapis lapsus ex cœlis, la « pierre tombée des cieux » ; en outre, cette pierre, en raison même de son origine, est comme « en exil » dans le séjour terrestre3, d’où elle doit d’ailleurs, suivant diverses traditions concernant cette même pierre ou ses équivalents, remonter finalement aux cieux4. En ce qui concerne le symbolisme du Graal, il importe de remarquer que, bien qu’il soit le plus habituellement décrit comme un vase et que ce soit là sa forme la plus connue, il l’est aussi parfois comme une pierre, ce qui est notamment le cas chez Wolfram d’Eschenbach ; il peut d’ailleurs être en même temps l’un et l’autre, puisque le vase est dit avoir été taillé dans une pierre précieuse qui, s’étant détachée du front de Lucifer lors de sa chute, est également « tombée des cieux5 ».

 
[1] Publié dans É. T., août 1946.

[2] A. E. Waite, dans son ouvrage sur The Holy Grail, donne les variantes lapis exilis et lapis exillix, car il semble que l’orthographe diffère suivant les manuscrits ; et il signale aussi que, d’après le Rosarium Philosophorium citant Arnaud de Villeneuve, lapis exilis était chez les alchimistes une des désignations de la « pierre philosophale », ce qui est naturellement à rapprocher des considérations que nous avons indiquées à la fin de la même étude.

[3] Lapis exilii ou lapis exsulis, suivant les interprétations suggérées par Waite comme possibles à cet égard.

[4] Nous ne pensons pas qu’il y ait lieu de tenir grand compte du mot latin exilis pris littéralement au sens de « mince » ou « ténu », à moins peut-être qu’on ne veuille y attacher une certaine idée de « subtilité ».

[5] Sur le symbolisme du Graal, voir Le Roi du Monde, ch. V. – Nous rappellerons encore à ce propos le symbole de l’Estoile Internelle, dans lequel la coupe et la pierre précieuse se trouvent réunies, tout en étant dans ce cas distinctes l’une de l’autre.


D’autre part, ce qui semble encore augmenter la complexité de ce symbolisme, mais qui peut en réalité donner la « clef » de certaines connexions, c’est ceci : comme nous l’avons déjà expliqué ailleurs, si le Graal est un vase (grasale), il est aussi un livre (gradale ou graduale) ; et, dans certaines versions de la légende, il s’agit à cet égard, non pas précisément d’un livre proprement dit, mais d’une inscription tracée sur la coupe par un ange ou par le Christ lui-même. Or, des inscriptions, d’origine pareillement « non humaine », apparaissaient aussi en certaines circonstances sur le lapsit exillis1 ; celui-ci était donc une « pierre parlante », c’est-à-dire, si l’on veut, une « pierre oraculaire », car, si une pierre peut « parler » en rendant des sons, elle le peut tout aussi bien (comme l’écaille de la tortue dans la tradition extrême-orientale) au moyen de caractères ou de figures se montrant à sa surface. Maintenant, ce qu’il y a aussi de très remarquable à ce point de vue, c’est que la tradition biblique fait mention d’une « coupe oraculaire », celle de Joseph2, qui pourrait, sous ce rapport tout au moins, être regardée comme une des formes du Graal lui-même ; et, chose curieuse, il se trouve que c’est précisément un autre Joseph, Joseph d’Arimathie, qui est dit être devenu le possesseur ou le gardien du Graal et l’avoir apporté d’Orient en Bretagne ; il est étonnant qu’on semble n’avoir jamais prêté attention à ces « coïncidences », pourtant assez significatives3.

 

 
 
[1] Comme sur la « pierre noire » d’Ourga, qui devait être, de même que toutes les « pierres noires » jouant un rôle dans différentes traditions, un aérolithe, c’est-à-dire encore une « pierre tombée des cieux » (voir Le Roi du Monde, ch. I).

[2] Genèse, XLIV, 5.

