dimanche 27 mai 2012

La Shâdhiliyya: une des « voies-mères » du soufisme




La Shâdhiliyya est l’une des « voies-mères » du soufisme, ces grandes familles spirituelles qui sont apparues en terre d’islam entre la fin du XIIe siècle et le XIVe siècle.


A propos de la réédition de : Une voie soufie dans le monde : la Shâdhiliyya
Ouvrage collectif sous la direction d'Eric GEOFFROY
(Gnôsis –Editions de France, 2012)



La Shâdhiliyya est l’une des « voies-mères » du soufisme, ces grandes familles spirituelles qui sont apparues en terre d’islam entre la fin du XIIe siècle et le XIVe siècle. D’origine maghrébine, elle s’est diffuséeau XIIIe siècle, à partir de l’Egypte, dans la majeure partie du monde musulman. Profondément ancrée dans les sources scripturaires de l'islam, elle a attiré maints oulémas de renom. Elle dispense un enseignement initiatique dense, et a su expliciter celui d'Ibn Arabî, si controversé en milieu exotériste.

La Shâdhiliyya est la voie initiatique par excellence des terres médianes et occidentales de l'islam ; elle est en cela comparable à la Naqshbandiyya pour les aires asiatiques. Cette proximité géographique qu’entretient la Shâdhiliyya avec l’Occident explique la forte présence de ses membres dans l'immigration européenne au XXesiècle, depuis près d'un siècle, ainsi que l'adhésion précoce d'Européens de souche à cette voie, puis d'Américains : elle a entraîné dans son sillage des auteurs tels que René Guénon, Frithjof Schuon, et bien d’autres qui contribuent, de nos jours encore, à faire connaître le patrimoine soufi universel.

La Shâdhiliyya n'est donc pas une confrérie exotique. Elle conserve son actualité spirituelle. Elle participe à l’universel, par son extension spatiale (Balkans, Afrique saharienne, océan Indien, Asie du sud-est, Chine...) mais aussi par les modalités diverses qu'elle a assumées au cours des siècles : plutôt que d'une « confrérie » - ou « order » en anglais - il faut parler d'une école spirituelle et initiatique au rayonnement diffus. Les Hikamd’Ibn ‘Atâ’ Allâh, la Burda d’al-Busîrî, les Dalâ’il al-khayrât d’al-Jazûlî, appartiennent au patrimoine commun non seulement du soufisme, mais aussi de la spiritualité islamique la plus large.
La « voie-mère » de la Shâdhiliyya a suscité de multiples arborescences au fil du temps (Darqâwiyya, ‘Alâwiyya…), et il y a tout lieu de croire que les germes qu'elle porte sont toujours bien vivants.


Extraits de l’introduction, par Eric Geoffroy


Sainteté et prophétie

Toute voie initiatique a pour but de mener ses adeptes vers la sainteté, ou « proximité divine » (walâya) ; celle-ci est identifiée au plus haut degré de la gnose par al-Shâdhilî. De façon schématique, les premiers maîtres shâdhilis distinguent deux niveaux : la sainteté « mineure » (sughrâ), ouverte au public large des fidèles, et la sainteté « majeure » (kubrâ), réservée à une élite spirituelle. Mais le terme walâya, tout comme celui de sainteté en français, est un terme générique, un idéal qui implique une méthode pour y parvenir.
Pour les Shâdhilis, la réponse est claire : c'est dans l'imitation intérieure du Prophète que se réalise la walâya. Réapparaît ici le débat millénaire sur les rapports entre walâyaet nubuwwa, la prophétie, débats qui ont partagé exotéristes et ésotéristes de l'islam, mais aussi les milieux soufis. Autant les maîtres shâdhilis initiaux se réclament du premier théoricien de la sainteté en islam, al-Hakîm al-Tirmidhî (m. 318/930), autant ils s'en éloignent lorsque celui-ci accorde à la walâyaune autonomie par rapport à la nubuwwa : pour eux, la première est subordonnée à la seconde, et puise sa substance même dans la Lumière muhammadienne (al-nûr al-muhammadî).
Les Shâdhilis ont donc pour seule ambition d'être des héritiers muhammadiens, afin de réaliser à leur mesure « l'Homme universel » (al-insân al-kâmil) qui demeure en eux. Cette « sainteté prophétique » dont ils sont susceptibles d'être investis leur permet d'actualiser la Révélation, c'est-à-dire de l'interpréter en termes vivants. En vertu de la fonction totalisatrice (jamiyya) de Muhammad, dernier prophète dans l'ordre de l'histoire et premier dans l'ordre cosmique, et grâce à cette médiation les saints musulmans héritent des prophètes temporellement antérieurs.
Pour les Shâdhilis comme pour d'autres soufis sunnites, le Prophète est donc le seul véritable guide, et l'unique prière que l'on rapporte d'Ibn Mashîsh, la Salât Mashîshiyya, vise à capter la Lumière muhammadienne primordiale. La « Voie muhammadienne », qui prône l'accès direct au Prophète au-delà des lignages soufis, a toujours existé en tasawwuf, mais elle prend un relief particulier à partir du ixe/xve siècle. Ibn Idrîs (m. 1837) en est un des adeptes connus – d'où l'oblitération de son affiliation shâdhilî, mais Ahmad Zarrûq, fidèle à sa méthode critique, émet des doutes sur les possibilités de réalisation spirituelle par ce biais pour le commun des « soufis ». Quoi qu'il en soit, la dévotion au Prophète – le « prophétocentrisme » – va s'imposer de plus en plus dans les milieux soufis et au-delà, et produire des textes toujours lus de nos jours, comme la Burdad'al-Busîrî et les Dalâ'il al-khayrâtd'al-Jazûlî.

Quelques éléments de la spiritualité shâdhilî
La Shâdhiliyya a pu être définie comme la « voie de Junayd », au sens où elle ne cherche qu'à vivifier l'attachement aux modèles scripturaires (Coran et Sunna), en mettant en lumière leur versant intérieur et en formulant assez simplement une spiritualité directement puisée en eux. À cet égard, les Shâdhilis, comme les Naqshbandis, sont les héritiers des Malâmatis : l'observance de la Loi et l'imitation du « prophète-serviteur » Muhammad éradiquent d'emblée toute prétention de quelque nature qu'elle soit, et signent l'exigence de lucidité-sobriété qui caractérise globalement cette voie.
Que l'on combatte sans répit l'âme charnelle (nafs) ou que l'on accompagne son mouvement afin de mieux la connaître, celle-ci fait l'objet d'un travail incessant, et implique les postures opposées que l'on connaît chez les Malâmatis : soit le souci de transparence et la quête de l'incognito, qui se cachent derrière divers « paravents » sociaux et refusent toute extériorisation d'un vécu intime (états spirituels, miracles...) ou d'une identité confrérique, soit la provocation sociale et la transgression (takhrîb) apparente des normes qui attirent le blâme (malâma) de la foule et préservent ainsi l'intimité du « blâmé » avec Dieu.

Dans tous les cas, c'est la concentration sur Dieu seul qui est requise, la fikrades Darqâwis, car Dieu est en définitive le seul Compagnon. Ceci explique la méfiance de Zarrûq vis-à-vis d'une quelconque forme d'idolâtrie du cheikh par ses disciples. Cette concentration vigilante suppose un dépouillement et un retrait intérieurs, car les apparences importent peu et les normes religieuses et sociales doivent être respectées. « Connais Dieu, et ne t'occupe pas de ta manière d'être », répond al-Shâdhilî à son disciple al-Mursî venu le voir en ayant en tête de s'adonner à l'ascèse extérieure.
L'ascèse est un leurre car elle instaure une lutte avec ce bas monde, lui conférant ainsi une réalité qu'il ne détient pas. Autre leurre, l'illusion de pouvoir gérer sa vie par ses propres velléités : puisque, en définitive, Dieu seul est, il revient à la créature de Lui remettre son affaire. Tout ce qui distrait de Dieu est à proscrire, même la douceur que procure une soumission agréée par Dieu ou la quête de l'illumination.

