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mercredi 22 janvier 2014

lundi 29 juillet 2013

Mawqif 366 - Commentaire de l'Emir 'Abd al-Qâdir al-Jazâ'irî sur le début des Futûhât al-Makkiyyah


                                 Abd el-Kader à Damas, après 1862, ph.  Francis Bedford
 
 
 
[Emir 'Abd al-Qâdir al-Jazâ'irî, Kitâb al-mawâqif, Mawqif 366, trad. Max Giraud et Jean-François Houberdon, Revue Science Sacrée, n°3-4, 2002].

Notre chef — ou plutôt le chef de tous les connaissants [sayyid al-‘ârifîn] — a dit : Al-hamdu li-Llâhi alladhî awjada al-ashyâ’ ‘an ‘adam wa ‘adami-hi, « La louange est à Allâh qui existencié les choses d'un néant et sa négation » (1). Voici ce qu'en dit le serviteur (que je suis) : l'herméneutique de la formule « La louange est à Allâh » est abondamment développée et bien connue ; j'y ajouterai ceci :

La louange du commun des hommes est proférée par leurs âmes individuelles et s'adresse à Allâh — qu'Il soit exalté ! — considéré comme une réalité radicalement différente d'eux. Ainsi, pour eux, Allâh Seul peut être loué et leurs âmes sont les agents de cette louange : leur point de vue exclut que des créatures puissent être objets de louange.

La louange de l'élite est bi-Llâhi, « par » Allâh et le bâ' (de bi-Llâhi) implique la subsistance d'une trace de contingence (2) ; ces hommes se distinguent du commun par le fait que leur louange est « par » Allâh, « pour » Allâh, non par leurs âmes individuelles.

La louange de l'élite de l'élite est « à » Allâh, et le lâm (de li-Llâhi) implique l'extinction de toute trace de contingence (3). C'est pourquoi les maitres de la Voie initiatique déclarent les lâmiyyûn, les gens du lâm, supérieurs aux bâ’iyyûn les gens du bâ’. Cela s'applique aussi à la formule Lâ hawla wa lâ quwwata illâ bi-Llâh, « pas de force ni de puissance si ce n'est par Allâh » de sorte que Lâ quwwata illâ li-Llâh, « Pas de puissance si ce n'est à Allâh » a la prééminence illâ bi-Llâh « si ce n'est par Allâh ». Ainsi l'énoncé « la louange est à Allâh » a, selon nous, la primauté sur « la louange est par Allâh ». Lorsque le savant par Allâh — qu'il soit exalté ! — dit : « La louange est à Allâh », c'est dans le sens où il n'y a rien qui louange Allah sinon Lui-même et qu'il n'y a pas plus digne de louange que Lui-même, ce qui revient à enlever aux créatures la possibilité d'effectuer réellement la louange ou d'en être l'objet. C'est ce qui résulte de la doctrine attribuant au Très-Haut les finalités de l'éloge : tout éloge Lui revient — qu'Il soit exalté ! — ; il a son origine en Lui et retourne à Lui.

Notre chef et maître [sayyidunâ wa mawlânâ], dans ce livre des Futûhât. a déclaré que tout éloge formulé en faveur d'un être autre qu'Allâh revient finalement à Allâh et cela de deux manières :

La première, c'est qu'un être créé est louangé en vertu de qualités positives qui lui attirent l'éloge, ou encore qu'il produit des œuvres dignes d'éloges, fruits des qualités qu'il manifeste. De quelque manière qu'on la considère, cette louange revient à Allâh puisqu'il est l'Existenciateur réel et des qualités et de leurs effets qui ne sauraient être attribués à l'être créé ; la louange revient donc finalement à Allâh.

La seconde, c'est le point de vue du connaissant voyant avant tout que la réalité prêtée aux êtres contingents n'est autre que la manifestation de Dieu en eux ; c'est donc Lui que la louange concerne et pas les êtres créés. Ensuite, il remarque la place occupée par la lettre lâm dans le mot li-Llâhi (à Allâh) et constate que le Louangeur est identique au Louangé et rien d'autre : Allâh, de ce fait, est le « Louangeur-Louangé » [al-hâmid al-mahmûd]. Il dénie l'acte de louange à la créature qui louange et exclut qu'elle puisse être objet de louange. Ainsi, l'être créé, sous un certain rapport, est louangé et non louangeur, et, sous un autre rapport, n'est ni louangeur ni louangé. Nous avons déjà expliqué pourquoi il ne saurait être réellement louangeur : la louange est un acte et les actes appartiennent à Allâh (5). Quant au fait qu'il ne puisse être louangé, cela tient à ce que le louangé est digne d'éloge pour ce qui lui appartient en propre ; or l'être créé ne possède rien et ne peut donc en aucun cas être objet de louange (6).

 
REMARQUE (7)

 

La louange la plus véridique est « la louange de la louange » [hamd al-hamd] : en ce sens que constater des perfections en acte dans un être est plus sûr que (de s'en remettre au jugement) laudatif mais néanmoins faillible d'une tierce personne sur cet être […].

En parlant de « l'Etendard de la louange », notre chef indique aussi qu'il s'agit de « la Louange de la louange », degré le plus total, le plus brillant, le plus épanoui des stations de louanges car c'est vers cet « Etendard de la Louange » que se réuniront les hommes (au Jour de la Résurrection). Il sera, en effet, l'Insigne de la Royauté et de la présence du Roi [martabat al-mulk wa wujûd al-malik]. Il en est ainsi de « la Louange de la louange » vers laquelle se réunissent toutes les stations de louange, car elle est Louange Juste qui n'admet ni aléatoire, ni doute, ni suspicion. Elle est louange véritable puisqu'elle témoigne par elle-même ; elle est étendard en elle-même.

Considère la chose suivante : si tu dis d'une personne — ou elle le dit d'elle-même — qu'elle est généreuse ; cet éloge peut être vrai ou faux. Mais si cette personne fait un don gracieux par amour du bien, cet acte charitable, à lui seul, prouvera la générosité du donateur. Sur l'expression « à Allâh », je dirai que de nombreuses choses ont été affirmées sur le Nom de Majesté (Allâh) ; elles sont bien connues. Cependant j'ajouterai que le terme « Allâh » sert à exprimer l'Essence-Réalité absolue : il n'est pas un terme dérivé et il n'exprime aucun attribut comme l'affirment ceux qui le considèrent comme un nom propre sans étymologie. Par ailleurs, il désigne aussi le degré de la Fonction divine et, dans ces conditions, il est considéré comme dérivant de la notion de « divinité » comme sont amenés à le dire ceux qui le conçoivent comme un attribut doté d'une étymologie (8).

A ce second aspect du Nom de Majesté correspond la parole du Très-Haut : « Vous êtes les pauvres dépendants d'Allâh » [antum al-fuqarâ’ ilâ-Llâh] (9), car c'est de la Fonction divine dont les êtres ont besoin pour exister ; c'est le degré des Noms divins, causes des effets manifestés. Ces Noms requièrent le monde pour manifester leurs effets et le monde les réclame car il a besoin d'eux pour apparaître et gagner l'existence. Entre le degré de la Fonction divine (Ulûhiyyah) — où Allâh apparaît comme divinité — et les archétypes du monde [a’yân al-‘âlam], il y a une relation indissoluble de besoin réciproque et, comme dans toute réciprocité, si l'un des deux termes vient à manquer, le second disparaît aussi.

En revanche, il est fait allusion au premier aspect du Nom de Majesté dans la parole du Très-Haut : « Allah est Celui qui se passe de tout, le Très Louangé » [wa-Llâhu huwa al-ghaniyyu al-hamîdu] (10). En effet, se passer des hommes et de tous les mondes n'appartient qu'à la Réalité absolue de l'Essence. Celle-ci, conçue comme transcendant toute fonction divine, n'implique pas le monde et ce dernier l'ignore puisque, contrairement à la Fonction divine, il n'y a aucune relation entre l'Essence et les hommes ou l'ensemble des êtres du monde (11). J'ai longuement développé le sujet de ce verset dans les Haltes Spirituelles. Le Pôle ‘Alî Wafâ — qu'Allah soir satisfait de lui ! — a déclaré que le Nom de Majesté « Allâh » n'est dérivé de rien dans la mesure où il est conçu comme enveloppant tout, alors que ce même Nom est dérivé de « divinité » (ilâh) sous le rapport (12) où il désigne la Fonction divine.

Le Vrai Evident fait allusion à ces deux aspects par la langue muhammadienne [al-haqq al-mubîn bi-lisânihi al-muhammadî] lorsqu'Il dit : « Dis, Lui, Allah, est Un ! » ; c'est là le Nom de Majesté englobant tout. Il ajoute : « Allah est le Soutien Universel » (13) et cette fois il s'agit du Nom de Majesté désignant la Fonction divine. L'intellect et les données traditionnelles témoignent de l'extrême importance de la distinction opérée entre (les deux aspects du Nom de Majesté).

 
(1) Cette phrase peut être traduite encore au moins de deux façons « La louange est à Allâh qui a existencié les choses d'un non-être et sa négation », et « La louange est à Allâh qui a existencié les choses d'une non-manifestation et sa négation ». Nous justifierons ces différentes traductions dans la suite de notre travail.