[3] La « coupe oraculaire » est en quelque sorte le prototype des « miroirs magiques », et nous devons faire à ce propos une remarque importante : c’est que l’interprétation purement « magique », qui réduit les symboles à n’avoir plus qu’un caractère « divinatoire » ou « talismanique » suivant les cas, marque une certaine étape dans la dégénérescence de ces symboles, ou plutôt de la façon dont ils sont compris, étape d’ailleurs moins avancée, puisqu’elle se réfère malgré tout à une science traditionnelle, que la déviation toute profane qui ne leur attribue qu’une valeur simplement « esthétique » ; il convient d’ajouter, du reste, que ce n’est souvent que sous le couvert de cette interprétation « magique » que certains symboles peuvent être conservés et transmis à l’état de survivances « folkloriques », ce qui montre qu’elle a aussi son utilité. – Notons encore, au sujet de la « coupe divinatoire », que la vision de toutes choses comme présentes, si on l’entend dans son véritable sens (le seul auquel puisse être attachée l’« infaillibilité » dont il est expressément question dans les cas de Joseph), est en relation manifeste avec le symbolisme du « troisième œil », donc aussi de la pierre tombée du front de Lucifer où elle tenait la place de celui-ci ; c’est d’ailleurs également par sa chute que l’homme lui-même a perdu le « troisième œil », c’est-à-dire le « sens de l’éternité », que le Graal restitue à celui qui parvient à la conquérir.

 

Pour en revenir au lapsit exillis, nous signalerons que certains l’ont rapproché de la Lia Failou « pierre de la destinée » ; en effet, celle-ci était aussi une « pierre parlante », et, en outre, elle pouvait être en quelque façon une « pierre venue des cieux », puisque, suivant la légende irlandaise, les Tuatha de Danann l’auraient apportée avec eux de leur premier séjour, auquel est attribué un caractère « céleste » ou tout au moins « paradisiaque ». On sait que cette Lia Fail était la pierre du sacre des anciens rois d’Irlande, et qu’elle est devenue par la suite celle des rois d’Angleterre, ayant été, suivant l’opinion la plus communément admise, apportée par Édouard Ier à l’abbaye de Westminster ; mais ce qui peut paraître au moins singulier, c’est que, d’un autre côté, cette même pierre est identifiée à celle que Jacob consacra à Béthel1. Ce n’est pas tout : cette dernière, d’après la tradition hébraïque, semblerait avoir été aussi celle qui suivait les Israélites dans le désert et d’où sortait l’eau dont ils buvaient2, et qui, selon l’interprétation de saint Paul, n’était autre que le Christ lui-même3 ; elle serait devenue ensuite la pierre shethiyah ou « fondamentale », placée dans le Temple de Jérusalem au-dessous de l’emplacement de l’arche d’alliance4, et marquant ainsi symboliquement le « centre du monde », comme le marquait également, dans une autre forme traditionnelle, l’Omphalos de Delphes5 ; et, dès lors que ces identifications sont évidemment symboliques, on peut assurément dire que, en tout cela, c’est bien toujours d’une seule et même pierre qu’il s’agit en effet.

La Pierre de Fal (irlandais: Lia Fáil) symbolise le pouvoir légitime et la souveraineté. Elle est placée à Tara, la capitale mythique de l'Irlande. D'après la légende, si un homme digne de la royauté suprême s'assoit dessus, la Pierre crie.(Source Wiki)



Il faut bien remarquer cependant, en ce qui concerne le symbolisme « constructif », que la pierre fondamentale dont il vient d’être question en dernier lieu ne doit aucunement être confondue avec la « pierre angulaire », puisque celle-ci est le couronnement de l’édifice, tandis que l’autre se situe au centre de sa base6 ; et, étant ainsi placée au centre, elle diffère également de la « pierre de fondation » entendue au sens ordinaire de cette expression, celle-ci occupant un des angles de la même base.

