jeudi 13 juin 2013

René Guénon : Les «racines des plantes»



 

 

 

[Publié dans les Études Traditionnelles, septembre 1946.]

 

 D'après la tradition kabbalistique, parmi ceux qui pénétrèrent dans le Pardes (1), il en est certains qui « ravagèrent le jardin », et il est dit que ces ravages consistèrent plus précisément à « couper les racines des plantes ». Pour comprendre ce que cela signifie, il faut se référer avant tout au symbolisme de l'arbre inversé, dont nous avons déjà parlé en d'autres occasions (2) : les racines sont en haut, c'est-à-dire dans le Principe même ; couper ces racines, c'est donc considérer les « plantes », ou les êtres qu'elles symbolisent, comme ayant en quelque sorte une existence et une réalité indépendantes du Principe. Dans le cas dont il s'agit, ces êtres sont principalement les anges, car ceci se rapporte naturellement à des degrés d'existence d'ordre supra-humain ; et il est facile de comprendre quelles peuvent en être les conséquences, notamment pour ce qu'on est convenu d'appeler la « Kabbale pratique ». En effet, l'invocation des anges envisagés ainsi, non comme les « intermédiaires célestes » qu'ils sont au point de vue de l'orthodoxie traditionnelle, mais comme de véritables puissances indépendantes, constitue proprement l'« association » (en arabe shirk), au sens que donne à ce mot la tradition islamique, puisque de telles puissances apparaissent alors inévitablement comme associées à la Puissance divine elle-même, au lieu d'être simplement dérivées de celle-ci. Ces conséquences se retrouvent aussi, à plus forte raison, dans les applications inférieures qui relèvent du domaine de la magie, domaine où se trouvent d'ailleurs nécessairement enfermés tôt ou tard ceux qui commettent une telle erreur, car, par là même, il ne saurait plus être réellement question pour eux de « théurgie », toute communication effective avec le Principe devenant impossible dès lors que « les racines sont coupées ». Nous ajouterons que les mêmes conséquences s'étendent jusqu'aux formes les plus dégénérées de la magie, telles que la « magie cérémonielle » ; seulement, dans ce dernier cas, si l'erreur est toujours essentiellement la même, les dangers effectifs en sont du moins atténués par l'insignifiance même des résultats qui peuvent être obtenus (3). Enfin, il convient de remarquer que ceci donne immédiatement l'explication de l'un au moins des sens dans lesquels l'origine de semblables déviations est parfois attribuée aux « anges déchus » ; les anges, en effet, sont bien véritablement « déchus » lorsqu'ils sont envisagés de cette façon, puisque c'est de leur participation au Principe qu'ils tiennent en réalité tout ce qui constitue leur être, si bien que, quand cette participation est méconnue, il ne reste plus qu'un aspect purement négatif qui est comme une sorte d'ombre inversée par rapport à cet être même (4).

Suivant la conception orthodoxe, un ange, en tant qu'« intermédiaire céleste », n'est pas autre chose au fond que l'expression même d'un attribut divin dans l'ordre de la manifestation informelle, car c'est là seulement ce qui permet d'établir, à travers lui, une communication réelle entre l'état humain et le Principe même, dont il représente ainsi un aspect plus particulièrement accessible aux êtres qui sont dans cet état humain. C'est d'ailleurs ce que montrent très nettement les noms mêmes des anges, qui sont toujours, en fait, la désignation de tels attributs divins ; c'est ici surtout, en effet, que le nom correspond pleinement à la nature de l'être et ne fait véritablement qu'un avec son essence même. Tant que cette signification n'est pas perdue de vue, les « racines » ne peuvent donc pas être « coupées » ; on pourrait dire, par suite, que l'erreur à cet égard, faisant croire que le nom divin appartient en propre à l'ange comme tel et en tant qu'être « séparé », ne devient possible que quand l'intelligence de la langue sacrée vient à s'obscurcir, et, si l'on se rend compte de tout ce que ceci implique en réalité, on pourra comprendre que cette remarque est susceptible d'un sens beaucoup plus profond qu'il ne le paraît peut-être à première vue (5). Ces considérations donnent aussi toute sa valeur à l'interprétation kabbalistique de Malaki, « Mon ange » ou « Mon envoyé (6) », comme « l'ange dans lequel est Mon nom », c'est-à-dire, en définitive, dans lequel est Dieu même, tout au moins sous quelqu'un de ses aspects « attributifs (7) ». Cette interprétation s'applique en premier lieu et par excellence à Metatron, l'« Ange de la Face (8) », ou à Mikaël (dont Malaki est l'anagramme) en tant que, dans son rôle « solaire », il s'identifie d'une certaine façon à Metatron ; mais elle est applicable aussi à tout ange, puisqu'il est véritablement, par rapport à la manifestation, et au sens le plus rigoureux du mot, le « porteur » d'un nom divin, et que même, vu du côté de la « Vérité » (El-Haqq), il n'est réellement rien d'autre que ce nom même. Toute la différence n'est ici que celle qui résulte d'une certaine hiérarchie qui peut être établie entre les attributs divins, suivant qu'ils procèdent plus ou moins directement de l'Essence, de sorte que leur manifestation pourra être regardée comme se situant à des niveaux différents, et tel est en somme le fondement des hiérarchies angéliques ; ces attributs ou ces aspects doivent d'ailleurs nécessairement être conçus comme étant en multitude indéfinie dès lors qu'ils sont envisagés « distinctivement » et c'est à quoi correspond la multitude même des anges (9).

On pourrait se demander pourquoi, en tout cela, il est question uniquement des anges, alors que, à la vérité, tout être, quel qu'il soit et à quelque ordre d'existence qu'il appartienne, dépend aussi entièrement du Principe dans tout ce qu'il est, et que cette dépendance, qui est en même temps une participation, est, pourrait-on dire, la mesure même de sa réalité ; et, au surplus, tout être a aussi en lui-même, et plus précisément en son « centre », virtuellement tout au moins, un principe divin sans lequel son existence ne serait pas même une illusion, mais bien plutôt un néant pur et simple. Ceci correspond d'ailleurs exactement à l'enseignement kabbalistique suivant lequel les « canaux » par lesquels les influences émanées du Principe se communiquent aux êtres manifestés ne s'arrêtent point à un certain niveau, mais s'étendent de proche en proche à tous les degrés de l'Existence universelle, et jusqu'aux plus inférieurs (10), si bien que, pour reprendre le précédent symbolisme, il ne saurait y avoir nulle part aucun être qui soit assimilable à une « plante sans racines ». Cependant, il est évident qu'il y a des degrés à envisager dans la participation dont il s'agit et que ces degrés correspondent précisément à ceux mêmes de l'Existence ; c'est pourquoi ceux-ci ont d'autant plus de réalité qu'ils sont plus élevés, c'est-à-dire plus proches du Principe (bien qu'il n'y ait assurément aucune commune mesure entre un état quelconque de manifestation, fût-il le plus élevé de tous, et l'état principiel lui-même). Il y a lieu de faire avant tout ici, comme d'ailleurs à tout autre égard, une différence entre le cas des êtres situés dans le domaine de la manifestation informelle ou supra-individuelle, auquel se rapportent les états angéliques, et celui des êtres situés dans le domaine de la manifestation formelle ou individuelle ; et ceci demande encore à être expliqué d'une façon un peu précise.

 C'est seulement dans l'ordre informel qu'on peut dire qu'un être exprime ou manifeste véritablement, et aussi intégralement qu'il est possible, un attribut du Principe ; c'est la distinction de ces attributs qui fait ici la distinction même des êtres, et celle-ci peut être caractérisée comme une « distinction sans séparation » (bhêdâbhêdâ dans la terminologie hindoue (11)), car il va de soi que, en définitive, tous les attributs sont réellement « un » ; et c'est là aussi la moindre limitation qui soit concevable dans un état qui, étant manifesté, est encore conditionné par là même. D'autre part, la nature de chaque être se ramenant ici en quelque sorte tout entière à l'expression d'un attribut unique, il est évident que cet être possède ainsi, en lui-même, une unité d'un tout autre ordre et bien autrement réelle que l'unité toute relative, fragmentaire et « composite » à la fois, qui appartient aux êtres individuels comme tels ; et, au fond, c'est en raison de cette réduction de la nature angélique à un attribut défini, sans aucune « composition » autre que le mélange d'acte et de puissance qui est nécessairement inhérent à toute manifestation (12), que saint Thomas d'Aquin a pu considérer les différences existant entre les anges comme comparables à des différences spécifiques et non à des différences individuelles (13). Si maintenant on veut trouver, dans l'ordre de la manifestation formelle, une correspondance ou un reflet de ce que nous venons de dire, ce n'est point les êtres individuels pris chacun en particulier qu'il faudra envisager (et cela résulte assez clairement de notre dernière remarque), mais bien plutôt les « mondes » ou les états d'existence eux-mêmes, chacun d'eux, dans son ensemble et comme « globalement », étant relié plus spécialement à un certain attribut divin dont il sera, s'il est permis de s'exprimer ainsi, comme la production particulière (14) ; et ceci rejoint directement la conception des anges comme « recteurs des sphères » et les considérations que nous avons déjà indiquées à ce propos dans notre précédente étude sur la « chaîne des mondes ».