(2) Dans l'écriture, La lettre bâ’ s'attache à l’alif du Nom d'Allâh mais garde sa réalité visible et différenciée …. Du ce fait, elle marque un état de distinction entre le Principe et le manifesté. Elle symbolise généralement l'Intellect premier (al-‘Aql al-awwal) appelé ainsi parce qu'il est la première chose créée et qu'il contient toute la Science de Dieu concernant la Création. Cette réalité reçoit de nombreux noms selon l'aspect où elle est envisagée. Al-‘Aql al-awwal correspond dans l'hindouisme à Buddhi, l'Intellect supérieur, « premier degré de la manifestation d'Atmâ » (René Guénon, L'Homme et son devenir selon le Vêdânta, chap. 7).

(3) Dans l'écriture, la lettre lâm de l'expression li-Llâhi (à Allâh) s'intègre au premier lâm du Nom Allâh sans laisser de trace après avoir occulté l'alif initial du Nom de Majesté. « A Allâh » se comprend donc comme « appartient à Allah », dans le sens où Allâh est l'Agent véritable de la louange dont Il est aussi l'objet.

(4) Sur les « Gens du Bâ » et les « Gens du Lâm », voir le traité d'Ibn 'Arabî, La Parure des Abdâl, traduit et commenté par Michel Vâlsan (E.T., 1950, n° 286 et 287, et publié en volume, Paris, 1992).

(5) [al-af’âlu li-Llâh]. En ce sens, le Coran dit : wa-Llâhu khalaqakum wa mâ ta’malûn, « Et Allâh vous a créés [vous] et ce que vous faites » (37, 96).

(6) De toute façon, même dans le cas le plus extérieur, on doit considérer que la louange s'adresse à Allâh et qu'elle vient de Lui puisque la formule al-hamdu li-Llâh est révélée par Lui ; c'est donc bien Lui qui la prononce. Dans cette perspective, l'état de conscience ou non du serviteur ne Change rien.

(7) Jusqu'ici lu texte s'attachait à cerner la valeur du la préposition de al-hamdu li-Llâhi. A partir de maintenant, le commentaire porte sur le sens même du mot « louange ».

(8) La distinction entre ces deux possibles du Nom de Majesté équivaut donc, sous un certain rapport, à celle opérée dans l'Hindouisme entre Brahma nirguna (au-delà de toute qualification) et Brahma saguna (qualifié) (cf. René Guénon : Introduction générale à l’Etude des Doctrines hindoues, chap. 7. Sur le même sujet, voir Michel Vâlsan : Le Livre du Nom de Majesté : « Allâh », Etudes Traditionnelles, 1948, n° 269, pp. 207-208 et notes).

(9) Coran 35,15

(10) Fin du même verset coranique.

(11) « Brahma est absolument distinct du monde puisqu'on ne peut lui appliquer aucun des attributs déterminatifs qui conviennent au monde, la manifestation universelle toute entière étant rigoureusement nulle au regard de son infinité » (René Guénon, Introduction générale à l'Etude des Doctrines hindoues, chap. 14). En ce sens Eckhart affirme : « Toute les créatures sont un pur néant, je ne dis pas qu'elles sont quelque chose du peu du valeur ou qui en a malgré tout un peu ; elles sont un pur néant » (cf. édition en allemand actuel : Deutche Predicten und Traktate, Predigt 4, p. 171, Diogenes, 1979). Sous le rapport inverse, comme l'Émir dans ce texte, il affirme à maintes reprises que pour les créatures l'Essence semble néant puisqu'elles ne peuvent y accéder en tant que telles. C'est pour cela, que du point de vue manifesté, la réalisation suprême se présente comme une mort initiatique (cf. René Guenon, Aperçus sur l’Initiation, chap. 26).

(12) Il manque haytu dans le texte publié.

(13) Coran, 112, 1 et 2.

[Emir 'Abd al-Qâdir al-Jazâ'irî, Kitâb al-mawâqif, Mawqif 366, trad. Max Giraud et Jean-François Houberdon, Revue Science Sacrée, n°3-4, 2002].

dimanche 31 mars 2013

Sur la connaissance de la station de l'équivalence entre la femme et l'homme dans certaines demeures divines, qui a le privilège de la protection (Açimyah).







Mohyiddin Ibn Arabi, Futûhât al-Mekkiyah, Chap. 324.

 

A. Mostagh Firou,  Etudes Traditionnelles, 1988-1989.

 

 
Présentation.

La mentalité moderne tendant de plus en plus vers l'uniformisation en toutes choses, on aurait grand tort d'être surpris de voir les différences qualitatives disparaître de même progressivement. Cet état de fait a profondément marqué aussi les rôles respectifs de l'homme et de la femme, si bien que désormais, l'idée d'une illusoire égalité des fonctions, des droits et des devoirs incombant à l'un et à l'autre, est acceptée partout dans le monde profane comme une chose normale et indiscutable, et cela, même dans les domaines où des différences physiologiques et psychologiques manifestes réclameraient logiquement un statut différent.

En dénonçant les aberrations de la mentalité moderne, l'oeuvre de René Guenon a suscité chez de nombreux auteurs des mises au point diverses du rôle de la femme dans un sens plus correct et traditionnel. Parmi les travaux publiés dans le passé sur cette question, on peut citer ceux d'Ananda K. Coomaraswamy, auxquels il sera fait appel à plusieurs reprises dans les notes qui suivront, ainsi que ceux de Giorgio Manara. Cet auteur précisément, dans un article consacré au rôle de la femme dans l'Islam, affirmait naguère très justement que « dans le taçawwuf, des possibilités de réalisation spirituelle aussi illimitées que pour les hommes sont offertes aux femmes (...) », et rappelait en outre qu' « il existe, notamment en ce qui concerne la situation de la femme, un esprit particulier à la forme islamique qui se retrouve aussi bien dans le Coran que dans les hadîth du Prophète » (1) : « A titre de référence ajoutait-il, nous rappellerons simplement (...) l'affirmation selon laquelle la femme occupe un degré hiérarchiquement subordonné à celui de l'homme (ar-rijâlu qawwâmûna ‘ala-n-nisâ’i ; Surat IV,38), sans doute en tant que modalité de manifestation individuelle à laquelle elle doit se conformer pour sa propre réalisation, et aussi en vue du dépassement initiatique de l'individualité » (2). Dans une autre partie de son article, Giorgio Manara précisait encore: « en règle générale, la femme se trouve, plus que l'homme, liée de façon constante à une autorité dont elle dépend (...) ; dans une communauté islamique, chaque femme (...) est placée normalement sous l'autorité directe d'un homme, nécessairement musulman, que ce soit le père, le tuteur, un frère ou le mari (...) ». Certes, les conceptions exprimées ici par Giorgio Manara le sont sous une forme islamique, mais il faut savoir qu'elles peuvent parfaitement être transposées, sous un mode ou un autre, à d'autres formes traditionnelles orthodoxes.

En fait il aura fallu qu’arrivent les temps modernes, pour que soit envisagée la possibilité pour la femme d'exercer la fonction de rabbin dans la tradition hébraïque, une éventualité qui naturellement souleva, en son temps, bon nombre de réactions dans ces milieux traditionnels. D'autre part, sans un tel rapport de dépendance et de complémentarité entre l'homme et la femme, le sacrifice de la satî indienne ou du harakiri de la femme japonaise serait totalement incompréhensible et injustifié (3). Enfin, ces mêmes préoccupations traditionnelles sont également à l'origine du fait, que, dans la tradition chrétienne, tout en reconnaissant à la femme aussi bien qu'à l'homme la possibilité de s'élever à la « sainteté », l'exercice du sacerdoce a toujours été exclusivement réservé à l'homme, ainsi que René Guenon l'a fait remarquer en diverses occasions dans son oeuvre (4).

Cela étant dit, on peut légitimement se demander pour quelles raisons sont apparus, plus récemment, dans la revue où écrivit Giorgio Manara, des articles en parfaite opposition avec ce qui avait été pertinemment affirmé par celui-ci en son temps, et dans lesquels est soutenu (5), sous une forme ou sous une autre, que du point de vue initiatique il ne se trouve aucun empêchement à ce que la femme accède, non seulement à la réalisation spirituelle, ce qui est tout à fait correct, mais aussi « à l'exercice de fonctions hiérarchiquement plus élevées », ce qui est, comme on le verra par la suite, sujet à diverses restrictions très importantes. En outre, ces mêmes articles soutiennent curieusement que du point de vue exotérique, il n'existe aucun obstacle à ce que la femme accède à la fonction d’Imâm, c'est-à-dire à ce qu'elle dirige « aussi bien la prière des femmes que celle des hommes », ce qui, sous certains aspects, est une fonction comparable à celle du prêtre chrétien ou du rabbin hébraïque.

Comme on le voit, s'il est permis de se poser des questions à l'égard d'un tel changement de perspective sur le rôle traditionnel de la femme et quant aux raisons qui l'ont provoqué, il n'en demeure pas moins un réel danger, c'est qu'à une époque où de telles idées se répandent déjà que trop facilement, de semblables affirmations n'entraînent de nouvelles confusions susceptibles de servir davantage le désordre du monde moderne que l'orthodoxie de la tradition (6).