 
[1] Cf. Le Roi du Monde, ch. IX.

[2] Exode, XVII, 5. – Le breuvage donné par cette pierre doit être rapproché de la nourriture fournie par le Graal considéré comme « vase d’abondance ».

[3] I Corinthiens, X, 4. – On remarquera le rapport qui existe entre l’onction de la pierre par Jacob, celle des rois à leur sacre, et le caractère du Christ ou du Messie, qui est proprement l’« Oint » par excellence.

[4] Dans le symbolisme des Sephiroth, cette « pierre fondamentale » se rapporte à Iesod ; la « pierre angulaire », sur laquelle nous allons revenir tout à l’heure, se rapporte à Kether.

[5] Cf. encore Le Roi du Monde, ch. IX. – L’Omphalos était d’ailleurs un « bétyle », désignation identique à Beith-El ou « maison de Dieu ».

[6] La situation de cette « pierre fondamentale » n’étant pas angulaire, elle ne peut pas, sous ce rapport tout au moins, donner lieu à une confusion, et c’est pourquoi nous n’avons pas eu à en parler à propos de la « pierre angulaire ».

 
Nous avons dit qu’il y avait, dans les pierres de base des quatre angles, comme un reflet et une participation de la véritable « pierre angulaire » ou « pierre du sommet » ; ici, on peut bien parler encore de reflet, mais il s’agit d’une relation plus directe que dans le cas précédent, puisque la « pierre du sommet » et la « pierre fondamentale » en question sont situées sur une même verticale, de telle sorte que celle-ci est comme la projection horizontale de celle-là sur le plan de la base1 ; on pourrait dire que cette « pierre fondamentale » synthétise en elle, tout en demeurant dans le même plan, les aspects partiels représentés par les pierres des quatre angles (ce caractère partiel étant exprimé par l’obliquité des lignes qui les joignent au sommet de l’édifice). En fait, la « pierre fondamentale » du centre et la « pierre angulaire » sont respectivement la base et le sommet du pilier axial, que celui-ci soit figuré visiblement ou qu’il ait seulement une existence « idéale » ; dans ce dernier cas, cette « pierre fondamentale » peut être une pierre de foyer ou une pierre d’autel (ce qui est d’ailleurs la même chose en principe), qui, de toute façon, correspond en quelque sorte au « cœur » même de l’édifice.

Nous avons dit, à propos de la « pierre angulaire », qu’elle représente la « pierre descendue du ciel », et nous avons vu maintenant que le lapsit exillis est plus proprement la « pierre tombée du ciel », ce qui peut d’ailleurs être encore mis en rapport avec la « pierre que les constructeurs avaient rejetée », si l’on considère, au point de vue cosmique, ces « constructeurs » comme étant les Anges ou les Dêvas2 ; mais, toute « descente » n’étant pas forcément une « chute »3, il y a lieu de faire une certaine différence entre les deux expressions.

[1] Ceci correspond à ce que nous avons déjà indiqué au sujet de la projection horizontale de la pyramide, dont le sommet se projette au point de rencontre des diagonales du carré de base, c’est-à-dire au centre même de ce carré. Dans la maçonnerie opérative, l’emplacement d’un édifice était déterminé, avant d’en entreprendre la construction, par ce qu’on appelle la « méthode des cinq points », consistant à fixer d’abord les quatre angles, où devaient être posées les quatre premières pierres, puis le centre, c’est-à-dire, la base étant normalement carrée ou rectangulaire, le point de rencontre de ses diagonales ; les piquets qui marquaient ces cinq points étaient appelés landmarks, et c’est sans doute là le sens premier et originel de ce terme maçonnique.

[2] Ceux-ci doivent être regardés comme travaillant sous la direction de Vishwakarma, qui est, ainsi que nous l’avons déjà expliqué en d’autres occasions, la même chose que le « Grand Architecte de l’Univers » (cf. notamment Le Règne de la quantité et les signes des temps, ch. III).

