samedi 28 décembre 2013

René Guénon et la Loge "La Grande Triade" - Denys Roman

 
 

 
 
 
 
 
 
 
DENYS ROMAN
 
RENÉ GUÉNON ET LA LOGE


« LA GRANDE TRIADE » *



Suivi de
 
 
NOTE ADDITIONNELLE SUR L'ASTROLOGIE ET LA GÉOGRAPHIE SACRÉE
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

vendredi 27 décembre 2013

En attendant l'heure de la puissance des ténèbres - Denys Roman




 

* Ce texte a été publié dans la revue « Vers la Tradition », n° 11-12 de juil.-août-sept.-oct. 1984.

 

Durant les années qui suivirent la libération de la France, certains lecteurs de René Guénon, qui avaient retrouvé avec joie la publication régulière de ses articles et de ses chroniques, se plaignaient parfois (entre eux) de ce que le Maître se laissât trop souvent aller à discuter sur « des détails de symbolisme», au lieu de traiter de la seule chose qui importe vraiment : la réalisation métaphysique.

Un tel« reproche » - l'avouerons-nous ? - ne laissait pas de nous surprendre, venant de guénoniens. A plusieurs reprises, en effet, Guénon avait mentionné qu'il s'inspirait, pour ses écrits, des événements qui se produisaient dans le monde et qui devait forcément « manifester » certaines de ces réalités d'un ordre supérieur auxquelles seules il attachait quelque intérêt. Négliger ces événements, c'était, selon lui, admettre qu'ils sont le fait du « hasard », conception foncièrement anti traditionnelle, mais à laquelle certains philosophes ultra-modernes, qui se targuent parfois de « spiritualisme », attribuent dans l'évolution du Cosmos un rôle prépondérant.

Si Guénon, cela est vrai, après la Seconde Guerre mondiale, a mis un accent particulier sur l'importance du symbolisme traditionnel, c'est, pensons-nous, parce que les circonstances lui en avaient montré l'opportunité. Rappelons, en particulier, que cette époque fut marquée par la fondation d'une Loge maçonnique dont les travaux devaient s'inspirer de l'enseignement de Guénon. Pour le dire en passant, le Maître fut toujours surpris que l'intérêt constamment témoigné par lui à la Franc-Maçonnerie ne fut longtemps partagé que par un tout petit nombre de ses « disciples ». La réputation politicienne et occultiste de certaines Obédiences françaises pourrait expliquer ce manque d'enthousiasme, mais en tout cas Guénon l'a toujours déploré.

Dans les « critiques » dont nous parlons ci-dessus, nous avions tout de suite été frappé par l'expression « détails de symbolisme ». Il suffit d'avoir étudié quelque peu les traités sur le symbolisme hermétique pour se rendre compte de l'importance capitale qu'y joue le moindre détail.
Or, on sait les rapports de l'hermétisme avec la Maçonnerie, rapports soulignés par la présence de la racine HRM à la fois dans les noms Hermès et Hiram. Mais nous aurons dans le cours de cet article à insister sur l'importance de certains détails qu'on trouve dans les textes sacrés du Christianisme, et singulièrement dans les plus sacrés de tous ceux qui ont trait à la Passion et à la Résurrection du Christ.

Une des particularités qui distinguent fondamentalement la pensée symbolique de la pensée profane, même « philosophique », c'est l'importance qu'y jouent les différents modes de « correspondance ». On sait, par exemple, les rapports qui relient les sept planètes de l'astrologie traditionnelle aux sept métaux de l'alchimie (et aussi, par extension, aux sept « couleurs » du blason). Nous allons maintenant attirer l'attention sur une correspondance d'un type particulier : celle qu'on peut établir entre les événements de la vie mortelle du Christ et ceux qui ont marqué et qui marqueront l'existence « terrestre » de l'épouse du Christ, qui est l'Église.

Rappelons tout d'abord que l'Église, dans son universalité, comprend à la fois les institutions exotériques connues officiellement sous les noms des différentes Églises, mais aussi l'ésotérisme chrétien, incarné au cours des siècles en diverses organisations qui, pratiquement, ont toutes fini par se résorber dans la seule Franc-Maçonnerie. Pour ne pas alourdir notre exposé, nous nous contenterons de faire un rapprochement entre certains faits qui ont marqué la fin de la vie terrestre de Jésus et ceux (que nous connaissons par la révélation des Écritures) qui marqueront le comportement de l'Église au cours des tribulations de la fin du cycle.

Lors de son arrestation au jardin des Oliviers, le Christ avait dit aux envoyés du prince des prêtres : « C'est maintenant votre heure, l'heure la puissance des ténèbres » (Luc, XXII, 53).

Il fut mis en croix à la sixième heure du jour, et « de la sixième heure à la neuvième, il y eut des ténèbres sur toute la terre » (Matthieu, XXVII, 45 ; Marc, XV, 33 ; Luc, XXIII, 44). Durant cette longue « obscuration », le seul Apôtre présent était Jean, qui avait suivi la « Voie Douloureuse » avec la Vierge Marie et aussi avec quelques femmes parmi lesquelles Marie de Magdala, qui toutes apparaissent dans les Évangiles comme des « myrrhophores », c'est-à-dire des « porteuses de myrrhe », la myrrhe étant, selon Guénon, le « breuvage d'immortalité », le troisième et le plus excellent des présents offerts par les Mages au Christ naissant.

Jean, bien entendu, représente ici l'ésotérisme. Mais où étaient donc les représentants de l'exotérisme ? Tous s'étaient enfuis, à l'exception pourtant de Pierre qui était allé jusqu'au palais de Caïphe où il avait eu le malheur de renier son Maître par trois fois. Rentré en lui-même au chant du coq, il était parti pour « pleurer amèrement », n'ayant pas osé se joindre aux femmes fidèles qui, avec le disciple bien-aimé, avaient eu le courage de monter jusqu'au Golgotha. Nous ne nous arrêterons pas sur la « valeur » exotérique de ces « larmes amères », que nous comparerions volontiers à celles versées par le premier couple humain chassé du Paradis. Mais il convient de rappeler que, dans le langage secret utilisé par Dante et les Fidèles d'Amour, le mot « pleurer » avait une signification très particulière. Les organisations initiatiques d'alors, depuis la destruction de l'Ordre du Temple, avaient décidé de cacher, beaucoup plus complètement qu'auparavant, leurs doctrines et leur existence même. Et c'est le fait de cette « dissimulation » qu'ils désignaient symboliquement par le verbe «pleurer».