Il entre certes dans le droit de ceux qui côtoient ces milieux, de vérifier si derrière ces retournements de perspective, ne se trouverait pas quelque circonstance insolite affectant la régularité traditionnelle, et probablement de telles investigations conduiraient à des constatations qui ne manqueraient pas de surprendre. Mais comme il n'est pas dans les attributions d'une revue comme celle où nous écrivons, de se livrer à des vérifications internes de ce type, il sera sans aucun doute beaucoup plus profitable, à maints égards, de chercher à rétablir la vérité sur le rôle et les fonctions de la femme dans la tradition islamique, à partir des écrits d'un Maître incontesté de cette tradition, le Sheikh Mohyiddin Ibn Arabi. Par ailleurs, nous sommes persuadés qu'il ne sera de surcroît pas bien difficile, à ceux qui le souhaiteraient, de transférer ces notions, moyennant les adaptations nécessaires, à d'autres formes traditionnelles, surtout s'ils tiennent compte du fait que le Sheikh Ibn Arabi, tout comme René Guenon, s'applique toujours à résoudre les contradictions apparentes en faisant référence aux principes métaphysiques, principes qui sont naturellement communs à toutes les formes traditionnelles.

Cette traduction intégrale du texte d'Ibn Arabî sera d'autant plus nécessaire, que dans les récentes publications dont nous faisions état au début la citation de passages isolés de leur contexte semble conforter les thèses exposées, alors que, comme il sera aisé de s'en rendre compte, une lecture attentive du texte intégral en fait au contraire ressortir toute la fausseté, ou pour le moins parfois, les limites précises de leur application. Par exemple, en ce qui concerne l'Imamat de la femme, qui est traité dans une autre partie de l'oeuvre d'Ibn Arabî (7), il est bien exact que cet auteur traditionnel en admet la validité dans des circonstances particulières, mais en spécifiant que l'Imamat de la femme correspond à celui de l’âme, tandis que celui de l'homme correspond à l'Imamat de l'intellect ('Aql). Voici le passage en question : « Lorsque la Nafs (femme) en a assez de suivre ton Imamat (de l'intellect — homme), et qu'elle fait l’Imam, alors toi, suis-la, et fait la salâh derrière elle pour la protéger afin que la passion ne l'égare pas (...) ; il est donc admis que la Nafs fasse l’imâm, et ceci est l'Imamat de la femme ».

Il est d'autre part bien trop évident, que des circonstances exceptionnelles ne peuvent rien changer à cet égard de subordination de la femme, ni faire en sorte de lui attribuer une égalité de fonction avec l'homme, qui, tout en remplissant son rôle autonome et volontaire de protection lorsqu'il la suit dans l'exécution du rite, conserve néanmoins son indépendance ; et cela de la même façon qu'un Maître peut parfaitement suivre la salâh d'un disciple, sans pour cela que le disciple ne prenne jamais ni la fonction ni le degré du Maître, ni qu'il y ait une quelconque égalité de degré ou de fonction entre le Maître et le disciple. En fait, cette « subtilité » conceptuelle exposée par Ibn Arabî n'est évidemment pas du ressort du domaine exotérique, où les divers madhhab (rites) prescrivent simplement : « La femme ne dirige (rôle de l'imam) ni les hommes, ni les femmes (...) ni les prières d'obligation divine, ni les prières surérogatoires » (8).

Indépendamment du fait que ce texte d'Ibn Arabi écarte toute possibilité de confusion sur la fonction de la femme, son importance réside aussi et avant tout dans les précisions qu'il apporte sur la véritable nature féminine ; et ceci est extrêmement précieux, car la voie initiatique ne pouvant être parcourue que dans la conformité à la nature propre à chaque être (swadharma), laquelle diffère nécessairement entre l'homme et la femme, la connaissance de la nature propre à la femme sera donc de la plus grande utilité pour toutes celles qui, sensibilisées par le message de René Guenon, ont l'intention d'entreprendre au moins un approfondissement théorique, en vue de fournir un effort « opératif » par la suite. De plus, il est tout aussi intéressant de remarquer que, précisément par le jeu de ces différences de nature et par comparaison, le rôle et la nature de l'homme apparaîtront aussi plus distinctement, de sorte que toutes les complémentarités entre l'homme et la femme pourront de même être perçues avec facilité et contribuer, si elles sont exploitées opportunément par l'un et par l'autre, à élever la dignité de leurs rôles respectifs.

Ainsi qu'il y a été fait allusion plus haut, il est toujours de règle, chez Ibn Arabî, de ramener toutes choses, les êtres, leur nature, les contingences ou autres, à leurs racines métaphysiques, et cela présente notamment l'avantage de rendre évident ce qui serait susceptible de laisser planer un doute, comme c'est le cas parfois lorsqu'on a affaire à une exposition de type exotérique et dogmatique, ou lorsque la formulation est enveloppée dans la diversité des contingences. La lecture de ce texte d'Ibn Arabî peut donc ouvrir sur des développements bien plus amples que ceux suggérés par son titre, tout en conservant néanmoins un côté pratique au niveau des concepts exposés.

Il est donc à souhaiter que cette traduction puisse être utile au même degré, non seulement aux femmes, mais aussi aux hommes, notamment pour affiner leurs rapports réciproques, afin qu'ils se conforment toujours plus harmonieusement aux lois cosmiques qui nous gouvernent, et qui apparaissent aussi dans les préceptes et les enseignements des Envoyés et des Maîtres des différentes traditions.

Sur un autre plan, il ne pourra être que profitable de se rendre compte clairement, combien la confusion des rôles respectifs de l'homme et de la femme constitue un empêchement de fait dans la voie de la réalisation : la régénération ou l'harmonisation des puissances de l'être ne peut certes s'accomplira travers des procédés ou des attitudes contraires à l'ordre cosmique (9).

Enfin, notre époque étant caractérisée par des mentalités tournées généralement vers le « contingent » et l’ « apparent », et surtout vers leurs aspects les plus « spectaculaires », c'est-à-dire capable de faire vibrer des « sensations », il n'est pas douteux qu'on verra de plus en plus se multiplier, sous les formes les plus diverses, des publications envahissant le domaine traditionnel pour y transporter, en quelque sorte, consciemment ou inconsciemment, les usages et pratiques qui ont cours dans le monde profane, et en vertu desquels il est licite de se faire l'écho de n'importe quoi, dès l'instant où il s'agit de rabaisser les lecteurs au niveau de leurs facultés inférieures; des manifestations apparentées à ce genre de choses s'étant produites encore tout récemment, les notes qui accompagneront ce texte d'Ibn Arabî seront donc aussi l'occasion de montrer indirectement combien, en toutes circonstances, la réalité profonde demande à être approchée avec beaucoup de prudence au travers des apparences, et surtout avec un ensemble de connaissances au moins théoriques, assez étendues pour ne pas se laisser entraîner dans des erreurs de jugement regrettables.

 
A. MOSTAGH FIROU.

 

(1) Cf., Rivista di Studi Tradizionali, N" 32 (1970), « La possibilité islamique pour la femme », p. 341-342.
(2) Ibid., note.
(3) Cf. Ananda K. Coomaraswamy, Autorité Spirituelle et Pouvoir Temporel dans la perspective indienne du gouvernement, p. 97, éd. Arche.
(4) Ces observations restent valables même si, encore tout récemment, des signes sont apparus donnant à penser qu'à l'intérieur de l'Eglise catholique même, certaines tendances s'affrontent autour d'un débat visant à concéder à la femme l'exercice du ministère sacerdotal jusqu'ici réservé aux hommes. Il convient de se souvenir en effet de ce qu'a dit René Guenon à propos de l'extériorisation providentielle du Christianisme dans les premiers siècles, et des parallélisme que l'on peut établir entre les rites probablement initiatiques de l'origine, et les rites exotériques et les sacrements qui leur succédèrent vraisemblablement (Aperçus sur l'initiation, chap. XXIII). A ce sujet, il est important d'ajouter que les précisions qui seront données dans le cours de cet article sur les empêchements pour la femme d'accomplir certains rites particuliers du domaine initiatique, sont susceptibles d'être transposées dans le domaine exotérique et qu'elles pourront rendre plus explicites les raisons pour lesquelles, dans l'Eglise catholique, la femme n'a jamais été admise à l'ordination sacerdotale et à l'administration de certains sacrements. On remarquera en outre, que certains passages de ce chapitre des Futûhât, présentent des analogies incontestables avec les enseignements de la tradition chrétienne : Maître Eckhart, par exemple, évoquant saint Augustin, dit de lui qu'il est comme un « vase d'or », ouvert vers le haut et fermé vers le bas, et invite à prendre ce saint pour modèle en ajoutant : « Les hommes sont assimilés aux forces d'en-haut puisqu'ils ont toujours le chef découvert, tandis que les femmes sont assimilées aux forces d'en-bas et ont toujours la tête couverte. Les puissances supérieures (...) sont donc assimilées aux hommes car elles sont toujours nues. » (Etudes Traditionnelles, « Comme un vase d'or massif », N" 301, juill.-août 1952, p. 213-214).
(5) Ceci se réfère aux deux numéros de la Rivista di Studi Tradizionali de l'année 1986 parus dans le courant de 1987.
(6) II ne s'agit d'ailleurs pas d'un cas isolé et ayant des conséquences sur le plan doctrinal : dans un article aussi récent (R.S.T., N° 64, janv.-juin 1986, p. 114), qui n'est pourtant pas dépourvu de valeur à d'autres égards, on peut lire à propos des rites cette affirmation par exemple: « (...) il est indispensable qu'ils soient accompagnés d'une intention correcte ». Ceci jette un voile épais sur ce qu'a rappelé René Guenon à maintes reprises, à savoir que « les rites possèdent une efficacité propre ». En fait, ce qui est affirmé dans cet article témoigne d'une notable confusion, c'est que l’ « aspiration », qui est une chose nécessaire pour accéder à l'initiation, est prise ici pour l' « intention » — correcte ou droite -, qui elle ne peut être obtenue qu'après un long chemin dans la voie. Devant de telles méprises, il faut espérer que l'étude sur la « théorie du geste » annoncée récemment dans notre revue, et à laquelle appartient ce domaine des rites, vienne apporter dans divers milieux une plus grande clarté à cet égard.
Quoi qu'il en soit, il est curieux d'observer que si l'on rapproche le cas dont il s'agit des autres confusions relevées depuis quelques temps dans la même revue, on remarque manifestement une orientation allant dans le sens de la « rigueur », de la fermeture du « Qabd », et de la « limitation », toutes choses assimilables en grande partie à la nature féminine ; une nature qui rappelle le symbolisme de l’ « arche », ou de la « baleine », ou encore du « dauphin » - que René Guenon associe à la « Femme de mer » (S.F.S.S., chap. XXII, p. 170) - et à la « matrice », qui conserve le germe d'immortalité et qui a, sous divers rapports, un rôle analogue à celui de la caverne ou des « encadrements » ; rappelons que selon René Guenon, ces encadrements « ont une valeur de protection, et même doublement, en empêchant non seulement les influences maléfiques de pénétrer dans la demeure, mais aussi les influences bénéfiques d'en sortir et de se disperser au dehors » (S.F.S.S., chap. LXV, p. 393). Toutefois, il ne faut pas oublier que l'éclairage de la « caverne » n'est « que le reflet d'une lumière qui pénètre à travers le « toit du monde », par la porte solaire, qui est l’« oeil de la voûte cosmique » ou l'ouverture supérieure de la caverne ». La fermeture, dans des conditions normales, ne peut donc être totale ; le qabd (coagula) doit être équilibré par le bast (solve) ; l’attribut de Rahmân (qui implique la notion de « donner l'existence - engendrer ») doit coexister avec l'attribut de Rahîm (qui implique la notion de « protéger - conserver »).
(7) Futûhât, vol. I, chap. LXIX, p. 447.
(8) Cf. La Risâlah, Epître sur les éléments du dogme et de la loi de l'Islam selon le rite Mâlékite, Ibn Abi Zayd Al Qayrawânî, éd. 1460, p. 73.
(9) Cf. Futuwwah, Etudes Traditionnelles, N° 499 & 500, pp. 15 & 74.