 

 (1) Le Pardes, figuré symboliquement comme un « jardin », doit être considéré ici comme représentant le domaine de la connaissance supérieure et réservée : les quatre lettres PRDS, mises en rapport avec les quatre fleuves de l'Éden, désignent alors respectivement les différents sens contenus dans les Écritures sacrées et auxquels correspondent autant de degrés de connaissance ; il va de soi que ceux qui « ravagèrent le jardin » n'étaient parvenus effectivement qu'à un degré où il demeure encore possible de s'égarer.

(2) Voir notamment L’Arbre du Monde.

(3) Sur la question de la « magie cérémonielle », cf. Aperçus sur l’initiation, ch. XX.

– L'emploi des noms divins et angéliques sous leurs formes hébraïques est sans doute une des principales raisons qui ont amené A. E. Waite à penser que toute magie cérémonielle devait son origine aux Juifs (The Secret Tradition in Freemasonry, pp. 397-399) ; cette opinion ne nous paraît pas entièrement fondée, car la vérité est plutôt qu'il y a là des emprunts faits à des formes de magie plus anciennes et plus authentiques, et que celles-ci, dans le monde occidental, ne pouvaient réellement disposer, pour leurs formules, d'aucune langue sacrée autre que l'hébreu.

(4) On pourrait dire, et peu importe que ce soit littéralement ou symboliquement, que, dans ces conditions, celui qui croit faire appel à un ange risque fort de voir au contraire un démon apparaître devant lui.

(5) Nous rappellerons à ce propos ce que nous avons indiqué plus haut quant à la correspondance des différents degrés de la connaissance avec les sens plus ou moins « intérieurs » des Écritures sacrées ; il est évident qu'il s'agit là de quelque chose qui n'a rien de commun avec le savoir tout extérieur qui est tout ce que peut fournir l'étude d'une langue profane, et même aussi, ajouterons-nous, celle d'une langue sacrée par des procédés profanes tels que ceux des linguistes modernes.

(6) On sait que la signification étymologique du mot « ange » (en grec aggelos) est celle d'« envoyé » ou de « messager », et que le mot hébreu correspondant maleak a aussi le même sens.

(7) Cf. Le Roi du Monde, p. 33. – Au point de vue principiel, c'est l'ange ou plutôt l'attribut qu'il représente qui est en Dieu, mais le rapport apparaît comme inversé à l'égard de la manifestation.

(8) Le nom de Metatron est numériquement équivalent au nom divin Shaddaï.

(9) Il doit être bien entendu qu'il s'agit ici d'une multitude « transcendantale », et non pas d'une indéfinité numérique (cf. Les Principes du calcul infinitésimal, ch. III) ; les anges ne sont aucunement « nombrables », puisqu'ils n'appartiennent pas au domaine d'existence qui est conditionné par la quantité.

 

(10) Le symbolisme de ces « canaux », descendant ainsi graduellement à travers tous les états, peut aider à comprendre, en les envisageant dans le sens ascendant, comment les êtres situés à un niveau supérieur peuvent, d'une façon générale, jouer un rôle d'« intermédiaire » pour ceux qui sont situés à un niveau inférieur, puisque la communication avec le Principe n'est possible pour ceux-ci qu'en passant à travers leur domaine.

(11) Cf. Le Règne de la quantité et les signes des temps, ch. IX.

(12) On pourrait dire que l'être angélique est en acte sous le rapport de l'attribut qu'il exprime, mais en puissance sous le rapport de tous les autres attributs.

(13) Cf. Le Règne de la quantité et les signes des temps, ch. XI.

(14) Il va de soi qu'une telle façon de parler n'est valable que dans la mesure et sous le point de vue où les attributs eux-mêmes peuvent être envisagés « distinctement » (et ils ne peuvent l'être que par rapport à la manifestation), et que l'indivisible unité de l'Essence divine même, à laquelle tout se ramène finalement, n'en saurait être aucunement affectée.

mercredi 12 juin 2013

La Chaîne des mondes - René Guénon







Symboles de la Science sacrée, René Guénon, éd. Gallimard, 1962

LXI - La Chaîne des mondes1

 




Il est dit dans la Bhagavad-Gîtâ : « Sur Moi toutes choses2sont enfilées comme un rang de perles sur un fil3.» Il s’agit ici du symbolisme du sûtrâtmâ, dont nous avons déjà parlé en d’autres occasions : c’est Âtmâ qui, comme un fil (sûtra), pénètre et relie entre eux tous les mondes, en même temps qu’il est aussi le «souffle » qui, suivant d’autres textes, les soutient et les fait subsister, et sans lequel ils ne pourraient avoir aucune réalité ni exister en aucune façon. Nous parlons ici des mondes en nous plaçant au point de vue macrocosmique, mais il doit être bien entendu qu’on pourrait tout aussi bien envisager de même, au point de vue microcosmique, les états de manifestation d’un être, et que le symbolisme serait exactement le même dans l’une et l’autre de ces deux applications.

Chaque monde, ou chaque état d’existence, peut être représenté par une sphère que le fil traverse diamétralement, de façon à constituer l’axe qui joint les deux pôles de cette sphère ; on voit ainsi que l’axe de ce monde n’est à proprement parler qu’une portion de l’axe même de la manifestation universelle tout entière, et c’est par là qu’est établie la continuité effective de tous les états qui sont inclus dans cette manifestation.



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[1]Publié dans É. T., juin-juill. et août 1946.
[2]Sarvamidam, « ce tout », c’est-à-dire la totalité de la manifestation, comprenant tous les mondes, et non pas seulement « tout ce qui est en ce monde» comme il est dit dans une traduction publiée récemment « d’après Shri Aurobindo ».
[3]Bhagavad-Gîtâ, VII, 7.

 


Avant d’aller plus loin dans l’examen de ce symbolisme, nous devons dissiper tout d’abord une assez fâcheuse confusion au sujet de ce qui, dans une telle représentation, doit être considéré comme le « haut » et le « bas » : dans le domaine des apparences « physiques », si l’on part d’un point quelconque de la surface d’une sphère, le bas y est toujours la direction allant vers le centre de cette sphère ; mais on a remarqué que cette direction ne s’arrête pas au centre, qu’elle se continue de là vers le point opposé de la surface, puis au-delà de la sphère elle-même, et on a cru pouvoir dire que la descente devait se poursuivre de même, d’où on a voulu conclure qu’il n’y aurait pas seulement une « descente vers la matière », c’est-à-dire, en ce qui concerne notre monde, vers ce qu’il y a de plus grossier dans l’ordre corporel, mais aussi une « descente vers l’esprit1», si bien que, s’il fallait admettre une telle conception, l’esprit aurait lui-même un aspect « maléfique ». En réalité, les choses doivent être envisagées d’une tout autre façon : c’est le centre qui, dans une telle figuration, est le point le plus bas2, et, au-delà de celui-ci, on ne peut que remonter, comme Dante remonta de l’Enfer en continuant à suivre la même direction suivant laquelle sa descente s’était effectuée tout d’abord, ou du moins ce qui paraît géométriquement être la même direction3, puisque la montagne du Paradis terrestre est située, dans son symbolisme spatial, aux antipodes de Jérusalem4. Du reste, il suffit de réfléchir un instant pour se rendre compte qu’autrement la représentation ne saurait être cohérente, car elle ne s’accorderait nullement avec le symbolisme de la pesanteur, dont la considération est particulièrement importante ici, et, en outre, comment ce qui est le bas pour un point de la sphère pourrait-il être en même temps le haut pour le point diamétralement opposé à celui-là, et comment les choses se seraient-elles présentées si l’on était au contraire parti de ce dernier point5 ?