Que dire alors des marques extérieures d'affiliation qui étaient courantes à l'époque d'al-Shâdhilî ? Le détachement intérieur supposé des Shâdhilis leur permet, selon un paradoxe apparent, de s'impliquer totalement mais librement dans le monde ; en aucun cas, il ne saurait déboucher sur l'oisiveté ou la mendicité. L'enseignement d'Ibn ‘Ajîba sur ce point évoque la « retraite au milieu de la foule » des Naqshbandis. Chez le cheikh al-‘Alâwî, la retraite cellulaire (khalwa) rigoureuse alimente – encore un contraste apparent – l'adaptation pleine et consentie des disciples à la vie moderne.
Il faut donc « jouer le jeu » du monde, et épouser les « causes secondes » (asbâb), investir le champ des sciences islamiques ou tout autre domaine de la vie publique, pratiquer la vertu du travail, etc. Derrière tout cela, c'est la mort initiatique qui est en vue, laquelle s'accompagne d'un surcroît de vitalité : lorsque Ibn ‘Ajîba se consacre à la Voie, il est pleuré par les habitants de Tétouan, qui adressent leurs condoléances à sa famille.

La sobriété-lucidité dominante chez les Shâdhilis) et l'attachement aux normes religieuses participent d'un même esprit malâmatîde servitude ontologique à Dieu et d'éradication des prétentions. Autrement dit, la Shâdhiliyya est une voie Muhammadiyya, dont la sobriété extérieure masque l'ivresse intérieure, plutôt que Ahadiyya, où l'immersion dans « l'océan de l'Unicité divine » fait perdre pied. C'est presque une lapalissade d'affirmer que les maîtres shâdhilis invitent à respecter la Sharîaet recommandent l'apprentissage des sciences islamiques exotériques.
La « communauté du milieu », expression qui qualifie, selon le Coran, la Ummade l'islam, doit veiller à maintenir un équilibre entre les versants exotérique et ésotérique de la Révélation. Des personnages connus ont notoirement situé leur démarche à l'intersection de la Loi et de la Voie, tel Ibn ‘Abbâd, Zarrûq, Suyûtî, Ibn ‘Ajîba, Yashrûtî, ‘Abd al-Halîm Mahmûd, chacun dans son style propre et en fonction de son environnement, mais l'imprégnation du milieu des ulémas par la voie – sinon par l'esprit – shâdhilî est soulignée par quasiment tous les contributeurs, quels que soient l'époque ou le lieu concerné.

Légion sont les Shâdhilis fuqahâ’ (juristes), cadis, muftis, ou responsables religieux au sein d'un État moderne ; certains sont devenus des notables de l'establishment islamique. Les Shâdhilis d'Occident (Europe, USA), quant à eux, ont souvent œuvré, par l'écriture et la traduction, à présenter le patrimoine soufi et islamique dans leurs pays respectifs. Cet ancrage de la Shâdhiliyya dans les milieux lettrés porteurs du ‘ilmislamique est attesté du vivant même d'al-Shâdhilî.
Cette dominante du tempérament shâdhilî contient évidemment sa négation, et produit son contre-modèle. En fait, lorsqu'on tente d'avoir une vision globale du comportement spirituel des Shâdhilis, on s'aperçoit qu'ils se meuvent avec une grande liberté à l'intérieur du modèle dominant de leur voie, et qu'ils investissent la presque totalité de la typologie spirituelle. Il y aurait une « double face de la Shâdhiliyya », l'une exotérique et soucieuse des normes, tournée vers un public large, l'autre plus secrète et ésotérique, réservée à des cercles restreints, ce qui fait de la Shâdhiliyya une méthode à la fois simple et élaborée.

Une telle prise en compte de deux niveaux de formulation est dans la lignée d'un Junayd, sans parler de son inscription dans la Sunna. Elle émane d'une pédagogie qui cible ses publics. À l'instar de Muhammad, l'initié doit revenir parmi les hommes pour dispenser sa sagesse selon l'entendement de chacun. Le cheikh Ben Youssef tente d'agir sur « la vie concrète des masses », tandis qu'Ibn ‘Ajîba enseigne la doctrine ésotérique de l'Unicité « dans les hameaux et les tribus ». Les cheikhs shâdhilis pratiquent volontiers la discipline de l'arcane, distillant la Haqîqa, la Réalité intérieure des choses, à des publics restreints ou par voie orale, et divulguant par contre sans réserve ce qui relève de la Sharî‘a, de la foi ou de l'éthique.

Engagement social et réforme

Les maîtres du tasawwuf ont généralement su distinguer entre le niveau principiel de la doctrine et celui de la pratique qui doit s'incarner dans l'un ou l'autre contexte. La fondation des voies initiatiques à partir du vie/xiie siècle résulte elle-même d'un besoin et d'un souci d'adaptation du message islamique à un nouvel environnement géopolitique, social et psychologique. Les trois premiers maîtres de la Shâdhiliyya ont montré l'exemple en cherchant à délivrer une interprétation fidèle mais vivante et éclairante des sources scripturaires, qui soit en phase avec la mentalité de leur époque et puisse être admise par leur auditoire.

Pour ceux qui ont compris l'articulation entre le principe et les formes qu'il est susceptible d'assumer, il n'y a aucune contradiction entre tradition et modernité, ancrage dans un lignage authentique (silsila) et effort d'adaptation à la modernité (ijtihâd). Le cheikh al-‘Alâwî (m. 1934), perçu en Occident comme un pur héritier de la tradition soufie médiévale, n'en fut pas moins le héraut d'un certain modernisme. Comme les réformistes de son époque, il préconisait l'appropriation de la technique occidentale par les musulmans ; il fut l'un des premiers en Algérie à avoir une voiture et le téléphone, créa plusieurs journaux pour diffuser sa pensée, et interdit à ses disciples vivant en Europe de porter des habits arabes traditionnels.
Il fut d'ailleurs l'un des cofondateurs de l'Association des ulémas, réformiste, avec notamment Ibn Bâdîs.

La réforme, cependant, est d'abord intérieure : elle devait s'appliquer en premier lieu au monde du soufisme, atteint dès le xve siècle par la dégénérescence et la sclérose. C'est à cette époque que Zarrûq montre le chemin d'une « sainteté réformée » qui se met sous le contrôle de l'esprit juridique. Au tournant des xviiie et xixe siècles, l'expansion confrérique incontestable s'accompagne d'un renouveau insufflé aux voies anciennes telles que la Shâdhiliyya. Faut-il pour autant parler de « réforme » ?
Des maîtres comme Ben Youssef (m. 1521) et al-Darqâwî (m. 1823) s'inscrivent-ils plutôt dans la continuité ou dans la rupture par rapport aux fondateurs de la Shâdhiliyya ? Toujours est-il que les nouvelles options mises en œuvre par al-Darqâwî et al-‘Alâwî font d'eux – pour leurs disciples au moins – des mujaddidûn, des « rénovateurs » de la religion islamique, tels qu'annoncés par le Prophète. Rénovateurs de la Shâdhiliyya, ils le furent assurément puisque beaucoup de branches shâdhilî contemporaines se définissent comme « Shâdhiliyya-Darqâwiyya », ou Shâdhiliyya-Darqâwiyya-‘Alâwiyya ».

d'Eric GEOFFROY

jeudi 24 mai 2012

Cheikh Ahmed Tijani: Sceau de la Sainteté Mohamedienne





                               


Voici, retracée, une infime partie de la vie de Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret).


Un célèbre maître soufi appelé Sidi Mokhtar El Kounty (qu’Allah l’agrée) avait annoncé que le 12ème siècle de l'Hégire ressemblerait à maints égards à l'époque du Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui), et que c'est à cette époque particulière qu'apparaîtrait le Sceau de la Sainteté Mohamedienne (qu’Allah sanctifie son précieux secret).


Son Enfance


En effet en 1737/38 (1150 de l'hégire) vint au monde Seïdina Cheikh Ahmed Ibn Mohammed Ibn Mokhtar Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) dans une petite ville du désert algérien, 'Aïn Madhi.

Il fut le fils du très pieux et savant Sidi Mohammed Ibn El Mokhtar Tijani (qu’Allah l’agrée) et de la pure et honorable 'Aïcha (qu’Allah l’agrée). Ils furent eux-mêmes d'une ascendance comptant de nombreux savants et saints accomplis.