 

Sur la connaissance de la station de l'équivalence entre la femme et l'homme dans certaines demeures divines, qui a le privilège de la protection (Açimyah).

Les femmes sont l'autre moitié des hommes dans le monde spirituel et dans le monde corporel, leur statut est unique et il est celui de l'être humain.

Ils se sont polarisés en deux (entités) pour une question contingente qui a séparé les femmes des hommes.

Ils sont jugés, quant à leur degré d'universalisation, à travers la réalisation de l'unité chez les êtres (dans la multiplicité).

Si tu observais (de façon correcte) le Ciel et la Terre, tu pourrais les distinguer, sans d'ailleurs les diviser.

Regarde l'excellence (intérieure) et sa manifestation extérieure, elles sont une unique chose sous le signe de l'harmonie.

***

 

Sache qu’Allâh t'assiste, que l'humanité étant une réalité qui comprend les hommes et les femmes, il n'y a pas de supériorité des hommes par rapport aux femmes pour tout ce qui concerne leur nature d'êtres humains.

Puisque l'homme est participant du macrocosme de l'univers, le macrocosme n'a pas un degré de supériorité sur l'homme à ce point de vue. Toutefois, il résulte que l'homme a une supériorité sur la femme, comme il résulte aussi que le degré de la création des Cieux et de la Terre est supérieur au degré de la création de l'homme.

La plus grande partie des hommes ne sait pas cela, malgré que dans les deux cas, il y ait des indications et des signes qui mettent en évidence cet état de supériorité.

Il est dit dans le Coran : « Seriez,-vous plus forts dans la création que le Ciel, que Lui a créé ? » Lui (Allâh), a parlé de ce qui concerne le Ciel, puis a parlé de la Terre, de sa forme sphérique et de ce qui la concerne.

Tout cela pour démontrer la supériorité (du Ciel et de la Terre) sur l'être l'humain ; nous constatons ainsi que le degré de supériorité du Ciel et de la Terre sur l'homme est le même que celui de l'homme sur la femme, Et ceci parce que l'homme est créé du Ciel et de la Terre, et qu'il est produit entre eux et à partir d'eux (d'où il descend), et que le créé n'a pas la même force que le Créateur, puisque l' « agi » dérive de l' « agent ».

De la même façon, nous trouvons qu'Eve est produite à partir d'Adam, extraite et constituée de la côte courte, par quoi elle est dans l'impossibilité d'atteindre le degré de celui dont elle provient, et ne pourra connaître du degré de l'homme que jusqu'à la limite d'où elle a été créée, qui est la côte, et c'est pour cela que sa compréhension ne peut atteindre la réalité (entière) de l'homme. Analogiquement, l'homme ne peut connaître de l'Univers, sinon à mesure égale de ce qu'il a pris de l'Univers pour sa manifestation. L'homme, en tant que tel, ne pourra jamais atteindre le degré de l'Univers dans sa totalité, malgré qu'il en soit une de ses parties. Ainsi, la femme ne pourra jamais atteindre le degré de l'homme, bien qu'elle soit une partie précieuse de l'homme. La femme ressemble à la nature, étant, à l'inverse de l'homme, le lieu de l'action.

En effet, l'homme dépose seulement le germe dans la matrice, qui est le lieu de formation et de création par lequel se manifestent dans la femme les existences concrètes (a'yân) de cette espèce, en tant qu'elles sont susceptibles de formation et de passer, stade après stade, par les diverses phases de la création, jusqu'à ce que se forme un être parfait. A cause de cette assignation (particulière) (qadr), l'homme est supérieur à la femme, et c'est pourquoi celle-ci est inférieure en (Nâqiçât ul-'aql) par rapport à l’homme (1); en effet, elle ne peut comprendre sinon ce qu'elle a pris de l'homme (min Khalqi ar-rajul) à l'origine de la création.

Pour tout ce qui concerne l'infériorité de la femme dans les questions traditionnelles (nuqçân ad-dyn), cela est la contrepartie de sa capacité d'opérer; en effet, l'oeuvre n'est une oeuvre que par rapport à la connaissance (ars sine scientia nihil), et la connaissance dépend de l'aptitude (qubul) du sujet, mais l'aptitude à son tour dépend de la prédisposition du sujet depuis son origine. La prédisposition de la femme est inférieure à celle de l'homme parce qu'elle est une partie de l'homme, d'où il s'ensuit nécessairement (fa lâ budda an) que la femme est caractérisée par une infériorité dans les questions traditionnelles par rapport à l'homme.

Mais ce chapitre traite de l'attribut (Sifâh) dans lequel sont réunis les femmes et les hommes, et cet attribut, comme nous l'avons mentionné, s'applique à leur état d'êtres créés, aussi bien du point de vue de leur réalité essentielle (min jihati al-Haqâiq), que du point de vue de leur évolution (may 'aridu lahumâ), ainsi que cela ressort de cette parole (du Coran) : « Les Musulmans et les Musulmanes, les croyants et les croyantes (...), ceux qui mentionnent intensément Allah, et celles qui Le mentionnent intensément, (...), ceux qui se repentent L'adorent, célèbrent ses louanges et font le pèlerinage (...), celles qui se repentent L'adorent et font le pèlerinage ». (2)

Le Prophète — sur lui le salut de la paix, a dit que beaucoup d'hommes ont atteint la perfection (Kamâl), et parmi les femmes, Miryam fille d'Imran, et Assiâ la femme de Pharaon, l'ont atteinte. Ainsi les hommes et les femmes sont réunis dans le degré de la Perfection (Kamâl) (3). L'homme a été préféré avec une plus grande perfection (Akmâliâh) et pas seulement avec la Perfection (Kamâliâh) ; ainsi, si tous deux peuvent être, parfaits jusqu'au degré de la prophétie, l'homme a toutefois été préféré à la femme avec la fonction d'Envoyé (Risâlah) et de vivificateur (Ba'athâh), alors que la femme n'a pas accès à ces degrés (de fonction) (4) ; même si, par la suite, entre tous ceux qui appartiennent à la même « station », il y a différents niveaux de préférence - comme l'a dit le Très-Haut : « De ces Envoyés nous en avons préféré certains à d'autres », - ou encore : « Nous avons préféré certains Prophètes par rapport à d'autres ».

Allâh a réuni aussi bien les hommes que les femmes dans la tâche, chargeant les femmes comme les hommes ; des devoirs sont ainsi réservés à la femme et non à l'homme, comme sont réservés à l'homme des devoirs ne concernant pas les femmes, même si les femmes sont la moitié des hommes (5).

Sache, ensuite, que la position de la femme par rapport à celle de l'homme, à l'origine de l'existence, est comme la position de la matrice (Râhim) par rapport au Miséricordieux (Rahmân) (Er-Rahmân est un nom divin qui implique la faculté de faire exister les choses) ; donc elle (la femme) dérive de lui (l'homme) et elle s'est manifestée à la ressemblance de sa forme.

Il est dit dans certains récits, qu'Allâh a créé Adam à la ressemblance du Miséricordieux, et il est démontré que notre matrice (Râhim) se conforme au Miséricordieux ; notre position au regard du Miséricordieux est comme la position d'Eve au regard d'Adam : elle (Eve), est le lieu de la filiation et de la manifestation des enfants.