Durant ces trois longues heures d'obscurité surnaturelle, nous savons donc que Pierre « pleurait », tandis que Jean recevait du Christ, comme un « dépôt » particulièrement sacré, la garde de sa mère, ce fait exceptionnel ayant eu comme témoins les seules myrrophores. Rappelons aussi qu'à la neuvième heure le Christ, avant de mourir, poussa en hébreu un cri que les assistants prirent pour un appel au prophète Élie; et, dans le symbolisme très complexe de Dante, 9 avait une importance particulière, au point que l'Alighieri a pu écrire : « Béatrice est elle-même le nombre 9. »

La dixième et dernière partie de notre Manvantara est le Kali-Yuga ou âge sombre. Nous sommes à la fin de cet âge de fer, et cette fin connaît une obscuration qui s'accélère rapidement et deviendra bientôt presque totale. Ce sera alors « l'heure de la puissance des ténèbres », qu'on appelle encore le « règne de l'Antéchrist ». Si nous avons raison d'attendre à une telle époque des événements en correspondance avec ceux qui ont précédé la mort du Christ, il devrait se produire quelque chose de comparable à ce que furent autrefois les larmes de Pierre et en même temps une sorte de « promotion » de la fonction de Jean. Nous avons parfaitement conscience de la gravité de ce que nous disons là. Nous savons quel usage peuvent en faire les ennemis de l'Ordre maçonnique, et aussi les chrétiens adversaires de toute idée d'ésotérisme. Mais d'autres avant nous ont envisagé des événements de cet ordre, et ont été frappés par la double prédiction qui termine l'Évangile selon saint Jean et qui semble bien n'avoir pas d'autre but que de faire allusion aux événements des derniers jours. Il est vrai que si la prédiction au sujet de Jean est bien connue (« Je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne »), celle relative à Pierre semble avoir moins attiré l'attention. La voici : « En vérité je te le dis, lorsque tu étais jeune, tu te ceignais toi-même et tu allais où tu voulais. Mais quand tu seras vieux, tu étendras les bras, un autre te ceindra et te mènera là où tu ne voudrais pas aller. »

Cela ne fait-il pas allusion à une certaine perte d'indépendance pour les successeurs de Pierre ?

L'obscurité est, pour la condition « espace », exactement ce qu'est le silence pour la condition « temps », - ce silence qui est le premier des devoirs imposés aux initiés, et que les Fidèles d'Amour symbolisaient par l'injonction de « pleurer ». Mais l'obscurité a deux aspects, l'un maléfique et l'autre bénéfique.

L'obscurité complète symbolise la « mise sous le boisseau » de la Tradition, ou tout au moins de sa partie « visible » : c'est vraiment « l'heure de la puissance des ténèbres ». Mais c'est aussi seulement au sein de cette obscurité que peut s'accomplir le passage d'un cycle à un autre, passage qui est toujours celui de l'âge de fer à l'âge d'or. Pour en revenir au symbolisme évangélique, dans la dernière page du texte johannique, le dernier ordre donné par Jésus à Pierre fut l'injonction : « Suis-moi ! »

Et Pierre, se retournant alors, vit que Jean venait derrière eux, c'est-à-dire les suivait. Quelles que puissent être les dernières et terribles tribulations qui assailliront l'Église dans les derniers jours, on peut être certain que Pierre et Jean se retrouveront alors pour être les serviteurs obéissants du Maître incomparable qui a pu dire : « Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la Lumière de la Vie. »

jeudi 26 décembre 2013

Le Pacifisme du Prophète - Tayeb Chouiref

 

 
 
De nombreux préjugés marquent la conception que se font beaucoup de nos contemporains au sujet du Prophète. Parmi eux, il est une idée reçue qui a la vie dure, à savoir que le Prophète aurait beaucoup combattu dans sa vie et que le combat armé faisait partie intégrante de sa personnalité. Rien n’est plus faux, comme permet de s’en rendre compte une étude impartiale des sources traditionnelles de l’Islam, comme la Sîra et le Hadith. Ces dernières années, les différentes affaires des caricatures du Prophète ont montré l’étendue des préjugés et de l’ignorance abyssale qui  règnent en maître dans certains milieux.
 
J’ai montré dans mon ouvrage comment certains proches du Prophète ont été marqué par sa compassion et la profonde bonté qui émanaient de sa personne. Voici deux extraits qui me semblent significatifs du pacifisme du Prophète, montrant qu’il ne faisait appel à la force qu’en ultime recours.
 
 
Extrait 1 : Volume II, p. 139-140 
 
عن أنس بن مالك : “ما مَسَسْتُ دِيباجاً وَلا حَرِيراً أَلْيَنَ مِنْ كَفِّ رَسُولِ ٱللهِ  وَما شَمَمْتُ رائِحةً قَطُّ أَطْيَبَ مِنْ رائِحةِ رَسُولِ ٱللهِ . وَلَقَدْ خَدَمْتُ رَسُولَ ٱللهِ  عَشْرَ سِنِينَ فَما قالَ لِي قَطُّ “أُفّ” وَلا قالَ لِشَيْءٍ فَعَلْتُهُ : “لِمَ فَعَلْتَهُ ؟” وَلا لِشَيْءٍ لَمْ أَفْعَلْهُ : “أَلا فَعَلْتَ كَذا ؟”
 
(رواه البخاري. حديث صحيح)
 
D’après Anas b. Mâlik : « La main de l’Envoyé de Dieu  était plus douce que le satin ou la soie et son odeur était le plus agréable des parfums. J’ai servi l’Envoyé de Dieu  pendant dix ans sans que jamais il ne me réprimande, et sans que jamais il ne me demande pourquoi j’avais fait telle chose ou pourquoi je n’avais pas fait telle autre. »
 