On peut citer à titre d'exemple son aïeul au 4ème degré qui possédait dans sa demeure une pièce lui servant de lieu de retraite spirituelle. Il y était constamment enfermé et personne d'autre que lui n'avait le droit d'y pénétrer. Il avait atteint un certain degré spirituel qui l'obligeait à se voiler le visage, de la salle de contemplation jusqu'à l'arrivée à la mosquée et de la sortie de la mosquée jusqu'au retour dans ce lieu.

En effet, ceux qui auraient vu son visage ne pourraient plus cesser de le contempler ne serait-ce l'instant d'un clin d'œil sous peine d'en mourir, ce qui l'obligea à agir ainsi durant 23 ans.

Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) était d'ascendance Chérifienne, c'est-à-dire que sa généalogie remontait jusqu'au Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui), par Seïdina Ali et Fatima (qu’Allah les agrée) via leur fils Hassan (qu’Allah l’agrée), mais il ne le certifia qu'après avoir posé la question au Prophète lui-même (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) lors d'une vision à l'état de veille :

Il lui répondit par trois fois : « Réellement tu es mon fils ».

Puis il ajouta : « Ton ascendance par Hassan fils de ‘Ali est authentique ».
Ainsi, c'est dans cet environnement de foi, de science et de sainteté que naquit et grandit Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret).

Sa famille était très attachée au Coran et à la sunna, son père appelait et exhortait les gens au bien incitant les uns à l'application de la sunna, combattant toute innovation sans craindre, pour Allah, le tort de quiconque, il fut aimé et respecté.

Il arrivait à son père de recevoir la visite d'êtres spirituels (rouhaniyêt) venant lui proposer de répondre à ses besoins, il s'en éloignait et leur disait : « Laissez-moi entre moi et Allah, je ne désire aucune attache autre que celle d'Allah ». Les gens venaient chez lui dans le seul but de se rappeler Allah.

L’éducation du saint enfant fut confiée à l'illustre et prestigieux Mohamed Ibn Hamou Tijani (m.1162 H) sous la conduite duquel il mémorisa le texte Coranique en entier, et ce, à l'âge de sept ans.

Il apprit ensuite le droit musulman (fiqh) selon l'école de l'Imam Malek (qu’Allah l’agrée) et étudia les différents traités de jurisprudence auprès du Connaissant d'Allah, le savant Sidi Mabrouk ibn Bou'afiya Madaoui Tijani (qu’Allah l’agrée).

Encore très jeune, Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) se fit remarquer pour son intelligence et sa piété, ainsi que ses vertus et sa modestie. Il était assidu dans ses études et possédait une volonté surprenante, tout ce qu'il commençait, il le finissait et tout ce qu'il entamait, il le complétait.

Un jour de son enfance, en sortant de ses cours, il vit une lumière immense devant lui qui montait jusqu'au ciel, puis le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) apparut et l'encouragea en ces termes : « Continue, car tu es dans la vérité ». Suite à cela il partit se réfugier dans la maison de sa tante, qui se trouve à côté de ce lieu, elle le couvrit et le réconforta tout en lui préparant du pain.

Il arrivait souvent à ce jeune enfant de voir en rêve le tracé de son destin. En effet, il se voyait sur un trône gérant et commandant des multitudes de créatures. Une autre fois, il vit le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) chevauchant un cheval, à 'Aïn madhi, et Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) le suivait de très près. Il voulut lui faire des demandes, mais il a préféré attendre que le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) descende de sa monture, pour être plus à l'aise.

Lorsque le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) descendit, il se dirigea vers un champ et pria, Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) voulut le rejoindre dans sa prière, mais il ne le rejoignit que dans la deuxième rak'at. Il comprit à travers ce rêve qu'il n'atteindrait son souhait que dans la deuxième partie de sa vie, ce qui était représenté par la deuxième rak'at.

Un événement tragique allait lier le destin de Cheikh Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) avec celui du saint Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui).

En effet, en l'an 1752/53 (1166 H) alors qu'il n'avait que seize ans, survint la mort de son père et de sa mère, le même jour, à la suite d'une épidémie de peste, ce qui le laissa orphelin. Cela n'entacha pas son moral et il poursuivit avec toujours plus de détermination la suite de ses études.

Sa Quête

En 1757/58 (1171 H.), âgé de 21 ans, il quitte 'Aïn Madhi, poussé par une soif incommensurable, pour Fès, alors célèbre cité de la science avec notamment sa fameuse Université-Mosquée Qarawiyyin.

Cette ville était aussi le lieu de rencontre de grands maîtres et saints que Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) entreprit de visiter, afin de profiter de leurs enseignements spirituels et de leurs bénédictions (baraka).

Chaque jour sa science augmentait, recueillie auprès des docteurs de l'Université, il obtint ainsi tous les diplômes lui conférant le droit d'enseigner toutes les sciences connues des musulmans de cette époque, mais sa soif ne fut pas étanchée pour autant. Ses efforts, sa crainte d'Allah, sa modestie, son amour pour le vrai et son aversion du faux imposaient le respect de tous.

Un jour il rencontra un Cheikh faisant partie des gens dotés du dévoilement (KACHF) et qui l'incita à retourner dans sa ville natale, ce qu'il fit. Sur la route il s'arrêta à diverses Zaouiya et rencontra de nombreux hommes de Dieu. Après 'Aïn Madhi, il se rendit à Abiod sidi Cheikh où il demeura quelque temps auprès de Sidi Cheikh Ben-Eddin (qu’Allah l’agrée) (5 années) puis il partit vers Tlemcen en l'an 1767/68 (1181 H) alors âgé de 31 ans et où il professa plusieurs années.

Il y fut aimé et respecté par ses savants pour sa grande science et sa sagesse, et à ceux qui l'interrogèrent sur l'identité du grand érudit par qui il aurait appris un si large savoir, il leur révélait : « Ce savoir je ne l'ai pas reçu d'une seule personne, mais de tous ceux que je rencontrais ».

Durant toutes ces années qui se sont écoulées, Cheikh Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) s'est affilié à plusieurs voies (6 voies) et a rencontré de grands Wali. Parmi ces voies il y a celle du Pôle Maulana Taïeb ibn Mohamed (qu’Allah l’agrée) (m.1180), la voie de Sidi Abdelqader Djilani (qu’Allah l’agrée) qu'il prit à Fès, la Tariqa Nassriya qu'il prit auprès du Wali Sidi Mohamed ibn Abdallah Tazani (qu’Allah l’agrée), puis il y eu la voie du Pôle sidi Ahmed El Habib ibn Mohamed (qu’Allah l’agrée) (m.1165) connu sous l'appellation El Ghamary Sejelmassi.

D'ailleurs, ce grand Pôle, après sa mort, vint voir Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) en songe et lui donna un Nom à évoquer. Il prit aussi du Wali le Malamati Sidi Ahmed Tawachi (qu’Allah l’agrée) (m.1204), celui-ci lui transmis un Nom et lui dit : « Il te faut la retraite (khalwa), la solitude (El wahda) et le Dhikr et patiente jusqu'à ce qu'Allah t'ouvre, car tu vas avoir une station immense ».

Mais cela n'arrangeait pas Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) alors Sidi Ahmed Tawachi (qu’Allah l’agrée) lui dit : « Attache-toi à ce Dhikr et sois-y constant sans retraite ni solitude, Allah t'ouvrira dans cette situation ».

Une fois assimilés les enseignements et secrets des grands maîtres qu'il rencontrait et atteint les degrés spirituels escomptés, cette soif et ce désir d'Allah qui l'habitaient le poussaient toujours plus loin.

Certains grands saints lui annonçaient qu'il atteindrait des degrés auxquels il ne s'attendait pas, ainsi, il rencontra le grand Wali doté du dévoilement Sidi Mohamed ibn el Hassan el Wanjali (qu’Allah l’agrée) (m.1185), qui lui affirma qu'il rejoindrait le degré du grand Cheikh et Pôle de son temps Sidi Abou el Hassan Chadhili (qu’Allah l’agrée) et lui révéla d'autres secrets.