[3] Il va de soi que cette remarque s’applique avant tout à la « descente » de l’Avatâra, bien que la présence de celui-ci dans le monde terrestre puisse être aussi comme un « exil », mais seulement suivant les apparences extérieures.

 
En tout cas, l’idée d’une « chute » ne saurait plus aucunement s’appliquer lorsque la « pierre angulaire » occupe sa position définitive au sommet1 ; on peut encore parler d’une « descente » si l’on rapporte l’édifice à un ensemble plus étendu (ceci correspondant, comme nous l’avons dit, au fait que la pierre ne peut être placée que par le haut), mais, si l’on considère seulement cet édifice en lui-même et le symbolisme de ses différentes parties, cette position elle-même peut être dite « céleste », puisque la base et le toit correspondent respectivement, quant à leur « modèle cosmique », à la terre et au ciel2. Maintenant, il faut encore ajouter, et c’est sur cette remarque que nous terminerons, que tout ce qui est situé sur l’axe, à divers niveaux, peut être regardé, d’une certaine façon, comme représentant des situations différentes d’une seule et même chose, situations qui sont elles-mêmes en rapport avec différentes conditions d’un être ou d’un monde, suivant qu’on se place au point de vue « microcosmique » ou au point de vue « macrocosmique » ; et, à cet égard, nous indiquerons seulement, à titre d’application à l’être humain, que les relations de la « pierre fondamentale » du centre et de la « pierre angulaire » du sommet ne sont pas sans présenter un certain rapport avec ce que nous avons dit ailleurs des « localisations » différentes du luz ou du « noyau d’immortalité3 ».

 
[1] Elle le pourrait seulement quand, avant sa mise en place, on considérait cette même pierre dans son état de « réjection ».

[2] Voir Le symbolisme du dôme et aussi La Grande Triade, ch. XIV.

[3] Voir Aperçus sur l’initiation, ch. XLVIII. – Ce rapport avec le luz est d’ailleurs suggéré nettement par les rapprochements que nous avons indiqués plus haut avec Béthel et avec le « troisième œil » (voir à ce sujet Le Roi du Monde, ch. VII).

dimanche 10 novembre 2013

Sur la Fraternité des Chevaliers du divin Paraclet


 

 
Louis Charbonneau-Lassay se trouva recueillir le dépôt d’une « société mystique », dont les origines remontent au 15e siècle : L’Estoile internelle. -   Elle incorporera plus tard une autre société : La  Fraternité des Chevaliers du divin Paraclet. Ainsi affirme-t-il dans Le Bestiaire du Christ : « J’aurai l’occasion de citer plusieurs fois dans la suite de cet ouvrage, l’un de ces groupements secrets du Moyen-Âge qui s’est conservé jusqu’à nous, L’Estoile internelle, lequel possède des archives très anciennes, notamment un recueil de symboles, datant de la fin du XVe siècle ; il m’a été exceptionnellement communiqué par ce groupe même, pour le présent travail, après la publication de plusieurs chapitres dans l’ancienne revue  Regnabit ».

Cette société présentait, à l’époque où il en aura connaissance, dans les années 30, des documents suffisamment complets pour envisager la possibilité d’une initiation chrétienne :  « J’ai été plusieurs fois obligé déjà, pour être sincère et moins incomplet, de faire allusion à ces groupements mystiques et secrets du Moyen-Âge peu connus, comme, par exemple, à la Fede Santa, dont Dante paraît avoir été l’un des chefs, et qui était « une sorte de tiers-ordre de filiation templière », certains, parmi ces groupements hermétiques étaient en parfait accord avec la plus strict orthodoxie, tout en détenant parfois pour eux des secrets séculaires étrangement troublants ; c’est le cas de l’Estoile Internelle qui n’a jamais compté plus de douze membres, et qui existe encore avec les manuscrits originaux du XVe siècle, de ses écrits constitutifs et de doctrine mystique ».  René Guénon lui-même avait répondu « d’une manière favorable quant au caractère orthodoxe et sain de cette organisation », toutefois, la trace de cette organisation se perd rapidement après la mort de Louis Charbonneau-Lassay – et on sait que Guénon lui-même en conclura que les possibilités d’initiation chrétienne étaient désormais totalement exclues en Occident, du moins dans des conditions « habituelles et régulières ».