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[1] R. P. V. Poucel, La Parabole du Monde, p. III. – L’abus qu’on fait trop souvent de nos jours des mots « esprit » et « spirituel » est certainement pour quelque chose dans cette méprise ; mais il aurait justement fallu dénoncer cet abus au lieu de paraître l’accepter et d’en tirer ainsi des conséquences erronées.
[2] Il est au contraire le point le plus haut quand il y a lieu d’opérer une sorte de retournement de la figure pour faire l’application du « sens inverse », qui est d’ailleurs celui qui correspond au véritable rôle du centre comme tel (voir La Grande Triade, ch. XXIII).
[3] Nous faisons cette réserve parce que le passage même par le centre ou le point le plus bas implique en réalité un « redressement » (représenté chez Dante par la façon dont il contourne le corps de Lucifer), c’est-à-dire un changement de direction, ou, plus précisément encore, un changement du sens « qualificatif » dans lequel cette direction est parcourue.
[4] Voir L’Ésotérisme de Dante, ch. VIII.
[5] C’est par une erreur tout à fait semblable, mais limitée à l’ordre « physique » et au sens littéral, qu’on s’est parfois représenté les habitants des antipodes comme ayant la tête en bas.

 


 

Ce qui est vrai seulement, c’est que le point d’arrêt de la descente ne se situe pas dans l’ordre corporel, car il y a très réellement de l’« infra-corporel » dans les prolongements de notre monde ; mais cet « infra-corporel », c’est le domaine psychique inférieur, qui non seulement ne saurait être assimilé à quoi que ce soit de spirituel, mais qui est même précisément ce qu’il y a de plus éloigné de toute spiritualité, à tel point qu’il paraîtrait en quelque sorte en être le contraire à tous les égards, si toutefois il était permis de dire que l’esprit a un contraire ; la confusion que nous venons de signaler n’est donc pas autre chose, en définitive, qu’un cas particulier de la confusion trop répandue du psychique et du spirituel1.

On pourrait seulement objecter à ce que nous venons de dire que, par là même que les états de l’existence manifestée sont hiérarchisés, c’est-à-dire qu’il y a parmi eux des états supérieurs et des états inférieurs les uns par rapport aux autres, il y a aussi, sur le « fil » même qui les unit, une direction allant vers le haut et une direction opposée allant vers le bas. Cela est vrai en un certain sens, mais encore faut-il ajouter, tout d’abord, que cette distinction n’affecte aucunement le sûtrâtmâ, qui est partout et toujours identique à lui-même, quelle que soit la nature ou la qualité des états qu’il pénètre et soutient ; ensuite, ceci concerne l’enchaînement même des mondes, et non chacun de ces mondes pris à part et considéré isolément des autres. En fait, un quelconque de ces mondes, dans toute l’extension dont il est susceptible, ne constitue qu’un élément infinitésimal dans l’ensemble de la manifestation universelle, de sorte qu’on devrait, en toute rigueur, regarder sa représentation comme se réduisant à un point ; on pourrait aussi, en appliquant le symbolisme géométrique du sens vertical et du sens horizontal, figurer les mondes par une série indéfinie de disques horizontaux enfilés sur un axe vertical2 ; de toute façon, on voit ainsi que, dans les limites de chaque monde, l’axe ne peut véritablement être atteint qu’en un seul point, et, par suite, ce n’est qu’en sortant de ces limites qu’on peut envisager sur l’axe un haut et un bas, ou une direction descendante.


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[1] Ajoutons à ce propos que, contrairement à ce que dit aussi dans le même passage l’auteur que nous venons de citer, il ne peut y avoir d’« illusion spirituelle » ; la peur constante (et, il faut bien le dire, trop souvent justifiée dans une certaine mesure), qu’ont la plupart des mystiques d’être trompés par le diable, prouve très nettement qu’ils ne dépassent pas le domaine psychique, car, comme nous l’avons déjà expliqué ailleurs, le diable ne peut avoir prise directement que sur celui-ci (et indirectement par- là sur le domaine corporel), et tout ce qui appartient réellement à l’ordre spirituel lui est, par sa nature même, absolument fermé.
[2] Cette représentation montre nettement aussi que, la continuité étant établie exclusivement par l’axe, la communication entre les différents états ne peut s’opérer effectivement que par leurs centres respectifs.

 


Nous pouvons ajouter encore une autre remarque : l’axe dont il s’agit est assimilable, suivant un autre symbolisme dont nous avons déjà parlé, au « septième rayon » du soleil ; si l’on représente un monde par une sphère, il ne devrait donc être en réalité aucun des diamètres de cette sphère, car, si l’on envisage les trois diamètres rectangulaires qui forment les axes d’un système de coordonnées à trois dimensions, les six directions opposées deux à deux qu’ils déterminent ne sont que les six autres rayons du soleil ; le « septième rayon » devrait leur être perpendiculaire à tous également, car lui seul, en tant qu’axe de la manifestation universelle, est ce qu’on pourrait appeler la verticale absolue, par rapport à laquelle les axes de coordonnées du monde considéré sont tous relativement horizontaux. Il est évident que ceci n’est pas représentable géométriquement1, ce qui montre que toute représentation est forcément inadéquate ; du moins, le « septième rayon » ne peut être représenté réellement que par un seul point, qui coïncide avec le centre même de la sphère ; et ceci indique encore que, pour tout être qui est enfermé dans les limites d’un certain monde, c’est-à-dire dans les conditions spéciales d’un certain état d’existence déterminée, l’axe lui-même est véritablement « invisible », et seul peut en être perçu le point qui est sa « trace » dans ce monde. Il va de soi, d’ailleurs, que cette dernière observation, nécessaire pour que le symbolisme de l’axe et de ses rapports avec les mondes qu’il relie entre eux puisse être conçu d’une façon aussi complète que possible, n’empêche nullement que, en fait, la « chaîne des mondes » soit représentée le plus habituellement, ainsi que nous l’avons dit en premier lieu, par une série de sphères2 enfilées à la façon des perles d’un collier3 ; et, à vrai dire, il ne serait guère possible d’en donner autrement une figuration sensible.




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[1] Certains pourraient être tentés de faire intervenir ici la « quatrième dimension », mais celle-ci elle-même n’est pas représentable, parce qu’elle n’est en réalité qu’une construction algébrique exprimée en langage géométrique.
[2] Dans certains cas, ces sphères sont remplacées par des rondelles perforées en leur centre, et qui correspondent aux disques, considérés comme horizontaux par rapport à l’axe, dont nous avons parlé tout à l’heure.
[3] On peut du reste penser légitimement qu’un tel collier a dû lui-même, à l’origine, n’être pas autre chose qu’un symbole de la « chaîne des mondes », puisque, comme nous l’avons dit bien souvent, le fait de n’attribuer à un objet qu’un caractère simplement « décoratif » ou « ornemental » n’est jamais que le résultat d’une certaine dégénérescence entraînant une incompréhension du point de vue traditionnel.

 

 

Ce qu’il importe de remarquer encore, c’est que la « chaîne » ne peut être parcourue en réalité que dans un seul sens, correspondant à ce que nous avons appelé la direction ascendante de l’axe ; ceci est particulièrement net lorsqu’on fait usage d’un symbolisme temporel, assimilant les mondes ou les états d’existence à des cycles successifs, de telle sorte que, par rapport à un état donné, les cycles antérieurs représentent les états inférieurs et les cycles postérieurs les états supérieurs, ce qui implique que leur enchaînement doit être conçu comme irréversible. D’ailleurs, cette irréversibilité est également impliquée dans la conception de ce même enchaînement comme ayant un caractère proprement « causal », bien que celle-ci suppose essentiellement la simultanéité et non plus la succession, car, dans un rapport entre cause et effet, les deux termes ne peuvent jamais être intervertis ; et, au fond, cette notion d’un enchaînement causal constitue le véritable sens de ce qui est traduit symboliquement par les apparences d’une succession cyclique, le point de vue de la simultanéité répondant toujours à un ordre de réalité plus profond que celui de la succession.