Un jour aussi il rencontra à Fès le Wali Sidi Abdallah ibn Sidi 'Arbi ibn Ahmed de Aouled Ma'an el Andaloussi (qu’Allah l’agrée) (m.1188) qui après s'être entretenu avec lui clama par trois fois à Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) : « Allah saisis par ta main ! »

Une fois aussi Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) vit en rêve le grand Wali et Pôle de son temps, le Ghawth Sidi Abou Madian (qu’Allah l’agrée), dans une assemblée où il disait : « Celui qui me donne quelque chose je lui donnerai ce qu'il demande ».

Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) lui dit alors : « Je te donne quatre ``Mathaqil`` (unité de poids monétaire) et garantis-moi le Qotbaniya el 'Odhma ».

Il répondit : « Oui je te le garantis et tu ne mourras qu'après l'avoir eu ».


Ce qui confirma son rêve c'est qu'une autre fois Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) rencontra un homme connu par le fait qu'il voyait à l'état de veille des entités spirituelles (Rouhani), et ceux-ci l'informaient sur ce qu'il voulait. Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) lui demanda : « J'ai caché quelque chose dans mon cœur, dis-moi ce que c'est ? ».

Lorsque l'homme interrogea les Rouhani, ils lui dirent que Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) interroge à propos de la Qotbaniya.

L'homme constata une personne mystérieuse à côté des esprits spirituels qui leur dit : « Qui vous a permis de parler de ce sujet ? ». Ces esprits spirituels (Rouhani) lui répondirent alors : « C'est lui qui interroge sur cela ». La personne mystérieuse leur dit alors : « Cette Qotbaniya c'est moi qui lui ai garanti à Tlemcen avant son départ, il ne mourra pas sans l'avoir atteint, alors n'intervenez pas là-dessus ni vous, ni les autres ».

Cette personne n'était autre que Sidi Abou Madian le Ghawth (qu’Allah l’agrée). L'homme qui pouvait parler aux entités spirituelles (Rouhani) n'avait jamais vu Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) auparavant et il ne le connaissait pas.

Après de multiples efforts il sentit le besoin d'accomplir son pèlerinage, ce fut en 1772/73 (1186) alors âgé de 36 ans. Durant son voyage il rencontra d'autres grandes personnalités, tel que Sidi Mohamed ibn 'Abderrahman el Azhari (qu’Allah l’agrée) dans la région de Zwawa, près d'Alger, auprès de qui il prit la voie Khalwatiya, puis en arrivant en Tunisie où il rencontra le Wali Sidi Abdsamad Rahaoui (qu’Allah l’agrée).

Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) vit le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) en Tunisie qui lui dit : « Invoque pour obtenir la Connaissance ou ce que tu désires et moi je dirai Amin pour ta demande ».

Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) invoqua donc et le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) disait Amin, ensuite le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) a récité la Sourate Wa Douha (Sourate 93) et lorsqu’il arriva au verset qui dit : « Ton Seigneur t’accordera certes ses faveurs et alors tu seras satisfait… » Le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) fixa Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) de son noble regard puis termina de réciter la Sourate.

Seïdina Cheikh Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) resta une année en Tunisie, entre la ville de Tunis et celle de Sousse. Il y enseigna diverses sciences ainsi que les Hikam d'Ibn 'Ata allah.

Devant l'étendue de sa science, l'émir du pays lui envoya un message lui demandant de s'installer à Tunis pour y enseigner la noble science et s'occuper des affaires religieuses, mettant à sa disposition une demeure, un salaire important et la célèbre université de Zaïtouna.

Lorsque Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) reçut la lettre de l'émir il se tut, puis le lendemain il se sauva et prit le bateau pour Le Caire, en Égypte, avec la ferme intention de rencontrer le célèbre Wali, le Maître majestueux et le Connaissant parfait Sidi Mahmoud el Kourdiou (qu’Allah l’agrée) originaire d'Irak.

Lors de leur première rencontre, celui-ci dit à Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) : « Tu es aimé auprès d'Allah dans ce monde ainsi que dans l'au-delà ».

Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) lui demanda : « D'où te vient cela ? »

Sidi Mahmoud el Kourdiou (qu’Allah l’agrée) lui répondit : « D'Allah ! »

Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) lui dit alors : « Je t'ai vu alors que j'étais en Tunisie et je t'ai dit : Je suis entièrement en acier. Tu m'as répondu : Oui ! C'est ainsi et je vais transformer ton acier en or ».

Lorsque Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) raconta cela, Sidi Mahmoud (qu’Allah l’agrée) lui répondit : « Oui, c'est comme tu as vu ».

Quelques jours plus tard Sidi Mahmoud el Kourdiou (qu’Allah l’agrée) interrogea Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) sur ses ambitions, ce à quoi Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) répondit : « J'ambitionne d'accéder au degré des Pôles Suprêmes (El Qotbaniya el 'Oudhma) »

Le célèbre Maître lui affirma alors : « Ô Mon ami ! Le Très-Haut te réserve beaucoup plus que cela ».

Il finit par rejoindre la ville sainte de La Mecque et entra en contact avec ces hommes de Dieu, là aussi il fit une rencontre des plus capitales, celle du fameux Cheikh Sidi Ahmed Ibn Abdallah el Hindi (qu’Allah l’agrée) à qui il était interdit de rencontrer quiconque.

Il envoya donc une lettre à Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret), par l'intermédiaire de son serviteur, dans laquelle il lui annonça : « Tu es l'héritier de ma science, de mes secrets, de mes dons et de mes lumières ».

Lorsqu'il écrivit cela à Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret), Sidi Ahmed ibn Abdallah el Hindi (qu’Allah l’agrée) déclara à son serviteur : « Il est celui que j'attendais et il est mon héritier ».

Ce à quoi son serviteur s'exclama : « Cela fait 18 ans que je suis à ton service et aujourd'hui il est venu un homme débarquant du Maghreb et tu me dis qu'il est ton héritier ».

Sidi 'Abdallah el Hindi (qu’Allah l’agrée) lui dévoila alors : « Je n'attendais que lui, et en cela je n'ai aucune part de décision, Allah choisi par sa Miséricorde qui Il veut, si j'avais eu une part de décision j'aurais alors choisi mon fils depuis longtemps ».

Il transmit ainsi à Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) tout ce qu'il détenait en science, secret et lumière et rendit l'âme après lui avoir confié l'initiation de son fils unique.

Il lui annonça aussi sa rencontre imminente avec le grand saint et Pôle Suprême (Qotb Jami') Sidi Mohamed ibn Abdelkarim Samman (qu’Allah l’agrée) (m.1775). En effet, il le rencontra à Médine. Celui-ci le fit rentrer en retraite 3 jours et lui révéla les secrets et pouvoirs des grands hommes de Dieu.

Après Médine L'illuminée et la visite de la tombe du saint Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui), Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) rejoignit Le Caire et durant ce nouveau séjour Sidi Mahmoud el Kourdiyou (qu’Allah l’agrée) lui transmit la voie Khalwatiya, en lui délivrant le diplôme d'autorisation afin qu'il initie, éduque et forme ses disciples à cette voie.

Fath El Akbar – Naissance de la voie


Il rentra enfin au Maghreb, passa et s'arrêta dans certaines villes pour aller ensuite s'isoler dans le désert algérien (départ de Tlemcen en 1196), dans les villages de Chellala (1196 à 1199) et Boussemghoune (1199 à 1213).

C'est dans le village de Boussemghoune justement que Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) eu sa grande ouverture (FATH EL AKBAR) : en effet alors âgé de 46 ans (1196) lors de sa retraite spirituelle, en pleine journée vint à lui le Prophète Mohammed (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) à l’état de veille qui lui annonça :

« Je suis désormais ton initiateur, ton Maître, aucun être humain ne prétendra être ton initiateur. Il te faut en conséquence abandonner tout ce que tu as pris de l’ensemble des voies précédemment, personne n'aura de reproche à te faire, car c'est moi qui serai ton intermédiaire auprès d'Allah et aussi ton aide ».