Analogiquement, nous sommes le lieu de la manifestation des actes, car, même si l'acte est d'Allâh, il n'est manifesté que par nos actions, et ne se montre pas dans le monde sensible, excepté par nous. Si nous n'étions pas dérivés du Miséricordieux, ce rapport divin — qui d'un côté est constitué par notre dépendance vis-à-vis de Lui, et d'un autre par le fait qu'un souverain est lié à son peuple (littéralement : le souverain d'un peuple est à celui-ci) —, ne serait pas possible (6).

Notre dépendance de Lui (Allâh) est la dépendance de la partie vis-à-vis du tout, et s'il n'y avait pas un tel rapport, la Puissance divine et son Indépendance absolue n'aurait aucune relation avec nous. Par cette relation, nous devenons le lieu ou elle (la Puissance divine) est mise en évidence, son essence ne se voit qu'en nous et en vertu de notre création à la ressemblance divine (Min aç-çurati al-ilâhiyati) (7) ; ainsi, il nous a été attribué tous les noms divins. Il n'y a aucun nom divin dont nous n'ayons une part, et rien ne peut arriver sinon le juste (le voulu) de la cause première (Hukmuhu fi-l-açl).

(à suivre)

 

(1) Ceci se rapporte à la " petite intelligence "dont parle Ibn Ajîba (Cf. Le Soufi marocain Ahmad Ibn ‘Ajiba et son Mi’râj, p. 226) ; en ce qui concerne la « grande intelligence », il y a une égalité d'accès pour l'homme et pour la femme ainsi qu'on le verra plus loin. D'autre part, cette infériorité de la femme dans la « petite intelligence », est compensée par d'autres qualifications dont il sera question par la suite.

(2) Dans ce paragraphe, les points d'équivalence entre l'homme et la femme commencent à être mis en évidence : d'une part, en tant qu'êtres humains, ils sont assujettis aux mêmes lois, et en cela ils ont en commun le privilège (état central) de la nature humaine ; d'autre part, ils peuvent devenir tous les deux (Cf. L'Homme et son devenir selon le Védanta) des réalisés et obtenir l’ « Identité Suprême », degré ou « station divine » qui bénéficie de la « protection » (Cf. Le symbolisme de la Croix, chap. II & III, et en particulier la note suivante: « Lorsque l'homme, dans le « degré universel », s'exalte vers le sublime, lorsque surgissent en lui les autres degrés (états non-humains) en parfait épanouissement, il est l’ « Homme Universel ». L'exaltation ainsi que l'ampleur ont atteint leur plénitude dans le Prophète (qui est ainsi identique à l’ « Homme Universel ») » (Epitre sur la Manifestation du Prophète par le Sheikh Mohammed ibn fadlallah El-hindi) ». Pour plus de précisions en ce qui concerne la « station divine » (El-maqâmul-ilâhi), on peut se reporter utilement aussi aux observations de René Guenon (Le Symbolisme de la Croix, chap. VII, p. 49 notamment). L'évolution entre ces deux points extrêmes de la réalisation se fera néanmoins selon des modalités qui dépendent des qualifications et des prédispositions de chaque être, lesquelles sont naturellement différentes sous de nombreux aspects chez l'homme et chez la femme ; en conséquence, les fonctions que l'un et l'autre pourront assumer dans la hiérarchie indéfinie des états d'existence seront différentes aussi.

(3) En ce qui concerne Marie, dont Ibn Arabi proclame par ailleurs la perfection (Kamâl), sa relation avec Jésus et sa mission (prophétique selon l'Islam, divine selon le Christianisme) de revivification de l'Ancien Testament, est magistralement exprimée ainsi par Dante dans le Paradis : « 0 Vierge mère, fille de ton fils » (XXXIII, I). Où le l'ait d'être in filiae loco est évidemment entendu au sens hiérarchique et spirituel ; mutatis mutandis, un tel rapport, certes complexe et particulier, peut cependant servir de base à d'utiles réflexions en vue de situer, de manière correcte, les relations pouvant s'établir par analogie et à un niveau moins élevé, dans les organisations initiatiques, ou même dans le cadre de la famille traditionnelle. Par exemple, dans la tradition islamique, il est bien compris que le rôle de chef de famille (l'autorité), à l’amont du père, est confié au fils adulte le plus âgé, tandis que la conduite des affaires domestiques (le pouvoir) est conservé par la mère, En dehors de quelques cas exceptionnels el régionaux de matriarcat, une telle conception s'est d'ailleurs maintenue fort longtemps en Occident, surtout dans les milieux ruraux, où pratiquement la contamination générale des mentalités à cet égard n'a pénétré qu'après la seconde guerre mondiale.

(4) On peut se rendre compte par ce qui précède, qu'Ibn Arabi attribue aussi à la femme la possibilité d'atteindre la perfection (Al-Insânul-Kâmil), d'obtenir le degré el la fonction de prophète, en limitant cependant cette fonction prophétique à la fonction non-légiférante (comme c'est le cas de Seyyidinâ Mohammed), el sans prétendre à celle de revivificateur (comme c'est le cas de Seyyidinâ 'Isa — Jésus). Il ne faudra toutefois pas s'étonner si, dans le même chapitre, on peut lire un peu plus loin que « tous ces états ont été partagés par les hommes et les femmes, qui participent de tous les degrés jusqu'à la fonction de « Pôle » (Qutbiah); en fait, il s'agit de degrés et de fonctions à tous égards inférieurs à ceux de prophète, auxquels il a été fait allusion tout d'abord. Il suffit de remarquer qu'ici, Ibn Arabi parle de prophétie « légiférante » et « non-légiférante », de la même façon qu'il précise dans une autre partie du texte (Futûhât II, p. 6), qu'il y a des « pôles » détenant le califat intérieur et extérieur, (les quatre premiers califes ( Râshidûn) par exemple), et d'autres, le plus grand nombre, qui n'ont que le califat intérieur, sans aucune fonction extérieure.

Malgré l'égalité de la femme et de l'homme au niveau de cette « station divine » de la « Perfection », on aura remarqué qu'Ibn Arabî spécifie que l'homme « a été préféré avec une plus grande perfection » (Akmâliâh) correspondant à la mission d' « Envoyé » (Risâlah) et de « vivificateur » (Ba'athâh). Il est suffisant de se référer a ce qu'a dit René Guenon à propos de la réalisation ascendante el de la réalisation descendante (Initiation el Réalisation Spirituelle, chap. XXXII, p. 262), pour comprendre que « l'universalisation atteint sa plénitude effective dans le Rasûl, qui ainsi est véritablement el totalement l’ « Homme Universel ». »

Il y a donc chez la femme, par rapport à l'homme, un certain « manque » qui l'empêche d'accomplir jusqu'à ses extrêmes limites la réalisation descendante, un « manque » qui, on le verra dans la suite du texte, a pour contrepartie des qualifications particulières d'un autre genre. En effet, cela concerne naturellement la femme en tant qu'être qui se manifeste sous cette forme dans notre degré d'existence; mais il est bien entendu que cet être peut perdre la limitation dont il s'agit dans d'autres degrés d'existence (Cf. Initiation et Réalisation Spirituelle, chap. XXX, p. 229). Comme le remarque René Guenon, la fonction « du simple nabî peut être plus ou moins limitée quant à son étendue el quant à son but propre » tandis que celle de rasûl « manifeste l'attribut divin d'er-Rahmân dans tous les mondes (rahmatan lil-âlamin) » (Initiation et Réalisation Spirituelle, chap. XXXII, p. 261). On verra par la suite comment Ibn Arabi met en évidence les facultés implicites de cet attribut divin, qui consiste en la capacité de « faire exister », de « générer » les choses, établissant pour cela un rapprochement entre Er-Rahmân (celui qui fait exister les choses), et Râhim (matrice). Notons entre autres choses que Râhim a la même racine que le nom divin Er-Rahîm qui implique les attributs de « conservateur » et de « soutien » et non celui d' « existentiation » (Cf. Le Soufi marocain Ibn 'Ajiha et son mi’râj, p. 112). Il apparaît ainsi que la femme, « lieu » de la filiation et de la manifestation de l'existence concrète des êtres dans notre degré d'existence (Râhim), ne puisse de toute façon, même après avoir atteint les degrés ultimes de la réalisation, se libérer totalement des implications de sa propre nature, et devenir apte à manifester « l'attribut d'Er-Rahmân dans tous les mondes » ; et ceci parce que le « support » de sa manifestation individuelle, en tant que féminin, n'est pas susceptible, comme le souligne Ibn Arabî d'accéder à la plénitude de la réalisation descendante qui se concrétise dans le Rasûl.

II semblerait donc que la femme puisse être l'instrument de l'effusion d'influences spirituelles aptes au maintien, au développement, et à la conservation de la communauté traditionnelle et initiatique, mais non celui d'influences capables de présider à la naissance, ou à la revivification, d'une tradition par la transmission d'une nouvelle loi ou l'adaptation d'une précédente. Un reflet de cet état de choses se remarque dans les organisations musulmanes, où, normalement, la « guidance » spirituelle et la direction d'une tarîqah sont confiées à un Maître qualifié de sheikh al-tarbîyah (instruction), qui réunit tous les degrés et conduit le disciple le long du chemin initiatique (sulûk) (Cf. Sheikh Tadili. La vie traditionnelle, c'est la sincérité, p. 36, Ed. Traditionnelles, Paris). Dans les fonctions du Maître, on peut distinguer deux éléments fondamentaux qui sont: le « pacte » (Al-bay'a) et l’ « instruction » (Tarbîyah : de rabbâ, élever, éduquer).