La « chaîne des mondes » est généralement figurée sous une forme circulaire1 car, si chaque monde est considéré comme un cycle, et symbolisé comme tel par une figure circulaire ou sphérique, la manifestation tout entière, qui est l’ensemble de tous les mondes, apparaîtra elle-même en quelque sorte comme un « cycle des cycles ». Ainsi, non seulement la chaîne pourra être parcourue d’une façon continue depuis son origine jusqu’à sa fin, mais elle pourra ensuite l’être de nouveau, et toujours dans le même sens, ce qui correspond d’ailleurs, dans le déploiement de la manifestation, à un autre niveau que celui où se situe le simple passage d’un monde à un autre2, et, comme ce parcours peut être poursuivi indéfiniment, l’indéfinité de la manifestation elle-même est exprimée par là d’une façon plus sensible encore.

 

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[1] Cette forme ne s’oppose nullement à la « verticalité »de l’axe ou du fil qui le représente, car, celui-ci devant naturellement être supposé de longueur indéfinie, il est assimilable, en chacune de ses portions, à une droite qui est toujours verticale, c’est-à-dire perpendiculaire au domaine d’existence constitué par le monde qu’elle traverse, domaine qui n’est, comme nous l’avons déjà dit plus haut, qu’un élément infinitésimal de la manifestation, puisque celle-ci comprend nécessairement une multitude indéfinie de tels mondes.
[2] Dans les termes de la tradition hindoue, ce passage d’un monde à un autre est un pralaya, et le passage par le point où les extrémités de la chaîne se rejoignent est un mahâpralaya ; ceci pourrait d’ailleurs s’appliquer aussi analogiquement, à un degré plus particularisé, si, au lieu d’envisager les mondes par rapport à la totalité de la manifestation, on envisageait seulement les différentes modalités d’un certain monde par rapport à l’intégralité de ce même monde.
[3] Peut-être serait-il plus exact en un sens de dire qu’elle paraît se fermer, pour éviter de laisser supposer qu’un nouveau parcours de cette chaîne puisse n’être qu’une sorte de répétition du parcours précédent, ce qui est une impossibilité ; mais, en un autre sens ou sous un autre rapport, elle se ferme bien réellement, en ce que, au point de vue principiel (et non plus au point de vue de la manifestation), la fin est nécessairement identique à l’origine.

 

 

Cependant, il est essentiel d’ajouter que, si la chaîne se ferme3, le point même où elle se ferme n’est aucunement comparable à ses autres points, car il n’appartient pas à la série des états manifestés ; l’origine et la fin se rejoignent et coïncident, ou plutôt elles ne sont en réalité qu’une seule et même chose, mais il ne peut en être ainsi que parce qu’elles se situent, non point à un niveau quelconque de la manifestation, mais au-delà de celle-ci et dans le Principe même1.



Dans différentes formes traditionnelles, le symbole le plus habituel de la «chaîne des mondes » est le chapelet ou le rosaire ; et nous ferons tout d’abord remarquer à ce propos, en connexion avec ce que nous avons dit au début sur le« souffle » qui soutient les mondes, que la formule prononcée sur chaque grain correspond, en principe tout au moins, sinon toujours en fait, à une respiration, dont les deux phases symbolisent respectivement, comme on le sait, la production d’un monde et sa résorption. L’intervalle entre deux respirations, correspondant naturellement au passage d’un grain à un autre, en même temps qu’à un instant de silence, représente par là même un pralaya; le sens général de ce symbolisme est donc assez clair, quelles que soient d’ailleurs les formes plus particulières qu’il peut revêtir suivant les cas. Il faut aussi remarquer que l’élément le plus essentiel, en réalité, est ici le fil qui relie les grains entre eux ; cela peut même sembler tout à fait évident, puisqu’il ne peut y avoir de rosaire s’il n’y a tout d’abord ce fil sur lequel les grains viennent ensuite s’enfiler « comme les perles d’un collier ». Si, cependant, il est nécessaire d’attirer l’attention là-dessus, c’est que, au point de vue extérieur, on voit les grains plutôt que le fil ; et ceci même est encore très significatif, puisque ce sont les grains qui représentent la manifestation, tandis que le sûtrâtmâ, représenté par le fil, est en lui-même non manifesté.

Dans l’Inde, le rosaire est appelé aksha-mâlâ ou « guirlande d’akshas» (et aussi aksha-sûtra) ; mais que faut-il entendre exactement par aksha? Cette question, à vrai dire, est assez complexe2; la racine verbale aksh, dont ce mot est dérivé, signifie atteindre, pénétrer, passer à travers, d’où, pour aksha, le sens premier d’« axe »; et d’ailleurs ce mot et celui d’« axe » lui-même sont manifestement identiques.


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[1]On pourra se reporter ici à ce que nous avons dit dans La jonction des extrêmes.
[2]Nous devons les indications qui suivent, sur ce sujet, à l’obligeance d’A. K. Coomaraswamy.

 


On peut tout de suite, en se reportant aux considérations que nous avons déjà exposées, voir là un rapport direct avec la signification essentiellement « axiale » du sûtrâtmâ ; mais comment se fait-il qu’aksha en soit arrivé à désigner, non plus le fil, mais les grains mêmes du rosaire ? Il faut, pour le comprendre, se rendre compte que, dans la plupart de ses applications secondaires, cette désignation, de l’axe lui-même a été en quelque sorte transférée (par un passage, pourrait-on dire, du sens actif au sens passif) à ce qu’il traverse, et plus particulièrement à son point de pénétration. C’est ainsi, par exemple, qu’aksha est l’« œil » d’une roue, c’est-à-dire son moyeu1 ; et l’idée de l’« œil » (sens que le mot aksha a surtout fréquemment dans ses composés) nous ramène d’ailleurs à la conception symbolique de l’axe comme « rayons solaires », illuminant les mondes par là même qu’il les pénètre. Aksha est aussi un dé à jouer, apparemment à cause des « yeux » ou points dont sont marquées ses différentes faces2 ; et c’est également le nom d’une sorte de graine dont sont faits ordinairement les rosaires, parce que la perforation des grains de ceux-ci est aussi un « œil », destiné précisément à permettre le passage du fil « axial3». Cela confirme d’ailleurs encore ce que nous disions tout à l’heure de l’importance primordiale de ce dernier dans le symbole de la « chaîne des mondes », puisque c’est en somme de lui que les grains dont elle se compose reçoivent secondairement leur désignation, de même, pourrait-on dire, que les mondes ne sont réellement « mondes » qu’en tant qu’ils sont pénétrés par le sûtrâtmâ4.

Le nombre des grains du rosaire est variable suivant les traditions, et il peut même l’être aussi suivant certaines applications plus spéciales ; mais, dans les formes orientales tout au moins, c’est toujours un nombre cyclique : c’est ainsi notamment, que, dans l’Inde et au Thibet, ce nombre est le plus habituellement 108.


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[1] On se souviendra ici de ce que nous avons dit précédemment sur plusieurs symboles apparentés, tels que l’« œil » du dôme et l’« œil » de l’aiguille.
[2] Ce qui est aussi à remarquer, au point de vue de la doctrine des cycles, c’est que les désignations de ces faces, d’après le nombre de leurs points, sont les mêmes que celles des Yugas.
[3] Le nom de la graine rudrâksha est expliqué comme signifiant « ayant un œil rouge » (naturellement et avant la perforation) ; le rosaire est encore appelé rudrâksha-valaya, anneau ou cercle de rudrâkshas.
[4] On sait que le mot sanscrit loka, « monde », est étymologiquement en rapport avec la lumière et la vue, et par suite aussi avec le symbolisme de l’« œil » et celui du « rayon solaire ».

 


En réalité, les états qui constituent la manifestation universelle sont en multitude indéfinie, mais il est évident que cette multitude ne saurait être représentée adéquatement dans un symbole d’ordre sensible comme celui dont il s’agit, et il faut nécessairement que les grains soient en nombre défini1. Cela étant, un nombre cyclique convient tout naturellement pour une figure circulaire telle que celle que nous envisageons ici, et qui représente elle-même un cycle, ou plutôt, comme nous l’avons dit précédemment, un « cycle de cycles ».