Lettre de Marcel Clavelle (Jean Reyor) sur la Confrérie du Paraclet
[…] J’en viens tout de suite à la question qui vous intéresse plus particulièrement, je veux dire à l’organisation chrétienne à laquelle j’ai fait allusion dans ma précédente lettre et au sujet de laquelle vous avez, je crois, écrit dernièrement à M. Guénon, à la fois en votre nom et au nom de Mme la Comtesse Humnicka. Le plus simple est que je reprenne les choses par le commencement, c’est-à-dire en remontant à l’époque déjà lointaine où j’ai eu connaissance de cette possibilité d’initiation. Vers l’année 1932, je fus frappé par des allusions faites par M. Charbonneau-Lassay dans plusieurs de ses articles à des organisations chrétiennes fermées dont l’enseignement lui avait permis de mieux comprendre la signification de certains symboles chrétiens. Comme M. Charbonneau-Lassay avait personnellement connu M. Guénon, il me fut assez facile d’entrer en relations avec lui (je veux dire avec M. Charbonneau-Lassay), et je me permis de l’interroger sur les dites organisations. M. Charbonneau-Lassay me parla seulement, tout d’abord, d’une seule organisation, l’Estoile Internelle dont il avait vu les documents originaux remontant au XVème siècle. Cette organisation, depuis cette époque tout au moins, n’avait jamais comporté que 12 membres se recrutant par cooptation, c’est-à-dire qu’il s’agissait d’une Organisation vis-à-vis de laquelle on ne pouvait pas faire acte de postulant. Chaque membre se choisissait un successeur, qui prenait sa place lors de sa mort. M. Charbonneau-Lassay se défendait d’être membre de cette organisation et affirmait qu’on l’avait seulement autorisé à compulser les archives. L’existence de l’Estoile Internelle ne fournissait aucune solution au problème du rattachement initiatique pour des Catholiques mais j’avais l’impression que M. Charbonneau-Lassay tenait certaines choses en réserve. J’entretins pendant plusieurs années des relations assez suivies avec M. Charbonneau-Lassay et j’eus même l’occasion de lui rendre quelques services pour ses travaux. Nos relations devinrent à la longue plus intimes, et comme je revenais sans cesse sur cette impossibilité pour des Chrétiens de trouver une initiation dans leur propre tradition, il finit par me révéler qu’il y avait, en effet, autre chose. Depuis le XVème siècle également, il existait des documents sur une organisation appelée “Fraternité des Chevaliers du Divin Paraclet”, dont le nombre de membres n’était pas limité. En 1668, cette organisation, qui florissait particulièrement dans l’Ile de France, la Beauce, le Maine, l’Anjou et le Poitou, se trouvait réduite à un petit nombre de membres qui, pour des raisons qui nous sont inconnues, ne désiraient pas faire de nouveaux initiés. Il se trouvait alors que le Chevalier-Maître de la Fraternité du Paraclet était, en même temps, un des 12 membres de l’Estoile Internelle. Il fut décidé que la Fraternité du Paraclet serait mise en sommeil, et ses archives confiées à l’Estoile Internelle. Toutefois, pour assurer la continuité de la transmission de cette forme d’initiation, il fut convenu qu’à chaque génération, plusieurs des membres de l’Estoile Internelle recevraient l’investiture de la Chevalerie du Paraclet, afin qu’on puisse, dans la suite des temps, si on le jugeait opportun, réveiller cette Fraternité, dans laquelle l’initiation peut être transmise d’homme à homme, et n’est pas collective. Deux siècles passèrent dans cette situation. La Révolution Française faillit amener l’extinction de la chaîne par la mort de la plupart des membres de l’Estoile Internelle, mais un des survivants, âgé de plus de 80 ans, put quand même, avant de mourir, assurer la transmission des deux organisations. Dans la seconde moitié du XIXème siècle, les chefs de l’Estoile Internelle tentèrent, à diverses reprises, de réveiller la Fraternité du Paraclet, mais se heurtèrent, à chaque fois, aux scrupules, d’ailleurs injustifiés des Catholiques qu’ils avaient pressentis, et qui craignaient de s’engager dans une voie qui leur paraissait susceptible de n’être pas approuvée par les Autorités Ecclésiastiques. Le choses restèrent en l’état jusqu’en 1925, époque où un vieil archiprêtre de la cathédrale de Poitiers, que M. Charbonneau-Lassay connaissait depuis de longues années, lui révéla l’existence