(Cité par Bukhârî. Hadith authentifié)
 
Commentaires :
 
            Pour ceux qui l’ont connu directement, le Prophète fut l’incarnation du modèle parfait et la personnification des vertus. Afin de partager ce qu’a pu être son vécu avec le Prophète, Anas cite la douceur aussi bien physique que morale qui fut la sienne et l’immense bonté qui émanait de lui. Derrière la ‘‘manière anecdotique’’ d’évoquer sa personnalité en isolant et accentuant un trait, se laisse entrevoir une description très profonde de la spiritualité du Prophète. Ainsi, la douceur de sa main et le parfum qu’il exhale témoignent de la sanctification du Prophète par l’Esprit et la Révélation qui pénétrèrent non seulement son âme mais jusqu’à la moindre parcelle de son corps. Quant à l’immense bonté qu’évoque Anas, elle marque la réalisation des Attributs divins de miséricorde et de pardon et, évidemment, l’effacement total de l’ego et de ses tendances à la domination d’autrui. Comme le remarque P. Nwiya, le Prophète est, pour l’Islam, ‘‘le modèle insurpassable de toute sainteté’’[1].
 
 
Frithjof Schuon :
 
          «‘‘Vous avez dans l’Envoyé de Dieu un bel exemple’’ dit le Koran, et ce n’est certes pas pour rien. Les vertus qu’ont peut observer chez les pieux musulmans, y compris les modalités héroïques auxquelles elles donnent lieu chez les soufis, sont attribuées par la Sunna au Prophète : or, il est inconcevable que ces vertus aient pu se pratiquer à travers les siècles jusqu’à nous sans que le fondateur de l’Islam les ait personnifiées au plus haut degré ; de même, il est inconcevable que des vertus aient été empruntées ailleurs, et on ne verrait du reste pas où, puisque leur conditionnement et leur style sont spécifiquement islamiques. Pour les musulmans, la valeur morale et spirituelle du Prophète n’est pas une abstraction ni une conjecture, elle est une réalité vécue, et c’est précisément ce qui prouve rétrospectivement son authenticité ; le nier reviendrait à prétendre qu’il y a des effets sans cause. Ce caractère mohammédien des vertus explique d’ailleurs l’allure plus ou moins impersonnelle des saints : il n’y a pas d’autre vertu que celles de Mohammed, elles ne peuvent donc que se répéter dans tous ceux qui suivent son exemple ; c’est par elles que le Prophète survit dans sa communauté.»
(Forme et substance dans les religions, Paris, 1975, p. 91-92)
 
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Extrait n°2 : volume Ī, p. 223-224.
 
عن أبي موسى الأشعري : “إِنَّ بَيْنَ يَدَيِ ٱلسَّاعةِ فِتَناً كَقَطْعِ ٱللَيْلِ ٱلْمُظْلِمِ يُصْبِحُ ٱلرَّجُلُ فِيها مُؤْمِناً وَيُمْسِي كافِراً وَيُمْسِي مُؤْمِناً وَيُصْبِحُ كافِراً. القاعِدُ فِيها خَيْرٌ مِنَ ٱلقائِمِ وَٱلقائِمُ فِيها خَيْرٌ مِنَ ٱلْماشِي وَٱلْماشِي فِيها خَيْرٌ مِنَ ٱلسَّاعِي. فَكَسِّرُوا قِسِيَّكُمْ وَقَطِّعُوا أَوْتارَكُمْ وَٱضْرِبُوا سُيُوفَكُمْ بِٱلْحِجارةِ فَإِنْ دُخِلَ عَلَى أَحَدٍ مِنْكُمْ بَيْتَهُ فَلْيَكُنْ كَخَيْرِ ٱبْنَيْ آدَم.”
 
(رواه الحاكم. حديث صحيح)
 
D’après Abû Mûsâ al-Ach’arî : « Peu avant l’Heure dernière, il y aura des séditions aussi ténébreuses que l’obscurité de la nuit. L’homme pourra avoir la foi le matin et l’avoir perdue le soir venu ; de même, il pourra avoir la foi le soir et l’avoir perdu le matin venu. Durant ces troubles, la personne assise sera en meilleure posture que celle qui est debout ; de même, celui qui marche sera en meilleure posture que celui qui s’empresse. Brisez donc vos arcs, arrachez-en les cordes et frappez le tranchant de vos épées contre un rocher ! Et si un agresseur pénètre dans votre demeure, comportez-vous comme le meilleur des deux fils d’Adam. »
 
(Cité par Hâkim. Hadith authentifié)
 
Commentaire :
 
            La fin des temps, dans ce hadith comme dans de nombreux autres, est décrite comme une période très troublée où au désordre extérieur répond le chaos intérieur des âmes. D’où l’image de l’homme qui peut perdre sa foi en l’espace d’une journée ou d’une nuit. On peut considérer que ces deux moments désignent deux modalités différentes de la perte de la foi : le premier cas peut être interprété comme une ‘‘perte active’’ – l’action n’est pas motivée par une intention droite et ne s’appuie pas sur une véritable connaissance – ; et le second peut être entendu comme une ‘‘perte passive’’ de la foi, l’homme se laissant alors déterminé par l’ambiance chaotique dans laquelle il vit.
Le meilleur des deux fils d’Adam, évoqué à la fin de ce hadith, n’est autre qu’Abel dont le Coran rapporte le pacifisme inconditionnel face à la volonté manifeste de son frère Caïn d’attenter à sa vie :
 
 
﴿لَئِنْ بَسَطتَ إِلَيَّ يَدَكَ لِتَقْتُلَنِي ما أَنا بِباسِطٍ يَدِيَ إِلَيْكَ ِلأَقْتُلَكَ إِنِّي أَخافُ ٱللهَ رَبَّ ٱلعالَمِينَ﴾
 
 
« Si tu portes la main sur moi pour me tuer, je ne porterai pas la mienne sur toi pour te tuer car je crains Dieu le Seigneur des mondes. » (Coran, 5, 28)
 
            Autant qu’il lui était possible, le Prophète a tenté d’éviter le recours à la force. Toutefois, parce qu’il eut à constituer une cité et une communauté de croyants, il fut parfois contraint d’y avoir recours par réalisme social et historique. C’est ce que l’on peut appeler un pacifisme conditionnel. Mais la fin des temps n’étant pas destinée à fonder quoi que ce soit, le point de vue du réalisme social n’a plus lieu d’être : seule la démarche spirituelle importe. C’est pourquoi le Prophète recommanda pour cette période le pacifisme inconditionnel, en donnant Abel pour modèle.
 