Il devint donc le dépositaire de la voie spirituelle du Prophète lui-même (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui), voie qui renferme en elle toutes les autres voies ; C'est la Tariqa Ahmediya, Mohamediya, Ibrahimiya, Hanifiya qui renferme des grâces énormes jamais obtenues par toutes les autres voies, tout comme la communauté de Mohammed (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) a des grâces qui n'ont jamais été obtenues par toutes les autres communautés avant l'Islam. Les vertus attachées à la voie du Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) et à son Khalife Sidi Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) sont innombrables.

Ainsi, le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) enseigna son Ouird à Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) et lui dicta les conditions que comportait sa voie. Il lui dit, entre autres conseils personnels à lui :

« Maintiens-toi dans cette Tariqa sans te retirer du monde, ni cesser d’être en relation avec les hommes jusqu'à ce que tu atteignes la station spirituelle qui t'es promise, tout en gardant ton état, sans grande gêne, ni difficulté, ni effort cultuel excessif, renonce désormais à tous les saints ».

Il reçut d'année en année l'initiation directe du Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) ainsi que l'ordre et l'autorisation d'appeler les gens à cette voie. S'ensuivit alors une période de propagation qui dura 13 ans dans cette région, les gens affluant de multiples contrées pour tirer profit de sa Baraka et prendre de ce que lui avait confié le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui).

Cet ordre prit une expansion considérable en très peu de temps, et cela attisa la jalousie et l'inquiétude des autorités turques de l'époque. Et là encore, le destin de Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) allait ressembler une fois de plus à celui du Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui).

Tout comme le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) a dû s'exiler de La Mecque à Médine, Seïdina (qu’Allah l’agrée) a dû le faire de Boussemghoune à Fès (départ d'Abi Semghoune le 17 Rabi'Awwal 1213 ; Arrivée à Fès le 6 Rabi'Thani 1213).

De là-bas, depuis sa demeure, il s'occupe de l'initiation et de l'éducation de ses disciples leur enseignant et expliquant le Coran et la tradition du Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) à ses élèves toujours de plus en plus nombreux.

Très vite, la vaste étendue de son savoir particulier, la profondeur de ses enseignements et la manifestation de ses prodiges authentiques vont conquérir toujours de plus en plus de cœurs, parmi lesquels on trouve un nombre impressionnant de savants érudits, de Walis parfaits et de maîtres spirituels. Beaucoup étaient de la noble descendance de notre Prophète Mohammed (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui).

Qoutbaniya El Oudhma - Accession au rang suprême de sceau de la Sainteté

Ainsi, depuis sa rencontre avec l'envoyé d'Allah (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) à Boussemghoune, il ne cessa de suivre ses enseignements et ses éducations tout au long de ces années, et au fur et à mesure des évènements, jusqu'au jour tant annoncé, et tant prédit au cours de sa vie où il fut hissé au rang suprême de la Qoutbaniya el 'Oudhma au mois de Mouharam de l'année 1214 (à 'Arafat par le biais d’un prodige).

Il atteint deux stations uniques dans la hiérarchie spirituelle des saints, celle de la Khatmiya (Le Sceau des saints : il clôture pour toujours les degrés de sainteté) et celle de la Katmiya (Le Pôle caché : station spirituelle connue seulement d'Allah et de son Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) atteint le 18 du mois de Safar, il est l'intermédiaire spirituel entre les Prophètes (sur eux la paix) et l'ensemble des Walis (qu’Allah les agrée)).

À ce sujet, le poète a dit :


Le message a été clôturé par notre très saint Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui)

Et la sainteté a été clôturée par Cheikh Ahmed Tijani (qu’Allah l’agrée)


Ce qu’on veut faire comprendre ici c’est la suprême sainteté unique

Quant au Pôle de la sainteté commune il existera toujours au fil du Temps,


Par la pure faveur de notre Glorieux Seigneur.


Il est ainsi tout en haut de l'échelle de la sainteté et n'a au-dessus de lui que les Prophètes (sur eux la paix) et les compagnons (qu’Allah les agrée) de notre généreux Prophète Mohammed (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui). Il est le Pôle caché qui sera dévoilé au jour du Jugement Dernier par une voix qui clamera : « Ô Gens du rassemblement ! Voici votre guide par lequel vous étiez irrigués depuis le début de la création jusqu’à maintenant ».

Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) a révélé : « Le maître de l'existence (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) m'a informé de vive voix que je suis le Pôle caché, cela à l'état de veille et non en rêve ».

Il a expliqué aussi en ces termes le rôle du Pôle caché : « Tout saint ne boit et n'est abreuvé que de notre océan depuis la création jusqu'au jour où on soufflera sur la Trompe du Jugement dernier ».

Il a dit aussi : « Tous les flux qui émanent du Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) sont recueillis par les essences des prophètes (sur eux la paix) et tout ce qui émane et surgit de leurs essences sont recueillies par mon essence et de moi cela se départage sur l’ensemble des créatures depuis le commencement du monde jusqu’au jour où on soufflera sur la Trompe du Jour Dernier, et j’ai des sciences par lesquelles j’ai été particularisé entre le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) et moi sans intermédiaire ».

Ces paroles ont été prononcées dans l'intention de permettre au disciple de comprendre l'importance et la valeur des grâces qu'Allah a fournies au détenteur de ce degré spirituel, jamais atteint par aucun saint, et ainsi d'être reconnaissant envers Allah.

Allah (qu’Il soit Glorifié et Exalté) a dit : « [...] et quant aux bienfaits de ton Seigneur raconte-les ».

C'est à ce même titre que le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) avait dit :

« J'étais déjà prophète alors qu'Adam était entre l'eau et l'argile ».

Le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) avait dit aussi :

« Je serai le premier à être ressuscité le jour de la résurrection, je serai l'orateur lorsque les ressuscités seront rassemblés, et l'annonciateur de la bonne nouvelle lorsqu'ils auront perdu espoir. Je détiens la bannière de la louange de Dieu, sans prétention, je serai le premier à demander et à obtenir l'intercession, je serai le premier à frapper à la porte du Paradis et à y être autorisé à entrer, et j'y entrerai avec les croyants pauvres, je suis le plus méritant parmi tous les enfants d'Adam auprès de mon Seigneur, sans prétention ».


Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) avait dit : « Mes deux pieds que voici sont sur la nuque de chaque Wali ».

Sidi Mohamed el Ghali (qu’Allah l’agrée), un éminent compagnon de Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret), lui fit remarquer que Sidi Abdelqader Djilani (qu’Allah l’agrée) avait dit une parole presque similaire, il lui répondit : « Il avait parfaitement raison, mais il ne parlait que des Wali de son époque, quant à moi, je dis que mes deux pieds que voici n'ont jamais cessé d'être sur la nuque de chaque Wali ».

Sidi Mohamed el Ghali (qu’Allah l’agrée) avait dit au sujet du rôle et du degré de Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) : « C'est par son intermédiaire que tous les saints, sans en avoir conscience, reçoivent l'influx des Prophètes (sur eux la paix) ».

Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) quitta ce monde terrestre le jeudi 17 Chawal 1230 à l'âge de 80 ans. Après avoir accompli la prière du Soubh il s'allongea sur le côté, demanda un verre d'eau qu'il but, puis son esprit agrée quitta son corps béni.

Il fut enterré dans le jardin qui juxtaposait les murs de la Zaouiya bénie de Fès, par la suite, au fur et à mesure de son agrandissement cette parcelle fut incluse dans les murs de la Zaouiya (début de la construction à partir de 1215) et depuis son départ la lumière qu'il hérita du Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) ne cesse de se propager.

Portrait de Seïdina Ahmed Tijani (Qu’Allah sanctifie son précieux secret)

Les traits fins de son visage radieux, d'un blanc rosé, son allure princière, bien qu'il soit le plus humble, marquent en lui sa haute lignée.

Imitant le prophète Mohammed (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) dans tous les actes et conditions, sa barbe, filée de poils gris resplendissant, faisait jaillir de lui une lumière mystérieuse.

Riche par Dieu, ne demandant rien à personne, il fut honoré de grâce qui faisait qu'il ne comptait que sur Dieu.

Il dévoila ce qui est permis et cacha ce qui pouvait perturber l'esprit. Par Taha, son maître et compagnon, tel le soleil et la lune, nul ne pourrait plus séparer ces deux sceaux de la même famille pour l'amour qu'ils avaient pour Lui.