Dès lors, par analogie avec tout ce qui précède, et par référence traditionnelle, on peut concevoir qu'une femme possédant un certain degré de réalisation, puisse avoir une fonction et coopérer à l'instruction d'un disciple, homme ou femme, dans le respect des règles traditionnelles concernant les rapports entre personnes de sexe différent, mais il est inconcevable qu'une femme confère le « pacte » initial (initiation). On peut en avoir la preuve dans le fait que parmi toutes les chaînes initiatiques orthodoxes, sur plus de quatorze cents ans de tradition musulmane, ne figurent que des noms masculins. D'autre part, il ne peut échapper qu'il existe une analogie évidente entre l'apport d'une nouvelle loi, germe spirituel pour une communauté, et le dépôt d'un germe spirituel chez un être à travers le « pacte » (initiation) ; les deux choses sont représentées, de façon tout à fait évidente, dans la signification symbolique des facultés propres à l'homme adulte de déposer, au sein même de ce qui va devenir l’« enceinte » maternelle, le germe humain. Et il ne sera pas bien difficile de comprendre, que ce symbolisme « naturel » peut avoir une très grande importance lorsqu'il est transféré à la compréhension du domaine initiatique, puisque l'initiation est considérée partout comme une « seconde naissance », et que, selon ce qui a été dit ailleurs déjà, dans le cadre d'un mariage traditionnel la femme d'un initié est une initiée mais l'inverse est impossible (Cf. A.K. Coomaraswamy, Autorité Spirituelle et Pouvoir temporel dans la perspective évolienne du gouvernement, p. 73). Il convient toutefois de tenir compte, afin de prévenir toute fausse interprétation, qu'une telle « initiation », agissant en quelque sorte par l'entremise du mari, son efficacité cesserait par là même que cette source masculine viendrait à disparaître avant que la femme ait atteint l' « état primordial ». Par ailleurs, ce germe d' « enceinte », qui est passé dans le langage ordinaire pour désigner une femme en état de grossesse, et dont l'usage est devenu en quelque sorte « mécanique », n'a certainement pas été choisi par hasard à l'origine, car il comporte manifestement une signification profonde en parfait accord avec le symbolisme de la nature féminine. Mais sans doute en a-t-il été déjà assez dit pour permettre de se faire une idée, désormais assez précise, de ce qui peut être défini par des ex pressions comme « paternité » et « maternité » spirituelles, sans qu'il soit nécessaire d'ajouter d'autres commentaires.

Si l'on envisage maintenant le cas des organisations initiatiques dans lesquelles, en l'absence d'un Maître, des « délégués » (Kholafâ, Muqâddamun) opèrent à sa place, il y a lieu de tenir compte, que ces représentants ne possèdent évidemment pas les degrés de réalisation effective correspondant à une fonction qu'ils n'exercent, précisément que par « délégation » ; il est donc évident qu'une femme, à plus forte raison dans une semblable circonstance où la réalisation effective fait défaut, ne pourra exercer validement un rôle de guide dans une organisation initiatique ; en effet, ainsi qu'on l'a vu plus haut, sa constitution symbolique même ne l'habilitera d'abord pas à conférer le « pacte » (initiation), et d'autre part, manquant dans le cas présent d'un degré de réalisation effective, elle se trouvera de nouveau, par rapport à l'homme, et bien qu'elle puisse avoir une compétence spécifique dans tel ou tel domaine traditionnel, devant la situation d' « infériorité dans les questions traditionnelles » dont parle Ibn Arabi. Et l'on sait qu'il n'est pas licite qu'une communauté, surtout initiatique, ait à sa tête même, un être qui manifeste par sa nature une « infériorité » au point de vue traditionnel. On peut ainsi avoir la certitude, que, lorsqu'un élément féminin prend le dessus, d'une façon ou d'une autre, dans une organisation initiatique islamique et en assure la direction effective, il s'agit, « en acte », d'un processus d'éloignement de l'orthodoxie traditionnelle : processus qui aurait d'ailleurs peu de chance de se produire en présence d'êtres possédant un degré élevé de réalisation et ayant dépassé le maqâm al-amr, lesquels n'iraient certes pas au-delà des limites qui sont les leurs. Quoi qu'il en soit, on peut être sûr qu'il y aura toujours des difficultés, d'une sorte ou d'une autre, à fournir l'indispensable témoignage du mandat reçu (ijazah). Maintenant, que de telles choses adviennent par suite d'excès de zèle, par incompréhension, ou par d'autres circonstances, ne change rien à l'affaire, ni non plus d'espérer justifier cette situation par de présumées insuffisances ou faiblesses de celui qui devrait légitimement exercer la fonction en question : il y aurait là, au surplus, un manquement grave au respect de la hiérarchie initiatique, à propos duquel il serait impardonnable de ne pas rappeler la recommandation du Prophète Mohammed, faite à l'occasion de son dernier pèlerinage : « Obéissez à votre chef, même s'il était un esclave abyssin » (cité par Ibn Arabi dans La Profession de Foi, p. 267).

Des milieux traditionnels du Taçawwuf se sont aussi exprimés en Orient sur ces questions, en précisant qu'il est interdit (harâm) qu'une femme joue, même par délégation, le rôle de guide d'une tarîqah ou d'une branche de celle-ci ; en particulier, on pourrait citer ici un représentant de la tarîqah Darqawiwiah-Shâdhiliah, lui-même Sheikh attarbîyah, et par conséquent dûment qualifié pour émettre une ifta (verdict), a qui a été posé, il y a peu de temps, la question suivante : « Dois-je déduire de vos paroles que si une femme est savante (idha kanat 'alimah), elle peut donner des conseils aussi bien aux hommes qu'aux femmes, mais qu'elle ne peut lier avec le pacte ni les hommes ni les femmes, et que c'est pour cela que ne figure aucune femme dans la Silsilah des Turûq ! » — A quoi il fut répondu : « La réponse est comme vous dites ».

Il est à signaler comme fait particulièrement intéressant pour les lecteurs de cette revue, que ce personnage, qui a eu l'occasion de connaître au moins une partie de l'oeuvre de René Guenon, a affirme que « Le Skeikh Abdel Wahîd-Yahia appartient à l'Orient des Orients, et au même Orient Eternel qu'Ibn Arabi. »

(5) Toujours à propos des rôles ou des charges, en quelque sorte « constitutionnels », c'est-à-dire procédant des natures respectives de l'homme et de la femme, on pourra, indépendamment de l'exposé d'ibn Arabî, se référer aux travaux d'Ananda K. Koomaraswamy (La Doctrine du Sacrifice et A.S.P.T. dans la perspective indienne...), qui a aussi développé certaines argumentations de René Guenon sur ce sujet spécifique. Il ne sera d'ailleurs pas superflu de donner ici quelques extraits de ces études, qui furent en partie recensées positivement par René Guénon : « Dans l’Anguttara Nikâya, III, 363, où sont énumérées les passions et les fonctions dominant les êtres humains, la Seigneurie (issariya) est assignée aux Kshatriyas et aux femmes. Dans le gouvernement comme dans le mariage, le pouvoir revient à la femme, et l'autorité à l'homme. Le tyran ou la virago abusent du « pouvoir » féminin ; avec un roi légitime ou une femme véritable, il est exercé en accord avec la justice » (La Doctrine du Sacrifice, p. 147) ; — « En d'autres termes, la fonction spécifiquement royale et féminine est l'administration ; la première administre un royaume et la seconde une maison » (A.S.P.T., p. 96) ; — « Mais si le roi, en coopérant avec un pouvoir plus éminent, devient ainsi le Père de son peuple, il n'en reste pas moins vrai que des potentialités sataniques et mortelles sont inhérentes au Pouvoir Temporel quand la Royauté ne poursuit que ses seuls intérêts, quand la moitié féminine de l'Administration affirme son indépendance, quand le Pouvoir prétend régner sans tenir compte de la Justice, quand la « femme » réclame ses « droits », ces potentialités mortelles deviennent réalité ; comme la famille et la maison, le roi et le royaume sont détruits et le désordre (anrla) prévaut » (A.S.P.T., p. 104).

Lorsque, notamment, se vérifie la présence des conditions indiquées dans la note précédente, c'est-à-dire quand une femme, pour une raison quelconque, occupe la place de l'autorité la plus élevée dans une organisation initiatique musulmane, elle se trouve ainsi exercer un rôle illégitime allant au-delà de ses limites naturelles ; et par conséquent, on peut parfaitement comprendre que les mesures prises par cette autorité illégitime contre ceux qui s'opposent à cette irrégularité, ne peuvent avoir aucune valeur, sinon sur le plan pratique et contingent. En effet, dans un cas comme celui-ci, la situation même d'irrégularité qui est à la source, empêche qu'un individu devenu ainsi une autorité illégitime, soit le véhicule des influences spirituelles qui déterminent le rattachement ou l'éloignement de la chaîne initiatique. De surcroît, ces mêmes mesures représenteront un acte d' « injustice », puisqu'elles sont dirigées vers ceux qui s'opposent à une illégalité, et elles ne pourront, de ce fait également, avoir la « caution » d'aucune influence spirituelle : elles sortent des conditions exigées  pour qu'une autorité bénéficie de l’ « infaillibilité traditionnelle ». Ceux qui seraient frappés par de tels abus, pourraient certes en ressentir les conséquences sur le plan individuel, mais leurs possibilités sur le plan spirituel n'en seraient pas amoindries pour autant, pas plus que celles liées aux fonctions qu'ils auraient pu être appelés à exercer antérieurement, lesquelles, dans la pire des hypothèses, c'est-à-dire dans le cas d'une impossibilité matérielle à poursuivre leur exercice, demeureraient provisoirement à l'état potentiel de faculté, à moins qu'elles ne se concrétisent ailleurs dans un « milieu » plus conforme : « Certes, ma terre est grande... » (Inna ardy wâsi’atân; Cor. XXIX, 56).