 
Tayeb Chouiref
 
 
 
 

Oraisons principales de la Tarîqah Mohammediyah Chadhiliyah - Le Porteur de savoir


 
 
Ces données sont principalement extraites du livre de Cheikh Mohammed Zakî ed-Dîn Ibrâhîm El-Beyt el-Mohammedî. 1  Elles rendent compte de manière parfois résumée des principaux awrâd de la Tarîqah dans le but de faire comprendre en quoi ils consistent et quelles sont leurs caractéristiques.


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mardi 24 décembre 2013

A la glorieuse mémoire des deux saints Jean - Denys Roman


 

 
 
 
A la glorieuse mémoire des deux saints Jean*
 

 

* DENYS ROMAN, René Guénon et les destins de la Franc-Maçonnerie, Les Editions de l'OEuvre, Paris, 1982, ch. VIII, pp. 121-129.

 

« C'est toi d'abord dont nous célèbrerons la mémoire, Jean-Baptiste, fils de Zacharie, toi qui as rendu témoignage à la Lumière. En recevant ton nom révélé par un ange, tu as permis à ton père de retrouver la parole qu'il avait perdue. Tu es revêtu de l'esprit et de la vertu d'Élie, le prophète qui monta au ciel dans un char de feu, et qui doit revenir, avec Hénoch, porter témoignage avant le dernier jour. Car tu es un prophète, et plus qu'un prophète. Celui à qui tu rendis témoignage t'a rendu témoignage en ces termes : Parmi ceux qui sont nés de la femme, il n'en est pas de plus grand.

Nous célèbrerons maintenant le fils de Zébédée, Jean Boanergès, que la Vraie Lumière a aimé entre tous. Il est le fils du tonnerre, le dépositaire des secrets cachés au coeur de la Sagesse, le fils de la mère du Verbe, l'Évangéliste de la Lumière et de l'Amour, le voyant de Patmos. Il est l'ami fidèle et parfait qui, à l'heure sombre où les brebis du troupeau sont dispersées, a le privilège d'écouter la voix du Pasteur au pied même de la croix.

 Heureux notre Ordre, auquel il a été donné d'avoir au ciel de tels protecteurs ! »

Ces « honneurs » utilisés par des Maçons guénoniens, réunis à l'occasion des fêtes solsticiales pour la célébration pararituélique de la « Loge de table » (1), rassemblent les principaux traits qui font du précurseur et du disciple préféré du Christ les « types » parfaits du véritable initié. On remarquera tout d'abord que les noms mêmes de ces deux saints personnages ont pour initiales les lettres J et B, qui sont inscrites sur les deux colonnes des Loges maçonniques, rappel des noms (Jakin et Booz) des colonnes du Temple de Salomon.

Indépendamment de cette signification originelle, ces lettres ont aussi des interprétations adventices en Maçonnerie, quelques- unes fort intéressantes. Elles sont les initiales des mots « Juda » et « Benjamin », nom des deux tribus qui lors du schisme de Jéroboam, constituèrent le royaume de Juda, restant ainsi fidèles à la descendance de David. Mais surtout B est l'initiale de Bethléem et J celle Jérusalem, les cités qui virent la naissance et la mort du Christ. Cette dernière signification est capitale, puisque le rôle joué par les deux saints Jean dans la Maçonnerie souligne le fait que cette institution est la plus importante des voies initiatiques ouvertes aux chrétiens. La légende qui fait de Jean-Baptiste et de Jean l'Évangéliste des Grands-Maîtres successifs de l'Ordre maçonnique exprime très probablement la facilité relative avec laquelle les collèges de constructeurs, originellement voués à Minerve-Athéna (2) commencèrent à se « christianiser» avant même la conversion de Constantin (3).

D'autre part les deux Jean sont fils, l'un de Zacharie et l'autre de Zébédée, noms dont l'initiale Z est l'hiéroglyphe de l'éclair. Jean-Baptiste serait-il donc lui aussi « fils du tonnerre » ? Cela est évident, puisqu'il était revêtu de la « vertu » d'Élie, lequel fit descendre la foudre qui consuma l'oblation qu'il offrait au Seigneur sur le mont Carmel, prodige que les 450 prêtres de Baal ne purent obtenir par leurs incantations (4).

L'histoire de Zacharie perdant la parole à cause de son incrédulité et la retrouvant par son obéissance est trop connue pour qu'il soit besoin d'y insister. Son application à la « Parole perdue puis retrouvée» des Francs-Maçons est évidente.

L' « éloge » de Jean-Baptiste que nous avons cité au début de ce chapitre parle non seulement d'Élie, mais aussi d'Hénoch. Ce dernier personnage (parfois qualifié de « héros solaire », parce que, selon la Genèse, « il ne parut plus, ayant été enlevé » par Dieu à l'âge de 365 ans) joue un grand rôle dans les « légendes » de la Maçonnerie. Selon la plus connue, il aurait appris que le monde allait bientôt périr, mais il ne savait pas si ce serait par le feu ou par l'eau ; il construisit deux colonnes, une de briques pour résister au feu, une de bronze pour résister à l'eau. Il grava sur ces colonnes les principes de toutes les sciences, c'est-à-dire ce qui subsistait, depuis la chute, de la révélation primordiale.

Sous Noé, arrière petit-fils d'Hénoch, le déluge survint, et ce fut la colonne de bronze qui subsista. Elle fut découverte par Hermès, d'autres disent par Osiris. Michel Vâlsan, dans un remarquable article sur les hauts grades de l'Écossisme (5), a relevé et commenté les très curieuses allusions faites à Hénoch dans le rituel du 33e degré.