Le pauvre esclave en Allah, Mohamed El Mansour El Mohieddine Tijani, qu'Allah le préserve






Protocole de la visite pieuse (Ziarat) de Sidi Ahmed Tijani à Fès

La merveilleuse histoire de la Zaouiya bénie de Sidi Ahmed Tidjani - (qu’Allah sanctifie son précieux secret)

Le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) ordonna à Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) de construire la Zaouiya bénie et pour cela, il devait choisir le meilleur emplacement, le plus pur. Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) a donc choisi l’endroit où la Zaouiya est actuellement construite.

Autrefois, le quartier s’appelait Dardas et il est connu aujourd’hui sous l’appellation de quartier Blida. Il a acheté ce lieu avec son argent pur et licite. Il s’agissait d’une ruine où il y avait un grand figuier et c’est à cet endroit justement qu’est enterré Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret).

Cette ruine était si effrayante que personne ne pouvait entrer seul à l’intérieur. Il a été rapporté, selon une source fiable, qu’on entendait à certains moments des voix, comme si un groupe était en train de faire du Dhikr et c’était le lieu de visite des Majadhib (les attirés par Dieu).

Avant sa construction, le célèbre majdhoub Sidi Lahbi (qu’Allah l’agrée) mettait son oreille sur la porte et disait au passant : « Venez vers cet endroit pour écouter le Dhikr ». Lorsque la Zaouiya fut construite ce majdhoub a dit : « Fès s’est renforcé et surtout Dardas ». Il faut savoir que ce lieu béni possède des mérites qui la situent au-dessus de tout autre Zaouiya.

Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret), en parlant de ses mérites, a dit : « Si les grands connaissants savaient le mérite que contient cette Zaouiya, ils viendraient y installer leurs tentes ». Souvent, Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) mentionnait la valeur de la Zaouiya, incitant les gens à venir y prier, il dit : « La prière dans la Zaouiya est acceptée sans aucun doute ».

Parmi les mérites contenus encore dans la Zaouiya bénie, il faut savoir qu’au commencement de la construction, Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) a fait interdire l’accès, et ensuite, accompagné d’une poignée de l’élite de ses compagnons, il grava sur la pierre le plus grand des Noms Suprêmes et à la suite il écrivit :

« Ô ! Mon Dieu je te demande, Ô ! Mon Maître par la vérité du plus grand de tes Noms Suprêmes que tu protèges mes compagnons de Qaf à Qaf. » Puis il ordonna que cela soit enfoui dans les fondements d’un des piliers qui s’appelle encore aujourd’hui le pilier d’or.

Méthode pour la visite pieuse de notre maître vénéré et aimé Seïdina Ahmed Tijani -(qu’Allah sanctifie son précieux secret).

Voici la sagesse et la réalité enseignée dans la Zaouiya Tidjaniya El Koubra d’Europe par le pauvre en Dieu Mohamed El Mansour El Mohiedine Tidjani (qu’Allah le préserve) concernant la préparation pour cette visite pieuse à Fès.

Il est recommandé, avant de se rendre à la visite pieuse de notre vénéré maître Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret), d’avoir à ce moment-là une pure intention, de cheminer purement vers la visite de notre bien-aimé maître Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) pour l’amour de Dieu et de son Prophète Mohammed (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui).

Pense à ces paroles du Prophète(que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) :
« Quiconque quitte son pays en vue de Dieu et de son Prophète parviendra jusqu’à eux. Qui le quitte en visant un avantage de ce bas monde, l’obtiendra. Qui le quitte désirant une femme, l’épousera. Son exil atteindra le but qu’il s’est proposé en émigrant. »

Comprends bien ces paroles du Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) : « son exil atteindra le but qu’il s’est proposé en émigrant ». Réfléchis à cela, si tu es intelligent et doué de compréhension ! (Tiré des Hikam d’Ibn ‘Ata Allah (qu’Allah l’agrée)).

Qu’en est-il alors pour la rencontre de l’esprit de notre très saint Prophète Mohammed (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) lors de sa visite à Médine ainsi que celle de notre saint vénéré et notre guide Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) ?

C’est à ce sujet que notre très saint et vénéré maître Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret), dans une de ses très subtiles et belles paroles, a voulu orienter nos cœurs seulement vers un Dieu unique en disant :
« Celui qui m’aime pour l’amour d’Allah et de son Messager (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) est béni, mais quant à celui qui m’aime pour une autre raison, je ne suis qu’un simple mortel ».

L’imam Nadhifi a dit dans un poème :

« Place ta sincérité dans la rencontre de Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) en installant ta tente devant sa porte tu seras certainement en pleine sécurité, il est l’important intermédiaire à la valeur immense et c’est à travers lui que se trouve la pleine guérison des esprits et des corps ». Il a dit aussi dans le même poème : « Repend-toi de tes péchés devant Dieu, de l’oubli et de l’insouciance envers son bien-aimé Sceau de la Sainteté afin de garder ton estime auprès de la Vérité » (Traduit, revu et complété par la Zaouiya)

Cheikh Mohamed El Mansour El Mohiedine Tidjani (qu’Allah le préserve) conseille, d’après sa propre expérience, de faire Salat Tasbih ou autres formules de purification et de se repentir auprès d’Allah pour un meilleur profit dans la relation directe avec la pureté de l’esprit de notre très vénéré et aimé maître Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret).

En pénétrant dans cette suprême Zaouiya bénie, il est nécessaire de laisser tous les titres et les positions et de rentrer en toute humilité. Dans ce lieu, il n’y a plus de Mouqadem ou représentant, dans ce lieu béni, il est la seule représentation reconnue, il est le Khalife du Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui).

Tout le monde est considéré comme disciple ou visiteur, c’est ainsi que Cheikh (qu’Allah sanctifie son précieux secret) a dit par rapport à sa position : « Celui qui me connaît, qu’il me connaisse seul ». Cette parole a été dite pour éclairer les disciples Tidjani. Il est le seul à avoir accédé à cette station unique et cette station ne saurait être partagée avec un autre que lui.

On se doit d’aller faire deux Rak’at (cycle de prière) pour saluer ce lieu pur et béni, si l’on est dans une heure où cela est permis. Parmi les politesses spirituelles, on se doit d’aller saluer convenablement la noble descendance de notre maître (qu’Allah sanctifie son précieux secret), s’ils sont dans les lieux. Cela est pour solliciter leur bienveillance et leur bénédiction pour la visite pieuse, afin de tirer le maximum de faveur et de grâce avant de se mettre en présence de l’esprit pur du Pôle caché et intermédiaire scellé, notre très honorable et aimé maître Seïdina Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret).

Si toutes ces conditions mentionnées sont accomplies, avec un cœur pur et sans aucun mélange, nous vous garantissons avec la ferme conviction que vos demandes seront prises en compte à travers notre très cher et bien-aimé Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret).

Cette formule suivante, bien connue pour le commun, est tirée de Kachf El Hijab de l’imam Soukeïrij (qu’Allah l’agrée) :
1- Se mettre face au tombeau et réciter :

« Attahiyêtou lillêh wa zakiyatou lillêh wa taïbatou salawatou lillêh, Assalamou alaïka ayyouha nabi wa rahmatoullah » 7 fois.

Puis à la 8e fois, la réciter entièrement jusqu'à « … wa barakatouh Assalamou ‘alaïna wa ‘ala ‘ibada llahou salihin, Ach-hadou an lê ilêha ila llah wahdahou lê charika llah wa ach-hadou anna Mouhammadan ‘abdouhou wa rassoulouhou. »

2- Puis dire :

« Assalêmou 'alaïka ya khalifatou-llah, Assalêmou 'alaïka ya khalifatou rassouloullah, Assalêmou 'alaïka ya ayyouhal qoutboul maktoum, Assalêmou 'alaïka ya Seïdina wa Cheïkhina wa Maoulana Ahmed Tijani. »

Traduction :

« Que le salut soit sur toi Ô ! Khalife d'Allah, que le salut soit sur toi Ô ! Khalife du Messager d'Allah, que le salut soit sur toi Ô ! Pôle Caché, que le salut soit sur toi Ô ! Notre excellence, notre Cheikh et notre maître Ahmed Tijani. »

3- Réciter :

4 fois la Fatiha El Kitêb et réciter 11 fois Salât Fatihi (ou plus selon la capacité de chacun) en offrant la récompense à Seïdina Cheikh Ahmed Tijani (qu’Allah sanctifie son précieux secret).