Dans la tradition islamique, le nombre des grains est de 99, nombre qui est aussi « circulaire » par son facteur 9, et qui ici se réfère en outre aux noms divins2 ; puisque chaque grain représente un monde, ceci peut également être rapporté aux anges considérés comme « recteurs des sphères3», chaque ange représentant ou exprimant en quelque sorte un attribut divin4, auquel sera ainsi relié plus particulièrement celui des mondes dont il est l’« esprit ». D’autre part, il est dit qu’il manque un grain pour compléter la centaine (ce qui équivaut à ramener la multiplicité à l’unité), puisque 99 = 100 − 1, et que ce grain, qui est celui qui se rapporte au « Nom de l’Essence » (Ismudh-Dhât), ne peut être trouvé que dans le Paradis5 ; c’est là un point qui demande encore quelques explications.

Le nombre 100, comme 10 dont il est le carré, ne peut normalement se référer qu’à une mesure rectiligne et non à une mesure circulaire6, de sorte qu’il ne peut être compté sur la circonférence même de la « chaîne des mondes » ; mais l’unité manquante correspond précisément à ce que nous avons appelé le point de jonction des extrémités de cette chaîne, point qui, rappelons-le encore, n’appartient pas à la série des états manifestés.


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[1] C’est d’ailleurs d’une façon similaire que, dans le langage même, l’indéfinité est souvent exprimée symboliquement par un nombre tel que dix mille, ainsi que nous l’avons expliqué ailleurs (cf. Les Principes du Calcul infinitésimal, ch. IX).
[2] Les 99 grains sont de plus partagés en trois séries de 33 ; on retrouve donc ici les multiples dont nous avons déjà signalé l’importance symbolique en d’autres occasions.
[3] On se souviendra que, en Occident également, saint Thomas d’Aquin a enseigné expressément la doctrine suivant laquelle angelus movet stellam ; cette doctrine était d’ailleurs tout à fait courante au moyen âge, mais elle est de celles que les modernes, même quand ils se disent « thomistes », préfèrent passer sous silence pour ne pas trop heurter les conceptions « mécanistes » communément admises.
[4] Bien que nous ayons déjà indiqué ceci à diverses reprises, nous nous proposons d’y revenir encore plus spécialement dans un prochain article.
[5] Dans la correspondance angélique que nous venons de mentionner, ce centième grain devrait être rapporté à l’« Ange de la Face » (qui est en réalité plus qu’un ange), Metatron ou Er-Rûh.
[6] Cf. La Grande Triade, ch. VIII.

 


Dans le symbolisme géométrique, ce point, au lieu d’être sur la circonférence qui représente l’ensemble de la manifestation, sera au centre même de cette circonférence, la rentrée dans le Principe étant toujours figurée comme un retour au centre1. Le Principe, en effet, ne peut apparaître en quelque sorte dans la manifestation que par ses attributs, c’est-à-dire, suivant le langage de la tradition hindoue, par ses aspects « non suprêmes », qui sont, pourrait-on dire encore, les formes revêtues par le sûtrâtmâ par rapport aux différents mondes qu’il traverse (bien que, en réalité, le sûtrâtmâ ne soit aucunement affecté par ces formes, qui ne sont en définitive que des apparences dues à la manifestation elle-même) ; mais le Principe en soi, c’est-à-dire le « Suprême » (Paramâtmâ et non plus sûtrâtmâ), ou l’« Essence » envisagée comme absolument indépendante de toute attribution ou détermination quelconque, ne saurait être considéré comme entrant en rapport avec la manifestation, fût-ce en mode illusoire, quoique la manifestation en procède et en dépende entièrement dans tout ce qu’elle est, sans quoi elle ne serait réelle à aucun degré2 : la circonférence n’existe que par le centre ; mais le centre ne dépend de la circonférence en aucune façon ni sous aucun rapport. Le retour au centre peut d’ailleurs être envisagé à deux niveaux différents, et le symbolisme du « Paradis » dont nous parlions tout à l’heure est également applicable dans l’un et l’autre cas : si d’abord on considère seulement les modalités multiples d’un certain état d’existence tel que l’état humain, l’intégration de ces modalités aboutira au centre de cet état, lequel est effectivement le Paradis (El-Jannah) entendu dans son acception la plus immédiate et la plus littérale ; mais ce n’est là encore qu’un sens relatif, et, s’il s’agit de la totalité de la manifestation, il faut, pour en être affranchi sans aucune trace de l’existence conditionnée, effectuer une transposition du centre d’un état au centre de l’être total, qui est proprement ce qui est désigné par analogie comme le « Paradis de l’Essence » (Jannatu-dh-Dhât). Ajoutons que, dans ce dernier cas, le « centième grain » du rosaire est, à vrai dire, le seul qui subsiste, tous les autres étant finalement résorbés en lui : dans la réalité absolue, en effet, il n’y a plus place pour aucun des noms qui expriment « distinctement » la multiplicité des attributs ; il n’y a même plus Allahumma (nom équivalant à l’hébreu Élohim), qui synthétise cette multiplicité d’attributs dans l’unité de l’Essence ; il n’y a rien d’autre qu’Allah, exalté ammâ yaçifûn, c’est-à-dire au-delà de tous les attributs, qui sont seulement, de la Vérité divine, les aspects réfractés que les êtres contingents comme tels sont capables d’en concevoir et d’en exprimer.


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[1] C’est ce « retour » qui est exprimé dans le Qorân (II, 156) par les mots innâ li’Llahi wa innâ ilayhi râjiûn.
[2] La transcendance absolue du Principe en soi entraîne nécessairement l’« irréciprocité de relation » qui, comme nous l’avons expliqué ailleurs, exclut formellement toute conception « panthéiste » ou « immanentiste »

 

 

 

 

 

mardi 11 juin 2013

Abdes-Sellem-ben-Machich - Par Louis Rinn


                                        Tombeau de sidi ’Abd es-Salâm ibn Machich (Que Dieu l'agrée)




Par Louis Rinn (MARABOUTS ET KHOUANS , ÉTUDE SUR L’ISLAM EN ALGÉRIE, chap. XVII, ORDRE PRINCIPAL DES CHADELYA, 1884)




Abou-Median forma un grand nombre de disciples qui se dirent Madanya (au singulier Madani), épithète que prirent ensuite plusieurs docteurs, en souvenir du Saint d’El-Eubbad. Son successeur, et le véritable chef de l’ordre nouveau issu de son enseignement, fut le Marocain Abou-Mohammed-Abd-es-Sellem-ben-Machich-ben-Mansour-ben-Brahim-et-Hassani, chérif originaire des Beni-Arous, du Djebel-Alem, près de Tétouan.

Contemporain et sujet du sultan Abd-el-Moumen (mort en 1160 de J: C.)(1), Abd-es-Sellem-ben-Machich semble avoir voulu continuer l’oeuvre religieuse entreprise par le fondateur de la dynastie des Almohades (unitaires)(2).

A l’exemple d’Ab-el-Moumen et de Sid Abdallah-ben-Tomert qui, avant d’être souverains, s’affirmèrent comme pontifes intransigeants vis-à-vis de tout pouvoir temporel, Abdes-Sellem-ben-Machich professa, toute sa vie, un unitarisme rigoureux, et excessif dans ses déductions dogmatiques, liturgiques ou politiques. Plus religieux que ses deux illustres prédécesseurs, n’ayant pas leur ambition malsaine, et sincèrement imbu des doctrines soufies de son maître spirituel, il resta constamment en dehors de toute compromission avec les représentants de l’autorité séculière, et recommanda à ses disciples le mépris de toutes les fonctions publiques et l’éloignement absolu de tous les détenteurs du pouvoir. Mais, s’il encouragea l’insoumission, il ne prêcha pas la révolte, et il blâma toujours ceux qui, sous un prétexte religieux, prenaient part à des soulèvements politiques.

Son enseignement ne fut jamais ni agressif, ni turbulent. Il avait coutume de dire : « Priez Dieu sans cesse et sans compter ; ne parlez pas d’autrui, et préservez vos cœurs du désir de voir les hommes à vos pieds.

 

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(1) L’année 1160 de J.-C. comprend, dans le calendrier hégirien, les onze derniers jours de l’an 554, toute l’année 555 et le premier jour de l’année 556.
(2)

El-Mouhidoun, les unitaires, un.

 

L’amour de Dieu est le seul pôle autour duquel tournent tous les biens.... Que votre langue, au lieu de parler des choses de ce monde, ne parle que de Dieu; que votre coeur s’attache au Créateur, au lieu de s’attacher à la créature. Purifiez votre coeur des doutes et des pensées vaines, avec l’eau de la certitude des vérités morales. Ne levez jamais votre pied du sol et ne l’y posez jamais sans avoir en vue l’obéissance à Dieu.