Nous rappellerons enfin qu'on a sous le nom d'Hénoch un livre plus long qu'aucun de ceux qui composent la Bible, et que la presque totalité des Églises chrétiennes ne savent si elles doivent le considérer comme apocryphe ou comme « semi-canonique ». En effet, un passage de ce livre est formellement cité dans l'Épître de saint Jude, universellement reçue comme canonique (6). Cependant, ce Livre d'Hénoch est admis dans le « canon » officiel des Écritures par l'antique Église copte d'Éthiopie. Mais ce qui importe surtout à notre point de vue, c'est que ce livre relate, avec de nombreux détails, la « descente » des anges sur le mont Hermon pour « séduire » les « filles des hommes», épisode auquel il n'est fait dans la Bible que deux fugaces allusions (7). Certains des géants qui naquirent de ces unions contre nature échappèrent au déluge, et c'est d'eux que descendaient les « enfants d'Énac » qui épouvantèrent les douze observateurs envoyés par Moïse dans la terre de Canaan.

La plupart de ces émissaires, à leur retour, dissuadèrent les Hébreux de s'attaquer à de tels adversaires, à côté desquels ils ne paraissaient que « des sauterelles ». Heureusement deux d'entre eux tinrent un autre langage, et la conquête de la Terre promise put s'effectuer assez facilement.

Un autre survivant des géants fut Goliath, qui méprisait tellement son petit adversaire David.

Pour triompher du monstre, le père de Salomon n'eut besoin que d'un jouet d'enfant : une fronde. Si nous avons rapporté ces traditions sur les géants, c'est que Guénon considérait l'histoire de la descente des anges sur le mont Hermon comme l'expression symbolique de l'origine antédiluvienne de la contre-initiation (8). Et tout ce que la Bible dit des géants est porteur d'une « leçon » de la plus haute importance. Les serviteurs de la Vérité trouvent souvent en face d'eux d'autres enfants d'Énac et d'autres Goliath qui s'efforcent de les intimider et de les décourager par leurs rodomontades. Ils ne doivent pas en tenir compte. Quand le vainqueur de Goliath revint chez son peuple, les Israëlites chantaient : « Saül en a tué mille, et David dix mille ». Le nombre dix mille doit être pris ici, comme dans l'expression « la mère des dix mille êtres » du Tao-te-King, comme signifiant un nombre indéfini, c'est-à-dire l'ensemble des êtres donc le monde entier. Et l'on peut appliquer à tout ce que nous venons de dire la devise initiatique  

 

 

Vincit omnia Veritas.

 

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Quant à Jean l'Évangéliste, s'il est « fils du tonnerre », c'est que le Christ lui-même lui a donné ce nom Mystérieux au moment où il constituait le Collège des douze apôtres (9). Mais Jean est aussi « fils de la Vierge », et c'est encore le Christ qui l'a fait tel, quelques instants avant sa mort, en lui disant de Marie : « Voilà ta mère », et en disant à Marie : « Voilà ton fils ». Il faut remarquer qu'il ne s'agit pas là d'une filiation « par adoption et par grâce », mais bien d'une filiation « par nature ».

Le Christ étant le Verbe de Dieu per quem omnia facta sunt, sa parole est créatrice, et l'on peut dire que saint Jean - à l'heure solennelle où son Maître prononçait la plus importante sans doute des « sept paroles » qu'il a proférées sur la croix - est devenu le fils de Marie d'une manière aussi effective que, lors du repas final pris la veille au soir par Jésus et par les douze, le pain et le vin étaient devenus le corps et le sang du Christ.

 

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La Vierge Marie, dans la liturgie catholique, est parfois appelée gloriosa Regina mundi. Le titre de « Roi du Monde », selon René Guénon, s'applique à une « fonction » qui s'exerce en réalité dans les « trois mondes » (10). Cependant, si Marie est fréquemment appelée « Reine des Cieux» et si sa domination sur le globe ne saurait heurter la piété chrétienne, nous ne pensons pas qu'elle ait jamais été qualifiée « officiellement » de « Reine des Enfers ». Mais ce que l'exotérisme n’a pas osé faire, il se pourrait bien que l'ésotérisme l'ait fait, si toutefois on admet que Villon, comme Guénon l'a suggéré (11), était rattaché à quelque organisation hermétique du type de celles que fréquenta Rabelais, organisations qui se reconnaissaient par l'utilisation de l' « argot de la coquille ».

Ainsi, dans la célèbre « Balade » que Villon fit à la requête de sa mère pour prier Notre Dame, l'envoi est constitué par un acrostiche sur le nom même de Villon (12). Or l'emploi de l'acrostiche était familier aux écoles hermétiques : il suffit de rappeler le mot VITRIOLUM, qui est passé dans la Maçonnerie.

L'acrostiche n'est en somme qu'une variante du procédé traditionnel dont parle Guénon à propos de Cesare della Riviera (13).

La ballade dont nous parlons commence ainsi : « Dame des cieux, régente terrienne, - Emperière des infernaux palus. » Il est fort probable que seul un initié pouvait ainsi qualifier Marie d' « Impératrice des marécages infernaux », où elle veille sans doute sur les fidèles de son fils Jean pour leur éviter les périls de la « chute dans le bourbier ».

En écrivant ces dernières lignes, nous pensons à un épisode de la Divine Comédie (14). Dante, traversant en barque avec Virgile et avec Charon « le marécage nommé Styx », y est·en butte aux attaques d'un damné qui s'efforce de l'attirer avec lui « dans la bourbe » où il demeura. Virgile retient son compagnon, et aussitôt après il l'embrasse en lui disant : « Âme noble (15), béni soit le sein qui t'a porté ». Paroles étranges, car à première vue on n'aperçoit pas le rapport entre la mère de Dante et le péril couru par son fils. A notre avis, on doit opérer ici, à l'égard de la mère charnelle des initiés, une transposition analogue à celle qu'effectuaient les Fidèles d'Amour à l'égard de leur « dame ».