4- Dire :

« Allahouma bi haqqi 'ibadika aladhina idha nadarta ilaïhim sakana ghadabouka wa bi haqqil hafina min haoulil 'arch wa bi haqqi Seïdina Mouhammedin wa bi haqqi Seïdina wa cheïkhina wa maoulana Ahmed Tijani if’al li. (Puis nommer ce qu'on désire) ».

Traduction :

« Ô ! Seigneur par le droit de tes esclaves qui lorsque tu les regardes ta colère est arrêtée, et par le droit de ceux qui entourent le Trône et par le droit de notre excellence Mohammed et par le droit de notre excellence, notre Cheikh et maître Ahmed Tijani, je te demande. (Nommer ce qu’on désire) ».


Recherche et traduction par la Zaouiya Tidjaniya (Zaouia Tijaniya) El Koubra d’Europe


mardi 22 mai 2012

René Guénon : le renouvellement de la spiritualité islamique







                                   



Ahmad Abd-al-Qouddous Panetta
Communita religiosa islamica (Italie)

En 1951, mourait au Caire René Guénon, écrivain français qui avait adhéré à la religion musulmane,
et qui avait trouvé en Egypte l'endroit où vivre les vingt dernières années de sa vie et où il découvrit
et suivit les enseignements de plusieurs maîtres musulmans.



Auteur de livres importants, comme Orient et Occident et La crise du monde moderne, Guénon a
influencé par son œuvre de nombreuses personnes, dans le monde entier, qui ont essayé de
réorienter leur existence selon des valeurs spirituelles et un dynamisme intellectuel retrouvé.
D'après ses paroles : " Restaurez une perspective métaphysique et les conséquences seront
incalculables. " La crise de la société contemporaine semble résider justement dans la perte de cette
dimension spirituelle, dans la contamination de l'intellectualité pure au profit d'une rationalisation
exaspérée et peu intelligente, dans l'abandon des certitudes de la doctrine sacrée en faveur de
pseudo-cultures qui alimentent les insécurités de l'âme passionnelle, dans la sensibilité perdue par
l'homme moderne du bon goût et de la qualité de la contemplation en vertu d'une hyperactivité
obsessionnelle qui produit la misère et " le règne de la quantité ", dans l'oubli de la nature de la
création et de la finalité de l'existence qui provoque la barbarie entre les peuples et l'ignorance entre
les individus.



Ses méditations sur la crise de l'homme moderne, la mentalité profane, scientifique, psychologique,
anthropologique, épistémologique, démocratique, ont à tort placé Guénon parmi les intellectuels "
traditionalistes ", à côté d'autres auteurs conservateurs qui font souvent l'objet d'une discrimination
factieuse de la part du " monde bien pensant de la culture occidentale ", pour le seul fait qu'elles
expriment des réflexions différentes de la tendance du marché et de la mode du moment.
Dans le cas de Guénon, ce rapprochement a eu au moins deux conséquences négatives. La première
fut sans aucun doute celle de le " cataloguer " dans les méandres des " amateurs de la tradition et
des sciences ésotériques ", en méconnaissant la portée du renouveau intellectuel de son œuvre qui
va bien au-delà de ces cercles littéraires et occultistes restreints. Paradoxalement, ce sont justement
ces cercles pseudo-littéraires qui revendiquent la défense de l'œuvre de Guénon en utilisant les
armes ridicules et artificieuses d'un " langage guénonien " ou d'un " culte ésotérique de sa fonction "
pour légitimer leur incapacité à s'occuper des responsabilités spirituelles incombant à chaque
homme, et pouvoir ainsi justifier leur détachement des " choses de ce monde " et leur attachement
morbide à l'imagination individuelle au sujet de l'au-delà.

La deuxième conséquence est que l'on assiste à une réévaluation et à une instrumentalisation
dangereuses de l'œuvre de Guénon comme inspirateur d'une réaction " traditionaliste " ou "
spiritualiste " face au monde moderne. Il s'agit en réalité de véritables tentatives de manipulation de
la doctrine universelle pour légitimer certains courants de pensée ou de pouvoir qui ne sont
intéressés que par le contrôle de ce monde, et qui n'ont aucune sensibilité pour le sacré.
D'un côté, nous avons les prisonniers de l'imagination de l'autre monde qui deviennent souvent les
théoriciens du détachement de ce monde et, de l'autre côté, nous avons les militants des illusions de
ce monde qui créent une confusion sur la réalité de l'autre monde. Prisonniers et théoriciens,
imaginations, illusions et confusions. Ce sont toutes les expressions d'un éloignement d'une
authentique perspective traditionnelle et spirituelle. Mais nous devons surtout reconnaître qu'il y a,
chez certains de ces mauvais lecteurs, une incapacité chronique à distinguer et à réunir, sans les
confondre, ce monde avec l'autre monde, et par conséquent à comprendre et à appliquer dans leur
vie les enseignements du shaykh 'Abd al-Wâhid Yahyâ René Guénon. Ce n'est pas par hasard si c'est
justement de cette manière qu'il était appelé, au Caire, par le digne recteur de l'Institution Religieuse
d'Al-Azhar, le shaykh 'Abd al-Halîm Mahmûd, qui connaissait et appréciait Guénon en tant que savant
musulman occidental. Parmi les mérites reconnus à Guénon par le recteur d'Al-Azhar, il y avait sans
aucun doute son extraordinaire préparation vis-à-vis de la doctrine sacrée et des correspondances de
celle-ci à l'intérieur des différentes traditions religieuses, ainsi qu'une rare capacité à transmettre
cette connaissance, sans la vulgariser, dans un langage encore accessible à l'Occident moderne.
Il s'agissait alors de réussir non seulement à décrire un cadre traditionnel dans un monde qui oubliait
de plus en plus son origine céleste, mais aussi de stimuler chez les lecteurs la conscience de pouvoir
surpasser la crise de l'homme moderne et de pouvoir retrouver l'ordre et la dignité perdus. Un tel
devoir n'incombe pas à de simples écrivains, mais il devient la fonction maïeutique naturelle de ceux
qui, tout en continuant à lire et à écrire, ont retrouvé le goût du témoignage spirituel.

Dans cette perspective, la présence d'une communauté de musulmans occidentaux qui sachent
suivre l'exemple intellectuel islamique du shaykh 'Abd al-Wâhid Yahyâ Guénon représente une
possibilité particulièrement intéressante pour l'avenir de la communauté islamique et de la
civilisation occidentale. En effet, la réorientation traditionnelle opérée par les membres de cette
communauté, unie à la conscience des caractéristiques historiques, scientifiques et culturelles qui
ont déterminé le progrès et le développement du système de vie occidental permettrait à ces
musulmans de représenter un exemple d'universalité islamique intégrée dans la société
contemporaine. Il serait souhaitable que ces musulmans occidentaux puissent donner plus de
visibilité et un plus large écho à une perspective intellectuelle qui sache renouveler la contribution
des réflexions des savants islamiques quant à l'histoire du monde et à la science, sans tomber dans
les oppositions horizontales ou dans les confusions entre sacré et profane, entre réalité spirituelle et
matérielle.

Un exemple intéressant, en Europe justement, est représenté par une branche autonome de la
Tarîqa Ahmadiyya Idrîsiyya Shâdhiliyya, conduite par le Shaykh Yahyâ ibn 'Abd al-Wâhid Pallavicini,
Tarîqa qui se réunit principalement à Milan, dans les locaux de la mosquée al-Wâhid, et dont les
membres participent également à des activités institutionnelles et culturelles sous la dénomination
de CO.RE.IS. (Communauté Religieuse Islamique) en Italie et de I.H.E.I. (Institut des Hautes Etudes
Islamiques) en France.