Ne vous asseyez jamais que là où vous serez certain de ne pas rencontrer la révolte contre Dieu. »

 Sa conduite était en tout conforme à ses paroles. Aussi fut-il un des premiers à dévoiler l’imposture d’un certain Mohammed-ben-Mohammed-ben-Abou Touadjin, thaumaturge et intransigeant, qui s’était mis à la tête d’un parti de rebelles.

Ben-Machich paya de sa vie sa noble attitude vis-à-vis de cet énergumène, qui le fit assassiner par ses partisans, l’an 625 de l’Hégire (1227-1228 de J.-C.). Les Berbères, furieux de la mort de ce saint homme, tuèrent aussitôt son assassin.

Mouley-Abd-es-Sellem-ben-Machich est resté, depuis, l’objet de la vénération de tous les Musulmans : de nombreux pèlerinages ont lieu à son tombeau, dans le Djebel-Alem, et les Khouan-Soufi de la Tunisie portent, encore aujourd’hui, le nom de Mechichya ou de Sellamya.

Mais ce qui contribua surtout à illustrer Ben-Machich, ce fut d’avoir eu l’honneur de former à son école le célèbre Abou-Hassen-Ali-ech-Chadeli. Aussi, parmi les élogieuses appellations que lui a décernées la piété des fidèles, se trouve le titre de « précurseur et maître de Chadeli » en arabe Imamech-Chadeli et, par corruption, Imam Chadouli.

 
à suivre ...

 

dimanche 9 juin 2013

Des mérites du Mois de Sha`ban - La Quinzième Nuit de Sha`ban - Invocations à réciter (arabe, phonétique et traduction)


 
 
 
 
Ustadh Amin Buxton
 




 
Des mérites du Mois de Sha`ban
 
Les Savants disent que la racine du mot Sha`ban est "branche", car le mois de Sha`ban se ramifie et mène à diverses bonnes choses. Il est tel un pont entre les mois bénis de Rajab et Ramadan. Mais malgré cela il est souvent négligé.

Le Messager d’Allah (paix et bénédictions sur lui) nous prévint de cela lorsque, interrogé sur la raison de l’importance de son jeûne durant Sha`ban, il répondit : « C’est un mois que les gens négligent entre Rajab et Ramadan. C’est un mois durant lequel les actions sont élevées au Seigneur des Mondes et j’aime à ce que mes actions soient élevées alors que je jeûne. » [1]

Qu’entend-on par « actions élevées » ? Les savants disent que c’est une exposition symbolique de nos actions à Allah. Pour sûr, Allah est Tout-Voyant et Tout-Sachant et n’a nul besoin que nos actions Lui soient exposées, étant donné qu’Il est constamment informé d’elles. Toutefois, si le serviteur n’a pas conscience de la vigilance permanente d’Allah, il doit au moins s’efforcer d’accomplir des actions pies lorsque ses actes sont exposés à Allah. Aussi, s’il parvient à obtenir la satisfaction d’Allah en ces instants-là, il espère qu’Allah outrepasse les fautes et manquements qu’il aurait commis à d’autres instants. Il y a une présentation [des actions] journalière : après Fajr et `Asr, une présentation hebdomadaire : Lundi et Jeudi, et une présentation annuelle qui a lieu au mois de Sha`ban. Le Messager d’Allah (paix et bénédictions sur lui) s’appliquait à l’accomplissement de bonnes actions à ces moments et aspirait à ce que sa Ummah en fasse autant.

L’un des plus nobles actes à accomplir au cours de Sha`ban est le jeûne, et le Prophète (paix et bénédictions d’Allah sur lui) aimait jeûner alors que ses actions étaient élevées les Lundi et Jeudi ainsi que durant Sha`ban. Sayyidah `A’isha a dit du Prophète (paix et bénédictions d’Allah sur lui) : « Je ne l’ai vu, durant aucun mois, jeûner autant que durant Sha`ban. » [2] Elle dit également :« Le mois durant lequel il aimait jeûner le plus était Sha`ban. » [3] Ces deux hadith portent évidemment sur le jeûne surérogatoire en dehors de Ramadan. Certains hadith indiquent qu’il jeûnait Sha`ban entièrement, bien qu’il y ait plus de preuves indiquant qu’il jeûnait la majorité du mois laissant quelques jours [où il ne jeûnait pas]. Dans un autre hadith il dit (paix et bénédictions d’Allah sur lui) en réponse à une question portant sur l’intensité de son jeûne durant Sha`ban : « Durant ce mois ceux qui sont destinés à mourir sont enregistrés pour l’Ange de la Mort. J’aime à ce que mon nom soit enregistré alors que je jeûne. » [4]

L’on trouve l’une des sagesses du jeûne abondant du Messager d’Allah (paix et bénédictions sur lui) durant Sha`ban dans une parole de Sayyidah `A’isha – qu’Allah l’agrée – qui rapporte que, durant ce mois, il avait pour habitude de rattraper les jeûnes surérogatoires qu’il avait manqués au cours de l’année. [5] Durant ce temps elle jeûnait avec lui pour rattraper les jours de jeûne manqués durant Ramadan. [6]

De là nous tirons l’importance de rattraper les actes surérogatoires que nous avons pour habitude d’accomplir, mais également la nécessité de rattraper les jours de jeûne de Ramadan manqués, avant que Ramadan ne se présente à nouveau.

Les savants disent en outre que le jeûne surérogatoire durant Sha`ban s’apparente aux prières surérogatoires qui précèdent les prières obligatoires, alors que le jeûne surérogatoire de Shawwal – après Ramadan – est tel les prières surérogatoires accomplies après les prières obligatoires. L’accomplissement d’actes surérogatoires compense toute défaillance des actions obligatoires que nous avons accomplies.

A côté de cela le Prophète (paix et bénédictions d’Allah sur lui) a également dit : « Lorsque la première moitié de Sha`ban est finie, ne jeûnez pas. » [7] Les savants du madhhab Shafi`i ont compris ce hadith comme interdisant le jeûne surérogatoire durant la seconde partie du mois, certaines exceptions mises à part. [8] Selon les autres écoles il n’y a pas d’interdiction de jeûner la seconde moitié de Sha`ban mais il est détesté (makrûh) de jeûner un jour ou deux avant Ramadan.

Nous avons, ici, détaillé la question du jeûne étant donné l’abondance de narrations portant sur le sujet. Même si nous ne pouvons jeûner que les « Jours Blancs » [9] ou trois jours durant ce mois cela aura de grands bénéfices. De façon générale, nous devrions accomplir n’importe quelle action, interne ou externe, grande ou petite, que nous aimerions voir élevée vers Allah.

En dehors du jeûne, il est également recommandé de prier abondamment sur le Prophète d’Allah (paix et bénédictions sur lui). C’est durant ce mois qu’Allah révéla :

إِنَّ اللَّهَ وَمَلَائِكَتَهُ يُصَلُّونَ عَلَى النَّبِيِّ
يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا صَلُّوا عَلَيْهِ وَسَلِّمُوا تَسْلِيمًا
{Certes Allah et Ses Anges envoient leurs bénédictions sur le Prophète. Ô vous qui croyez, priez sur lui et saluez-le abondamment.} [10]

C’est peut-être la raison pour laquelle le Prophète qualifia le mois de Sha`ban de « mon mois », lorsqu’il dit dans le hadith : «Rajab est le Mois d’Allah, Sha`ban est mon mois et Ramadan est le mois de ma Ummah. » [11] Envoyer des salutations sur lui (paix et bénédictions d’Allah sur lui) est parmi les meilleurs moyens de renforcer notre connexion à lui dans cette vie ainsi que dans l’autre, comme il nous l’apprit : « Les plus rapprochés de moi au Jour de la Résurrection seront ceux qui auront le plus priés sur moi. » [12]

Il était également d’usage chez les Musulmans des premières générations de réciter le Qur’an abondamment durant Sha`ban. Avec le jeûne, cela fait partie des meilleurs préparatifs pour le mois de Ramadan, du temps étant nécessaire à l’âme (nafs) afin de s’accoutumer à l’accomplissement de tels actes en abondance. Si nous sommes déjà habitués à les accomplir avant Ramadan, nous pourrons en accomplir davantage lorsque le mois entrera. Peut-être est-ce pourquoi l’Imam Abu Bakr al-Warraq a dit : « Durant le mois de Rajab vous plantez les graines, durant Sha`ban vous les irriguez et durant Ramadan vous en faites la récolte. »

Deux évènements majeurs se produisirent durant Sha`ban. Les savants de Sîrah rapportent que c’est le mois durant lequel la lune a été fendue en deux pour le Messager d’Allah (paix et bénédictions sur lui). C’est également durant ce mois que la Qiblah (direction de la prière) fut changée de Bayt al-Maqdis à Jérusalem, à la Ka`bah de Makkah. Alors que ces évènements sont désormais révolus, il y en a un, également remarquable, qui revient chaque année, et c’est la Quinzième Nuit de Sha`ban, l’une des plus importantes nuits de l’an. Nous en reparlerons à l’approche de la date – in sha’a llahu – .