De même que les véritables chrétiens, au dire de saint Jean, « ne sont pas nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu », - on peut dire que la véritable naissance (la « seconde naissance ») des initiés chrétiens les fait enfants, non de leur mère selon la chair, mais de Marie ; et ils deviennent, par cette « adoption », les frères de saint Jean (les John's brothers de la Maçonnerie anglaise). « L'initié est fils de la Vierge », a rappelé Guénon, qui mentionne par ailleurs les liens particuliers de Marie avec la Shekinah (16).

Dans certains cas exceptionnels, la maternité spirituelle de la Vierge est symbolisée par le privilège de la « lactation » dont fut notamment favorisé saint Bernard, selon une « légende » longtemps en honneur dans l'Ordre cistercien. Le symbolisme du lait est multiple. Il évoque d'une part, l' « état d'enfance » (bâlya) de la tradition hindoue (17). D'autre part, dans le langage de l'Ancien Testament, la Terre promise (substitut du Paradis terrestre) est « la terre où coulent le lait et le miel ». Ces deux nourritures correspondent au nectar et à l'ambroisie de la tradition gréco-latine, dont la manducation conférait l'immortalité. Et il faut remarquer que saint Bernard a un rapport particulier à la fois avec le lait (par le privilège de la « lactation » de la Vierge) et avec le miel, car il est appelé Doctor mellifluus, Docteur d'où ruisselle une doctrine douce comme le miel.

Dans la tradition hindoue, l'amrita (l'ambroisie des Grecs) est produit par le « baratement de la mer de lait ». Et il faut aussi rappeler le rôle important joué en hermétisme par le « lait de la Vierge » (18).

Ces quelques lignes sur les deux saints protecteurs de la Maçonnerie ne sont évidemment qu'une faible ébauche de ce qui pourrait être dit sur un sujet en étroit rapport avec le symbolisme de Janus, dont Guénon a souligné l'importance et la complexité. Les considérations qu'on trouve dans les Symboles fondamentaux de la Science sacrée ouvrent la voie à maintes découvertes dans ce champ de recherches, par exemple sur les multiples significations des deux colonnes, en rapport notamment avec les douze travaux de cet autre « héros solaire » que fut Hercule. Saint Jean-Baptiste préside à la « porte des Hommes » où Janua Inferni : c'est pourquoi il est dit que lorsque le Christ descendit aux enfers, le premier « juste » qu'il y délivra fut Jean-Baptiste, mis à mort effectivement peu de temps avant la Passion ; saint Jean l'Évangéliste préside à la « porte des dieux » ou Janua Caeli.

Et ce nom de « Porte du Ciel » est, dans le Christianisme, donné par excellence à la mère de Jean, notamment dans ses « litanies », où ce terme figure entre ceux d' « Arche d'Alliance » (lieu de manifestation de la Shekinah) et d' « Étoile du matin » (signe de la levée et de la « croissance » du jour) (19).

Les portes solsticiales - Guénon l'a souligné (20) - déterminent, dans le cercle qui représente le cycle annuel, ce qu'on peut appeler son « axe vertical », qui correspond - si l'on passe du symbolisme temporel au symbolisme spatial - à l'axe du monde.

Dans les traditions hindoue et thibétaine, l'axe du monde est représenté par le vajra, symbole ayant à la fois la nature de la foudre (par son caractère de « lumière céleste ») et celle du diamant (par ses caractères de pureté et de dureté). La dureté, et plus précisément la stabilité, est en effet l'attribut essentiel de l'axe du monde, et aussi de chacune des intersections de cet axe avec les plans successifs qui symbolisent les états multiples de l'être : l'intersection avec le plan humain est le Paradis terrestre.

Revenons aux deux qualités essentielles du diamant : sa pureté et sa dureté. La tradition chrétienne a toujours attribué aux deux Jean la pureté absolue, sous la forme de la virginité. Quant à la dureté, ou plutôt à la stabilité, apanage par excellence de l'axe et du centre, c'est l'Écriture sainte elle-même qui en porte témoignage à l'égard des deux protecteurs de l'Ordre maçonnique. Au début de l'Évangile selon saint Luc, l'archange Gabriel, annonçant à Zacharie la naissance de Jean-Baptiste, lui prédit que ce fils « unira le coeur des pères au coeur des enfants ». Or, cette expression se trouve également tout à la fin de l'Ancien Testament, dans ce verset du prophète Malachie :« Voici que je vous envoie Élie le prophète, avant que vienne le jour redoutable du Seigneur. Et il unira le coeur des pères à celui des enfants. » Si l'on se souvient de l'analogie symbolique entre le coeur et le centre, on voit que l' « union du coeur des parents avec celui des enfants », dont parlent Malachie et saint Luc, n'est que la « spécification », à l'égard des générations successives de l'humanité, du rôle joué par l'axe du monde, qui effectivement unit en leur centre les états successifs de l'être, et c'est pourquoi le « conflit des générations », dont on parle tant à notre époque, n'est en somme qu'une conséquence très naturelle de la « mise sous le boisseau » des principes traditionnels.

Quant au fils de Zébédée, Jésus a dit de lui : « Je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne ».

Cette expression : « Je veux qu'il demeure » est répétée par deux fois dans l'Évangile, sans aucun doute pour en souligner l'importance. La fonction particulière de Jean ne saurait périr, elle « demeure» jusqu'à la fin du cycle : c'est pourquoi il est dit que « la Loge de saint Jean se tient dans la vallée de Josaphat ».

Et dès lors, il est parfaitement conforme au symbolisme traditionnel que l'organisation« élue » pour « abriter » une telle fonction ait eu pour activité originelle la construction en pierres, c'est-à-dire l'art de bâtir les édifices les plus propres à assurer la « stabilité » de la « demeure » des humains.

 
(1) Guénon pensait que la Loge de table était d'origine opérative, mais que « les gens de 1717 » lui avaient donné une importance démesurée. Il conseillait néanmoins de la pratiquer, surtout aux fêtes solsticiales, car cela, disait·il, « est assurément bien préférable à un banquet profane ».