Sur un plan pratique, et pour envisager tous les cas de figure, il en serait de même si une autorité régulière extérieure, manipulée de fait par cette autorité illégitime, avait servi de couverture à des actes irréguliers de celte nature ; car il manquerait alors l’ « autonomie » requise, définie ainsi par A.K. Coomaraswamy ; « Qu'entendons-nous par « autonomie » ? Dans de cas d'un roi, c'est commander et non se laisser diriger pur la multitude de ceux qui doivent rester ses vassaux et ses sujets ; au foyer, c'est diriger et ne pas se laisser mener par sa propre famille ; et en soi, c'est diriger ses désirs et ne pas leur permettre de guider notre conduite » (A.S.P.T., p. 116). Pareillement, l'anomalie d'une telle situation subsisterait dans le cas où ces mesures seraient délibérées par une communauté d'individus, même initiés, dès lors que le consentement général (l'ijmâ) serait obtenu en éliminant ceux qui sont défavorables à la décision, ou en ne faisant pas participer intentionnellement certains membres de la communauté. Dans tous ces cas de figure, les vices de forme, indépendamment de l'irrégularité de fond, apparaissent clairement, et c'est pourquoi mieux valait développer jusqu'au bout cette question.

Si nous nous sommes arrêté sur ce cas particulier, c'est pour bien monter combien la confusion des rôles et des devoirs spécifiques à chacun des deux sexes de l'espèce humaine, rôles et devoirs qui sont, par la correspondance nécessaire des divers plans de manifestation, l'expression de réalités métaphysiques et cosmologiques supérieures, ne peut qu'aboutir au désordre, et à terme, à un processus de dégradation. Il n'est possible de remédier à cela qu'en se référant constamment aux principes doctrinaux communs à toutes les traditions, même s'ils sont exprimés parfois sous des formes différentes. Dans la traduction d'une autre partie de l'oeuvre d'ibn Arabi, nous aurons aussi l'occasion, à travers quelques notes, d'étudier en ce qui concerne plus particulièrement l'homme, le danger qui existe pour lui d'outrepasser ses propres limites en empiétant sur les domaines réservés de la femme. On peut comprendre en effet que, quel que soit le niveau envisagé, qu'il s'agisse du plan individuel, du milieu des organisations initiatiques, ou celui de la famille, il puisse y avoir de la part de l'homme, un vice d’attitude qui conduise à un « envahissement » du domaine féminin, comparable en cela aux excès dénoncés par Dante jadis, et concernant l'usage direct du pouvoir temporel que voulut faire l'Eglise dans les siècles passés, provoquant ainsi le désordre avec la « révolte des Kshatriyas » de Philippe le Bel.

(6) Tout un approfondissement de ces rapports entre le Principe el les êtres, voir les Symboles fondamentaux de la science sacrée, chap. LXXV, « La Cité divine », p.462).

(7) Si l'on rapproche l'affirmation précédente selon laquelle notre position au regard du Miséricordieux (Rahmân) est semblable à celle d'Eve vis-à-vis d'Adam, avec la déclaration présente d'après laquelle « son essence (de la puissance divine) ne se voit qu'en nous et en vertu de notre création... », le parallélisme ainsi établi peut amener quelques remarques. En effet, il en résulte que normalement, l'homme manifeste son intériorité à travers la relation avec la femme, et que c'est cette dernière qui la met en évidence ; c'est-à-dire que dans le mariage, la femme reflète l'expression de la Nafs de l'homme, dans le bien et dans le mal, et en manifeste ses secrets. Il découle de cette perspective, que, de la même façon que Dieu, en tant que « non-existant » (exstare), n'existerait pas sans la manifestation, de même l'homme ne pourrait manifester les attributs masculins (au sens intérieur) sans le support et la complémentarité de la femme, d'où la sentence : « Le mariage est la moitié de l'Islam ».

D'un autre côté, la femme n'est pas en mesure de manifester ses potentialités et de les transformer en « acte », sans l'intervention et l'influence de l'homme, et cette transformation s'effectue aussi en fonction des prédispositions de la « matrice », de la même façon que des champs dissemblables ensemencés par la même semence, donnent des fruits de qualité inégale, bien qu'ayant pourtant tous pour origine la même graine (Le Symbolisme de la Croix, chap. VI, p. 46).

Par ailleurs, bien que les relations matrimoniales entre l'homme et la femme soient évidemment tout à fait privilégiées et les plus complètes, on ne doit cependant pas limiter la question des rapports entre l'un et l'autre à cette seule catégorie, En effet, il est facile de concevoir que cette relation réciproque (au sens intérieur) entre homme et femme, peut parfaitement être cultivée sous d'autres régimes, tels que le mode paternel par exemple, fraternel, ou encore tutélaire, et il est bien connu qu'en Islam, une femme passe toujours sa vie sous la protection d'un homme ; ne peuvent faire exception à cette condition nécessaire, que celles qui ont atteint un degré de réalisation proche de l' « état primordial » (Maqâm al-amr), celui même que cite Dante dans la Divine Comédie, et à propos duquel Virgile confirme par ces mots à son disciple qu'il a acquis l'autonomie : « Per ch’io te sovra te corono et mitrio » (« C'est pourquoi sur toi je te couronne et sur toi je pose la mitre »; Purg., XXVII, 142). Cette  « protection » masculine, quoique réelle, n'est pas du tout ressentie par la femme traditionnelle musulmane comme une « privation » de liberté ; en réalité, c'est plutôt elle qui dissimule sa complète conformité à sa propre nature, sous l'aspect d'une parfaite soumission et fidélité a son conjoint vivant ou mort. Ces brèves remarques seront aussi susceptibles de faire comprendre, quoique cette question mériterait bien d'autres développements, les raisons profondes du sacrifice par le feu de la sâti indienne.

Il a été rapporté, par ailleurs, que dans un autre contexte concernant une tarîqah située en Orient, à la mort du Maître, Sheikh al-tarbîyah estimé et vénéré, son épouse prétendit, sans être en mesure de justifier de sa qualité et en l'absence de dispositions de la part du Maître, faire partie des « pôles » (min al-aqtab). Ceci eut naturellement pour conséquence de créer une série de difficultés, de troubles et de divisions au sein de cette tariqah, mais, indépendamment de la valeur et du caractère de cette prétention, ce cas reste toutefois un exemple pouvant fournir l'occasion de quelques ultimes remarques. En effet, si l'on écarte naturellement l'hypothèse que l'erreur puisse provenir d'une maladresse du Maître, puisque aucune disposition précise de celui-ci ne valait a cet égard, et qu'il était de plus estimé fort justement pour sa parfaite sagesse et sa totale conformité à la tradition, expression d'un certain degré de réalisation, on se retrouve dans l'obligation de reporter son attention vers l'épouse, ou plutôt, pour en revenir au symbolisme dont il a été question, vers le terrain où a été déposé le germe. Il serait naturellement absurde de considérer l'épouse comme conforme en rien à son époux, puisque ce fait même aurait impliqué la répudiation durant la vie du Maître ; mais on peut émettre l'hypothèse, que le point de départ de la confusion conceptuelle commise par la femme, puisse plutôt résider dans quelque impureté ou autres imperfections du terrain ensemencé par le germe ; un terrain qui a dû cependant avoir un certain degré de fertilité pour assurer un début de germination, car il n'aurait pu sans cela servir de plan de réflexion et être complémentaire à la fonction masculine de l'époux (Cf. Le Symbolisme de la Croix, chap. VI).

Enfin, on a maintenant suffisamment parlé de cette correspondance complémentaire entre l'homme et la femme, pour comprendre qu'un rapport de ce type peut parfaitement aussi être transposé analogiquement au niveau du Maître et du disciple ; en effet, toutes les considérations qui précèdent dans cette étude sur les divers aspects de ce complémentarisme. et sans doute bien d'autres encore qui pourraient venir compléter utilement ces quelques remarques sur la place traditionnelle de la femme par rapport a l'homme, y compris sur sa nécessaire fidélité, ne sont pas exclusives d'être adaptées à la relation entre Maître et disciple, où, à l'égard de la fidélité, vaut la formule : « Le Maître élit (choisit) et n'est pas élu (choisi) » (Esh-Sheikh yuwajjih wa la yatawajjah).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

vendredi 17 août 2012

Ibn ‘Arabî – Le statut originel.

 


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[Ibn ‘Arabî, Futûhât, chap. 88, trad. dans l’anthologie Les illuminations de la Mecque, présentée par M. Chodkiewicz, Albin Michel, éd. 1997, p.101-105. Les notes ainsi que certaines annotations entre crochet ne sont pas du traducteur et consistent généralement en des translitérations à partir du texte arabe des Futûhât, éd. Dâr Sâder/1424, T3, p.192]  



Il n’est pas permis d’interpréter la volonté divine sur la base d’un jugement personnel (ra’y), j’entends d’un point de vue exprimé sans preuve ni argument tiré du Livre, de la Sunna ou de l’ijmâ’ (1).