***
Nous finissons en implorant comme le Prophète (paix et bénédictions d’Allah sur lui) implora :

اللَّهُمَّ بَارِكْ لَنَا في رَجَبٍ وَ شَعْبَانَ وَ بَلِّغْنا رَمَضَانَ

« Ô Allah bénis-nous dans Rajab et Sha`bān et accorde nous de parvenir au mois de Ramadān ! » [13]

[1] Rapporté par Ahmad et alNasai

[2] Rapporté par alBukhari et Muslim

[3] Rapporté par alNasai

[4] Rapporté par alHaythami

[5] Tels que les jeûnes du Lundi et Jeudi et de trois jours chaque mois, qu’il n’aurait pu accomplir du fait de ses expéditions et à cause de maladie.

[6] Rapporté par alTabarani

[7] Rapporté par alTirmidhi, Ibn Majah, alHakim et Ibn Hibban

[8] Tel le cas de la personne qui aurait commencé à jeûner durant la première moitié du mois poursuivant ensuite son jeûne durant la seconde, ou le cas d’une personne ayant l’habitude de jeûner le Lundi au cours de l’an. Dans ces cas il est permis de jeûner la seconde partie du mois. Le rattrapage d’un jeûne (qada’) est bien évidemment permis, seul le jeûne surérogatoire étant discuté ici.

[9] Les « Jours Blancs » sont les jours qui suivent les nuits de pleine lune, à savoir les 13, 14 et 15 de chaque mois lunaire. Le Messager d’Allah (paix et bénédictions d’Allah sur lui) exhorta ses Compagnons à jeûner trois jours de chaque mois et de jeûner ces jours en particulier. Le 15éme jour est compté dans la première moitié du mois et il n’est donc pas interdit de le jeûner – selon l’école Shafi`i – durant le Mois de Sha`ban.

[10] AlAhzab, 33:56

[11] Rapporté par alSuyuti

[12] Rapporté par alTirmidhi et Ibn Hibban

[13] Rapporté par Ahmad

 
 
La Quinzième Nuit de Sha`ban
 
La Quinzième Nuit de Sha`ban, connue en Arabe comme “Laylat al-Nisf min Sha`ban”, littéralement : “la veille de la moitié de Sha`ban,” est l’une des plus importantes nuits de l’année. (En Islam la nuit précède le jour, il s’agit donc en fait de la nuit qui précède le quinzième jour de Sha`ban.) `Ata’ bin Yasar a dit qu’après Laylat al-Qadr il n’y a de nuit meilleure que la Quinzième Nuit de Sha`ban. Son importance tient des dons Divins qui y sont déversés.

Une nuit, Sayyidah `A’ishah (qu’Allah l’agrée) constata que le Messager d’Allah (paix et bénédictions sur lui) avait quitté sa maison. Elle sortit pour voir où il était et le trouva au Cimetière de Baqi’, les mains levés au ciel en invocation. Il lui dit qu’en cette nuit, la quinzième de Sha`ban, Allah pardonne à plus de personnes qu’il n’y a de poils sur le mouton de la tribu de Kalb. [1]

Il dit également (paix et bénédictions d’Allah sur lui) : “Allah regarde Sa Création au cours de la quinzième nuit de Sha`ban et pardonne à l’ensemble de Ses esclaves, excepté deux catégories de gens : ceux qui associent des partenaires à Allah et ceux qui ont de la rancœur pour leurs confrères musulmans.” [2]

Le Prophète (paix et bénédictions sur lui) nous exhorta à passer cette nuit en prière et à jeûner le jour suivant car, du coucher du soleil jusqu’à l’aube, Allah lance l’appel à Ses serviteurs : “Y a-t-il quelqu’un qui recherche Mon pardon afin que Je lui pardonne ? Y a-t-il quelqu’un recherchant des subsistances de Ma part afin que je les lui accorde ? Y a-t-il quelqu’un qui souffre afin que J’apaise ses souffrances ?” [3]

L’Imam `Ali (qu’Allah l’agrée) sortit au cours de la quinzième nuit de Sha`ban et regarda le ciel. Il rapporta que le Prophète Dawud (paix sur lui) sortit à une heure similaire la même nuit et dit que quiconque implorait Allah à cet instant, Allah lui répondait et quiconque recherchait Son pardon, Il lui pardonnait. C’est pour cette raison qu’il passait la nuit en adoration.

Il a été rapporté que le Messager d’Allah (paix et bénédictions sur lui) a dit : « Il y a cinq nuits durant lesquelles le du`a (la supplication) n’est pas rejeté : la première nuit de Rajab, la 15ème nuit de Sha’ban, la nuit du Jeudi, la nuit précédant `îd Al-Fitr, et la nuit précédant `îd Al-Nahr (al-Adha). » [4]

`Ikrimah et d’autres commentateurs du Qur’an étaient d’avis que la “nuit bénie” évoquée dans Surah al-Dukhan est la quinzième nuit de Sha`ban. [5]

Allah dit à son propos :

{En elle est rendue distincte toute sage affaire} . [6]

Selon cet avis, c’est la nuit durant laquelle devient manifeste ce qu’Allah a décrété pour Ses serviteurs pour l’année à venir. Leur subsistance est allouée et ceux qui sont destinés à mourir sont nommés. `Ata’ bin Yasar rapporte qu’en cette nuit l’Ange de la Mort reçoit un rouleau sur lequel se trouvent les noms de tous ceux qui sont destinés à mourir au cours de l’année qui suit. “Un homme peut semer des graines, se marier et construire des bâtiments alors que son nom a été enregistré parmi les morts. L’Ange de la mort n’attend que l’ordre pour prendre son âme.” Dès lors, nombreux pieux implorent Allah au cours de cette nuit d’être comptés parmi les bienheureux et d’obtenir une abondante subsistance. [Voir d'ailleurs l'invocation pour cette nuit ici : Invocation pour la mi-Sha`ban]

Sayyiduna `Umar bin `Abd al-`Aziz said (qu’Allah l’agrée) a dit : “Ne négligez pas quatre nuits dans l’année, car en ces nuits Allah déverse Sa Miséricorde sur Ses serviteurs : la première nuit de Rajab, la quinzième nuit de Sha`ban, la nuit précédant `Îd al-Fitr et la nuit précédant `Îd al-Adha.” Il était dès lors d’usage chez les Musulmans des premières générations de “redonner vie” à la quinzième nuit de Sha`ban. Ils encourageaient les gens à se réunir dans les mosquées au cours de cette nuit afin de prier, invoquer Allah et rechercher le pardon.

Un certain nombre des hadith qui énumèrent les immenses dons qu’Allah octroie durant cette, nuit citent les groupes de personnes qui en sont privés. Parmi ceux qui sont mentionnés l’on trouve les polythéistes et ceux qui portent en leur cœur de la rancune envers leurs confrères Musulmans. Certains savants citent en particulier ceux qui insultent les Compagnons ou les premières générations de Musulmans ou ceux qui accusent leurs confrères Musulmans d’être mécréants ou innovateurs. Parmi les autres catégories mentionnées l’on trouve les fornicateurs, ceux qui coupent les liens familiaux, ou ceux qui sont irrespectueux envers leurs parents.