des deux organisations dont il était alors le chef et il proposa à M. Charbonneau-Lassay de lui transmettre l’initiation du Paraclet, sous l’engagement de reconstituer cette organisation s’il en apercevait la possibilité. Au moment où M. Charbonneau-Lassay me fit cette confidence, rien n’avait encore été fait dans ce sens. M. Charbonneau-Lassay s’était bien ouvert à ce sujet à l’un de ses amis, qui était, je crois, un homme tout à fait remarquable, le Comte Palud du Bellay, mais la mort de celui-ci, survenue en 1929, était venue tout arrêter. Je dois dire que je trouvais M. Charbonneau-Lassay fort hésitant, et, pour le décider à tenter ce réveil, je dus lui apprendre que certains de ceux qui suivaient René Guénon et qui recherchaient une initiation s’étaient décidés à entrer en Islam, faute de trouver quelque chose du côté chrétien. M. Charbonneau me demanda alors si je connaissais des personnes sûres qui seraient intéressées à la reconstitution de cette fraternité. Je lui dis que c’était mon cas et celui d’un de mes amis, pour commencer. C’est ainsi qu’en septembre 1938, je reçus l’investiture du Paraclet, et présentai à M. Charbonneau-Lassay celui qui devait devenir son successeur. J’avais reçu également de M. Charbonneau-Lassay le pouvoir de transmettre à mon tour, et nous fîmes quelques initiations au cours de l’année 1939.
Il faut, ici, que j’ouvre une parenthèse. J’avais communiqué à M. Guénon toutes les indications nécessaires pour qu’il puisse se faire une idée de la nature exacte de la transmission du Paraclet. M. Guénon conclut d’une manière favorable quant au caractère orthodoxe et sain de cette organisation, mais nous dûmes constater que, dans l’état où les choses étaient présentées par M. Charbonneau-Lassay, il y avait de graves lacunes, en ce sens qu’on ne trouvait pas trace d’une méthode quelconque et qu’il ressortait des documents eux-mêmes que certaines choses avaient été perdues en cours de route. De sorte qu’à l’examen, il apparaissait que la survivance de cette organisation présentait moins d’intérêt qu’on eût pu le croire tout d’abord. Devant cette situation, et sur le conseil de M. Guénon, je me décidai, ayant l’impression d’avoir tenté tout ce qu’on pouvait tenter du côté chrétien, à passer en Islam où je reçus la Barakah en 1943. Par une bizarrerie dont les causes me sont demeurées inconnues, c’est seulement quelques mois avant sa mort que M. Charbonneau-Lassay devait transmettre à celui qui est devenu son successeur, un complément qui, s’il ne constitue pas une méthode complète et détaillée, constitue du moins un élément de méthode très appréciable.
Précisément parce qu’il ne s’agit que d’un élément de méthode, il aurait été possible de procéder à un développement par analogie avec certaines méthodes islamiques et mon appartenance aux deux formes aurait pû apparaître comme une circonstance providentielle à cet égard. Mais je me suis heurté là à la susceptibilité du successeur de Charbonneau-Lassay et de son adjoint. D’autre part, il me semble qu’on aurait eu avantage à recourir sur certains points aux connaissances de M. Guénon, alors qu’on s’est plutôt efforcé de le tenir à l’écart, oubliant, plus ou moins volontairement, que c’était à lui, en dernière analyse, qu’on était redevable du réveil de l’organisation. Mais tout ceci n’entame assurément en rien l’authenticité et l’orthodoxie de l’organisation en question, et d’ailleurs, s’il en était autrement je ne vous en aurais même pas parlé.
A l’heure actuelle, même pour les personnes qui habitent en France, l’accès de l’organisation est fort difficile et les rattachements extrêmement rares. La raison en est d’ailleurs très légitime, en ce sens que l’état de santé du Chevalier-Maître lui interdit toute activité et que celle de son adjoint est extrêmement réduite par suite de ses conditions d’existence et de sa situation de famille. Comme on ne veut pas rattacher des postulants et les abandonner a eux-mêmes, faute d’avoir le temps de s’en occuper, on a préféré les suspendre à peu près entièrement. Il n’est pas absolument exclu que cette situation se modifie et certains membres de l’organisation souhaiteraient que je la reprenne en mains (M. Guénon n’estime pas incompatible l’exercice de fonctions dans plusieurs initiations différentes) mais cela est encore bien vague.



