Traduit par Titus Burckhardt
2
La
première chose que j 'appris de mon maître (que Dieu soit satisfait de lui),
était celle-ci: il me chargea de deux paniers remplis de pruneaux. Je les pris par la
main au lieu de me les poser sur la nuque, comme il me l'avait indiqué, mais
malgré cela, cette chose me pesait beaucoup et m'était si pénible que mon âme
(nafs) se contracta; elle s'agitait, se chagrinait et se troublait à l'extrême,
à tel point que j'en pleurais presque, - et, par Dieu, je devais encore pleurer
à cause de toutes les humiliations, le mépris et le dépit que j'allais subir en
cette situation , - car mon âme n'avait jamais encore accepté pareille chose ni
baissé la tête, et jusque-là j'avais été inconscient de son orgueil, sa révolte
et sa corruption ; j'ignorais si elle était orgueilleuse ou non, et aucun des
théologiens dont j 'avais suivi les cours - et ils étaient nombreux ne m'avait
renseigné sur ce point.
Or,
lorsque je me trouvai dans cette perplexité et peine, voici que le maître avec
sa grande intuition vint vers moi, prit les
deux paniers de mes mains et me les chargea sur la nuque en disant: "Ainsi
fais l'épreuve du bien, pour que tu chasses un peu d'orgueil!" Par ces
paroles, il m'ouvrit la porte de la droiture, car j'appris dès lors à
distinguer les orgueilleux des humbles, les sérieux des légers, les savants des
ignorants, les hommes de tradition des innovateurs et les hommes qui ont de la
science et l'appliquent de ceux qui n'ont que de la science sans la mettre en
pratique. Par la suite, aucun traditionaliste (sunni) ne put plus me tromper
avec son savoir, ni aucun innovateur avec ses innovations; aucun savant ne m'en
imposa plus avec sa (seule) science, aucun (faux) dévot avec ses dévotions, ni
aucun (faux) ascète avec ses privations. Car le maître (que Dieu soit satisfait
de lui) m'avait appris à distinguer la vérité de la vanité et le sérieux de la
farce; que Dieu l'en récompense et le protège de tout mal!"
2 Cette confession porte évidemment moins sur
le caractère particulier de l'auteur que sur la nature de la psyché (annafs) en
général, en tant que celle-ci s'oppose à l'esprit (ar-rûh).
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