Sont également refusés à ces catégories de personnes le pardon et l’acceptation durant les autres importantes nuits, telles la première nuit de Ramadan et Laylat al-Qadr. Il nous faut, dès lors, faire notre possible afin d’éviter de telles qualités. L’un des premiers savants a dit : “Les meilleurs qualités sont d’avoir un cœur sain, une âme généreuse et de sincèrement désirer le bien pour la Ummah. C’est par ces qualités que les éminentes figures ont atteint les degrés qu’elles ont atteints, et non par une importante quantité de prières et de jeûnes.”

Nous prions Allah de ne nous priver d’aucun des dons octroyés durant cette sublime nuit. Puisse-t-Il nous accorder la capacité de rechercher Son agrément au travers des prières que nous Lui adressons et au travers de la recherche de Son pardon en cette nuit. Nous L’implorons de décréter pour nous tout ce qui est bon et d’éloigner de nous tout ce qui est nuisible. Qu’Il envoie d’infinis salut et bénédictions sur notre guide et maître Muhammad, par lequel nous apprîmes la supériorité d’un temps sur un autre et dans la guidée duquel se trouve tout bien en cette vie et en l’autre.

 

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 [1] Rapporté par Ahmad, al-Tirmidhi et Ibn Majah. Banu Kalb était une tribu Arabe connue pour son sublime troupeau de moutons que possédaient ses membres.

[2] Rapporté par Ahmad

[3] Rapporté par Ibn Majah

[4] Rapporté par al-Suyuti

[5] La majorité des commentateurs rapportent, toutefois, que la nuit à laquelle il est fait référence est Laylat al-Qadr

[6] Al-Dukhan, 44:4
 
 
Invocation à réciter en cette nuit
 
Après le `Asr du 14éme jour de Sha`ban, les savants guident les croyants dans une visite du cimetière de Zanbal, et à la tombe d’al-Faqih al-Muqaddam, ils récitent Surah Ya Sin trois fois.
Ils la lisent une première fois avec l’intention d’être gratifiés d’une longue vie dans l’obéissance à Allah, une deuxième fois avec l’intention que toutes les adversités soient repoussées et la troisième fois avec l’intention de ne pas dépendre des autres et d’être gratifiés d’une bonne fin. Après chaque lecture de Ya Sin, ils récitent l’invocation suivante:
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بسم الله الرحمن الرحيم الحمد لله رب العالمين
اللهم صل على سيدنا محمد و آله و صحبه و سلم

اللهم يا ذا المَنِّ ولا يُمَنُّ عَلَيْهِ يا ذا الجَلالِ والإكْرام
ياذا الطَوْلِ والإنْعام لا إلهَ إلا أَنْتَ
ظَهْرَ اللاَّجِينَ وجَارَ المُسْتَجِيرينَ وأَمَانَ الخائِفِينَ
 
اللهم إِنْ كُنْتَ كَتَبْتَنَا عِنْدَكَ أَشْقِياءَ أَوْ مَحْرومينَ
أَوْ مَطْرودِينَ أَوْ مُقَتَّراً عَلَيْنَا في الرِّزْقِ
فَامْحُ اللهم بِفَضْلِكَ شِقَاوَتَنا وحِرْمَانَنا وطَرْدَنا
وإِقْتَارَ أَرْزَاقَنَا وأَثْبِتْنَا عِنْدَكَ في أُمِّ الكِتابِ سُعَداءَ
مَرْزوقينَ مُوَفَّقِينَ لِلْخَيْراتِ فَإِنَّكَ قُلْتَ وقَوْلُكَ الحَقُّ
في كِتابِكَ المُنْزَل على لِسَانِ نَبِيِّكَ المُرْسَل
{يَمْحُو اللهُ ما يَشَاءُ وَيُثْبِتُ وعِنْدَهُ أُمُّ الكِتَابِ}
 
إلهَي بِالتَّجَلِّي الأَعْظَمِ في لَيْلَةِ النِّصْفِ مِنْ شَعَبانَ
المُكَرَّمِ الَّتي يُفْرَقُ فِيها كُلُّ أَمْرٍ حَكِيمٍ وَيُبْرَمُ
نَسَأَلُكَ أَنْ تَكْشِفَ عَنَّا مِنَ البَلاءِ ما نَعْلَمُ وما لا نَعْلَمُ
وما أَنْتَ بِهِ أَعْلَمُ إِنَّكَ أَنْتَ الأَعَزُّ الأَكْرَمُ

وصلى الله على سيدنا محمد وعلى آله وصحبه وسلم
 
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Bismillahi-r-Rahmâni-r-Rahîm
Allâhumma salli `alâ Sayyidinâ Muhammadin wa `alâ âlihi wa sahbihi wa sallam
Allâhumma Yâ Dhâ-l-manni wa lâ yumannu `alayh
Yâ Dhâ-l-jalâli wa-l-ikrâm yâ Dhâ-t-tawli wa-l-in`âm
Lâ ilâha illâ Anta, thahra-l-lâjîna wa jâra-l-mustajîrîna wa amâna-l-khâ’ifîna
Allâhumma in kunta katabtanâ `indaka ashqiya’a aw mahrûmîna
aw matrûdîna aw muqattaran `alaynâ fi-r-rizqi
Fa-mhu-llâhumma bi fadlika shiqâwatanâ wa hirmânanâ wa tardanâ wa iqtâra arzâqanâ
Wa athbitnâ `indaka fî Ummi-l-Kitâbi su`adâ’a marzûqîna muwaffaqîna li-l-khayrâti
Fa innaka qulta wa qawluka-l-Haqqu fî kitâbika-l-munzal `alâ lisâni nabiyyika-l-mursal
{Yamhu-llâhu mâ yashâ’u wa yuthbitu wa `indahu Ummu-l-Kitâb}

Ilâhî bi-ttajallî-l-a`thami fî laylati-n-nisfi min Sha`bana-l-mukarrami-
llatî yufraqu fîhâ kullu amrin hakîmin wa yubram
Nas’aluka an takshifa `annâ mina-l-balâ’i mâ na`lamu wa mâ lâ na`lamu wa mâ anta bihi a`lam
Innaka anta-l-a`azzu-l-akram
Wa salla-llâhu `alâ Sayyidinâ Muhammadin wa `alâ âlihi wa sahbihi wa sallam
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Par le Nom d’Allah, le Clément, Le Miséricordieux. Toute louange est à Allah le Seigneur des Mondes.

Ô Allah envoie paix et bénédictions sur notre Maître Muhammad, sur sa Famille et ses Compagnons.

Ô Allah, Dispensateur de faveurs et il n’y a nulle faveur sur Lui [1]. Ô Détenteur de Majesté et Noblesse, Celui Qui octroie Ses bienfaits en permanence. Il n’y a de divinité sinon Toi, Celui Qui accorde sûreté, Refuge de ceux qui cherchent protection et Asile des apeurés.

Ô Allah, si Tu nous as inscrit auprès de Toi comme misérables, ou démunis, ou rejetés, ou si Tu as décrété que notre subsistance soit restreinte, alors – ô Allah – par Ta Grâce efface notre misère, notre dénuement, notre éviction et la restriction de notre subsistance et établis-nous auprès de Toi au sein de « La Mère du Livre » (Ummu-l-Kitâb) comme bienheureux, fortunés, et dotés de la divine habilitation (tawfîq) pour accomplir des actes pieux. Car pour sûr Tu as dit, et Ta Parole est vérité, dans Ton Livre révélé sur la langue de Ton Prophète envoyé : {Allah efface et confirme ce qu’Il veut et auprès de Lui se trouve la Mère du Livre} [2]

Ô Allah, par Ta sublime manifestation lors de la nuit bénie de la mi-Sha`ban en laquelle toute sage affaire est rendue distincte et établie, nous T’implorons d’éloigner de nous toute adversité, celle dont nous avons connaissance et celle que nous ignorons et celle dont Tu as meilleure connaissance, Tu es certes le Plus Puissant, le Plus Généreux.

Ô Allah envoie paix et bénédictions sur notre Maître Muhammad, sur sa Famille et ses Compagnons.

Les gens se réunissent ensuite dans les principales Mosquées après Maghrib (au cours de la nuit du 15) et cette invocation est répétée. Les mosquées demeurent alors ouvertes le restant de la nuit pour ceux qui désirent y prier, invoquer Allah et réciter le Qur’an seul ou en groupes. De mêmes assemblées sont tenues pour les femmes après `Asr et Maghrib.


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[1] Allah, Qui est L’Indépendant, n’a guère besoin de faveurs.
[2] Al-Ra`d, 13:39
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