Même si je ne recours pas pour ma part au raisonnement par analogie, je n’incrimine pas celui qui le considère comme valide si la cause (al-‘illa) commune [aux deux choses entre lesquelles on établit l’analogie] est compréhensible et évidente et qu’il semble probable que c’est ce que visait le Législateur (2). Non, je m’interdis d’utiliser le qiyâs uniquement parce qu’il conduit à ajouter aux prescriptions explicites (3). Or j’ai, quant à moi, compris que le Législateur désirait justement l’allègement (at-takhfîf) pour cette communauté. Le Prophète a dit : « Laissez-moi tranquille aussi longtemps que je vous laisserais tranquille ! » (4) et il réprouvait qu’on l’interrogeât de peur que soit révélée à cette occasion une [nouvelle] prescription que cette communauté serait incapable de respecter, comme le fait de veiller pendant les nuits de Ramadan (qiyâm Ramadân), d’accomplir le pèlerinage (hajj) chaque année et ainsi de suite. Ainsi, quand j’ai vu ce qu’il en était, j’ai proscrit le qiyâs en matière de religion. Ni le Prophète [sur lui la grâce et la paix], ni Dieu lui-même [exalté soit-Il] n’ont ordonné d’y recourir [dans les matières légales]. Son abandon est donc pour moi obligatoire car il fait partie des choses que réprouvait le Prophète [sur lui la grâce et la paix]. Le statut originel (hukm al-asl) [des choses] c’est l’absence d’obligation légale (lâ taklîf). Dieu, en effet, a créé pour nous tout ce qui est sur terre et il appartient donc à celui qui prétend nous imposer une limitation (tahjîr) de fournir une preuve issue soit du Livre, soit de la Sunna, soit encore de l’ijmâ’. Je ne pratique donc pas le qiyâs et ne lui reconnait absolument aucune autorité.
 
En ce qui concerne les faits et gestes (af’âl) du Prophète [sur lui la grâce et la paix], leur imitation n’a pas un caractère obligatoire (wujûb) – ce qui représenterait la plus lourde des contraintes –, sauf s’il s’agit d’un acte qu’il nous a explicitement prescrit pour obéir à Dieu, auquel cas cet acte est obligatoire. Ainsi en est-il, par exemple, lorsqu’il a dit : « Priez comme vous me voyez prier et prenez de moi vos rites (manâsik) » (5), ou en ci qui concerne les modalités du pèlerinage. S’il n’y avait cette précision concernant certains actes déterminés, leur accomplissement ne serait pas obligatoire. Le Prophète [sur lui la grâce et la paix] était un homme sujet à des émotions comme les autres hommes, pouvant éprouver la satisfaction ou la colère comme les autres hommes. Il ne nous est pas imposé de l’imiter dans ses faits et gestes sauf lorsqu’il l’a [expressément] ordonné ; et il lui était prescrit de n’accomplir aucun acte [de cette nature] en secret, de sorte que personne n’aurait pu le voir, de même manière qu’il lui incombait, en ce qui concerne ce qu’il avait reçu l’ordre de transmettre (tablîgh), de ne pas le dire alors qu’il était seul, si bien que personne ne l’entendait et ne pourrait donc communiquer le contenu de cette révélation à ceux qui ne l’auraient pas entendu.

Pour ce qui est de toute loi religieuse antérieure à la nôtre, nous n’avons pas l’obligation de l’appliquer sauf sur les points où notre propre loi l’a confirmée, et cela bien qu’il s’agisse authentiquement d’une loi sacrée [shar’an haqqan] pour la communauté à laquelle elle s’adressait et que nous ne l’accusions pas d’être fausse (6). Bien au contraire, nous croyons en Dieu, en Son Envoyé, en ce qui lui a été révélé [mais aussi] aux Livres et aux lois qui ont été révélées avant lui. (cf. Cor. 2 : 4, 136, 285 ; 3 : 84 ; 4 : 126, etc).

La conformité aveugle (al-taqlîd) [à l’opinion d’un autre] n’est pas, selon nous, permise en matière de religion, qu’il s’agisse de conformité à un mort ou à un vivant. En fait, il incombe à celui qui questionne un savant, de lui dire : « Je veux connaitre ce que Dieu ou son Envoyé ont prescrit sur telle question ! » (7) Si celui qu’il interroge lui répond : « Voici la prescription divine sur ce problème » ou « voilà celle de Son Envoyé », le questionneur doit la mettre en pratique car celui qui lui répond n’est en l’occurrence qu’un simple rapporteur (nâqil) de la décision de Dieu ou du Prophète (8). En revanche, quand celui qu’on interroge dit : « Ceci est mon opinion (ra’yî) » ou bien « C’est comme cela que je conçois la chose » ou bien encore « Je ne connais pas, sur cette question, de disposition la concernant ; toutefois, le jugement analogique a pour résultat que le statut est le même en cette matière que celui énoncé pour telle autre question », dans ce cas il n’est pas licite pour celui qui a posé la question de prendre en compte cette opinion. Il doit donc aller chercher les Hommes du Souvenir (ahl al-dhikr) et les interroger de la manière que nous avons décrite. Il est du devoir de tout musulman de ne questionner personne d’autre que ces ahl al-dhikr, c’est-à-dire les Hommes du Coran – Dieu a dit : « C’est Nous, en vérité, qui avons révélé le dhikr (…) » (9) – ou bien les gens du hadîth. Si le questionneur sait que celui qu’il veut interroger pratique le ra’y et le qiyâs, il le négligera et interrogera l’homme de hadîth. S’il sait qu’il pratique le ra’y, le qiyâs et le hadîth, il lui posera sa question. Mais lorsque l’interrogé lui rendra sa décision, il faudra qu’il précise si ce jugement se fonde sur le ra’y, le qiyâs ou le hadîth. S’il dit qu’il se fonde sur le ra’y ou le qiyâs, on rejettera ce jugement ; si par contre, il le dit fondé sur une tradition (khabar), on l’admettra.

Aucune sanction juridique ne s’applique à la faute involontaire (al-khata’) ou à l’oubli (nisyân) excepté dans les cas précis où le Coran ou la Sunna précise qu’il y en a une, et où on l’appliquera comme, par exemple, pour la prière de l’oublieux (salât al-nâsî) ou l’homicide involontaire (qatl al-khatâ’). Toute chose sur laquelle la Sharî’a garde le silence n’a pas d’autre statut que la licéité originelle (10). Les prescriptions de la Loi sacrée s’imposent aux noms (al-asmâ’) et aux états (al-ahwâl) et non aux êtres en tant que tels (al-a’yân). [Autrement dit] un acte légalement obligatoire (fard) ne s’impose qu’à celui qui est capable d’accepter cette obligation, qu’il s’agisse d’un ordre ou d’une interdiction, d’une chose à faire ou d’une chose à ne pas faire. De ce fait, toute personne incapable d’accomplir l’une des choses que Dieu lui a prescrites n’est pas visée par cette loi. En vérité, Dieu n’a imposé (mâ kallafa) « à une âme que ce qu’elle peut faire » (Cor.2, 233) « et selon ce qu’Il lui accordé ; Dieu fait succéder la facilité (yusr) à la difficulté (‘usr) » (12).
 
A tout acte est assigné un moment (waqt) – bref ou long – et il n’a pas permis de l’accomplir à un moment autre que celui qui lui est imparti, pas avant, ni après, car telles sont les limites prescrites par Dieu et elles ne doivent pas être transgressées.

 (1) Lâ yajûzu an yudâna-Llâh bi-r-ra’y wa huwa-l-qawl bi-ghayri hujjah wa lâ burhân lâ min kitâb wa lâ min sunnah wa lâ min ijmâ’.



(2) yaghlubu ‘alâ adh-dhan annahâ maqsûdah li-sh-shâri’.

(3) innamâ imtana’nâ mina-l-akhdh bi-l-qiyâs li-annahu ziyâdah fî-l-hukm.

(4) trukûnî mâ taraktukum. 

(5) sallû kamâ ra’aytumûnî usallî wa khudhû ‘annî manâsikakum.

(6) li man khûtiba bi-hi lâ nuqûl fîhi bi-l-bâtil, litt. : pour ce qui fut prescrit (comme) non entaché d’erreur dans la transmission.

(7) urîdu hukmu-Llâh aw hukmu rasûli-Hi fî hâdhihi-l-mas’alah.

(8) non traduit : lladhî amaranâ bi-l-akhdh bihi, dont il nous a ordonné (la mise en pratique).

(9) Cor.15, 9 : innâ nahnu nazzalnâ adh-dhikra.

 (10) wa kullu maskût ‘anhu falâ hukmu fîhi illâ al-ibâhah al-asliyah.

(11) khutbu ash-shar’ mutawajjah ‘alâ al-asmâ’ wa-l-ahwâl lâ ‘alâ-l-a’yân.

(12) Cor.65, 7 : lâ yukallifu-Llâhu nafsan illâ mâ âtâhâ, sayaj’alu-Llâhu ba’da ‘usrin yusrâ.

[Ibn ‘Arabî, Futûhât, chap. 88, trad. dans l’anthologie Les illuminations de la Mecque, présentée par M. Chodkiewicz, Albin Michel, éd. 1997, p.101-105. Les notes ainsi que certaines annotations entre crochet ne sont pas du traducteur et consistent généralement en des translitérations à partir du texte arabe des Futûhât, éd. Dâr Sâder/1424, T3, p.192]

 


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