Cette Tarîqa tire son inspiration de l'un des grands rénovateurs spirituels du XIXe siècle, le Shaykh
Ahmad Ibn Idrîs (radiya-Llâhu 'anhu), qui est né au Maroc en 1750 et est entré dans le Tasawwuf par
une branche particulière de la Tarîqa Shâdhiliyya à laquelle était directement rattachée l'inspiration
du Khidr (le " Verdoyant ", symbole de la Tradition immuable, dîn al-qayyima ou ad-dîn al-qayyim
dans le Coran), personnage auquel fit rapidement allusion René Guénon (rattaché lui aussi à la
Shâdhiliyya), qui déclara ne pas vouloir s'y arrêter " parce que la chose le concerne de trop près ".
En tant que représentants de la Tarîqa Ahmadiyya Idrîsiyya Shâdhiliyya, nous ne voulons en aucune
manière nous proposer comme les successeurs ou les disciples exclusifs de René Guénon ;
certainement pas parce que nous pensons, comme d'autres l'ont fait, devoir apporter quelque
réserve à son enseignement, mais parce que cela serait contraire à l'esprit même de cet
enseignement qui a toujours placé au centre la Vérité et la Tradition.

Nous tenons cependant à affirmer que les efforts accomplis depuis des années pour réaliser la Vérité
métaphysique et en témoigner, pour sauvegarder le dépôt de la Tradition qui nous a été confié, pour
dialoguer avec les institutions religieuses, politiques et gouvernementales et, enfin, pour édifier un
lieu de culte, ces efforts, disons-nous, sont des applications, dans des modalités et à des niveaux
différents, des principes métaphysiques, et représentent une des principales modalités opératives
dans lesquels l'enseignement du Maître doit être " rendu réel ". Il s'agit en effet de constituer les
moyens nécessaires pour que, dans cette fin des temps, il puisse y avoir un nécessaire point d'appui
traditionnel, compatible avec les conditions cycliques, mais cependant central et actif par rapport à
elles.

Il s'agit sans nul doute de moyens contingents, mais qu'il était nécessaire de commencer à
constituer, sans aucune prétention d'exclusivisme, mais sans non plus qu'on pût les mettre en
discussion sur la base de formalismes pseudo-guénoniens vides de sens, qui ne procèdent pas d'une
science certaine mais des illusions typiques de ceux qui observent les choses de trop loin et de
l'extérieur, sans vouloir en aucune façon les vérifier, faute d'une sincère disponibilité au changement.
En d'autres termes, il ne suffit certes pas de se référer à l'œuvre de Guénon pour se libérer des
limitations de la mentalité profane, caractérisée précisément par cette incapacité de pénétrer au-
delà du voile des apparences et par l'irrésistible désir de se faire sur toute chose une opinion
personnelle.

Les réalités auxquelles ont donné naissance la bénédiction et l'inspiration provenant de la Tarîqa
Ahmadiyya Idrisiyya Shâdhiliyya opèrent naturellement dans des contextes différents, mais elles se
rattachent aux mêmes principes, et permettent aux membres de la Tarîqa d'articuler leur
connaissance du monde et de Dieu dans toutes les dimensions, ce qui, sans ces moyens, aurait été
pour beaucoup réellement impossible.

Certes, maints écrivains ont insisté sur la distinction entre l'enseignement traditionnel et une
idéologie humaine ; pourtant, cette distinction n'apparaît évidente que lorsque la Tradition peut
s'exprimer pleinement sous une forme communautaire, rituelle et symbolique, et aussi en
s'appuyant sur les lieux de culte nécessaires. Seuls ces moyens contingents permettent une
transmission réellement synthétique de l'esprit traditionnel, capable d'éviter d'emblée, plus que
n'importe quel " traité ", certains écueils typiques de la mentalité moderne. Sans la présence de
fonctions traditionnelles dont il faut se revêtir à toutes fins et à tous les moments de l'existence,
seuls quelques hommes exceptionnellement doués seraient en mesure de retrouver la concentration
spirituelle nécessaire pour obtenir la réalisation métaphysique, alors que les autres finiraient
inévitablement par faire prévaloir en eux-mêmes les influences du monde profane qui occupent la
majeure partie de leur temps. Comme le disait le Shaykh ad-Darqawî (radiya-Llâhu 'anhu), il faut
éviter de fréquenter les profanes, car ils sont porteurs d'un poison mortel ; on ne peut cependant,
pour ce faire, s'enfermer dans une tour d'ivoire. Ce qu'il faut, c'est créer les conditions pour que, tout
en vivant et en agissant dans ce monde, il soit possible de bénéficier, d'une façon significative, de la
fréquentation d'un contexte traditionnel. Le Shaykh ad-Darqawî - qui pourtant vivait à une époque et
dans des lieux qui pourraient nous paraître idéaux aujourd'hui - disait à quelqu'un qui se plaignait de
ne pas trouver des hommes avec qui partager ses aspirations spirituelles : " Eh bien, engendre-les toi-
même ! "

Les moyens auxquels le Shaykh 'Abd al-Wâhid Yahyâ Guénon a toujours fait allusion, sans vouloir
trop les expliciter pour des raisons diverses et compréhensibles, sont peut-être apparemment moins
éclatants que ne voudraient l'imaginer nombre de ses lecteurs. Ce qui est vraiment éclatant, en
réalité, ce sont les possibilités cognitives qui se développent, une fois que ces moyens ont été
constitués, et qui permettent aux bénédictions d'opérer et de créer des occasions de connaissance
qui dépassent toute initiative et imagination individuelles. On ne voit alors plus de " vides " au sein
de la Création de Dieu, car, en fait, ces vides correspondent seulement à un " point de vue ", le point
de vue profane.

Cette pratique intègre et sincère de la religion constitue le point de départ pour s'orienter vers une
éventuelle vocation contemplative, dont tous les croyants peuvent tirer le bénéfice à travers une
vision naturelle de l'intégrité de la Tradition qui les libère de toute recherche individualiste
obsessionnelle de l'ésotérisme, en leur faisant découvrir, si besoin est, le sens nécessaire du sacrifice
que cela comporte. En effet, certaines exagérations, engendrées par des passions étrangères à la
vraie vocation religieuse, ont toujours été tout à fait inconnues dans toutes les civilisations
traditionnelles, où chacun s'abreuve à la source dans la mesure de sa vraie soif de connaissance.


A propos d'un livre sur le pèlerinage








Article paru dans la revue Le Fil d’Ariane, n°34 (1988)

A PROPOS D’UN LIVRE SUR LE PELERINAGE

A.A.

Nous nous proposons, dans ce qui suit, de faire quelques brèves remarques au sujet d’un ouvrage de Charles-André Gilis intitulé La Doctrine initiatique du Pèlerinage à la Maison d’Allâh 1, et dont les circonstances ne nous ont pas permis de rendre compte à l’époque de sa publication. Notre propos, très modeste, est tout d’abord d’attirer l’attention sur l’oeuvre de Ch.-A. Gilis en général, car il s’agit sans aucun doute de l’une des plus importantes contributions actuelles à l’étude de l’ésotérisme musulman. Outre le livre déjà cité, Ch.-A. Gilis est également l’auteur d’une Traduction et présentation d’un commentaire d’Ibn Arabî sur les trente-six Attestations coraniques de l’Unité divine 2, ainsi que d’un ouvrage fondamental pour la compréhension de l’oeuvre de René Guénon 3, qui tranche singulièrement sur le flot des publications récentes consacrées à ce sujet.



L’oeuvre de Charles-André Gilis se place d’emblée sous une triple autorité qui est la meilleure garante de sa parfaite orthodoxie traditionnelle : celle tout d’abord de Muhyî-d-Dîn Ibn `Arabî, le Cheikh al-Akbar (c’est-à-dire le « très grand maître spirituel »), auteur en particulier des Futûhât al-Makkiyya ; celle de René Guénon ensuite, à laquelle Ch.-A. Gilis se réfère constamment ; celle, enfin, de Michel Vâlsan qui, par ses nombreuses études et traductions, aussi bien que par l’influence qu’il exerça, « fut véritablement le fondateur des études akbariennes en Occident » 4.

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