mercredi 9 août 2017

Jeff Kerssemakers - Compte-rendu - Erik Sablé, Vie et Paroles de Saï Baba de Shirdi, un saint indien .





Erik Sablé, Vie et Paroles de Saï Baba de Shirdi, un saint indien . Dervy, Coll. Chemins de Sagesse, 2006. 108 pp.
 
On connaît en Occident certains des grands saints indiens, comme Shri Ramana Maharshi, Shri Ramakrishna, ou, plus récemment, Ma Ananda Moyi, Shri Sarada Devi, ect . Mais on ignore tout du saint le plus connu dans l’Inde actuelle, c’est-à-dire Saï Baba de Shirdi, dont Erik Sablé nous offre la biographie .
 
Saï Baba est une figure haut en couleurs, emblématique pour l’entente entre Hindous et Musulmans en Inde, car il était un Guru hindou autant qu’un Shaykh soufi . On ne connaît par contre ni ses origines, ni son vrai nom . Le nom de Saï Baba, un mélange de persan et de hindi, lui fut attribué lorsqu’il arriva de nulle part à Shirdi, au Nord de Poona, et s’installa dans une mosquée délabrée . Saï veut dire « parfait, saint » en persan et Baba signifie « père » en hindi . Les détails que racontent cet « Illustre Inconnu » sur lui-même et sur son passé sont très variés et plutôt symboliques .
 
Il serait né en 1838 . Ses parents moururent quand il était encore un bébé et il fut confié à un couple de Soufis . Son nouveau tuteur mourut lorsqu’il avait à peine quatre ans et la veuve le confia à un Shaykh soufi du nom de Venku Shah. A Shirdi on remarqua qu’il faisait des exercices difficiles de Hatha Yoga, ce qui laissait supposer qu’il avait certainement eu un Maître en la matière .
 
Derrière sa mosquée Saï Baba cultivait un petit jardin d’herbes médicinales . Il savait soigner et guérir pratiquement tout et sa réputation se répandit vite . Il utilisait parfois des remèdes à l’apparence absurde ainsi il soignait des yeux enflammés , presqu’aveugles en y appliquant du piment réduit en bouilli ! Saï Baba permit à des couples stériles d’enfanter . Il répondit une fois à une telle requête :  « Pourquoi me réclamez-vous un seul enfant ? Je vais vous en donner deux ! » Et, effectivement, la femme mit au monde des jumeaux avant la fin de l’année . Plus tard, après 1890, il fera surtout usage comme médicament pour toute affection des cendres (udî) de son foyer . Il recommandait de les avaler mêlées à de l’eau . Les cendres sont traditionnellement considérées comme la quintessence des objets brûlés, leur part incorruptible . Elle a donc symboliquement,
le pouvoir de régénérer le corps ainsi que l’âme . Après avoir réussi une guérison, donné un secours, on l’entendait prononcer  « Allah Malik Hay » (Dieu est le Maître de la Vie) ou encore « Allah karega » (Dieu le fera) .
 



Un jour, un capitaine de bateau, naufragé pendant la guerre russo-japonaise, vint à Shirdi pour le remercier d’avoir répondu à son appel au secours et de l’avoir sorti de l’eau et déposé sur un bateau voisin . Les fidèles de Saï Baba se souvenaient alors que, il y avait quelques mois Saï Baba, assis tranquillement à son foyer, était subitement trempé d’eau, d’eau de mer . Une autre fois, une femme d’un village à une centaine de kilomètres de distance, vint le remercier, car elle avait vu Saï Baba lui-même sauver de justesse son bébé qui allait culbuter dans le feu d’un forgeron . La renommée de Saï Baba grandit ainsi et les miracles qu’on lui attribue ne se comptent plus .
 
Une autre fois, il interdisait l’entrée à sa résidence à quelqu’un qui avait insulté le Christ pendant une discussion dans le village .
 