(2) On trouve dans l'Anthologie palatine le texte d'une sorte d'ex·voto qui dit : « Un niveau avec le fil à plomb, une forte hache pour fendre les souches, un cordeau rouge résonnant sous le doigt qui le soulève, voilà ce que te consacre le charpentier Léontique, jeune déesse aux yeux pers, car les ans lui ont enlevé la force de s'en servir ». Minerve était la déesse à la fois de la sagesse, de la guerre et des arts ; ces trois attributions correspondent exactement aux trois piliers du Temple : Sagesse, Force, Beauté.

(3) Le patronage sur la Maçonnerie des « Quatre Saints Couronnés », honorés comme martyrs, fait allusion au contraire aux luttes entre l'ancienne et la nouvelle foi. On a remarqué que le mot « quatre » correspond au carré, le mot « saint » au triangle (à cause du Dieu « trois fois Saint ») et le mot « couronnés » au cercle. Le carré, le triangle et le cercle évoquent l'opération hermétique de la « quadrature du cercle », à laquelle fait allusion un sixain célèbre de l'Atalante fugitive.

(4) II Rois, XVIII.

(5) « Les derniers hauts grades de l'Écossisme et la réalisation descendante », dans les Études Traditionnelles de 1953.

(6) Voici ce passage : « C'est d'eux [les faux docteurs) qu'Hénoch, qui est le huitième patriarche à partir d'Adam a prophétisé en disant : Voici que le Seigneur vient avec ses saintes armées pour les faire passer en jugement », etc. (Jude, versets 14 et suivants).

(7) « Lorsque les hommes eurent commencé à se multiplier sur la terre, les enfants de Dieu, voyant que les filles des Hommes étaient belles, prirent pour épouses celles qui leur avaient plu. [...] Or il y avait à cette époque des géants sur la terre ; car après que les enfants de Dieu se furent unis aux filles des Hommes, il en naquit une race d'hommes puissants dans les anciens jours » (Genèse, VI, 2 et 4).

(8) Cf. notamment le chap. XXXVIII du Règne de la quantité et les Signes des Temps.

(9) Marc, III, 17.

(10) « Les trois mondes sont les Enfers, la Terre et les Cieux ». (L'Ésotérisme de Dante, chap. VI).

(11) « A propos des pèlerinages », dans les Études sur la Franc-Maçonnerie, Tome I.

(12) Voici le texte de cet envoi :

 

« Vous portates, Vierge, digne princesse,

Jésus régnant, qui n'a ni fin ni cesse ;

Le Tout Puissant, prenant faiblesse,

Laissat les cieux et nous vint secourir,

Offrant à mort sa très claire jeunesse.

Notre Seigneur tel est, tel le confesse.

En celle foi je veux vivre et mourir. »

 

(13) Cf. Comptes rendus de René Guénon, p. 7. (Le Monde magique des héros par C. della Riviera, présenté par Julius Evola. Éditions Archè).

(14) Enfer, chant VIII, vers 43-45.

(15) Nous pensons qu'il faut donner ici à ce mot le sens qu'il a dans la doctrine hindoue où, en principe du moins, seules les trois castes supérieures ont droit au titre d'Arya, et en conséquence peuvent recevoir l'initiation. Il est bien évident que depuis fort longtemps, et en Orient aussi bien qu'en Occident, le « mélange des castes » a rendu une telle distinction uniquement théorique.

(16) « Le langage secret de Dante et des Fidèles d'Amour », I, dans les Aperçus sur l'ésotérisme chrétien.

(17) On peut rappeler aussi le texte chrétien bien connu : « Comme des enfants nouveaux-nés, désirez avec ardeur le lait spirituel qui vous fera croître » (I Pierre, II, 2).

(18) Le « lait de la Vierge » est aussi appelé « lait virginal » ou encore « lait de la lune ». Il est en rapport avec l'opération du Grand-Oeuvre appelée « multiplication », et cela peut faire penser à la conception de la Vierge Marie mère de tous les Chrétiens (dans la vision exotérique du Christianisme) et mère de tous les initiés (dans la vision ésotérique).

19 Ce n'est pas seulement dans les « litanies de Lorette » que Marie est appelée Janua Coeli. Dans un grand nombre de textes qui furent très « populaires » avant les récents bouleversements liturgiques, on trouve des expressions équivalentes.

Citons par exemple : felix coeli porta (dans l'hymne Ave maris stella) ; quae pervia coeli porta manens (dans l'antienne Alma Redemptoris) ; fulgida coeli porta (dans la prose Inviolata). L'épithète fulgida est particulièrement à considérer en raison des rapports intimes de l'éclair (fulgur) avec l'influence spirituelle communiquée par l'initiation. Il y aurait toute une étude à faire - et qui réserverait sans doute des surprises - sur les « rémanences » initiatiques dans les liturgies chrétiennes, tant occidentales qu'orientales. Guénon pensait que le culte du Sacré-Coeur avait à l'origine un caractère ésotérique. Il pourrait bien en être de même pour certains aspects du culte de Marie, dont on sait par ailleurs l'importance qu'il avait pour le « courant » spirituel auquel appartenaient saint Bernard et Dante. Pour ce dernier, quiconque désire l'effusion de la grâce sans passer par Marie, « celui-là veut voler sans ailes ». Une telle expression est à rapprocher des paroles mises dans la bouche d'Ulysse au chant XXVI de l'Enfer : « De rames nous nous fimes des ailes pour un vol fou ». Dans le langage des Fidèles d'Amour, la « folie » (antithèse de la Sagesse) est, en même temps que l' « ennui » (noia), une des « marques » de la vision exclusivement profane des choses.

(20) Cf. Symboles fondamentaux de la Science sacrée, chap. XXXV à XXXVII.