Articles et Comptes Rendus, Tome 1, René Guénon, éd. Editions Traditionnelles, 2000

 Octobre 1938

 – Dans le Rayonnement Intellectuel (n° de janvier-mars), M. L. Charbonneau-Lassay consacre un article au Saint Graal, aux origines celtiques et aux développements chrétiens de sa légende, et aux figurations de la coupe en rapport avec le sang du Christ. Il rapproche la pierre rouge placée dans une coupe, insigne principal de la mystérieuse organisation de l’Estoile Internelle, de la pierre qui est le Graal pour Wolfram d’Eschenbach, et que celui-ci appelle Lapsit exillis, étrange expression que certains interprètent par « pierre tombée du ciel », ce qui évoque l’émeraude tombée du front de Lucifer, mais peut aussi, ajouterons-nous, avoir quelque rapport avec les « pierres noires ». D’autre part, nous citerons ces quelques lignes qui soulèvent une question fort intéressante, quoique sans doute bien difficile à résoudre complètement : « Certains regardent la légende du Graal comme une sorte de prophétie, ou de thème à clef, se rapportant à un corps d’enseignement oral, hautement traditionnel et aujourd’hui secret, qui reparaît par intermittence dans le monde religieux, gardé, dit-on, par des dépositaires d’élite providentiellement favorisés en vue de cette mission…
L’enseignement oral dont il est ici question aurait fleuri dès les premiers siècles chrétiens et serait tombé presque en oubli peu après la paix de Constantin, en 311, et jusqu’à la brève renaissance carolingienne, après laquelle il aurait subi une nouvelle éclipse durant le Xe siècle ; mais pendant le XIe et le XIIe – le “cycle de l’Idée pure” – son influence sur de hauts esprits aurait été considérable, jusqu’à ce que, sous le règne de saint Louis, il disparaisse de nouveau… Énigme historique, si l’on veut, dont on ne doit parler qu’avec réserve ». – Dans le numéro d’avril-juin, il étudie les vases de Jérusalem, de Gênes et de Valence, qui furent considérés comme ayant servi à la Cène, et qui jouèrent ainsi en quelque sorte un rôle de « substituts » du Saint Graal, bien que, en réalité, celui-ci ait été évidemment bien autre chose qu’une coupe matérielle.