En 1916, le choléra se déclara près de Shirdi et une épidémie menaçait . Saï Baba la stoppa net en répandant de la farine moulue par lui-même autour du village, comme nourriture pour la terrible Devi Mari Ayi qui peut apporter le choléra, la peste ou la variole . On dit d’elle qu’elle « mange » les victimes des épidémies . Des témoins ont raconté que Mari Ayi était entrée chez Saï Baba comme une femme très laide aux cheveux défaits pour « manger » un garçon assis là . Saï Baba la chassa avec un coup de pied dans le ventre . « C’était  la déesse Choléra » expliqua-t-il simplement .
 
Régulièrement, Saï Baba réclamait la dakshina (aumône) à ses visiteurs et tous les jours il recevait ainsi des dons en nature ou des sommes importantes . Il distribua tout aux pauvres et le soir il ne possédait plus une roupie .

Tombe de Saï Baba de Shirdi

Saï Baba dormait très peu et passait une grande partie de la nuit en invoquant des Noms Divins . Il insistait toujours auprès de ses disciples, Hindous ou Pusulmans, sur l’importance de cette pratique que les Hindous appellent japa et les Musulmans dhikr .
 
Il demanda fréquemment de lui réciter le Coran . Il ouvrait lui-même le livre sacré et indiqua où il fallut commencer . Il connaissait les écrits soufis . Il pouvait les citer, chanter leurs poèmes . Et il était capable de commenter les Saintes Ecritures hindoues d’une manière extrêmement profonde, ce qui montrait sa parfaite connaissance du sanscrit .
 
Saï Baba aimait la musique et la danse . Il chantait des prières, des qawwâlis en persan ou en arabe, et parfois des chants de Kabir, avec lequel il avait des affinités manifestes . Il s’attachait parfois des clochettes aux chevilles et dansait, rapidement absorbé dans un hâl, un état extatique .
 




Baba s’arrangea  pour qu’un feu brûle continuellement à l’intérieur de la mosquée . Cette pratique était commune aux Nath-Yogis (de tradition tantrique shivaïte) et à certaines confréries soufies qui, elles aussi, entretenaient un feu perpétuel, comme la Chisthiyya d’Ajmer par exemple . Et ce foyer lui procura les cendres à donner comme remède aux visiteurs .
 
Ainsi,  avec sa générosité, son pouvoir de guérison, ses conseils et ses secours accordés, on peut considérer Saï Baba comme une manifestation de la Rahmah divine, de la Miséricorde divine, qui, continua même après sa mort . Dans les décennies suivant son samâdhi des centaines de témoignages affluèrent à la Fondation Saï Baba racontant des guérisons ou des aides reçues de la part du saint homme .
 
En 1917, le célèbre traditionnaliste Lokamanya Tilak est venu visiter Saï baba qui était enchanté de le rencontrer . Pour tout darshan (enseignement) il lui disait :  « Les gens sont mauvais . Reste comme tu es ! »
 
On sait que Saï Baba donnait parfois à ses disciples le grand commentaire de la Bhagavad Gita que Tilak avait écrit en prison, y citant de mémoire toutes ses sources .
 
Saï Baba fut manifestement un jivatma, un libéré vivant comme Shri Ramana, au-delà des formes, mais les musulmans veulent le considérer comme Musulman et les Hindous faisaient de grands efforts pour se l’approprier sans partage .



 
Maintenant, plus près de nous, suite aux troubles actuels entre Hindous et Musulmans en Inde, un mouvement s’est déclaré depuis l’été de 2014 pour « détrôner » Saï Baba . Certains Hindous n’en veulent plus . De virulents articles de presse dénoncent Saï Baba comme un simple fakir musulman, sans même voir en lui un saint homme . Ces extrémistes refusent qu’il soit vénéré par les Hindous comme une manifestation de la divinité . C’est un des quatre Shankaracharyas actuels (garants de l’orthodoxie védantique), celui de Dwarka à l’ouest qui a lancé la polémique, attribuant la sécheresse qui touchait alors le Maharashthra au culte du « fakir ».
 
Mais Saï Baba est omniprésent en Inde . Son image s’affiche en tout lieu dans les taxis, les trains, les boutiques, les gares . Son esprit reste bien vivant : Allah Malik Hay !
 
Jeff Kerssemakers




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