 

 

 

 

 

dimanche 22 décembre 2013

Tijânî-s et Châdhilî-s : une affinité spirituelle - Le Porteur de savoir

                                                 
                                                               Le Porteur de Savoir 











بسم الله الرحمن الرحيم الحمد لله

للَّهُمَّ صَلِّ عَلَى سَيِّدِنَا مُحَمَّدٍ الْفَاتِحِ لِمَا أُغْلِقَ وَالْخَاتِمِ لِمَا سَبَقَ وَالنَّاصِرِ الحَقِّ بِالحَقِّ وَالْهَادِي إلَى الصِّرَاطِ الْمُسْتَقَيمِ وَعَلَى آلِهِ وَصَحْبِهِ حَقَّ قَدْرِهِ وَمِقْدَارِهِ الْعَظِيمِ

 

Tijânî-s et Châdhilî-s : une affinité spirituelle

1ère partie : Aspects biographiques

*

A l’occasion de l’anniversaire de la disparition du Cheikh Ahmed Al-Tijânî, nous entamons la publication de plusieurs documents biographiques relatifs aux affinités spirituelles existantes entre certains initiés Tijânî-s et Châdhilî-s ; nous nous proposons par ailleurs de montrer, dans une seconde partie, que ces affinités font écho à certaines particularités méthodiques des voies auxquelles ils se rattachent, en lien avec le contexte actuel de la « fin des temps » (âkhir az-zamân).

Chawwâl 1434

Maurice Le Baot

 
Tijânî-s et Châdhilî-s : une affinité spirituelle (1ère partie : Aspects biographiques)


Tijânî-s et Châdhilî-s : une affinité spirituelle (2ère partie : Aspects méthodiques)




A suivre incha Allâh




samedi 21 décembre 2013

Commentaire de la controverse entre Al-Ghazali et les juristes - Qui sont les hypocrites ?


 

 


Commentaire de la controverse entre Al-Ghazali et les juristes

On rapporte que l’Imam al-Ghazali fut invité un jour à une réunion de juristes.
« Tu es un homme éminent, lui dit le chef des juristes et, comme nous tous ici, du nombre des savants. Les humbles viennent donc te demander l’interpréter la Sainte Loi, la Sharia. Or le bruit court que tu aurais conseillé à tel et tel de ne pas observer le jeûne pendant le mois de Ramadan ; on raconte aussi que tu aurais déclaré qu’il valait mieux pour certains ne pas faire le pèlerinage de La Mecque ; d’autres affirment que tu as réprimandé des croyants pour avoir dit : "Il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah." Ces propos pernicieux, s’il est vrai que tu les as tenus, sont pour nous la preuve suffisante de ton infidélité. Seule ta réputation t’a jusqu’ici épargné le châtiment réservé aux apostats. Les gens sont en droit d’être protégés contre des individus tels que toi. »

Ghazali poussa un soupir et répondit :

« La Sainte Loi de l’Islam nous le dit : ceux qui n’ont pas une claire intelligence de la Loi et de ce qu’elle signifie ne peuvent être coupables de manquements à la Loi et ne sont pas assujettis à ses règles. Cela vaut obligatoirement pour les enfants et les imbéciles, mais cela vaut aussi pour tous ceux qui sont privés de compréhension. Si un homme ne perçoit pas la réalité intérieure du jeûne ou ne fait un pélerinage que pour se mortifier ou bien encore récite la profession de foi sans avoir la foi, cet homme-là est dénué de compréhension, et il n’est pas juste de l’encourager à persévérer dans ses pratiques. Quelqu’un devra le mettre sur la voie de la compréhension. Vous l’avez dit : les gens sont en droit d’être protégés - protégés contre vous, les juristes, qui voudriez les récompenser pour des mérites inexistants et les persécuter pour des fautes imaginaires.

« Si un homme ne peut marcher parce qu’il est impotent d’une jambe, allez-vous lui dire de marcher ou bien lui donnerez-vous une béquille, ou le guérirez-vous de son infirmité ? « C’est parce qu’il avait prévu la venue de gens tels que vous que le Prophète a dit : "l’Islam a commencé dans l’exil et finira dans l’exil." La compréhension du sens des choses n’est pas dans votre intention ni en votre pouvoir ; et vous n’avez pas appris à comprendre. Aussi bien, tout ce que vous savez faire, c’est menacer les autres de la mort pour apostasie. En vérité, ce n’est pas moi qui suis un apostat, mais chacun d’entre vous. »
Peu de choses sont à ajouter à ce texte imparable de l’immense Imam al-Ghazali, hormis que ce dernier s’adresse à tous les religieux que le Coran nomme les hypocrites, mais que l’hypocrisie qui fait condamner les sincères est aussi le lot des athées, qui jugent de la conformité des actions des autres aux lois dont ils ne comprennent pas le sens.

Considérons les deux versets suivants (Coran IV.142-143) :

Les hypocrites cherchent à tromper Allah, mais Allah retourne leur tromperie (contre eux-mêmes). Et lorsqu’ils se lèvent pour la Salat, ils se lèvent avec paresse et par ostentation envers les gens. A peine invoquent-ils Allah.

Ils sont indécis (entre les croyants et les mécréants) n’appartenant ni aux uns ni aux autres. Or, quiconque Allah égare, jamais tu ne trouveras de chemin pour lui.

Ghazali reformule cette grande leçon du Coran quand il dit : "La compréhension du sens des choses n’est pas dans votre intention ni en votre pouvoir."

Effectivement, seul Allah donne la compréhension du sens réel des choses, et jamais les hypocrites ne peuvent prétendre à accéder à ce sens, du fait même de leur hypocrisie qui les bloque dans toute velléité de progression. L’hypocrisie est une impasse à la révélation, mais aussi comme un choix conscient et facile (l’"intention" des juristes est de soumettre et non de comprendre), un choix qui se vit, comme le dit le Coran, "dans l’ostentation". L’hypocrisie est un moyen de s’accorder le pouvoir de juger les autres et, par conséquent, de prendre un ascendant sur eux. C’est cette hypocrisie au plus haut niveau des juristes qu'Al-Ghazali condamne.
Ces réflexions doivent éveiller notre attention sur le fait que l’homme de Dieu ne doit être en aucun cas confondu avec une quelconque autorité religieuse. Cela ne signifie pas que toute autorité religieuse soit condamnable, mais cela signifie, pour le soufi, de savoir faire la part des choses entre autorité religieuse reconnue et personne dépositaire du sens de la foi (le guide soufi).

On comprend pourquoi les soufis furent persécutés par ceux-là même qui prétendaient défendre l’islam.